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545. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803, (suite et fin) » pp. 16-34

La littérature, la production littéraire, n’est point pour moi distincte ou du moins séparable du reste de l’homme et de l’organisation ; je puis goûter une œuvre, mais il m’est difficile de la juger indépendamment de la connaissance de l’homme même ; et je dirais volontiers : tel arbre, tel fruit. […] Je suppose donc quelqu’un qui ait ce genre de talent et de facilité pour entendre les groupes, les familles littéraires (puisqu’il s’agit dans ce moment de littérature) ; qui les distingue presque à première vue ; qui en saisisse l’esprit et la vie ; dont ce soit véritablement la vocation ; quelqu’un de propre à être un bon naturaliste dans ce champ si vaste des esprits. […] Les académies, les chaires oratoires sont plutôt destinées à montrer la société et la littérature par les côtés spécieux et par l’endroit ; il n’est pas indispensable ni peut-être même très-utile que ceux qui ont pour fonction de déployer et de faire valoir éloquemment les belles tentures et les tapisseries, les regardent et les connaissent trop par le dessous et par l’envers : cela les gênerait. […] Je connais, même dans la pure littérature, des admirateurs et des disciples de tel ou tel talent hasardeux qui m’avertissent à son sujet, et qui m’apprennent à respecter celui que, sans eux, j’aurais peut-être traité plus à la légère. […] C’est assez longuement parler pour aujourd’hui de la méthode naturelle en littérature.

546. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre IV. Poésie lyrique »

A la femme en effet se rapportent les origines de notre littérature lyrique : pour elle, et peut-être par elle, aux temps de la création vraiment spontanée et populaire, furent composées les chansons à danser et les chansons de toile 66. […] Avec cette strophe et la pièce qui la contient ce sont les idées générales qui font leur entrée dans notre littérature : nous mettons le pied dans la voie qui mène à Malherbe. […] Toutes les circonstances, au reste, eu préparaient la riche et facile floraison : tandis que le baron du Nord, entre les murs épais de sa maussade forteresse, menacé et menaçant, ne rêvait que la guerre, les nobles du Midi, en paix et pacifiques sous deux ou trois grands comtes, riches, hantant les villes, épris de fêtes, la joie dans l’âme et dans les yeux, l’esprit déjà sensible au jeu des idées, et l’oreille éprise de la grâce des rythmes se faisaient une littérature en harmonie avec les conditions physiques et sociales de leur vie. […] Si on analyse le contenu de cette forme originale de l’amour dont les Provençaux ont enrichi la littérature, elle repose sur l’idée de la perfection conçue comme s’imposant à la fois à l’intelligence et à la volonté, devenant en en même temps que connaissance, et sur la préférence désintéressée qui fait que le moi subordonne son bien au bien de l’objet aimé, selon l’ordre des degrés de perfection qu’il découvre en soi et dans l’objet. […] Car leur amour courtois, c’est l’amour romanesque, et l’amour romanesque, c’est ce qui a rempli notre littérature pendant quatre ou cinq siècles : hors de là, il n’y a que l’amour gaulois, positif, vaniteux et jovial.

547. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre II. L’analyse interne d’une œuvre littéraire » pp. 32-46

L’analyse interne d’une œuvre littéraire Comme le mot de « littérature » est pris souvent dans un sens très vague, il n’est peut-être pas inutile de se demander ici : l’qu’est-ce qu’une œuvre littéraire ? […] Un traité de géométrie, une lettre d’affaires, un manuel de la parfaite cuisinière n’ont rien à voir d’ordinaire avec la littérature. […] Qui songerait à exclure de la littérature les ouvrages de Buffon, les lettres de Mme de Sévigné, la Physiologie du goût de Brillat-Savarin ? […] C’est le cas pour toute la littérature fantastique et mystique. […] Il suffirait d’ajouter à ce relevé des choses exprimées par la littérature celles que je pourrais avoir omises.

548. (1759) Observations sur l’art de traduire en général, et sur cet essai de traduction en particulier

Dans tous les genres de littérature, la raison a fait un petit nombre de règles, le caprice les a étendues, et le pédantisme en a forgé des fers que le préjugé respecte, et que le talent n’ose briser. […] Cette règle, si utile, au progrès de la littérature, doit s’étendre, ce me semble, non seulement aux ouvrages originaux, mais aux ouvrages d’imitation même, tels que sont les traductions. […] Ce n’est pas pour nous faire connaître les défauts des anciens qu’on les met en notre langue, c’est pour enrichir notre littérature de ce qu’ils ont fait d’excellent. […] Aussi rien n’est peut-être plus rare en littérature, qu’une traduction généralement approuvée ; le fût-elle même dans son ensemble, combien les détails ne prêteraient-ils pas à la critique ? […] C’est en littérature une ressource assurée, je ne dis pas pour être estimé, mais pour être lu.

549. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Lawrence Sterne »

Cette pèche, cet ananas, ce fruit exquis et fin et sans nom, d’une espèce unique peut-être sur l’espalier d’une littérature, a des parties meurtries, qui pourraient bien, qui sait ? […] Émile Montégut, lequel a fait de Sterne un lilliputien de génie, Sterne a les qualités de la sienne, et la littérature anglaise, la première littérature du monde, atteste par la masse des beautés supérieures qu’elle renferme que le Midi ne peut lutter avec le Nord. […] un tel ouvrage eût été un événement en littérature et une bonne fortune pour ceux que les plaisirs de l’esprit trouvent sensibles encore. […] Le Koran continuera de rester le livre inconnu dans les œuvres complètes de l’humouriste enchanteur à qui nous devons trois des livres les plus exquis qu’aient jamais produits les littératures.

550. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VI : M. Cousin philosophe »

Cousin fut d’abord destiné à la littérature. […] La nouveauté des doctrines, le courant de l’opinion publique, la naissance d’une littérature poétique, la grandeur mystique des théories sur l’infini et sur la raison éternelle, il n’en fallait pas tant pour pousser M.  […] Elle soutient le sentiment religieux, elle seconde l’art véritable, la poésie digne de ce nom, la grande littérature ; elle est l’appui du droit ; elle repousse également la démagogie et la tyrannie ; elle apprend à tous les hommes à se respecter et à s’aimer. » Pour mieux prouver que la science m’est indifférente, et que je ne me soucie que de morale, je range avec moi sous le même drapeau des philosophies sans métaphysiques, des métaphysiques opposées entre elles et des religions ; il me suffit qu’en pratique elles tendent au même but, et contribuent à nourrir dans l’homme les mêmes sentiments. […] Quatremère de Quincy la transportaient dans la littérature et les arts. » C’est une croisade que j’annonce, ce n’est pas une formule que j’établis. […] Repoussez cette littérature énervante, tour à tour grossière et raffinée, qui se complaît dans la peinture des misères de la nature humaine, qui caresse toutes nos faiblesses, qui fait la cour aux sens et à l’imagination, au lieu de parler à l’âme et d’élever la pensée.

551. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome II

Littérature malsaine, disent les naïfs, les hypocrites, ou simplement les croyants. […] Ce n’est pas cette littérature qui est malsaine ! […] Il essaya pareillement de transposer en littérature les beautés propres aux arts plastiques, comme il essaya de transposer en ces derniers les beautés propres à la littérature. […] Ces œuvres de littérature nous apparaissent en effet comme un aboutissement et comme un résumé. […] Aussi, quand la littérature d’une nation débute, que rencontrons-nous ?

552. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gui Patin. — II. (Fin.) » pp. 110-133

La branche épistolaire de la littérature française commence à proprement parler au xviie  siècle. […] Une grande et belle littérature latine épistolaire régnait depuis la Renaissance ; pour la fixer au Nord et de ce côté des Alpes entre deux noms illustres, on peut dire qu’elle s’étend d’Érasme à Casaubon. La littérature française ne se dégage complètement dans le genre épistolaire qu’à dater de Malherbe et de Balzac. […] Cette Académie de belle littérature se fonda en effet ; on s’y rendait tous les lundis. […] En littérature française, jeune il avait causé avec M. de Malherbe, et il le citait quelquefois ; mais il en avait gardé mémoire bien moins pour ses odes ou sa réforme de la langue que pour ses gaillardises.

553. (1892) Boileau « Chapitre IV. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » » pp. 89-120

Ce bon sens-là, c’était justement ce qui manquait le plus à la littérature française, vers 1660, quand Boileau commença d’écrire. […] Ce caractère est sensible dans la poésie de Racine, et dans toute la littérature du siècle. […] Il faut bien des réserves, bien des précautions, et le secours parfois d’une subtile interprétation, pour les adapter à la littérature efficacement, et sans danger. […] Et de fait, il n’y a pas d’écoles plus opposées en littérature que le romantisme (dont la caractéristique est le lyrisme) et le naturalisme. En peinture, on peut se passer peut-être du romantisme et du lyrisme, et y gagner ; mais il n’y a point de littérature qui, si elle n’a pas de poésie lyrique, ne soit amoindrie et découronnée.

554. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Francisque Sarcey »

A plus forte raison est-il incapable d’apprécier beaucoup les extrêmes raffinements, un peu maladifs, de la littérature contemporaine, notamment l’impressionnisme de M.  […] est-ce de la littérature   Au reste, ne remarquez-vous pas une chose ? […] Rien n’empêche d’ailleurs qu’un drame parfait soit par surcroît une œuvre de belle littérature : on en a vu des exemples aux deux derniers siècles et de nos jours. […] Mais enfin ils demandent que le théâtre soit encore de la littérature. […] Sarcey sont peut-être les mêmes raffinés qui se piquent d’apprécier les tableaux et les statues en peintres et en statuaires et qui n’y veulent point de « littérature ».

555. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre troisième »

Mauvais côtés et défauts, et comment l’esprit du calvinisme est un schisme dans la littérature française. […] Je ne vois pas sans admiration, à l’entrée même des trois grands siècles de notre littérature, deux hommes si profondément divers, et toutefois si Français, Rabelais et Calvin. […] Calvin l’avait compris aussi lorsque pouvant choisir entre le latin et le grec, cet homme, à qui Platon n’était pas moins familier que Cicéron, prit ses modèles dans la littérature latine, il prouva qu’il sentait mieux sa langue que Rabelais. […] Mauvais côtés et défauts, et comment l’esprit du calvinisme est un schisme dans la littérature française. […] Le calvinisme, schisme religieux., est, pour l’historien de la littérature française, un schisme littéraire.

556. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 214-215

Pour joindre la fine Littérature à la saine Morale, il apprend au Public que les Auteurs anciens sont obscurs & la nuit même ; qu'Horace n'est qu'un homme de table & de plaisirs, qui ne cherche qu'à rire & à boire. […] Observations critiques sur la Littérature des Anciens, Brochure de 60 pages, autre Production de M. de Saint-Mars.

557. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1887 » pp. 165-228

Et pourquoi, aux yeux de certaines gens, Edmond de Goncourt, est un gentleman, un amateur, un aristocrate qui fait joujou avec la littérature, et pourquoi Guy de Maupassant, lui, est-il un véritable homme de lettres ? […] je trouve que la littérature y tue la vie. […] Au fond, dans le roman, la grande difficulté pour les écrivains amoureux de leur art, c’est le dosage juste de la littérature et de la vie, — que la recherche excessive du style, il faut bien le reconnaître, fait moins vivante. […] Le feuilletage hier d’un cours de littérature, où nous avons lu l’article Bossuet, nous amenait à confesser, qu’un cerveau bien équilibré, ayant très peu de lectures, et par là, gardé des infiltrations inconscientes et des embûches du plagiat, devait être bien plus facilement original que nos cerveaux, à l’heure présente, remplis de livres et de noir d’imprimés. […] Daudet me dit, que la survie pour lui est tout entière dans ses enfants, et quant à la littérature, ç’a été tout simplement une expansion, une dépense d’activité se produisant dans un bouquin, comme elle aurait pu se produire dans toute autre manifestation.

558. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1890 » pp. 115-193

Au dîner, où on causait littérature, et où des parleuses me jetaient ingénument : « Mais pourquoi voulez-vous faire du neuf ?  […] — Après, il serait plus sage de ne plus faire de livres… de s’en aller de la littérature… de passer à une autre vie, en regardant l’autre comme finie… — Mais l’on n’a jamais ce courage. […] Et c’est une petite joie intérieure, en interrogeant les menteuses photographies et les incomplets dessins étalés sur un divan, de faire revenir dans ce morceau de terre, petit à petit, et autant que le souvenir le permet, de faire revenir le profil aimé… Mardi 28 octobre C’est étonnant, comme toute ma vie, j’ai travaillé à une littérature spéciale : la littérature qui produit des embêtements. […] Il y a tant de gens auxquels la littérature ne fait que rapporter des caresses pour leurs nerfs. […] Mais permettez-moi d’aimer surtout, avec tout le monde, le talent de Flaubert dans Madame Bovary, dans cette monographie de génie de l’adultère bourgeois, dans ce livre absolu, que l’auteur jusqu’à la fin de la littérature, n’aura laissé à refaire à personne.

559. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Préface de la seconde édition »

Qu’il me soit permis d’ajouter que je ne crois pas avoir fait tort à la littérature de mon pays, en l’admirant comme l’héritière des deux littératures universelles, et en lui reconnaissant pour trait distinctif, pour titre d’hoirie, la supériorité de la raison.

560. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Boileau »

Mais ce fut surtout lorsqu’une école nouvelle s’éleva en littérature, lorsque certains esprits, bien peu nombreux d’abord, commencèrent de mettre en avant des théories inusitées et les appliquèrent dans des œuvres, ce fut alors qu’en haine des innovations on revint de toutes parts à Boileau comme à un ancêtre illustre et qu’on se rallia à son nom dans chaque mêlée. […] Daunou en particulier, ce vénérable représentant de la littérature et de la philosophie du xviiie  siècle, rangea autour de Boileau, avec une sorte de piété, tous les faits, tous les jugements, toutes les apologies qui se rattachent à cette grande cause littéraire et philosophique. […] Dès 1664, c’est-à-dire à l’âge de vingt-huit ans, nous le voyons intimement lié avec tout ce que la littérature du temps a de plus illustre, avec La Fontaine et Molière déjà célèbres, avec Racine dont il devient le guide et le conseiller. […] La littérature et la poétique de Boileau sont merveilleusement d’accord avec la religion, la philosophie, l’économie politique, la stratégie et tous les arts du temps : c’est le même mélange de sens droit et d’insuffisance, de vues provisoirement justes, mais peu décisives. […] Cet article fut le premier du premier numéro de la Revue de Paris qui naissait (avril 1829) ; il parut sous la rubrique assez légère de Littérature ancienne, que le spirituel directeur (M.

561. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) «  Mémoires et correspondance de Mme d’Épinay .  » pp. 187-207

La littérature, de son côté, ne resta pas indifférente. […] Comme écrivain, c’est un des critiques les plus distingués, les plus fermes à la fois et les plus fins qu’ait produits la littérature française. […] Sa Correspondance forme les Annales de la littérature de cette époque en France avec un aperçu de la politique et surtout du train de vie de ce temps. […] On sent, en lisant Grimm, un esprit supérieur à son objet, et qui ne sépare jamais la littérature de l’observation du monde et de la vie. Toute la littérature de son temps est dans Grimm comme la société d’alors est chez Mme d’Épinay.

562. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Monsieur de Bonald, (Article Bonald, dans Les Prophètes du passé, par M. Barbey d’Aurevilly, 1851.) » pp. 427-449

Ce livre de Bonald appartenait à cette littérature française du temps du Directoire et extérieure à la France, qui se signala par de mémorables écrits et des protestations élevées contre les productions du dedans : cette littérature extérieure produisait de son côté, à Neuchâtel en Suisse, les Considérations de Joseph de Maistre sur la Révolution française, 1796 ; à Constance, le livre de Bonald ; à Hambourg, la Correspondance politique de Mallet du Pan en cette même année 1796, et Le Spectateur du Nord, brillamment rédigé par Rivarol, l’abbé de Pradt, l’abbé Louis, etc. ; à Londres, l’Essai sur les révolutions de Chateaubriand, 1797. […] Développant pour la première fois cette pensée qu’il a depuis résumée ainsi et qui fait loi : « La littérature est l’expression de la société », M. de Bonald examine dans leurs rapports la décadence des arts et celle des mœurs : « Ce serait, ce me semble, nous dit-il, le sujet d’un ouvrage de littérature politique bien intéressant, que le rapprochement de l’état des arts chez les divers peuples avec la nature de leurs institutions. » Et il en donne à sa manière un aperçu, indiquant que la plus grande perfection des arts et des lettres, comme il les conçoit, répond généralement à l’état le plus parfait des institutions sociales, c’est-à-dire à la monarchie. […] Qu’un tel régime de littérature spartiate ou romaine, comme le pourrait régler un Caton l’Ancien, soit souhaitable ou regrettable, je n’examine pas cette question, qui n’est autre que l’éternelle querelle entre les vieilles mœurs et le génie des arts ou de la pensée ; mais est-ce possible dans l’état actuel et prochain de la société, et sur les pentes nouvelles où se précipite le monde ? […] Marie-Joseph Chénier a insisté, dans son Tableau de la littérature, sur les inconvénients de la méthode de M. de Bonald, mais il l’a fait sans rien reconnaître ni deviner des parties supérieures de la pensée.

563. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — I. » pp. 287-307

Né vingt-cinq ans avant Goethe, Grimm appartenait à cette génération antérieure au grand réveil de la littérature allemande, et qui essayait de se modeler sur le goût des anciens, ou des modernes classiques de France et d’Angleterre. […] Grimm, à peine établi en France, commença par donner dans le Mercure quelques lettres sur la littérature de son pays : il y nommait vers la fin et y saluait déjà le jeune Klopstock pour ses premiers chants de La Messiade ; il y prédisait à son pays l’éclosion d’un printemps nouveau : « C’est ainsi, disait-il, que, depuis environ trente ans, l’Allemagne est devenue une volière de petits piseaux qui n’attendent que la saison pour chanter. Peut-être ce temps glorieux pour les muses de ma patrie n’est-il pas éloigné. » Trente ans plus tard, ayant reçu du grand Frédéric un écrit sur la littérature allemande, dans lequel ce monarque, un peu arriéré sur ce point, annonçait à la littérature nationale de prochains beaux jours, Grimm, en lui répondant (mars 1781), lui faisait respectueusement remarquer que cela était déjà fait et qu’il n’y avait plus lieu à prédire : « Les Allemands disent que les dons qu’il (Frédéric) leur annonce et promet leur sont déjà en grande partie arrivés. » Tout en étant devenu Français et en se déclarant depuis longtemps incompétent sur ces matières germaniques, Grimm avait évidemment suivi de l’œil la grande révolution littéraire qui s’était accomplie dans son pays à dater de 1770, et lui-même, nationalisé à Paris, à travers la différence du ton et des formes, il mérite d’être reconnu comme un des aînés et des collatéraux les plus remarquables des Lessing et des Herder. […] Si Grimm disait aux Français bien des vérités dures sur la musique, il en disait d’autres très agréables sur la littérature ; la Voix ou le Génie, parlant de la France en style prophétique et en se supposant dans les temps reculés, s’exprimait ainsi : Ce peuple est gentil ; j’aime son esprit qui est léger, et ses mœurs qui sont douces, et j’en veux faire mon peuple, parce que je le veux, et il sera le premier, et il n’y aura point d’aussi joli peuple que lui. […] Je me permets d’insister sur Grimm ; la France, ce me semble, lui doit des réparations ; on ne l’a payé trop souvent de ses services et de ses talents voués à notre littérature, que par un jugement tout à fait injuste et, à certains égards, inhospitalier.

564. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « VICTORIN FABRE (Œuvres publiées par M. J. Sabbatier. Tome Ier, 1845. » pp. 154-168

En revanche, nous le verrons affirmer sans sourire (page 25) que cette littérature de la république, tant calomniée, comptait deux grands écrivains en prose, Bernardin de Saint-Pierre et Garat, comme si Bernardin de Saint-Pierre, qui avait produit tous ses grands ou charmants ouvrages sous le règne de Louis XVI, pouvait être dit un littérateur de la république, et comme si Garat, bon littérateur, pouvait être, dans aucun cas, appelé un grand écrivain. […] Victorin Fabre lui-même manqua essentiellement de l’exquis en littérature ; après ses premiers essais, qui ont du ton, du nombre, du mouvement, des passages d’éclat, de nobles pensées, mais qui ne sont que d’un disciple encore, on put croire un moment qu’il allait se dégager et prendre son essor avec aisance ; l’Éloge de La Bruyère donnait lieu de l’espérer ; mais l’Éloge de Montaigne, remarquable pourtant, ne tint pas cette promesse ; l’auteur, en cet heureux sujet, n’eut rien de libre ni de léger ; en voulant approfondir, il s’aheurta, il fut rocailleux, il commençait à se montrer pesant. […] Villemain, à ce brillant et facile esprit, si net, si charmant, que la littérature retrouvera demain encore, qu’elle a retrouvé déjà, nous l’espérons. […] — La littérature était aussi avilie que la politique… » Nous sommes affligé d’avoir à transcrire de tels passages que nous abrégeons du moins ; les seuls noms d’exception que cite M.

565. (1875) Premiers lundis. Tome III « M. Troplong : De la chute de la République romaine »

Quelle que soit la religion du genre humain pour Tacite, il n’est pas interdit de l’examiner et de percer sur de certains points au fond des choses à travers le talent : « La littérature latine, disait M.  […] Mais combien sa conclusion surtout résume sa qualité brillante et son défaut, et représente vivement ce périlleux esprit, je ne dirai plus de pompéianisme, mais de girondinisme, qui s’est longtemps glissé dans nos habitudes et dans notre littérature ! […] Ce n’est pas un rêve que de croire qu’il serait utile de voir se produire quelquefois de beaux essais de ce que j’appelle une littérature d’État, c’est-à-dire d’une littérature affectionnée, qui ne soit pas servile, mais qui ose relever les vrais principes, honorer les hommes par leur côté principal et solide, rappeler derrière les jeux brillants et souvent trompeurs de la scène les mérites de ceux qui, à toutes les époques, ont servi le monde en le rendant habitable d’abord, en le conservant ensuite, en le replaçant, quand il veut se dissoudre, en des cadres fixes, et en luttant contre les immenses difficultés cachées.

566. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre III. De l’émulation » pp. 443-462

Les ouvrages qui appartiennent à la haute littérature ont pour but d’opérer des changements utiles, de hâter des progrès nécessaires, de modifier enfin les institutions et les lois. […] Dans toutes les langues, la littérature peut avoir des succès pendant quelque temps, sans recourir à la philosophie ; mais quand la fleur des expressions, des images, des tournures poétiques n’est plus nouvelle ; quand toutes les beautés antiques sont adaptées au génie moderne, on sent le besoin de cette raison progressive qui fait atteindre chaque jour un but utile, et qui présente un terme indéfini. […] L’encouragement de la haute littérature, et c’est d’elle uniquement que je parle dans ce chapitre, son encouragement, c’est la gloire, la gloire de Cicéron, de César même et de Brutus. […] Certainement il est peu de carrières plus resserrées, plus étroites, que celle de la littérature, si on la considère, comme on le fait quelquefois, à part de toute philosophie, n’ayant pour but que d’amuser les loisirs de la vie, et de remplir le vide de l’esprit.

567. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « La Plume » pp. 129-149

Toutes ces publications avaient comme point commun le mépris de la littérature officielle et la recherche d’une Beauté nouvelle. […] Elle fut cela, et plus que cela, car, non contente de s’occuper de littérature, elle s’intéressa à tous les arts ; elle organisa des numéros spéciaux pour les groupes de poètes des provinces diverses, donnant ainsi une grande impulsion au mouvement décentralisateur qui occupe tant, à l’heure actuelle, les bons esprits. […] C’est le nouveau Tyrtée, c’est le fougueux poète Laurent Tailhade pour qui la littérature n’était jadis qu’une bague au doigt, et qui prélude aujourd’hui à la phase héroïque de sa destinée, abominant le mufle ; il offre un mélange d’onction et de morgue castillane ; il fait chatoyer, avec des gestes menus, aux feux de son débit avisé, les joyaux de fine orfèvrerie de ses ballades précieuses. […] Cela sent le fer rouge et la corne brûlée, et cette littérature prend, du voisinage des monologues fades et des ritournelles sucrées, un relief encore plus homicide.

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