C’est cette même voix qui aujourd’hui encore, en songeant à cet accent plein, sonore et d’un si beau timbre, vous fait paraître plus charmants les plus beaux vers de Molière. […] Afin que ses adieux suprêmes fussent dignes d’elle, mademoiselle Mars avait appelé à son aide Molière et Marivaux, ses deux amis fidèles, fidèles jusqu’à la fin ; celui-ci austère, sérieux, solennel, même dans sa vie ; celui-là bienveillant, aimable, charmant, plein de grâce, d’élégance et d’abandon […] … La réponse est facile ; c’est qu’en effet cette langue à part a été la langue d’une société à part ; c’est que Marivaux a été le Molière de ce petit monde de soie et d’or qui s’agitait, à l’ombre de l’éventail de la maîtresse royale ; société éphémère mais élégante ; un monde à part mais plein d’esprit, de loyauté et de courage ; corruption si vous voulez, mais corruption de bon goût ; désordres, à la bonne heure ! […] La femme est jeune, belle, intelligente, s’il en fut, et grande et bien taillée pour le drame ; l’homme est digne de sa femme, il est plein de verve et de passion, mais il ressemble un peu à un ours, à un ours qui saurait bien tenir la coupe empoisonnée ou le poignard. […] Par la porte entr’ouverte, on voit l’étable pleine Des bœufs et des chevaux revenus de la plaine ; Ils prennent leur repas ; on les entend de loin Tirer du râtelier la luzerne et le foin ; Leur queue aux crins flottants, sur leurs flancs qu’ils caressent, Fouette, à coups redoublés, les mouches qui les blessent.
Combien de talents pleins de promesses ont succombé à l’épreuve ! […] Cette admirable position, qu’il a tenue pendant six années ininterrompues, était singulièrement appropriée au cadre même de la Restauration, à ces générations mixtes, brillantes, excitées en tous sens, à cette jeune croisade empressée d’érudition hâtive et renaissante, d’imagination pleine d’espoir et de générosité trop tôt satisfaite ou déçue. […] Dans le plein du succès de M. […] Il avait le vent en poupe, et il voguait à pleines voiles.
Voici la traduction : « Les odes de l’harmonieuse Sapho s’étaient perdues par la violence du temps qui dévore tout ; les ayant retrouvées et nourries dans son sein tout plein du miel de Vénus et des Amours, Louise maintenant nous les a rendues. […] Qui a lu et qui sait par cœur la jolie fable de La Fontaine, la Folie et l’Amour, n’est pas dispensé pour cela de lire le dialogue de Louise Labé, dont La Fontaine n’a fait que mettre en vers l’argument, en le couronnant d’une affabulation immortelle : Tout est mystère dans l’Amour, Ses flèches, son carquois, son flambeau, son enfance… Le dialogue de Louise Labé, dans la forme ou dans le goût de ceux de Lucien, de la fable de Psyché par Apulée, de l’Éloge de la Folie d’Érasme et du Cymbalum mundi de Bonaventure Des Periers, est un écrit plein de grâce, de finesse, et qui agrée surtout par les détails. […] Mais il n’est que trois cœurs au monde qu’elle ne peut persuader ni abuser, et près desquels elle perd ses sourires : à savoir, « l’auguste Minerve, qui n’aime que les combats, les mêlées, ou les ouvrages brillants des arts, et qui enseigne aux jeunes filles, sous le toit domestique, les adresses de l’aiguille ; puis aussi la pudique Diane aux flèches d’or et au carquois résonnant, qui n’aime que la chasse sur les montagnes, les hurlements des chiens, ou les chœurs de danse et les lyres, et les bois pleins d’ombre, et le voisinage des cités où règne la justice ; et enfin la vénérable Vesta, la fille aînée de l’antique Saturne, restée la plus jeune par le décret de Jupiter, laquelle a fait vœu de virginité éternelle, et qui, à ce prix, est assise au foyer de la maison, à l’endroit le plus honoré, recevant les grasses prémices. » A part ces trois cœurs qui lui échappent, Vénus soumet tout le reste, à commencer par Jupiter, dont on sait les aventures. […] Au plein cœur de la Restauration, les échos des salons les plus monarchiques ont longtemps répété ce vers de Mlle Delphine Gay, dans le Bonheur d’être belle : Comme, en me regardant, il sera beau ce soir !
Encore une fois, mon livre est plein de défauts ; mais, malgré ces défauts, c’est de tous les livres historiques publiés en Europe depuis Jean-Jacques Rousseau, dans la fièvre d’engouement qui saisit l’Europe à l’apparition de la Nouvelle Héloïse, c’est celui de tous les livres sérieux qui a été le plus vite et le plus persévéramment dévoré par la curiosité publique depuis son apparition ; c’est celui qu’on a accusé bien à tort d’avoir assez ébranlé les esprits en France et en Europe pour avoir fait une révolution en France et huit ou dix révolutions en Europe. […] « Cette histoire pleine de sang et de larmes est pleine aussi d’enseignements pour les peuples. […] Cette caractérisation est pleine d’erreurs, elle est lyrique plus que politique.
On cite les mots pleins de sens de cet oncle devenus proverbes dans ces provinces. […] Le vallon de Saint-Claude surtout, dont la ville se confond au fond d’une gorge avec les falaises grises de ses rochers, a une profondeur, des tourments, des anfractuosités, des abîmes, des vertiges qui fascinent les yeux du haut de ces divers plateaux qui la dominent de si haut et de si loin ; je n’ai vu de pareils effets de perspective dans les profondeurs que dans le Liban, quand au pied des cèdres on plonge de l’œil sur la petite ville industrielle de Zharklé, pleine de couvents et de fabriques d’armes, sur les deux marches d’un ravin, dans une anse, entre deux parois perpendiculaires de rochers crénelés de sapins. […] Ces accidents de construction font les charmes des paysagistes ; le donjon de Saint-Lupicin avec ses terrasses, ses jardins encaissés dans des décombres, ses cours de fermes pleines du vagissement des vaches, du chant des coqs, du roucoulement des pigeons qui blanchissent les rebords du toit des puits rustiques où la corde arrondie repose sur les auges dans des troncs d’arbres creusés pour abreuver les étables, arrête l’œil du passant. […] C’est évidemment cette chaleur d’âme, d’autant plus ardente qu’elle est plus contenue, qui a inspiré à ce contemplateur recueilli dans sa chambre haute, sur sa montagne, ces poésies étranges, nocturnes, à demi-voix, mais à plein vol, qu’il s’est chantées à lui-même, il y a quelques années.
Je me gardai bien de lui dire que c’était un jeune cousin nommé Hyeronimo, là tout près dans la montagne de Lucques ; je ne voulais pas mentir, mais je lui laissai entendre que j’étais un de ces pifferari du pays des Abruzzes, où les enfants viennent au monde tout instruits et tout musiciens, comme les petits des rossignols sortent du nid tout façonnés à chanter dans les nuits et tout pleins de notes qu’on ne leur a jamais enseignées par alphabet ou par solfège. […] CXLVIII — Celle-ci, me disait-il, celle qui vous a vu la première évanoui sur le bord du chemin, c’est la fille du riche métayer Placidio de Buon Visi, qui a une étable pleine de dix bœufs comme ceux-ci, de grands champs bordés de peupliers, unis entre eux par des guirlandes de pampres qu’on vendange avec des échelles, et parsemés çà et là de nombreux mûriers à tête ronde, dont les filles cueillent les feuilles dans des canestres (sorte de paniers pour contenir l’été la nourriture des vers à soie). […] C’était bientôt vu, monsieur ; en cinq pas, on faisait le tour de cette chambre haute, il n’y avait qu’une voûte de pierre blanchie à la chaux comme les murailles, un lit bien propre, une cruche de cuivre pleine d’eau claire et une chaise de bois, où le porte-clefs jetait sa veste et son trousseau de clefs, en se couchant. […] CLXXVI Le piccinino dont la provende était déjà toute prête dans un immense canestre de joncs plein de morceaux de pain tout coupés, de prescuito et de caccia cavallo (jambon et fromage à l’usage du peuple), et portant, de l’autre main, une cruche d’eau plus grande que lui, sortit de la cuisine et marcha, derrière le bargello et moi, vers la porte ferrée de la cour des prisonniers.
Si l’âme qui vit dans cette musique est l’âme ce l’harmonieuse fraternité des peuples, c’est qu’elle est l’âme de l’homme idéal, — de l’homme absolument naturel, franc, vrai, fort et grand, et qui à la fois dans la plus parfaite manifestation de son être est beau, digne et plein d’amour, parce qu’il est artiste et parce que l’exprimer est l’objet même de toute harmonie. […] Ici non plus la morale n’est pas prêchée ; mais l’esprit de la religion chrétienne y trouve nécessairement sa pleine expression, parce que l’homme idéal sorti de la plus pure nature humaine est, avec une complète force et vérité, représenté dans Parsifal. […] Mais jamais cet amour n’aurait pu trouver son expression vraie et pleine dans l’Art sans la force de la musique ; sans elle l’Art serait devenu moralisateur et froid : car le grand drame de la connaissance de Dieu est exécuté par le cœur humain, et le seul langage du cœur est la musique. […] Le public écouta religieusement de la première note à la dernière, avec une admiration croissante, et se retira plein d’enthousiasme pour ce grand poème musical.
Tous, de « leurs grands yeux bretons, malades d’idéal et de passion voilée », ils regardent, dans le verre plein, le paysage d’hier et l’émotion qui s’y attache. […] C’est le don généreux, et que peu apercevront, d’une âme « pleine de feu, de douceur et de barbarie ». […] Jadis, à première lecture, je préférai le centre du livre, tout de précision et de vie pleine. […] « Les oliviers au tronc busqué doivent à l’inclinaison du sol de paraître des êtres prêts à se mettre à genoux ou qui s’en relèvent lentement. » De crainte de m’attarder, je tourne cent pages et je rencontre cette définition à laquelle semblent avoir collaboré un mathématicien puissant et un profond théologien : « Dieu est un point minéral dont la densité est le cube de l’unité. » Je me fais violence pour ne point jeter ici à pleines mains l’or sonore des vers bien frappés et de poids.
Aussi reçoit-elle, comme un inconnu, le soldat loyal qui lui revient les bras ouverts, plein d’amour et plein d’espérance, comme un fiancé longtemps attendu. […] Tenancier, un riche bourgeois de vieille souche, plein d’honnêteté et de prud’homie, dans le meilleur sens de ce mot antique. […] Il se redresse, le geste haut et l’œil plein de flamme, déchire bruyamment le marché honteux qu’il allait signer, puis il quitte cette bande de mécréants et d’impures, en lui crachant l’imprécation à la face.
Voyez les grandes horloges pleines de rouages et de contrepoids, et qui devaient marquer les secondes, les minutes, les heures, les jours, les années, les lunes, les épactes, les éclipses, les siècles, l’éternité… elles ne vont plus, elles n’ont jamais marché ; tandis qu’une simple et naïve pendule qui n’a d’autre prétention que de donner l’heure du temps, va son petit bonhomme de chemin et trouve toujours son emploi. […] Le veau d’or a grandi démesurément depuis quelque temps ; il est devenu je ne sais quel monstrueux taureau de Phalaris plein de cris, de tortures et de convulsions intérieures. […] De cette question d’argent, si pleine de crises et d’angoisses, M. […] Durieu et la comtesse, dont il emporte les fonds, se regardent déjà avec des mines allongées, lorsque la porte s’ouvre et Jean Giraud reparaît, les mains pleines de billets de banque.
Prémisses Mais, de n’être pas étrangère au sens originel de Savoir et de Poésie que détiennent en leur intuition ainsi que monstreuse de toute la ventrée omphalienne des Vérités, les Livres aux signes occultes et sacrés, — ou les Védas et l’Avesta, ou la légende de Tao, et l’Histoire des Soleils sur l’empire de Mexitli, — dont perdure une âme moins universellement éperdue en la Théogonie d’Hésiode et le De natura : apparaissant insolite aux poésies de moderne concept, — méditation du poète conscient d’Unité et apporteur de Sanction qu’il me plut être, dès la prime aventure en la vie de l’esprit ma haine du Hasard dit ainsi… Aux pleines ondes sans dessous de vertige de notre histoire poétique, qui hier seulement devint un résumant torrent qui retentit, pour clore des temps, à des descentes d’éternités, — de sensation, d’émotion et de sentiment presque unanimement a été, même si elle se leurre des généralités de philosophies spiritualistes, a été métaphoriques exaltations au sortir de l’Inconscient et selon le tourment de volupté ou de douleur de spontanés et d’égotistes organismes poétiques en transports de génie, la Poésie. […] Elle manquait ainsi qu’en toute notre Poésie, malgré ses émouvantes phrases humaines à travers le Moi du poète, qui ne put davantage de ses Inspirés tenir une œuvre-une pleine de la volonté pensante et pesante d’une vie. […] Et mon dire autant que compris, doit être senti… Donc, les Mots d’expression idéographique d’idées dépendantes d’une des séries idéogéniques que nous avons généralement déterminées, devront en même temps être en valeurs de timbres-vocaux de la série phonétique correspondante, — ainsi que suit : les diverses voix instrumentales assourdies par m, n, gn (e) l’Orgue nuits mouvantes et pleines des sensations, sentiments et idées oû, ou, oui (ll), iou, oui ô, o, io, oi a, a, ai (ll), ai eû, en, ien eui (ll), eui Bruns, noirs à roux Rouges Vermillons Orangés à ors, verts F, L, M, S P, R, S H, R, S, V L, N, R, S, Z les Flûtes longues, primitives la série grave des Sax les séries hautes des Sax les Cors, Bassons et Hautbois Monotonie, doute, simplesse. […] Brutale s’il est nécessaire, mais savante continuement : trouvant entre les timbres-vocaux la nuance transitoire, et, pour les consonnes, les remplaçant entre elles, opérant les permutations phoniques de leurs degrés, — l’Allitération, ainsi, devient en elle-même telle qu’une adventice série instrumentale… Pour terminer, sans rappeler sa particularité de couleur et de timbre, il sied dire de « l’e muet » quel précieux élément instrumental il est, — qui peut toutes nuances selon sa place, depuis donner une valeur pleine, ou éteindre et lui-même et presque les sonorités qui l’entourent.
La longue ouverture du Jour des Rois où le poète essaie de montrer la figure du mendiant, spectateur infime et presque inanimé des incendies allumés par les puissants aux quatre points cardinaux, aboutit à ces deux vers et s’y résume : Penché sur le tombeau plein de l’ombre mortelle, Il est comme un cheval attendant qu’on dételle. […] Vous l’effaroucherez avec vos bouches pleines De la clameur du néant. […] Une nuit étoilée vue aux heures où tous dorment, le ciel bas d’une soirée d’hiver, L’air sanglote et le vent râle, Et sous l’obscur firmament, La nuit sombre et la mort pâle Le regardent fixement, le bois sombre plein de souffles froids où Cosette, la nuit, va pour chercher un seau d’eau, pénètrent d’une horreur sacrée. […] Que l’on ajoute encore à toutes ces scènes certains portraits pleins d’ombre et de réticence, dont le plus grand exemple est la silhouette bizarre, sacerdotale et scélérate du docteur Geestemunde, certains ensembles brouillés et confus, la perception subtile du trouble d’une société à la veille d’une émeute, de cet instant des batailles où tout oscille : La ligne de bataille flotte et serpente comme un fil, les traînées de sang ruissellent illogiquement, les fronts des armées ondoient, les régiments entrant ou sortant, font des caps ou des golfes, tous ces écueils remuent continuellement les uns devant les autres… les éclaircies se déplacent ; les plis sombres avancent et reculent ; une sorte de vent du sépulcre pousse, refoule, enfle et disperse ces multitudes tragiques… Enfin que l’on considère cette tendance poussée à bout, que l’on fasse l’énumération de tous ces poèmes douteux où M.
Toujours sublime et magnifique, Soit que, plein de nobles douleurs, Il nous montre un abîme où fut un trône antique, Et d’une grande reine étale les malheurs ; Soit lorsque, entr’ouvrant le ciel même, Il peint le monarque suprême Courbant tous les états sous d’immuables lois ; Et de sa main terrible ébranlant les couronnes, Secouant et brisant les trônes, Et donnant des leçons aux rois ! […] Aussi n’y en a-t-il point qui ait la même passion que moi pour votre avancement et pour votre bien.” » Saint Chrysostome ne put résister à un discours si touchant ; et, quelque sollicitation que Basyle son ami continuât toujours à lui faire, il ne put se résoudre à quitter une mère si pleine de tendresse pour lui, et si digne d’être aimée. […] Fénélon, sage aimable, et rival de Nestor, Instruisoit Télémaque aux leçons de Mentor ; Bossuet adressoit, dans sa mâle éloquence, À l’ombre de Condé les regrets de la France, Et dans nos temples saints sa redoutable voix, Au nom seul du Seigneur faisoit trembler les Rois : Fléchier, moins énergique et non moins plein de charmes, Sur Turenne au tombeau faisoit verser des larmes ; Et lorsqu’en des instants de regrets et de deuil, Les chrétiens, de Louis entouroient le cercueil, Quand la nef des lieux saints répétoit leurs cantiques, Massillon écoutoit ces chœurs mélancoliques, Et sa voix s’animant à ce lugubre chant Faisoit tonner ces mots : Chrétiens, Dieu seul est grand. […] Tour à tour apostat de l’une et l’autre loi, Admirant l’Évangile, et réprouvant la foi, Chrétien, déiste, armé contre Genève et Rome, Il épuise à lui seul l’inconstance de l’homme, Demande une statue, implore une prison ; Et l’amour-propre enfin, égarant sa raison, Frappe ses derniers ans du plus triste délire : Il fuit le monde entier qui contre lui conspire, Il se confesse au monde, et, toujours plein de soi, Dit hautement à Dieu : Nul n’est meilleur que moi.
On voudrait toujours l’aimer, mais tout à coup, après une beauté incontestable qui vous a ravi et qu’on lui doit, il vous replonge dans la haine et dans la colère par des choses exécrables ou ridicules d’inspiration et même de forme, et on tombe, plein de ressentiment, de l’hippogriffe aux longues ailes bleues ouvertes en plein ciel, sur le dos du plus affreux casse-cou ! […] … La Légende des Siècles que voici est pleine de ces chûtes qu’on partage avec l’auteur, quand il les fait. […] On se battit réellement pour ses drames, pleins de beautés grandioses et d’effroyables énormités, quand, un jour, trouvant le Théâtre trop petit pour l’envergure de sa pensée, il fit Cromwell, l’injouable Cromwell, plus long que les trois Wallenstein de Schiller, et qui est certainement son chef-d’œuvre dramatique, — une énormité réussie, mais, enfin, une énormité ! […] … Quand on se permet d’être si court, il faut, il faudrait être bien plein.
Charles Baudelaire Pour moi, j’avoue sincèrement, quand même j’y sentirais un ridicule, que j’ai toujours eu quelque sympathie pour ce malheureux écrivain dont le génie manqué, plein d’ambition et de maladresse, n’a su produire que des ébauches minutieuses, des éclairs orageux, des figures dont quelque chose de trop bizarre, dans l’accoutrement ou dans la voix, altère la native grandeur.
Coolus paraît-il s’étourdir lui-même au cliquetis de ses mots ; son livre n’en reste pas moins dans l’ensemble plein de distinction et de charme.
Ce n’est pas qu’on ne rencontre dans ce dernier Ouvrage quelques morceaux pleins d’élégance, de naturel & de pathétique ; mais ils sont en trop petit nombre pour faire pardonner les longueurs, les inutilités & les défauts de correction & de goût qu’on y remarque.
Il a surtout une tournure de pensées, vive, naturelle, & délicate ; sa versification est douce, harmonieuse, & facile ; sa poésie, pleine d’images & d’agrémens ; sa morale est utile, sans être austere ; un peu trop voluptueuse, sans être cependant libertine ; philosophique, sans être hardie ni indécente.
Avant lui, la Poésie pastorale se réduisoit à un jargon plein de fadeur & de mauvais goût.
Un seul Pseaume suffisoit à Rousseau pour faire une Ode pleine d'élévation, de chaleur & de sentiment ; & trois ou quatre Pseaumes fondus dans chacune des Odes sacrées de M.
Ce Livre est plein de recherches satisfaisantes, qui supposent un Auteur laborieux, intelligent, bon Logicien, & un Ecrivain qui fait s’exprimer avec autant de méthode que de force & de netteté.
Jusque-là il était abbé comme on l’était volontiers alors, ayant le titre et quelques bénéfices ; mais il n’était point lié à son état, il n’était prêtre à aucun degré ; et en 1755, à l’âge de quarante ans, on le voit hésiter beaucoup avant de franchir ce pas dont il sent le péril, et d’où sa délicatesse d’honnête homme l’avait tenu éloigné jusque-là : « Je me suis lié à mon état, écrit-il à Pâris-Duverney (le 19 avril 1755), et j’ai mis moi-même dans cette démarche tant de réflexions que j’espère ne m’en repentir jamais1. » Quant aux petits vers galants, ils sont de sa première jeunesse ; il cessa d’en faire à l’âge de trente-cinq ans : J’ai abandonné totalement la poésie depuis onze ans, écrit-il à Voltaire en décembre 1761 ; je savais que mon petit talent me nuisait dans mon état et à la Cour ; je cessai de l’exercer sans peine, parce que je n’en faisais pas un certain cas, et que je n’ai jamais aimé ce qui était médiocre ; je ne fais donc plus de vers et je n’en lis guère, à moins que, comme les vôtres, ils ne soient pleins d’âme, de force et d’harmonie ; j’aime l’histoire… Il y a donc, avant tout, quand on parle de Bernis, à bien marquer les époques, si l’on veut être juste envers un des esprits les plus gracieux et les plus polis du dernier siècle, envers un homme d’une capacité réelle, plus étendue qu’on ne pense, et qui sut corriger ses faiblesses littéraires ou ses complaisances politiques par une maturité décente et utile, et par une fin honorable. […] Duclos, son ami, l’un de ceux qui ont le mieux parlé de lui, et dont la brusquerie habituelle s’est adoucie pour le peindre, a dit : « De la naissance, une figure aimable, une physionomie de candeur, beaucoup d’esprit, d’agrément, un jugement sain et un caractère sûr, le firent rechercher par toutes les sociétés ; il y vivait agréablement. » Marmontel enfin, moins agréable cette fois que Duclos, et avec moins de nuances, nous dit : « L’abbé de Bernis, échappé du séminaire de Saint-Sulpice, où il avait mal réussi, était un poète galant, bien joufflu, bien frais, bien poupin, et qui, avec le Gentil-Bernard, amusait de ses jolis vers les joyeux soupers de Paris. » Cette figure ronde et pleine, cette belle mine rebondie et à triple menton, qui frappe dans les portraits de Bernis vieilli, il la prit d’assez bonne heure : mais d’abord il s’y mêlait quelque chose d’enfantin et de délicat ; et toujours, jusqu’à la fin, le profil gardera de la distinction et de l’élégance : le front et l’œil sont très beaux. […] Il y aurait mauvaise grâce, après un tel jugement, si plein de sens et de candeur, à se donner le plaisir facile de railler Bernis sur ses vers.
Collins a une ode pleine d’imagination et de haute fantaisie adressée Au soir : Cowper, dans le passage suivant, rappelle Collins avec moins de lyrisme et quelque chose de plus arrangé, de plus familier, mais avec une touche d’imagination non moins vive : Viens encore une fois, ô Soir, saison de paix, reviens, doux Soir et continue longtemps. […] Tu n’as point de somptueux atours ; tu n’as pas besoin, comme la Nuit, de relever des traits ordinaires par des grappes de diamants : une étoile ou deux luisant sur ton front te suffisent, sans compter que la lune t’appartient non moins qu’à elle, une lune modeste, non étalée d’en haut avec faste, mais attachée pourtant dans sa pleine rondeur à un pli de sa ceinture de pourpre. […] Viens lui parler de devoir, de convenance, lui dire combien la vérité morale est aimable, combien le sens moral infaillible… Ne t’épargne pas sur ce sujet… Déploie toutes tes facultés de déclamation et d’emphase à la louange de la vertu… Pousse ta prose éloquente jusqu’à surpasser l’éclat de la poésie… Il y manque toujours une toute petite parole à voix basse, que Celui-là seul peut prononcer de qui le verbe atteint d’un coup son plein effet, et qui dit aux choses qui ne sont pas d’être, et elles sont à l’instant.