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1282. (1924) Critiques et romanciers

Pour le démontrer plus hardiment, il a consulté Louis Ménard, « le savant mythologue », et su par lui que la religion des Hébreux était seule inconciliable avec « les croyances héroïques des Hellènes » ; voilà pourquoi Crémieux et les amis de Crémieux ne se tiennent pas d’insulter « tout ce qui est la tradition des races latines, les origines de notre poésie, les dieux d’Homère et d’Eschyle, dont ils font des paillasses costumés pour suivre le bœuf gras du Carnaval ». […] Il répondra : — Je ne suis point Orphée ; mais Orphée est mon dieu, Orphée que j’appelle aussi Hugo. […] Sa sainte vie « le rendit vénérable à ses concitoyens, qui l’élevèrent au sacerdoce ; il remplit les fonctions de grand-prêtre avec exactitude et décence, comme un homme qui respectait les dieux de la République ». […] Encore un pas : les sciences et les arts font à nos descendants l’existence rêvée par les anciens pour leurs dieux. » Voilà ce que les médiocres empêchent : et, le « prochain bonheur » qu’ils ont perpétuellement retardé, voilà leur crime.

1283. (1864) Le roman contemporain

Cet homme deviendra non seulement son mari, mais son maître absolu, son oracle, son dieu. […] L’auteur a craint de donner trop de foi à son évêque ; cela aurait pu déplaire à ses amis politiques, à l’école dont il est le dieu.

1284. (1862) Notices des œuvres de Shakespeare

Selebos, qu’invoque le monstre comme le dieu et peut-être le mari de sa mère, passait pour être le diable ou le dieu des Patagons qui le représentaient, disait-on, avec des cornes à la tête. […] Parvenu à une grande vieillesse, et l’âge ayant affaibli sa raison, Leir voulut s’enquérir de l’affection de ses filles, dans l’intention de laisser son royaume à celle qui mériterait le mieux la sienne. « Sur quoi il demanda d’abord à Gonerille, l’aînée, comment bien elle l’aimait ; laquelle appelant ses dieux en témoignage, protesta qu’elle l’aimait plus que sa propre vie, qui, par droit et raison, lui devait être très-chère ; de laquelle réponse le père, étant bien satisfait, se tourna à la seconde, et s’informa d’elle combien elle l’aimait ; laquelle répondit (confirmant ses dires avec de grands serments) qu’elle l’aimait plus que la langue ne pouvait l’exprimer, et bien loin au-dessus de toutes les autres créatures du monde. » Lorsqu’il fit la même question à Cordélia, celle-ci répondit : « Connaissant le grand amour et les soins paternels que vous avez toujours portés en mon endroit (pour laquelle raison je ne puis vous répondre autrement que je ne pense et que ma conscience me conduit), je proteste par-devant vous que je vous ai toujours aimé et continuerai, tant que je vivrai, à vous aimer comme mon père par nature ; et si vous voulez mieux connaître l’amour que je vous porte, assurez-vous qu’autant vous avez en vous, autant vous méritez, autant je vous aime, et pas davantage. » Le père, mécontent de cette réponse, maria ses deux filles aînées, l’une à Henninus, duc de Cornouailles, et l’autre à Magtanus, duc d’Albanie, les faisant héritières de ses États, après sa mort, et leur en remettant dès lors la moitié entre les mains.

1285. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. THIERS. » pp. 62-124

D’une pensée trop empressée et trop immédiate pour s’arrêter volontiers à l’étude des langues, il a fait exception pour celle de Dante et de Machiavel, avec lesquels il commerce directement, et il les met tout d’abord au rang de ses dieux.

1286. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre I. Principe des mœurs sous l’Ancien Régime. »

Les dieux eux-mêmes sont de leur monde  Enfoncée par l’effort de toute une société et de tout un siècle, l’empreinte de la cour est si forte, qu’elle s’est gravée dans le détail comme dans l’ensemble et dans les choses de la matière comme dans les choses de l’esprit.

1287. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 avril 1885. »

Soudain, dans ce site musical, dans ce fluide et fantastique site, l’orchestre éclate, peignant en quelques traits décisif, enlevant de pied en cap, avec le dessin d’une héraldique mélodie, Tannhaeuser qui s’avance ; — et les ténèbres s’irradient de lueurs, les volutes des nuées prennent des formes tourmentées de hanches et palpitent avec d’élastiques gonflements de gorges ; les bleues avalanches du ciel se peuplent de nudités ; des cris de désirs incontenus, des appels de stridentes lubricités, des élans d’au-delà charnel, jaillissent de l’orchestre et, au-dessus de l’onduleux espalier des nymphes qui défaillent et se pâment, Vénus se lève, mais non plus la Vénus antique, la vieille Aphrodite, dont les impeccables contours firent hennir pendant les séculaires concupiscences du Paganisme, les dieux et les hommes, mais une Vénus plus profonde et plus terrible, une Vénus chrétienne, si le péché contre nature de cet accouplement de mots était possible !

1288. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre quatrième. Éléments sensitifs et appétitifs des opérations intellectuelles — Chapitre deuxième. Les opérations intellectuelles. — Leur rapport à l’appétition et à la motion. »

Le dieu inspirateur des poètes et des artistes, c’est la marée montante des associations, où toutes les ondes nerveuses, sous l’attraction d’une force commune, se soulèvent et s’entraînent l’une l’autre dans la masse frémissante du cerveau.

1289. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 13, qu’il est probable que les causes physiques ont aussi leur part aux progrès surprenans des arts et des lettres » pp. 145-236

On ne leur laissoit pas les moindres petits dieux qui valussent quelque chose.

1290. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Granier de Cassagnac » pp. 277-345

Des quatorze cents ans de notre histoire de France, les quelques années du Directoire, de ce gouvernement de corruption et de néant, sont assurément celles où la France (à part la gloire des camps) est le plus tristement tombée… S’il était permis à l’Histoire d’avoir des silences, elle pourrait se taire, de convenance ou de honte, devant tant d’ignominie et de nullité, et ce n’est pas un doigt qu’elle aurait à se mettre sur la bouche, comme le dieu Harpocrate, ce serait toute la main !

1291. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Appendices » pp. 235-309

Et D’Annunzio, génie imberbe encore et séduisant comme un jeune dieu, était le lyrisme même.

1292. (1902) Propos littéraires. Première série

M. le sénateur Leprat-Teulet, chef puissant et vénéré du parti opportuniste dans la province, grand orateur d’affaires, poursuivi une première fois pour pot-de-vin, « fait qui n’avait rien d’étrange et marquait seulement le jeu régulier de nos institutions », honoré d’un « non-lieu », à propos duquel Mme Leprat-Teulet a suspendu un ex-voto en la chapelle Saint-Antoine avec cette inscription : « Pour une grâce inespérée, une épouse chrétienne » ; poursuivi à nouveau pour vol, et dont la destinée est encore, au moment où j’écris, sur les genoux des Dieux, c’est-à-dire de Messieurs de la police correctionnelle, seuls Dieux qui dans le ciel flottent encore aujourd’hui. […] L’État omnipotent, le citoyen rien et la ville tout, c’était une idée, et, ce qui est beaucoup plus fort, un sentiment, qui ne pouvait être fort, qui ne pouvait même exister que dans des États tout petits, extrêmement restreints, comme les petites républiques grecques, ou, à l’autre extrême, dans des États immenses mais religieusement monarchiques où le chef était un dieu, comme les grandes monarchies orientales. […] « Nous sommes des dieux qui s’ignorent » et qui se cherchent ; et c’est délicieux de se supposer Dieu dans la partie de nous que nous ne connaissons pas, pour nous adorer dans ce sanctuaire mystérieux et inaccessible. […] Tolstoï me semble précisément prendre le contrepied de la méthode universelle des définitions, et si Aristote avait suivi la méthode tolstoïenne, il aurait dit sans doute, pour définir la Tragédie : « La Tragédie est l’imitation plaisante, par le récit et non par l’action, d’une histoire bouffonne, de nature à inspirer le mépris des Dieux, sans mélange de chant ni de musique.

1293. (1911) L’attitude du lyrisme contemporain pp. 5-466

Voici le Potier — le parnassien — habile en l’art de ciseler les coupes : Les vases qu’il tourne et orne sont parfaits, De galbe pur, et quoi qu’il trace — Les petits groupes de déesses et de dieux, Des thyrses en trophées, Orphée de Thrace, Les bacchantes à la dépouille tigrée, La danse des Muses —  Tout satisfait les yeux, Charme ou amuse. […] Le socle reposait sur la terre nationale et le dieu, le bras étendu, indiquait au voyageur son chemin. […] Il emplit jusqu’aux bords son existence brève ; Il n’enfle aucun espoir, il ne fausse aucun rêve, Et s’il lui faut des dieux encore, — qu’il les soit ! […] Celui-ci n’a pas échoué dans sa tâche en célébrant le Bazar, la Bourse, le Chemin de fer, car il ne s’est pas attaché à décrire minutieusement les effets de l’électricité à la manière de Sully-Prudhomme : Un disque de cire ou de verre Ose imiter le bras du dieu En qui l’humanité révère L’auteur du tonnerre et du feu ! […] Dieu veut des dieux, dirait Fichte.

1294. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 7172-17709

Ainsi les Latins, par exemple, dont la religion fut décidée avant la langue, & qui admettoient des dieux & des déesses, avec la conformation, les foiblesses & les fureurs des sexes, n’ont peut-être placé dans le genre masculin les noms communs & les noms propres des vents, ventus, Auster, Zephyrus, &c. ceux des fleuves, fluvius, Garumna, Tiberis, &c. les noms aer, ignis, sol, & une infinité d’autres, que parce que leur mythologie faisoit présider des dieux à la manutention de ces êtres.

1295. (1778) De la littérature et des littérateurs suivi d’un Nouvel examen sur la tragédie françoise pp. -158

D’ailleurs, l’on compte rendre un service essentie aux jeunes Littérateurs qu’on écrâse dès leur premier essort avec des noms célèbres : on leur fera voir que ces Dieux prétendus n’ont point posé les bornes de l’art, & qu’ils peuvent conséquemment se dérober à des regles puériles ; que leur génie est à eux, libres qu’ils sont de modifier l’art à leur gré. […] Ce n’est point Crébillon dans Rhadamiste, malgré ces deux beaux vers : Je sens que le remords d’un cœur né vertueux, Souvent, pour le punir, va plus loin que les Dieux.

1296. (1929) Amiel ou la part du rêve

Le dieu des Amours en soit loué ! […] La causticité des rues basses avait créé jadis le type du grimpion, dont Petit-Senn a établi la philosophie, notant le jour où « tout à coup un char de triomphe emmène pompeusement les meubles, les ustensiles et les dieux lares du grimpion devant quelque bel édifice d’une rue bien sèche, bien aérée, bien élevée surtout ».

1297. (1788) Les entretiens du Jardin des Thuileries de Paris pp. 2-212

O dieux ! […] Comme je n’ai jamais pénétré dans le secret des dieux, je ne dis rien, & je m’en allai. […] Scaron disoit plaisamment que les Dieux avoient donné aux hommes quelques quintaux de gloire à distribuer, que les uns en avoient pris quelques drachmes, les autres quelques onces, & les auteurs, des livres entieres ; & que cela se respiroit par tous les pores.

1298. (1927) Les écrivains. Deuxième série (1895-1910)

Le baron Saffre est vraiment le dieu de l’or. […] Il n’y a plus que des Nietzsche, des Schopenhauer… Et les dieux de maintenant ? […] Mais, avant tout, Fécondité défie l’émotion et l’admiration, émotion pour le grand citoyen, admiration pour l’œuvre immense… Et en lisant Fécondité, à chacune de ces pages ardentes, passionnées, j’éprouvais aussi, comme un attendrissement indicible, pour cette sorte de thaumaturge qu’est Zola, qui détruit pour mieux reconstruire, et qui, plus grand, plus sincère, plus optimiste que jamais, à travers les injures et l’incompréhension, d’impasse en calvaire, d’arènes où rugissent les fauves en ruelles où s’aiguisent les couteaux, d’exil en prétoire, parcourt, pour la gloire du monde, sa carrière d’homme et de dieu.

1299. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

Elle faisait une partie essentielle de leurs mœurs et presque de leur langage ; elle exprimait des sentiments habituels ; elle s’occupait d’usages journaliers ; elle représentait les faits, tels qu’on les croyait ; les lieux, tels qu’on les avait sous les yeux ; elle adorait les dieux que célébrait le culte public ; en un mot, elle était pleine de réalité, et n’était point un langage de convention, Pour nous la poésie, et nous dirions même presque toute la littérature, n’est pas sortie de notre propre fonds. […] Ils adoptèrent des dieux qui n’étaient point les nôtres, des mœurs qui nous étaient étrangères, et répudièrent tous les souvenirs français pour se transporter dans les souvenirs de l’antiquité. […] Voilà pourquoi les belles odes de Rousseau, et en général les morceaux les plus distingués de notre poésie lyrique, sont des poésies sacrées qui ont pris leur source dans notre religion, ou bien encore des odes destinées à raconter des impressions personnelles de douleur, d’amour, de volupté ; toutes ces odes allégoriques où les dieux du paganisme arrivent pour célébrer des événements contemporains, ou pour se mêler aux circonstances de notre vie, peuvent bien être des déclamations ingénieuses ; mais ce n’est pas la vraie poésie, celle qui va à l’âme.

1300. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome II

Le mot n’était pas fabriqué, mais comme l’auteur de la Comédie humaine apercevait distinctement l’horrible chose, quand il disait : « Un prolétariat déshabitué de sentiments, sans autre dieu que l’envie, sans autre fanatisme que le désespoir de la faim, s’avancera et mettra le pied sur le cœur du pays !  […] Ses Mémoires nous révèlent l’attrait exercé sur lui par la fable de ce Titan « qui se sépare des dieux et se retire dans son atelier, d’où il peuple, seul, un univers ». […] Il nous évoquait « des mondes disparus tout entiers, des empires coulés à pic avec tous leurs hommes et tous leurs engins, descendus au fond inexplorable des siècles avec leurs dieux et leurs lois, leurs académies et leurs sciences pures ou appliquées… ».

1301. (1916) Les idées et les hommes. Troisième série pp. 1-315

Le stoïcien Guillaume du Vair est fidèle à ses croyances religieuses : il n’invoque pas un dieu philosophique, mais Dieu ; et il remercie Notre-Seigneur qui, par ses heureuses paroles, « suggère en un moment tout ce que les veilles de tant d’années ont pu acquérir de plus beau aux esprits des plus sçavans philosophes ». […] Dimoff commencent par une série d’Invocations poétiques : invocations diverses, puis à l’adresse des dieux et, notamment, d’Apollon. […] Athée, d’ailleurs, est un mot qui n’a pas une signification très nette ; et l’on hésite à considérer comme un athée un André Chénier, païen qui éparpillait sa créance entre tous les dieux de l’Olympe. […] Elle écrira, sur son cahier : « Aymon, je ne crains pas que persiste votre regret de ce qui pouvait être et ne sera pas… Rappelez-vous le jour où vous m’avez énuméré, tant en musique et poésie qu’en peinture, les noms de ceux-là que vous appelez vos dieux et qui, en effet, ne semblent pas avoir été créés pour la terre, tant leur vie quotidienne y fut malheureuse et gênée.

1302. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Eugène Gandar »

Ici le contraste est parfait : Gandar et About, deux cerveaux disparates ; l’antithèse, pour qui les connaît, saute aux yeux et rit à l’esprit : l’un grave, consciencieux, religieux aux anciens, déférant aux modernes, se tenant dans sa voie et ne s’en laissant détourner par rien ; portant du sérieux et de l’affection en tout, de cet approfondissement attentif et pénétré, quelque peu étranger à la nature française, et que les Allemands qui se l’arrogent expriment très bien par le mot Gründlichkeit, réalisant encore l’idée du σπουδαῖος d’Aristote, l’homme vertueux et non léger ; un gros front énorme venant en surcroît au portrait163 : l’autre gai, vif, ironique, espiègle même, le nez au vent, la lèvre mordante, alerte à tout, frondant sans merci, à l’exemple de Lucien ne respectant ni les hommes ni les dieux : chez l’un l’École normale en plein exercice et développement de son professeur modèle, dans tout le large de la tradition régulière et directe ; chez l’autre cette même École en rupture de ban, en pleine dissipation et feu d’artifice d’homme d’esprit émancipé, lancé à corps perdu à travers le monde, mais d’un homme d’esprit, remarquez-le, dont c’est trop peu dire qu’il pétillé d’esprit, car sous sa forme satirique et légère il fait bien souvent pétiller et mousser le bon sens même, et toujours dans le meilleur des styles : toutes qualités par où il témoigne encore de son excellente nourriture et tient, bon gré mal gré, de sa mère.

1303. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mademoiselle Aïssé »

Comme vous êtes de tous ses secrets le grand dépositaire74, je ne doute point que vous ne sachiez ce qui peut lui avoir attiré ce malheur : est-elle la victime de la jalousie de quelque déesse, ou de la perfidie de quelque dieu ?

1304. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre I. Le Roman. Dickens. »

Un peu plus loin, vous apercevez la religion passionnée d’un protestant révolutionnaire, lorsqu’il vous parle des sons funèbres que jette le vent attardé autour de l’autel, des accents sauvages avec lesquels il semble chanter les attentats que l’homme commet et les faux dieux que l’homme adore.

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