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2330. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XII »

Ernest Charles prétend que mon premier livre « donne en peu de préceptes le moyen d’avoir du génie ou d’y suppléer avantageusement ». […] Il a obtenu un succès prodigieux, ce succès dure encore, il durera longtemps. » La prédiction est flatteuse, mais je continue à me demander comment le même livre peut être à la fois le meilleur, le plus pratique et avoir la prétention de donner du génie à tout le monde.‌ […] Pourquoi, mon ami, me donner un rôle qui ne m’est point naturel ?

2331. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XVII »

Albalat, dit le premier, donne de fort amusantes listes de clichés, mais sa critique est parfois sans mesure. […] Le catalogue d’expressions banales que j’ai donné était peut-être un peu trop exclusif ; mais il s’agissait d’affirmer un principe, et un principe considérable, qui doit dominer l’art d’écrire. […] Notre doctrine se résume donc à ceci : nous posons en principe qu’il faut éviter les clichés et le style banal ; nous donnons de ce genre de style des exemples aussi étendus que possible, et finalement nous condamnons, non pas remploi de ces expressions, mais leur emploi continu.

2332. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre I. De la sagesse philosophique que l’on a attribuée à Homère » pp. 252-257

Mars, en combattant Minerve, l’appelle κυνόμυια (musca canina) ; Minerve donne un coup de poing à Diane ; Achille et Agamemnon, le premier des héros et le roi des rois, se donnent l’épithète de chien, et se traitent comme le feraient à peine des valets de comédie. […] La constance d’âme que donne et assure l’étude de la sagesse philosophique pouvait-elle lui permettre de supposer tant de légèreté, tant de mobilité dans les dieux et les héros ; de montrer les uns, sur le moindre motif, passant du plus grand trouble à un calme subit ; les autres, dans l’accès de la plus violente colère, se rappelant un souvenir touchant, et fondant en larmes84 ; d’autres au contraire, navrés de douleur, oubliant tout-à-coup leurs maux, et s’abandonnant à la joie, à la première distraction agréable, comme le sage Ulysse au banquet d’Alcinoüs ; d’autres enfin, d’abord calmes et tranquilles, s’irritant d’une parole dite sans intention de leur déplaire, et s’emportant au point de menacer de la mort celui qui l’a prononcée.

2333. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Lamartine »

Il arrive même que, de très bonne foi, nous donnions successivement, du même événement de notre vie, des versions différentes. […] Deschanel ne craint point de donner dans ces doctes baguenauderies   oh ! […] Jocelyn cède : il est ordonné prêtre par l’évêque dans son cachot, afin de pouvoir à son tour lui donner les derniers sacrements et une mort sainte. […] En contraignant Jocelyn, il s’expose à donner à l’Église un prêtre douteux, et qui sera malheureux ou coupable. […] Il a donné à toute la poésie lyrique de ce siècle la secousse initiale, mais de haut.

2334. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Quelques « billets du matin. » »

Ne serait-il pas piquant, et de bonne guerre, de leur donner les vices qu’ils croient que nous avons ? […] L’autre soir, pendant plus de deux heures, il a souri et donné des poignées de main, sans bouger de place. […] Peut-être nous l’avez-vous donné déjà, mais épars, flottant, pas assez grossier, si je puis dire. […] « Enfin, on donne aujourd’hui trop de vacances. […] On leur a donné un gros baba et un petit gâteau sec.

2335. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre IV. Shakspeare. » pp. 164-280

Les sonnets sont un délire d’idées et d’images creusées avec un acharnement qui donne le vertige. […] Que celui de vous qui veut vivre vieux — me donne secours. […] Donne-moi ton épée. —  Un paysan qui s’attaque à nous ! […] Mon cerveau rempli de songes a voulu se les donner en spectacle, et les voici. […] La solitude lui a donné le repos, l’a délivré de la flatterie, l’a ramené à la nature.

2336. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Appendices » pp. 235-309

Che cosa è il Fuoco se non il Canzoniere della donna sfiorita ? […] Avant de nous donner l’opéra, la statue et le tableau, D’Annunzio aurait encore (n’en déplaise à M.  […] Sur ce point toutefois il semble donner tort à la théorie de M.  […] Inutile de faire des prophéties, de donner des conseils, de formuler des règles ; les combinaisons possibles sont trop nombreuses. […] J’en ai donné quelques exemples dans une étude sur le réalisme de Flaubert (Revue d’histoire littéraire de la France, 1911, p. 1 et s.).

2337. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier »

Il donna à l’enfant des leçons de mathématiques et d’histoire naturelle, mais l’élève ne mordit qu’à cette dernière. […] Adèle n’est pas une vraie femme de chambre, ce qu’il faudrait pour que la donnée eût toute sa hardiesse originale ; elle n’est qu’une demoiselle déclassée et méconnue. […] Je donnerais un long poème Pour un cri du cœur que j’entends. […] Il a poussé la complaisance et la longanimité du souvenir jusqu’à donner une édition des Aventures de d’Olban, avec notice, 1829, chez Techener. […] Je n’aime pas cette nuit du néant qui réclame une flamme ; c’est la rime qui a donné cela.

2338. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

Sully-Prudhomme va nous donner lui-même des exemples de la plus belle et aussi de la médiocre poésie philosophique, de celle qui est spontanée et de celle qui est un travail de mise en vers. […] Mais la subtilité peut être dissolvante ; raffiner à l’excès, c’est souvent délier le faisceau des sarments de la fable, c’est détruire dans leur germe les grands enthousiasmes, qui donnent seuls l’audace et l’élan des longs poèmes. […] Le vers ne peut donner sa forme et son rythme à la pensée que lorsque celle-ci vibre et chante. […] Quant à la définition scientifique, qui, elle, peut tenir tout entière dans les douze syllabes d’un alexandrin, elle est un véritable non-sens en poésie : à quoi bon donner une règle à ce qui est la règle même ? […] En même temps, ces vers donnent le sentiment de cette vaste irresponsabilité des êtres qui se retrouve dans leur cruauté même.

2339. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « MÉLEAGRE. » pp. 407-444

Le poëte dont je voudrais donner idée est un petit poëte, un poeta minor par excellence ; mais il en tête de la série, tellement quel si l’on peut dire que Théocrite demeure le dernier des grands poëtes grecs, Méléagre, en mérite comme en date, est le premier des petits : il mène avec lui tout un cortège. […] Le ton de Méléagre semble s’épurer pour la célébrer : « Les Muses aux doux accents avec la lyre, et la parole sensée avec la Persuasion, et l’Amour guidant en char la beauté, t’ont donné en partage, ô Zénophila, le sceptre des Désirs ; les trois Grâces t’ont donné leurs dons. » Et il explique de toutes les manières, il commente avec complaisance ce triple don, cette voix mélodieuse qui le pénètre, cette forme divine qui darde le désir, ce charme surtout qui l’arrête : beauté, muse et grâce. […] Et pour cadeau matinal je te donnerai de la ciboule toujours fraîche, et dans ta bouche bien fendue, de petites gouttes de rosée. » 130. […] Amour lui-même t’a lié les ailes et t’a mise sur le feu, tandis qu’expirante il t’arrosait de parfums et qu’il te donnait à boire des larmes chaudes dans ta soif ardente. […] Et, si l’on ne donnait les preuves textuelles, en croirait-on la Grèce capable à cet âge de pureté encore et de parfaite conservation ?

2340. (1875) Premiers lundis. Tome III « Les poètes français »

Combien de fois en France la plus grande poésie, à une époque donnée, a-t-elle ainsi passé avec armes et bagages, et à la rime près, du côté de la prose ! […] il mérite tous les éloges qu’on est accoutumé à lui donner depuis l’abbé Sallier, — moins celui de l’originalité. […] Il l’est, poète, dans la conversation, par le jet pétillant de l’esprit, par l’étincelle perpétuelle, par le tour vif et charmant qu’il donne à toute chose. […] Rien ne montre mieux à quel point le mouvement poétique du xixe  siècle a été général, spontané, fécond ; toutes natures, aussitôt averties, ont donné ce qui était en elles. […] L’amour de la poésie et de tout ce qui a la flamme, la haine du prosaïsme et de tout ce qui est commun, ont paru le meilleur des liens et donner au livre une suffisante unité.

2341. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre I. Succès de cette philosophie en France. — Insuccès de la même philosophie en Angleterre. »

Condillac écrit le Traité des sensations d’après les idées de Mlle Ferrand, et donne aux jeunes filles des conseils sur la manière de lire sa Logique. […] Il n’est pas un simple érudit, plongé dans ses in-folio à la façon allemande, un métaphysicien enseveli dans ses méditations, ayant pour auditoire des élèves qui prennent des notes, et pour lecteurs des hommes d’étude qui consentent à se donner de la peine, un Kant qui se fait une langue à part, attend que le public l’apprenne, et ne sort de la chambre où il travaille que pour aller dans la salle où il fait ses cours. […] Il semble qu’il parle toujours devant un petit cercle choisi de gens très fins et de façon à leur donner à chaque instant l’occasion de sentir leur finesse. […] Ce coup de sonde, Rousseau l’a donné juste et à fond, par rencontre et par génie. […] « Il fallait un calculateur pour remplir la place, ce fut un danseur qui l’obtint. — C’est un grand abus que de vendre les charges. — Oui, on ferait bien mieux de les donner pour rien. — Il n’y a que les petits hommes qui craignent les petits écrits. — Le hasard fit les distances, l’esprit seul peut tout changer. — Courtisan, on dit que c’est un métier bien difficile.

2342. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VIII, les Perses d’Eschyle. »

Ne pouvant donner à sa tragédie le recul du temps, il lui donna l’éloignement du lieu ; il la transporta de Grèce en Asie, et retourna la victoire en la faisant apparaître sous la face du désastre au peuple vaincu. […] Ce sombre Éden des voluptés du maître séquestre ses Èves, il ne donne sur aucune vue du dehors. […] « En effet, quand un dieu eut donné la victoire aux Grecs, le même jour, tout couverts d’airain, ils sautent de leurs vaisseaux, cernent l’île entière : plus d’issue pour fuir. […] Il s’arrêta sur la parole d’un oracle qui l’avertit qu’il travaillait pour un conquérant. — Les Cnidiens, menacés dans leur presqu’île par le satrape Harpage, voulurent couper l’isthme qui lui donnait accès par la terre ferme. […] Ce réveil de la langue du peuple déchaînée par la défaite, qu’il déplorait tout à l’heure, c’est lui qui en donne le premier signal.

2343. (1856) Cours familier de littérature. I « Digression » pp. 98-160

Madame de Staël et M. de Chateaubriand leur donnaient le diapason, l’un de la liberté aristocratique, l’autre de l’enthousiasme dynastique. […] Cet air des salons donne à la poésie des finesses au lieu de grandeur. […] De temps en temps elle avait des retours de nature contre le pli trop artificiel que la société donnait à son talent. […] … Je donnerais ma vie et mes trente ans de gloire Pour arracher ce jour aux pages de l’histoire ! […] La nation n’eut pas la patience qui fonde et qui laisse s’user les difficultés ; elle ne donna pas le temps aux choses qui ne s’enracinent que par un peu de temps.

2344. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE BALZAC (La Recherche de l’Absolu.) » pp. 327-357

Au reste, malgré les trente ouvrages promis et donnés par l’auteur du Vicaire, aucune œuvre suivie n’entrait alors dans sa pensée ; il écrivait au hasard, à foison, sans but ni souci littéraire. […] Dans la Grenadière, le jeune Louis ne se contente pas des assurances de bonne santé que lui donne sa mère, il en étudie le visage, etc. […] Plus il sent le prix du bonheur, moins il croit que sa maîtresse puisse le lui facilement accorder ; d’ailleurs, peut-être se livre-t-il trop entièrement à son plaisir, et craint-il de n’en point donner. […] Nul doute que, si M. de Balzac avait connu ce petit écrit, il n’eût donné à son livre le cachet de réalité qui y manque, et ne se fût garanti de beaucoup d’à peu près qui sont faux. […] On raconte à ce sujet une historiette assez piquante dont on prête le récit à M. de Latouche : je la donne ici sans la garantir, et uniquement à titre d’apologue.

2345. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. VINET. » pp. 1-32

Et cependant ce pays a produit des esprits qui, à un certain tour d’idées particulier, ont uni une certaine manière ]d’expression, et qui offrent un mélange, à eux, de fermeté, de finesse et de prudence, un mérite solide et fin, un peu en dedans, peu tourné à l’éclat, bien qu’avec du trait, et dont Mme Necker, dans les manuscrits qu’on a publiés d’elle, ne donnerait qu’un échantillon insuffisant. […] Vinet, qui participait de tout son cœur à la revivification de la doctrine évangélique, mais qui ne donnait dans aucun excès, joua un bien beau rôle en cette querelle. […] C’est dans les classiques qu’il faut aller la cueillir, la respirer, s’en pénétrer ; c’est là qu’on la trouvera vivante ; mais il ne suffit pas, je le répète, d’une promenade inattentive à travers ces beautés. » J’ai voulu, en citant cette belle page, donner idée encore moins de la méthode que du succès. […] Nisard a également traité dans un fort bon morceau, où pourtant il s’est attaché plutôt à quelques principales figures, et où il s’est donné plus de carrière. […] Vinet, nommé depuis professeur d’éloquence de la chaire dans l’académie de Lausanne, a quitté l’université de Bâle, et sa patrie l’a reconquis. — Ayant donné sa démission après les événements de février 1845, il a été renommé presque aussitôt par l’académie de Lausanne, mais cette fois comme professeur de littérature française.

2346. (1875) Premiers lundis. Tome III «  À propos, des. Bibliothèques populaires  »

De considérations en considérations, et revenant sur le passé, il reprocha au Gouvernement de n’avoir pas toujours donné le bon exemple, — de ne point le donner notamment en ce qui est des travaux publics, pour lesquels on n’observe pas les jours de repos, dimanches et fêtes. Il continua en ces termes (et ici je ne fais que donner l’extrait même du Moniteur)  : « Le bon exemple ne serait peut-être pas suivi, hélas ! […] M. le rapporteur, après quelques considérations générales sur l’instruction des classes laborieuses et sur l’institution des bibliothèques populaires, disait : « Au lieu de vous donner un exposé des faits, nous abrégerons en vous lisant la pétition : elle est courte et rédigée en termes si modérés et si convenables que vous aurez désiré la connaître. » Or, cette pétition, dont il donna lecture, contenait une liste d’auteurs et d’ouvrages forts mélangés, tous également présentés comme répréhensibles. […] L’intention vaut le fait et me donne les mêmes droits. […] Dans cette crise, il n’y a qu’une chose à faire pour ne point languir et croupir en décadence : passer vite et marcher ferme vers un ordre d’idées raisonnables, probables, enchaînées, qui donne des convictions, au défaut de croyances, et qui, tout en laissant aux restes de croyances environnantes toute liberté et sécurité, prépare chez tous les esprits neufs et robustes un point d’appui pour l’avenir.

2347. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre I »

Dans chaque ville, on oblige chaque bourgeois à nourrir un ou deux pauvres et à lui donner quatorze livres de pain par semaine. […] La Halle, mercredi, étant presque révoltée, le pain y manqua dès sept heures du matin… On avait retranché les vivres aux pauvres gens qui sont à Bicêtre, au point que, de trois quarterons de mauvais pain, on n’a plus voulu leur donner que demi-livre. […] Faibles produits : « Nos terres communes, dit un bon observateur, donnent environ, à prendre l’une dans l’autre, six fois la semence637. » En 1778, dans la riche contrée qui environne Toulouse, le blé ne rend que cinq pour un ; aujourd’hui, c’est huit, et davantage. […] Une femme avec deux enfants au maillot, « sans lait, sans un pouce de terre », à qui l’on a tué ainsi deux chèvres, son unique ressource, une autre à qui l’on a tué sa chèvre unique et qui est à l’aumône avec son fils, viennent pleurer à la porte du château ; l’une reçoit douze livres, l’autre est admise comme servante, et désormais « ce village donne de grands coups de chapeau, avec une physionomie bien riante »  En effet, ils ne sont pas habitués aux bienfaits ; pâtir et le lot de tout ce pauvre monde. « Ils croient inévitable, comme la pluie et la grêle, la nécessité d’être opprimés par le plus fort, le plus riche, le plus accrédité, et c’est ce qui leur imprime, s’il est permis de parler ainsi, un caractère de souffre-douleur. » En Auvergne, pays féodal, tout couvert de grands domaines ecclésiastiques et seigneuriaux, la misère est égale. […] En 1753 (Voltaire, Dictionnaire philosophique, article Population ), le dénombrement des feux donne 3 550 499 feux, outre 700 000 âmes à Paris, ce qui fait de 16 à 17 millions d’habitants si l’on compte par feu 4 personnes 1/2 et de 18 à 19 millions si l’on en compte 5.

2348. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre II. Les romans bretons »

Ce n’est pas un pur hasard, si la protection qui soutient, l’inspiration qui anime les deux plus intéressants narrateurs des légendes celtiques ramènent toujours notre regard vers la princesse à qui Bernard de Ventadour donna la musique amoureuse de ses vers. […] De sa cour parlent d’abord, à sa cour reviennent enfin les chercheurs d’aventures : il est là pour leur donner congé, pour leur souhaiter la bienvenue, majestueux, gracieux, inerte. […] L’amour dispense de toute raison, donne toute vertu, et peut tout l’impossible. […] La femme, idole de la chevalerie mondaine, la femme qui donne et reçoit l’amour, est maudite et redoutée comme le moyen par où le péché est entré dans le monde : il ne lui sera pardonné qu’en faveur de la Vierge, mère de Dieu, si elle se garde pure comme elle. […] Bérout nous donne un Tristan assez ennuyé de son aventure d’amour et n’aspirant qu’à en sortir : un Tristan digne de la Petite Marquise.

2349. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Ferdinand Fabre  »

C’est qu’en effet les gens du clergé donnent assez volontiers dans l’élocution oratoire, arrondie et pompeuse. […] Un philosophe donne, comme don Juan, pour l’amour de l’humanité. […] Il donne tout, il se dépouille à chaque instant, il vit de rien ; qu’est-ce que le corps, cette guenille de péché ? […] Voulez-vous un fragment de dialogue qui vous donne le ton et l’accent de cette idylle ecclésiastique ? […] Car l’ambition est peut-être la passion où les prêtres donnent le plus aisément.

2350. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — Y. — article » pp. 529-575

Troisiémement, il est absurde de donner la préférence sur tous les Ouvrages Théologiques & Métaphysiques à ceux de Clarke & de Jacquelot. […] Sans parler de l'Egypte, qui donna ses Dieux, avec les Arts, aux autres Nations, on fait que les Grecs & les Romains avoient, dans le temps même qu'ils furent le plus tolérans, un Magistrat pour veiller à la conservation de la Religion. […] Est-ce dans le pouvoir de se nuire à soi-même & de se donner la mort, qu’on doit placer la liberté de l’Homme ? L’insensé, que des liens salutaires retiennent, est-il en droit de se plaindre de ne pouvoir donner un libre essor à sa folie ? […] De plus, compte-t-on pour rien la satisfaction que donne la vertu à ceux qui ont eu le courage de la pratiquer ?

2351. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre III. L’histoire réelle — Chacun remis à sa place »

L’aristocratie anglaise, qui a parfois de ces bonnes idées-là, a imaginé de donner à une opinion politique le nom d’une vertu. […] Un prince qui se donne un nom d’animal, cela nous fait rire. […] Il est temps que l’histoire se proportionne à la réalité, qu’elle donne à chaque influence sa mesure constatée, et qu’elle cesse de mettre aux époques faites à l’image des poètes et des philosophes des masques de rois. […] Du reste, le branle est donné. […] Sans doute, et l’on ne nous reprochera point de n’y pas insister, l’histoire réelle et véridique, en indiquant les sources de civilisation là où elles sont, ne méconnaîtra pas la quantité appréciable d’utilité des porte-sceptres et des porte-glaives à un moment donné et en présence d’un état spécial de l’humanité.

2352. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre III : Examen de la doctrine de Tocqueville »

Il est certain, il est évident que le problème qui agite M. de Tocqueville et qui l’a conduit aux États-Unis, c’est le problème de la démocratie européenne : c’est là même ce qui donne à ce livre sa grandeur, je dirai presque son pathétique, mais ce qui y répand en même temps une certaine obscurité. […] Si elle est au contraire une cause solide et juste, elle a du temps devant elle, elle peut se donner le mérite de la réflexion et du choix ; elle est tenue de se gouverner avec sagesse, et elle doit peser avec équité et discernement les biens et les maux qu’elle porte en elle. […] Tout ce qui relève de nos jours l’idée de l’individu est sain ; tout ce qui donne une existence à part à l’espèce et grandit la notion du genre est dangereux. […] Ce n’est pas qu’il fût indifférent aux choses de son temps, car on sent dans tous ses écrits une émotion contenue qui témoigne d’une âme vivement préoccupée ; mais cette émotion, qui lui donnait l’ardeur de la recherche, n’était pas assez violente pour le dominer et l’aveugler. […] Sans doute il est cruel à une cause qui s’est toujours donnée pour la cause de la liberté de s’entendre dire, et cela sans passion, et même avec bienveillance, qu’elle porte la servitude dans son sein, et qu’il lui faudra lutter contre ses plus violents instincts pour rester libre.

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