Il existe une maladie propre au biographe : c’est de s’imaginer qu’il a inventé son héros et, partant, d’avoir pour lui un amour paternel, mieux encore, la tendresse aveugle et verbeuse d’une mère qui ne tarit pas sur les moindres faits et gestes, sur les plus insignifiants propos du cher enfant. […] quel héros !
Est-ce l’esprit conquérant et rayonnant de l’Europe qui, détruit sous la forme chef-d’œuvre, reparaît sous la forme héros ? […] Cet homme solaire, ce sera tantôt le savant, tantôt le voyant, tantôt le calculateur, tantôt le thaumaturge, tantôt le navigateur, tantôt l’architecte, tantôt le mage, tantôt le prophète, tantôt le héros, tantôt le poëte.
Ne souriez pas à ces généalogies de héros et de coursiers, car votre pitié accuserait votre ignorance. […] Cette économie des desseins de la Providence, dévoilée avec la prévision d’un prophète ; cette pensée divine gouvernant les hommes depuis le commencement jusqu’à la fin ; toutes les annales des peuples, renfermées dans le cadre magnifique d’une imposante unité ; ces royaumes de la terre, qui relèvent de Dieu ; ces trônes des rois, qui ne sont que de la poussière ; et ensuite ces grandes vicissitudes dans les rangs les plus élevés de la société ; ces leçons terribles données aux nations, et aux chefs des nations ; ces royales douleurs ; ces gémissements dans les palais des maîtres du monde ; ces derniers soupirs de héros, plus grands sur le lit de mort du chrétien, qu’au milieu des triomphes du champ de bataille ; enfin l’illustre orateur, interprète de tant d’éclatantes misères, osant parler de ses propres amertumes, osant montrer ses cheveux blancs, signe vénérable d’une longue carrière honorée par de si nobles travaux, et laissant tomber du haut de la chaire de vérité des larmes plus éloquentes encore que ses discours : tel est le Bossuet de nos habitudes classiques, de notre admiration traditionnelle.
Le poëte ne doit jamais présenter des situations que l’acteur ne sauroit rendre : telle est celle d’un héros mouillé. […] Mais la colere d’Achille ne produit-elle pas son effet, & l’effet le plus terrible, par l’inaction même de ce héros ? […] Dans l’épopée, le premier de ces rôles est celui des héros, le poëte est chargé des deux autres. […] La patrie d’un sage est la terre, son héros est le genre humain. […] En admirant la cause on a loüé les effets : ainsi les fléaux de la terre en sont devenus les héros.
Bitaubé avait mis à tous les héros d’Homère le même casque de pompier. […] Est-ce que le vieux Claude Binet, biographe de Ronsard, n’a pas raconté que la naissance de son héros avait été entourée de miracles ? […] Encore que ses héros et ses héroïnes soient, presque toujours, bien habillés, il évite ce défaut si répandu chez les gens de lettres qui peignent les gens du monde, ce défaut excusable mais si agaçant que M. […] Ils achèvent de nous renseigner sur les origines, les prétentions et les espérances de ces héros. […] » Les épouvantables routiers de la guerre de Trente Ans font figure de héros.
Il ne compte plus ses imitateurs, de même que ses héros et ses héroïnes ne peuvent plus nombrer leur descendance. […] C’est pourquoi ce héros aristocratique est devenu en quelque façon populaire. […] Les héros de Feuillet vivent à cheval, et ils y meurent. […] « Je suis né romanesque », dit l’un de ses héros. […] Qui ne connaît, comme s’il l’avait vu, le héros tarasconnais ?
Haraucourt, n’ayant pas pris de parti entre les différents Don Juan qui ont précédé le sien, la construction du drame s’en trouve un peu incohérente et le caractère du héros sans assez de netteté.
Ici, c’est Irène qui, au contraire, influe, par une puissance d’amour, sur la conversion humaine du héros.
Les dieux et les héros n’évoluent pour lui que dans le vague des pénombres, et ce n’est que sous les voiles de Cypris qu’il ose entrevoir les étreintes des courtisans et des éphèbes.
Ceux de ses héros qu’il donne, en exemple s’asservissent à ce qu’ils pensent leur devoir, et ils aiment à formuler, en des alexandrins abstraits, des maximes morales.
Après avoir fait voir les deux armées aux prises, & avoir peint d’une maniere énergique la défaite du Duc, il lui adresse ainsi la parole : Grand Héros, qu’un excès d’amour & de valeur Engage aveuglément dans le dernier malheur, Tous tes autres exploits ont mérité de vivre ; Ils vivront à jamais sur le marbre & le cuivre : Tes sublimes vertus, dignes d’un meilleur sort, Effacent, à nos yeux, la honte de ta mort ; Et les siecles futurs, francs de haine & d’envie, Ne doivent pas juger de l’état de ta vie, Par l’instant malheureux qui surprit tes beaux jours D’une éclipse fatale au milieu de leur cours.
Collé y a joint tout l’art dont le sujet étoit susceptible, celui de bien amener les incidens, de mettre du jeu & de la variété dans ses personnages, de développer l’ame de son Héros, de faire ressortir, pour ainsi dire, de chaque Scène un intérêt qui lui est particulier & contribue à l’effet général, de joindre enfin à l’énergie du sentiment, l’aisance & le bon ton du Dialogue, en conservant la naïveté & le costume des mœurs du siecle d’Hénri IV.
On a remarqué, avec raison, qu’il s’étoit trop laissé aller aux impressions d’une mélancolie sombre, qui rembrunit ses tableaux, donne à ses Héros un air farouche, diminue enfin l’intérêt, à force de vouloir le presser & l’étendre.
— C’est ton père, c’est moi, C’est ma seule prison qui t’a ravi ta foi… Ma fille, tendre objet de mes dernières peines, Songe au moins, songe au sang qui coule dans tes veines : C’est le sang de vingt rois, tous chrétiens comme moi ; C’est le sang des héros, défenseurs de ma loi, C’est le sang des martyrs. — Ô fille encor trop chère !
La paix était assurée pour de longues années et les Peuhl s’acquittèrent de leur dette envers les enfants du héros.
Qui pourrait dire enfin si Goethe, l’homme essentiellement et véritablement progressif, qui doutait de tout, même de Dieu et de l’immortalité, à vingt-huit ans, aurait écrit à quatre-vingt-deux ans le portrait de Faust, le héros du scepticisme ? […] C’est à ce moment qu’il eut connaissance des chants patriotiques de Théodore Koerner, qui était le héros du jour. […] VI Goethe avait écrit vers 1792 le roman étrange et poétiquement populaire de Werther, comme Schiller avait écrit les Brigands : deux œuvres inexplicables et en dehors de toute vue morale ; de l’art pur, où la force de la passion conduit les jeunes héros de Schiller au crime, et le héros mélancolique de Goethe au suicide. […] Je devais attendre de la fortune le retour des heures où le passé revivait et se représentait devant moi, où je jouissais d’une énergie intellectuelle assez grande, d’un bien-être physique assez complet pour élever mon âme à cette hauteur à laquelle il faut que je parvienne pour être digne de voir de nouveau reparaître en moi les idées et les sentiments de Goethe. — Car j’avais affaire à un héros que je ne devais pas abaisser.
Mais les détails de ce simple roman sont vrais comme l’histoire et mille fois plus vrais que les histoires de l’Empire, dont des hommes de grand talent flattent la gloire pour grandir leur héros. […] Mais il y a maintenant une autre espèce de roman qui n’invente rien, parce que le seul inventeur, c’est Dieu, mais qui raconte avec la fidélité de la vérité ce que l’histoire véridique nous a transmis par ses acteurs secondaires ; qui prend ses héros non parmi les grands hommes et les héros, mais dans les rangs les plus obscurs du peuple, et qui montre l’influence de l’ambition et de ce qu’on nomme la gloire d’un seul sur le sort de tous. […] Quand on le ferme, on n’a dans les yeux ni héros, ni héroïne, ni amour, ni aventures qui s’effacent avec le temps.
Sous le second Empire, la musiquette d’Offenbach, leste, moqueuse, spirituelle et canaille, mène gaillardement la ronde d’une société affolée de plaisir et fait danser le cancan aux dieux, aux héros, aux grands de la terre. […] Une cathédrale est l’héroïne d’un roman fameux de Victor Hugo. […] Survient l’Empire et le moyen âge commence à ressusciter chez les poètes et les historiens ; on chante le beau Dunois partant pour la Syrie, et aussitôt les dieux et les héros antiques qui composaient les garnitures des cheminées se transforment en troubadours langoureux et en châtelaines plaintives. […] Quelques-uns d’entre eux, plus hardis, osèrent déjà, en dépit d’un usage vieux d’un siècle et demi, hérisser leur menton d’une large barbe, à l’imitation des figures qu’ils avaient vues sur des vases étrusques ; les deux chefs de cette secte barbue, que l’on appelait la secte des penseurs ou des primitifs, se promenèrent même dans Paris travestis en héros de la guerre de Troie. […] C’étaient des enthousiastes d’Ossian qui voulaient, comme ses héros, dormir en plein air et allumer des arbres pour se chauffer.
Les romans du Moyen Age firent de Tristan le héros de mille exploits. […] Et c’est aussi grâce à l’esprit de leur temps, que Tristan et Isolde se trouvèrent les héros de nombreuses aventures amoureuses très frivoles et plus eue libres, tandis que le bon roi Marke devint un assez sot type de la nombreuse tribu qui fut la joie de Molière et de La Fontaine. […] Dans toute la légende et la mythologie ou n’aurait guère pu trouver un caractère aussi apte que celui-ci à être le héros d’un drame moderne. […] Seul le héros de l’œuvre fait exception d’abord ; mais cette atmosphère de souffrance l’entoure et ces différentes incarnations de la douleur viennent comme s’essayer sur lui ; de ce contact surgit un nouvel élément : la pitié. […] Il a levé le voile de Maja : le « principium individuationis » est écarté ; « il ne fait plus d’égoïste différence entre sa personne et celle des autres, mats prend à la souffrance étrangère autant de part qu’à la sienne ; par suite, il est prêt à sacrifier son individu, pour sauver ainsi plusieurs autres frères en souffrance (IV, 68). » Wagner (1880, 258) : « Nous voyons le saint surpasser encore le héros (Parsifal surpasser Siegfried) dans sa passion pour la souffrance et le sacrifice. » Nous arrivons ici, dans le développement de la théorie Schopenhauérienne, à l’étude du Christianisme, et cela nous donne l’occasion d’examiner une explication que l’on a donnée de Parsifal.
En passant à Troie, il fit sacrifier par les Mages aux héros asiatiques tombés dans cette plaine mémorable. […] L’histoire les a justement retranchés de cette défense immortelle, elle n’a compté que les héros de la tragédie, sans s’inquiéter des comparses : soustraction qui est une justice. […] Le défilé devint un antre de héros féroces. […] La volonté du héros mordit ces fluctuations comme une ancre, elle retint par son seul poids la flotte ébranlée. […] Pars et rapporte à Mardonios ce que disent les citoyens d’Athènes : Tant que le soleil suivra sa route dans le ciel, nous ne traiterons pas avec Xerxès, mais nous combattrons contre lui, avec les dieux et les héros dont il a brisé les statues et brûlé les temples. » — Puis, se retournant vers Sparte, avec une fraternité magnanime, justement blessée pourtant d’avoir été soupçonnée : — « Qu’on ait craint à Lacédémone de nous voir traiter avec le Barbare, c’est dans la nature.
Dans le roman où se dessine cette héroïne d’une si chaude vie, on peut suivre le même travail minutieux de représentation par un grand nombre d’incidents sur tous les personnages de premier plan ; toute une période de leur vie nous est donnée en d’innombrables instants pour Wronsky l’homme moderne du bel air, élégant, un peu lourd d’esprit ; mais noble, constant, délicat, digne d’être aimé, et se haussant parfois à de grandes idées humaines étrangères à sa caste, comme pour Lévine plus fruste, plus simple et plus profond et dépeint de ses occupations de gentilhomme campagnard à ses angoissantes préoccupations sur le but et le sens de la vie. […] Ces romans forcent impérieusement à aller aux personnages, à participer aux événements, à ce qu’on se sente touchant à toutes ces existences, et sans cesse comme aux côtés des héros, adjoint, perdu dans la foule qui les entoure, en témoin invisible de leur solitude et de leurs pensées. […] Dans les villes prises, dans les orgies, dans les intimités conjugales, dans les accoudements et dans les repos des grands corps abandonnés aux lits et aux fauteuils, Tolstoï sait faire sentir sans cesse la personne physique de ses héros, dépeinte ensuite et fixée, mais connue d’abord comme par un attouchement dans l’ombre, perçue, tiède, velue, molle et toute semblable à celle qui est la vie même de chacun. […] Ce problème, le plus ardu et le plus inévitable qui attende l’homme aux années de maturité où l’on se perçoit mortel, les héros favoris de Tolstoï l’agitent et le résolvent avec une gravité triste et angoissée, une ardeur de recherche, une inquiétude tenace de gens qui ne peuvent vivre avec ce souci. […] Et en effet, le penchant à ne représenter de l’homme que ses tendances morales, le désir de ne susciter l’approbation que pour ces inclinaisons presque futures et d’ériger en héros des personnages qui trouvent aux problèmes de la destinée ces pauvres solutions, portent le romancier russe, en dépit de son réalisme et de l’étendue de son observation, à laisser de singulières lacunes dans sa description de l’humanité.
En second lieu, un poème épique suppose un héros, un dieu, un personnage quelconque, historique ou fabuleux, accomplissant le fait chanté par le poète. Ici il n’y a point de héros, point de personnage historique ou fabuleux accomplissant le fait épique ; il y en a mille, groupés dans ces visions, sans fil qui les relie entre elles : les trois personnes de la Trinité, le Père, le Fils, l’Esprit-Saint, la Vierge, les saints, les anges, les divinités de l’Olympe, celles des enfers païens, les habitants de l’empyrée chrétien mêlés aux figures fabuleuses de l’empyrée antique. […] Les poètes indiens chantent les aventures humaines ou divines de Rama ou de Chrisna ; Ferdousi, celles de Rustem et des héros de la Perse ; Homère, celles d’Achille ; Virgile, celles d’Énée ; le Tasse, celles des croisés ; Milton, celles du premier homme et de la première femme ; Klopstock, celles du Christ, revêtant la forme humaine pour subir la mort en satisfaction des crimes de la terre. […] Le véritable héros, s’il y en avait un, ce serait saint Thomas d’Aquin, car ce sont ses pensées que chante le poète. […] Les centaures, les Harpies, les lacs de bitume d’où s’élèvent en mugissant de douleur des bustes à demi consumés, des âmes liées à des arbres morts, des chiennes affamées poursuivant des esprits en fuite, des damnés transformés en buisson, des pluies de feu sur des déserts de sable et qui l’allument comme l’amadou le briquet, tous les héros de la Fable confondus avec ceux de l’histoire et du temps, des rencontres inattendues du poète avec les âmes de ses contemporains morts avant lui, et des signalements grotesques, tels que celui de Brunetto Latini, premier maître de Dante : « Ces âmes clignaient les yeux en nous regardant, comme le vieux tailleur regarde le trou de l’aiguille » ; Des vers sublimes, tels que celui-ci du disciple au maître en le rencontrant : « Tu m’enseignais là-haut comment l’homme s’éternise !
Les héros habituels du roman picaresque, un don Guzman d’Alfarache ou un don Pablo de Ségovie, n’ont dans les veines qu’un sang mêlé de voleur et de fille, ou d’aventurière et de banqueroutier. […] Toujours est-il que l’auteur ne se montra pressé de poursuivre ni plus loin, ni plus haut, les aventures de son héros. […] On s’est demandé si les héros de Crébillon fils et de Duclos avaient existé quelque autre part ailleurs que dans l’imagination libertine et dépravée de leurs auteurs. […] Très capable d’être le héros d’une aventure scandaleuse, son malheur, mais aussi son talent, veulent qu’il le soit moins d’en trousser le récit. […] Les héros, n’ayant plus ce recul majestueux que donnait à ceux de Racine le poétique éloignement du temps ou de la distance, vivent de la vie de tout le monde.