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2161. (1897) Aspects pp. -215

Longtemps il agit autour de vous cet esprit ! […] Éternelle lâcheté des esprits indécis ! […] Taine y promena son esprit incisif et pointu. […] Mallarmé constitue-t-elle, dans l’esprit de M.  […] Golberg, esprit sagace, à Isaïe.

2162. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « PARNY. » pp. 423-470

Le créole de ces deux îles où notre élégie et notre idylle ont eu leur berceau, offre en effet des caractères d’esprit et de sensibilité très-reconnaissables. […] Quand son cœur fut épuisé, il ne trouva plus qu’elles dans son esprit… » Oui, il vient un âge où ce qui n’avait été à nos lèvres que le sourire aimable et flottant de la jeunesse se creuse sensiblement et devient une ride : oh ! […] Le discours de Parny, très-convenable, indique le pli définitif de son esprit, une fois la première fleur envolée : quelque chose de juste, de bien dit, mais d’un peu sec. […] Tout cela est d’un esprit peu étendu, trop peu élevé, d’un talent facile toujours et parfois encore gracieux. […] L’esprit qui pense et juge sainement, Qui parle peu, mais toujours clairement Et sans enflure, est l’esprit véritable.

2163. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — II. (Suite.) » pp. 463-478

Celui-ci, conseiller privé de la régence de Saverne, chef du conseil et secrétaire du cardinal (on lui donne alternativement tous ces titres), appliquait en effet ses connaissances précises à l’administration de ce petit État, en même temps qu’il charmait par son esprit l’intérieur du palais. […] Mais de bons esprits comme le sien ne subissent la contagion commune qu’un moment, et, une fois guéris, ils sont désormais à toute épreuve84. […] Ils montaient au Pic, et nous demandèrent si l’on voyait la plaine bien dégagée de vapeurs, car la curiosité seule les y conduisait, et ils venaient des montagnes du Béarn… Les Alpes ne m’ont point offert d’exemple d’une pareille curiosité : elle suppose cette inquiétude de l’esprit, ces besoins de l’imagination, cet amour des choses étonnantes, lointaines, fameuses, dont le bonheur paisible de l’habitant des Alpes ne fut jamais troublé, et dont le bonheur plus romanesque de l’habitant des Pyrénées se compose. […] Depuis Homère jusqu’à Milton, jusqu’au Tasse, jusqu’à Voltaire, je ne crois pas que le génie de l’épopée ait enfanté un poème qui ait paru dans un temps où l’on n’eût autre chose à faire que de le lire ; et beaucoup de difficultés doivent se réunir contre cette œuvre de l’esprit qui acquiert à son auteur la plus grande gloire dont l’homme soit susceptible. […] Tout ce que l’on peut donc conjecturer, aujourd’hui que la charlatanerie de Cagliostro n’est plus un problème pour personne, c’est que, tout pénétrant que fût l’esprit de M. 

2164. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Lettres d’Eugénie de Guérin, publiées par M. Trébutien. »

Le vieux tronc, avant de se dessécher, produisit entre ses racines deux fleurs, et ces deux fleurs fragiles, d’une saison à peine, moissonnées avant le temps, (ô triomphe de l’esprit !) […] Ces trois existences si diverses, successivement racontées et finement décrites, donnent beaucoup à penser et à réfléchir sur la forme que revêtent l’esprit et le cœur en trois pays et trois sociétés si dissemblables, sur les directions que parvient à se frayer la spontanéité humaine à travers des contraintes et des pressions si différentes. […] Nous disions cela dimanche avec un Monsieur rempli d’esprit et de bons sentiments dormants, mais qui s’avoue coupable de ne pas agir comme il pense… » Notons au passage ces bons sentiments dormants ! […] Ces expressions à la Wordsworth, — à l’Oberman et à la Chateaubriand, — qui ont en elles je ne sais quelle magie de sons et de syllabes en harmonie avec l’esprit des choses et avec la nature rendue, manquent généralement sous la plume d’Eugénie de Guérin. […] L’Esprit des Femmes de notre temps, par Camille Selden, auteur du roman de Daniel Vlady ; un vol. in-18, bibliothèque Charpentier.

2165. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La civilisation et la démocratie française. Deux conférences par M. Ch. Duveyrier »

Il a pénétré dans l’esprit et le cœur de ses auditeurs de tout ordre. […] Duveyrier se garde bien de la restreindre à la classe ouvrière proprement dite : il comprend trop bien pour cela l’esprit de la véritable démocratie, de celle qui tend à élever, non à restreindre. […] « Ce qui constitue la qualité d’être civilisé, ce ne sont pas les délicatesses du goût, les ornements de l’esprit, le train de vie que l’on mène ; ce sont les actes, c’est la conduite, c’est le caractère. […] Ceux qui n’ont pas connu Condorcet, qui ne l’ont étudié qu’en gros et qui ne le jugent que par son dernier livre et par sa mort, croient qu’il avait en lui cet esprit du sacrifice moderne, ce feu sacré qui se passait d’autel. […] Le point faible, toutefois, est que ce mobile de l’amour de l’humanité et de la civilisation n’est, en général, que fort secondaire et ne vient qu’en second ou en troisième lieu chez les meilleurs d’entre les plus éclairés esprits de nos jours ; il ne vient qu’après les soins de la famille, de la fortune personnelle, de la réputation, de la carrière à courir : c’est déjà quelque chose.

2166. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Préface » pp. 1-22

Un flux et un faisceau de sensations et d’impulsions3, qui, vus par une autre face, sont aussi un flux et un faisceau de vibrations nerveuses, voilà l’esprit. […]   Si maintenant, après l’esprit, nous considérons la nature, nous dépassons aussi, dès le premier pas, le point de vue de l’observation ordinaire. […] Ainsi les événements physiques ne sont qu’une forme rudimentaire des événements moraux, et nous arrivons à concevoir le corps sur le modèle de l’esprit. […] On les exploite toujours en Angleterre ; mais presque partout, notamment en France, les charlatans les ont mises en discrédit ; elles attendent encore que des expérimentateurs attitrés et doués de l’esprit critique veuillent bien les fouiller. […] Tout ce qui dans l’esprit dépasse « la sensation brute » se ramène à des images, c’est-à-dire à des répétitions spontanées de la sensation.

2167. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIX. Cause et loi essentielles des variations du gout littéraire » pp. 484-497

Or, si l’esprit régnant dans une époque cesse d’être prédominant dans l’époque suivante, la cause en est la nécessité de changement qui est imposée aux sociétés comme aux individus par la constitution même de l’homme et de l’univers. […] Si un genre d’esprit a dominé d’une façon exclusive durant trente ou trente-cinq ans, la conception du beau qui l’a détrôné et combattu a chance d’être en vogue pendant le même laps de temps. […] Au lendemain de la Révolution, Joseph de Maistre, de Bonald dressent dans toute son âpreté le dogme catholique, exaltent l’autorité paternelle et monarchique, vantent le moyen âge aux dépens de l’antiquité grecque et romaine : c’est le contrepied de l’esprit qui animait les philosophes du dix-huitième siècle. […] Mais, s’il est vrai qu’une alternance régulière ramène tour à tour le règne d’états d’esprit et de procédés contraires, du réalisme et de l’idéalisme, de la raison et de l’imagination, de l’analyse et de la synthèse, de l’optimisme et du pessimisme, etc., il semble que la littérature, revenue au pôle qui fut son point de départ après avoir atteint l’autre, devrait se retrouver dans la situation même où elle était quand commençait l’oscillation. […] De même l’esprit classique, après une poussée printanière d’une fécondité luxuriante, a eu sa maturité splendide, puis une lente et irrémédiable décadence.

2168. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Les romans de M. Edm. de Goncourt » pp. 158-183

Il peint, en la Tomkins, « des yeux gris qui avaient des lueurs d’acier, des clartés cruelles sous la transparence du teint » ; en Chérie, « l’animation, le montant, l’esprit parisien » ; « l’ébauche de mots colères crevant sur des lèvres muettes », pour les traits convulsés de la détenue Élisa. […] Et cette perpétuelle vision de mouvements physiques, ces physionomies changeantes, ces bras remuants, ces muscles frissonnants sous l’épiderme, toute cette vie qui s’agite dans les pages descriptives de M. de Goncourt, secoue et précipite les passions de ses personnages, accélère leurs conversations en ripostes serrées de près, fait voler leur esprit, emporte leurs actes, varie leurs humeurs. […] Le frisson même que lui causait le spectacle des choses, l’a fait employer des locutions de début, qui donnent comme un coup de pouce à la phrase, ces « et vraiment » ces « c’était ma foi », ces « ce sont, ce sont » qui marquent la légère griserie de son esprit au moment de rendre une nuance fugace, une sensation délicate. […] Ce penchant réagit sur le choix de ses documents humains, de ses sujets, de ses personnages ; ce souci de l’exactitude le pousse à donner des visions nettes de mouvements et de jolités ; l’habitude de l’observation, son ouverture d’esprit à tous les phénomènes de la vie, le garde de tomber dans la mièvrerie ou le pessimisme : la recherche d’émotions délicates le préserve habituellement de s’appliquer à l’étude des choses basses, des personnages laids ou nuls, limite sa vision des phénomènes psychologiques, l’éloigne de concevoir des caractères uns, individuels et constants, colore et énerve sa langue, atténue ses fabulations, rend ses livres excitants et fragmentaires. […] Enfin le possesseur de cette curieuse intelligence, il faut le figurer jeté dès sa jeunesse, avec son frère et son semblable, dans les remous de la vie parisienne, promenant l’aigu de son observation, la délicate nervosité de son humeur, dans le monde des petits journaux, des cafés littéraires, des ateliers, dans les grands salons de l’empire, habitant aujourd’hui une maison constellée de kakémonos et rosée de sanguines, le cerveau nourri par une immense et diverse lecture : à la fois érudit, artiste et voyageur, au fait de l’esprit des boulevards, de celui de Heine et de celui de Rivarol, instruit des très hautes spéculations de la science, l’on aura ainsi la vision peut-être exacte, en ses parties et son tout, de cet artiste divers, fuyant exquis, spirituel, poignant, solide  l’auteur des livres les plus excitants et les plus suggestifs de cette fin de siècle.

2169. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 13, qu’il est des sujets propres specialement pour la poësie, et d’autres specialement propres pour la peinture. Moïens de les reconnoître » pp. 81-107

C’est un chef-d’oeuvre du Poussin que de nous avoir fait reconnoître Agrippine dans son tableau de la mort de Germanicus avec autant d’esprit qu’il l’a fait. […] On conçoit sans peine que l’affliction de ce personnage doit surpasser celle des autres, puisque ce grand maître desesperant de la répresenter, s’est tiré d’affaire par un trait d’esprit. […] Il est quelquefois pour eux une belle personne qui plaît, mais qui parle une langue qu’ils n’entendent point : on s’ennuïe bientôt de la regarder, parce que la durée des plaisirs, où l’esprit ne prend point de part, est bien courte. […] Je n’ai point prêté d’esprit à Raphaël, et je doute même qu’il soit possible de pousser l’invention poëtique plus loin que ce grand peintre l’a fait dans les tableaux de son bon tems. […] Quelque esprit malin envoïe lui demander la liste de ses morts.

2170. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XIV. »

Là sans doute se réfléchit et se prolonge un rayon de la Grèce, mais avec ces nuances diverses qui laissent à l’esprit romain sa part de nouveauté native et sa teinte originale. […] Ce n’est pas à dire toutefois que ces mœurs âpres et laborieuses, cet esprit appliqué à l’art de la guerre, cette ambition de la patrie commune et de chaque citoyen n’aient eu leur enthousiasme et, partant, leur poésie. […] Enfin, tout en se mêlant surtout aux choses réelles, à la majesté du culte, aux devoirs de la piété domestique, l’art des Grecs introduisit à Rome ces œuvres de l’esprit qui faisaient partie des fêtes de la Grèce, la mythologie dramatique, et jusqu’à la mélopée du théâtre d’Athènes, mais bien déchues de leur poétique grandeur. […] Celui qui a son œuvre, à cette œuvre s’applique ; il s’y met tout entier ; il y délecte son esprit et son âme. […] C’est là notre fait : nous ne sommes maintenant ni à la moisson, ni au camp ; nous allons là ; de là, ici ; et là venus, l’esprit bat la campagne.

2171. (1900) La culture des idées

N’importe, j’ai eu tort de donner à croire aux méchants que le tour de mon esprit est le paradoxe. […] Au reste, je ne prétends pas dicter de jugements sur moi-même : un esprit de quelque hardiesse semblera toujours paradoxal aux esprits timorés. […] Les idées très simples ne sont à la portée que des esprits très compliqués. […] Comment, après cela, s’étonner de la lourde raillerie de tels moindres esprits ? […] Plus d’un esprit libre et logique de ce temps a relu dans Nietzsche telle de ses pensées.

2172. (1894) La vie et les livres. Première série pp. -348

Pas d’esprit, pas de rêve, pas de cœur. […] Pour l’esprit de M.  […] Il évoquait l’âme des morts et l’esprit des temps passés. […] Il a beaucoup d’esprit et pas assez de bonne humeur ni d’équité. […] Plusieurs esprits généreux, en dehors ou à côté de l’Église, s’emploient à cette tâche.

2173. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Baudelaire.] » pp. 528-529

C’était d’ailleurs un homme d’esprit, assez aimable à ses heures et très capable d’affection. […] Je me rappelle dans quelle situation douloureuse d’esprit et d’âme j’ai fait Joseph Delorme, et je suis encore étonné, quand il m’arrive (ce qui m’arrive rarement) de rouvrir ce petit volume, de ce que j’ai osé y dire, y exprimer. […] Vous accordez trop à l’esprit, à la combinaison.

2174. (1875) Premiers lundis. Tome III « De l’audience accordée à M. Victor Hugo »

Si, en cette circonstance, le poëte a bien compris son rôle, comme nous pensons qu’il l’a fait, il a dû, dès les premiers mots, et profitant de la faveur d’un auguste accueil, amener la question de ce qu’elle pouvait avoir de trop personnel à des termes plus généraux, plus raisonnés, et dans lesquels il se sentait plus à l’aise pour en appeler à l’esprit éclairé et bienveillant de son royal interlocuteur. […] Et d’ailleurs, si le poète avait rappelé au roi qu’en l’état actuel des esprits, une pièce de théâtre, composée avec conscience et venue d’un certain côté littéraire, ne devait produire, par sa chute ou son succès, qu’un résultat bien étranger assurément à toute passion politique, le roi aurait bien pu, sans doute, à demi-voix et avec un sourire, prononcer ce terrible mot de romantisme ; mais il eût été facile de démontrer à sa bienveillante attention, que ces débats sont au fond bien moins frivoles, même sous le rapport politique, qu’on ne pourrait le penser. Las des querelles de parti, presque saturés des discussions parlementaires, bien des esprits, jeunes, ardents et généreux, sans déserter leurs devoirs comme citoyens et sujets, ressentent un vif besoin de ces distractions nobles et légitimes, qui se sont liées de tout temps à la gloire de la France et à la splendeur du trône.

2175. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XVI » pp. 188-192

Dans le commencement de cette période, l’esprit, les mœurs, le langage de la cour et des gens du monde de la capitale, sont plus que jamais en opposition avec les mœurs, l’esprit et le langage de la coterie dite des Précieuses. […] Monsieur était un prince efféminé, de petit esprit, de petite stature, d’une galanterie fade et misérable ; madame de Fienne lui disait : Vous ne déshonorez pas les femmes qui vous hantent, ce sont elles qui vous déshonorent.

2176. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 139-145

Les esprits désintéressés & connoisseurs l’ont déjà placé dans le très-petit nombre de nos Ecrivains qui ont un caractere à eux, & dont il est aisé de distinguer, au premier coup-d’œil, la maniere. […] Cet Auteur seroit-il moins estimable, en se montrant plus attentif à rejeter l’esprit de systême, qui lui fait envisager les choses du côté le plus singulier ; à éviter de certaines discussions, propres à faire briller l’éloquence, à la vérité, mais rarement d’accord avec l’exactitude & la solidité du jugement ; à interdire à son imagination quelques essors un peu trop libres ; & à retrancher de sa maniere d’écrire, des expressions, qui, pour être pittoresques & supposer la facilité la plus heureuse, n’en sont pas toujours, pour cela, conformes à la dignité du style & à la sévérité du goût ? […] Les Esprits les plus portés à l’indulgence ne sauroient lui pardonner les sarcasmes qu’il s’est permis contre les premiers dépositaires de l’autorité.

2177. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Préface »

Replacer les tragédies et les comédies grecques dans le milieu qui les a produites, éclaircir et élargir leur étude en l’étendant sur monde antique, par les aperçus qui s’y rattachent et les rapprochements qu’elle suggère, soulever le masque de chaque dieu et de chaque personnage entrant sur la scène pour décrire sa physionomie religieuse ou son caractère légendaire ; commenter les quatre grands poètes d’Athènes, non point seulement par la lettre, mais par l’esprit de leurs œuvres et par le génie de leur temps ; tel est le plan que je me suis tracé et que j’ai tâché de remplir. […] En leur fendant leurs appellations primordiales, on les retrempe à leur source vive, et leurs images s’offrent à l’esprit intactes des affronts subis par leurs pseudonymes. […] Il m’a rapatrié dans le monde antique, il m’a ramené aux sources sacrées ; j’y ai puisé les plus pures joies qui puissent rafraîchir et ravir l’esprit. « Les Grecs » — a dit Goethe dans un mot célèbre — « ont fait le plus beau songe de la vie. » Ce songe, je l’ai refait avec eux ; et il me semble que je m’en réveille en écrivant les dernières lignes de ces pages pleines de leur gloire et de leur génie.

2178. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Furetière »

C’est ce roman— le Roman bourgeois — que deux hommes d’esprit et de littérature, Édouard Fournier et Charles Asselineau, ont arraché à la poussière et replacé sous les regards trop indifférents du public. […] C’est un critique que l’esprit du xvie  siècle anime. […] Asselineau a dépensé beaucoup d’esprit et de nuances pour justifier l’opinion qu’il exprime, mais il ne nous a point convaincu, et la meilleure réponse contre cette opinion qu’on s’étonne de trouver à côté d’une admiration si intelligente, c’est, pour les hommes doués d’un peu d’intuition littéraire, le livre même que le spirituel biographe a ressuscité.

2179. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — II. (Suite.) » pp. 155-174

On peut de la sorte atteindre avec certitude les principales formes d’un esprit ou d’un caractère, ce qui doit suffire ; à moins d’information toute particulière et imprévue, le reste est raffinement de curiosité et témérité. La fortune de Rosny fut lente et laborieuse comme celle de son maître : ses grands talents et son esprit qui s’annonçaient de bonne heure se compliquaient de certaines obscurités, de certaines humeurs et bizarreries auxquelles on aurait pu se méprendre. […] Il ne dira pas de bien soit des protestants zélés, plus attachés que lui à la cause des Églises et à l’esprit religionnaire, soit des catholiques devenus royalistes à leur corps défendant, soit du tiers parti et de ces hommes politiques qui « nagent tant qu’ils peuvent », dit-il, « entre deux eaux », Villeroi, Jeannin. […]  » les ordres qu’il envoie à l’instant, l’alerte donnée aux plus prochains quartiers, et sa présence d’esprit, son coup d’œil qu’il avait toujours le plus ferme et le plus judicieux, une fois en selle et l’épée au poing, sont rendus d’une manière vive et des plus françaises. […] Esprit actif, entreprenant, intelligent et courageux, il justifia toute la confiance de son maître.

2180. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — II. (Suite.) » pp. 434-453

Mais cette page que j’avais l’ambition d’écrire, elle est tracée déjà, et par un homme qui était maître lui-même dans cet ordre de vues, et qui avait l’esprit d’organisation en plus d’une sphère, par Cuvier. […] Roger, qui avait de l’esprit, de l’empressement, du tour, et des qualités qui durent plaire dans la jeunesse avant que l’activité et la passion politique les eussent privées de leur premier agrément, M.  […] Daru, alors engagé dans la campagne de Russie et à peine arrivé à Moscou, j’ai dans la tête de grands sujets de comédies, et si je pouvais vous devoir un peu de liberté d’esprit et de loisir, je les entreprendrais ; mais que voulez-vous ? […] … De tout cet effort pourtant et de ces regrets où nous voilà initiés, il devra rester dans l’esprit de chacun une idée de Picard, non moins agréable qu’auparavant, mais plus sérieuse et plus haute. […] Ce travail est ce qu’on pouvait attendre d’un esprit droit, ferme, solide, qui ne se paie point de prestiges brillants, de feux d’artifice, mais qui n’est point fermé non plus aux inspirations élevées et éloquentes, fussent-elles nouvelles et imprévues.

2181. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — II » pp. 159-177

Lorsque Cowper s’était senti mieux et plus fort d’esprit, il avait commencé une correspondance avec un petit nombre d’amis, et il la suivit sans interruption pendant plusieurs années ; c’est là surtout qu’on apprend à le connaître et à pénétrer dans les mystères de son esprit ou de sa sensibilité. […] Newton, il comparera l’état de son esprit en lui écrivant à une planche sous le rabot ; les premières pensées qui lui viennent, les pensées de dessus, ce sont les copeaux, etc. […] La composition et la publication de son premier recueil n’avaient fait que le mettre en train et en verve ; il sentait que ce n’était qu’en écrivant, et en écrivant des vers, qu’il pouvait échapper complètement à sa mélancolie : Il y a, disait-il vers ce temps, il y a dans la peine et le travail poétique un plaisir que le poète seul connaît : les tours et les détours, les expédients et les inventions de toute sorte auxquels a recours l’esprit, à la poursuite des termes les plus propres, mais qui se cachent et qui ne se laissent point prendre aisément ; — savoir arrêter les fugitives images qui remplissent le miroir de l’âme, les retenir, les serrer de près, et les forcer de se fixer jusqu’à ce que le crayon en ait tiré dans toutes leurs parties une ressemblance fidèle ; alors disposer ses tableaux avec un tel art que chacun soit vu dans son jour le plus propice, et qu’il brille presque autant par la place qui lui est faite, que par le travail et le talent qu’il nous a coûtés : ce sont là des occupations d’un esprit de poète, si chères, si ravissantes pour sa pensée, et de nature à le distraire si adroitement des sujets de tristesse, que, perdu dans ses propres rêveries, heureux homme ! […] Durant six livres ou chants, il parcourt une série de sujets ou de vues les plus variés, sans une composition précise, mais avec l’unité d’un même esprit et d’un même souffle. […] Aucun sopha alors ne m’attendait à mon retour, et je n’avais point besoin de sopha alors ; la jeunesse répare la dépense de ses esprits et de ses forces en un rien de temps ; par un long exercice elle n’amasse qu’une courte fatigue ; et quoique nos années, à mesure que la vie décline, s’enfuient bien rapidement et qu’il n’y en ait point une seule qui ne nous dérobe en s’en allant quelque grâce de jeunesse que l’âge aimerait à garder, une dent, une mèche brune ou blonde22, et qu’elle blanchisse ou raréfie les cheveux qu’elle nous laisse, toutefois le ressort élastique d’un pied infatigable qui monte légèrement le degré champêtre où qui franchit la clôture ; ce jeu des poumons, cette libre et pleine inhalation et respiration de l’air qui fait qu’un marcher rapide ou qu’une roide montée ne sont point une fatigue pour moi ; tous ces avantages, mes années ne les ont point encore dérobés ; elles n’ont point encore diminué mon goût pour les belles vues naturelles ; ces spectacles qui calmaient ou charmaient ma jeunesse, maintenant que je ne suis plus jeune, je les trouve toujours calmants et toujours ayant le pouvoir de me charmer.

2182. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Le journal de Casaubon » pp. 385-404

— Et plus tard à Paris, et ensuite à Cantorbéry ou à Londres, ne croyez pas que Casaubon puisse se livrer en paix et selon son cœur à ses études chéries ; non, ce qu’on demande de lui, ce que désirent les puissants du siècle, c’est autre chose : et qui donc, en aucun temps, excepté quelques esprits atteints d’une douce manie, va s’occuper uniquement des morts, des livres d’autrefois, des chastes et pures belles-lettres ? […] Casaubon, à la veille de cette séance et quand il en sut l’objet, était dans les transes, et il nous a laissé un tableau fidèle de ses fluctuations douloureuses : Mon esprit est en proie à une incroyable inquiétude, ne sachant que faire, ne voulant point offenser Dieu, ni, sans de graves raisons, paraître refuser obéissance au roi. […] La vue de cette Église bien ordonnée rendit un peu de repos à son esprit inquiet : surtout personne ne le tourmentait plus sur sa foi : il cessa d’être, comme il disait, sur le tranchant du rasoir. […] Toutes les prétentions et les éruditions de Jacques Ier ne sauraient me faire oublier un admirable mot de Henri IV, ce prince qui, pour être peu fort sur les livres, n’en paraît que plus grand de cœur et d’esprit. […] [NdA] Voici le passage que j’avais cru devoir supprimer d’abord, et qui complète la pensée : C’est déjà une grande recommandation dans mon esprit que le nom seul de ton ancienne Église, ô Christ Jésus !

2183. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet »

Peintre de l’armée française, peintre d’histoire d’une grande époque et de tous les généreux souvenirs qui s’y rattachaient, comme de tous les brillants faits d’armes qui en continuaient la tradition, il était de plus un homme d’esprit, un caractère aimable, une nature droite, honnête, loyale, vive et sensée. […] J’ai voulu parcourir au Cabinet des Estampes le volume qui renferme les témoignages, un peu rassemblés pêle-mêle, de ses premiers essais et de ses débuts : patriotisme, sentiment, sentimentalité, gaieté, esprit, tout s’y heurte et s’y succède. […] — Quelques illustrations des Fables de La Fontaine, pourtant, ont bien de l’esprit : l’Homme entre deux âges et ses deux Maîtresses ressemble déjà à du Gavarni. […] Horace trouve partout des sujets pour ses pinceaux, et il peint tour à tour une chasse, des chevaux, des batailles, des marines, des caricatures pleines d’esprit, d’effet et de vérité. […] Nous avons gardé du moine et du clerc, du lettré du Moyen-Age ou de la Renaissance, dans notre manière de juger et de classer les hommes, même ceux qui ne sont pas de purs esprits, et qui, par vocation, ont le plus affaire aux éléments du dehors.

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