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289. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre V. Le roman romantique »

Plus vivantes sont les foules, les foules populaires surtout, le grouillement des gueux et des truands : plus vivante est la ville même, le Paris du xve  siècle, noir, infect, fourmillant, curieusement ressuscité dans sa topographie compliquée et dans sa physionomie bizarre. […] Puis Dumas s’en empare817 et le dérive hors de la littérature, hors de l’art, pour l’amusement de la foule. […] Autour de lui, le poète a groupé une innombrable foule de figures poétiques ou pittoresques, angéliques ou grimaçantes, amusantes ou horribles : la psychologie est courte, souvent nulle ; mais ici encore les profils sont puissamment dessinés, les costumes curieusement coloriés.

290. (1839) Considérations sur Werther et en général sur la poésie de notre époque pp. 430-451

Mais quand madame de Staël écrivait cette page, les maladies d’imagination dont elle voit la peinture dans Werther n’étaient encore qu’au début de leur invasion, pour ainsi dire : un grand nombre d’ouvrages remarquables qui ont la même origine et le même effet que Werther, et une foule bien plus grande de détestables productions puisées à la même source, n’existaient pas. […] Autour de ces grands hommes gravitent, comme les planètes autour des soleils, une foule d’écrivains remarquables mais d’un ordre inférieur. […] Werther et Faust, Childe-Harold et don Juan suivent l’ombre d’Hamlet, suivis eux-mêmes d’une foule de fantômes désolés qui me peignent toutes les douleurs, et qui semblent tous avoir lu la terrible devise de l’enfer : Lasciate ogni speranza . […] » …… Byron dans tous ses ouvrages et dans toute sa vie, Goethe dans Werther et Faust, Schiller dans les drames de sa jeunesse et dans ses poésies, Chateaubriand dans René, Benjamin Constant dans Adolphe, Senancourc dans Oberman d, Sainte-Beuve dans Joseph Delorme, une innombrable foule d’écrivains anglais et allemands, et toute cette littérature de verve délirante, d’audacieuse impiété et d’affreux désespoir, qui remplit aujourd’hui nos romans, nos drames et tous nos livres, voilà l’école ou plutôt la famille de poètes que nous appelons Byronienne : poésie inspirée par le sentiment vif et profond de la réalité actuelle, c’est-à-dire de l’état d’anarchie, de doute et de désordre où l’esprit humain est aujourd’hui plongé par suite de la destruction de l’ancien ordre social et religieux (l’ordre théologique-féodal), et de la proclamation de principes nouveaux qui doivent engendrer une société nouvelle.

291. (1902) Le culte des idoles pp. 9-94

Son talent seul, qui était médiocre, sa pensée qui était celle d’un enfant — sa correspondance le prouve bien — n’eussent point suffi à l’imposer, mais la foule, comme cela a lieu dans ces tristes temps de démocratie, donna son opinion la première et y soumit les artistes. […] Il est bien certain, au contraire, que l’influence de Nietzsche sera désastreuse dans la foule ; elle commence déjà de l’être. Par foule je n’entends pas l’ouvrier, le manœuvre qui certainement ne lisent pas son œuvre, bien que certaines pages puissent leur être utiles, mais cette foule de faux hommes de lettres, de professeurs de hasard et de parvenus niais qui ne font point partie de cette classe d’honnêtes gens auxquels s’adressent de tels livres.

292. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 septembre 1886. »

Il a vu que deux musiques étaient possibles ; l’une personnelle, traduisant, dans le minutieux détail, les émotions d’une âme individuelle ; l’autre exprimant les émotions générales, totales, d’une masse humaine, la résultante d’états multiples, mais surgis en des âmes pareilles de foule. […] A une foule peuvent être offerts seulement les grosses émotions d’une foule : l’orchestre, jusque le jour où il deviendra vraiment invisible (où il sera lu en un livre) est à dire, uniquement, les grandes passions collectives, les blocs d’émotions généraux. Ainsi les œuvres orchestrales de Beethoven, au contraire des sonates et quatuors, expriment toujours des états très généraux, revivent l’âme de foules, non d’individus choisis.

293. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Victor Hugo » pp. 106-155

On peut noter des vers comme ceux-ci : Nous sommes les passants, les foules et les races :  Nous sentons frissonnants des souffles sur nos faces ;  Nous sommes le gouffre agité. […] Toute cette foule, partagée en classes diverses, agit, vit et meurt d’une façon rectiligne, répète les mêmes actes et les mêmes paroles, fait les mêmes gestes et porte les mêmes mines du berceau au cercueil, sans que le poète se soucie de mettre au nombre de leurs composants un grain de la complexité, des contradictions et de l’instabilité que montrent tous les êtres vivants. […] Il n’est pas en somme, dans toute l’œuvre du poète, des sujets aux péripéties, de la psychologie à la philosophie, une pensée qui ne soit prise à la foule ou aux livres, qui ne doive être tenue pour inadéquate ou mal conçue. […] Hugo est en communion avec la foule, parce qu’il en épouse les idées et en redit, en termes magnifiques, les aspirations.

294. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 157-158

Bertin sur la Musique des Chinois :« Cet Ouvrage, l’un des meilleurs & des plus solides, à mon avis, qu’on puisse faire en ce genre, m’a éclairé sur une foule d’objets, même Chinois, que je ne faisois qu’entrevoir à travers les plus épais nuages.

295. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — III » pp. 178-197

qu’il est doux, disait-il quelque part, dans la retraite (d’un soir d’hiver), à travers le trou de sa serrure, de guetter le monde tel qu’il est fait, de voir tout le remuement de cette Babel et de ne point sentir la foule. » Mais il avait trop de sensibilité, de patriotisme, de mouvements humains et chrétiens pour en restera cet état de spectateur amusé, et il s’échappait à tout instant en élancements et en effusions douloureuses qui peuvent sembler aujourd’hui toucher à la déclamation, mais qui, à les bien prendre et à les saisir dans leur jet, étaient surtout des à-propos éloquents. […] De nouveau je ressens la calmante influence des mélodies qu’apporte la brise, et je m’oublie en douces rêveries tandis que je foule le sentier encore verdissant sous les chênes et les ormes dont les branches étendues font voûte au-dessus de la clairière. […] Il n’est pas rare que les livres soient un talisman et comme un grimoire magique à l’aide desquels d’habiles esprits, subtils enchanteurs, tiennent asservie une foule sans pensée.

296. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. (Les Pleurs, poésies nouvelles. — Une Raillerie de l’Amour, roman.) » pp. 91-114

La portion la plus ardente et la plus ferme de cette pensée dramatique ne se préoccupait même pas d’une initiation graduelle et indirecte de la foule à l’œuvre moderne, moyennant d’habiles reproductions d’œuvres antérieures ; elle était pour une application immédiate et franche, pour une mêlée décisive, pour une descente et un assaut au cœur du siècle. […] Malgré les diversions inévitables, les sourires donnés à la foule et reçus, le monde devint comme une plage solitaire de Leucate à cette Sapho désespérée ; et sa plainte éternellement déchirante répète à travers tout : Malheur à moil je ne sais plus lui plaire, Je ne suis plus le charme de ses yeux ; Ma voix n’a plus l’accent qui vient des cieux, Pour attendrir sa jalouse colère ; Il ne vient plus, saisi d’un vague effroi, Me demander des serments ou des larmes Il veille en paix, il s’endort sans alarmes, Malheur à moi ! […] » Lamartine a merveilleusement exprimé comment, de tous ces fragments brisés d’une vie si douloureuse, il résultait une plus touchante harmonie ; ce tendre et bienfaisant consolateur, que nul désormais ne consolera38, a dit en s’adressant à Mme Valmore : Du poëte c’est le mystère : Le luthier qui crée une voix Jette son instrument à terre, Foule aux pieds, brise comme un verre L’œuvre chantante de ses doigts Puis d’une main que l’art inspire, Rajustant ces fragments meurtris, Réveille le son et l’admire, Et trouve une voix à sa lyre Plus sonore dans ses débris !

297. (1890) L’avenir de la science « XIII »

On pourrait citer une foule de recherches qui pour l’avenir se résoudront ainsi en quelques lignes, lesquelles supposeront des vies entières de patiente application. […] Une foule de données spéciales, apprises plus ou moins péniblement, tombent d’elles-mêmes de la mémoire ; il faut pourtant se garder de croire que pour cela elles soient perdues. […] Il est une foule d’autres cas où les questions les plus vitales pour l’esprit humain dépendent des plus menus détails philologiques.

298. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VIII. La question de gout ce qui reste en dehors de la science » pp. 84-103

Inimitiés politiques ou religieuses, routine ou légèreté de la foule, jalousies ou cabales de rivaux, timidité de l’écrivain ou fierté qui lui interdit certains moyens de parvenir, mille autres causes peuvent priver une œuvre de l’estime qui lui est due. […] D’ailleurs, se fût-on, par le plus grand des hasards, entendu sur les noms de ces grands juges de la littérature, il y a gros à parier qu’ils seraient eux-mêmes en désaccord sur une foule de points, et l’on serait replongé dans l’incertitude. […] Nous pouvons dire déjà que toute œuvre qui a réussi à atteindre un haut degré dans l’un ou l’autre de ces cinq ordres de beauté mérite par cela seul de ne pas rester confondue dans la foule.

299. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon. » pp. 270-292

Grand peintre d’histoire, Saint-Simon excelle à rendre les individus en pied, les groupes, les foules, à la fois le mouvement général et le détail particulier à l’infini : il a ce double effet et du détail et des ensembles. […] Saint-Simon arrive donc au milieu de toute cette foule en déshabillé, qui lui est la plus agréable des fêtes. […] Cela dit, et sa propre confession faite, il arrive délibérément à celle des autres, et il entame en toute conscience cette espèce de dissection universelle, cette ouverture impitoyable des âmes, qui le fait ressembler, au milieu de cette foule éparse, à un loup qui serait entré dans la bergerie, ou encore à un chien de meute qui serait à la curée.

300. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Deuxième série

Autrefois une armée de petits patrons ; maintenant un très petit nombre de patrons, chacun aidé d’une foule de petits employés ; la classe marchande a disparu. […] Le prêtre, le patricien sacerdotal antique ne communique pas son dieu à la foule, il le lui montre. Il n’adore pas son dieu avec la foule, il le lui fait adorer. […] Le culte de la Raison était le rêve d’un esprit élevé et pur, de « l’ingénu Chaumette », mais trop abstrait pour la foule. […] Mais ici encore les objections s’offrent en foule.

301. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, Les Feuilles d'automne, (1831) »

Celle-ci n’a pas la décision du temps pour se diriger dans ses choix ; c’est elle-même qui choisit, qui devine, qui improvise ; parmi les candidats en foule et le tumulte de la lice, elle doit nommer ses héros, ses poètes ; elle doit s’attacher à eux de préférence, les entourer de son amour et de ses conseils, leur jeter hardiment les mots de gloire et de génie dont les assistants se scandalisent, faire honte à la médiocrité qui les coudoie, crier place autour d’eux comme le héraut d’armes, marcher devant leur char comme l’écuyer : Nous tiendrons, pour lutter dans l’arène lyrique, Toi la lance, moi les coursiers. […] Heureux qui, l’ayant découverte et pressentie avant la foule, y sait demeurer intérieur et fidèle, la voit croître, s’épanouir et mûrir, jouit de son ombrage avec tous, admire ses inépuisables fruits, comme aux saisons où bien peu les recueillaient, et compte avec un orgueil toujours aimant les automnes et les printemps dont elle se couronne !

302. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Appendice sur La Fontaine »

Ce soin extrême n’a pas lieu de nous surprendre dans l’ami de Boileau et de Racine, quoique probablement il y regardât de moins près pour cette foule de vers galants et badins dont il semait négligemment sa correspondance. […] Ce Guillaume Colletet, singulièrement enclin, selon l’expression de Ménage, aux amours ancillaires, avait épousé, l’une après l’autre, trois de ses servantes, et en était, pour le moment, à sa troisième et dernière, appelée Claudine, dont la beauté, jointe à la réputation d’esprit que lui faisait son mari débonnaire, attirait chez elle une foule d’adorateurs.

303. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XV. De l’imagination des Anglais dans leurs poésies et leurs romans » pp. 307-323

La langue anglaise, quoiqu’elle ne soit pas aussi harmonieuse à l’oreille que les langues du Midi, a, par l’énergie de sa prononciation, de très grands avantages pour la poésie : tous les mots fortement accentués ont de l’effet sur l’âme, parce qu’ils semblent partir d’une impression vive ; la langue française exclut en poésie une foule de termes simples, qu’on doit trouver nobles en anglais par la manière dont ils sont articulés. […] Les mœurs anglaises fournissent à l’invention romanesque une foule de nuances délicates et de situations touchantes.

304. (1861) La Fontaine et ses fables « Première partie — Chapitre IV. L’écrivain (suite) »

C’est par cette réflexion supérieure que La Fontaine, comme Rabelais ou Voltaire, surpasse les purs Gaulois et sort de la foule des simples amuseurs. […] Le même homme persifle en gamin les petites gens qu’on foule, et dans le Paysan du Danube atteint le style d’un Démosthènes, pour invectiver contre les tyrans.

305. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XII. L’antinomie morale » pp. 253-269

Ibsen glorifie l’intelligence courageuse qui brise les vieux cadres des civilisations, qui foule aux pieds les préjugés surannés et qui dresse sur leurs ruines une vérité neuve et fraîche, destinée, il est vrai, elle aussi, à vieillir et à périr. […] La foule déteste naturellement les aristocrates et la morale grégaire résiste à la morale aristocratique.

306. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XI. Le royaume de Dieu conçu comme l’événement des pauvres. »

Elle offrit à une foule d’âmes contemplatives et douces le seul état qui leur convienne. […] L’amour du peuple, la pitié pour son impuissance, le sentiment du chef démocratique, qui sent vivre en lui l’esprit de la foule et se reconnaît pour son interprète naturel, éclatent à chaque instant dans ses actes et ses discours 518.

307. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre III, naissance du théâtre »

Déjà hiératique, encore populaire, un pied dans les Mystères, l’autre dans la nature, entrecoupé de lumières joyeuses et d’ombres profondes, riant et béant à la foule par une de ses faces, comme un mascaron de fontaine, se présentant de l’autre à ses initiés, le front plein de rêves, le doigt sur les lèvres. […] — « Divines branches », — chantait la foule, — « qui portez des figues et des pains friands !

308. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre troisième. De la sympathie et de la sociabilité dans la critique. »

Pourquoi le jugement de la foule, si grossier dans les œuvres d’art, a-t-il pourtant été bien des fois plus juste que les appréciations des critiques de profession ? Parce que la foule n’a pas de personnalité qui résiste à l’artiste.

309. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre VIII. Des romans. » pp. 244-264

Nous ne nommerons dans la foule que Madame d’Aulnoi, auteur d’Hypolite, Comte de Douglas ; Madame de Gomés dont les Journées amusantes & les Cent Nouvelles, sont encore lues, malgré l’uniformité des aventures & la monotonie du style ; Mdlle de Lussan qui nous a donné les Anecdotes de la Cour de Philippe Auguste, & d’autres Romans écrits avec plus de chaleur que de précision ; Madame de Tencin qui s’est faite une réputation par le Siége de Calais. […] Son imagination féconde invente une foule d’événemens qui ne s’accordent pas toujours avec la vrai-semblance.

310. (1811) Discours de réception à l’Académie française (7 novembre 1811)

Il composa pour elle une foule de petits ouvrages remplis de grâce et de fraîcheur. […] Les Romains, ayant imité les Grecs, n’ont point eu de théâtre national ; encore les ouvrages de Plaute et de Térence sont-ils d’excellents sujets d’étude pour les historiens ; on y retrouve une foule d’usages qu’eux seuls nous ont transmis, et rien ne nous fait mieux connaître la dissolution de la jeunesse de Rome, les séductions des courtisanes, l’effronterie des parasites, et enfin tous les éléments dont se composait la société sous les maîtres du monde.

311. (1760) Réflexions sur la poésie

Ceci ne regarde pas nos grands poètes vivants ; leur génie, leur succès, la voix publique les exceptent et les distinguent : mais pour la foule qui se traîne à leur suite, la carrière est devenue d’autant plus dangereuse, que la plupart des genres de poésie semblent successivement passer de mode. […] Mais les pensées sublimes sont rares, et ne peuvent être suppléées, ni par la magnificence des mots, cette magnificence si pauvre quand celle des choses n’y répond pas, ni par ce beau désordre qu’on n’a pu jusqu’ici bien définir, ni par des invocations triviales qui ne sont point exaucées, ni par un enthousiasme de commande qui semble annoncer une foule d’idées et qui n’en produit pas une seule.

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