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894. (1880) Goethe et Diderot « Gœthe »

Comme eux, il pensait beaucoup moins à l’œuvre en elle-même qu’à son arrangement pour le goût et l’encharmement du public. […] Voltaire avait fait Zaïre en vingt-deux jours, mais sans penser à la difficulté vaincue, en descendant la montagne russe de l’inspiration. […] Qu’on cite de lui une situation nouvelle, à laquelle, avant lui, personne n’aurait pensé ! […] Mais figurez-vous un Balzac avec la puissance de vers de Byron, et devant un pareil idéal pensez un peu à Gœthe, qui voulut aussi être romancier ! […] Mais pourtant qu’il est loin de Lessing par la plénitude de la tête qui l’a pensé, par le mouvement d’idées, par l’enthousiasme !

895. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre II. De la reconnaissance des images. La mémoire et le cerveau »

Que les leçons inculquées à la mémoire motrice se répètent automatiquement, c’est ce que montre l’expérience journalière ; mais l’observation des cas pathologiques établit que l’automatisme s’étend ici beaucoup plus loin que nous ne pensons. […] C’est dire que nous jouons d’ordinaire notre reconnaissance avant de la penser. […] Nous dessinons « d’un trait continu », après avoir regardé le modèle ou y avoir pensé. […] Ne pensons donc plus à un esprit qui disposerait de je ne sais quelle quantité fixe de lumière, tantôt la diffusant tout alentour, tantôt la concentrant sur un point unique. […] Notons ce fait singulier qu’un aphasique, devenu régulièrement incapable de jamais retrouver le substantif qu’il cherche, le remplacera par une périphrase appropriée où entreront d’autres substantifs 67, et parfois le substantif rebelle lui-même : ne pouvant penser le mot juste, il a pensé l’action correspondante, et cette attitude a déterminé la direction générale d’un mouvement d’où la phrase est sortie.

896. (1881) Le roman expérimental

On sent ce qu’il pourrait penser ; mais le pense-t-il réellement ? […] Je ne le pense pas. […] Désormais, il est libre, il dira tout haut ce qu’il pense. […] Qu’en pense le public ? […] Nous verrons ce qu’on pensera de Victor Hugo vingt-cinq ans après sa mort.

897. (1890) Le massacre des amazones pp. 2-265

Elle me fait penser à quelque paradoxale brebis, — suis-je poli aujourd’hui ! […] Je pense beaucoup de mal de l’éducation moderne et de toute éducation prolongée. […] Ils ne s’épousent pas, vous pensez bien. […] Comme elle ne peut être un frémissement continuel, de temps en temps elle pense. […] J’ai réussi le plus souvent à savoir ce qu’elle pensait au moment où elle écrivait telle ligne ; j’ignore, autant qu’elle-même, ce qu’elle pense : les Maximes de la Vie se contredisent comme de vulgaires proverbes.

898. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre I. De l’action »

Il dira le nom de l’endroit et ce qu’il en pense. […] Le bonhomme était plus réfléchi qu’on ne pense. […] Mais la couleuvre répondit : « Ne pensez pas que je veuille m’en aller de la sorte. […] Adieu, j’ai dit ce que je pense. » Chose triste et plaisante ! […] quoique je sois obligé d’admirer vos oeuvres et tout ce qui vient de vous, néanmoins, s’il m’est permis de dire ce que je pense, je crois, moi, avoir quelque sujet de me plaindre. » (Toujours l’emphase qui tourne à la platitude.

899. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIe entretien. L’Imitation de Jésus-Christ » pp. 97-176

D’autres occupent à présent leurs places, et je ne sais s’ils pensent seulement à eux. […] Car nous avons plus d’empressement à chercher Dieu, qui voit le fond du cœur, quand les hommes au dehors nous rabaissent et pensent mal de nous. […] Ô stupidité et dureté du cœur humain, qui ne pense qu’au présent et ne prévoit pas l’avenir ! […] Le matin, pensez que vous n’atteindrez pas le soir ; le soir, n’osez pas vous promettre de voir le matin. […] Plusieurs sont enlevés par une mort soudaine et imprévue : car le Fils de l’homme viendra à l’heure qu’on n’y pense pas.

900. (1902) Le chemin de velours. Nouvelles dissociations d’idées

Tout cerveau qui vit pense cela, même inconscient. […] … je pense qu’il est frère de celui des Vadius, Trissotin, and Co. — Ce que je pense de l’écriture artiste ? […] — Ce que je pense de la langue moderne ? […] Penser selon les ordres d’un directoire religieux ou politique, qu’importe au peuple, qui ne pense pas ?

901. (1894) Les maîtres de l’histoire : Renan, Taine, Michelet pp. -312

La devise de Spinoza sera la sienne : Vivre pour penser. […] Il est permis de penser que les appréciations de MM.  […] Il a vécu pour penser. […] Chaque mot fait penser, ou rêver. […] C’est avec ravissement qu’au retour, il pense à son ami, à leurs entretiens, à leurs promenades.

902. (1892) Les idées morales du temps présent (3e éd.)

Volontiers même, il éclatera en prosopopées qui font penser à celles dont Jean-Jacques est coutumier : « 0 vérité, sincérité de la vie ! […] D’autres vont jusqu’à penser que ce but n’a peut-être pas toute l’importance qu’on croit, et que, arrivât-on, à l’aide de drames vertueux ou de romans bien pensés, à préserver quelques ménages, à arracher quelques buveurs aux tavernes pour les conduire aux cafés-chocolats de la tempérance, les hommes n’en seraient pas sensiblement meilleurs. […] Bref, j’écris pour ceux qui pensent comme moi. […] Dumas ont l’air d’y penser tellement, que cela seul suffit à les ternir. […] Je pense qu’il faut les chercher dans les doctrines désolantes dont se nourrissent ces pauvres femmes.

903. (1896) Écrivains étrangers. Première série

Moi, vois-tu, j’y pense sans cesse. […] Il n’était pas l’envieux et venimeux personnage qu’on pourrait penser. […] Et en cela encore, je ne puis m’empêcher de penser qu’il a bien fait. […] Je continue à penser qu’à cela aucun socialisme ne réussira jamais. […] Mais j’y pense dans le vague, d’une façon tout abstraite.

904. (1889) Les artistes littéraires : études sur le XIXe siècle

Nous ne le pensons pas. […] — Peut-on écrire, peut-on penser sans conclure ? […] Théodore de Banville dit « qu’il pense en vers et n’a qu’à transcrire ce qui lui est dicté, tandis que l’homme qui n’est pas poète pense en prose, et ne peut que traduire en vers ce qu’il a pensé en prose. […] Devant la philosophie actuelle, nous ne le pensons pas. […] On sait ce qu’en pensèrent les romantiques, et en particulier M. 

905. (1920) Impressions de théâtre. Onzième série

D’ailleurs, j’ai toujours pensé que, au fond, le vrai « théâtre-libre », c’était le théâtre de Meilhac. […]                           Que ferai-je penser de moi ? […] Voici, je pense, comment l’œuvre a dû se construire dans l’esprit du poète. […] Elles répètent les mêmes mots plusieurs fois, tant elles sont paresseuses à penser. […] Second symbole, je pense.

906. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome II

« Que pense-t-il de moi ?  […] Quel que soit l’obstacle qui se dresse devant toi, brise-le, sinon tu disparaîtras du nombre des vivants… » Ce que le Dumas de cet éloquent appel pensait sur le pays, le Dumas de 1895 le pensait toujours. […] » Les frères de Goncourt ont pensé autrement. […] Tout n’est que fumée et vapeur, pensait-il, tout paraît pour éternellement changer. […] Pour Amiel, penser et se regarder penser, sentir et se regarder sentir, ne furent jamais qu’une seule et même chose.

907. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Appendice. »

Mes amis les plus intimes se sont un peu irrités des deux autres ; mais, moi, à qui vous avez dit franchement ce que vous pensez de mon gros livre, je vous sais gré d’avoir mis tant de clémence dans votre critique. […] Je vous dirai plus loin ce que je pense de cet épisode, amené non pour décrire l’aqueduc, lequel m’a donné beaucoup de mal, mais pour faire entrer convenablement dans Carthage mes deux héros. […] Qu’il ne gagne pas à cette visite, cela m’est bien égal, n’étant point chargé de faire son panégyrique ; mais je ne pense pas l’avoir taillé en charge aux dépens du reste du caractère. […] Jules Levallois, destine à être un critique qui pense par lui-même et qui a son originalité, dut, on le conçoit, dans un commerce assidu et quotidien, contribuer à aiguiser beaucoup de mes jugements, m’en suggérer même qui étaient de lui et qui portaient avec eux leur expression. […] Plein de feu, d’ardeur, d’une âme affectueuse et amicale, unissant à un fonds d’instruction solide les goûts les plus divers, ceux de l’art, de la curiosité et de la réalité, il semble ne vouloir faire usage de toutes ces facultés que pour en mieux servir ses amis ; il se transforme et se confond, pour ainsi dire, en eux ; et ce sont eux les premiers qui, de leur côté, sont obligés de lui rappeler qu’il y a aussi une propriété intellectuelle qu’il faut savoir s’assurer à temps par quelque travail personnel : il est naturellement si libéral et prodigue de lui-même envers les autres qu’on peut sans inconvénient lui conseiller de commencer un peu à songer à lui, de penser à se réserver une part qui lui soit propre, et, en concentrant ses études sur un point, de se faire la place qu’il mérite d’obtenir un jour.

908. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite et fin.) »

« Je ne sais si c’est l’âge ou la raison qui cheminent ; peut-être sont-ce tous les deux à la fois ; mais, ce qui est certain, c’est que je pense plus sérieusement que je ne me croyais susceptible de le faire, et que je fais de grands progrès du côté de la gravité. » Lettre écrite de Russie, du 3 mars 1843. […] mon cher Horace, répondit le roi ; y pensez-vous ?  […] Quant à nous, mon cher Delaroche, je ne vous offre pas notre secours… Depuis longtemps je déplore qu’un autre ordre de choses n’ait pu s’établir entre nous, et je vous jure que je n’éprouve aucun sentiment de jalousie pour ceux qui, plus heureux que nous, seront à même de vous donner des marques de dévouement ; tout en enviant leur sort, dites-leur que nous les bénissons, que nous les bénirons, s’ils aiment nos enfants comme les leurs… » Nous, public, qui ne nous trouvons introduit que par accident et par faveur dans ces discussions si particulières et qui, sous une forme ou sous une autre, se rencontrent dans presque toutes les familles, notre rôle n’est pas, on le pense bien, d’avoir le moindre avis sur le fond ; faisons la part de ce qu’il peut y avoir d’exagération naturelle dans l’expression d’Horace, dans cette émulation et cette rivalité de tendresse, et disons-nous que, si nous entendions Delaroche, il aurait sans doute, pour répondre, son éloquence à lui, et il en avait beaucoup. […] L’exemple que vous me citez de Gros et de Gérard n’a rien à faire avec nous : l’envie, la jalousie les a épuisés ; nous n’en sommes pas là, du moins je ne le pense pas. […] » Et il lui dit les choses les plus gracieuses sur son talent et sur ce qu’il avait toujours pensé de lui.

909. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vaugelas. Discours de M. Maurel, Premier avocat général, à l’audience solennelle de la Cour impériale de Chambéry. (Suite et fin.) »

« Pour moi, disait Vaugelas, je révère la vénérable Antiquité et les sentiments des doctes ; mais, d’autre part, je ne puis que je ne me rende à cette raison invincible, qui veut que chaque langue soit maîtresse chez soi, surtout dans un empire florissant et une monarchie prédominante et auguste comme est celle de France. » Vaugelas, bien d’accord en cela avec lui-même, pensait que « la plus grande de toutes les erreurs, en matière d’écrire, était de croire, comme faisaient plusieurs, qu’il ne faut pas écrire comme l’on parle. » Il est vrai que cette maxime d’écrire comme l’on parle doit être entendue sainement, selon lui, et moyennant quelque explication délicate. […] Homme de sens, sans supériorité d’ailleurs, il avait tant lu de choses qu’il savait que tout a été dit et pensé, et il en concluait que toute opinion a sa probabilité à certain moment, que la diversité des goûts et des jugements est infinie. […] On ne peut s’empêcher, en lisant La Mothe-Le-Vayer, de lui donner raison en général, quand il s’élève avec une franchise gauloise contre la contrainte servile qu’on voudrait imposer à tout écrivain ; il s’indigne de ces subtilités et de ces enfantillages, et comme il est trop poli pour dire en français ce qu’il pense, il se couvre à ce propos du latin de Cicéron. […] Les aigles ne s’amusent point à prendre des mouches… » C’est bien pensé, c’est bien dit, mais je dois avertir que je rends service à sa phrase en la coupant. […] Il est temps que je me démasque et que, tout de bon, je vous dise ce que je pense de voire ouvrage : il n’est indigne ni de votre esprit, ni de votre âge, ni de votre condition, ni de votre vertu. » C’est un jeu, on le voit, un compliment déguisé en contre-vérité ; mais la plaisanterie est un peu trop prolongée pour être agréable, et je ne sais comment le prit Vaugelas.

910. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

J’en aurais honte si j’y pensais sérieusement ; mais, monsieur, ai-je le temps ? […] J’ai pensé que la meilleure façon de vous remercier de vos avis, c’était d’en profiter, et partout où j’ai pu, j’ai passé votre lumière, j’ai rectifié une partie des fautes signalées. […] vous me l’avez promis. » M. de Latour était pour Mme Valmore tout autre chose encore qu’un conseiller critique : c’était par sa position et son caractère un intercesseur et un canal des grâces ; homme affectueux et sensible qui pratiquait la poésie à la cour, traducteur de Silvio Pellico, qui s’était accoutumé à penser et à sentir comme Pellico. […] Elle était de tout temps pour les souffrants et les opprimés ; elle est pour eux encore le jour où elle se figure que le peuple triomphe et se délivre ; elle a son hymne du lendemain ; c’est à son frère Félix qu’elle l’adresse : « (1er mars 1848)… L’orage était trop sublime pour avoir peur ; nous ne pensions plus à nous, haletants devant ce peuple qui se faisait tuer pour nous. […] On dit ma petite pension supprimée, mais je n’ai pas le temps de penser à cela : ce serait interrompre la plus tendre admiration qu’il soit permis à une âme de ressentir.

911. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [III] »

Ce premier recueil de l’Olive, qui se composait principalement de cinquante sonnets à la louange d’une maîtresse, destinée par son nom à faire le pendant de Laure (le Laurier, l’Olivier), et qui n’était pas purement imaginaire, parut à la date de 1549, et devança de quelques mois, je le pense, la Défense et Illustration ; on n’y voyait que les initiales de Joachim Du Bellay. […] Je songe au lendemain, j’ai soin de la dépense Qui se fait chacun jour, et si fault que je pense À rendre sans argent cent créditeurs contents. […] Et il ne s’attaque pas seulement à la personne des cardinaux neveux ou favoris, il va jusqu’à prendre à partie ces pontifes qu’il a vus de ses yeux, Jules III, Paul IV : ce dernier se faisant tout d’un coup guerrier in extremis, et qu’il oppose à Charles-Quint, à ce César dégoûté, subitement ambitieux du cloître : l’un et l’autre, dans ce revirement tardif, transposant les rôles et les parodiant pour ainsi dire, faisant comme échange entre eux d’humeur et d’inconstance : Je ne sais qui des deux est le moins abusé, Mais je pense, Morel, qu’il est fort malaise Que l’un soit bon guerrier, ni l’autre bon ermite. […] j’ai pensé que, pour réparer cette faute et pour me ramentevoir toujours en sa bonne souvenance, je ne lui pouvois faire présent plus agréable que ce que je vous envoie pour lui présenter, s’il vous plaît, de ma part. C’est le Tombeau latin et françois du feu roi son frère… Je l’eusse bien pu enrichir, si j’eusse voulu (et l’œuvre en étoit bien capable, comme vous pouvez penser), de figures et inventions poétiques davantage qu’il n’est, et qu’il semblera peut-être à quelques admirateurs de l’antique poésie… Or, tel qu’il est, si Madame s’en contente, j’estimerai mon labeur bien employé, ne m’étant, comme vous savez mieux qu’homme du monde, jamais proposé autre but ni utilité à mes études que l’heur de pouvoir faire chose qui lui fût agréable.

912. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Diderot »

Voilà ce que nous avions besoin de nous dire avant de nous remettre, nous, critique littéraire, à l’étude curieuse de l’art, et à l’examen attentif des grands individus du passé ; il nous a semblé que, malgré ce qui a éclaté dans le monde et ce qui s’y remue encore, un portrait de Regnier, de Boileau, de La Fontaine, d’André Chénier, de l’un de ces hommes dont les pareils restent de tout temps fort rares, ne serait pas plus une puérilité aujourd’hui qu’il y a un an ; et en nous prenant cette fois à Diderot philosophe et artiste, en le suivant de près dans son intimité attrayante, en le voyant dire, en l’écoutant penser aux heures les plus familières, nous y avons gagné du moins, outre la connaissance d’un grand homme de plus, d’oublier pendant quelques jours l’affligeant spectacle de la société environnante, tant de misère et de turbulence dans les masses, un si vague effroi, un si dévorant égoïsme dans les classes élevées, les gouvernements sans idées ni grandeur, des nations héroïques qu’on immole, le sentiment de patrie qui se perd et que rien de plus large ne remplace, la religion retombée dans l’arène d’où elle a le monde à reconquérir, et l’avenir de plus en plus nébuleux, recélant un rivage qui n’apparaît pas encore. […] Je pensais qu’il me verrait, que je me jetterais entre ses bras, que nous pleurerions tous les deux, et que tout serait oublié. Je pensai juste. » Là, je m’arrêtai et je demandai à mon religieux s’il savait combien il y avait d’ici chez moi : « Soixante lieues, mon père ; et s’il y en avait cent, croyez-vous que j’aurais trouvé mon père moins indulgent et moins tendre ?  […] Sa vie se passa de la sorte, à penser d’abord, à penser surtout et toujours, puis à parler de ses pensées, à les écrire à ses amis, à ses maîtresses ; à les jeter dans des articles de journal, dans des articles d’encyclopédie, dans des romans imparfaits, dans des notes, dans des mémoires sur des points spéciaux ; lui, le génie le plus synthétique de son siècle, il ne laissa pas de monument.

913. (1875) Premiers lundis. Tome III « De la loi sur la presse »

Je ne saurais dire l’impression que j’ai ressentie comme ami du Gouvernement, ce que j’ai pensé et souffert d’une pareille maladresse. […] Je ne suis point de ceux-là ; et, tout en reconnaissant qu’il est bon de ralentir la marche quand il le faut, de la suspendre même, quand les circonstances le commandent, je pense aussi qu’il ne faut jamais changer de but ni se diriger autre part que là où est le vrai progrès de la société moderne, là où est l’avenir plus ou moins prochain, l’avenir inévitable auquel il ne faut jamais dire : Jamais. […] Je parlerai donc de l’article il comme j’en ai pensé le jour où il a inopinément surgi et où il a été si subitement accepté : Cet article (à l’attaquer au fond, et sinon dans l’esprit particulier qui l’a dicté, du moins dans les conséquences qu’il recèle) me paraît une garantie assurée sans doute contre l’indiscrétion des écrits, mais une garantie qui sera tout à l’appui et en faveur du dérèglement des actions. […] On se plaint souvent que la littérature actuelle ne soit pas plus forte, plus élevée, plus semblable à celle des siècles précédents, des grandes époques précédentes : je ne sais ce que ces plaintes ont de fondé ; nous sommes trop juge et partie peur avoir voix au chapitre dans la question ; mais, en admettant le fondé du reproche, comment voulez-vous que la littérature, la véritable, celle qui a son inspiration propre, celle qui n’est animée ni du désir du gain ni de l’ambition des honneurs, mais qui a sa verve naturelle, originale, son goût de fantaisie ou de vérité, et d’une vérité piquante et parfois satirique (car ce ne sont pas les sujets qui manquent), comment voulez-vous que cette littérature qui sacrifie tout à elle-même, à sa propre satisfaction, au plaisir de rendre avec art, avec relief, et le plus excellemment possible ce qu’elle pense, ce qu’elle voit et dans le jour sous lequel elle le voit, comment voulez-vous qu’elle ait toute sa vigueur, sa joie, sa fierté et son indépendance, si, à tout moment, l’écrivain qui tient la plume a à se faire cette question : « Aurai-je affaire ou non à messieurs du parquet, à messieurs de la police correctionnelle ?  […] Quelques-uns ont disparu (je pense au regrettable M. de Morny) ; quelques-autres vivent et sont peut-être ici présents : qu’ils le disent.

914. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXIXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (2e partie) » pp. 5-63

M. de Marcellus pensait à autre chose. II À quoi pensait-il ? Il pensait à un autre livre, la Politique de la Restauration, publié deux ans après. — Ce livre est une répétition des anecdotes littéraires analysées par nous au commencement de cette étude. […] Bonaparte ne pensa point du tout à faire sabrer son ministre démissionnaire ; M. de Fontanes, Élisa, sœur de l’empereur, Pauline Borghèse, sa sœur plus aînée, Joseph Bonaparte, étaient là pour détourner le coup. […] Pendant ces hésitations, le prince de Polignac, qui m’aimait, pense à moi ; il m’écrit, me conjure de venir à Paris, m’offre avec instance la direction des Affaires étrangères ; je n’hésite pas à refuser. — Il insiste sur un entretien ; j’arrive à Paris, je cause à cœur ouvert avec lui, il est moins sincère avec moi qu’avec M. de Marcellus, il nie imperturbablement la pensée du coup d’État.

915. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIVe entretien. Mélanges »

Mais trouver le moyen de les corriger sans détruire du même coup, par l’impraticable utopie, toutes les réalités nécessaires à la vie sociale, l’abbé de Lamennais n’y avait jamais pensé, et le Livre du peuple en était la preuve. […] Mon idée, que j’avais communiquée à l’Assemblée à la fin de mon discours en lui remettant la dictature, était que je pensais et je pense encore qu’il fallait voter cinq ou six articles d’un régime provisoire, comme nous nous étions si bien trouvés d’être nous-mêmes un gouvernement exécutif provisoire, avec l’espérance de plus et les discussions de moins, et remettre à un temps plus éloigné la Constitution définitive à voter de sang-froid. […] Il acheta alors une magnifique terre dans les environs de Provins ; et il pensa à reprendre sa vocation ecclésiastique, qu’il avait abandonnée pour son mariage. […] Il ne pensait pas ainsi, car il donna en ce temps-là un dîner célèbre de coalition aux députés les plus illustres par leur éloquence, tels que Berryer, Mauguin, etc., et il porta un toast au dessert dans lequel il dévoila sa pensée. « Du reste, dit-il en terminant, et en buvant à la santé du cardinal de Richelieu, tout ceci finira bientôt, non par un militaire, non par un orateur, mais par un cardinal. » C’était se désigner lui-même comme le terme de la révolution.

916. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre dixième. »

J’aime mieux celui qui pense d’abord au récit ; la morale y est ce qu’elle peut. […] Tâchez donc de penser à la fable sans rencontrer La Fontaine ! […] Cette fable des Lapins, malgré des traits charmants, est de ses plus faibles ; outre qu’on ne s’attend pas à y voir le peintre et l’ami des lapins à l’affût sur un arbre, Poudroyant à discrétion Un lapin qui n’y pensait guère. […] Il n’était pas mauvais qu’il commençât par être de l’école de Voiture, quoique ce poète ait pensé le gâter. […] Ses illustres amis cultivaient plus étroitement certains auteurs ; La Fontaine pratique l’antiquité tout entière ; il pensait même en être ridicule, comme quelqu’un qui s’opiniâtrerait à une vieille mode.

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