/ 1692
941. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque (2e partie) » pp. 81-155

Cincinnatus, Curius, Fabrice, Régulus, après avoir subjugué des nations entières et mené des rois en triomphe, n’étaient pas si riches que moi. […] Les familles ont leur destinée comme les nations ; heureuses celles qui commencent ou finissent par des consanguinités même traditionnelles avec les poètes ! […] Il y a loin de ce découragement à l’époque où Pétrarque était le complice patriotique de Rienzi, mais il n’est pas donné aux regrets de réveiller les nations assoupies dans la servitude.

942. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIVe entretien. Cicéron (3e partie) » pp. 257-336

« Il y a des cas, dit-il, où il ne faut pas juger d’une nation par les usages et par les superstitions populaires. […] « Il apprend que cette nation entretient à grands frais un collège de prêtres, qui savent au juste le temps où il faut s’embarquer, et où l’on doit donner bataille, par l’inspection d’un foie de bœuf, ou par la manière dont les poulets mangent l’orge. […] C’est du ciel que descendent ceux qui conduisent et qui conservent les nations, c’est au ciel qu’ils retournent…… « Ce discours de l’Africain avait jeté la terreur en mon âme.

943. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (1re partie) » pp. 337-416

Les fondateurs de religions sont les oracles réputés divins ; les écrivains politiques sont les législateurs des nations. […] On conçoit que des esprits sains, exercés par de longues années de vie publique, écrivent dans leur maturité des tables de la loi, des codes sociaux, des commentaires sur les gouvernements des nations, appropriés aux caractères, aux mœurs, aux traditions, aux âges, à la situation géographique des États, aux circonstances, même politiques, des peuples dont ils éclairent les pas dans la route de leur civilisation. Ce sont les éclaireurs des nations qui marchent en avant ou qui regardent en arrière, pour leur enseigner le droit chemin à parcourir ou le chemin déjà parcouru, afin de bien orienter la colonne humaine.

944. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVI. La littérature et l’éducation publique. Les académies, les cénacles. » pp. 407-442

Il s’est formé en elle deux Frances qui se dressent menaçantes en face l’une de l’autre, deux nations différant de principes, de convictions politiques, de préférences littéraires, celle-ci tournée avec regret vers l’ancien régime, favorable aux prétentions de l’Eglise, admiratrice forcenée de Bossuet, du xviie  siècle, de tout ce qui prêche la soumission aux puissances d’autrefois, celle-là répudiant le vieil idéal catholique et monarchique, proclamant que le xviiie  siècle est « le grand siècle » et la Révolution le point de départ d’une ère nouvelle, appelant de tous ses vœux un état social où achèvent de disparaître les privilèges et les entraves du passé. […] Est-il exagéré de dire qu’elle a contribué à dégager nos écrivains du latinisme qui pesait sur eux comme un joug pendant et après la Renaissance ; à rendre l’allure de leur style plus légère et plus leste ; à façonner le goût public en donnant pour nourriture aux enfants le suc et la mœlle du génie français ; à renforcer l’âme même de la nation par une assimilation permanente d’éléments qui ont aidé à la former ? […] La décision suprême appartient à l’usage, c’est-à-dire en somme à la nation qui demeure la vraie souveraine, malgré tous les efforts qu’on a pu faire pour lui imposer la volonté d’une élite qui est parfois une coterie.

945. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1884 » pp. 286-347

Qu’il y ait eu quelques coucheries du souverain avec des femelles, ce sont des épisodes sans importance dans le bien portant fonctionnement de la vie d’une nation. […] oh, la nuance… elle est morte à l’heure qu’il est en France… Et la nuance, c’était toute la France, toute sa distinction… le don rare, en un mot, qu’elle seule avait parmi toutes les nations. » Jeudi 19 juin Je trouve, ce soir, Daudet en ses contractions de visage et ses remuements de jambes, disant qu’il a en plein ses douleurs. […] * * * — Je rencontre Burty, fort humilié, comme inspecteur des Beaux-Arts, d’avoir été envoyé par Kaempfen à la Chapelle, pour faire un rapport sur une cave à liqueurs, fabriquée de petits barillets, qu’un marchand de vin artiste et patriote, veut offrir au Louvre ou au moins à la nation.

946. (1856) Cours familier de littérature. I « IIIe entretien. Philosophie et littérature de l’Inde primitive » pp. 161-239

Où est la perfectibilité visible dans ces races qui ont pullulé en tribus, en nations, en dominations sur ce globe, depuis les temps historiques ? […] Or, il n’est pas douteux que, dans l’œuvre de cette croissance relative d’une nation ou d’une société, cette société ou cette nation ne soit réellement et saintement servie, secondée, assistée, glorifiée par le dévouement des hommes supérieurs ou des hommes secondaires qui en font partie.

947. (1856) Cours familier de littérature. I « IVe entretien. [Philosophie et littérature de l’Inde primitive (suite)]. I » pp. 241-320

L’ordre des matières, qui est le fil dans le labyrinthe, n’en sera toutefois brisé qu’en apparence pour l’ouvrage tout entier ; car nous aurons soin de ne point entrecroiser, dans le même entretien, des sujets appartenant à des temps, à des nations, à des auteurs différents, ce qui jetterait la confusion dans l’ouvrage, mais de consacrer chaque entretien tout entier ou plusieurs entretiens à un seul et même sujet ; nous placerons en tête ou en marge de chacun des entretiens l’époque à laquelle il se rapporte, en sorte qu’à la fin du Cours chacun des lecteurs pourra, en faisant relier ensemble les livraisons, rétablir sans peine l’ordre chronologique, interverti un moment pour la liberté et pour l’agrément de la conversation littéraire. […] Plusieurs des plus grandes races humaines, appelées nations, n’ont laissé pour trace de leur passage sur la terre qu’un poème épique. […] Pour qu’une nation écoute et retienne ces récits chantés, il faut que ce qu’on lui chante soit déjà accepté comme un fonds de vérité dans ses traditions.

948. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIIe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset » pp. 409-488

De 1815 à 1830 la liberté de tribune, la liberté de penser et la liberté d’écrire avaient relevé la nation de ces champs de bataille où elle avait trébuché à son tour et où elle gisait toute mutilée dans sa gloire et dans son sang. […] » Lisez, dans les vers sur la naissance d’un prince, l’apostrophe à la nation pour la désintéresser de tout ce qui n’est pas jouissance matérielle. […] Si tu laisses diminuer dans ton enseignement la part immense et principale qui doit appartenir à la pensée dans l’homme, c’est ton âme elle-même que tu diminues pour toi et pour les générations qui naîtront de toi ; et quand on aura diminué ainsi l’âme de cette grande nation intellectuelle, c’est sa place dans le monde et dans les siècles que vous aurez faite plus petite avec votre propre compas !

949. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre premier. Le Moyen Âge (842-1498) » pp. 1-39

Allemands ou Français, Italiens, Espagnols, Anglais, nous avons tous été, dans la littérature et dans l’art, comme dans l’histoire et dans la politique, des nations avant de devenir des « races ». Mais avant d’être des nations nous n’avons tous formé qu’une même Europe, homogène, indivise, inarticulée, si l’on peut ainsi dire, — l’Europe féodale, l’Europe des croisades ; — et c’est pourquoi le premier caractère de la littérature française du Moyen Âge, c’est son caractère d’uniformité. […] À cette différenciation des genres et des classes, nous voyons enfin se lier une différenciation des nationalités ; et quand il est bien établi que ni la Papauté ni l’Empire ne peuvent maintenir l’unité de l’Europe contre la diversité des intérêts qui la divisent, ce sont, après les genres ou les classes, les nations à leur tour qui prennent conscience d’elles-mêmes.

950. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid, (suite.) »

Corneille, qui savait l’espagnol, a eu sous les yeux, quand il composa son Cid, le drame de Guillem de Castro, en trois journées, la Jeunesse du Cid ou plus exactement les Prouesses du Cid, et il l’a imité, il l’a modifié avec goût, il l’a réduit et accommodé selon le génie de notre nation et le sien propre. […] Nation étrange et forte qui a enfanté, à quatre ou cinq siècles de distance, à l’origine et au déclin de la chevalerie, ces deux grands types, le Cid et don Quichotte, — l’idéal suprême et sa parodie parfaite, le premier des chevaliers et le dernier !

951. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure »

On trouverait bien des particularités aussi, bien des traits utiles ou pittoresques pour un tableau du Système de Law, et de ses effets dans Paris, sur une nation si neuve aux idées de crédit et si prompte à passer de l’engouement à la panique. […] Sénèques et Lucains du temps, apprenez à écrire et à penser dans ce poëme merveilleux qui fait la gloire de notre nation et votre honte. » Mais il se refuse bientôt à suivre le poète dans cette universalité de talents et d’emplois qu’il affecte ; « Il veut être à la fois poète épique, tragique, comique, satirique et, par-dessus cela, historien, et c’est trop. » Marais a cette idée mesquine et fausse, que j’ai vue à bien des esprits, d’ailleurs sensés et fins, en présence des poètes : «  Il va, dit-il, épuiser son génie, et bientôt il n’y aura plus rien dans son sac » ; comme si le génie ou le talent naissant était un sac, et comme s’il n’était pas bien plutôt une source féconde qui s’entretient et qui se renouvelle sans cesse en se versant.

952. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres de Virgile »

Grande nation qui avez renversé la Bastille, allons, il en est temps, décidez-vous, dans le titre d’un livre classique scolaire, à permuter i en e. […] Assemblons, s’il se peut, tous les fruits dans notre collecte finale, et n’en écartons aucun ; mais que chaque nation conserve, dans celle émulation commune, le coin de génie qui lui est propre.

953. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de la Mennais (suite et fin.)  »

Cet homme (Louis XVIII) désormais ne peut plus être vu de la nation que comme l’instrument ou le prétexte de sa honte et de ses malheurs. […] Et qui ne serait effrayé de ces fureurs démagogiques qui semblent avoir saisi soudain une partie de la nation, hommes, femmes, enfants, frénétiques adorateurs de leur épouvantable et risible souveraineté ?

954. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres mêlées de Saint-Évremond »

Il lui demande plus de vérité, de vraisemblance historique, d’observer le caractère des nations, de tenir compte du génie des lieux et des temps : peu s’en faut qu’il ne réclame en propres termes un peu de couleur locale. […] Les Anglais, qui surpassent toutes les nations à mourir, la doivent regarder avec jalousie.

955. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis »

L’Italie, à cette époque, était (ce qu’elle est encore aujourd’hui) une contrée en formation, un recueil vivant de municipalités tendant à se constituer en nation : républiques maritimes, comme à Venise et à Gênes ; républiques militaires, comme à Pise, Lucques, Sienne, etc. ; monarchies féodales, comme à Ferrare, Ravenne, Bologne ; théocraties, comme à Rome ; royautés ou vice-royautés, comme à Naples et en Sicile ; tyrannies, enfin, comme en Lombardie et en Piémont. […] III Au milieu de ce dédale d’hommes et de choses où chacun se trompe, en appliquant aux idées du présent les dénominations d’hier, une seule nation véritablement indépendante conservait une forte individualité : c’était la Toscane.

956. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLIXe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

Nous avons vu il y a quelques années, en France et en Angleterre, une illusion aussi généreuse s’emparer de tous les esprits pour ressusciter la Grèce, qui ne pouvait être ressuscitée, car on ne ressuscite pas les nations ; mais on l’espérait, l’espérance fut du fanatisme. […] Ce danger et cette mort lui valurent l’enthousiasme du peuple ; la nation vit qu’il fallait aimer celui que les grands et les étrangers voulaient perdre.

957. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chateaubriand homme d’État et politique. » pp. 539-564

Il ouvrit son feu dans les Débats par deux magnifiques articles, du 29 juin et du 6 juillet, dans lesquels il démontrait que le système actuel suivi par le ministère, et hier encore approuvé par lui-même dans son ensemble, était aussi contraire au génie de la nation qu’à celui de nos institutions et à l’esprit de la Charte. […] Encore une fois, c’est bien de préférer l’hirondelle et l’abeille, mais laissez alors les nations et le soin de leurs intérêts, et ne prétendez pas à les régir.

958. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1861 » pp. 361-395

L’effort sans doute est immense, la patience infinie, et, malgré la critique que j’en fais, le talent rare ; mais dans ce livre, point de ces illuminations, point de ces révélations par analogie qui font retrouver un morceau de l’âme d’une nation qui n’est plus. […] Pourquoi nous, la France, si rayonnante, si intellectuellement diffuse, si envahissante par nos idées, nous une nation d’une si grande déteinte sur tout le monde, pourquoi subissons-nous sur toutes nos frontières la langue et les mœurs de nos voisins.

959. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1879 » pp. 55-96

* * * — Il y a une somme de bêtise que les peuples ne peuvent pas dépasser, sous peine de périr, et la France où l’on ne veut plus qu’il y ait une statue pour Charlemagne, me semble, à l’heure présente, une nation mûre pour le démembrement, pour le dépècement. […] Lundi 24 novembre Dans l’intimité, les Américains se laissent aller quelquefois à dire : « Nous sommes la nation qui a la peau la plus blanche du globe ! 

960. (1899) Le roman populaire pp. 77-112

Je suis sûr que les artistes qui vivaient au moyen âge, Dante quand il écrivait sa Divine Comédie, les auteurs de nos poèmes nationaux et de ceux des nations voisines, les bâtisseurs d’églises, d’hôtels de ville, de maisons corporatives, les sculpteurs, les peintres, les musiciens, avaient présente à l’esprit cette idée fraternelle, et dédiaient en secret leur œuvre à tout le peuple chrétien. […] « On n’a pas apprécié à sa valeur, disait-il très justement, l’instrument d’influence que peut être le roman-feuilleton, au point de vue de l’éducation intellectuelle et littéraire, et de la formation morale. » Et il ajoutait ces lignes, que je cite parce qu’elles indiquent bien un des caractères du roman populaire, qui doit être approprié au génie de la nation.

961. (1874) Premiers lundis. Tome II « E. Lerminier. De l’influence de la philosophie du xviiie  siècle sur la législation et la sociabilité du xixe . »

Un excellent chapitre sur le rapport des idées et des mœurs démontre que, s’il est des époques dans la vie du monde où les mœurs précèdent les idées, il en est d’autres où, au milieu de la prostration des anciennes mœurs, l’initiative est aux idées pour réformer et retremper les nations.

962. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Introduction » pp. 3-17

Tout fait a sa cause, et toute littérature, toute œuvre d’art est un fait dont il suffît de chercher, dont il faut sans passion chercher la cause dans les mœurs, les idées et les goûts de la société qui l’a produite, dans l’esprit du siècle qui l’a inspirée, dans le génie de la nation qui lui a donné son caractère général, dans le tempérament, les habitudes et la vie de l’auteur original qui lui a imprimé son cachet particulier.

963. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre I. Un retardataire : Saint-Simon »

Mais prenons-y garde : il y a au xviiie  siècle une foule de Saint-Simons au petit pied, toute une noblesse à l’esprit court, murée dans ses souvenirs et ses préventions, d’autant plus entêtée de ses vains privilèges que l’extérieur est tout ce qui lui reste ; courtisans, nobles de province, ce seront ceux-là qui se rendront insupportables au reste de la nation, exaspéreront les plus pacifiques, et nous condamneront par leur égoïsme inintelligent aux convulsions d’une révolution violente.

/ 1692