Il sait l’artiste à fond, sous toutes ses formes, dans toutes ses applications, dans ses pensées les plus secrètes, dans ses procédés les plus spéciaux, et dans ce qu’il fait et dans ce qu’il ne fera jamais, et dans ses rêves et dans son impuissance, et dans la dépravation de ses facultés aigries, et dans le triomphe de son génie harmonieux, et dans le néant de son œuvre, et dans le sublime de ses misères. […] Zacharias Werner, Berthold, Kreisler, vous tous artistes de nos jours, au génie inquiet, à l’œil effaré, que l’air du siècle ronge ; inconsolables sous l’oppression terrestre, amoureux à la folie de ce qui n’est plus, aspirant sans savoir à ce qui n’est pas encore ; mystiques sans foi, génies sans œuvre, âmes sans organe ; comme il vous a connus, comme il vous a aimés ! […] Aussi, dès qu’il se borne à peindre l’art et les artistes dans ce moyen âge, où il y avait du moins harmonie et stabilité pour les âmes, quelque chose de calme, de doré et de solennel succède aux délirantes émotions qu’il tirait des désordres du présent ; depuis l’atelier de maître Martin le tonnelier, qui est un artiste, jusqu’à la cour du digne landgrave de Thuringe, où se réunissent autour de la jeune comtesse Mathilde, luth et harpe en main, les sept grands maîtres du chant, partout dans cet ordre établi, on sent que le talent n’est plus égaré au hasard, et que l’œuvre de chacun s’accomplit paisiblement ; s’il y a lutte encore par instants dans l’âme de l’artiste, le bon et pieux génie finit du moins par triompher, et celui qui a reçu un don en naissant ne demeure pas inévitablement en proie au tumulte de son cœur.
Au reste, comme je donnais aux jeunes filles le conseil de ne point s’enfermer dans l’étude des œuvres des femmes, je recommanderais au contraire volontiers aux jeunes hommes de la pratiquer assidûment. Dans le commerce des femmes les plus distinguées que la société française ait produites, au contact de ces esprits ex quis qui ont mis, sans y penser, le meilleur d’eux-mêmes dans des œuvres légères et charmantes, nos écoliers compenseront en quoique sorte le défaut de notre système d’éducation qui, jusqu’à l’âge d’homme, les soustrait aux influences féminines. […] C’est, en effet, en vérifiant ces remarques et ces conseils sur les œuvres de la littérature, qu’ils en embrasseront le sens et se rendront capables de les appliquer à leurs propres compositions.
J’ajoutais, il est vrai, qu’il est peut-être temps de ne lui tenir compte que de son œuvre et de le remettre à son rang qui est le premier. […] Et d’ailleurs si, dans l’appréciation des œuvres des poètes, il fallait tenir compte de leurs vertus civiques, Lamartine opposant son corps à l’émeute triomphante et la domptant par sa parole, ferait presque aussi bonne figure, je pense, que Victor Hugo au lendemain du coup d’Etat. […] Peu à peu, par la seule vertu du temps qui s’écoule, un triage se fait dans les œuvres : les grandes figures du passé se groupent et s’ordonnent, chacune à son plan.
Par là, les termites de son œuvre, les grisailles de leurs évolutions se teintaient d’âpres épithètes, se trempaient de la vibration d’art, se disposaient en amertumes graduées, en états d’âme vulgaires sans doute, mais passés au crible d’un cerveau impressif, colorés d’une désespérance glaciale comme une bise, coupante comme un grésil… » (page 11). […] Mais aujourd’hui, chez Servaise et ceux de son espèce, c’est une torture, une lutte atroce, sans trêve, avec des tensions de muscles, des vibrations de nerfs, des halètements, des syncopes, des courbatures… Dans l’Œuvre, de Zola, l’artiste ressemblait déjà à un damné de Michel-Ange. […] Rosny, quelques-uns des passages qui nous peignent les labeurs de Servaise : « … Les soirs de lampe, les rudes soirs où la volonté terrible l’entraînait au jeu des phrases, les sorties où les œuvres grouillaient dans son crâne comme l’obsession dans l’âme d’un fou… » « … Dans le désarroi idéen, c’est à ce mot « travail » que Servaise toujours revenait, comme à la divinité mystérieuse, à l’entéléchie dont l’adoration l’avait dû conduire à la gloire.
. — Œuvres de prose (1898). — Sonnet à Alfred de Vigny (1898). — Testament poétique (1901) OPINIONS. […] Y a-t-il donc tant de joie dans l’œuvre de Sully Prudhomme ? […] Il en est résulté une œuvre originale, complexe, très solide, mais très mélancolique.
Il y a donc, dans l’œuvre et dans le génie de Molière, une part à faire à l’Espagne, comme une part à faire à l’Italie. […] Comment j’ai été amené à l’entreprendre, c’est ce que s’expliqueront aisément ceux des lecteurs qui savent que j’ai publié une édition des œuvres de Molière avec toutes les recherches et tous les développements qu’une telle publication comporte1. Il y a, à mon avis, deux manières de concevoir une édition des œuvres de Molière : ou publier le texte dans sa nudité magistrale, ou fournir en même temps tout ce que peut recueillir sur l’homme et sur ses ouvrages une érudition spéciale.
De là, ces contradictions impardonnables, ces invectives grossieres, cet égoïsme révoltant, cette mauvaise foi manifeste, ces injustices criantes, consignées dans la derniere édition de ses Œuvres, qui ont avili sa plume, décrédité ses jugemens, &…. […] Pourrions-nous, après cela, nous offenser des injures & des faussetés que ce Narcisse littéraire a accumulées contre nous dans la derniere Collection de ses Œuvres ? […] Palissot, avant qu’il ne publiât la Collection de ses Œuvres en six vol.
Les Orientales, in Œuvres complètes de Victor Hugo. […] Et puis, pourquoi n’en serait-il pas d’une littérature dans son ensemble, et en particulier de l’œuvre d’un poëte, comme de ces belles vieilles villes d’Espagne, par exemple, où vous trouvez tout : fraîches promenades d’orangers le long d’une rivière ; larges places ouvertes au grand soleil pour les fêtes ; rues étroites, tortueuses, quelquefois obscures, où se lient les unes aux autres mille maisons de toute forme, de tout âge, hautes, basses, noires, blanches, peintes, sculptées ; labyrinthes d’édifices dressés côte à côte, pêle-mêle, palais, hospices, couvents, casernes, tous divers, tous portant leur destination écrite dans leur architecture ; marchés pleins de peuple et de bruit ; cimetières où les vivants se taisent comme les morts ; ici, le théâtre avec ses clinquants, sa fanfare et ses oripeaux ; là-bas, le vieux gibet permanent, dont la pierre est vermoulue, dont le fer est rouillé, avec quelque squelette qui craque au vent ; au centre, la grande cathédrale gothique avec ses hautes flèches tailladées en scies, sa large tour du bourdon, ses cinq portails brodés de bas-reliefs, sa frise à jour comme une collerette, ses solides arcs-boutants si frêles à l’œil ; et puis, ses cavités profondes, sa forêt de piliers a chapiteaux bizarres, ses chapelles ardentes, ses myriades de saints et de châsses, ses colonnettes en gerbes, ses rosaces, ses ogives, ses lancettes qui se touchent à l’abside et en font comme une cage de vitraux, son maître-autel aux mille cierges ; merveilleux édifice, imposant par sa masse, curieux par ses détails, beau à deux lieues et beau à deux pas ; — et enfin, à l’autre bout de la ville, cachée dans les sycomores et les palmiers, la mosquée orientale, aux dômes de cuivre et d’étain, aux portes peintes, aux parois vernissées, avec son jour d’en haut, ses grêles arcades, ses cassolettes qui fument jour et nuit, ses versets du Koran sur chaque porte, ses sanctuaires éblouissants, et la mosaïque de son pavé et la mosaïque de ses murailles ; épanouie au soleil comme une large fleur pleine de parfums ? Certes, ce n’est pas l’auteur de ce livre qui réalisera jamais un ensemble d’œuvres auquel puisse s’appliquer la comparaison qu’il a cru pouvoir hasarder.
Sans atteindre complètement à cette universalité, Hugo, dans ses grandes œuvres, s’en rapproche. […] Le monde est l’œuvre où rien ne ment et ne dévie, Et dont les mots sacrés répandent de l’encens. […] Le regard au ciel est une œuvre. […] La diversité de jugements portés sur Hugo tient en grande partie à la diversité et à la complexité de l’œuvre du poète. […] Œuvres inédites de Victor Hugo : Choses vues.
Enfin, ce n’est certes pas là une œuvre banale, et c’est quelque chose aujourd’hui. […] Son œuvre nouvelle est intitulée : Le Crime de Sylvestre Bonnard, membre de l’Institut (chez Calmann-Lévy). […] Heureusement, cette fois, il s’agit d’un bel et bon ouvrage, de l’œuvre d’un véritable poète, des Légendes des bois et Chansons marines de M. […] Œuvre qu’on lit, œuvre qui dure ; œuvre qu’on relit, œuvre qui reste. […] Il est nombre d’œuvres distinguées qui n’ont pas eu de succès par la faute des interprètes chargés de les représenter ; il est nombre d’œuvres médiocres qui ont dû à des interprètes supérieurs une vogue retentissante, mais éphémère, qu’elles n’ont plus retrouvée quand on a voulu les reprendre plus tard avec des interprètes nouveaux et moyens.
Et voilà ce qui fait ressembler son œuvre au but que nous poursuivons. […] » — « Et l’œuvre ? […] Je vais entreprendre une œuvre nouvelle. […] Trouverait-on une seule trace de ces théories nouvelles dans l’œuvre du maître ? ils donnent à cette œuvre le nom de science, et tout au plus est-ce de la casuistique.
Tandis que le café-concert abrutissait la masse avec des refrains idiots, Pottier, en exil ou à l’écart, obscur, oublié, jetait aux quatre murs de sa chambre ces chansons de bataille, de revendication et de miséricorde : Jean Misère, Jean Lebras, Don Quichotte, Madeleine et Marie, Ce que dit le pain, Le Chômage, Tu ne sais donc rien, Chacun vit de son métier, Le Jour du terme, L’Insurgé, La Sacoche, Elle n’est pas morte, et cet émouvant Contremaître de fabrique, perdu dans ses œuvres posthumes… Yvette Guilbert peut convoquer le ban et l’arrière-ban de ses fournisseurs de tragique, reprendre Jules Jouy et faire appel à ses émules, elle aura de la peine à découvrir quelque chose qui atteigne au pathétique du Fils de la fange, des trois simples strophes intitulées : Déjà, ou du refrain, moins ignoré, si douloureux, si poignant, si pareil à un glas dans la bouche de Jean Misère : Ah ! […] … On demandait naguère, pour sa tombe, du bronze… Qu’à cela ne tienne : son œuvre fournit la matière.
C’est au travail de M. de Tresseol que le Public est redevable de l’édition complette des Œuvres de M. […] Desmahis, à laquelle il nous paroît avoir encore ajouté, par l’Eloge historique qu’il a mis à la tête de la Collection des Œuvres de ce Poëte, trop tôt enlevé aux Gens de goût & de bonne Compagnie.
L’art qui médite, qui édifie, qui vit en lui-même et dans son œuvre, l’art peut se représenter aux yeux par quelque château antique et vénérable que baigne un fleuve, par un monastère sur la rive, par un rocher immobile et majestueux ; mais, de chacun de ces rochers ou de ces châteaux, la vue, bien qu’immense, ne va pas à tous les autres points, et beaucoup de ces nobles monuments, de ces merveilleux paysages, s’ignorent en quelque sorte les uns les autres ; or la critique, dont la loi est la mobilité et la succession, circule comme le fleuve à leur base, les entoure, les baigne, les réfléchit dans ses eaux, et transporte avec facilité, de l’un à l’autre, le voyageur qui les veut connaître. […] Tout cela est bien long pour dire qu’ayant parlé l’autre fois de quelque ouvrage assez peu grave nous avons à donner aujourd’hui un mot sur une œuvre de patriotisme et de piété, et pour demander pardon d’être la même plume qui passe d’un Casanova au livre des Pèlerins polonais… « Moi, disait Diderot, mon métier est celui de critique, métier comme celui d’homme d’affaires, d’avoué, d’avocat consultant et plaidant, de médecin. […] voilà ce à quoi ne pensent pas assez nos poëtes, et c’est là précisément la grande infériorité des œuvres d’aujourd’hui, même les plus brillantes, en regard des chefs-d’œuvre du passé. […] Il y a tel défaut de goût, tel point de sentiment gâté, qui comme une petite odeur pernicieuse gagne l’œuvre entière, et en corrompt tout le plaisir.
Si Robert Emmet était un chef-d’œuvre, je le comprendrais, mais c’est à peine une œuvre. […] Lord Byron, à lui seul, l’emporte, en intérêt littéraire et surtout en intérêt de nature humaine, sur tous ces Allemands sans passion ardente et profonde et qui n’ont de nature humaine que dans le cerveau… La vie de ce grand poëte, qui s’est élevé jusqu’au grand homme, est autre chose que celle de ces travailleurs en rêveries dont l’existence ressemble à une table des matières de leurs œuvres, dans laquelle elle tient… Pour tout homme, pour tout être si heureusement et si puissamment organisé qu’il soit, la vie de Byron est un sujet de critique et de biographie de la plus redoutable magnificence ; car Byron fut comme le plexus solaire du xixe siècle, et tous les nerfs de la société moderne, cette terrible nerveuse, aboutissent à lui… Toucher à cet homme central, magnétique et vibrant, qui mit en vibration son époque, c’est toucher à l’époque entière… Jusqu’ici, ceux qui y ont touché s’y sont morfondus. […] … Toujours est-il qu’elle ne nous a donné sur le grand et douloureux poëte que des mots qui passent dans ses œuvres à elle, comme des éclairs. […] il fallait deviner Byron, ou du moins étudier l’homme sur l’homme, l’aller chercher sous ses œuvres mêmes et ne pas poursuivre son image dans des miroirs plus ou moins tremblants, plus ou moins infidèles où son spectre décomposé oscille toujours !
que dirait-il, le grand poète, s’il vivait à cette heure du siècle et s’il apprenait tout à coup qu’en France, ce pays de convenance et de goût, il est livré dans une de ses plus belles œuvres aux faiseurs de flonflons, et, comme il les appelait : aux violonneurs !… J’imagine qu’il serait peu flatté de la chose, et qu’il ressentirait une de ces superbes colères vert-pâle auxquelles il était sujet et comme il en eut une, par exemple, quand les directeurs de Drury-Lane firent le projet de jouer son Marino Faliero : « Je n’ai rien tant à cœur — écrivait-il alors de Ravenne à Murray (c’était en 1821) — que d’empêcher ce drame d’être joué. » Et cependant les directeurs de Drury-Lane ne travestissaient pas l’œuvre du poète ; ils voulaient seulement l’interpréter. […] Au milieu du discrédit singulier dans lequel les poètes du mot seul, jaloux comme des bouteilles vides contre des bouteilles pleines, ont essayé de faire tomber Byron, le poète du sentiment et du mot aussi, quoi qu’ils disent, quelques voix ont protesté ; et je sais mieux qu’une protestation, je sais presque une œuvre sur Lord Byron. […] Comme poète et comme homme, le Lord Byron du bruit que fait son nom n’est pas le Lord Byron de la réalité, le Lord Byron de ceux qui l’aiment et qui, à force de le regarder et de cohabiter avec son génie dans ses œuvres, et dans ses Mémoires avec sa personne, ont vu le vrai Byron sous les attitudes, les affectations et le masque.
Et cependant, malgré cet ennui inconnu en Allemagne, mais partout ailleurs insupportable, d’une logique qui déchiquète l’abstraction plus que toutes les autres logiques qui aient jamais été publiées par les anatomistes du raisonnement, malgré l’effrayante spécialité de son langage et tout ce qui nous empêche, de peser sur le texte même d’Hegel, nous ne pourrons pas ne point l’atteindre, puisque nous voulons vous parler des travaux d’un écrivain qui en a fait le fond et le but de ses œuvres. […] Vera, qui nous donnera un jour l’Hegel complet, ne nous donne aujourd’hui qu’une partie des œuvres et la partie la plus difficile à comprendre, la plus aride et, pour ainsi parler, la moins traduisible, cette affreuse Logique dont Hegel tire tout, en forçant tout. […] Mais, s’il avait plus songé à l’éducation à faire de l’intelligence du public, qu’il doit, avec ses convictions, vouloir rendre hégélien, qu’à l’éducation toute faite des philosophes comme lui, il eût commencé par les autres œuvres d’Hegel, moins cruellement abstraites (par exemple, les idées sur la Religion, sur l’État, sur l’Art, etc.), et il serait remonté de là vers les principes philosophiques d’où dépend toute la philosophie de son maître, et il eût placé ainsi le lecteur, familiarisé avec les idées et le langage hégélien, à la source même du système. […] Les Mandarins seuls de la Philosophie se sont risqués et continueront de se risquer dans la logique d’Hegel, mais ils ont rapporté déjà et continueront de rapporter de leur accointance avec les œuvres du professeur de Berlin une méthode historique et des vues sur l’histoire qui pourraient très bien bouleverser le monde, sous prétexte de l’expliquer.
Ce devait être l’œuvre et la couronne de son âge mûr. […] devant Dieu par la foi, par l’abnégation, par l’œuvre collective, ils ont comme l’identité de la même vertu, de la même sagesse, de la même sainteté, et on pourrait tous les prendre les uns pour les autres, si Dieu n’avait pas donné à quelques-uns d’entre eux la différence qui compte devant l’Histoire, la différence ou d’un de ces caractères ou d’un de ces génies qui, en attendant l’égalité du Ciel, font la gloire et l’originalité parmi nous ! […] Dans une très longue introduction qui finit humblement, mais dont l’humilité se prolonge un peu trop et a l’air trop fanfare (je m’arrête à ce mot, qu’on pourrait allonger), M. de Montalembert a conscience de son œuvre. […] Exalter l’œuvre éternellement glorieuse de l’Église, un livre enfin dont la doctrine est pure et le sentiment très droit.
et voilà pourquoi aussi les œuvres d’un homme aussi savant que lui attirent notre attention, malgré tout ce qu’on rencontre dans ces œuvres, de particulier, de spécial, de technique, d’effrayant pour nous. […] En effet, il y a, dès les premières pages de ces œuvres complètes, qui renferment non seulement les découvertes de la science, mais les hommes qui les ont faites, et la biographie après l’histoire, il y a, entre M. […] Les Œuvres de M.
Jusqu’ici nous n’avions à juger que les écoliers de l’École, les Saisset et les Simon, les minces qui bégaient et zézaient, comme ils peuvent, dans le silence du maître, la philosophie qu’il a parlée, lui, avec cette grande voix de Fontanarose dont nos oreilles sourient encore… Eh bien, c’est cette voix qu’il nous fait entendre à nouveau, en réimprimant ses anciennes œuvres ! […] Quand nous la lûmes sous sa forme première et oratoire de Cours public, elle ne nous donna pas l’idée d’une vérité que nous ne demanderons jamais à la philosophie, mais pourtant elle nous donna celle d’une chose plus forte, d’une systématisation essayée et plus heureuse que ce qu’on avait l’habitude de rencontrer dans les œuvres de Cousin. […] III Eh bien, à ce point désintéressé de la pensée pure, l’Introduction à la Philosophie de l’histoire est une œuvre sans profondeur et sans consistance, que quelques années en passant sur elle ont déjà ternie ! Inspirée d’Hegel dans ce qu’elle avait d’inconnu et d’inattendu quand Cousin la mit en lumière, elle rentrera peu à peu dans le néant à mesure qu’en France Hegel sera connu davantage, écrasée qu’elle sera, effacée par cette terrible comparaison avec les œuvres d’un homme dont les erreurs, du moins, sont grandioses… Et quand je dis inspirée d’Hegel, c’est plutôt imprégnée qu’il faudrait dire.
Comme après La Curée, après ces douze chefs-d’œuvre que nous venons d’énumérer si le poète des Iambes était mort, il aurait laissé une immortalité d’autant plus belle que le regret, le regret de l’avoir perdu dans la plénitude de sa force, aurait ajouté à ses œuvres finies la poésie d’œuvres qu’il n’aurait pas faites. Mais il continua de vivre, et il eut raison de cette fois encore ; car s’il resta le même par le génie, il se diversifia par les œuvres, et il écrivit le Pianto, c’est-à-dire les plus beaux vers qui aient été faits sur l’Italie depuis Byron, les plus tristes depuis le Dante ! […] Mais cette illusion grandissait le poète et son œuvre… Eh bien, il n’a pas voulu nous la laisser !
Jules Sandeau, dont on parle beaucoup, et à laquelle les œuvres immorales des romanciers contemporains ont fait un repoussoir superbe, sa moralité n’a pas plus de caractère et de vigueur que son talent. […] Certes, quel que soit le succès du nouveau roman de l’auteur de Mariana et de Mademoiselle de la Seiglière, on ne trouve vraiment dans son œuvre, quand on l’examine sans parti pris, rien qui lui mérite plus d’estime qu’on n’en a jamais eu pour lui. […] Donc, pour nous résumer, œuvre médiocre, vulgairement écrite, nulle de couleur et de caractère, nulle de conviction quelconque, convenable en décence, mais sceptique, avec deux ou trois situations, que l’auteur a trouvé le moyen de gâter encore, voilà l’œuvre à propos de laquelle on a dit que M.
Armand Pommier, l’auteur de La Dame au manteau rouge, était une de ces fulgurances incontestées qu’on appelle un homme de génie, La Dame au manteau rouge pourrait-elle être une grande œuvre humaine, malgré la monstruosité du sujet ? […] Mais, il faut bien le dire, il n’y a pas encore, en ce moment, de pareille œuvre dans la littérature du dix-neuvième siècle, et, quand la Critique se pose cette question-là, elle se fait l’effet de se pencher sur le bord d’un gouffre… Seulement, disons que, quoi qu’il en puisse être et quoi qu’on puisse penser du génie, qui n’a pourtant jamais dit, et qui ne dira jamais le mot de ce fat de Calonne à une femme, et qu’il trompait encore ! […] L’intérêt humain du roman a expiré, perdu dans la curiosité pathologique d’un descripteur de phénomènes inouïs, qui, s’ils contractaient un jour l’éternelle clarté de la certitude, en nous donnant (comme c’est la prétention des esprits qui les interprètent), l’abolition de toute distance, la transparence des corps et la vue immédiate des âmes, changeraient toutes les conditions des œuvres humaines, d’un seul coup, et chasseraient jusque du souvenir les littératures. […] Or, si Balzac a pu se tromper un jour dans la mesure qu’il faut faire à la physiologie dans le roman, dans la discrétion d’artiste consommé qu’il faut avoir quand on touche à des phénomènes qui peuvent emporter ou défigurer votre œuvre, comme ces poisons et ces phosphores contre lesquels les chimistes mettent des masques de verre et qui pourraient, en s’éclatant, leur emporter le cerveau !