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1100. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Des prochaines élections de l’Académie. »

On a beau faire, on n’est plus dans l’ancienne Académie, qui elle-même, déjà, n’était peut-être pas si délicate qu’on le suppose. […] Léon Halévy a le même honneur et fait preuve du même dévouement ; il embrasse dans ses traductions élégantes, harmonieuses, les plus belles pièces du Théâtre grec, et il ne manque à son succès que la consécration d’une soirée et cette représentation émue qui refait d’une traduction même une œuvre actuelle, et qui lui confère le baptême de vie. […] On a beau dire, on a beau s’intituler confrères, l’égalité entre les Quarante n’est pas absolue. […] Le vieux comte de Ségur eut la satisfaction de voir nommer son fils, le général Philippe de Ségur, hautement désigné au choix de tous par l’éclatant et national succès de son beau livre de L’Histoire de la Grande-Armée en 1812. […] Il est bien peu d’oraisons funèbres, en effet, sans en excepter même quelques-unes des plus belles, où il ne soit entré un peu du procédé-Gicquel.

1101. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Une monarchie en décadence, déboires de la cour d’Espagne sous le règne de Charles II, Par le marquis de Villars »

La joie qu’on en eut à Madrid, et qui se manifesta par des illuminations et des feux d’artifice « médiocrement beaux, mais d’un bruit épouvantable », éclata jusque sous les fenêtres de don Juan, déjà presque à l’agonie. […] « Il a le visage beau, nous dit un témoin autre que Mme de Villars (Mme d’Aulnoy), la tête admirable et de l’esprit plus qu’on ne peut se l’imaginer, mais un esprit sage et qui sait beaucoup. » Il faut rendre justice à tout le monde, même aux nains ; et d’ailleurs ici le plus nain des deux n’est pas celui qu’on pense. […] Sa gorge, au pied de la lettre, est déjà trop grosse, quoiqu’elle soit une des plus belles que j’aie jamais vues. […] Elle est belle comme le jour, grasse, fraîche : elle dort, elle mange, elle rit : il faut finir là… » Le roi est jaloux d’une façon étrange ; et ceci, ce n’est point la marquise, c’est le marquis de Villars qui nous l’apprend dans sa Relation. […] Un beau volume, avec portrait, imprimé à Londres, 100 exemplaires seulement sont en vente ; Paris, Klincksieck, rue de Lille.

1102. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier »

Mais son naturel et son sentiment valent mieux que sa métaphysique, et sa belle intelligence touche à la puissance du génie. […] Il l’accompagna à Rome, la guida dans l’étude des arts, et l’assista pour ses jugements dans ce beau livre de l’Allemagne qui, depuis un demi-siècle, n’a pas été surpassé. […] C’est la différence de l’éloquence publique à la plus belle conversation, qui n’est que de l’éloquence à huis clos. […] Le sentiment de l’art lui manque ; et le beau qui n’est pas esprit et éloquence n’existe pas pour elle. […] Elle était femme, et elle aurait désiré être belle ; elle était femme, et elle aurait voulu être aimée ; elle était femme, et elle aurait voulu compter parmi les hommes comme une puissance éloquente, Elle se sentait l’âme d’un orateur.

1103. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset. »

En lisant cette histoire de Louvois, en la voyant ainsi montrée à nu et comme par le revers de la tapisserie, je crois entendre continuellement ce mot de la tragédie grecque, qui résonne et se murmure de lui-même à mon oreille ; « S’il faut violer le droit, c’est pour l’empire et la domination, c’est en haute matière d’État qu’il est beau de le faire : dans tout le reste, observe la bonne foi et la justice. » Je paraphrase un peu là parole d’Euripide, cette parole si détestée de Cicéron. […] Par malheur, la prudence, l’art profond qui avait dirigé le Sénat dans les beaux siècles de la République, la suite et la durée qui n’est donnée qu’aux corps et aux institutions et qui est refusée aux individus, leur manquèrent, et l’on est trop informé aussi, à leur égard, de certains détails qui gagneraient à se confondre dans l’éloignement. […] Un beau jour, l’œuvre inopinée s’écroule ; la maturation lui avait manqué ; la durée lui manque. […] L’argent comptant en beaux louis d’or ou en pistoles d’Espagne (30,000 louis) s’expédia en six ballots soigneusement plombés à la douane et qu’on avait établis de la longueur d’un fusil on d’un mousquet : pour mieux donner le change, on avait fait peindre une de ces armes sur chaque ballot. […] Strasbourg est le plus beau trophée de sa politique patriotique et française.

1104. (1892) Boileau « Chapitre VII. L’influence de Boileau » pp. 182-206

En Angleterre, ses préceptes servent à enchaîner la fougue d’une nature encore brutale ; en Allemagne, il apporte comme un code de belles manières littéraires, comme un formalisme compliqué que ces esprits germaniques mettent leur gloire à pratiquer ponctuellement, avec grande contention et contorsion de leurs facultés encore peu agiles. […] Les jésuites fleurissent la mémoire de leurs écoliers des plus beaux morceaux des orateurs et des poètes ; mais sensibles par-dessus tout aux surprises de l’esprit et aux élégances de la diction, ils élèvent moins le goût moderne qu’ils n’y rabaissent l’art ancien. […] Au lieu de les employer comme moyens d’où résulte la forme expressive et belle, l’idée d’agrément et de beauté s’attache à leur observance même ; un sec formalisme s’impose à la littérature, par une méprise analogue à celle de certains dévots qui croient gagner le ciel par des formules verbales et des actes physiques, sans l’élan du cœur et sans l’amour. […] J’ai beau me tourner de tous les côtés, j’ai peine à découvrir rien que je doive nécessairement attribuer à l’influence unique ou prépondérante de Boileau. […] À la fin du xviiie  siècle, en vérité, on se trouve si loin du vrai Boileau et des grands artistes auxquels la haute partie de sa doctrine s’appliquait, que quand nous y rencontrons un classique, mais un pur classique au grand et beau sens du mot, selon l’esprit profond de l’Art poétique, un artiste capable de sentir la nature et de créer la beauté, nous sommes tentés d’en faire un révolutionnaire et le précurseur d’un art nouveau.

1105. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Pierre Loti »

Or, à y regarder d’un peu près, on croit reconnaître que c’est l’« exotisme » des objets auxquels elle s’est d’abord appliquée qui a aiguisé à ce point sa sensibilité, et que ce sont certains sentiments engendrés par cet exotisme qui l’ont ramené à la belle simplicité des idylles ou des tragédies familières. […] Il noue des amitiés étroites avec des êtres primitifs et beaux, Samuel, Achmet, Yves, créatures plus nobles et plus élégantes que les civilisés médiocres, et avec qui son esprit n’a point à s’efforcer ni à se contraindre et goûte d’ailleurs le plaisir de la domination absolue. […] Cette vie de Pierre Loti me paraît si belle que, pour me défendre en y songeant de l’amertume et de l’envie, j’ai besoin de me rappeler ces paroles de l’Imitation de Jésus-Christ : « Que pouvez-vous voir ailleurs que vous ne voyiez où vous êtes ? […] Je ne pense pas qu’on ait jamais vu chez un artiste un plus bel effort de l’imagination sympathique, un tel parti pris de laisser façonner son âme aux influences du dehors comme une matière infiniment impressionnable et malléable et, pour cela, de borner sa vie aux sensations, ni, d’autre part, une si merveilleuse aptitude à les goûter toutes. […] Elle surgit naturellement, toute spontanée et toute nue, et l’effet en est toujours très puissant, car, nous avons beau faire, rien n’est plus triste, ni plus effrayant, ni plus incompréhensible que la mort.

1106. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Lettres inédites de l’abbé de Chaulieu, précédées d’une notice par M. le marquis de Bérenger. (1850.) » pp. 453-472

Les belles et spirituelles nièces de Mazarin furent pour beaucoup dans cette transmission d’esprit d’une régence à l’autre, les duchesses de Mazarin, de Bouillon et tout leur monde ; Saint-Évremond et les voluptueux de son école ; Ninon et ceux qu’elle formait autour d’elle, les mécontents, les moqueurs de tout bord. […] On a beau dire et vouloir dissimuler les noms, c’était là plus ou moins, à l’origine, le rôle de Chaulieu : Accort, insinuant, et quelquefois flatteur, il nous l’avoue lui-même. […] Veut-on savoir comment se passait une soirée quelconque de ce beau monde si spirituel ? […] Il est intitulé « Fragment », et il commence brusquement par plusieurs points, de cette sorte : … Il disait que l’esprit dans cette belle personne était un diamant bien mis en œuvre. […] Tout cela peut paraître agréable un moment en poésie ; dans le fait et en réalité, ce fut moins beau, et, on l’a vu, d’une très triste conséquence.

1107. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « De la retraite de MM. Villemain et Cousin. » pp. 146-164

On ne saurait dire non plus que cette retraite, qui prive les listes semestrielles de la faculté des plus beaux noms qui les décoraient, soit « un malheur public pour la jeunesse des Écoles » qui n’entendra plus désormais ces voix éloquentes ; car il y a vingt-deux ans que ces illustres maîtres avaient cessé de professer, et qu’ils ne remplissaient plus leurs chaires que par leurs lieutenants. […] Guizot, qui eut lieu à la suite de la révolution de Février, achève et clôt une belle et brillante époque, la plus belle qu’ait eue l’enseignement public en France. […] Telle qu’elle vit dans nos souvenirs, telle qu’elle est résumée et fixée dans leurs leçons recueillies, leur renommée de professeurs reste assez belle. […] Quoi qu’en aient dit des gens mal informés, qui la peignent telle qu’elle a pu être aux Carmélites et à Port-Royal, elle possédait, je ne puis en douter en regardant les portraits authentiques qui sont sous mes yeux, ce genre d’attraits qu’on prisait si fort au xviie  siècle, et qui, avec de belles mains, avait fait la réputation un peu usurpée d’Anne d’Autriche. […] Cousin a trouvé l’une de ses plus belles pages19, et comme lui seul en sait écrire.

1108. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — III. Franklin à Passy. (Fin.) » pp. 167-185

Du moment que le traité d’alliance entre les deux nations est conclu, il n’a qu’une réponse à opposer à toutes les ouvertures qui lui sont faites pour écouter les propositions de l’Angleterre : « Nous ne pouvons négocier sans la France. » L’Amérique a été une fille soumise jusqu’au jour où elle s’est émancipée de l’Angleterre ; mais celle-ci a beau la rappeler en secret et la vouloir tenter sous main, l’Amérique sera une épouse fidèle. […] Établi à Passy dans une belle maison, avec un jardin, jouissant d’un voisinage aimable, Franklin, d’ordinaire, et dans les premières années du moins, avant que sa santé se fût affaiblie, dînait dehors six jours sur sept, réservant le dimanche aux Américains qu’il traitait chez lui. […] Le plus bel éloge qu’on puisse faire de ce poète, dont nous n’avons pas le pareil en notre littérature, c’est Franklin qui l’a fait en quelques lignes. […] Son retour dans sa patrie, les honneurs qu’il y reçut, les légers dégoûts (car il en est dans toute vie) qu’il y essuya sans le faire paraître, son bonheur domestique dans son jardin, à l’ombre de son mûrier, à côté de sa fille et avec ses six petits-enfants jouant à ses genoux, ses pensées de plus en plus religieuses en avançant, lui font une fin et une couronne de vieillesse des plus belles et des plus complètes que l’on puisse imaginer. […] C’est le beau idéal de la promiscuité.

1109. (1912) L’art de lire « Chapitre III. Les livres de sentiment »

En posant le beau roman, nous nous réveillons au sens propre du mot, nous nous frottons les yeux, nous nous étirons, nous nous ébrouons ; nous sentons très nettement que nous passons d’une vie dans une autre et que nous nous diminuons, ou que nous tombons de haut. […] Ce ne sont point des livres faits pour le plaisir, chez l’auteur, de conter, chez le lecteur, d’entendre bien conter ; ce ne sont pas des livres d’observation générale et par conséquent que nous puissions contrôler ; ce ne sont point des livres d’idéalisation et que par conséquent nous puissions contrôler encore en ce sens qu’ils présentent comme réalisé ce qui est en nous belle inspiration, beaux rêves et belles ambitions morales. […] Ce qui nous fait sortir de la vie où nous sommes, ce n’est ni la littérature, si romanesque ou si poétique qu’elle puisse être, ni la peinture, ni la sculpture, c’est l’architecture et la musique, aux deux pôles, pour ainsi dire, de l’art : l’architecture qui, tout compte fait et quoiqu’on ait pu dire, ne copie rien et n’est que combinaison de belles lignes tout abstraites et tirées de notre conception intime et pure des belles lignes ; la musique qui ne copie rien et qui ne peint que des états d’âme et qui ne suggère que des états d’âme. […] Dans les livres de philosophie, on va chercher des idées générales, dans les romans réalistes des observations, dans les romans idéalistes de beaux sentiments, dans les poètes tout cela et de plus des inventions de rythme, des trouvailles de mélodie, d’harmonie, toute une technique, qui ici, a autant d’importance que le fond ; et de cette technique on ne jouit, à cette technique on ne se plaît, à cette technique on ne se joue amoureusement, que si soi-même on s’en est mêlé, que si on s’y est essayé, que si l’on en a mesuré les difficultés, que si l’on y a atteint soi-même à quelques petits succès relatifs ; comme il n’y a que les musiciens qui comprennent la musique, et les autres, quand ils croient y entendre quelque chose, sont des snobs, il n’y a que les hommes qui ont été un peu versificateurs qui comprennent les poètes.

1110. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LEBRUN (Reprise de Marie Stuart.) » pp. 146-189

Les grandes sources sentimentales et lyriques que notre époque a comme trouvées en elle et fait jaillir plus abondamment que tous les anciens jets d’eau de Chantilly ou de Versailles, ne sauraient dissimuler et masquer ce noble fond régulier, harmonieux, de l’édifice, ce portique d’un beau temple qu’on ne referait plus. […] cela est encore beau, se dit-on. — Et là-dessus on s’est mis à désirer de réentendre ces pièces immortelles, éclipsées un long moment, et dans lesquelles tant de personnes de la société recommençaient aussi à aimer les souvenirs de leur propre jeunesse. […] C’est un caractère d’âge mûr, beau à la réflexion, mais qui en a besoin pour se justifier, et qui n’offre rien de ces dehors émouvants où se prend la foule au premier abord. […] On raconte que lorsque le bourreau décoiffa, pour la faire tomber, cette tête charmante, on découvrit que ses beaux cheveux avaient légèrement blanchi. […] Il s’embarque à Marseille sur le Thémistocle, le plus beau des vaisseaux d’Hydra, commandé par Tombasis, qui, un an après, devenait le navarque glorieux des îles en délivrance ; déjà on chantait à bord le chant de Rhigas.

1111. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE RÉMUSAT » pp. 458-491

Sa physionomie avait, comme son esprit, l’agrément durable ; des lèvres, des dents belles, et la vivacité des yeux, éclairaient le visage à proportion qu’on causait. […] xi) : l’idéal de la conversation passée, lorsqu’on veut en fixer le beau moment, recule et s’enfuit à l’horizon comme tous les âges d’or. […] En somme, si les Lettres espagnoles ont manqué d’autre chose encore que de la publicité pour être un beau roman, c’en était une très-belle étude. […] Elle prenait copie de la belle lettre de Mme de Maintenon à la duchesse de Ventadour. […] Admise, comme Mme de Motteville, à voir d’une très-bonne place cette belle comédie, elle avait songé à en fixer sur le temps même les complets souvenirs.

1112. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXVIIIe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 65-128

C’est une belle loi de Lucques, n’est-ce pas, celle-là, c’est une loi de vrais chrétiens qui donne le temps de revenir à Dieu avant que de quitter la terre, et qui suppose déjà innocents ceux à qui Dieu lui-même va pardonner au tribunal de sa miséricorde ? […] Quand ils sortirent, les hommes noirs disaient entre eux : — Quel dommage qu’un si jeune homme et un si bel adolescent ait un visage si trompeur et si candide ! […] Je continuai à en jouer tous les soirs et une partie des nuits, pour reporter, par les sons, la pensée d’Hyeronimo en haut, vers moi et vers nos beaux jours dans la montagne. […] soupirait-elle en soulevant son beau nourrisson endormi du mouvement de sa poitrine, à présent qu’il n’y est plus, je ne pense plus seulement à la musique ; quand un air ne tombe pas dans un cœur, qu’importe ? […] s’écria ma belle-sœur, est-ce qu’on l’aurait bien jetée dans cet égout d’une prison, la belle innocente !

1113. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXIXe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 129-192

Car je suis vieux, voyez-vous, mes braves gens, il y a longtemps que ma barbe est blanche ; j’ai vu passer et repasser bien des nuages sur de beaux jours et ressortir bien de beaux jours des nuages, et j’ai appris qu’il ne fallait pas trop se presser, même dans ses bons desseins, de peur de les faire avorter en les pressant de donner leur fruit avant l’heure, car il y a des choses que Dieu veut faire tout seul et sans aide ; quand nous voulons y mêler d’avance notre main il frappe sur les doigts, comme on fait aux enfants qui gâtent l’ouvrage de leur père ! […] — Voilà, monsieur, reprit naïvement la belle sposa, après avoir retiré le sein à son nourrisson qui s’était endormi sur la coupe. […] ce fut un beau moment, ma tante, que celui où, du haut de ma chambre, dans ma tour, j’entendis le bargello conduire lui-même le forgeron au cachot, et où les coups de marteau qui descellaient les fers du prisonnier retentirent dans le cloître et jusqu’à ma fenêtre. […] qu’aurait pensé mon pauvre défunt mari, s’il nous avait vus ainsi du haut de son paradis, lui qui m’avait laissée en mourant si jeune et si nippée, avec une si belle enfant au sein ; son frère, avec ses deux yeux, riche d’un si beau domaine autour du gros châtaignier ; son fils, riant dans son berceau auprès du foyer pétillant des sarments de la vigne, honorés dans toute la montagne et faisant envie à tous les pèlerins qui montaient ou descendaient par le sentier de San Stefano ? […] qu’elle était belle !

1114. (1828) Introduction à l’histoire de la philosophie

Le plus bel objet du monde a ses défauts ; la plus charmante figure a ses taches. […] Dans le monde moral aperçoit-elle quelque chose de beau et de bon ? […] Les révolutions ont beau se succéder, elle domine toutes les révolutions. […] Il en résulte que ce beau livre a plus d’éclat que de lumière. […] Voilà le beau côté de la Prusse et de la Russie.

1115. (1905) Propos de théâtre. Deuxième série

Très beau : 53. […] Plus beau encore : 55. […] Il les trouvait belles, comme un amoureux, et les voulait plus belles encore, comme un adorateur. […] le beau sujet !  […] Belle scène.

1116. (1905) Études et portraits. Portraits d’écrivains‌ et notes d’esthétique‌. Tome I.

Un beau jour, la plume lui tombe des mains. […] Ce fut une provision d’esprit et de belle humeur qui ne s’épuisa jamais… Et ce fut aussi Manette. […] Il a beau s’insurger contre les Lettres, elles l’ont saisi, et il est leur œuvre. […] Et ailleurs, sur la pluie : « Ne sommes-nous pas en Normandie, la belle Pluvieuse, qui a de belles larmes froides sur de belles joues fraîches ? […] Il y en avait de pourprées comme un beau sang.

1117. (1864) Corneille, Shakespeare et Goethe : étude sur l’influence anglo-germanique en France au XIXe siècle pp. -311

Quels sont ces nouveaux types du beau qu’il met sous nos yeux ? […] C’est le beau ténébreux. […] bel ange           À l’auréole d’or ! […] quel beau jour ! […] C’est là que nous fûmes beaux !

1118. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Étienne de La Boétie. L’ami de Montaigne. » pp. 140-161

La Boétie a été la passion de Montaigne ; il lui a inspiré son plus beau chapitre, ou du moins son plus touchant ; leurs deux noms sont à jamais inséparables, et sitôt qu’on parle d’amitié, on les rencontre des premiers, on les cite inévitablement, de même que lorsqu’on parle de l’amour d’une mère pour sa fille, on nomme Mme de Sévigné. […] Ainsi, il proclame hardiment cet homme de mérite mort à trente-deux ans, et qui n’avait été promu qu’à des charges locales et aux dignités de son quartier, il le proclame le plus grand homme, à son avis, de tout le siècle : il a connu, dit-il, bien des hommes qui ont de belles parties diverses, l’un l’esprit, l’autre le cœur, tel la conscience, tel autre la parole, celui-ci une science, celui-là une autre ; « mais de grand homme en général et ayant tant de belles pièces ensemble, ou une en tel degré d’excellence qu’on le doive admirer ou le comparer à ceux que nous honorons du temps passé, ma fortune ne m’en a fait voir nul40 ; et le plus grand que j’aie connu au vif, je dis des parties naturelles de l’âme, et le mieux né, c’était Étienne de La Boétie. C’était vraiment une âme pleine et qui montrait un beau visage à tous sens, une âme à la vieille marque, et qui eût produit de grands effets si sa fortune l’eût voulu… ». […] Seulement, dans cet écrit si étroit et si simple d’idées, il y a de fortes pages, des mouvements vigoureux et suivis, d’éloquentes poussées d’indignation, un très beau talent de style : on y sent quelque chose du poète dans un grand nombre de comparaisons heureuses. […] Combien d’esprit, de bonté de cœur, d’attachement, de services et de complaisance dans les amis, pour faire en plusieurs années bien moins que ne fait quelquefois en un moment un beau visage ou une belle main !

1119. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — II » pp. 112-130

Le marquis d’Argenson, du reste, a exprimé cette séparation de vues et d’inspiration dans des pages fort belles, mais qui auraient besoin d’être légèrement dégagées. […] Ce beau feu céleste fait d’un savetier un poêle, et un général d’un laboureur comme Sforce ; et, en politique, d’un moine un Ximénès. […] La politesse sans la sensibilité, voilà quelle était la définition du monde d’alors : Voici où nous en sommes, écrivait d’Argenson : un beau matin tout spectacle disparaît, et il ne reste plus que des sifflets qui sifflent. Il n’y aura bientôt plus en France ni de beaux parleurs ni d’auteurs comiques ou tragiques, ni musique, ni livres, ni palais bâtis, mais des critiques de tout et partout. […] On suit bien chez d’Argenson la maladie qui précéda cette venue de Rousseau, le persiflage par bel air ou l’affectation fausse de sensibilité de la part de ceux qui en manquaient le plus : « On ne voit, dit-il énergiquement, que de ces gens aujourd’hui dont le cœur est bête comme un cochon, car ce siècle est tourné à cette paralysie du cœur ; cependant ils entendent dire qu’il est beau d’être sensible à l’amitié, à la vertu, au malheur ; ils jouent la sensibilité presque comme s’ils la sentaient. » Le grand mérite de Rousseau fut de sentir avec vérité ce qu’il exprima avec force et quelquefois avec emphase : car par lui on passa brusquement de la presque paralysie du cœur à une sorte d’anévrisme soudain et de gonflement impétueux.

1120. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — II » pp. 150-171

L’abbé de Pons comme La Motte, en tenant la traduction de Mme Dacier, se disait : « Osons juger à présent L’Iliade. » On avait beau leur représenter, à ces juges si empressés, et Mme Dacier toute la première : « Mais prenez garde ! […] On cite de lui ce joli mot à quelqu’un qui l’abordait en croyant le reconnaître, et qui le prenait pour un autre : « Monsieur, je ne suis pas le bossu que vous croyez. » Et toutefois, dans la querelle présente, il ne devait pas tout à fait oublier qu’il lui était échappé, à lui tout le premier, d’appeler les érudits stupides ; et il avait beau dire qu’il ne l’avait fait qu’en général et sans application à personne, le pavé était gros, le compliment peu mince. — Convenons aussi que, sans être Gacon, il fallait se tenir à quatre dans ce débat pour ne pas dire de La Motte (ce qui était vrai au pied de la lettre) qu’il jugeait d’Homère comme un aveugle des couleurs. […] Un mot n’est pas plus beau par lui-même qu’un autre mot ; une expression n’est ni plus noble ni plus brillante qu’aucune autre. […] André Chénier a eu raison de célébrer Ce langage sonore aux douceurs souveraines, Le plus beau qui soit né sur les lèvres humaines. […] En France nul n’a mieux conçu et pratiqué cette magie des syllabes, cet assemblage et cet accord des mots heureux et beaux par eux-mêmes, que M. de Chateaubriand ; et quoiqu’il l’ait fait avec préméditation, avec artifice, il y a tout lieu de l’en remercier comme du plus grand service rendu au goût, après l’excès de métaphysique et la débauche d’abstraction qui avait précédé.

1121. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. »

On me le dépeint alors un beau jeune homme, à la chevelure d’un blond hardi, bouclée, élégante. […] coûte que coûte, à tout prix, il me le faut, ce beau costume que voilà !  […] Beaux diseurs de secrets, vous perdiez un mystère Échappé de Paris pour ce cher entretien : Les paroles allaient tomber dans la fougère, Et le salon ne saura rien. […] On y voit, et je l’ai déjà dit, ce qu’il pense de la politique ; on n’y voit pas moins ce qu’il pense de cette philosophie essentiellement idéale et illusoire qui, sans tenir compte de la pratique humaine et de l’expérience, prétend que « le beau n’est que la forme du bon. » Et il a même, à ce sujet, une manière de parabole ou d’apologue assez remarquable. […] Et, en cet instant, une troupe de joyeux requins suivaient dans le sillage et pensaient entre eux : — « Rien n’est beau comme une galère qui va sombrer en mer toute pleine de passagers. » Et dites après cela, philosophes, que « le beau est la forme du bon. » Cet apologue est digne de Stendhal. — Voulez-vous quelque chose de plus gai ?

1122. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Madame Roland, ses lettres à Buzot. Ses Mémoires. »

Faugère, d’accepter cette variante de la tradition, non plus que ce surcroît d’interprétation qu’il y joint, et puisqu’il faut revenir sur cette mort, l’une des plus belles qui existent, je demande à retracer les faits sans surcharge et dans leur simplicité. Le malheur attaché à ces belles choses est que chacun y revient, et, en y revenant, veut y ajouter et renchérir sur les prédécesseurs. […] Sa coiffure était soignée ; elle portait un bonnet-chapeau d’une élégante simplicité, et ses beaux cheveux flottaient sur ses épaules. […] Dans son amour de la grandeur historique et de la gloire, elle se disait qu’une belle mort, un noble flot de son sang généreux allait laver tout cela. […] Étendons notre vue ; il y a plus d’une façon de belle mort ; personne n’en a le monopole.

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