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360. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre IV. Effet pittoresque des ruines. — Ruines de Palmyre, d’Égypte, etc. »

Alors, par un jeu de l’optique, l’horizon recule et les galeries suspendues en l’air se découpent sur les fonds du ciel et de la terre.

361. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre II. La vie de salon. »

Mme de Montmorin, voyant que son mari a plus de dettes que de biens, croit pouvoir sauver sa dot de 200 000 francs ; mais on lui apprend qu’elle a consenti à répondre pour un compte de tailleur, et ce compte235 « chose incroyable et ridicule à dire, s’élève au chiffre de 180 000 livres »  Une des manies les plus tranchées de ce temps-ci, dit Mme d’Oberkirch, est de se ruiner en tout et sur tout. » — « Les deux frères Villemur bâtissent des guinguettes de 500 000 à 600 000 livres ; l’un d’eux a 40 chevaux pour monter quelquefois à cheval au bois de Boulogne236. » En une nuit, M. de Chenonceaux, fils de M. et de Mme Dupin, perd au jeu 700 000 livres […] Il faut entendre à ce sujet les héros de l’époque, leur ton leste, dégagé, est inimitable, et les peint aussi bien que leurs actions. « J’étais, dit le duc de Lauzun, d’une manière fort honnête et même recherchée avec Mme de Lauzun ; j’avais très publiquement Mme de Cambis, dont je me souciais fort peu ; j’entretenais la petite Eugénie, que j’aimais beaucoup ; je jouais gros jeu, je faisais ma cour au roi, et je chassais très exactement avec lui251. » Du reste, il avait pour autrui l’indulgence dont il avait besoin lui-même. « On lui demandait ce qu’il répondrait à sa femme (qu’il n’avait pas vue depuis dix ans), si elle lui écrivait : Je viens de découvrir que je suis grosse. […] Leur oisiveté ne leur pèse pas, ils jouent avec la vie  À Chanteloup, où le duc de Choiseul en disgrâce voit affluer tout le beau monde, on ne fait rien, et il n’y a pas dans la journée une heure vide271. « La duchesse n’a que deux heures de temps à elle, et ces deux heures sont pour sa toilette et ses lettres ; le calcul en est simple : elle se lève à onze heures ; à midi, déjeuner suivi d’une conversation qui dure jusqu’à trois ou quatre heures ; le dîner à six, ensuite le jeu et la lecture des Mémoires de Mme de Maintenon. » Ordinairement « on reste en compagnie jusqu’à deux heures du matin ». […] Toute occupation étant un jeu, il suffit d’un caprice, d’un souffle de la mode pour en mettre une en honneur. […] Déjà, dans les Précieuses de Molière, le marquis de Mascarille et le vicomte de Jodelet  De même, Marivaux, l’É preuve , les Jeux de l’amour et du hasard , etc  Lesage, Crispin rival de son maître  Laclos, les Liaisons dangereuses, l’ lettre.

362. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. Causes physiologiques et psychologiques du plaisir et de la douleur »

Il a dû se produire à l’origine des êtres de ce genre, grâce aux jeux de la nature, car, comme disait le vieil Héraclite, « Jupiter s’amuse et le monde se fait. » Mais les êtres ayant accidentellement un tel vice de constitution ont dû vite disparaître, puisqu’ils persistaient dans ce qui est nuisible et fuyaient ce qui est utile. […] Faut-il pousser le darwinisme jusqu’à concevoir une sorte de jeu de dés où les circonstances fortuites et extérieures détermineraient seules la liaison du plaisir avec la vie ? […] Ces sens méritent d’autant plus notre attention qu’ils sont plus vitaux que l’ouïe et la vue, moins contemplatifs, moins faciles à exercer par une sorte de jeu qui n’est plus qu’un déploiement de l’activité pour elle-même. […] La première étoile filante qui passe devant les yeux de l’enfant le charme sans s’être fait prévoir ni désirer ; un jeu de lumière dans le ciel est comme un sourire gratuit de la nature. […] La grâce est produite par une surabondance qui a pour résultat l’affranchissement du rude « combat pour l’existence », la liberté et l’aisance des mouvements, le jeu facile de la pensée, l’expansion du cœur et la générosité du vouloir : le vrai plaisir est la grâce de la vie.

363. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

Les productions des fous et des criminels se perdent le plus souvent, dit Lombroso, dans les jeux de mots, les rimes, les homophonies, de même que dans les petits détails autobiographiques ; ce qui n’empêche pas par moments de rencontrer, surtout chez les fous, « une éloquence brûlante et passionnée qui ne se voit que dans les œuvres des hommes de génie ». […] En faisant ainsi de l’art pour l’art, on enlève à la littérature la vie ; on lui ôte toute espèce de but en dehors du jeu des formes, et, par cela même, on l’énervé. […] Au point de vue de l’évolution vitale ou sociale, l’accroissement en complexité ou, comme dit Spencer, en hétérogénéité, implique nécessairement une augmentation parallèle de l’unité, de la subordination et de l’organisation ; c’est pour cela que le cadavre est, au fond, moins complexe et moins riche que le corps vivant : il n’offre plus que le jeu des lois physiques et chimiques, au lieu d’offrir encore le jeu des lois physiologiques ; la décomposition est une simplification et non une complication. […] En outre, l’art met de plus en plus en jeu la passion ; or, il y a encore là plus d’un écueil.

364. (1888) Impressions de théâtre. Deuxième série

Si encore ce jeu servait à quelque chose ! […] C’est miracle qu’à ce jeu il ne se soit pas cassé les reins. […] C’est le « nouveau jeu ». […] Zola, n’est pas un jeu difficile, délicieux et vain… M. Catulle Mendès me dirait que, si ce jeu est délicieux, il n’est pas vain ; qu’un jeu délicieux, c’est quelque chose, c’est même tout dans la vie.

365. (1925) La fin de l’art

Il paraît qu’on en fit aussi à Lyon, grand centre médical et où le besoin de cette pourriture asphaltée se faisait souvent sentir (avec ou sans jeu de mots). […] Tel écrivain, aujourd’hui bien connu et encore très jeune, débuta dans le recueil des jeux floraux, de Toulouse. […] Il avait prouvé qu’on peut s’imposer aux hommes, du moins aux Français, et du moins encore aux Parisiens, par la seule vivacité de son esprit, par l’art équivoque de ramener toutes les questions à des jeux de mots voisins du calembour. […] C’est d’abord le mot Université tombé à rien, à qualifier un endroit où l’on donne des leçons de piano, où l’on conte ces anecdotes historiques qui prennent le titre d’histoire, où des tableaux pittoresques de Paris, quasi cinématographiques, s’appellent sociologie, où cent choses de jeu sont qualifiées d’enseignement, où l’enseignement vrai se dérobe sous la fanfreluche. […] Ces jeux me gâtent, non pas le parc de Versailles qui est vaste et qui contient aussi de vrais arbres, mais l’idée qu’ils m’imposent de Le Nôtre et de ses contemporains.

366. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XX. Conclusion » pp. 499-500

Elle apprendra ainsi à gouverner, dans la mesure du possible, les forces obscures auxquelles jusqu’à présent elle a obéi sans le savoir et elle fera un pas vers cette liberté qui est seule à sa portée et qui consiste à connaître le jeu des lois naturelles pour commander aux puissances de la vie et pour les employer à la satisfaction de ses besoins matériels comme de ses plaisirs esthétiques.

367. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Molière »

Auger, en agissant de la sorte avec son ancien camarade, il ne semblait guère que prolonger cette coutume de collège par laquelle les écoliers sont faisants et mettent leurs gains de jeu en commun. […] La Fontaine, qui en avait de naïves effusions, y associait une remarquable faculté dramatique qu’il mit si bien en jeu dans ses fables. […] Comme acteur, ses contemporains s’accordent à lui reconnaître une grande perfection dans le jeu comique, mais une perfection acquise à force d’étude et de volonté. « La nature, dit encore Mademoiselle Poisson, lui avoit refusé ces dons extérieurs si nécessaires au théâtre, surtout pour les rôles tragiques. […] La base humaine, sur laquelle les passions de ses personnages se relèvent et sont en jeu, ne semble pas la même entre le poëte et les spectateurs. […] Un pareil moment ne se reproduira plus jamais pour le jeu de ces pièces immortelles.

368. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1888 » pp. 231-328

Dans son jeu mêlé de danse : une valse à l’effet de triompher de la résistance de Pierrot, une valse, les bras derrière le dos, d’une volupté charmante. La répétition finie, on cause pantomime, et je conseille à Margueritte de jouer sans blanc : le plâtrage, tuant sous sa couverte, tous les jeux délicats et subtils d’une physionomie. […] les pièces de cent sous, ça ne me représente rien : ce sont comme des palets de jeu de tonneau, que j’échange contre des jouissances des yeux… Mais, ce qu’ils m’auront coûté ces gredins ! […] Enchantement du jeu intelligent, discret, non appuyé de Réjane, qui, dans le tableau des fortifications s’offre et se donne dans un abandonnement, si joliment chaste. […] » Devant le jeu de Mme Raucourt, un peu grisée par les compliments, soulignant trop la méchanceté noire de son rôle, il s’écrie : « Vous êtes heureux qu’on ne vous joue pas dans un port de mer, les marins monteraient sur le théâtre, battre Mme Jupillon et son fils. » Réjane me contait, que sa petite fille âgée de deux ans, disait au sujet de sa fluxion : « Maman joue Geminie de M. 

369. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — [Note.] » pp. 83-84

Nous le suivîmes avec surprise, et non sans un secret plaisir de voir le philosophe si prêt à devenir notre camarade de jeux.

370. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre II. Causes générales qui ont empêché les écrivains modernes de réussir dans l’histoire. — Première cause : beautés des sujets antiques. »

Ces vertus générales, telles que l’humanité, la pudeur, la charité, qu’il a substituées aux douteuses vertus politiques ; ces vertus, disons-nous, ont aussi un jeu moins grand sur le théâtre du monde.

371. (1853) Portraits littéraires. Tome I (3e éd.) pp. 1-363

Assurément le serment du jeu de paume offrait à André Chénier un thème riche en développements de toute sorte. […] En vérité, il faut plus que de la bonne volonté pour deviner qu’il s’agit du jeu de paume, et sans le titre de la pièce, un lecteur, même clairvoyant, serait tenté d’abandonner la partie. Il serait permis, sans injustice, de chercher parmi les jeux de la Grèce antique celui qu’André Chénier a voulu désigner. […] Des Grieux s’avilit ; il triche au jeu, mais ce n’est pas pour s’enrichir, c’est pour plaire à Manon. […] Fernand offre sa vie à l’offensé ; mais ce n’est pas là le compte du mari : le duel est un jeu hasardeux.

372. (1910) Variations sur la vie et les livres pp. 5-314

Ce jeu part d’une illumination délibérée, comme disait Carlyle. […] Un de ces seigneurs jouit de la gloire du troubadour et brilla aux jeux mi-partis. […] Au milieu des danses et des jeux, ce sont de telles pensées qu’il nourrissait. […] Leur jeu n’est que hasard et intermittence. […] Voltaire ne faisait que se tourmenter avec les décors et tous ces jeux scéniques.

373. (1901) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Deuxième série

Oui, puisque écrire m’amuse, puisque j’aime à la folie le jeu des idées et des mots. […] Il y a des jeux solitaires qui sont un emploi comme un autre du désœuvrement. […] Veux-tu bien vite retourner à tes études sérieuses et à tes jeux ordinaires ! […] Quel atout dans le jeu du Père jésuite ! […] Lorsqu’il avait réussi au jeu, M. 

374. (1891) Essais sur l’histoire de la littérature française pp. -384

Il visita deux fois l’Italie ; il y joua gros jeu et gagna toujours. […] De ce nombre sont le luxe, l’hypocrisie, la dévotion mal entendue et le jeu. […] Quand le patrimoine est entamé, le jeu est assurément le pire moyen de le rétablir ; mais il est aussi le plus à portée et celui qui tente le plus. […] Ce n’est pas le jeu qui le perd ; c’est une faiblesse de caractère et un manque de volonté. […] Ce n’est pas que Regnard n’ait compris que le jeu a d’autres conséquences, plus terribles et plus dramatiques.

375. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Note qu’il faut lire avant le chapitre de l’amour. »

. — Sans doute, et les femmes doivent en convenir ; il est assez doux de plaire et d’exercer ainsi sur tout ce qui vous entoure une puissance due à soi seule, une puissance qui n’obtient que des hommages volontaires, une puissance qui ne se fait obéir que parce qu’on l’aime, et disposant des autres contre leur intérêt même, n’obtient rien que de l’abandon, et ne peut se défier du calcul ; mais qu’a de commun le jeu piquant de la coquetterie et le sentiment de l’amour ?

376. (1890) L’avenir de la science « A. M. Eugène Burnouf. Membre de l’Institut, professeur au Collège de France. »

Ce jour-là, je me demandai plus sérieusement que jamais s’il n’y avait rien de mieux à faire que de consacrer à l’étude et à la pensée tous les moments de sa vie, et, après avoir consulté ma conscience et m’être raffermi dans ma foi à l’esprit humain, je me répondis très résolument : « Non. » Si la science n’était qu’un agréable passe-temps, un jeu pour les oisifs, un ornement de luxe, une fantaisie d’amateur, la moins vaine des vanités en un mot, il aurait des jours où le savant devrait dire avec le poète : Honte à qui peut chanter, pendant que Rome brûle.

377. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre II. Le public en France. »

Plus on est occupé, moins on rêve, et, pour des hommes d’affaires, la géométrie du Contrat social n’est qu’un pur jeu de l’esprit pur. […] En tout cas, ce n’est pas lui qui la mène, il n’est pas responsable de son jeu. […] Catherine II fait venir Diderot, et, tous les jours, pendant deux ou trois heures, joue avec lui le grand jeu de l’esprit. […] On dit avec vérité de Voltaire qu’il a dans la main « son brelan de rois quatrième », Prusse, Suède, Danemark, Russie, sans compter les cartes secondaires, princes et princesses, grands-ducs et margraves qu’il tient dans son jeu. — Visiblement, dans ce monde, le premier rôle est aux écrivains ; on ne s’entretient que de leurs faits et gestes ; on ne se lasse pas de leur rendre hommage. « Ici, écrit Hume à Robertson500, je ne me nourris que d’ambroisie, ne bois que du nectar, ne respire que de l’encens et ne marche que sur des fleurs.

378. (1878) La poésie scientifique au XIXe siècle. Revue des deux mondes pp. 511-537

La loi de l’attraction, si grande dans ses applications, si simple dans la formule mathématique qui l’énonce, ne fournirait au plus habile artiste de vers que la matière d’un jeu puérilement laborieux de style, l’occasion d’un tour de force, une sorte de charade poétique. — En ce sens, et s’il ne s’agissait que de cela, M.  […] La science positive a beau dire et beau faire ; on vain elle nous dit que l’homme n’est qu’une pièce infiniment petite, perdue et entraînée dans le jeu du mécanisme universel ; l’homme, spectateur de la vie, la juge ; témoin de l’inégale répartition des biens et des maux, il s’en indigne ; témoin de sa propre vie, il se condamne quand il fait mal ; il ne peut s’empêcher de juger et la nature et lui-même. C’est sans doute que la justice, bannie du reste de l’univers, a son refuge dans le cœur de l’homme, et c’est ainsi que le monde moral, né de la conscience humaine, va se relever en face du monde physique, théâtre des jeux éternels de l’atome, instrument et matière du destin. […] Ne lui est-il pas arrivé souvent de laisser la précision ou la clarté de l’idée en gage dans ce jeu périlleux, et de faire de sa pensée l’otage du vers, qui devrait être l’esclave et qui devient le maître ?

379. (1888) Petit glossaire pour servir à l’intelligence des auteurs décadents et symbolistes « Petit glossaire »

— Espèce de flûte ou de petit flageolet qui n’est plus en usage, et qu’imite un des jeux de l’orgue dit jeu de larigot. […] Oui, Celle-là (serais-tu perdu en une salle, spectateur très étranger, Ami) pour peu que tu déposes avec soumission, à ses pieds d’inconsciente révélatrice, ainsi que les roses qu’enlève et jette en la visibilité de régions supérieures un jeu de ses chaussons de satin pâle et vertigineux, la Fleur de ion poétique instinct n’attendant de rien autre la mise en évidence et sous le vrai jour des mille imaginations latentes : alors, par un commerce dont son sourire paraît verser le secret, sans tarder elle te livre à travers le voile dernier qui toujours reste, la nudité de tes concepts et silencieusement écrira ta vision à la façon d’un Signe, qu’elle est. […] Tenir le pied à l’endroit marqué dans le jeu de boules.

380. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre I. Du comique en général »

Que trouverait-on de commun entre une grimace de pitre, un jeu de mots, un quiproquo de vaudeville, une scène de fine comédie ? […] Tension et élasticité, voilà deux forces complémentaires l’une de l’autre que la vie met en jeu. […] Maintenant, C’est la continuité même des formes comiques que nous allons tâcher de rétablir, ressaisissant le fil qui va des pitreries du clown aux jeux les plus raffinés de la comédie, suivant ce fil dans des détours souvent imprévus, stationnant de loin en loin pour regarder autour de nous, remontant enfin, si c’est possible, au point où le fil, est suspendu et d’où nous apparaîtra peut-être — puisque le comique se balance entre la vie et l’art — le rapport général de l’art à la vie. […] On devine que les artifices usuels de la comédie, la répétition périodique d’un mot ou d’une scène, l’interversion symétrique des rôles, le développement géométrique des quiproquos, et beaucoup d’autres jeux encore, pourront dériver leur force comique de la même source, l’art du vaudevilliste étant peut-être de nous présenter une articulation visiblement mécanique d’événements humains tout en leur conservant l’aspect extérieur de la vraisemblance, c’est-à-dire la souplesse apparente de la vie.

381. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « M. Boissonade. »

savoir le grec, ce n’est pas comme on pourrait se l’imaginer, comprendre le sens des auteurs, de certains auteurs, en gros, vaille que vaille (ce qui est déjà beaucoup), et les traduire à peu près ; savoir le grec, c’est la chose du monde la plus rare, la plus difficile, — j’en puis parler pour l’avoir tenté maintes fois et y avoir toujours échoué ; — c’est comprendre non pas seulement les mots, mais toutes les formes de la langue la plus complète, la plus savante, la plus nuancée, en distinguer les dialectes, les âges, en sentir le ton et l’accent, — cette accentuation variable et mobile, sans l’entente de laquelle on reste plus ou moins barbare ; — c’est avoir la tête assez ferme pour saisir chez des auteurs tels qu’un Thucydide le jeu de groupes entiers d’expressions qui n’en font qu’une seule dans la phrase et qui se comportent et se gouvernent comme un seul mot ; c’est, tout en embrassant l’ensemble du discours, jouir à chaque instant de ces contrastes continuels et de ces ingénieuses symétries qui en opposent et en balancent les membres ; c’est ne pas rester indifférent non plus à l’intention, à la signification légère de cette quantité de particules intraduisibles, mais non pas insaisissables, qui parsèment le dialogue et qui lui donnent avec un air de laisser aller toute sa finesse, son ironie et sa grâce ; c’est chez les lyriques, dans les chœurs des tragédies ou dans les odes de Pindare, deviner et suivre le fil délié d’une pensée sous des métaphores continues les plus imprévues et les plus diverses, sous des figures à dépayser les imaginations les plus hardies ; c’est, entre toutes les délicatesses des rhythmes, démêler ceux qui, au premier coup d’œil, semblent les mêmes, et qui pourtant diffèrent ; c’est reconnaître, par exemple, à la simple oreille, dans l’hexamètre pastoral de Théocrite autre chose, une autre allure, une autre légèreté que dans l’hexamètre plus grave des poètes épiques… Que vous dirais-je encore ? […] demandera-t-on. — A bien peu sans doute, à glisser une aménité au milieu d’un sujet aride, à se dérider et à sourire entre gens instruits, et qui ont leur jeu de honchets à leur manière. […] Fontainius in Conspicillis,La Fontaine dans le conte des Limettes ; Rulhierus in Ludis,    Rulhière dans le poème des Jeux de main ; Voltairius in Asoto, etc, Voltaire dans l’Enfant prodigue, etc.

382. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre IV. Construction de la société future »

Prenez des femmes qui ont faim et des hommes qui ont bu ; mettez-en mille ensemble, laissez-les s’échauffer par leurs cris, par l’attente, par la contagion mutuelle de leur émotion croissante ; au bout de quelques heures, vous n’aurez plus qu’une cohue de fous dangereux ; dès 1789 on le saura et de reste  Maintenant, interrogez la psychologie : la plus simple opération mentale, une perception des sens, un souvenir, l’application d’un nom, un jugement ordinaire est le jeu d’une mécanique compliquée, l’œuvre commune et finale437 de plusieurs millions de rouages qui, pareils à ceux d’une horloge, tirent et poussent à l’aveugle, chacun pour soi, chacun entraîné par sa propre force, chacun maintenu dans son office par des compensations et des contrepoids. […] Un enfant, en ouvrant les yeux, doit voir la patrie, et, jusqu’à la mort, ne doit voir qu’elle… On doit l’exercer à ne jamais regarder son individu que dans ses relations avec le corps de l’État. » Telle était la pratique de Sparte et l’unique but du « grand Lycurgue »  « Tous étant égaux par la constitution, ils doivent être élevés ensemble et de la même manière. » — « La loi doit régler la matière, l’ordre et la forme de leurs études. » À tout le moins, ils doivent tous prendre part aux exercices publics, aux courses à cheval, aux jeux de force et d’adresse institués « pour les accoutumer à la règle, à l’égalité, à la fraternité, aux concurrences », pour leur apprendre « à vivre sous les yeux de leurs concitoyens et à désirer l’approbation publique ». Par ces jeux, dès la première adolescence, ils sont déjà démocrates, puisque, les prix étant décernés, non par l’arbitraire des maîtres, mais par les acclamations des spectateurs, ils s’habituent à reconnaître pour souveraine la souveraine légitime, qui est la décision du peuple assemblé.

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