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384. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIV. La littérature et la science » pp. 336-362

Voltaire y présente des mémoires sur le feu. […] Et plus d’un répète avec mélancolie, après Sully Prudhomme121 : Comment chanter, pendant qu’un obstiné chimiste Souffle le feu, penché sur son œuvre incertain, Et suit d’un œil fiévreux un atôme à la piste, De la cornue au four, du four au serpentin ? […] Les enfants prêtent la vie à tout ce qui les entoure ; ils se figurent comme des êtres bienfaisants ou malfaisants ces forces invisibles dont ils sentent les effets ; ils injurient le feu qui ne veut pas brûler ; ils se mettent en colère contre la porte qui s’obstine à ne pas s’ouvrir. […] J’aime mieux, je l’avoue, ce que nous fait entrevoir la science actuelle : les tumultueux bouillonnements de la vie à la surface de notre planète ; la formation lente du végétal et de l’animal dans la vase épaissie et solidifiée ; puis l’homme, ce nain intelligent, perdu d’abord au milieu de ces monstres dont les débris gigantesques nous épouvantent encore, l’homme errant, muet et sombre, parmi ces terribles compagnons, disparaissant dans l’épaisseur des prairies comme la fourmi qui chemine dans les hautes herbes d’aujourd’hui, rencontrant tout autour de lui une nature hostile, des forêts inextricables où le jour pénétrait à peine, des torrents grondants aux eaux fangeuses et au lit changeant, des marais énormes et grouillant de reptiles, séjour de la fièvre et de la mort, des montagnes abruptes cachant dans la nue leur tète neigeuse ou vomissant leurs entrailles en feu.

385. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XIII] »

» ——— L’auteur d’une Épître à M. de Châteaubriand, publiée en 1809, avait placé dans ses vers un tableau du siècle de Louis-le-Grand, où l’on reconnaîtra une imitation de ce passage : Comme on voit le soleil, disait-il, Comme on voit le soleil, ce monarque des mondes, À l’approche du soir s’incliner vers les ondes, Des forêts et des monts colorer le penchant, Et de ses feux encore embraser le couchant ; Tel Louis, atteignant la vieillesse glacée, Conservoit les débris de sa gloire passée, Et de la royauté déposant le fardeau, Grand par ses souvenirs, descendoit au tombeau. […] J’admire ses talents, j’en déteste l’usage ; Sa parole est un feu, mais un feu qui ravage, Dont les sombres lueurs brillent sur des débris. […] IV, chap. 5] Voici ce que Montesquieu écrivait en 1752 à l’abbé de Guasco : « Huart veut faire une nouvelle édition des Lettres Persanes ; mais il y a quelques Juvenilia que je voudrais auparavant retoucher. » Sous ce passage on trouve cette note de l’éditeur : « Il a dit à quelques amis que s’il avait eu à donner actuellement ces Lettres, il en aurait omis quelques-unes dans lesquelles le feu de la jeunesse l’avait transporté ; qu’obligé par son père de passer toute la journée sur le Code, il s’en trouvait le soir si excédé, que pour s’amuser il se mettait à composer une Lettre Persane, et que cela coulait de sa plume sans étude. » (Œuvres de Montesquieu, tom. 

386. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 105-106

On rapporte que ce Comédien s’étant un jour trouvé mal dans l’appartement du Roi, à cause de la chaleur extrême, occasionnée par un grand feu, le Monarque prit lui-même la peine d’ouvrir une fenêtre pour lui procurer de l’air.

387. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 6-7

Cet habile Critique lui reconnoissoit encore autant de génie pour réussir dans la Poésie sublime, que dans la Poésie simple : Tout Chantre ne peut pas, sur le ton d’un Orphée, Entonner en grands Vers la Discorde étouffée, Peindre Bellone en feu, tonnant de toutes parts, Et le Belge effrayé fuyant sur ses remparts.

388. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 78-80

Depuis la derniere édition de cet Ouvrage, l'Abbé de Reyrac semble s'être fait justice sur son peu de talent pour la versification : il a publié une Hymne au Soleil ; mais il l'a écrite en prose ; & si cette prose sur la source de la lumiere & du feu est dépourvue de verve & de chaleur, elle ne l'est point de clarté, de correction, ni d'images grandes & noblement exprimées.

389. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — II. (Fin.) » pp. 452-472

Considérée par cet aspect, son Histoire ressemble à une belle et longue retraite devant des nuées d’ennemis : il n’a pas l’impétuosité ni le feu, mais il a la tactique et l’ordre ; il campe, s’arrête et se déploie partout où il peut. […] Gibbon a ici le plus grand succès, on se l’arrache ; il se conduit fort bien, et sans avoir, je crois, autant d’esprit que feu M.  […] Deyverdun prend feu et lui répond (10 juin 1783) par l’aperçu d’une vie heureuse faite pour tenter ; il connaît bien son ami, il veut l’arracher à une condition politique qui n’est pas faite pour lui, et où sa nature véritable a dû nécessairement souffrir : « Rappelez-vous, mon cher ami, lui dit-il, que je vis avec peine votre entrée dans le Parlement, et je crois n’avoir été que trop bon prophète : je suis sûr que cette carrière vous a fait éprouver plus de privations que de jouissances, beaucoup plus de peines que de plaisirs.

390. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — III » pp. 178-197

Il n’est plus de chair qui palpite dans le cœur endurci de l’homme ; il ne sent plus rien pour l’homme : le lien naturel de la fraternité est tombé, comme le chanvre qui tombe brin à brin au toucher du feu. […] Ces jolis tableaux achevés, et qui trouveraient chez Delille plus d’un pendant bien spirituel aussi, quoique d’une exécution moins sûre, ne sont pas ce que j’aime le mieux chez Cowper, et je le préfère lorsque ayant achevé l’énumération de tout ce qui s’agite de nouvelles publiques et privées entassées pêle-mêle dans le sac du facteur, il ajoute : « Maintenant attisez le feu et fermez bien les volets ; laissez tomber les rideaux, roulez et approchez le sopha ; et tandis que l’urne bouillonnante et sifflante fait monter sa colonne de vapeur, et que les coupes qui réjouissent, mais n’enivrent pas, sont là préparées pour chacun, donnons ainsi la bienvenue et l’accueil au soir paisible qui descend. » Dans l’emploi de la soirée qu’il va suivre en ses plus menus détails et dont il fait luire chaque instant à nos yeux, il se souvient d’Horace : « Ô soirées et soupers dignes des dieux ! […] Cowper est le poète de la famille, quoiqu’il n’ait été ni époux, ni père ; il est le poète du chez soi, de l’intérieur régulier, pur, doucement animé, du bosquet qu’on voit au fond du jardin, ou du coin du feu.

391. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — II » pp. 316-336

Leur politique dut être de se fortifier dans les places de sûreté qu’ils avaient conservées, et d’en ravoir d’autres qu’ils avaient perdues ; en un mot, pour se faire respecter, ils durent se rendre plus à craindre que jamais : Je sais, disait Rohan à l’assemblée de Saumur (1611), qu’on nous opposera que nous demandons plus que nous ne possédions du temps du feu roi ; que nous devons, pour entretenir la paix en l’enfance de ce règne, nous contenter de pareil traitement. […] Il met le feu dans le royaume, tandis que le roi est employé en la défense de ses alliés, ainsi qu’Érostrate embrasa le temple de Diane, tandis qu’elle était attentive à promouvoir la naissance d’Alexandre… Ah ! […] Richelieu et son ardeur en cette périlleuse entreprise, l’affection qu’il met aux choses et qui le consume, éclatent en mille traits de feu dans son récit : Cependant, dit-il en un endroit, tandis que le cardinal employait tout l’esprit que Dieu lui avait donné à faire réussir le siège de La Rochelle à la gloire divine et au bien de l’État, et y travaillait plus que les forces de corps que Dieu lui avait départies ne lui semblaient permettre, on eût dit que la mer et les vents, amis des Anglais et des îles, s’efforçaient à l’encontre et s’opposaient à ses desseins… Prendre La Rochelle avant toute chose, promptement et sans rémission cette fois, c’est là son idée fixe ; c’est, selon lui, le premier remède à tout, et il y faut employer tous les moyens, toutes les inventions imaginables sans en omettre aucune ; car « de la prise de La Rochelle dépend le salut de l’État, le repos de la France, le bonheur et l’autorité du roi pour jamais. » Y aura-t-il un État dans l’État, un allié naturel et permanent de l’étranger parmi nous, un port et une porte ouverte aux flancs du royaume ?

392. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — II » pp. 375-394

Il semble qu’on ait tout dit à l’honneur des lettres et pour célébrer la douceur dont elles sont dans les différentes circonstances et aux différents âges de la vie ; il y a longtemps qu’on ne fait plus que paraphraser le passage si connu de Cicéron plaidant pour le poète Archias : « Haec studia adolescentiam alunt, senectutem oblectant… », Frédéric nous offre une variante piquante à cet éloge universel des lettres et de l’étude ; il va jusqu’à prétendre, sans trop de raffinement et d’invraisemblance, que toutes les passions (une fois qu’elles ont jeté leur premier feu) trouvent leur compte dans l’étude et peuvent, en s’y détournant, se donner le change par les livres : Les lettres, écrit-il au prince Henri (31 octobre 1767), sont sans doute la plus douce consolation des esprits raisonnables, car elles rassemblent toutes les passions et les contentent innocemment : — un avare, au lieu de remplir un sac d’argent, remplit sa mémoire de tous les faits qu’il peut entasser ; — un ambitieux fait des conquêtes sur l’erreur, et s’applaudit de dominer par son raisonnement sur les autres ; — un voluptueux trouve dans divers ouvrages de poésie de quoi charmer ses sens et lui inspirer une douce mélancolie ; — un homme haineux et vindicatif se nourrit des injures que les savants se disent dans leurs ouvrages polémiques ; — le paresseux lit des romans et des comédies qui l’amusent sans le fatiguer ; — le politique parcourt les livres d’histoire, où il trouve des hommes de tous les temps aussi fousaf, aussi vains et aussi trompés dans leurs misérables conjectures que les hommes d’à présent : — ainsi, mon cher frère, le goût de la lecture une fois enraciné, chacun y trouve son compte ; mais les plus sages sont ceux qui lisent pour se corriger de leurs défauts, que les moralistes, les philosophes et les historiens leur présentent comme dans un miroir. […] Je me complaisais dans les espérances qu’il me donnait ; il avait la sagesse d’un homme formé, avec le feu de son âge ; il avait le cœur noble et plein d’émulation, se poussant à tout de lui-même, apprenant ce qu’il ne savait pas avec passion. […] Le prince Henri avait plus de confiance dans les méthodes : Frédéric comptait avant tout sur l’étincelle et le feu sacré.

393. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — II — Vauvenargues et le marquis de Mirabeau » pp. 17-37

Mirabeau est dès l’abord plus ouvert, disant tout, contant ses idées comme ses amours, cœur chaud et brusque, tête ardente, féconde, incohérente, — un brûlot, comme il dit, un vrai volcan : il jette feu et flammes, parfois de beaux jets, souvent de la fumée, des scories, de la cendre et des cailloux. […] Il lui laisse le trait dans le cœur. — Et encore dans une lettre de ce même temps (14 juin 1739) : S’il est permis de se citer, j’ai, je crois, plus de feu, d’imagination, de santé que vous ; mais vous avez plus d’esprit et de suite ; cependant, si vous ne m’en imposez, il s’en faut de beaucoup que vous tiriez le même parti du temps. […] Il lui rend, comme on dit, la monnaie de sa pièce, et le réfute gaiement par une série et comme un feu roulant de questions ad hominem : Je reçois, mon cher Vauvenargues, votre lettre du 22 du mois passé (septembre 1739) ; permettez à mon amitié de vous dire ce que je vous crois nécessaire : Que faites-vous à Verdun ?

394. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Vie de Maupertuis, par La Beaumelle. Ouvrage posthume » pp. 86-106

Il les mit au feu, etc. » Frédéric n’avait rien lu et n’a rien dit de ces choses. — D’autres fois, et perpétuellement, ce sont de simples gentillesses et des ragoûts de style par où La Beaumelle relève la matière. […] J’ai mis les fers au feu pour placer Pérard ici à Berlin. […] J’ai mis les fers au feu pour placer Pérard à Berlin.

395. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Merlin de Thionville et la Chartreuse du Val-Saint-Pierre. »

Au fond, si l’on est sincère, qui peut répondre de son courage physique, s’il n’a essuyé le feu des balles ? […] Nommé député à l’Assemblée législative, Merlin y arriva dans tout le feu et toute l’exaltation de cette seconde génération révolutionnaire, de celle qui sautait à pieds joints par-dessus la royauté constitutionnelle pour atteindre du premier bond à la République. […] Les Allemands sous Mayence l’avaient surnommé le Diable de feu.

396. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Mémoires de l’abbé Legendre, chanoine de Notre-Dame secrétaire de M. de Harlay, archevêque de Paris. (suite et fin). »

Voici, par exemple, l’idée d’une Pyramide qu’on proposait d’élever au prélat dans la cour même de l’archevêché, avec une inscription dont je ne donne que les lignes principales : À l’unique et l’incomparable seigneur Messire François de Champvallon, archevêque de Paris, duc de Saint-Cloud ; Proviseur des collèges de La Marche et de Sorbonne ; Fondateur du Saint-Bourbier47 ; Visiteur de l’île Notre-Dame48 ; Damoiseau de Conflans49 ; Toujours jeune, toujours souriant, de qui l’on voit le mérite dès qu’on arrive dans son antichambre ; si patient qu’au milieu de cette ville on l’a volé, sans qu’il s’en soit plaint50 ; si vigilant qu’à deux heures après minuit on l’a trouvé dans les rues ; si obligeant qu’il accorde toutes les dispenses qu’on veut ; Le Tout-Puissant ; L’Infaillible ; de qui l’on n’appelle point ; qu’on ne peut déposer ; Grand maître des lettres de cachet ; Arrondisseur de la Couronne ; Intrépide amplificateur de la Régale ; Président perpétuel des Assemblées Du Clergé ; Souverain dominateur de L’Église gallicane ; plus aimable que M. de Pierrepont ; Plus diligent que feu M. le Maréchal De La Meilleraye51 ; dont la sacrée pantoufle est à Andelys, et le cordon d’or à Pontoise52 ; que sa dignité a fait recevoir dans L’Académie ; qui parle comme il écrit et qui écrit Comme il parle ; prélat des plus qualifiés ; prélat Harlay-Quint. […] Il parlait avec tant de grâce, tant de feu, tant de majesté, souvent une heure durant, il s’énonçait en si beaux termes, tantôt latins, tantôt français, et disait de si belles choses, si curieuses, si recherchées, que les gens qui n’étaient venus qu’à dessein de le critiquer (ils étaient sans doute en grand nombre) ne pouvaient s’empêcher d’admirer son érudition et de se récrier comme les autres sur sa mémoire. […] L’on ne parle point encore du successeur… Il s’agit maintenant de trouver quelqu’un qui se charge de l’oraison funèbre du mort ; on prétend qu’il n’y a que deux petites bagatelles qui rendent cet ouvrage difficile, c’est la vie et la mort. » Et un mois après (15 septembre) « Encore faut-il bien vous apprendre, mon amie, que c’est le Père Gaillard qui ne doit point faire l’oraison funèbre de feu M. l’archevêque.

397. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée par. M. le Chevalier Alfred d’Arneth »

Par exemple, n’est-il pas honteux qu’un fils de France signe par-devant notaire un acte par lequel il achète de Mme de Langeac, maîtresse de M. de La Vrillière, une forêt que ce ministre avait attrapée au feu roi par Mme du Barry ? […] On convient bien que le feu roi a laissé les choses en très-mauvais état, mais les esprits sont divisés, et il sera impossible de contenter tout le monde dans un pays où la vivacité voudrait que tout fût fait dans un moment (30 juillet 1774.) » Bien vite, en effet, les nuages reviennent et les difficultés se prononcent. […] Ce reproche paraît s’adresser surtout à Mesdames, filles de Louis XV, et il est même un peu réversible, en remontant dans le passé, sur la feue reine, épouse de Louis XV, Marie Leczinska.

398. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [III] »

Vous sentez que je suis affecté plus vivement que jamais du malheur d’être enterré chez cet implacable prince de Neuchâtel, qui a juré d’étouffer en moi ce que l’Empereur nomme le feu sacré… » Le feu sacré ! il y a plus d’une manière de l’entendre ; mais ici, au sens de Jomini, le feu sacré, c’est la science et l’amour du bel art : montrer ce qu’on peut et ce qu’on vaut par une application des principes de la grande guerre.

399. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIe entretien. Sur la poésie »

IX Mais vous approchez des Alpes, les neiges violettes de leurs cimes dentelées se découpent le soir sur le firmament profond comme une mer, l’étoile s’y laisse entrevoir au crépuscule comme une voile émergeant sur l’Océan de l’espace infini ; les ombres glissent de pente en pente sur les flancs des rochers noircis de sapins, des chaumières isolées et suspendues à des promontoires, comme des nids d’aigles, fument du feu du soir, et leur fumée bleue se fond en spirales légères dans l’éther ; le lac limpide, dont l’ombre ternit déjà la moitié, réfléchit dans l’autre moitié les neiges renversées et le soleil couchant dans son miroir ; quelques voiles glissent sur sa surface, chargées de branchages coupés de châtaigniers, dont les feuilles trempent pour la dernière fois dans l’onde ; on n’entend que les coups cadencés des rames qui rapprochent le batelier du petit cap où sa femme et ses enfants l’attendent au seuil de sa maison, ses filets y sèchent sur la grève, un air de flûte, un mugissement de génisse dans les prés interrompent par moment le silence de la vallée ; le crépuscule s’éteint, la barque touche au rivage, les foyers brûlent çà et là à travers les vitraux des chaumières, on n’entend plus que le clapotement alternatif des flots endormis du lac, et de temps en temps le retentissement sourd d’une avalanche de neige dont la fumée blanche rejaillit au-dessus des sapins ; des milliers d’étoiles, maintenant visibles, flottent comme des fleurs aquatiques de nénuphars bleus sur les lames, le firmament semble ouvrir tous ses yeux pour admirer ce coin de terre, l’âme la quitte, elle se sent à la hauteur et à la proportion de s’approcher de son Créateur presque visible dans cette transparence du firmament nocturne, elle pense à ceux qu’elle a connus, aimés, perdus ici-bas et qu’elle espère, avec la certitude de l’amour, rejoindre bientôt dans la vallée éternelle, elle s’émeut, elle s’attriste, elle se console, elle se réjouit, elle croit parce qu’elle voit, elle prie, elle adore, elle se fond comme la fumée bleue des chalets, comme la poussière de la cascade, comme le bruissement du sable sous le flot, comme la lueur de ces étoiles dans l’éther, avec la divinité du spectacle. […] Quand elle écume, au lever d’un jour d’été, sous la brise folle, et que le goëland, renversé comme un oiseau blessé, trempe une de ses ailes dans la poussière de cette écume, la mer rappelle les bouillonnements harmonieux de l’onde qui commence à frissonner sur le feu. — Émotion ! […] XII Si nous parcourions ainsi successivement tous les phénomènes du monde visible ou du monde social, nous trouverions partout des éléments sans nombre de poésie, cachés aux profanes dans toute la nature comme le feu dans le caillou.

400. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre IV »

Car il est l’enfant du siècle, dont le plus grand philosophe a donné du mariage cette définition redoutable : « Le mariage est une société de commerce instituée pour supporter en commun les frais de la vie. » De temps en temps, sa jeunesse matée se cabre, s’insurge, se remet à jeter la gourme et le feu ; mais la triste raison de sa mère le ramène bientôt dans l’étroite ornière. […] Augier et Foussier ont fait avec la haine généreuse du mai qu’ils flétrissent ; or la haine est un feu, et, comme le feu, elle purifie tout.

401. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Diderot. (Étude sur Diderot, par M. Bersot, 1851. — Œuvres choisies de Diderot, avec Notice, par M. Génin, 1847.) » pp. 293-313

L’ensemble du profil, ajoute le même Meister, se distinguait par un caractère de beauté mâle et sublime ; le contour de la paupière supérieure était plein de délicatesse ; l’expression habituelle de ses yeux, sensible et douce ; mais, lorsque sa tête commençait à s’échauffer, on les trouvait étincelants de feu. […] Naturellement porté à négliger les défauts et à prendre feu pour les qualités, je suis plus affecté, disait-il, des charmes de la vertu que de la difformité du vice : je me détourne doucement des méchants, et je vole au-devant des bons. […] Ce qu’il a dit si bien des esquisses peut s’appliquer à lui-même et à ses feuilles légères : Les esquisses ont communément un feu que le tableau n’a pas.

402. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Œuvres de Louis XIV. (6 vol. in-8º. — 1808.) » pp. 313-333

Un soir, en 1714, le vieux roi près de sa fin envoya le duc de Noailles prendre dans son cabinet des papiers écrits de sa main, qu’il voulait jeter au feu : « il en brûla d’abord plusieurs qui intéressaient la réputation de différentes personnes ; il allait brûler tout le reste, notes, mémoires, morceaux de sa composition sur la guerre ou la politique. […] Je ne dis pas que, dans sa conduite, il n’ait pas dérogé mainte fois à cette résolution première : il me suffit, pour le caractériser, qu’il se la soit proposée jusque dans le premier feu de son ambition. […] Ce discours nous livre à nu Louis XIV jeune, dans son premier appareil d’ambition : « Il me semble, dit-il, qu’on m’ôte de ma gloire quand on en peut avoir sans moi. » Ce mot de gloire revient à chaque instant dans sa bouche, et il finit lui-même par s’en apercevoir : « Mais il me siérait mal de parler plus longtemps de ma gloire devant ceux qui en sont témoins. » Dans cette exaltation et ce commencement d’apothéose où on le surprend, on le trouve pourtant meilleur et valant mieux que plus tard : il a quelques mots de sympathie pour les amis, pour les serviteurs qui s’exposent et se dévouent sous ses yeux : « Il n’y a point de roi, dit-il, pour peu qu’il ait le cœur bien fait, qui voie tant de braves gens faire litière de leur vie pour son service, et qui puisse demeurer les bras croisés. » C’est pourquoi il s’est décidé à sortir de la tranchée et à rester exposé au feu à découvert : dans une occasion surtout, dit-il, « où toutes les apparences sont que l’on verra quelque belle action, et où ma présence fait tout, j’ai cru que je devais faire voir en plein jour quelque chose de plus qu’une vaillance enterrée ».

403. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — I. » pp. 127-148

Dès le premier regard qu’il porta autour de lui sur ces congrégations plus ou moins émanées de Calvin, Franklin ne put en accepter les dogmes antinaturels et écrasants ; il fut esprit fort et déiste, et d’abord il le fut avec ce premier feu et ce besoin de prosélytisme qu’a aisément la jeunesse. […] Vieux, ayant passé une journée, à Auteuil, à dire des folies avec Mme Helvétius, à lui conter qu’il voulait l’épouser et qu’elle était bien dupe de vouloir être fidèle à feu son mari le philosophe Helvétius, Franklin écrit le lendemain matin de Passy, à sa voisine, une très jolie lettre, dans laquelle il suppose qu’il a été transporté en songe dans les champs Élysées ; il y a trouvé Helvétius en personne, qui s’y est remarié, et qui paraît très étonné que son ancienne compagne prétende lui être fidèle sur la terre. […] La vérité et la sincérité ont un certain lustre naturel distinctif qui ne peut jamais bien se contrefaire ; elles sont comme le feu et la flamme, qu’on ne saurait peindre.

404. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre I. Shakespeare — Sa vie »

Lagrange décrit ainsi le théâtre où la troupe de Molière jouait par ordre du sieur de Rataban, surintendant des bâtiments du roi : « … trois poutres, des charpentes pourries et étayées, et la moitié de la salle découverte et en ruine. » Ailleurs, en date du dimanche 15 mars 1671, il dit : « La troupe a résolu de faire un grand plafond qui règne par toute la salle, qui, jusqu’au dit jour 15, n’avait été couverte que d’une grande toile bleue suspendue avec des cordages. » Quant à l’éclairage et au chauffage de cette salle, particulièrement à l’occasion des frais extraordinaires qu’entraîna la Psyché, qui était de Molière et de Corneille, on lit ceci : « chandelles, trente livres ; concierge, à cause du feu, trois livres. » C’étaient là les salles que « le grand règne » mettait à la disposition de Molière. […] En 1587, il obtint de l’avancement ; dans la pièce intitulée : le Géant Agrapardo, roi de Nubie, pire que son frère feu Angulafer, Shakespeare fut chargé d’apporter son turban au géant. […] En 1597, pendant que ce même Philippe II disait au duc d’Albe : Vous mériteriez la hache, non parce que le duc d’Albe avait mis à feu et à sang les Pays-Bas, mais parce qu’il était rentré chez le roi sans se faire annoncer, il fit Cymbeline et Richard III.

405. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre I. »

Quant au titre principal : Aux lueurs des feux de veillée, il s’explique par les conditions dans lesquelles se racontent généralement ces récits. C’est le soir, aux lueurs vacillantes du feu près duquel les noirs attardent leurs veillées, sinon dans le flou laiteux d’une nuit lunaire, qu’on les entend narrer le plus volontiers. […] Le feu des guina.

406. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre v »

Sous le feu allemand, il se livre avec volupté à des examens de conscience dont ses lettres nous donnent le dessin. […] Dans le village de Taintrux, près de Saint-Dié, dans les Vosges, le 29 août 1914 (un samedi, le jour saint des juifs), l’ambulance du 14e corps prend feu sous le tir des Allemands, Les brancardiers emportent, au milieu des flammes et des éclatements, les cent cinquante blessés. […] Nous sommes aujourd’hui revenus en arrière pour longtemps de la ligne de feu où nous sommes depuis le 26 août, surtout depuis le 2 septembre.

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