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835. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre V. De la littérature latine, pendant que la république romaine durait encore » pp. 135-163

Les anciens n’ont point approfondi les passions humaines, comme l’ont fait quelques moralistes modernes ; leurs idées même sur la vertu s’y opposaient nécessairement. La vertu consistait, chez les anciens, dans la force sur soi-même et l’amour de la réputation. […] Horace se moque, dans l’une de ses épîtres, de ceux qui admirent les anciens poètes romains, Ennius et ses contemporains. […] Ce qui est certain, c’est qu’Horace et Cicéron disent que les tragiques romains ont été les copistes des Grecs, et que toutes les tragédies citées dans les écrits des anciens (et il y en a près de deux cents) sont tirées des sujets grecs.

836. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre II. L’éloquence politique »

La véritable éloquence politique de ce temps doit se chercher dans les écrits : dans tous ces petits libelles par lesquels Voltaire, par exemple, excite l’opinion publique, dans toutes ces déclarations virulentes que, sous un titre ou sous un autre, Rousseau, Diderol, Raynal lancent contre les institutions de l’ancien régime. […] L’éloquence révolutionnaire L’éloquence révolutionnaire occupe un espace de dix années (1789-1799) : dans toutes les assemblées qui se succèdent, dans les États Généraux devenus bientôt Assemblée constituante (1789-1791), dans l’Assemblée législative (1791-1792), dans la Convention (1792-1795), partout, sauf dans les deux Conseils juxtaposés des Anciens et des Cinq-Cents (1795-1799), elle est représentée par de brillants et vigoureux talents. […] Girondins et montagnards Nous n’avons pas à nous arrêter aux défenseurs de l’ancien régime contre lesquels lutta Mirabeau : le cynique et violent Maury, le sincère et mesuré Cazalès629. […] -A. de Cazalès (1752-1805), ancien officier de cavalerie.

837. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « La génération symboliste » pp. 34-56

Elle pâlit de voir se dresser à nouveau le spectre des anciens jours. […] Le gain de la philosophie, estimaient nos anciens, c’est de nous rendre sages et meilleurs. […] Avec Cartaut, la blague avait pénétré l’ancien enseignement emphatique et solennel C’était un mot d’ordre chez les derniers Normaliens d’affecter l’esprit du boulevard et de délaisser l’étude des classiques dont ils avaient la garde, pour se consacrer au journalisme, à l’étude des romanciers en vogue et des vaudevillistes. […] Ils ne se souciaient « d’arriver », ni par la flatterie, comme les poètes de l’ancien régime, à qui souvent une dédicace opportune suffisait pour ouvrir la considération et la fortune, ni par la ruse comme Julien Sorel, ni par les femmes comme Lucien de Rubempré.

838. (1890) L’avenir de la science « V »

L’histoire ancienne de l’Orient, dans ce qu’elle a de certain, pourrait se réduire à quelques pages ; si l’on ajoutait foi aux histoires hébraïques, arabes, persanes, grecques, etc., on aurait une bibliothèque. […] De même, pour que l’humanité se crée une nouvelle forme de croyances, il faut qu’elle détruise l’ancienne, ce qui ne peut se faire qu’en traversant un siècle d’incrédulité et d’immoralité spéculative. […] La ruine des croyances anciennes et la formation des croyances nouvelles ne se font pas toujours dans l’ordre le plus désirable. […] Si vous élevez autel contre autel, on vous dira : « Nous aimons mieux les anciens ; ce n’est pas que nous y croyions davantage, mais enfin nos pères ont ainsi adoré. » On nous chargerait de l’éducation religieuse du peuple, que nous devrions commencer par son éducation dite profane, lui apprendre l’histoire, les sciences, les langues.

839. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Éloges académiques de M. Pariset, publiés par M. Dubois (d’Amiens). (2 vol. — 1850.) » pp. 392-411

L’ancienne Société de médecine ayant été détruite en 1793 et la nouvelle Académie de médecine n’ayant été établie qu’en 1820, il n’y eut point place, entre Vicq d’Azyr et M.  […] Indépendamment de la Société de médecine, n’oublions pas qu’on avait encore, sous l’Ancien Régime, l’Académie de chirurgie, plus anciennement fondée (1733) et très illustre par les noms et les travaux de ses membres. […] Il nous promet de recueillir dans deux publications prochaines les éloges, jusqu’ici incomplets, de Vicq d’Azyr, et les éloges, inédits presque tous, du célèbre Louis, secrétaire de l’ancienne Académie de chirurgie. […] Pour s’en guérir, il devrait suffire de relire dans les anciens éloges ces parties si applaudies autrefois : ce sont celles qui font tache aujourd’hui. — Mlle Mars disait un mot d’un grand sens, et qui a son application dans plus d’un art : « Comme nous jouerions mieux la comédie, si nous ne tenions pas tant à être applaudis ! 

840. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « De la retraite de MM. Villemain et Cousin. » pp. 146-164

Guizot a mis en ordre et rédigé cette dernière série d’anciennes leçons, qui n’avaient jamais été publiées avec l’étendue et le soin convenables. […] Guizot, depuis deux ans, n’a cessé, indépendamment de ses écrits historiques, de recueillir et de publier, en les revoyant, d’anciens morceaux très distingués15, qui vont former toute une bibliothèque morale et littéraire : Méditations et études morales ; — Études sur les beaux-arts en général ; — Shakespeare et son temps ; — Corneille et son temps. […] [NdA] La plupart de ces morceaux déjà anciens sont tirés ou des Annales de l’éducation, ou des Archives philosophiques, politiques et littéraires, ou de la Revue française, ou d’autres recueils auxquels M. Guizot prenait part ; ou bien encore, ce sont d’anciennes préfaces et introductions qui avaient paru en tête de collections que M. 

841. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre II : Philosophie politique de Tocqueville »

Plus tard, il a essayé de corriger ce défaut de son éducation première, et il était arrivé sur l’ancien régime à une érudition assez fine et assez rare, mais trop récente, et par conséquent toujours un peu incertaine. […] On n’a pas assez remarqué que sur les républiques anciennes ce sage politique a exactement les mêmes idées que Mably et que Rousseau : ce qu’il appelle la république n’est pour lui qu’un rêve des temps antiques ; il n’a eu aucun pressentiment de la démocratie moderne. […] Si les classes les plus élevées perdent quelque chose de leur élégance, les plus basses perdent de leur grossièreté ; un esprit de cordialité et de familiarité, plus vulgaire, mais plus humain, remplace la politesse des anciens temps ; les mœurs deviennent plus douces et plus fraternelles. […] En signalant avec tant de force, et peut-être avec un excès d’inquiétude, les maux et les périls que la démocratie recèle dans son sein, M. de Tocqueville a-t-il voulu décourager les sociétés démocratiques, les ramener aux institutions du passé, et leur proposer comme remède une restauration plus ou moins profonde de l’ancien régime ?

842. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre premier. Le problème des genres littéraires et la loi de leur évolution » pp. 1-33

Pindare est plus sacerdotal que patriarcal, plus épique que lyrique… Mais c’est surtout dans la tragédie antique que l’épopée ressort de partout… Tous les tragiques anciens détaillent Homère. […] En France, Malherbe avant Chapelain, Chapelain avant Corneille ; dans l’ancienne Grèce, Orphée avant Homère, Homère avant Eschyle ; dans le livre primitif, la Genèse avant les Rois, les Rois avant Job ; ou, pour reprendre cette grande échelle de poésie que nous parcourions tout à l’heure, la Bible avant l’Iliade, l’Iliade avant Shakespeare. […] Enfin, en recherchant les rapports de cette évolution littéraire avec l’histoire politique et sociale, en remontant aux périodes plus anciennes, en étudiant de ce point de vue d’autres littératures encore, je vis se dessiner peu à peu la loi universelle et logique que les pages suivantes vont exposer. […] Chaque ère est dominée par un grand principe (politique, moral, social) qui en fait l’unité et dont les phases successives caractérisent les périodes : les débuts lyriques, la création épique, la désagrégation dramatique. — Je dénomme les ères d’après leur principe, en renonçant absolument aux termes vagues qui sont hélas en usage ; nous parlons d’histoire ancienne (qui comprend les Pharaons, la république d’Athènes et l’empire romain !)

843. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XII : Pourquoi l’éclectisme a-t-il réussi ? »

Royer-Collard la découverte ancienne des idées représentatives. […] Ainsi accaparé, il a supprimé la philosophie philosophique, laissant entières les objections anciennes, répétant les démonstrations anciennes, effaçant les questions de science, réduisant la science à une machine oratoire d’éducation et de gouvernement. […] Personne ne voudrait la comparer, comme les anciennes, à un fleuve qui arrose et renverse ; point de bruit, point de mouvement, point d’effet ; c’est une baignoire bien propre, bien reposée et bien tiède, où les pères, par précaution de santé, mettent leurs enfants.

844. (1910) Études littéraires : dix-huitième siècle

Il est « classique » et il est « ancien ». […] L’ancien sentiment est ruiné absolument par le nouveau. […] « J’adore les anciens… cette antiquité m’enchante… », dit Montesquieu. […] Personne n’a parlé plus magnifiquement que lui des démocraties anciennes. […] Ce serait, s’il faisait une constitution, un restaurateur ingénieux des plus anciens régimes.

845. (1848) Études critiques (1844-1848) pp. 8-146

Dans Esther, le style n’a rien de bien attrayant ; sous ce rapport, M. de Balzac n’a jamais été en première ligne, et sa nouvelle production ne le fait pas monter plus haut que les anciennes. […] Pour en citer un exemple, nous rappellerons que de là est venue la croyance bizarre au mépris des anciens pour leurs femmes et à la servitude dans laquelle ils les tenaient. […] Si un poète est épris de ces anciennes mœurs, au point de choisir pour sujet de ses chants, ce qui est fort naturel, que n’imite-t-il Goethe ? […] Théophile Gautier a cru peut-être en frottant sa plume sur son ancienne palette, apporter à la poésie une nouveauté qui le ferait bien venir. […] Incontestablement, c’est fort chevaleresque et très commémoratif des anciens temps.

846. (1864) Corneille, Shakespeare et Goethe : étude sur l’influence anglo-germanique en France au XIXe siècle pp. -311

Les Français et Corneille avec eux ne comprenaient les auteurs étrangers ou les anciens qu’à travers leur propre idéal. […] En effet, l’auteur cherchait avant tout à établir la différence profonde qui existe entre les littératures anciennes et les modernes. […] Se croit-on plus profond en substituant la moderne géologie à l’ancienne cosmogonie ? […] À la tête de ses bataillons fantastiques, il avait déclaré la guerre aux anciens dieux. […] Une sorte de fièvre semblait s’être emparée de la jeunesse : la révolte contre les anciens éclatait dans toute sa fureur.

847. (1874) Premiers lundis. Tome I « Dumouriez et la Révolution française, par M. Ledieu. »

Les habitudes de sa vie première s’effaçaient avec les années ; et celui qui n’aurait été qu’un second Belle-Isle sous l’ancien régime, devenait chaque jour plus ressemblant au vainqueur de Jemmapes. […] Lors de la première Restauration, il crut avoir quelque droit à une récompense nationale pour les anciens services de son généralat en chef : d’ailleurs, ses efforts pour relever le trône constitutionnel contre la Convention devaient, ce semble, lui mériter la bienveillance des Bourbons : il aspirait au bâton de maréchal de France.

848. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre IV »

Il songeait aux mots anciens qui sont beaux comme des plantes sauvages et de même origine naturelle et spontanée. […] En 1812, devant la répugnance bien naturelle du peuple, on dut permettre le retour des anciens mots proscrits qui s’adaptèrent désormais à des poids et à des mesures conformes à la loi nouvelle.

849. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre VI. Des dictionnaires Historiques » pp. 220-228

Il n’y a pas peut-être un seul blasphême évident contre le Christianisme dans tout son livre ; mais il n’y a pas une seule page, dans les articles des anciens philosophes & des hérétiques, qui ne conduise le lecteur au doute & souvent à l’incrédulité. […] Le second est intitulé : Dictionnaire des dits & faits mémorables, de l’histoire ancienne & moderne, en deux volumes in-8°., par M.

850. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — VI »

 » Le mal est ancien, héréditaire, il date de l’ancienne monarchie ; mais ce sont les législateurs modernes qui l’ont institué à demeure, par système, et qui, pour l’entretenir, l’étendre, l’empirer au-delà de toute mesure, ont employé la précision, la rigueur, l’universalité, la contrainte impérative et les plus savantes combinaisons de la loi4 »‌ ∾ Vous venez d’entendre Taine par-delà le tombeau.

851. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — III » pp. 455-479

Bonstetten, devenu tout à fait littérateur en ces années et auteur en allemand, pensait à se fixer pour toujours à Copenhague ; il avait obtenu l’indigénat, et invitait même son ami Muller à le venir rejoindre ; car il n’avait que relâché un peu ses liens d’amitié avec l’illustre historien ; en acquérant de nouveaux amis, il ne renonçait pas aux anciens, et il justifiait ce joli mot de lui et qui lui ressemble : « Ce qui est léger n’est pas toujours infidèle. » Dès que l’établissement du Consulat eut procuré une trêve à la Suisse, et qu’elle rentra, à l’exemple de la France, dans la voie des gouvernements réguliers, Bonstetten se sentit rappelé vers elle ; il y revint en 1801, non sans donner au bon pays hospitalier qu’il quittait des larmes sincères. […] Bonstetten y part de ce principe que « la poésie chez les anciens était si peu faite pour mentir qu’elle était au contraire comme une révélation de faits trop éloignés pour être aperçus par les yeux du vulgaire » ; elle les ressaisissait en vertu d’une double vue et avec un caractère plus intime de vérité. […] Mais il y avait à Berne un parti d’ancien régime, incurable comme tous les partis d’ancien régime, qui ne rêvait que contre-révolution, et qui n’avait point pardonné à Bonstetten ses espérances conciliantes. […] En ces années où Bonstetten prend décidément son parti et où, faisant une bonne fois son deuil de tous les regrets, le rajeunissement pour lui commence, Genève offrait la réunion la plus complète d’esprits éclairés et distingués : Mme de Staël encore, qui allait trop tôt disparaître ; Dumont, l’interprète de Bentham, l’ancien ami de Mirabeau ; le médecin Butini ; l’illustre naturaliste de Candolle, « l’homme parfait, qui avait un aussi bon esprit pour les affaires du monde que pour les végétaux, et le cœur comme s’il n’avait que cela » ; les savants Pictet ; l’érudit Favre ; bientôt Rossi, dont l’esprit fin et l’habile carrière devaient aboutir à la grandeur ; Sismondi, droit, loyal, instruit, mais qui se trompait à coup sûr quand il croyait voir en Bonstetten « un débris de la secte de Voltaire » ; bien d’autres que j’omets, et jusqu’à cet aimable Diodati, qui m’a entretenu d’eux autrefois, et qui, le dernier de tous, vient tout récemment de mourir.

852. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « De la tradition en littérature et dans quel sens il la faut entendre. Leçon d’ouverture à l’École normale » pp. 356-382

Ne pas avoir le sentiment des lettres, cela, chez les anciens, voulait dire ne pas avoir le sentiment de la vertu, de la gloire, de la grâce, de la beauté, en un mot de tout ce qu’il y a de véritablement divin sur la terre : que ce soit là encore notre symbole. […] quand je vois ces titres qu’on y affiche pas trop complaisamment, ces promesses et ces engagements publics de découvertes, tel ou tel personnage d’après des documents inédits, je me défie un peu du goût et de la parfaite justesse des conclusionsad ; je ne conseillerai pas de mettre, mais j’aimerai tout autant qu’on mît en tête une bonne fois : tel ou tel personnage d’après des idées et des vues judicieuses fussent-elles même anciennes. […] De cette disposition bien avouée et convenue entre nous, de ce que, tout en profitant de notre mieux des instruments, un peu onéreux parfois, de la critique nouvelle, nous retiendrons quelques-unes des habitudes et les principes mêmes de l’ancienne critique, accordant la première place dans notre admiration et notre estime à l’invention, à la composition, à l’art d’écrire, et sensibles, avant tout, au charme de l’esprit, à l’élévation ou à la finesse du talent, vous n’en conclurez pas, messieurs, que nous serons nécessairement, à l’égard des livres et des écrivains célèbres, dans la louange monotone, dans une louange universelle. […] L’homme de goût, quand même il n’est pas destiné à enseigner, et s’il avait tout son loisir, devrait pour lui seul, revenir, tous les quatre ou cinq ans, ce me semble, sur ses anciennes et meilleures admirations, les vérifier, les remettre en question comme nouvelles, c’est-à-dire les réveiller, les rafraîchir, au risque même de voir s’y faire, çà et là, quelque dérangement : l’essentiel est qu’elles soient vives. […] Il n’y a que les contemporains qui aient toutes les qualités, et à la fois les plus contradictoires ; nous serons plus sobres avec les anciens et avec nos classiques : cette sobriété sera elle-même un hommage.

853. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure »

Il ne faudrait pas le voir pourtant trop amoureux des âges gaulois, ni trop épris des doctes personnages de la Renaissance ; il était de son siècle et n’enviait guère à ces savants hommes du passé que leur façon de s’exprimer, plus franche que la nôtre : « On avait », dit-il, « l’esprit étrangement fait du temps de Pasquier ; il admirait Ronsard, que nous ne voudrions pas lire à présent… Disons la vérité, tous ces messieurs-là étaient trop graves pour être plaisants ; il n’y a que leur langage ancien que je voudrais qui eût été conservé, et je sais bon gré à M. de Cambrai (Fénelon) d’avoir dit que ce langage se fait regretter, parce qu’il avait je ne sais quoi de court, de naïf, de hardi, de vif et de passionné. […] On sait l’affreuse histoire de Mme de Tencin, cette femme d’esprit et d’intrigue, qui a fait des romans de pur sentiment : un jour, le soir du 6 avril 1726, un de ses anciens amants, un M. de La Fresnaye, à qui elle avait voulu (il paraît bien) extorquer ou soustraire des sommes considérables, va chez elle furieux, hors de lui, se met sur un canapé et se loge quatre balles dans le cœur, dont il meurt sur le coup ; « Le canapé en frémit ; la dame en gémit : on avertit le premier président et le procureur général du Grand-Conseil, qui le font enterrer, la nuit, en secret, et le lendemain chacun conte l’histoire à sa manière, et il y en a cent. […] Certes, instruit comme il l’était, possédant ses auteurs anciens et son siècle de Louis XIV, fidèle au goût sain, Marais eût été un membre de l’Académie française qui en eût valu bien d’autres ; mais il oublia trop, en couvant ce désir, qu’il vivait dans un cercle qui n’était pas celui du monde littéraire ; il avait en haine le salon de Mme de Lambert où se décidaient la plupart des choix académiques ; il n’était, lui, d’aucun salon. […] Et puisque j’en suis moi-même à aller ainsi à la picorée dans les auteurs, voici une assez belle pensée de lui sur les Grecs ; elle lui est échappée en parlant du Dialogue sur la Musique des Anciens, de l’abbé de Chateauneuf : « Nous ne sommes pas si vifs ni si chauds que les Grecs ; je m’imagine qu’ils avaient l’âme d’une âme au lieu d’un corps. » Ce n’est pas mal pour un Gaulois. […] Je me servis du droit que j’avais comme son plus ancien ami pour lui faire sentir le ridicule d’une conduite qui blessait les bienséances et dont le monde se moquait : comme je ne pus la raviser, je pris mon parti.

854. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre IV. Construction de la société future »

Pour acquérir l’intelligence des mots abstraits et l’habitude des déductions suivies, il faut au préalable une préparation spéciale, un exercice prolongé, une pratique ancienne, outre cela, s’il s’agit de politique, le sang-froid qui, laissant à la réflexion toutes ses prises, permet à l’homme de se détacher un instant de lui-même pour considérer ses intérêts en spectateur désintéressé. […] Propriété, famille, Église, aucune des institutions anciennes ne peut invoquer de droit contre l’État nouveau. […] Premier-né, fils unique et seul représentant de la raison, il doit, pour la faire régner, ne rien laisser hors de ses prises  En ceci l’ancien régime conduit au nouveau, et la pratique établie incline d’avance les esprits vers la théorie naissante. […] Tocqueville, L’ancien régime, 237. — Cf.  […] Tocqueville, l’Ancien régime , livre II tout entier ; et livre III, ch. 3.

855. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre II. Le théâtre du quinzième siècle (1450-1550) »

Enfin, comme il est arrivé dans les épopées cycliques, où l’on a remonté les temps en passant des fils aux pères, le drame de la nouvelle loi a suscité le drame de l’ancienne loi : on pense que le Mystère du Vieil Testament s’est organisé sous l’influence de la Passion de Gréban. […] Dans ce sujet si simple — un marchand fripon, dupé par un avocat fripon, que dupe à son tour un rustre fripon, auquel il avait donné secours pour duper encore le marchand — dans ce sujet si mince, il y a un tel jaillissement de gaieté, tant de finesse, tant d’exactitude dans l’expression des caractères, une si délicate et puissante intuition de la convenance dramatique et psychologique des sentiments, une vie si intense, et un style si dru, si vert, si mordant, ici une si exubérante fantaisie et là une si saisissante vérité, souvent un si délicieux mélange de la fantaisie au dehors et de la vérité au dedans, qu’en vérité la farce de maître Pierre Patelin est le chef-d’œuvre de notre ancien théâtre, et l’un des chefs-d’œuvre de l’ancienne littérature. […] Rousset, Paris, 1612. — Éditions : Ancien Théâtre français Bibl. […] Recueils Fournier et Picot, et Ancien Théâtre français, t. 

856. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Bussy-Rabutin. » pp. 360-383

Son style, aux bons endroits, a le nitor des anciens. […] Elle lui avait pardonné son injure, mais à condition de s’en ressouvenir et de la lui rappeler toujours : « Levez-vous, comte, je ne veux point vous tuer à terre, lui écrivait-elle quand il faisait semblant de se mettre à genoux : ou reprenez votre épée pour recommencer notre combat… » En pleine paix, en pleine amitié, un mot, une saillie soudaine de cette innocente railleuse, laissait deviner son ancienne rancune, et montrait bien qu’elle se sentait désormais sur lui tous les avantages. […] « D’ailleurs, ajoutait-il, Despréaux est un garçon d’esprit et de mérite que j’aime fort. » Lié avec les Sarasin, les Benserade, et ces anciens beaux esprits qu’il appelait encore les virtuoses, il eut le tact et le bon goût d’accepter, de deviner les mérites originaux et naissants : il fut l’un des premiers à sentir et à pousser La Bruyère. […] Quand j’écrivais cette page, en effet, je ne connaissais le portrait que comme il avait été imprimé dans l’ancienne édition des Mémoires de Bussy, c’est-à-dire avec de nombreuses suppressions, et je n’avais pas lu le texte plus complet qui ne fut donné que dans le Supplément aux mêmes Mémoires. […] Et là-dessus Bussy ayant écrit à son ancien général une lettre de compliment et de reconnaissance, Turenne lui avait répondu par une lettre qui, « dans sa manière courte et sèche (c’était son genre), était peut-être une des plus honnêtes qu’il ait jamais écrites ». — Je crois maintenant en avoir assez dit, mais il m’était resté comme un remords de n’avoir caractérisé qu’imparfaitement ce portrait de Turenne par Bussy, lequel portrait, d’ailleurs, est en soi l’une des pièces les plus nettes et les plus achevées de notre littérature : c’est un simple dessin sans couleur aucune, mais des plus expressifs et des plus parlants.

857. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « André Chénier, homme politique. » pp. 144-169

Ou plutôt, et pour prendre une comparaison plus noble et plus d’accord avec son caractère, André Chénier, par ses vœux, par ses souhaits, par ses chagrins d’honnête homme, par ses conseils et ses colères même, représente assez bien le chef du chœur dans les anciennes tragédies. […] La ligne honorable d’André Chénier s’y dessine déjà tout entière : Lorsqu’une grande nation, dit-il en commençant, après avoir vieilli dans l’erreur et l’insouciance, lasse enfin de malheurs et d’oppression, se réveille de cette longue léthargie, et, par une insurrection juste et légitime, rentre dans tous ses droits et renverse l’ordre de choses qui les violait tous, elle ne peut en un instant se trouver établie et calme dans le nouvel état qui doit succéder à l’ancien. […] Il faut l’entendre qualifier cette « scandaleuse bacchanale », cette « bambochade ignominieuse », que favorisaient la lâcheté des corps constitués et l’immortelle badauderie parisienne, et s’écrier, par un mouvement digne d’un ancien : On dit que, dans toutes les places publiques où passera cette pompe, les statues seront voilées. […] L’indolence parisienne est de tout temps connue ; et si des peuples anciens élevèrent des temples et des autels à la Peur, on peut dire (c’est Chénier qui parle à la date de 92) que jamais cette divinité « n’eut de plus véritables autels qu’elle n’en a dans Paris ; que jamais elle ne fut honorée d’un culte plus universel ». […] C’est un de ces passages que dans la critique des textes anciens on appellerait désespéré, et qui ferait dire à Mme de Sévigné : J’en donne ma langue aux chiens.

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