tel qu’il est, le monde l’aime encore… Dans le drame intitulé La Coupe et les lèvres, Alfred de Musset exprimait admirablement, sous la figure de Frank et de Belcolore, la lutte entre un cœur noble, fier, orgueilleux, et le génie des sens auquel il a une fois donné accès. […] C’est alors aussi qu’on entendait dans les salons des gens d’esprit et réputés gens de goût, des demi-juges de l’art comme il y en a surtout dans notre pays55, affecter de dire qu’ils aimaient Musset pour sa prose, et non pour ses vers, comme si la prose de Musset n’était pas essentiellement celle d’un poète : qui avait fait les vers pouvait seul faire cette fine prose. […] Que manquait-il donc en ces années au poète, bien jeune encore, pour être heureux, pour vouloir vivre et aimer la vie, pour laisser son esprit courir et jouer en conversant sous des regards prêts à lui sourire, et son talent désormais plus calme, plus apaisé, s’animer encore par instants et combiner des inspirations renaissantes avec les nuances du goût ? […] Il a souffert ; que ceux qui l’ont aimé et qui l’aimeront toujours pour ses vers ne l’oublient pas. […] Poète qui n’a été qu’un type éclatant de bien des âmes plus obscures de son âge, qui en a exprimé les essors et les chutes, les grandeurs et les misères, son nom ne mourra pas, Gardons-le particulièrement gravé, nous à qui il a laissé le soin de vieillir, et qui pouvions dire l’autre jour avec vérité en revenant de ses funérailles : « Notre jeunesse depuis des années était morte, mais nous venons de la mettre en terre avec lui. » Admirons, continuons d’aimer et d’honorer dans sa meilleure part l’âme profonde ou légère qu’il a exhalée dans ses chants ; mais tirons-en aussi cette conséquence de l’infirmité inhérente à notre être, et de ne nous enorgueillir jamais des dons que l’humaine nature a reçus.
Après l’abdication de l’empereur, Wolfgang retrouve son père rapatrié, et une belle royaliste qu’il aime depuis son adolescence, Mme de Timey. […] Il se cache après Waterloo ; il écrit à Mme de Timey : « Venez et fuyons ensemble. » Elle hésite et répond : « Non. » Seconde lettre de Wolfgang : « Puisque vous ne voulez pas fuir avec moi, vous ne m’aimez plus, et je me constitue prisonnier. » Et, quoique le roi lui ait accordé spontanément sa grâce, il se tue dans sa prison. […] Ces plats paradoxes me feraient presque aimer le plat bon sens de « ce coquin de Franklin ». […] Malgré mes grands cheveux blancs qui me donnent l’air d’un académicien (à l’étranger), j’ai grand besoin de quelqu’un qui m’aime assez pour m’appeler son enfant… » Il lui demande, un jour, un article sur les Histoires extraordinaires de Poë ; Sainte-Beuve promet l’article, ne l’écrit point, et Baudelaire ne lui en veut pas L’affection de Baudelaire pour le grand critique datait de loin ; les Poésies de Joseph Delorme étaient déjà, au collège, un de ses livres de prédilection ; et à vingt ans, il envoyait des vers (dont quelques-uns assez beaux) à son poète favori… Et, en effet, les poésies de Sainte-Beuve, — si curieuses mais qui ne sont aujourd’hui connues et aimées que d’un petit nombre de lettrés, ressemblent déjà par endroits, sinon à des « fleurs du mal », du moins à des fleurs assez malades. […] Toutes les femmes que les poètes ont aimées et ; dont ils ont chanté l’incomparable beauté ; depuis la maîtresse d’Anacréon jusqu’à celle de Baudelaire, en passant par Délie, Cynthie, Béatrix, Laure, Cassandre, Elvire… — si nous les avions sous les yeux telles qu’elles ont été, qui sait ?
Une jeune Milanaise, déguisée en page, vient sous le nom de Lesbino offrir ses services au capitaine qu’elle aime ; ce rôle est tenu par la signora Silvia Roncagli, de Bergame. […] À la suite de la querelle qui a eu lieu entre elle et son mari, à l’occasion du portrait que ce dernier a vu aux mains de la comédienne Vittoria, Isabelle, soupçonnant Oratio d’aimer celle-ci, ordonne à Pedrolino d’aller demander audit Oratio le portrait qu’elle lui a donné jadis. […] Puis, Oratio répétant ce qu’il vient de dire à Pedrolino, elle l’appelle traître et lui dit qu’elle n’ignore pas qu’il aime la comédienne et qu’il lui a donné son portrait à elle. […] Il reconnaît que Silvia est d’une naissance honorable, qu’elle est fille d’un riche marchand milanais, et qu’il l’a aimée. […] Refusée, chassée, fuie, honnie, je sers celui qui me repousse, j’aime celui qui me hait.
… Aimez-vous la crinoline ? […] — Eh bien, le public des théâtres aussi aime la crinoline, et ailleurs que sur la scène. […] oui, je l’ai bien aimé, cet homme. […] * * * « L’un est un grand brun avec éperons et cravache, et l’autre, un petit blond sentimental avec des bagues en cheveux. » Mademoiselle Mar… les aime tous deux — au même prix et au même degré. […] Le farniente au travail, — mauvaise habitude ; Un fauteuil moelleux à une chaise de paille, mauvaise habitude ; L’étudiant aime mieux suivre une jolie femme que les cours de l’École, — mauvaise habitude !
C’est encore le parent pauvre, mais honnête, de La Bruyère, de Boileau, de Molière, mais tempéré de raison, de malice, de gaieté, tempéré trois fois, de sorte qu’en l’aimant les gens de peu de tempérament semblent aimer la tempérance et font ainsi de leur pauvreté une vertu. […] Pourquoi aiment-ils ce patito, éternellement épris de femmes qui se moquaient de lui, si ce n’est parce qu’ils s’associent aux premières mélancolies de l’impuissance, et que cette mélancolie, qui devrait être atroce à qui n’a pas en soi la ressource d’une âme, est encore chez lui tempérée ? […] Écoutez Godeau, l’évêque de Vence, qui l’aimait et le mettait au-dessus de Sapho, d’Anacréon et de Simonides. […] « Il s’est toujours tenu loin de la perfection », dit Rigault, cet autre singulier faiseur d’éloges, et, au fait, voilà ce qu’on aime ! […] Il n’en donne rien à ceux qui l’aiment, qui ont la faiblesse de l’aimer !
C’est l’enthousiasme et un sentiment véritablement religieux pour quelques gloires pures que ne maculèrent jamais ni la boue ni le sang révolutionnaires, qui communiquent à son livre le charme d’un accent qu’on aime, parmi tant de choses qu’on n’aime pas. […] Il me coûte d’enlever l’illusion aux larmes de ceux qui l’aimaient ; mais si l’on s’est rué aux obsèques impies de Michelet, c’est moins pour lui que contre les prêtres, qui n’y étaient pas. […] À l’heure de négation universelle qui sonnait dans tous les esprits, un peu de la croyance de ses pères enveloppa peut-être, sans qu’il y pensât, ce cœur qui avait des manières d’aimer sa patrie comme les Saints aiment la leur, qui est le Ciel ! […] Et cependant, lui, l’inconséquent, qui fait l’histoire des héros qui furent des chefs, Michelet, que j’aime quand il est inconséquent, ne peut pas s’y tromper, au fond de son cœur.
Il raconta la chouannerie comme un homme qui aurait mieux aimé faire que dire. […] Pour écrire la vie de cet homme de brusque décision, qui aimait la vérité d’un amour hardi et sans scrupule, qui n’y alla jamais de main morte avec rien ni avec personne, et qui empoignait, quand il ne s’agissait que de toucher, besoin était d’un homme de sa sorte. […] Il aimait les saints, il les honorait, il se serait battu en duel pour eux, comme d’Orsay, le beau d’Orsay, se battit un jour pour la sainte Vierge ; mais ce diable de Crétineau n’en était pas un. […] Au lieu de nous donner une Vie à la manière sobre et étreignante de Tacite, l’abbé Maynard a mieux aimé nous verser sur les pieds tout un sac de procédure : Que de sacs ! […] L’amitié est un délicieux sentiment, qui peut embaumer le coin d’un livre, comme le muguet, qui aime l’ombre, embaume le coin d’un mur dans un jardin ; mais on n’en fait pas des palissades, et malheureusement les épanouissements d’un tel pyladisme ressemblent à des espaliers d’amitié !
Auguste vous écrira ; il dit que vous êtes ce qu’il aime le mieux à Paris. […] Tout ce qui m’entoure vous aime ; me laisserai-je gagner par l’exemple ? […] J’aime bien votre tableau de la Fronde ; j’aime la distinction entre les Maximes et les Réflexions ; j’aime le parallèle entre La Rochefoucauld et Vauvenargues ; j’aime en vérité tout. […] Il aimait beaucoup la France, et sa femme était Française ou du moins Genevoise. […] Je m’arrête, parce que je n’aime pas les dissertations par lettres.
Les années qu’il m’est donné de vivre encore ne me réservent pas d’aussi douces heures que celles que j’ai passées au milieu d’eux, au sein de devoirs aimés, surprenant ou veillant dans de jeunes cœurs ouverts à toute parole sincère ces secrètes conformités de l’écrivain et du lecteur qui font la vie des ouvrages d’esprit. […] Persuadé que les lettres doivent être un supplément de l’expérience personnelle une force active et présente, une discipline qui s’ajoute aux exemples du foyer domestique, à la religion, aux lois de la patrie, j’ai cherché dans nos grands écrivains moins l’habileté de l’artiste que l’autorité du juge des actions et des pensées, moins ce qui en fait des êtres merveilleux, dont la gloire nous peut troubler, que ce qui les met de tous nos conseils et les mêle à notre vie, comme des maîtres aimés et obéis. […] Mais s’il ne m’a pas été donné d’éviter l’excès et de me tenir au vrai point, j’aime mieux qu’on me reproche la superstition, où il entre du moins de la reconnaissance, que l’indifférence, où il y a toujours un peu de vanité.
Ce système d’indifférence qu’elle pratiquait désormais n’avait pourtant pas son principe dans l’égoïsme ; ce n’était en elle que le culte constant du passé ; et, comme le lui disait délicatement Sismondi : « Vous avez aimé ce qu’il y a eu de plus grand et de plus noble dans votre génération, et ce sentiment vous suffit encore. […] Il n’aimait pas les palinodies, et il avait la conscience de n’avoir rien commis qui méritât ce nom. […] Il avait, on le sait, besoin d’aimer ; ce nouvel attachement, où il rencontrait un accord intellectuel parfait, remplit bientôt son existence, et lui permit de supporter la perte de sa mère qui mourut peu après. […] C’était, par moments, à faire sourire de lui en même temps qu’à le faire mieux aimer. […] Il fait comprendre tous ses défauts, mais il ne les excuse pas, et il ne semble point avoir la pensée de les faire aimer.
C’est à peine si l’on ose dire maintenant que deux êtres se sont aimés parce qu’ils se sont regardés. C’est pourtant comme cela qu’on s’aime et uniquement comme cela. […] « Elle aimait avec d’autant plus de passion qu’elle aimait avec ignorance. […] aimer ! avoir perdu la trace de ce qu’on aime !
C’est un frère qui aime à son insu sa sœur, et qui en est aimé. […] « Plus on a aimé les poëtes sous cette forme idéale qu’ils nous ont donnée d’eux-mêmes, plus on regrette qu’ils ne l’aient pas réalisée en tout dans leur vie, et qu’ils se soient tant mêlés ensuite à la poussière et aux bruits de la terre. […] J’aimais à m’enfoncer dans ses sombres horreurs. […] Ce tableau me rappela la fille d’Ischia que j’avais tant aimée et qui était morte de son amour, quelque temps après mon départ de Naples. […] Nous n’aimons que la générosité haineuse qui, sous prétexte d’honorer un homme illustre, en déshonore un autre plus justement illustre que lui.
Puis viennent les Ambigus : « Aimez-vous, aimez-vous sans cesse… », nº 168. […] j’aurais mieux aimé trouver dans la suite des faits ce qu’il m’a fallu chercher dans l’ordre des possibles. […] Croire que le peuple aime moins la parole dorée que le beau monde ne l’aime, est une erreur. […] — Je n’en doute pas ; il n’est pas riche, il aime la dépense, la bonne chère, et par conséquent l’argent […] Le voilà encore une fois rentré, et peut-être pour toujours, dans ce silence qu’il aimait.
On se modèle sur ce qu’on aime : laissez-lui aimer les belles choses, les belles aventures et les beaux vers ; peut-être que, plus vieux, il aura eu des chagrins et il aura trop de larmes dans les yeux pour lire ces divins badinages à travers ses pleurs. […] Sans doute la médiocrité de fortune d’Arioste fut l’obstacle qui s’opposa à leur union, car elle l’aimait et elle pressentait sa gloire. […] Elle aimait secrètement un jeune chevalier italien accompli, venu à la cour de son père avec son frère, et comblé de faveurs par la famille royale d’Écosse. […] « Ta fille est seule coupable de la mort de mon frère, dit-il un jour au roi, devant toute la cour ; la preuve de son impudicité, qu’il a vue de ses propres yeux, lui a transpercé le cœur, lui qui aimait Ginevra plus qu’on aime la vie. » Alors il raconta la scène nocturne et trompeuse du balcon. […] Mais poursuivons les lectures de l’Arioste : on comprend maintenant pourquoi je l’ai tant aimé.
Aimez-vous Les Incas ? […] qu’il est beau, combien je l’aime ! […] Je les aime tous. […] J’aime beaucoup Renan et je lui dois beaucoup. […] J’aime mieux que nous ayons vécu.
C’est parce que je les aime. […] … Pour moi, j’aime mieux Hercule. […] Elles lui font aimer davantage le travail. […] Et comme on aime M. […] Il faut aimer M.
Ce ne fut donc pas seulement ardeur du sang ; Louis XIV aima sérieusement, jusqu’au sacrifice. […] Il aima de nouveau, et il succomba. […] Depuis lors, il vécut tout aux soins de ses enfants et à Dieu, qu’il aima, dit Mme de Sévigné, comme il avait aimé ses maîtresses. […] Si, par une réserve de situation, qui des deux côtés modérait le penchant, il n’y eut pas là deux amis, du moins il y eut deux hommes qui s’aimèrent, et qui s’aimèrent parce qu’ils se connurent. […] Il aima Boileau par le goût qu’il avait pour les hommes distingués, par la préférence qu’il donnait ouvertement au mérite sur la naissance.
Vers la fin de sa vie, il aimait à s’y reporter en imagination, et il regrettait quelquefois cette cellule où il avait passé dans la ferveur d’une paix mystique une ou deux saisons heureuses2. […] Aimer Massillon, le goûter sincèrement et sans ennui, c’est une qualité et presque une propriété de certains esprits, et qui peut servir à les définir. Celui-là aimera Massillon, qui aime mieux le juste et le noble que le nouveau, qui préfère le naturel élégant au grandiose un peu brusque ; qui, dans l’ordre de l’esprit, se complaît avant tout à la riche fertilité et à la culture, à la modération ornée, à l’ampleur ingénieuse, à un certain calme et à un certain repos jusque dans le mouvement, et qui ne se lasse point de ces lieux communs éternels de morale que l’humanité n’épuisera jamais. Massillon plaira à celui qui a une certaine corde sensible dans le cœur, et qui préfère Racine à tous les poètes ; à celui qui a dans l’oreille un vague instinct d’harmonie et de douceur qui lui fait aimer jusqu’à la surabondance de certaines paroles. […] Cependant, vous le savez, cette majesté n’avait rien de farouche : un abord charmant, quand il voulait se laisser approcher ; un art d’assaisonner les grâces, qui touchait plus que les grâces mêmes ; une politesse, de discours qui trouvait toujours à placer ce qu’on aimait le plus à entendre.
C’est à lui à faire aimer, craindre et respecter la vertu jointe à l’autorité. […] Fénelon lui-même a été, comme son élève, une espérance ; il a pu paraître en politique une de ces lumières un peu flottantes que le souffle de l’opinion fait vaciller d’un côté ou d’un autre, selon qu’on aime à s’en emparer et à s’en décorer. […] Fénelon connaissait les hommes, et ne paraît pas avoir trop compté sur leur bonté ni sur leur reconnaissance ; il le dit en plus d’un endroit au duc de Bourgogne, et avec un accent singulièrement pénétré, qui montre qu’il ne se faisait aucune illusion en ce point : « Quand on est destiné à gouverner les hommes, il faut les aimer pour l’amour de Dieu, sans attendre d’être aimé d’eux… » Je renvoie au passage, il est pénible de transcrire au long de si laides vérités7. […] C’est nous qui mourons : ce que nous aimons vit, et ne mourra plus. […] [NdA] Je ne dois pas, en écrivant, tout à fait oublier que Le Moniteur s’affiche au coin des rues ; voici toute la citation trop vraie ; je l’offre à ceux qui lisent dans la chambre : « Quand on est destiné à gouverner les hommes, il faut les aimer pour l’amour de Dieu, sans attendre d’être aimé d’eux, et se sacrifier pour leur faire du bien, quoiqu’on sache qu’ils disent du mal de celui qui les conduit avec bonté et modération. »
Cousin aime une femme, il faut que l’univers en soit informé, il a le tumulte de l’admiration. […] Cousin est-il de quelqu’un qui a connu les femmes, et qui les a aimées ? […] Quand on y réfléchit, il est d’ailleurs tout naturel que, de même que M. de Lamartine n’aime pas La Fontaine, M. Cousin n’aime ni La Rochefoucauld, ni Hamilton (car il se prononce également et avec plus de vivacité encore contre ce dernier). […] vii, verset 7.) — Et dans son langage tout naturel, Homère, introduisant Ulysse déguisé sous le toit d’Eumée, lui fait dire : « J’aimais de tout temps les vaisseaux garnis de rames ; j’aimais les combats, les javelots acérés et les flèches, tout ce qui paraît triste et terrible à beaucoup d’autres.
Je pourrai, en la parcourant, en l’extrayant par endroits, paraître presque à tout coup bien sévère, et pourtant, je me hâte de le dire, le résultat général de cette lecture est moins de faire blâmer l’auteur souvent déraisonnable, admirable parfois, que de le faire plaindre et aimer. […] Aimer à l’excès ou haïr, il ne conçoit pas de milieu. […] Aussi, à tout ce qu’il aime et croit, comme à tout ce qu’il repousse, il attache involontairement une idée sacrée de sainteté ou de malédiction ; il adore ou il déteste, il bénit ou il exècre. […] Il aime mieux la crise que l’attente de la crise ; il appelle la catastrophe pour hâter l’heure de la reconstruction. […] Il n’aime pas Paris, il n’aime pas Rome, il déteste Genève : qu’aime-t-il donc, ce dur Breton, avec ses aspérités d’origine et ses antipathies de race ?
J’ai aimé Mme de Staël et je l’aime toujours ; elle a été un des cultes de ma jeunesse, et ce culte, je ne l’ai pas abjuré. « Pourquoi voulez-vous vous occuper de ma mère ? […] Je l’aime mieux ainsi qu’à la Romaine et tout d’une pièce. […] Ce grand voyageur intellectuel (comme lui-même il s’appelait), qu’une douleur de cœur, la perte d’une jeune fille qu’il aimait d’un amour paternel, venait de frapper sensiblement, était alors sous l’influence mystique, sous la magie des écrits du théosophe Saint-Martin, tandis que Mme de Staël se sentait plutôt attirée vers Fénelon. […] Elle est pleine de bonté et de grâces pour Mme de Staël ; elle n’est pas moins jolie qu’il y a deux ans, et cependant j’aime qu’elle reparte ; partout où elle se trouve, elle est la destruction de la vraie conversation. […] Elle était femme, et elle aurait désiré être belle ; elle était femme, et elle aurait voulu être aimée ; elle était femme, et elle aurait voulu compter parmi les hommes comme une puissance éloquente, Elle se sentait l’âme d’un orateur.
J’aime, pour ma part, ces exubérances, cet orgueil, ces effets de muscles, cette outrance, cette manie de révolte. […] Richepin est un peu la dupe des mots : il les aime trop en eux-mêmes, pour leur figure de gueux ou de « hurlubiers ». […] Et j’aime encore ce je ne sais quoi qui les rend beaux, nobles, cet instinct de bête sauvage qui les jette dans l’aventure, mauvaise ou sinistre, soit ! […] Les marins, ces gueux de la mer, y sont glorifiés par quelqu’un qui les a vus de près et qui les aime ; et nous avons moins de peine à les aimer que les « gueux de Paris » ou même les « gueux des champs ». […] De psychologie, tout juste ce qu’il en faut à un poète lyrique : même dans Monsieur Destrémaux, encore qu’il intitule bravement cette Nouvelle « roman psychologique » ; même dans Madame André, le meilleur de ses romans pourtant, où il a le mérite de nous faire accepter une situation hardie et où la femme (sauf le sacrifice monstrueux et inutile de son enfant) a de la grâce, de la dignité, presque de la grandeur, et aime bien comme une aînée, comme une maîtresse qui est un peu une mère ; mais Lucien Ferdolle se détache trop vite, avec une soudaineté trop odieuse, et le drame douloureux du déliement progressif est esquivé.