Après avoir fait voir les deux armées aux prises, & avoir peint d’une maniere énergique la défaite du Duc, il lui adresse ainsi la parole : Grand Héros, qu’un excès d’amour & de valeur Engage aveuglément dans le dernier malheur, Tous tes autres exploits ont mérité de vivre ; Ils vivront à jamais sur le marbre & le cuivre : Tes sublimes vertus, dignes d’un meilleur sort, Effacent, à nos yeux, la honte de ta mort ; Et les siecles futurs, francs de haine & d’envie, Ne doivent pas juger de l’état de ta vie, Par l’instant malheureux qui surprit tes beaux jours D’une éclipse fatale au milieu de leur cours.
Inquiets et volages dans le bonheur, constants et invincibles dans l’adversité, formés pour les arts, civilisés jusqu’à l’excès, durant le calme de l’État ; grossiers et sauvages dans les troubles politiques, flottants comme des vaisseaux sans lest au gré des passions ; à présent dans les cieux, l’instant d’après dans les abîmes enthousiastes et du bien et du mal, faisant le premier sans en exiger de reconnaissance, et le second sans en sentir de remords ; ne se souvenant ni de leurs crimes, ni de leurs vertus ; amants pusillanimes de la vie pendant la paix ; prodigues de leurs jours dans les batailles ; vains, railleurs, ambitieux, à la fois routiniers et novateurs, méprisant tout ce qui n’est pas eux ; individuellement les plus aimables des hommes, en corps les plus désagréables de tous ; charmants dans leur propre pays, insupportables chez l’étranger ; tour à tour plus doux, plus innocents que l’agneau, et plus impitoyables, plus féroces que le tigre : tels furent les Athéniens d’autrefois, et tels sont les Français d’aujourd’hui.
Ces notions fondamentales de temps, d’espace, de lieu, d’infini, posent sans cesse devant l’esprit humain ; elles le sollicitent à tout instant et sous toutes les formes ; et depuis vingt-deux siècles, personne n’en a mieux parlé que le disciple de Platon et l’instituteur d’Alexandre. […] Il en naît de petits vers qui croissent et deviennent abeilles et bourdons : mais la semence d’où naissent les rois est roussâtre, elle a plus de consistance que le miel épaissi, et dès les premiers instants elle est d’un volume qui répond à celui du roi qu’elle produira. […] On sent qu’il regrette à chaque instant le spiritualisme du Phédon dans le sensualisme de l’Histoire des animaux, dans la Morale, dans la Physique, dans la Politique, dans le Traité sur l’âme, qui ne sont que des préfaces aux considérations surhumaines du platonisme. […] Le souvenir de la plupart de ses pensées et de ses intentions, même les plus vives, périt à chaque instant en lui. […] C’est un compagnon nécessaire, quoique dangereux ; et durant cette vie, nous ne pouvons pas nous en séparer un seul instant, puisque, sans lui, notre destinée morale n’est pas même possible.
Aussi est-il naturel que dans le développement de ces arts voisins qui font échange de vocabulaire se remarquent à chaque instant des coïncidences. […] Il dit à chaque instant devant un paysage : c’est un Claude Lorrain, un Ruysdaël. […] Et la description reprend : « Ce soir, au bord de l’eau, la crécelle lointaine des rainettes ; par instants, le cri guttural du tire-arache dans les roseaux ; un poisson qui saute ; des arbres qui font dans le ciel une ombre mouillée comme dans l’eau, et dans toute cette nature la paix de la nuit, de la mort. […] Ou ils disparaissent après un succès éphémère ; ou ils demeurent comme des témoins indestructibles de choses ou d’idées qui ont eu un instant de vogue. […] « Il semble qu’en certains instants l’oreille aussi a sa vue. »(Notre-Dame de Paris.)
Dans le roman où se dessine cette héroïne d’une si chaude vie, on peut suivre le même travail minutieux de représentation par un grand nombre d’incidents sur tous les personnages de premier plan ; toute une période de leur vie nous est donnée en d’innombrables instants pour Wronsky l’homme moderne du bel air, élégant, un peu lourd d’esprit ; mais noble, constant, délicat, digne d’être aimé, et se haussant parfois à de grandes idées humaines étrangères à sa caste, comme pour Lévine plus fruste, plus simple et plus profond et dépeint de ses occupations de gentilhomme campagnard à ses angoissantes préoccupations sur le but et le sens de la vie. […] Tous les personnages qui l’entourent, se meuvent selon cette carrière, en courbes particulières ; conduits par le temps, soumis à la dure pression des faits, déformant peu à peu chaque forme de leur être, sans fixité, une pure fuite, qui ne vit que parce qu’il cesse à tout instant d’être lui-même. […] Que ce soit une rougeur fébrile de Natacha, une parole douteuse d’Anna Karénine, une mine de dédain du prince André, ou le prince Nicolas frémissant et attendant l’occasion de lancer un régiment à la charge, le lecteur attiré, contraint et pénétrant se sent devenir peu à peu ces êtres et il est devant les mouvements de leurs esprits, comme face à face avec lui-même en ces instants où dans un sourire on sent et on découvre soudain tout le détail de sa nature, et comme elle est familière, unique, connue, surprenante et retorse. […] Ceux qui l’ont suivi, que cette création d’art a saisis par son aspect aussi original que le vrai, par sa cohérence intérieure, par l’abondance, la variabilité et la constance des êtres, par sa complexité, et ce caractère de présentation immédiate et illogique qui la rend égale et aussi incontestable que ce qui existe, séduits ainsi au point de transposer en ces livres quelques instants de leur vie, hésitent déconcertés devant ce dédain et ce souci d’autres choses. […] Plus assidûment encore et avec de plus harcelants malaises, le prince Pierre Bezonkhof, inquiet et se dégoûtant des grosses jouissances dont il essaie de tromper ses besoins spirituels de foi, se lance de-ci de-là à la recherche d’une règle, d’un mot magique qui donne quelque sens à ses actes, et rencontre en plein désespoir, un singulier personnage qui lui parle de Dieu et de la vie future selon les formes de la franc-maçonnerie ; il se jette dans cette secte pour reconnaître promptement l’inanité de sa philosophie et de sa morale, retombe dans sa morosité et ses débauches quand à l’approche de l’année française il est témoin de la forte certitude, de la foi et de la joie qui animent les masses populaires et les armées ; pris de contagion, enflammé d’un patriotisme fumeux, il quitte son palais, se môle à la populace, conçoit un instant le dessin d’assassiner Napoléon ; une conversation dissipe ce transport de férocité, il se fait horreur devant l’exécution de quelques-uns de ses compagnons, et froissé, prostré, éperdu, rejoint une troupe de prisonniers, où l’existence de pauvre qu’il mène, cette vie de résignation et d’insouciance l’apaisent peu à peu et l’ouvrent aux humbles paroles d’un petit soldai paysan, familier, doux et sensé ayant sur lui quelque chose de la bonne fraîcheur de la terre.
Joseph crut alors toucher à une condition meilleure : c’était l’instant critique ; il rassembla les forces de sa raison et se résigna aux dernières épreuves. […] Par instants j’espérais. […] Maîtresse d’elle-même aux instants les plus doux, En embrassant sa mère elle lui disait vous. […] Ce petit livre est l’image fidèle de mon âme ; les doutes et les bonnes intentions y luttent encore ; l’étoile qui scintille dans le crépuscule semble par instants près de s’éteindre ; la voile blanche que j’aperçois à l’horizon m’est souvent dérobée par un flot de mer orageuse ; pourtant la voile blanche et l’étoile tremblante finissent toujours par reparaître. — Tel qu’il est, ce livre, je vous l’offre, et j’ai pensé qu’il serait d’un bon exemple. […] Mais, en vérité, je vous dois bien des remercîments pour les doux instants que votre nouveau volume m’a procurés.
Plaçons-nous donc pour un instant dans cette dernière hypothèse : nous nous proposons de montrer d’abord qu’elle n’entraîne pas la détermination absolue de nos états de conscience les uns par les autres, et ensuite que cette universalité même du principe de la conservation de l’énergie ne saurait être admise qu’en vertu de quelque hypothèse psychologique. […] Mon immobilité n’est donc pas une immobilité quelconque ; dans la position où je me tiens est comme préformé l’acte à accomplir ; aussi n’ai-je qu’à conserver cette position, à l’étudier ou plutôt à la sentir intimement, pour y retrouver l’idée un instant évanouie. […] Pour faire toucher du doigt cette différence capitale, supposons un instant qu’un malin génie, plus puissant encore que le malin génie de Descartes, ordonnât à tous les mouvements de l’univers d’aller deux fois plus vite. […] Lors donc qu’on demande si une action future pourrait être prévue, on identifie inconsciemment le temps dont il est question dans les sciences exactes, et qui se réduit à un nombre, avec la durée réelle, dont l’apparente quantité est véritablement une qualité, et qu’on ne saurait raccourcir d’un instant sans modifier la nature des faits qui la remplissent. […] Nous vous accordons pour un instant que le principe de causalité résume seulement les successions uniformes et inconditionnelles observées dans le passé : de quel droit l’appliquez-vous alors à ces faits de conscience profonds où l’on n’a pas encore démêlé de successions régulières, puisqu’on échoue à les prévoir ?
Lui-même ne considère-t-il pas un peu comme des distractions et des haltes légères les histoires d’amour où il s’est un instant complu et les jolis Contes dorés d’où nous tirons des vers d’une forme si précise et d’une fermeté d’acier.
Les Ecrivains du Christianisme, en répandant la clarté dans l’esprit, font sentir en même temps une chaleur qui échauffe & remplit le cœur ; dans Bayle, c’est une lueur froide qui éblouit un instant les yeux, & vous laisse ensuite dans l’obscurité.
Mon cœur se resserra ; dans cet instant, à cette place, je sentis presque le souffle de la mort. […] Il couvrit ses yeux pour les abriter des rayons du soleil et regarda un moment le tarantass ; puis laissant retomber ses deux mains sur ses cuisses, il piétina quelques instants sur place, et se précipita enfin pour ouvrir la porte cochère. […] Quelques instants s’écoulèrent ; Lavretzky tendait l’oreille pour écouter. […] Du reste, ajouta-t-il un instant après, dans ce monde, tout est possible, surtout ici, chez vous, en Russie. […] Il se tint immobile pendant quelques instants, embrassa la maison d’un regard attentif, entra dans la cour et monta doucement le perron.
depuis l’instant où vous m’avez fait naître, Ce cœur à vos regards n’a point déplu peut-être. […] Fontanes n’hésita pas un seul instant à reconnaître l’étoile à ce jeune et large front. […] Ceux de M. de Fontanes n’étaient pas d’ailleurs exclusifs ; sa bienveillance, par instants quasi naïve, les étendait à plaisir, et lui-même proposa deux fois à la signature de l’Empereur la nomination de M. […] Ses brouillons, quand il s’y décidait, restaient informes, et ce qu’on a de manuscrits n’est le plus souvent qu’une dictée faite par lui à des amis, et sur leur instante prière ; plusieurs de ses ouvrages n’ont jamais été écrits de sa main. […] Je promets d’être constant, Et du nœud qui me rengage Je m’échappe au même instant !
« Je pars dans l’instant pour Londres ; j’y ai deux ou trois amis, entre autres un à qui j’ai prêté beaucoup d’argent en Suisse, et qui, j’espère, me rendra le même service ici. […] J’ai prédit l’instant du naufrage, Je l’ai prédit sans pouvoir l’écarter. […] La dureté, la continuité d’insolence et de despotisme à laquelle j’ai été exposé, la fureur et les grincements de dents de toute cette…, parce que j’étais heureux un instant, ont laissé en moi une impression d’indignation et de tristesse qui se joint au regret de vous quitter, et ces deux sentiments, dont l’un est aussi humiliant que l’autre est pénible, augmentent et se renouvellent à chaque instant. […] Il y a une espèce de plaisir à prévoir l’instant d’une séparation qui nous est pénible. […] « Que béni soit l’instant où mon aimable Barbet est né !
Partout la guerre… Et à chaque instant les plus charmants motifs pour la peinture. […] Il passe au même instant, armé de pelles et précédé de clairons, un bataillon de marine, qui, dans un instant, a pris possession de la caserne des douaniers, et j’ai le plaisir de voir, à toutes les fenêtres, les intrépides figures, à la gaîté grave, aux yeux de la couleur d’une vague dans du soleil. […] Elle est tout yeux pour lui, elle remonte à chaque instant la fourrure sur ses jambes ; des mains de mère et d’épouse se promènent, le temps entier de la promenade, sur sa personne. […] Au bout de quelques instants, un dîneur rentre ; et s’attable à la table de mon voisin, qu’il connaît. […] Prudhomme, s’échaufferait, se métamorphoserait, au bout de quelques instants, en une parole entraînante et persuasive.
Soulary possède à merveille la langue poétique de la Renaissance, et, grâce à l’emploi d’un vocabulaire très large, mais toujours choisi, il a trouvé moyen de dire, en cette gêne du sonnet, tout ce qu’il sent, ce qu’il aime ou ce qu’il n’aime pas, tout ce qui lui passe par le cœur, l’esprit ou l’humeur, son impression de chaque jour, de chaque instant.
La danse l’initie à cette seconde vue ; elle transfigure le corps en lui donnant deux ailes, l’élan et le rythme ; elle le dégage, pour un instant, des tristes lois de la pesanteur.
Au bout de quelques instants ils entendirent Ybilis qui rentrait.
Quand après quelques instants de contemplation rêveuse on revient à soi, on est toujours surpris du chemin que l’esprit a parcouru sans y penser. […] Mais cela, ce n’est pas un étang le soir ; ce n’en est que l’apparence visible fixée en un instant de la durée. […] Le trait mélodique dessine son arabesque, reste un instant tout entier présent à la conscience, et s’évanouit. […] Parfois s’édifient de merveilleuses architectures ; l’instant d’après elles se trouvent différentes, plus mobiles et décevantes que les palais de la fée Morgane. […] Mais pas un instant on ne nous la fera oublier.
C’est cela sans doute qui écarta, pour un instant, les brumes de mon esprit d’enfant. […] Un paravent déployé protégeait la table, à cause de la porte, qu’on ouvrait à chaque instant, sur l’escalier, pendant le service. […] Il m’enlevait du sol pour m’embrasser, me considérait quelques instants, puis me reposait doucement à terre et ne s’occupait plus guère de moi. […] … redisait à chaque instant tante Zoé, en se grattant le coin du sourcil, que va dire papa ? […] Il était à demi-agenouillé dans un fauteuil, du haut duquel il nous considéra quelques instants à travers son monocle.
On se rencontre à chaque instant. […] Les démarches, la difficulté d’être joué mirent un instant aux prises sa paresse et son ambition. […] Un instant après, son compagnon redescend avec les cinq louis. — « Tu vois. […] Quelques instants après il montait sur l’estrade et soulevait la foule. […] Son discours dura près d’une heure, et l’attention ne languit pas un instant.
A chaque instant, on se demande : « — Voyons, qu’est-ce qu’il veut au juste, celui-là ? […] Ainsi notre rêve n’eût pas été interrompu un seul instant, et nous en eussions joui en toute tranquillité. […] Les deux premiers actes ne sont pas un instant ennuyeux. […] Le prince paraît en cet instant. […] Et, un instant après, elle fait part au vieux duc des confidences de Robert.
Pudeur craintive des instants de puberté, pudeur, toute rose devant les roses et les lèvres, défaillances, souffrances voluptueuses qui ne siègent point dans l’âme, mais dont tout l’organisme semble être envahi ; troubles puérils, sommeils lourds, rêves fleuris où chantent, silencieuses, les danses évanouies des temps jadis ; c’est de ces émois-là que Fernand Gregh a composé son livre.
Un instant, les vers de M.
Ils ont regardé la nature, et ils la rendent par instants. […] S’il y a quelque exagération à dire cela, il faut convenir que Bernardin parle à chaque instant de cette terre raboteuse, toute hérissée de roches, de ces vallons sauvages, de ces prairies sans fleurs, pierreuses et semées d’une herbe aussi dure que le chanvre ; mais la tristesse de l’exil rembrunissait tout à ses yeux. […] S’il est insuffisant à remuer et, pour ainsi dire, à faire frémir avec grâce le voile de la nature, s’il lui est refusé de revêtir d’images transparentes, et accessibles à tous, les vérités qu’il médite, et s’il les ensevelit plutôt sous des clauses occultes, il contredit, sinon avec raison en principe (ce que je ne me permets pas de juger), du moins avec une portée bien supérieure, quelques-unes des douces persuasions propagées par Bernardin ; par exemple, que la nature, qui varie à chaque instant les formes des êtres, n’a de lois constantes que celles de leur bonheur […] On ne saurait croire combien il sert, jusque dans les créations les plus idéales, de se donner ainsi quelques instants d’appui sur des souvenirs aimés, sur des branches légères.