salués d’applaudissements de triomphe, des milliers de savants s’emploieront à des investigations physiques presque infinitésimales ; à rechercher la composition atomique et la structure microscopique du corps ; à explorer les formes innombrables de la vie animale et végétale, invisibles à l’œil tout seul ; à découvrir des planètes qui ont parcouru, inconnues pendant des siècles, leurs orbites obscurs ; à condenser, par la puissance du télescope, en soleils et systèmes, ce qui était regardé récemment encore comme la vapeur élémentaire des étoiles ; à traduire en formules numériques l’inconcevable rapidité des vibrations qui constituent ces rayons, si fermes en apparence que les plus forts vents ne les ébranlent pas ; à mettre ainsi en vue les parties les plus mystérieuses de l’univers matériel, depuis l’infiniment loin jusqu’à l’infiniment petit ; mais l’analyse exacte des phénomènes de conscience, la distinction entre les différences, si fines pourtant et si petites, des sentiments et des opérations ; l’investigation attentive des enchaînements les plus subtils de la pensée, la vue ferme mais délicate de ces analogies mentales qui se dérobent au maniement grossier et négligent de l’observation vulgaire, l’appréciation exacte du langage et de tous ses changements de nuances et de tous ses expédients cachés, la décomposition des procédés du raisonnement, la mise à nu des fondements de l’évidence : tout cela serait stigmatisé comme un exercice superflu de pénétration, comme une perte de puissance analytique, comme une vaine dissection de cheveux, comme un tissage inutile de toiles d’araignées ? […] On donne, en Angleterre, le nom de théorie Berkeleyenne de la vision à celle qui distingue les perceptions naturelles de la vue (lumière, couleurs) des perceptions acquises (distance, mouvement, etc.), ces dernières étant induites et non perçues directement. […] Chez les enfants, prétend-il, la vue est développée avant le toucher.
C’est qu’elles sont pour nous un aveuglement momentané, une suppression de la vue avec la lumière même, une mort de la vue. […] Un enfant qui voit pour la première fois une étoffe écarlate reçoit une excitation du sens de la vue qui n’est nullement la suppression d’une peine préalable. […] Le plaisir est alors senti directement comme tel, non indirectement par une douleur qu’il remplacerait : la vue jouit sans avoir souffert. […] C’est ce qui a lieu pour les excitations de la vue, de l’ouïe, de l’odorat, du goût. […] C’est pourquoi nous avons vu les sens supérieurs, principalement la vue et l’ouïe, condenser en un moment rapide une infinité de plaisirs délicats et subtils, plutôt objets de luxe que de nécessité pour la vie matérielle.
Je viens d’énoncer deux conditions pour que ces deux points soient identiques ; l’une est relative à la vue, l’autre au toucher. […] Supposons donc que nous ayons constaté expérimentalement que la condition relative au toucher peut être remplie sans que celle de la vue le soit et que celle de la vue au contraire ne peut pas l’être sans que celle du toucher le soit. Il est clair que, s’il en était ainsi, nous conclurions que c’est le toucher qui peut s’exercer à distance, et que la vue ne s’exerce pas à distance. […] Quand je dis, le toucher ne s’exerce pas à distance, mais la vue s’exerce à distance, cette assertion n’a qu’un sens qui est le suivant. […] C’est parce que le toucher ne s’exerce pas à distance, tandis que la vue s’exerce à distance.
L’approche et la vue de Rome lui causèrent un battement de cœur et un enthousiasme qu’il a soin de noter comme peu ordinaire en lui. […] Il n’a pas compris qu’il y eût en ce moment une vue morale, une vertu toute nouvelle qui naissait. […] Il était entré au Parlement dans des vues très positives et qu’il ne farde pas : Vous n’avez pas oublié, écrivait-il quelques années après à un de ses amis de Suisse, que je suis entré au Parlement sans patriotisme, sans ambition, et que toutes mes vues se bornaient à la place commode et honnête d’un Lord of trade (membre du Conseil supérieur de commerce). […] Puis il lui montre en perspective une maison charmante à la porte de Lausanne et donnant sur la descente d’Ouchy, onze pièces tant grandes que petites tournées au levant et au midi, une terrasse, une treille, le fameux berceau ou l’allée couverte d’acacias, tous les accidents d’un terrain agréablement diversifié à l’œil, les richesses d’un jardin anglais et d’un verger, surtout la vue du lac et des monts de Savoie en face. […] Je l’ai vue dans toutes les saisons et dans toutes les humeurs, et, quoiqu’elle ne soit point sans défauts, ils sont plus que balancés par ses bonnes qualités.
On doit des remerciements à tous ceux qui nous apportent sur quelque partie de l’histoire des informations et des lumières nouvelles : on en doit à ceux même qui nous les apportent à contrecœur et en grondant51 ; à plus forte raison, à ceux qui le font de bonne grâce, dans la seule vue du public et par zèle pour la vérité. […] L’auteur du nouveau journal, très bien placé pour voir et pour savoir, n’est presque pas un auteur ; il ne pense pas du tout à faire un livre, mais à se satisfaire, à se soulager, à se rendre compte de l’état présent et de la circonstance qui l’obsède, à donner jour à ses vues, à ses espérances, à ses boutades. […] — Voulant marquer que la Suède se rétablit à vue d’œil depuis la mort de Charles XII et qu’elle peut désormais rentrer en ligne dans les combinaisons d’alliance et de ligue, il dira vivement : « Nous prenons de grandes liaisons avec la Suède, afin de lui opposer (à la czarine) cette veuve reposée. » Il a de ces trouvailles d’expression à travers ses rudesses. […] Dans ses vues étendues et souvent élevées de politique extérieure, d’Argenson s’indigne que la France baisse, que sa marine se délabre de plus en plus, qu’on ne fasse rien pour reprendre et tenir son rang avec honneur dans les luttes maritimes ou européennes qui se préparent : (Mai 1738. […] Ses vues et ses intentions, sur ce point comme sur plusieurs autres, lui sont aujourd’hui comptées.
Les héros de la science sont ceux qui, capables des vues les plus élevées, ont pu se défendre de toute pensée philosophique anticipée et se résigner à n’être que d’humbles monographes, quand tous les instincts de leur nature les eussent portés à voler aux hauts sommets. Pour plusieurs, pour la plupart, il faut le dire, c’est là un léger sacrifice ; ils ont peu de mérite à se priver de vues philosophiques, auxquelles ils ne sont pas portés par leur nature. […] De hautes intelligences devront ainsi, en vue du bien de l’avenir, se condamner à l’ergastulum, pour accumuler dans de savantes pages des matériaux qu’un bien petit nombre pourra lire. […] Il serait regrettable assurément qu’un homme éminent y dépensât des instants qui pourraient être mieux employés à le rendre inutile ; et pourtant qui pourrait le faire, si ce n’est celui qui a la vue complète du champ déjà parcouru ? […] La perfection du Parthénon consiste surtout en ce que les parties non destinées à être vues sont aussi soignées que les parties destinées à être vues.
Cet homme, qui avait tant embrassé d’espaces et d’époques, et tant décrit de formes vivantes, pouvait dire : « J’ai passé cinquante ans à mon bureau. » Buffon avait la vue basse : c’était sa seule infirmité. […] Mais c’est qu’il y avait en Buffon un génie qui allait se dégager et qui allait demander satisfaction à son tour : le génie du peintre, du poète, de celui qui avait besoin avant tout de grandes vues pour se donner carrière à les exprimer. […] Mais si ce détail et cette méthode scientifique laissèrent longtemps à désirer chez Buffon auprès d’un petit nombre d’observateurs avancés, il frappa tout d’abord les esprits par de grandes vues, par les plus grandes qui puissent être proposées à la méditation du physicien philosophe. […] Ce qu’il y a de contestable et de hasardé se rachète par des vues qui sont d’une raison profonde et définitive48. […] Au milieu des vues étroites et des aigreurs, il est pourtant un point sur lequel le Gazetier théologien ne se méprend pas, c’est sur la tendance non chrétienne du livre de Buffon.
Il fut envoyé à Paris dans une maison de banque tenue par un Genevois, et il y étendit ses vues, il y exerça son coup d’œil. […] Necker : il rend justice à ses nobles vues, à son désintéressement en matière d’argent, à son zèle pour la réforme partielle des abus, et aux différentes améliorations d’économie et d’humanité qu’il réussit à introduire. […] Le respect que je lui ai religieusement rendu, ce respect s’est affaibli, quand je l’ai vue soumise aux artifices des méchants, quand je l’ai vue trembler devant les mêmes hommes qu’autrefois elle eût fait paraître à son tribunal, pour les vouer à la honte et les marquer du sceau de sa réprobation. […] Le caractère distinctif de la sottise est de prendre toujours les limites de sa vue pour les bornes de ce qui est. […] On vit la douce et jolie duchesse de Lauzun, celle même que nous avons vue précédemment (tome IV des Causeries) si timide de manières et si effarouchée, s’attaquer dans un jardin public à un inconnu qui parlait mal de M.
Éparpillé dans les journaux en vue desquels il a été écrit, le livre de M. […] Renan n’a rien ajouté à cette vue première, à cette piètre généralité dont il n’a pas caché le néant sous les applications historiques qu’il en a faites. Ces applications, — il faut bien le dire, — n’ont point, malgré les efforts de l’érudit, plus de consistance, de grandeur et de solidité que la vue première qui les a déterminées. […] Quant au genre d’effet qu’il produit, c’est directement le contraire de celui qu’il avait en vue. […] Comme tous les savants qui n’ont point la hauteur de la vue adéquate à l’état de leurs connaissances, il aime les bagatelles difficiles.
La Bruyère, en son temps, a fait un admirable portrait du Plénipotentiaire ou parfait diplomate, portrait qui, à bien des égards, n’a pas vieilli, et dont quelques traits s’appliquent à vue d’œil à un Talleyrand ou mieux encore à un Metternich. […] Si, pour sa nouvelle existence à Berlin, il vous est possible de lui donner des renseignements ou de faire quelque chose pour lui, je vous en serai bien reconnaissant ; même en dehors de ces bons offices que vous pouvez lui rendre, il attache le plus grand prix à faire votre connaissance ; jusqu’à présent il vous aime, vous apprécie et vous admire un peu sur parole ; je suis d’autant plus charmé que votre vue le confirme dans ses sentiments. » Gœthe répondit par un mot de remerciement à M. […] Lefebvre a retenu l’esprit, les idées et les expressions de notre causerie ; il arrive rarement que nos vues soient aussi bien saisies par un étranger avec lequel nous nous entretenons pour la première fois. […] Pour faire prévaloir cette vue, il n’était pas temps ; la masse de documents, d’analyses et d’exposés versés par M. […] Armand Lefebvre le comprit ; il ne visa point à une concurrence impossible avec l’historien national et populaire ; seulement, par provision, pour sauvegarder son droit et réserver l’originalité de ses vues, il se hâta de publier les trois volumes qu’il avait tout prêts, et qui parurent de 1845 à 1847 ; ces volumes comprenaient les événements politiques et diplomatiques accomplis depuis 1800 jusque dans l’été de 1808, c’est-à-dire depuis les premiers jours du Consulat jusqu’au drame espagnol de Bayonne.
Le théâtre comporte un autre emploi du phénomène bovaryque : le héros, en vue d’un but, simule un personnage qu’il sait distinct de lui-même. […] Fidèle au parti pris dont on s’est fait une méthode, de n’indiquer ici que les directions générales vers lesquelles la vue peut se porter, on se borne à signaler ce champ d’investigation psychologique qu’une longue étude parviendrait seule à épuiser. […] La notion imprimée lui confère des certitudes plus fortes que ne fait même la chose vue. […] Ainsi fait, il ne peut supporter la vue de sa faiblesse, c’est pourquoi secrètement son instinct de conservation le plus fidèle s’ingénie à la lui cacher. Il s’agit pour lui de se déguiser à sa propre vue derrière un masque de supériorité.
Mais l’horizon naturel, même pour cette vue si perçante, finissait là. […] Tout occupé des études présentes et de saisir au passage ce qu’une curiosité insatiable apportait de tous bords, on a perdu de vue, dans ce tumulte de l’avant-scène, les lignes essentielles et pures du cadre, les proportions discrètes et décentes où l’œil et l’âme ont besoin de se reposer. […] Lorsque dans deux ou trois littératures, dans deux ou trois poésies qui sont sous la main, on a su découvrir les fruits d’or et se ménager ses sentiers, c’est assez : l’horizon est trouvé ; tout s’y compose ; chaque pensée nouvelle a son libre jeu, en vue des collines sereines. […] Mais on ne comprend plus cela depuis déjà longtemps ; on est dans un changement à vue perpétuel ; on s’use dans des voyages sans fin ; l’esprit poétique a été comme le Juif-Errant. […] Homère est naturellement la limite littéraire extrême à laquelle notre vue remonte dès l’enfance, et il occupe les sommets de toute cette pente graduée d’où le Beau nous est venu.
Les passions exagèrent la vue des choses, même pour les meilleurs esprits ; elles détournent, elles amusent ; on a du jugement, mais on le suspend dans les occasions où il nous gêne ; on a le sentiment des ridicules, mais on l’étouffe sous une certaine chaleur d’enthousiasme qui séduit. […] Saint-Marc Girardin n’a jamais fait ainsi ; il a été frappé à première vue des défauts, des travers, des ridicules du temps, et il les a raillés, il en a badiné avec un côté de raison sérieuse et piquante ; il a tiré parti de tout ce qu’il voyait, de tout ce qu’il lisait, pour se livrer au jeu auquel son esprit se complaît surtout et excelle, pour moraliser. […] C’est ainsi que, prenant un à un les différents sentiments, les différentes passions qui peuvent servir de ressorts au drame, il nous en fait l’histoire chez les Grecs, chez les Latins, chez les modernes, avant et après le christianisme : « Chaque sentiment, dit-il, a son histoire, et cette histoire est curieuse, parce qu’elle est, pour ainsi dire, un abrégé de l’histoire de l’humanité. » M. de Chateaubriand avait, le premier chez nous, donné l’exemple de cette forme de critique ; dans son Génie du Christianisme, qui est si loin d’être un bon ouvrage, mais qui a ouvert tant de vues, il choisit les sentiments principaux du cœur humain, les caractères de père, de mère, d’époux et d’épouse, et il en suit l’expression chez les anciens et chez les modernes, en s’attachant à démontrer la qualité morale supérieure que le christianisme y a introduite, et qui doit profiter, selon lui, à la poésie. […] Elle n’est pas assez simple, assez suivie ; elle fait trop de chemin en peu de temps ; comme le théâtre des romantiques, elle a ses perpétuels changements à vue. […] Il y a dans un seul de ses chapitres prodigieusement d’idées, de vues, d’observations, bien plus sans doute que dans le même nombre de pages de Quintilien ou de Longin ; mais il y a aussi du bel esprit.
Je me souviens parfaitement d’avoir dit à un ami que les objets me paraissaient changés d’aspect ; il y avait aussi de l’hyperesthésie de la vue, et je portais depuis quelque temps des lunettes légèrement colorées… Le 25 novembre, aussitôt après avoir eu la sensation de cette bouffée chaude, je fus pris de bourdonnements d’oreille, et j’eus de l’obnubilation intellectuelle. […] J’étais seul, lorsque, atteint déjà de troubles visuels permanents, je fus pris subitement d’un trouble de la vue infiniment plus accusé. […] En regardant dans un verre très concave, nº 2 ou 3 par exemple (j’ai la vue à peu près normale), je ressens quelque chose d’analogue, à cela près que les objets me semblaient moins petits en ce moment-là. […] Le tact était peu troublé, à part ce que j’ai signalé tout à l’heure ; le goût, moins encore ; il y avait une hyperesthésie de l’odorat qui a persisté, mais qui n’a jamais été excessive comme celle de l’ouïe et de la vue.
On y reconnaît aussi certaines vues développées ensuite par Dupuis, dans la conversation duquel Rabaut avait puisé des lumières. […] Les choses y sont bien vues, pour y être vues de si près, et c’est un document utile et sûr parmi ceux de l’époque.
Mais l’écrivain ne doit pas perdre de vue que nous ne pouvons nous représenter complètement un symptôme physiologique d’un état mental et le ressentir par contagion si nous ne sommes pas déjà prédisposés à cet état mental. […] Il a reposé sa vue « sur l’immensité des êtres paisiblement soumis à des lois nécessaires », il a mesuré les choses et les êtres plutôt qu’il ne les a peints : il saisit bien la forme, le fond lui échappe ; il embrasse, il ne pénètre pas. […] La caractéristique de la littérature gréco-latine, c’était de peindre les choses en évoquant en nous les perceptions nettes de l’ouïe et surtout de la vue : les descriptions classiques sont merveilleuses pour le rendu de la ligne et de la forme. […] Le faux, c’est notre conception abstraite du monde, c’est la vue des surfaces immobiles et la croyance en l’inertie des choses auxquelles s’en tient le vulgaire. […] Il y a en toute émotion profonde quelque chose de crépusculaire, un voile jeté sur une partie de la réalité : la vue nette et objective du monde est ainsi incompatible avec la vue passionnée, toujours partielle, infidèle et, pour certains tempéraments, tout à fait idéaliste : la passion produit psychologiquement le même phénomène que l’abstraction ; elle enlève d’un côté l’intensité d’émotion et de couleur qu’elle reporte de l’autre.
Ce Fénelon qu’il ne connaissait que de vue, mais qu’il avait tant observé à travers les ducs de Beauvilliers et de Chevreuse, quel incomparable portrait il en a donné ! […] Peu après, à l’occasion de l’ambassade de Rome, qu’il fut près d’avoir un peu à son corps défendant et qui manqua, Mme de Maintenon exprimait sur Saint-Simon un avis qui ne démentait point son bon sens : elle le disait « glorieux, frondeur et plein de vues ». Plein de vues, c’est-à-dire de projets systématiques et plus ou moins aventurés. […] Pour être un politique, indépendamment des vues et des idées justes qui sont nécessaires, mais qu’il ne faut avoir encore qu’à propos et modérément, sans une fertilité trop confuse, il ne convient pas de porter avec soi de ces humeurs brusques qui gâtent tout, et de ces antipathies des hommes qui créent à chaque pas des incompatibilités. […] C’est à quoi l’édition de 1829, qui a servi depuis aux réimpressions n’avait pas eu égard : à première vue, on y a considéré les phrases de Saint-Simon comme des à peu près de grand seigneur, et chemin faisant, sans parti pris d’ailleurs, on les a traitées en conséquence98.
Vernet Deux vues différentes de Bayonne. Les deux Vues de Bayonne que Mr Vernet a données cette année sont belles ; mais il s’en manque beaucoup qu’elles intéressent et qu’elles attirent autant que ses compositions précédentes.
Pour moi, cette vie désordonnée et affichée de la mère de Mme de Lambert me dénote un autre genre d’influence qui s’est vue souvent en pareil cas, et qui peut s’appeler l’influence par les contraires. Combien de fois la vue d’une mère légère et inconsidérée n’a-t-elle pas jeté une fille judicieuse et sensée dans un ordre de réflexions plutôt exactes et sévères ! […] Mme de Lambert, toute sa vie, se fit une loi de respecter d’autant plus la bienséance, qu’elle l’avait vue offensée davantage autour d’elle dans son enfance ; elle se proposa pour objet principal et pour but de toute sa conduite la considération et l’honneur. […] Ses petits écrits parurent de son vivant et d’abord sans sa participation, bien que, par le soin extrême de rédaction qu’elle y avait mis, elle semble avoir eu en vue le public. […] Je n’ai fait en tout ceci que nommer Mme Necker, inscrire son nom à côté et en regard de celui de Mme de Lambert, pour marquer dès à présent mon dessein et ouvrir une vue.
L’embrassement. 3° Transmission par l’odorat. 4° Par l’ouïe et la vue. — Toute sensation est une sensation de mouvement, et tout sensation de mouvement provoque un mouvement sympathique—. […] Les sensations de l’ouïe et de la vue semblent d’abord comme abstraites, étrangères à l’état intime des corps dont elles nous transmettent la forme ou les sons. Mais il ne faut pas oublier que l’ouïe et la vue rendent pour nous sensibles, dans les vibrations mêmes de l’air et de la lumière, les changements apportés à la direction et à l’amplitude de ces vibrations par les corps qu’elles ont rencontrés ; lorsque ces corps sont agités par des ondes nerveuses, celles-ci, arrivent Jusqu’à nous, portées pour ainsi dire par les ondes lumineuses ou sonores. […] Rappelons que la perte de la vue peut déranger l’équilibre général de l’organisme et altérer les centres nerveux : elle produit fréquemment l’aliénation mentale ; des individus, qui étaient devenus ainsi aliénés en perdant la vue, recouvrèrent la raison après avoir recouvré la vue par une opération. […] Si je suis ému par la vue d’une douleur représentée, comme dans le tableau de la Veuve du soldat, c’est que cette parfaite représentation me montre qu’une âme a été comprise et pénétrée par une autre âme, qu’un lien de société morale s’est établi, malgré les barrières physiques, entre le génie et la douleur avec laquelle il sympathise : il y a donc là une union, une société d’âmes réalisée et vivante sous mes yeux, qui m’appelle moi-même à en faire partie, et où j’entre en effet de toutes les forces de ma pensée et de mon cœur.
Robert Flint, quelques vues générales propres à éclairer l’histoire et la théorie scientifique du progrès. […] La Chine est plus que tout autre le pays de l’immobilité, et d’ailleurs l’esprit chinois est trop peu généralisateur, trop incapable de toute vue compréhensive pour s’élever à la notion de progrès. […] Nul au moyen âge n’eut une vue plus claire de ce qui manquait à l’antiquité et une intuition plus nette des développemens futurs de l’esprit humain. […] Des vues assez semblables se rencontrent, plus ou moins explicites, chez Dante, Paracelse, Campanella. […] Ses vues sur ce point concordent d’une manière remarquable avec celles qu’a tout récemment émises un naturaliste éminent, M.
D’Alembert le lança dans la carrière des éloges, et lui montra en perspective la place de secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences qui devait être prochainement vacante, en lui promettant de l’y pousser ; mais dès qu’il eut Condorcet sous la main, il se détacha de Bailly et le sacrifia sans scrupule : ce n’était pas l’homme qu’il fallait à l’œuvre habile, agressive et plus ou moins couverte, que d’Alembert avait en vue. […] Il avait depuis peu (novembre 1787) assuré son bonheur domestique en épousant une femme qui avait eu autrefois une grande beauté, qui en gardait quelque chose, veuve, ayant déjà passé les belles années de la jeunesse, mais qui avait été l’amie intime de sa mère : il la voyait telle encore qu’il l’avait vue au premier jour. […] J’en quittais une où j’avais été toujours en vue et toujours caressé : j’étais là comme un fils de famille sortant de la maison paternelle où il était chéri, soigné, et qui entre dans le grand monde, où l’on ne prend pas garde à lui. […] Mais ce n’est point cette dernière partie de la vie de Bailly qui nous appelle et que nous étudions : je me suis borné à donner quelque idée de son caractère, et à y faire saillir une veine littéraire et d’imagination jusqu’ici moins en vue qu’il ne convenait. […] Tel fut Bailly ; savant ingénieux, écrivain élégant et pur, l’un des plus louables produits et des meilleurs sujets que l’Ancien Régime ait légués au nouveau ; qui n’eut rien en lui du mouvement d’initiative ni du levain révolutionnaire des Mirabeau, des Condorcet, des Chamfort, de ces novateurs plus ou moins aigris, irrités ou inspirés ; qui n’accepta dans sa droiture que ce qui lui parut juste, qui s’y tint, et qui, malgré des faiblesses de vue et des illusions de bon naturel, laisse à jamais l’idée d’un homme aussi éclairé que modéré et vertueux.
Mais tout d’un coup une autre pensée lui vient, et voici en quels termes elle s’en ouvre à la maréchale de Noailles, en essayant de l’y intéresser et de la tenter (27 décembre 1700) : La grande affaire dont je veux vous parler, madame, regarde le mariage du roi d’Espagne, et une vue pour moi en cas qu’il se fasse avec Mme la princesse de Savoie. […] Le cardinal de Giudice et les auditeurs de Rote espagnols m’ayant vue depuis, ils m’ont témoigné une aversion infinie pour l’archiduchesse, jusqu’à me dire que ce mariage les faisait retomber dans leur premier malheur et qu’ils ne croyaient pas même qu’il y eût de la sûreté à livrer leur roi à ces sortes de femmes. […] M. le cardinal de Noailles, à qui j’ai communiqué cette vue, vous réchauffera encore s’il est besoin. […] La maréchale de Noailles, en effet, n’avait pas moins de onze filles sur vingt et un enfants ; il y avait de quoi l’allécher que de lui montrer de grands partis, et sous air de railler on venait de glisser une sorte de promesse. — C’est dans ces termes habiles et modestes que Mme des Ursins présente d’abord son idée, sa vue. […] Dernièrement la lampe s’était éteinte parce que j’en avais répandu la moitié : je ne savais où étaient les fenêtres, que je n’avais point vues ouvertes parce que nous étions arrivés de nuit dans ce lieu-là ; je pensai me casser le nez contre la muraille, et nous fûmes, le roi d’Espagne et moi, près d’un quart d’heure à nous heurter en le cherchant.
Tantôt c’est une beauté hardie, d’aspect superbe et sauvage, aux goûts bizarres, aux mœurs orientales, osant et se permettant tous ses caprices presque en reine du Caucase ou en dame romaine d’autrefois, et mettant en déroute à première vue nos mesquines voluptés et nos jolis vices à la mode. […] Tantôt enfin (et c’est ici le cas qui n’est pas le moins original en son genre), nous avons vu la Théologie elle-même tout armée, la dialectique serrée et savante, sachant les points, les textes décisifs, les comment et les pourquoi de l’orthodoxie, sachant aussi les raisons du cœur et les plus fins arguments de la spiritualité ; nous l’avons vue venir du Nord sous la figure de Mme Swetchine, s’installer, prendre pied chez nous et y devenir conquérante à sa manière. […] Elle veut porter la vue chrétienne la plus rigoureuse dans l’examen et la considération de la vieillesse ; elle n’ira point la prendre de biais, pour ainsi dire, et en essayant d’insinuer par-ci par-là des consolations tremblantes ; elle entend aborder son sujet de front et le pénétrer d’une lumière directe et certaine : ce ne sont pas des palliatifs qu’elle offre, c’est une régénération. […] Son traité, à en résumer l’esprit et les termes, est la gageure chrétienne la plus poussée que j’aie vue contre la nature. […] Ces femmes d’une éducation si parfaite, d’une culture si élaborée, mais qui ne sont pas Françaises, ont beau avoir tout l’esprit possible ; il y a un moment où elles forcent le ton, et la vendeuse d’herbes du marché aux fleurs leur dirait bien plus sûrement qu’à Théophraste : « Vous n’êtes pas d’ici. » De l’élévation d’ailleurs dans l’ensemble, des vues justes dans le détail, je suis loin de les lui refuser.
Il en est d’eux comme des étoiles de moindre grandeur, vues au télescope ; on finit par les distinguer assez nettement. […] J’ai, en tout ceci, plus particulièrement en vue les Grecs, qui furent la grande source originale et le premier modèle du beau littéraire dont les Latins ne sont que la seconde épreuve, fort belle encore, mais retouchée. […] Puis, après une pause sérieuse de quelques minutes, il se fit lire le Traité qu’il écouta d’un bouta l’autre avec uns grande attention, et il reprit assez de force pour avoir la satisfaction suprême de donner « l’approbation d’un homme d’État mourant (ce furent ses propres paroles) à la plus glorieuse guerre et à la plus honorable paix que la nation eût jamais vue. » Et c’est ainsi que se révèle dans un noble exemple le commerce familier que l’aristocratie anglaise au dernier siècle n’avait cessé d’entretenir avec l’Antiquité grecque, et aussi la générosité vivifiante de sentiments et de pensées dont Homère est la source. […] C’est le propre des plus grandes œuvres du génie en tout genre qu’à la première vue on est généralement désappointé. Les cartons de Raphaël à Hampton-Court, les fresques du même grand peintre dans les galeries du Vatican, les fameuses statues du Laocoon et de l’Apollon du Belvédère, et l’église de Saint-Pierre à Rome, le plus magnifique édifice qui soit peut-être au monde, produisent également cet effet le plus ordinaire de désappointer le spectateur à première vue.
Il avait d’ailleurs des vues, des idées originales et bien des termes de comparaison, ayant habité l’Angleterre, visité l’Espagne, le Portugal ; il connaissait même l’étranger beaucoup mieux que la France, d’où il avait émigré et où il semblait craindre de remettre les pieds depuis que la Charte en avait empoisonné l’air et le sol. […] On ne saurait s’imaginer, en parcourant aujourd’hui ces écrits oubliés31, tout ce qu’on y rencontre de vues rétrospectives perçantes, et d’aveuglement aussi et d’aheurtement du côté de l’avenir. […] Le Play s’en sépare nettement par sa manière d’entendre les rapports du Clergé avec l’État, par ses idées en matière de presse, par tant de vues neuves qui prouvent à quel point il se confie en la vertu et la fécondité du principe moderne, tout favorable à l’initiative individuelle. […] Assurément il n’y a qu’un petit nombre d’hommes qui puissent grandir ainsi par la lutte de la vérité contre l’erreur ; mais tous s’élèvent dans l’ordre moral, à la vue des exemples de tolérance donnés par les classes dirigeantes, en s’habituant à résister à la tentation de persécuter leurs semblables. […] Le Play, qui sait qu’il faut un degré d’optimisme pour l’action et qui s’est voué de cœur et d’esprit à l’apostolat du bien, ne s’en tient pas à ces vues générales et négatives.
On a besoin de se replacer à quelque distance et de se reporter à la tradition première pour retrouver une vue nette de l’ensemble. […] Il nous représente bien en sa personne tout ce qu’il y avait de lumières, de raisonnables idées de réformes, de sages vues administratives et pratiques, de vœux philosophiques honorables et de justes pressentiments politiques, dans les hommes de la seconde moitié du xviiie siècle. […] Il avait à peine dix-huit ans, et il courait risque, ainsi livré à lui-même dans les hasards de Paris, de se dissiper et de tourner aux habitudes légères, si son oncle l’oratorien, qui ne le perdait pas de vue, n’avait trouvé le moyen de le dépayser brusquement en le faisant attacher au comte de Merle, nommé depuis quelques années ambassadeur en Portugal et qui partait seulement alors (janvier 1759) pour sa destination. […] Il est permis, d’après son récit même, de conjecturer que cet esprit juste et modéré, ce caractère honnête et droit de Malouet, n’étaient pourtant pas toujours accompagnés d’une adresse pratique et d’une insinuation suffisantes ; que la modération même de ses vues et les raisons combinées qu’il y introduisait n’étaient propres à réussir qu’à demi auprès d’esprits entiers, prévenus en faveur d’idées absolues, ou intéressés à des systèmes contraires. […] Malouet nous ouvre un jour assez particulier sur cet homme de lettres aujourd’hui oublié, qui ne fut point dans les premiers rangs ni même dans les seconds au xviiie siècle, mais dont la physionomie vue de près offre un intérêt attachant.
Talleyrand ne crut pouvoir mieux remplir son apparence de loisir, dans les mois qui précédèrent le 18 Fructidor, et payer plus gracieusement sa bienvenue que par son assiduité à l’Institut national, dont on l’avait nommé membre dès l’origine, et en y marquant sa présence par deux Mémoires : l’un tout plein de souvenirs et de considérations intéressantes sur les relations commerciales des États-Unis avec l’Angleterre, l’autre tout plein de vues, de prévisions et même de pronostics, sur les avantages à retirer d’un nouveau régime de colonisation, et sur l’esprit qu’il y faudrait apporter. […] En convenant qu’il doit y avoir du vrai, gardons-nous pourtant de nous faire un Talleyrand plus paresseux et moins lui-même qu’il ne l’était : il me paraît, à moi, tout à fait certain que les deux Mémoires lus à l’Institut en l’an V, si plein de hautes vues finement exprimées, sont et ne peuvent être que du même esprit, j’allais dire de la même plume qui, plus de quarante ans après, dans un discours académique final, dans l’Éloge de Reinhard, traçait le triple portrait idéal du parfait ministre des affaires étrangères, du parfait directeur ou chef de division, du parfait consul : et cette plume ne peut être que celle de M. de Talleyrand, quand il se soignait et se châtiait. […] Un tel voyage est une sorte d’analyse pratique et vivante de l’origine des peuples et des États : on part de l’ensemble le plus composé pour arriver aux éléments les plus simples ; à chaque journée, on perd de vue quelques-unes de ces inventions que nos besoins, en se multipliant, ont rendues nécessaires ; et il semble que l’on voyage en arrière dans l’histoire des progrès de l’esprit humain. […] L’autre Mémoire sur les avantages à retirer de colonies nouvelles dans les circonstances présentes mériterait aussi une analyse : il se rapporte particulièrement à l’état moral de la France d’alors, et il est plein de vues sages ou même profondes. […] « Je m’empresserai de vous faire parvenir toutes les vues que le Directoire me chargera de vous transmettre, et la Renommée, qui est votre organe ordinaire, me ravira souvent le bonheur de lui apprendre la manière dont vous les aurez remplies. » Voilà qui est bien débuté, et le courtisan dans le ministre ne se fait pas attendre.
En abordant M. de Lamennais, il sentit, sans se l’avouer peut-être expressément, que ce talent vigoureux, hardi, qui ouvrait comme de vive force des vues et des perspectives, avait besoin tout auprès de lui d’une plume auxiliaire, plus retenue, plus douce, plus fine, d’un talent qui lui ménageât des preuves, qui remplit les intervalles et couvrît les côtés faibles, qui ôtât l’aspect d’une menace et d’une révolution à ce qui ne prétendait être qu’une expansion plus ouverte et un développement plus accessible du christianisme. […] Par cette seule vue d’un christianisme antérieur et disséminé à travers le monde, par cette espèce de voyage à la recherche des vérités catholiques flottantes par tout l’univers, l’enseignement de la théologie se serait trouvé singulièrement agrandi et élargi ; l’histoire des idées philosophiques s’y introduisait nécessairement. […] C’est là, ce me semble, une assez belle vue funèbre, et le chrétien s’en autorise aussitôt pour remonter vers ce qui est au-dessus de la destruction et qui échappe à toutes les Catacombes, vers le principe immortel de vie, d’amour, de sainteté et de sacrifice. […] Je l’ai vue il y a quelques jours, mais dans cent ans je dirais encore qu’il n’y a que quelques jours que je l’ai vue. […] Partout il est le même : figurez-vous une démarche longue et lente, un peu penchée, dans une paisible allée où l’on cause à deux du côté de l’ombre, et où il s’arrête souvent en causant ; voyez de près ce sourire affectueux et fin, cette physionomie bénigne où il se mêle quelque chose du Fléchier et du Fénelon ; écoutez cette parole ingénieuse, élevée, fertile en idées, un peu entrecoupée par la fatigue de la voix, et qui reprend haleine souvent ; remarquez, au milieu des vues de doctrine et des aperçus explicatifs qui s’essaient et naissent d’eux-mêmes sur ses lèvres, des mots heureux, des anecdotes agréables, un discours semé de souvenirs, orné proprement d’aménité : et ne demandez pas si c’est un autre, c’est lui.
L’admirable lettre où il fait la paix maintient tous ses principes, parce que ce ne sont pas des vues particulières, et que la cause n’est pas la sienne. […] Lui qui ne savait rien de mieux à dire d’une chose d’esprit, sinon que « Cela est vu », n’estimait dans les ouvrages que les vues. Il préférait aux vérités une fois acquises et, si l’on me passe le mot, emmagasinées, les doutes qui ont le faux air de vues nouvelles. […] Dans un Cicéron doublé d’un Sénèque, il se serait résigné aux beautés pour avoir les vues, et il aurait volontiers passé par le vieux pour arriver au neuf. […] De là le caprice des vues particulières, et le goût du paradoxe par le défaut de justesse et par la peur de ne pas faire ses affaires avec le vrai.
Il se produisit, à ce moment, un phénomène assez singulier : sur la fin et comme à l’arrière-saison d’un siècle si riche par l’ensemble et la réunion des plus belles facultés de l’esprit et de l’imagination, on vit paraître plusieurs hommes distingués, et quelques-uns même éminents par certaines parties de l’intelligence, mais notablement privés et dénués d’autres facultés qui se groupent d’ordinaire pour composer le faisceau de l’âme humaine : — Fontenelle en tête, le premier de tous, une intelligence du premier ordre, mais absolument dénué de sensibilité ; La Motte, l’abbé Terrasson, qui l’un et l’autre, avec l’esprit très perspicace sur bien des points, raisonnaient tout à côté comme s’ils étaient privés de la vue ou du goût, de l’un des sens qui avertissent. […] Il prie des gens, qu’il ne connaît point, de le mener chez d’autres dont il n’est pas connu : il écrit à des femmes qu’il connaît de vue : il s’insinue dans un cercle de personnes respectables, et qui ne savent quel il est ; et là, sans attendre qu’on l’interroge, ni sans sentir qu’il interrompt, il parle, et souvent, et ridiculement. […] Oui, pour qui ne le connaissait que sur une première vue, l’abbé de Saint-Pierre était bien celui qui, se souciant le plus du bonheur des hommes en général (ce qu’on n’était pas obligé de savoir), s’inquiétait le moins de la commodité de son interlocuteur et de son plaisir. […] » — Admirable vue, mais qui reste à l’état de vue chez La Bruyère et dont il ne tire aucun parti.
Quand on est moraliste et qu’on n’observe que des hommes faits, on court risque de tourner au La Rochefoucauld et au La Bruyère ; si le regard se reporte au contraire sur une jeunesse honnête et chaque jour renouvelée, on garde la fraîcheur du cœur jusque dans la connaissance du fond, la consolation dans les mécomptes, une vue plus juste de la nature morale dans ses ressources et dans son ensemble. […] Que si, par un bienfait de Dieu, cette infirmité de vue n’est que passagère, alors, belles montagnes, fraîches vallées, bois ombreux, alors, rempli d’enchantement et de gratitude, jusqu’aux confins de l’arrière-vieillesse il ira vous redemander cet annuel tribut de vive et sûre jouissance que, depuis tantôt vingt ans268, vous n’avez pas cessé une seule fois de lui payer ! […] il m’écrivait à moi-même ces lignes aimables et familières, dans lesquelles il s’exagérait beaucoup trop sans doute la nature du service dont il parlait ; mais, même à ce titre, elles me sont précieuses, elles m’honorent, elles me vengeraient au besoin de certains reproches qu’on me fait parfois de m’aller prendre d’abord à des talents moins en vue ; elles le peignent enfin dans sa modestie sincère et dans sa façon allègre de porter ses maux : « Bonjour, … monsieur, vous ne me reconnaissez point ! […] On peut dire de lui ce que l’auteur a dit de certains dessinateurs d’après nature, qu’il réussit à exprimer ses vues et ses impressions « sinon habilement, du moins avec une naïveté sentie, avec une gaucherie fidèle. » L’habileté est de la part de l’auteur qui se cache si bien derrière. […] Toutes les scènes qui se rapportent à la mort de Rosa sont d’une haute beauté morale ; il sera sensible à tout lecteur que celui qui les a si bien conçues et représentées travaillait, lui aussi, en vue du sujet même, c’est-à-dire du suprême instant et qu’il peignait d’après nature.
Ne sentons-nous pas nos entrailles s’émouvoir à la vue d’un malheureux qui, avec des cris pitoyables, nous expose une extrême misère ? […] La pitié, qui n’est qu’un secret repli sur nous à la vue des maux d’autrui dont nous pouvons être également les victimes, a une liaison si étroite avec la crainte, que ces deux passions sont inséparables dans les hommes, que le besoin mutuel oblige de vivre dans la société civile. […] On a beau dire, la vue des misérables ne nous console point de l’être : sans compter que l’homme se porte avec soin à éviter, autant qu’il le peut, une si triste vue, pour jouir plus tranquillement des douceurs de la vie ; ou qu’il se rend dur et insensible sur les misères de ses pareils, oubliant qu’il est homme comme eux, et qu’il paiera chèrement de courtes joies par de longues douleurs. […] L’on me dira peut-être qu’il n’est pas croyable que toutes ces réflexions aient passé par l’esprit d’Homère et d’Eschyle quand ils se sont mis à composer, l’un son Iliade et l’autre ses tragédies ; que ces idées paraissent postiches et venues après coup ; qu’Aristote, charmé d’avoir démêlé dans leurs ouvrages de quoi fonder le but et l’art de l’épopée et de la tragédie, a mis sur le compte de ces auteurs des choses auxquelles, selon les apparences, ils n’ont pas songé ; qu’enfin je m’efforce vainement moi-même de leur prêter des vues qu’ils n’avaient pas.
A moins d’avoir quelques traits originaux à ajouter aux siens, comme ont fait Lemontey et divers autres contemporains qui l’avaient vue, on n’a qu’à renvoyer, pour l’essentiel de sa personne, à ses délicieux et indispensables Mémoires. […] Depuis 1784, ils étaient établis dans la généralité de Lyon, passant quelques mois d’hiver dans cette ville, et la plus grande partie de l’année tantôt à Villefranche et tantôt à deux lieues de là, au clos de La Plâtière, petit domaine champêtre, en vue des bois d’Alix et proche du village de Thézée. […] Mais quand elle se borne à des jugements plus pratiques, à des vues de détail sur le gouvernement, l’insuffisance et le vague de son système deviennent sensibles. […] conclut-elle, il n’y a que cela pour ordonner les affaire et pour rendre les peuples heureux. » A travers cette faiblesse et ce manque de science politique positive, percent à tout moment des vues fort justes et fort prévoyantes qui montrent qu’elle ne se faisait pourtant pas illusion sur l’état réel de la société. […] » Et pourtant, malgré ces entraînements passionnés, téméraires, elle gardait une netteté de vue plus digne de son intelligence supérieure.
La vue d’une table sur la scène est donc loin d’être indifférente, et on peut en dire autant de tout le matériel figuratif. […] La toilette de ville est soumise de très près à la vue et à la possibilité du toucher ; la toilette de théâtre n’est faite que pour nous procurer une satisfaction du sens de la vue, affaibli par la distance. […] Dans toutes les pièces, tous les rôles ont ainsi leur physionomie propre que l’auteur ne doit jamais perdre de vue. […] De telles révolutions sont lentes et ne se font pas par de brusques changements à vue. […] Les arbres qui montent jusqu’aux frises dérobent au spectateur la vue du ciel.
I L’analyse de l’œuvre de Flaubert, dont on vient d’exprimer de la façon la plus succincte les conclusions, se résumé en une vue psychologique que l’on a précisée en ces termes : l’homme a la faculté de se concevoir autre qu’il n’est. […] C’est une vue directe. […] À première vue, la faculté de se concevoir autre apparaît liée au fait de la conscience : il s’agit ici de la conscience psychologique, un miroir où se viennent refléter les images des réalités. […] À première vue encore, il semble que l’apparition de ces images dans la conscience comporte un pouvoir d’excitation de l’énergie individuelle, exerce sur elle une attraction, la déterminant dans une certaine mesure à se développer à leur ressemblance.
Elles sont possibles, parce que leur condition, qui est un certain état de mon appareil acoustique et de mes centres sensitifs, est donnée ; si cette condition cessait d’être donnée, elles cesseraient d’être possibles ; je ne serais plus capable d’entendre des sons ; je serais sourd. — Pareillement, un homme a la faculté ou pouvoir de percevoir les corps extérieurs, notamment par la vue ; cela signifie que des perceptions de la vue qui, si elles naissent, seront siennes, sont possibles. […] Je ne revois pas les différentes figures de maisons, de voitures, de passants que j’ai vues ; neuf sur dix se sont effacées définitivement et pour toujours ; de toutes ces impressions, il n’y a plus qu’un reliquat qui soit capable de renaître. […] Ils se forment un roman conforme à leur passion dominante, et ce roman inséré dans leur vie finit par composer à leurs yeux tout leur passé. — Une femme que j’ai vue à la Salpêtrière racontait, avec une précision et une conviction parfaites, une histoire d’après laquelle elle était noble et riche. […] J’ai prévu, avant de les avoir, les sensations de résistance, de forme, d’emplacement, de température que me donneront les objets un peu familiers et point trop lointains que je perçois par la vue, et, cent mille fois contre une, ils me la donnent telle que je l’ai prévue. […] L’enfant et l’animal prévoient que cette eau les désaltérera, que ce feu les brûlera ; il suffit pour cela que l’expérience et l’habitude aient accouplé dans leur esprit telle sensation et telle représentation ; à présent, chez eux, la vue de l’eau éveille toujours l’image de la soif éteinte, et la vue du feu éveille toujours l’image de la brûlure.
Ce Challe a rapporté d’Italie dans son portefeuille quelques centaines de vues dessinées d’après nature, où il y a de la grandeur et de la vérité. Monsieur Challe, continuez de nous donner vos vues, mais ne peignez plus.
Cette seule idée était déjà d’une vue pénétrante : c’était comprendre qu’une telle histoire présenterait beaucoup plus d’intérêt qu’on ne pouvait se le figurer au premier abord. La prédication, en ces âges fervents, représentait et résumait à certains égards le genre d’influence qu’on a vue en d’autres temps se diviser entre la presse et la tribune. […] » Voilà ma vue rétrospective de postérité, et celle-là en vaut bien une autre226. […] On a l’air de tourner le dos à la postérité, et on agit plus sûrement en vue d’elle que si on la voulait anticiper directement et en saisir le fantôme. […] Les vues neuves et perspicaces, les choses bien saisies et bien dites, abondent et viennent égayer le courant du détail à travers la juste direction de l’ensemble.
Il est pourtant un côté qu’il importe de bien mettre en vue et de reconnaître : Bourdaloue, vivant et parlant, eut beaucoup plus de variété et d’à-propos que l’on ne suppose, et, s’il ne semble appliqué qu’à semer le bon grain dans les âmes, il est à remarquer qu’il savait pénétrer dans ces âmes et ces esprits de ses auditeurs, et les entrouvrir, par des tranchants assez vifs et assez inattendus. […] À travers cette sévérité apparente et en partie réelle, il s’attachait à reconnaître ceux qu’il appelait des esprits superbes, ceux « qui se regardaient et se faisaient un secret plaisir d’être regardés comme les justes, comme les parfaits, comme les irrépréhensibles ; … qui de là prétendaient avoir droit de mépriser tout le genre humain, ne trouvant que chez eux la sainteté et la perfection, et n’en pouvant goûter d’autre ; … qui, dans cette vue, ne rougissaient point, non seulement de l’insolente distinction, mais de l’extravagante singularité dont ils se flattaient, jusqu’à rendre des actions de grâces à Dieu de ce qu’ils n’étaient pas comme le reste des hommes : Gratias tibi ago, quia non sum sicut cœteri hominum ». […] En traçant si curieusement ce qu’il nomme un détail de mœurs, si Bourdaloue n’avait pas en vue Pascal dans Les Provinciales, et s’il ne le traduit pas trait pour trait à sa manière devant ses auditeurs, dont plusieurs durent être à la fois choqués et transportés, et ne purent s’empêcher d’admirer tout en protestant, il n’y a pas un seul portrait chez Saint-Simon ni chez La Bruyère. […] » Des deux portraits originaux qu’on a de Bourdaloue, il en est un qui, plus répandu et reproduit en tête des Œuvres, pourrait, ce me semble, à première vue, induire en erreur ; de ce que, dans ce portrait fait après la mort, Bourdaloue est représenté les yeux exactement fermés et les mains jointes, « dans la posture d’un homme qui médite », on en a trop conclu que c’était là son attitude et sa tenue habituelle ou constante en prêchant. […] [NdA] Voici ce passage où je conjecturais qu’il pouvait bien être fait allusion aux Contes de La Fontaine : « Paraît-il un livre diabolique qui révèle ces mystères d’iniquité, c’est celui que l’on recherche. » Mais, en y réfléchissant, il me paraît bien plus probable qu’il s’agissait de quelque autre ouvrage plus raffiné, peut-être de l’Aloisia, dont la publication coïncide assez bien avec la date probable de ce sermon, et que semblait également avoir en vue le chanoine Maucroix, l’ami de La Fontaine, quand il écrivait en février 1682 à un autre chanoine de Reims : « Oh !
Dans les beaux temps de cette littérature, c’est à peine si La Bruyère, qui a parlé de toutes choses, ose dire un mot en passant de l’impression profonde qu’une vue comme celle de Pau ou de Cras en Dauphiné laisse dans certaines âmes. […] Les salons que l’auteur avait en vue n’y sont pas peints avec vérité, par la raison très simple que Beyle ne les connaissait pas. […] Il nous offre d’abord la vue d’une jolie petite ville de Franche-Comté avec son maire royaliste, homme important, riche, médiocrement sot, qui a une jolie femme simple et deux beaux enfants ; il s’agit pour lui d’avoir un précepteur à domicile, afin de faire pièce à un rival de l’endroit dont les enfants n’en ont pas. […] Beyle, au fond, est un esprit aristocratique : un jour, à la vue des élections, il s’était demandé si cette habitude électorale n’allait pas nous obliger à faire la cour aux dernières classes comme en Amérique : « En ce cas, s’écrie-t-il, je deviens bien vite aristocrate. […] Les jolies descriptions de paysage, les vues si bien présentées du lac de Côme et de ses environs, ne sauraient par leur cadre et leur reflet ennoblir un personnage si peu digne d’intérêt, si peu formé pour l’honneur, et si prêt à tout faire, même à assassiner, pour son utilité du moment et sa passion.
Voltaire, qui en avait pris connaissance dès l’année 1739, l’appelait un « ouvrage d’Aristide », et Rousseau, qui s’en autorisa plus tard dans son Contrat social, a dit : « Je n’ai pu me refuser au plaisir de citer quelquefois ce manuscrit, quoique non connu du public, pour rendre honneur à la mémoire d’un homme illustre et respectable qui avait conservé jusque dans le ministère le cœur d’un vrai citoyen, et des vues droites et saines sur le gouvernement de son pays. » M. d’Argenson n’était pas encore ministre lorsqu’il composa cet ouvrage, et il était sorti du ministère lorsqu’il le revit pour y mettre la dernière main. […] Il s’appliquait ainsi en toute rencontre à trouver des mesures administratives neuves et justes, et toujours en vue du bien : c’est un trait de son caractère. […] » Il avait des vues, de l’invention, des expédients sans rouerie, et qui tenaient compte des règles et de l’esprit des corps ; il appuyait ses projets d’un savoir étendu et judicieux, qu’il augmentait chaque jour par une lecture assidue. […] À cela et à ses vues encore vagues sur lui, mais qui allaient à le faire un jour ou ministre, ou ambassadeur, ou même premier président du Parlement, d’Argenson, sans trop résister, répondait toutefois en rappelant ce qui lui manquait : qu’il était honteux et timide au premier abord ; qu’il avait été mal élevé sur un point ; que son père, en portant ses préférences trop longtemps sur son cadet et en le méconnaissant hormis dans les deux dernières années de sa vie, l’avait découragé ou trop habitué à se renfermer en lui, et « avait par là engourdi son entrée dans le monde » ; qu’il était balourd au jeu, qu’il s’y ennuyait et ne savait qu’y perdre son argent, etc., etc. […] [NdA] Cette espèce de rétrécissement de vue a été également remarquée par Saint-Simon, et c’est en quoi le garde des sceaux d’Argenson, qui eut le génie administratif et l’exécution, n’était pourtant pas de la première volée comme homme d’État.
De là des jugements qui, pour avoir leur part de justesse, ne laissent pourtant pas d’étonner et de déconcerter à première vue. […] La Vierge à la chaise sera toujours l’académie de la divinité de la femme. » Je me sens peu juge en matière d’art, n’ayant pas eu dans ma vie assez d’occasions de regarder et de comparer ; mais, à première vue, je n’aurais pas cru que Raphaël fût si gros ni si opposé au Vinci, dont je l’aurais plutôt considéré comme la fleur dernière et l’épanouissement. […] Et cependant, c’est grâce à cette méthode, à ce genre de procédé, il faut bien le reconnaître, que j’obtiens en littérature des tableaux et des paysages comme on n’en avait pas auparavant : ainsi, sans sortir de ce volume, cette exacte, rebutante et saisissante description des Petits-Ménages, rue de Sèvres ; — ainsi la vue, l’impression, l’odeur même d’une salle d’hôpital, dans Sœur Philomène ; — ainsi, dans Renée Maupérin, le frais rivage de la Seine à l’île Saint-Ouen, et, dans Germinie Lacerteux, le coucher du soleil à la chaussée de Clignancourt : ce sont des Études sur place, d’après nature, d’un rendu qui défie la réalité. […] Ils ont une philosophie, une vue de la vie et de la mort, une idée de Dieu. […] Ainsi, dans Virgile, dans la ixe Églogue, quand les deux bergers chantent en marchant, l’un d’eux propose à l’autre de s’arrêter à mi-chemin en vue du tombeau de Bianor, ou bien, s’ils craignent que la pluie n’arrive au tomber de la nuit, de poursuivre leur route vers la ville en chantant toujours : Aut, si nox pluviam ne colligat ante, Veremur… « Si nous craignons que la nuit ne rassemble la pluie… » Quel mot plus juste !
L’histoire, remarquez-le, ainsi vue à distance, subit une singulière métamorphose, et produit une illusion, la pire de toutes, celle qu’on la croie raisonnable. […] Le fait devient une vue de l’esprit. […] On fait la grande route en élargissant le défilé où l’on a passé, et aux dépens des autres défilés où l’on aurait pu passer. » Esprit positif, et qui savait combiner le but pratique et la vue abstraite, M. […] Bossuet a l’habitude, dans ses vues, d’introduire la Providence, ou plutôt il ne l’introduit pas : elle règne chez lui d’une manière continue et souveraine. […] Mais ils comprenaient leur temps ; les vues et les efforts de leur politique étaient en harmonie avec ses besoins, avec l’état et le mouvement général des esprits.
On pourrait affirmer, à la simple vue, que certaines pages, qui portent la date de 1822, ont reçu une couche de 1837. […] Mais c’est à la partie politique que s’adresse surtout ce reproche, et j’ai plutôt en vue, pour le moment, la partie littéraire, celle qui s’étend jusqu’en 1814. […] Mais le public n’a pas donné dans ces vues artificielles. […] Ainsi, dans sa vue rétrospective de la première Révolution et dans les portraits qu’il trace des hommes de 89, il parle non d’après ce qu’il a vu et senti alors, mais d’après ses sentiments au moment de la rédaction. […] Ce sont les gestes d’un jeune homme et les retours d’imagination d’un vieillard, ou, s’il n’était pas vieillard alors qu’il écrivait, d’un homme politique entre deux âges, qui revient à sa jeunesse dans les intervalles de son jeu, de sorte qu’il y a bigarrure, et que par moments l’effet qu’on reçoit est double : c’est vrai et c’est faux à la fois. » On en pourrait dire autant de la plupart des mémoires nés avant terme et composés en vue d’un effet présent.
C’est ce caractère de l’homme et du littérateur que nous tâcherons d’établir et de mettre en vue. […] Dans sa Lettre à Voltaire, La Harpe se plaignait d’avoir des ennemis : « Il est également triste et inconcevable, disait-il, d’être haï par une foule de personnes qu’on n’a jamais vues. » À quoi Voltaire répliquait : « Il y a eu de tout temps des Frérons dans la littérature ; mais on dit qu’il faut qu’il y ait des chenilles, pour que les rossignols les mangent afin de mieux chanter. » La recette était singulière. […] Pour la première fois en France, l’enseignement tout à fait littéraire commence et se met en frais d’agrément ; pour la première fois, quand on n’est ni frivole, ni érudit, et qu’on cherche une juste et moyenne culture, on voit se dérouler des cadres faciles qui étendent et reposent la vue de l’esprit, même quand le professeur n’a pas réussi complètement à les remplir. […] Entendons-nous bien : ne demandons à La Harpe aucune de ces vues supérieures qui sortent de certaines habitudes et de certaines limites, et qui supposent des comparaisons neuves et étendues. […] Dès ce temps-là, il n’était pas très rare de trouver de libres et hardis causeurs qui, parlant de La Harpe à propos de son Éloge de Racine, disaient : « L’Éloge de M. de La Harpe manque d’idées et de vues… Un coup d’œil neuf et profond porté sur la tragédie et sur l’art dramatique, voilà part où il fallait honorer la cendre du grand Racine14. » De telles vues, de telles questions, qui allaient jusqu’à Sophocle et à Shakespeare, pouvaient être particulières alors à quelques esprits ; elles eussent excédé la portée d’un auditoire à cette date et encore durant les trente ou trente-cinq années suivantes.
Laurent, celle qui renferme ses propres idées et les vues de son école. […] Laurent a jeté le plus de vues neuves et hardies, et qu’il a trouvé moyen d’aller encore plus loin et plus avant que MM. […] Portant ces vues générales dans l’examen des individus, et s’enquérant scrupuleusement des faits biographiques et psychologiques, il prononce sur les hommes des jugements dans lesquels il n’entre pas moins de courage que de sagacité.
Et en effet, qu’on y songe un peu : pour que le combat entre l’Antiquité et les temps modernes se pût engager dans toute son étendue et sur toute la ligne, il fallait deux conditions essentielles, l’une qu’il y eût une Antiquité bien connue, bien en vue, bien distincte et comme échelonnée sur les hauteurs du passé, l’autre qu’il y eût une époque moderne, bien émancipée, bien brillante et florissante, un grand siècle déjà et qui parût tel aux contemporains. […] Aux xve et xvie siècles, on retrouvait d’hier cette Antiquité ; on sy mêlait, on ne s’en dégageait pas : on ne la jugeait pas d’une seule vue et avec netteté. […] On a mieux connu notre globe, sa vraie figure, sa place dans l’univers, son mouvement dans l’espace : il en est résulté des vues certaines que les plus éclairés des anciens n’avaient que par divination et par lueurs. […] Rigault, qui n’a jamais perdu de vue l’idée générale et la doctrine du progrès, a tenu, au contraire, à être le plus complet possible, à tout décrire successivement avec une curiosité égale, à suivre le fleuve, comme il l’appelle quelque part, dans toutes ses sinuosités, dans ses tours et retours, jusqu’à ce qu’il se perde dans l’idée générale et théorique qui est son océan.
Lorry qui l’accusaient de trop efféminer la science et d’amollir le caractère de la profession en vue du succès : Mais s’il ne devait cet accueil, remarquait-il, qu’aux impressions d’une âme douce et compatissante, à cette pénétration, à cette sagacité particulières qui font deviner aux uns ce que les autres n’apprennent que par de longs discours, à cet art d’interroger la nature sans soulever le voile de la décence et sans alarmer la pudeur, combien ces considérations ajouteraient à notre estime pour M. […] Mais ce qui semble moins nécessaire et ce qui est une richesse tout à fait heureuse chez Vicq d’Azyr, ce sont les vues morales qu’il mêle continuellement à ses récits. […] Je sais des juges plus sévères et qui, sans avoir étudié de bien près Vicq d’Azyr, le rejettent à première vue et le rabaissent beaucoup trop dédaigneusement en ne le prenant que par ses défauts fleuris. […] Ceux qui parlent ainsi n’avaient pas présent au souvenir le remarquable passage où Vicq d’Azyr commente ce mot de Buffon : « Voilà ce que j’aperçois par la vue de l’esprit », et où il le montre dans ses diverses théories faisant en effet tout ce qu’on peut attendre de l’esprit, devançant l’observation, et arrivant au but sans avoir passé par les sentiers pénibles de l’expérience. […] Je n’ai point parlé de lui comme savant, comme anatomiste ; ceux qui sont compétents en ces matières lui accordent de l’étendue, des vues comparatives, et une faculté de généralisation qui ne nuisait nullement chez lui à l’examen du détail et à ses travaux particuliers comme observateur.
Non que je veuille dire que l’artiste nous dépayse ; seulement, en traducteur supérieur et libre, il ne se gêne pas, il ne s’astreint pas aux plates vues bornées de Champagne et de Beauce, il incline du côté de la Lorraine, et n’hésite pas à élargir et à rehausser nos horizons. […] Il y a dans ce Petit-Poucet, coup sur coup, trois de ces vues de forêt, qui sont des merveilles ou plutôt d’admirables vérités de nature et de paysage. […] Cette bizarrerie consistait à être accessibles à tous les goûts, à toutes les vues modernes, de science, d’art, d’inventions de toutes sortes, sans que le style littéraire parût la seule chose de prix à leurs yeux ; à être les moins exclusifs des esprits, à avoir de tous les côtés des jours ouverts sur la civilisation et la société actuelle et future. […] Le savant médecin, Claude Perrault, frère du nôtre, se réveilla un matin architecte de génie, faisant naturellement des plans de colonnades, d’arcs-de-triomphe ou d’observatoires, qui se trouvaient les plus beaux, les plus majestueux et les plus appropriés, et qui se faisaient accepter à première vue des connaisseurs. […] Ainsi les souris qui sont changées en chevaux, dans Cendrillon, gardent à leur robe, sous leur forme nouvelle, « un beau gris de souris pommelé » Le cocher, qui était précédemment un gros rat, garde sa moustache, « une des plus belles moustaches qu’on ait jamais vues. » Il y a des restes de bon sens à tout cela.
Rien de plus simple, en apparence, que de remarquer que cette loi d’association est le phénomène vraiment fondamental, irréductible de notre vie mentale ; qu’elle est au fond de tous nos actes ; qu’elle ne souffre point d’exception ; que ni le rêve, ni la rêverie, ni l’extase mystique, ni le raisonnement le plus abstrait ne s’en peuvent passer ; que sa suppression serait celle de la pensée même ; cependant aucun ancien ne l’a compris, car on ne peut sérieusement soutenir que quelques lignes éparses dans Aristote et les stoïciens constituent une théorie et une vue claire du sujet169. […] C’est parce que nous associons les données de nos divers sens, celles de la vue, du toucher, du sens musculaire, de l’odorat, etc., que nous percevons des objets concrets, qui nous sont donnés comme extérieurs. […] On sait par ce qui a été déjà vu, que la connaissance du monde extérieur est due aux sensations associées du toucher, de la vue et du sens musculaire. […] La vue, par exemple, nous fait connaître la distance et l’étendue. […] VI Jusqu’ici nous n’avons eu en vue que la résurrection, le réveil littéral des sensations, images, émotions, suites de pensées antérieures.
I. de faire communiquer ses vues à quelques professeurs des universités de Leipsick, do Gœttingue, de Leyde, d’Oxford, d’Edimbourg, de Glasgow. […] Si j’ai bien pénétré les vues de l’ointe que le Seigneur a accordée à la Russie pour leur gloire réciproque, et pour se faire pardonner par moi plusieurs fredaines graves de ma connaissance, je dois croire que Sa Majesté cherche à introduire dans les villes de son empire la magistrature municipale, et à en étendre et relever les fonctions. Vue excellente, propre à perfectionner la police, vue honorée de toute mon approbation ! […] Il ne restait à celui-ci, pour arrêter les progrès de cette tour, qui s’élevait à vue d’œil, et qui allait percer jusque dans son boudoir, que la ressource de la confusion des langues.
En reparaissant vers le même temps dans le Journal de Paris (janvier 1795), Roederer eut à parler plus d’une fois de Sieyès ; il le fit avec de constants hommages pour ses talents et sa profondeur de vues, mais avec une assez grande liberté de plume. […] Roederer analysant l’opinion de Sieyès, et pour mieux faire valoir quelques-unes des vues de l’auteur, avait parlé d’une manière un peu dégagée de son humeur, de ses préventions ; en un mot, il avait fait assez lestement les honneurs de sa personne. […] Je fus chargé de négocier les conditions politiques d’un arrangement : je transmettais de l’un à l’autre leurs vues respectives sur la Constitution qui serait établie, et sur la position que chacun y prendrait. […] disait-il (26 brumaire), voilà ce que nous devons aux consuls de la république et aux commissions législatives qui répondent à leurs vues. — Il n’y a ni ne peut y avoir de réaction à la suite du 19 Brumaire, disait-il le 29. […] [NdA] Ce tact, je dois le dire, lui a été contesté par des contemporains judicieux : j’ai surtout en vue la première moitié de sa carrière.
Vue de génie et témoignage de candeur chrétienne, d’autant plus méritoire que le paganisme était encore debout, que ses apologistes lui rapportaient les gloires de l’ancienne Rome et que le dessein du livre de saint Augustin est d’élever la cité de Dieu sur les ruines de la plus grande des cités terrestres ! […] Il n’aime pas la décadence il en détourne la vue ; mais de ce regard détourné et fugitif il n’en aperçoit pas moins les causes principales. […] Il s’y fatigua pourtant ; sa vue s’y altéra ; ses jours s’y abrégèrent ; il n’est pas de volupté qui ne se paye cher, même celle du travail. […] Avoir sans cesse en vue le public, ne penser à soi qu’après tous les autres, composer, c’est-à-dire s’ajuster à l’esprit d’autrui, sacrifier des idées, ranger celles qu’on choisit, ménager les transitions, non de rhétorique, mais de logique, voilà l’art au dix-septième siècle, et l’art ainsi appliqué est du dévouement. […] D’Alembert défend les obscurités de Montesquieu comme volontaires, comme n’en étant pas pour « ceux que l’auteur a en vue. » (Éloge de Montesquieu.)
Othello croit sa femme infidelle, à la vue d’un mouchoir qu’on lui persuade qu’elle a donné à un de ses Rivaux ; Orosmane entre en fureur à la vue d’une Lettre écrite par Zaïre à Nérestan, qu’il croit son Rival.
Depuis deux actes, le public a presque perdu de vue l’ingénieur ; il n’apparaît que pour disparaître, et, au théâtre aussi, les absents ont tort. […] Cette lettre, nous l’avons vue, au premier acte, égarée par M. […] Il y a de la ficelle dans cette mèche préparée pour produire l’explosion finale, et, de loin, on l’a vue traîner. […] Tenancier : il devine, à première vue, le secret de la comédie. […] Tenancier, qui devinait, à première vue, le secret de la comédie.
La comparaison des barons du Rhin et des Titans, et le rôle de Frédéric Barberousse assimilé à celui de Jupiter, — c’est de l’histoire à vue d’aigle, à vue de vautour.
Il en est résulté un beau livre, accompagné de tout ce qui peut le faire valoir, plan, vues, gravures, et surtout formé et nourri à chaque page de cette excellente langue du xviie siècle, que Mme de Maintenon avait amenée à sa perfection et que parlaient les premières élèves de Saint-Cyr. […] Il l’a vue telle qu’elle était, tout occupée du salut du roi, de sa réforme, de son amusement décent, de l’intérieur de la famille royale, du soulagement des peuples, et faisant tout cela, il est vrai, avec plus de rectitude que d’effusion, avec plus de justesse que de grandeur ; enfin, il a résumé son jugement sur elle en des termes précis, au moment de l’accompagner dans son œuvre de tendresse et de prédilection : Mme de Maintenon, dit-il, n’a donc pas eu sur Louis XIV l’influence malfaisante que ses ennemis lui ont attribuée : elle n’eut pas de grandes vues, elle ne lui inspira pas de grandes choses : elle borna trop sa pensée et sa mission au salut de l’homme et aux affaires de religion ; l’on peut même dire qu’en beaucoup de circonstances elle rapetissa le grand roi ; mais elle ne lui donna que des conseils salutaires, désintéressés, utiles à l’État et au soulagement du peuple, et en définitive elle a fait à la France un bien réel en réformant la vie d’un homme dont les passions avaient été divinisées, en arrachant à une vieillesse licencieuse un monarque qui, selon Leibniz, « faisait seul le destin de son siècle » ; enfin en le rendant capable de soutenir, « avec un visage toujours égal et véritablement chrétien », les désastres de la fin de son règne. […] Elle se mêlait aux classes, aux exercices, aux moindres services de la maison, n’en estimant aucun au-dessous d’elle : Je l’ai vue souvent, dit une de ces modestes historiennes citées par M. […] Avertie par les premiers relâchements et par les fantaisies légères qu’elle avait vues poindre, elle s’occupa à faire à ses filles un rempart de leurs constitutions et de leur règle ; elle comprit, comme toutes les grandes fondatrices, qu’on n’arrive à tirer de la nature humaine un parti singulier et extraordinaire sur un point qu’en la supprimant ou la resserrant par tous les autres côtés. […] » Une haute idée, c’est que les Dames de Saint-Louis étant destinées à élever des demoiselles qui deviendront mères de famille et auront part à la bonne éducation des enfants, elles ont entre leurs mains une portion de l’avenir de la religion et de la France : « Il y a donc dans l’œuvre de Saint-Louis, si elle est bien faite et avec l’esprit d’une vraie foi et d’un véritable amour de Dieu, de quoi renouveler dans tout le royaume la perfection du christianisme. » La fondatrice leur rappelle expressément qu’étant à la porte de Versailles comme elles sont, il n’y a pas de milieu pour elles à être un établissement très régulier ou très scandaleux : « Rendez vos parloirs inaccessibles à toutes visites superflues… Ne craignez point d’être un peu sauvages, mais ne soyez pas fières. » Elle leur conseille une humilité plus absolue qu’elle ne l’obtiendra : « Rejetez le nom de Dames, prenez plaisir à vous appeler les Filles de Saint-Louis. » Elle insiste particulièrement sur cette vertu d’humilité qui sera toujours le côté faible de l’institut : « Vous ne vous conserverez que par l’humilité ; il faut expier tout ce qu’il y a eu de grandeur humaine dans votre fondation. » Quoi qu’il en soit des légères imperfections dont l’institut ne sut point se garantir, il persista jusqu’à la fin dans les lignes essentielles, et on reconnaîtra que c’était quelque chose de respectable en l’auteur de Saint-Cyr que de bâtir avec constance sur ces fondements, en vue du xviiie siècle déjà pressé de naître, et dans un temps où Bayle écrivait de Rotterdam à propos de je ne sais quel livre : On fait, tant dans ce livre que dans plusieurs autres qui nous viennent de France, une étrange peinture des femmes de Paris.
Je le dis tout d’abord, ils sont peu agréables à lire, quoique très essentiels pour la connaissance intime et profonde de La Mennais, ils n’offrent à première vue rien qui flatte, rien qui réponde aux désirs de l’imagination. […] Il n’en avait gardé, disait-il, que deux souvenirs : il se rappelait l’avoir vue réciter son chapelet et jouer du violon. […] La vue de ces champs qui se flétrissent, ces feuilles qui tombent, ce vent qui siffle ou qui murmure, n’apportent à mon esprit aucune pensée, à mon cœur aucun sentiment. […] Si la Providence nous sépare ici-bas, nous nous désolons comme l’enfant à qui un buisson a dérobé la vue de sa mère, et qui, tout effrayé de cette solitude d’un moment, se désespère comme s’il était éternellement abandonné. […] Il emploie pour le déterminer les arguments les plus pressants, les plus fraternels : l’abbé Jean se croyant engagé envers l’évêque de Saint-Brieuc ; pur Breton, prêtre dévoué, tout d’application et de pratique, son horizon d’ailleurs était circonscrit et sa voie toute tracée ; il avait en vue mainte œuvre locale à entreprendre ou à poursuivre.
Mais, rencontrant souvent Rome sur son chemin, il n’a pas su résister à la tentation : il s’est détourné pour un temps de son œuvre capitale, pour se donner le plaisir d’embrasser d’une seule vue toute la suite de l’histoire romaine. […] De là la difficulté qu’on éprouve toujours à prendre une vue d’ensemble de l’Esprit des Lois. […] L’idée première des recherches qui occupèrent une bonne partie de sa vie vint de là, et la forme définitive de son esprit en resta déterminée : Montesquieu sera toujours un juriste ; toutes ses idées historiques, ses vues politiques, ses conceptions philosophiques revêtiront des formes juridiques. […] Embrassant d’une vue l’histoire universelle, il réduit toutes les formes de gouvernement à trois : république, monarchie, despotisme. […] Ces vues n’étaient pas pour être agréées de ceux qui exerçaient le pouvoir au nom du roi.
Il ne cessa, depuis lors, d’écrire et d’épier, dans cette vue, tout ce qu’il pourrait savoir, apercevoir et deviner des choses de son temps. […] Il y a deux manières de prendre les choses et les personnages du monde et de l’histoire : ou bien de les accepter par leurs surfaces, dans leur arrangement spécieux et convenu, dans leur maintien plus ou moins noble et grave ; et cette première vue est facile, presque naturelle, quand il s’agit d’époques comme celle de Louis XIV, auxquelles le décorum a présidé. […] Il a beau être passionné, il sent bien à quel point la charité peut sembler incompatible avec la vue réelle et l’exposé inexorable de la nature humaine et des choses de l’histoire envisagées, comme il fait, par le revers de la tapisserie : « Une innocente ignorance, se demande-t-il, n’est-elle pas préférable à une instruction si éloignée de la charité ? […] La vérité, s’écrie-t-il, il l’a eue en vue jusqu’à lui sacrifier toutes choses : « C’est même cet amour de la vérité qui a le plus nui à ma fortune ; je l’ai senti souvent, mais j’ai préféré la vérité à tout, et je n’ai pu me ployer à aucun déguisement ; je puis dire encore que je l’ai chérie jusque contre moi-même. » Pourtant, s’il redresse si haut la tête sur ce chapitre de la vérité, il convient que l’impartialité n’a pas été son fait ; il sent trop vivement pour cela : On est charmé, dit-il, des gens droits et vrais ; on est irrité contre les fripons dont les cours fourmillent ; on l’est encore plus contre ceux dont on a reçu du mal. […] Salomon a dit quelque part dans le livre des Proverbes : « Comme on voit se réfléchir dans l’eau le visage de ceux qui s’y regardent, ainsi les cœurs des hommes sont à découvert aux yeux des sages. » Mais il est difficile de rester prudent et sage quand on lit à ce degré jusqu’au fond dans l’âme des autres hommes ; il est difficile, même lorsqu’on n’en abuserait point pour des fins intéressées et sordides, de ne point haïr, de ne point mépriser, de ne point marquer ses propres antipathies et ses instincts ; et le faible de Saint-Simon comme homme, de même qu’une partie de sa gloire comme peintre, est de s’être livré avec passion et flamme à tous les mouvements de réaction que cette seconde vue, dont il était doué, excitait en lui.
Arrivé à la barre de la Convention, qu’il trouva tout en désordre, puis admis aux honneurs de la séance dont il profita peu, il raconte qu’un gros et joyeux conventionnel lui dit, en le voyant sortir : « Prenez le plus long pour retourner vers vos commettants, et, toutes les fois que vous passerez devant une section, entrez ; parlez de la mission que vous venez de remplir, et de l’accueil que vous avez reçu… Vantez surtout l’assurance que vous avez vue parmi nous. » — « Sans doute, lui répondis-je ; cela me formera si je veux un jour écrire l’histoire. » M. […] Arrivé en province, à Moulins, il s’aperçoit aisément que la proscription ne l’y atteindra pas : il aurait même pu se montrer sans danger et reparaître, s’il n’y avait pas vu une espèce de bravade, et par conséquent un défaut de convenance : « Mais, ajoute-t-il, il faut être poli, même avec les révolutions. » On doit déjà saisir le ton de cet esprit fin, ironique, épigrammatique, et légèrement impertinent jusque dans les choses sérieuses : son mérite est de renfermer bien du bon sens et des vues justes sous cette forme-là. […] Fiévée et de ses vues en politique : « Ah ! […] Fiévée, après avoir vu Bonaparte, reçut par l’intermédiaire de M. de Lavalette l’invitation de lui écrire dans une série de notes ses impressions et ses vues sur les événements et les choses. […] Par penchant et par habitude, il était encore plus homme de presse qu’il ne l’avait été de consultation et de cabinet : « Comme écrivain, disait-il, entre m’adresser au public ou à un souverain, fût-il dix fois plus élevé que la colonne de la place Vendôme, je n’hésiterai jamais à préférer le public ; c’est lui qui est notre véritable maître. » En laissant dans l’ombre les côtés faibles et ce qui n’est pas du domaine du souvenir, et à le considérer dans son ensemble et sa forme d’esprit, je le trouve ainsi défini par moi-même dans une note écrite il n’y a pas moins de quinze ans : Fiévée, publiciste, moraliste, observateur, écrivain froid, aiguisé et mordant, très distingué ; une Pauline de Meulan en homme (moins la valeur morale) ; sans fraîcheur d’imagination, mais avec une sorte de grâce quelquefois à force d’esprit fin ; — de ces hommes secondaires qui ont de l’influence, conseillers nés mêlés à bien des choses, à trop de choses, meilleurs que leur réputation, échappant au mal trop grand et à la corruption extrême par l’amour de l’indépendance, une certaine modération relative de désirs, et de la paresse ; — travaillant aux journaux plutôt par goût que par besoin, aimant à avoir action sur l’opinion, même sans qu’on le sache ; — Machiavels modérés, dignes de ce nom pourtant par leur vue froide, ferme et fine ; assez libéraux dans leurs résultats plutôt que généreux dans leurs principes ; — sentant à merveille la société moderne, l’éducation moderne par la société, non par les livres ; n’ayant rien des anciens, ni les études classiques, ni le goût de la forme, de la beauté dans le style, ni la morale grandiose, ni le souci de la gloire, rien de cela, mais l’entente des choses, la vue nette, précise, positive, l’observation sensée, utile et piquante, le tour d’idées spirituel et applicable ; non l’amour du vrai, mais une certaine justesse et un plaisir à voir les choses comme elles sont et à en faire part ; un coup d’œil prompt et sûr à saisir en toute conjoncture la mesure du possible ; une facilité désintéressée à entrer dans l’esprit d’une situation et à en indiquer les inconvénients et les ressources ; gens précieux, avec qui tout gouvernement devrait aimer causer ou correspondre pour entendre leur avis après ou avant chaque crise.
Mais il ne faut pas perdre de vue deux choses : l’histoire littéraire a pour objet la description des individualités1 ; elle a pour base des intuitions individuelles. […] En littérature, comme en art, on ne peut perdre de vue les œuvres, infiniment et indéfiniment réceptives et dont jamais personne ne peut affirmer avoir épuisé le contenu ni fixé la formule. […] Mais il ne faut jamais perdre de vue deux choses : l’une, que celui-là sera un mauvais maître de littérature qui ne travaillera point surtout à développer chez les élèves le goût de la littérature, l’inclination à y chercher toute leur vie un énergique stimulant de la pensée en même temps qu’un délicat délassement de l’application technique ; c’est là qu’il nous faut viser, et non à les fournir de réponses pour un jour d’examen ; l’autre, que personne ne saura donner à son enseignement cette efficacité, si, avant d’être un savant, on n’est soi-même un amateur, si l’on n’a commencé par se cultiver soi-même par cette littérature dont on doit faire un instrument de culture pour les autres, si enfin, tout ce qu’on a fait de recherches ou ramassé de savoir sur les œuvres littéraires, on ne l’a fait ou ramassé pour se mettre en état d’y plus comprendre, et d’y plus jouir en comprenant. […] Je ne pouvais, en aucune partie de ce travail, perdre de vue ni laisser oublier que tous les secours de l’érudition et de la critique, toute l’écriture amassée autour des textes, celle des autres comme la mienne, ont pour fin dernière la lecture personnelle des textes.
L’écrivain s’y est donné tout développement dans l’intervalle, et ne s’est refusé aucune des excursions ou des vues qui pouvaient agrandir son sujet et l’éclairer. […] Tant qu’il ne se donnait pour sujet que Proclus ou même Platon, cela nous touchait moins ; mais la méthode nous est devenue très sensible depuis que nous l’avons vue appliquée à Pascal, à la sœur de Pascal, à Jean-Jacques Rousseau, à Mme de Longueville. […] Le danger serait, si l’on y abondait sans réserve, de trop dispenser le critique de vues et d’idées, et surtout de talent. […] Cousin a l’air plus grand ; il a la ligne plus ouverte, le dessin plus large ; il se donne à première vue plus d’horizon.
C’est-à-dire qu’il possédait, jointe à des connaissances positives, la vue supérieure du Christianisme sans laquelle il est impossible de juger la société antique et même de la comprendre, l’homme ayant besoin pour juger une chose de valoir mieux qu’elle, de la tenir sous ses pieds, de la dominer ! Avec des qualités si diverses et si supérieures, le livre de Champagny fut un tableau complet de la société romaine, étudiée dans son ensemble, puis dans ses détails, et, pour ainsi dire, pièce à pièce ; saisie de haut d’abord, puis vue de plus près, dans chaque anse de ses rivages, dans tous ses recoins d’horizon. […] Initié aux vues supérieures du gouvernement par le catholicisme ; qui, en généralisant les devoirs, a simplifié l’obéissance, Champagny a parfaitement compris le rôle de la famille dans l’organisation romaine. […] Nous avons parcouru rapidement, mais assez pour donner envie de les lire aux esprits sérieux, les deux ouvrages de ce temps qui ouvrent une vue parallèle sur deux sociétés : la société romaine et la société grecque.
L’Histoire des manuscrits a été commise en vue d’apaiser cette pieuse et même superstitieuse terreur. […] Flourens n’attribue pas avec assez de rigueur, à notre sens, quoiqu’il l’indique, l’absence de vue perçante de Buffon, en fait de méthode, à une conformation de tête qui n’avait rien de métaphysique et à des facultés qui devaient entraîner celui qui les avait, comme l’imagination entraîne. […] Moins expérimentateur habile que généralisateur formidable, il promenait sa vue sur les expériences qu’il n’avait pas faites ; il en tirait les conséquences les plus éloignées ; il en appuyait des conjectures. « Et », — dit l’éloquent M. […] Les idées de Buffon sur l’économie animale, sur la génération et sur la dégénération des animaux, etc., etc., etc., toutes ces diverses vues sont passées au crible de la plus subtile et de la plus patiente analyse, mais, la conclusion que nous venons de citer l’atteste, ce qui reste au fond du crible, c’est le génie de l’homme qui a remué toutes ces questions !
Il n’y a que des barbares ou des gens à courte vue qui puissent se laisser prendre à des objections superficielles comme celles que fait naître au premier coup d’œil la multiplicité des emplois scientifiques. […] Les grands traitements scientifiques, et surtout le cumul, auraient sous ce rapport un grave inconvénient, le même que les grandes richesses ont eu pour le clergé : ce serait d’attirer des âmes vénales, qui ne voient dans la science qu’un moyen comme un autre de faire fortune ; honteux simoniaques qui portent dans les choses saintes leurs grossières habitudes et leurs vues terrestres. […] Les bénédictins du XVIIe siècle vécurent d’anciennes fondations n’ayant en vue que les pratiques monacales.
En chaque individu conscient se trouve reconstitué, selon un mode réduit et par juxtaposition de parties, un équivalent de l’unité primitive : en chaque individu se montrent liées l’une à l’autre et réunies en un même lieu psychologique les deux attitudes selon lesquelles l’être parvient à se représenter à sa propre vue : l’attitude active de l’objet, l’attitude contemplative du sujet. […] Chaque individu perd de vue la valeur représentative de ses actes et de ses passions pour ne s’attacher qu’au bonheur ou à la douleur qu’il en retire. […] Par là donc est assuré l’intérêt d’un spectacle dont la cruauté même se trouve justifiée par la joie du spectateur qui se repaît de sa vue.
Mais, fussent-elles demeurées paradoxales, ces vues n’auraient jamais été antiscientifiques. […] C’est d’établir une communication en vue d’une coopération. […] Car il ne faut pas que la complication de la lettre fasse perdre de vue la simplicité de l’esprit. […] Telle vue a dû lui être fournie par celui-ci, telle autre lui fut suggérée par celui-là. […] Il prend de loin en loin des vues quasi instantanées sur la mobilité indivisée du réel.
Le tableau où Mr Roslin a peint le Roi reçu à l’hôtel de ville par Mr le gouverneur, le prévôt des marchands et les échevins, après sa maladie et son retour de Metz est la meilleure satire que j’aie vue de nos usages, de nos perruques et de nos ajustements. […] Et puis ce monarque long, sec, maigre, élancé, vu de profil, avec une petite tête couverte d’un chapeau retapé n’a-t-il pas l’air d’un escroc qui a la vue basse.
Grant Allen, tout caractère esthétique à la disposition des parties en vue d’une fin « confortable », c’est se rejeter dans un excès contraire. […] Spencer, qui a complété par des vues scientifiques les doctrines trop métaphysiques de Schiller et de Schelling. […] Entre les perceptions de la vue et les pensées, il existe une secrète harmonie que les poètes et les peintres ont toujours respectée. […] Ce n’est pas seulement la chose vue qui a une « valeur objective », c’est l’œil même qui voit. […] Empruntons un point de comparaison à l’analogie établie par Helmholtz entre l’ouïe et la vue.
Les sensations totales de la vue, de l’odorat, du goût, du toucher et leurs éléments Sommaire. […] V Tâchons de jeter sur tous ces faits une vue d’ensemble. […] Nous concevons, d’après les trois principes posés, que les sensations élémentaires des cinq sens peuvent être elles-mêmes des totaux composés des mêmes éléments, sans autre différence que celle du nombre, de l’ordre et de la grandeur de ces éléments, et que, partant, comme les diverses sensations de l’ouïe ou de la vue, elles peuvent se réduire à un type unique. […] Les sensations spéciales de la vue, de l’ouïe, de l’odorat et du goût, sont des représentants délicats et limités qui, par leurs caractères, traduisent rigoureusement et uniquement un ordre spécial de faits extérieurs. […] « Cette hypothèse d’Young, dit-il, donne une vue d’ensemble et une explication extraordinairement claire et simple de tous les phénomènes qui appartiennent à la science physiologique des couleurs. » 79.
La science vraiment élevée n’a commencé que le jour où la raison s’est prise au sérieux et s’est dit à elle-même : « Tout me fait défaut ; de moi seule viendra mon salut. » C’est alors qu’on se met résolument à l’œuvre ; c’est alors que tout reprend son prix en vue du résultat final. […] Des vues, des aperçus, des jours, des ouvertures, des sensations, des couleurs, des physionomies, des aspects, voilà les formes sous lesquelles l’esprit perçoit les choses 41. […] Je suis persuadé que, si les esprits cultivés par la science rationnelle s’interrogeaient eux-mêmes, ils trouveraient que, sans formuler aucune proposition susceptible d’être mise en une phrase, ils ont des vues suffisamment arrêtées sur les choses vitales, et que ces vues, diversement exprimées pour chacun, reviennent à peu près au même. […] Ceux qui font reposer la connaissance humaine et le devoir et le gouvernement sur la nature humaine ont l’air de se priver d’un tel fondement ; car le libre examen, c’est la dissidence, c’est la variété de vues. […] Les autres, par une vue plus profonde de la marche de l’esprit humain, au-dessous des contradictions apparentes, voient le progrès et l’unité.
Maintenant qu’on a sous les yeux l’ensemble des vues, des écrits et des croquis de Töpffer, c’est le cas de bien expliquer la nature de son talent comme peintre des Alpes, et de bien fixer le genre de son invention, le caractère à la fois naïf et réfléchi de son originalité. […] Töpffer était né peintre, paysagiste, et son père l’était ; mais, forcé par les circonstances, et surtout par le mauvais état de sa vue, de se détourner de l’expression directe que réclamait son talent et où le conviait l’exemple paternel, il n’y revint que moyennant détour, à travers la littérature et plume en main : cette plume lui servit à deux fins, à écrire des pages vives et à tracer, dans les intervalles, des dessins pleins d’expression et de physionomie. […] Une seule fois, lui ou du moins son Saint-Preux, il s’est aventuré dans la zone supérieure, dans les montagnes du Valais ; on peut voir dans la première partie de La Nouvelle Héloïse la xxiiie lettre à Julie : « Tantôt d’immenses rochers pendaient en ruines au-dessus de ma tête ; tantôt de hautes et bruyantes cascades m’inondaient de leur épais brouillard ; tantôt un torrent éternel ouvrait à mes côtés un abîme, etc. » Cette peinture est bien, mais elle n’est qu’une première vue un peu générale, un peu confuse, et sans particularité bien distincte. […] Après s’en être pénétré et en s’engageant sur les pas de l’excellent initiateur dans ces expéditions de fatigue et de plaisir, plus d’un visiteur des hautes cimes, au tournant d’un roc, au reflet d’un glacier, à l’humble vue d’une clôture, se surprendra à dire comme pour un compagnon absent et pour un ami qui nous a devancés : « Töpffer, où êtes-vous ? […] [NdA] Byron au reste, dans son séjour en Suisse (1816), a senti et pratiqué les Alpes bien autrement que Chateaubriand qui ne les avait vues d’abord qu’en passant (1805), et qui semble les avoir traitées, et le Mont-Blanc lui-même, du haut de sa grandeur. — Je conseille aux amateurs de lire Les Alpes Suisses, par M.
À beaucoup de pénétration il joignait une grande justesse de jugement, une mémoire excellente, des vues élevées et de vastes conceptions. […] Comment peut-on encore ignorer quelque part que les recherches les plus profondes, la lecture la plus assidue, ne sont que des moyens d’instruction dont l’application seule fait le mérite, et que se tourmenter pour devenir érudit, sans avoir d’autre talent et sans se proposer d’autres vues, c’est passer sa vie à aiguiser une arme dont on ne doit jamais se servir ? Jusqu’ici, en parlant des universités de la Péninsule, Vicq d’Azyr n’avait en vue que de loin l’université de Paris, bien autrement pratique et avancée pour la branche médicale ; mais il y songeait manifestement et il y faisait une allusion qui devait être sentie de tous, lorsqu’il ajoutait : Semblable aux vieillards qui racontent avec enthousiasme ce qu’ils ont vu dans leur jeunesse et qui refusent d’apprendre ce que les modernes ont découvert, la plupart des anciens corps enseignants prodiguent des éloges aux âges qui les ont précédés, et se traînent péniblement après le leur. […] Il y a bien des années que, lisant de suite ce recueil des notices historiques de Vicq d’Azyr, simple étudiant alors et en chemin d’être médecin moi-même, mais hésitant encore entre plusieurs velléités ou vocations, il m’a été donné d’en saisir le doux intérêt et le charme ; en passant de l’un à l’autre de ces personnages, je sentais varier mes propres désirs ; chacun d’eux me disait quelque chose ; l’idée dominante que l’auteur avait en vue et qu’il exprimait dans la vie de chacun de ces savants m’apparaissait tour à tour et venait me tenter, même lorsque cette idée dominante n’était que des plus modestes : car il y a cela de particulier dans la touche de Vicq d’Azyr, qu’une sorte de sympathie y respire et que le coloris léger n’y dérobe jamais le fonds humain. […] Il le montre jeune à Leyde, suivant les leçons de Boerhaave et d’Albinus : Mais ce qui lui inspira surtout, dit-il, le goût de l’anatomie et la passion du travail, ce fut la vue du superbe cabinet de Ruysch, où, au milieu de tant d’organes préparés d’une manière surprenante, au milieu de sujets qui y avaient, en quelque sorte, recouvré une nouvelle vie, il aperçut un vieillard nonagénaire, desséché par les ans, mais toujours laborieux et actif, qui, paraissant comme un Enchanteur au milieu de ces merveilles, semblait avoir joint au secret de les conserver celui de s’immortaliser lui-même.
Pourquoi sommes-nous ainsi faits en France, que lorsqu’un homme distingué et de talent n’est pas entré à un certain jour dans le courant de la vogue et dans le train habituel de l’admiration publique, nous devenions si sujets à le négliger et à le perdre totalement de vue ? […] Dorat, en convenant qu’il avait dû corriger beaucoup dans le drame nouveau, qu’il avait francisé autant qu’il l’avait pu l’expression parfois extraordinaire, soutenait pourtant que, dans ce siècle où il n’y avait plus de genres, la pièce accommodée à la scène pourrait plaire et faire tourner les têtes : On les a vues tourner pour beaucoup moins, ajoutait-il. […] Dans quelques-unes, on doit reconnaître le ton sauvage qu’inspire la vue des Alpes et de l’Apennin ; longtemps réfugié au sein de leurs glaces éternelles, je ne sais si je suis de mise au milieu d’une grande ville, et c’est avec quelque méfiance que je viens y porter un ton et des mœurs étrangères. […] Dans son trajet de l’abbaye d’Engelberg au Dittlisberg, Ramond rencontre bien des difficultés, des dangers, mais aussi de ces jouissances sans nom qu’il décrit de la sorte : Du haut de notre rocher, nous avions une de ces vues dont on ne jouit que dans les Alpes les plus élevées : devant nous fuyait une longue et profonde vallée, couverte dans toutes ses parties d’une neige dont la blancheur était sans tache ; çà et là perçaient quelques roches de granit, qui semblaient autant d’îles jetées sur la face d’un océan ; les sommets épouvantables qui bordaient cette vallée, couverts comme elle de neiges et de glaciers, réfléchissaient les rayons du soleil sous toutes les nuances qui sont entre le blanc et l’azur ; ces sommets descendaient par degrés en s’éloignant de nous, et formaient un longue suite d’échelons dont les derniers étaient de la couleur du ciel, dans lequel ils se perdaient. […] À la vue des imposantes barrières qui le séparent du reste du monde, l’âme la plus froide éprouve un frémissement secret.
il pense, il fermente, il s’exalte, il prend feu, il amasse des mondes d’idées, le projets, des vues, des conceptions de toutes sortes sur les événements, sur les hommes et les choses ; et quand il lui vient un interlocuteur ou un écouteur, il déborde, il lance ses feux et ses flammes, ou quand il prend la plume, il se répand. […] Mais tout cela était bien loin en 1811 ; de Maistre était redevenu irréconciliable, et, à le prendre pour tel, rien ne saurait être plus intéressant que de saisir ses vues, ses impressions de chaque jour dans la terrible partie qui se joue sous ses yeux et où lui-même est en cause. « Depuis vingt ans, dit-il, j’ai assisté aux funérailles de plusieurs souverainetés ; rien ne m’a frappé comme ce que je vois dans ce moment, car je n’ai jamais vu trembler rien de si grand. » On tremblait, en effet, à l’heure où il écrivait cela, on faisait ses paquets là où était de Maistre, et la joie bientôt, et l’ivresse fut en raison de cette première crainte. […] mais il nous plaît comme cela, pourvu que ce soit à bâtons rompus que nous l’écoutions et non quand il dogmatise ; que de vues chemin faisant, que de paroles qui restent et qu’on emporte ! […] Il a des percées de vues qui, détachées, sembleraient vraiment justifier ses airs de prophète. […] Mais il y a une autre langue sévère et laconique qui atteint la racine des choses, les causes, les motifs secrets, les effets présumables, les tours de passe-passe et les vues souterraines de l’intérêt particulier ; cette langue-là a bien aussi son prix.
Mais en même temps il portait ses vues au-delà et ne prodiguait pas ses forces à tout propos. […] Un livre d’histoire, qu’il publia quelque temps après (Revue de l’Histoire universelle), et qui semblait ne répondre qu’à une demande de librairie, lui servit à se remémorer les faits principaux du passé, dont il faut être muni dans le présent, et à rassembler sous une vue sommaire les résultats d’idées qui sont des conquêtes ; c’étaient des armes qu’il préparait. […] J’avais écrit sur Tocqueville dans le Moniteur et en le faisant j’avais eu en vue deux choses : témoigner d’abord, dans le journal même du Gouvernement, de mon respect et de mon estime pour un adversaire de haut mérite ; et, en second lieu, à la veille d’une grande solennité littéraire, au moment où l’on allait peut-être essayer de nous donner un faux Tocqueville, j’avais tenu a en présenter un vrai et à prendre, autant que je le pouvais, la mesure de l’homme, avant qu’il passât à l’état de demi-dieu ou de pur génie par le fait de l’apothéose académique. […] La France, qui est le premier et le plus sacré des principes, ne devrait jamais se perdre de vue. […] d’exhaler de temps en temps ses idées, et ses vues dans de belles harangues de tribune ; car je le suppose aussi distingué comme orateur qu’il l’était comme professeur.
« La Reine des cœurs, que j’avais vue à Rome, était de moyenne taille, blonde, aux yeux bleu foncé, le nez un peu retroussé, blanche comme une Anglaise, l’air gai, malin et sensible à faire tourner toutes les têtes. […] Heureusement le jour baissait ; c’était bien sa vois, c’était un peu son regard, tout le reste était une vieille femme, que j’accusais dans mon cœur d’enfermer par magie celle que j’avais vue à Rome. […] à une peau très-blanche et à des cheveux blonds, donnaient à sa beauté un tel éclat qu’il était difficile, à sa vue, de ne pas sentir tout à coup saisi et subjugué. […] On ne dit point pourtant que le prince, en tout ceci, ait été jaloux d’Alfieri, lequel au contraire avait su lui plaire ; mais on rapporte « qu’il obsédait sans cesse sa femme, ne la laissait jamais sans lui ; quand il était obligé de la perdre de vue, il l’enfermait à clef. […] Puis je lui parle, et il me semble qu’à sa manière elle m’entende et me sourie, et me dise : « Ne te rassasie pas de me couvrir de baisers ; tu en seras récompensé par ta douce amie, parce qu’autant que j’en ai reçu, elle t’en peut donner, s’il arrive que tu le lui redises en pleurant. » Ainsi parlait l’âpre poète devenu presque suave au moment le plus attendri : Et dans les années suivantes, quand il a été forcé de quitter Rome et de fuir son amie, et qu’il ne l’a pu rejoindre encore dans ce rendez-vous d’Alsace, mais lorsqu’il espère et prévoit que l’heure approche, il s’écrie dans un sentiment savoureux de vengeance et de prochain triomphe : Contre ceux qui l’ont séparé de sa dame (1783) « Qui donc ose m’éloigner de sa vue gracieuse, de la beauté réunie à la modestie, qui, avec son simple et délicieux sourire, nous fait à la fois l’aimer et la révérer !
Nulle part ce premier et principal dessein qu’a l’auteur de railler les livres de chevalerie, de les décrier et d’en ruiner l’autorité dans le monde et parmi le vulgaire, ne se perd de vue ni ne se laisse oublier ; il est ramené sans cesse. […] Il est arrivé en grand à Cervantes pour son Don Quichotte, ce qui est arrivé à La Fontaine avec ses Fables, entreprises d’abord pour un but particulier ; à mesure qu’il avançait, il a insensiblement, non pas perdu de vue, mais agrandi, étendu et serré de moins près son premier objet ; il a fait entrer toute la vie humaine dans son cadre et nous a rendu cette vaste comédie « aux cents actes divers. » Le plan de Don Quichotte n’a rien d’exact, et il a varié sensiblement dans le cours de l’exécution. […] Bouterwek avait commencé, et il attribuait à Cervantes une idée plus haute que celle d’avoir voulu décréditer les mauvais romans de chevalerie, bien qu’il lui reconnût aussi cette dernière intention, mais seulement comme occasionnelle et secondaire ; il la réduisait au point de la subordonner tout à fait à je ne sais quelle vue supérieure : « On ne saurait supposer, disait-il, que Cervantes ait eu l’absurde pensée de vouloir prouver l’influence fâcheuse des romans sur le public, par la folie d’un individu qui aurait pu tout aussi bien perdre la tête en lisant Platon ou Aristote. […] Ce livre si divertissant de Don Quichotte, du moment qu’on entre dans les vues de l’auteur et dans l’esprit qui l’animait pendant sa composition, change tout à fait d’aspect, selon Sismondi, et ne lui paraît plus fournir qu’un texte à des réflexions sérieuses : « L’invention fondamentale de Don Quichotte, dit-il (et cette explication depuis a fait loi), c’est le contraste éternel entre l’esprit poétique et celui de la prose. […] Elle ne doit point surtout être imputée et prêtée à l’auteur primitif par une confusion de vues et une projection illusoire de perspective.
Il n’est pas Français de naissance et de nation, ce qu’il ne faut jamais perdre de vue en le jugeant. […] Son Traité de grande Tactique était commencé ; il espérait s’en faire un titre auprès des militaires en vue. […] À cette vue, le maréchal s’emporta : « Comment pouvez-vous supposer que des Français conduits par l’Empereur puissent reculer ? […] Un Français, Guibert, parla de lui aux Français avec feu, avec savoir, avec éloquence ; mais, dans ses laborieux traités, il fit presque aussitôt fausse route, s’enfonça dans les détails de tactique et d’ordonnance, dans l’école de bataillon, et laissa de côté les grandes vues. […] L’auteur n’y perd jamais de vue cette maxime : « La théorie est le pied droit, et l’expérience est le pied gauche. » Les guerres de la Révolution lui fournissaient aussi des termes naturels de comparaison et des exemples ; il les empruntait le plus volontiers à la campagne d’Italie de 1796-1797 et à celle de 1800.
Un aveugle-né que l’on vient d’opérer demeure assez longtemps avant de pouvoir mettre d’accord les perceptions de son toucher et les perceptions de sa vue. Avant l’opération, il se représentait une tasse de porcelaine comme froide, polie, capable de donner à sa main telle sensation de résistance et de forme ; lorsque pour la première fois elle frappe sa vue et lui donne la sensation d’une tache blanche, il conçoit la chose blanche et lustrée comme autre que la chose résistante, pesante, froide et polie. […] Vue d’un côté, la nature a pour éléments des événements que nous ne pouvons connaître qu’à l’état de complication extrême, et qu’en cet état nous nommons sensations. Vue de l’autre côté, elle a pour éléments des événements que nous ne concevons clairement qu’à l’état de simplicité extrême, et qu’en cet état nous nommons mouvements moléculaires. […] Des deux côtés, à la base de l’échelle, les événements sont infinitésimaux ; on a vu dans les sensations dont on peut pousser un peu loin l’analyse, celles de l’ouïe et de la vue, que l’événement moral, comme l’événement physique, passe dans un temps très court par une série rigoureusement infinie de degrés.
La connaissance primitive devient science quand la vue d’abord complète devient partielle. […] ne fait-elle que renouveler cette première vue confuse d’où est sortie la science ? […] Inachevé et brisé, tel est le spectacle primitif ; disséminée et incomplète, telle est la vue originelle ; et la connaissance, qui, à son début, reproduit servilement la nature, en reproduit la dispersion et l’imperfection. Faisons une fable de cette vue primitive et que notre oeuvre soit une simple copie du réel. […] Non, car la vue primitive ne découvre pas cette expression complexe et personnelle qui distingue un caractère de tous les autres.
On s’étonne de ne trouver ni dans le portrait qu’il a tracé de lui, ni dans ses Mémoires, aucun aveu sur cette fatalité qui le condamna pendant près de vingt ans à s’imposer toutes les fatigues de l’ambition et de l’intrigue, au profit de volontés qui se perdaient dans leurs propres vues, et ne s’inquiétaient guère des siennes ; à n’agir qu’à la suite ; à ne se déterminer qu’au moment même où, sans le consulter, son parti venait de changer d’avis ; à haïr ses propres lumières comme des empêchements de sa volonté, et sa volonté comme la dupe de ses passions. […] Un esprit commun, qui n’a qu’une première vue, peut en être choqué, et quelque déclamateur vulgaire y verra des injures contre la nature humaine, mais quiconque sait lire au fond de son cœur, sans crainte d’y apercevoir, sur les indications si sûres de la philosophie chrétienne, ce fond de corruption où sont les tentations et tout le prix de l’innocence, reconnaîtra dans les plus sévères de ces maximes un avertissement menaçant donné par un des penseurs qui ont le mieux connu ce fond. […] Mais les Pensées comme les Maximes vivent par le fond ; et c’est faute de vue ou d’impartialité qu’on prend pour des figures peintes des corps pleins d’embonpoint et de vie. […] Certaines vérités sont saisies à la première vue : nous y étions préparés, nous dépendions d’elles depuis longtemps, et nous vivions à notre insu sous leur empire ; un esprit supérieur nous en avertit, nous les reconnaissons. […] Chez aucun autre on ne trouve un plus grand nombre de ces vérités dont les motifs échappent à la mollesse de notre attention, en même temps que la clarté de l’expression satisfait cette première vue dont nous avons coutume de regarder les ouvrages de l’esprit.
Ayant fait choix de son jeune Scythe voyageur pour le faire parler et juger de la Grèce vers le temps d’Épaminondas et de Philippe, il s’est donné beaucoup de peine pour introduire l’examen de certaines questions que la vue de la Grèce, à cette date, ne soulevait pas, pour en éluder et en écarter adroitement certaines autres, et pour atteindre à une sorte de vraisemblance froide dont on ne lui sait aujourd’hui aucun gré. […] Barthélemy, dans sa vue de la Grèce, n’a rien d’un Montesquieu : « Il faut que chaque auteur suive son plan, a-t-il dit ; il n’entrait pas dans le mien d’envoyer un voyageur chez les Grecs pour leur porter mes pensées, mais pour m’apporter les leurs autant qu’il lui serait possible. » Il reste à savoir pourtant si les pensées des Grecs, exprimées par eux et traduites sous nos yeux sans explication préalable, sont suffisamment à notre usage. […] Barthélemy n’a point de ces vues d’ensemble comme politique et comme philosophe ; il n’en a point davantage comme peintre. […] Et après quelque retour de pensée sur la manière dont le christianisme, lui aussi, savait placer et asseoir ses vrais monuments, ses antiques abbayes, au fond des bois ou sur la cime des montagnes : Je faisais ces réflexions à la vue des débris du temple de Sunium… Je découvrais au loin la mer de l’Archipel avec toutes ses îles ; le soleil couchant rougissait les côtes de Zéa et les quatorze belles colonnes de marbre blanc au pied desquelles je m’étais assis. […] Chez Barthélemy, Platon commence à parler ; la vue de cette tempête ayant amené l’entretien sur les époques primitives de la nature, sur le débrouillement du monde au sein du chaos, il débute en disant : « Faibles mortels que nous sommes !
Élevé à l’école de ces deux ministres, M. de Ségur oppose fréquemment ses vues modérées et judicieuses aux raisonnements un peu exclusifs du comte de Broglie et de Favier, et il en résulte d’heureux éclaircissements. Il nous est toutefois impossible de ne pas admirer la sagacité et presque la prophétie de Favier, quand il insiste sur les inconvénients constants de cette alliance autrichienne qu’on a vue depuis encore si fertile en erreurs et en déceptions : « Il faut, écrivait-il en faisant allusion au mariage du Dauphin (Louis XVI) et de Marie-Antoinette, il faut avoir peu de connaissance de l’histoire pour croire qu’on puisse en politique se reposer sur les assurances amicales qu’on se prodigue, ou au moment de la formation d’une alliance, ou à celui d’une union faite ou resserrée par des mariages. […] Placé à son point de vue modéré et purement constitutionnel de 91, l’auteur eut le mérite d’exposer les faits intérieurs et de faire ressortir ses vues sans trop irriter les passions rivales. […] Successivement nommé au Corps législatif, à l’Institut, au Conseil d’État et au Sénat, grand maître des cérémonies sous l’Empire, nous le perdons de vue à cette époque au milieu des grandeurs qui le ravissent aux lettres, mais non pas à leur amour ni à leur reconnaissance : une élégie de madame Dufrenoy a consacré le souvenir d’un bienfait, comme il dut en répandre beaucoup et avec une délicatesse de procédés qui n’était qu’à lui. […] Quinze jours auparavant, un matin, sur son canapé, quatre vieillards étaient assis, lui, le général La Fayette, le général Mathieu Dumas et M. de Barbé-Marbois ; le plus jeune des quatre était septuagénaire ; ils causaient ensemble de la situation politique et de leurs craintes, des révolutions qu’ils avaient vues et de celles qu’ils présageaient encore.
Certes, la confidence est étrange ; elle scandalise à première vue, comme une nudité. […] Ce M. de Sainte-Agathe vous représente, à première vue, un personnage qui n’est ni chair ni poisson, moitié ecclésiastique et moitié laïque, clerc de robe courte, marguillier en activité. […] Certes, voilà, à première vue, un personnage sympathique et sa croisade semble faite pour soulever l’enthousiasme. […] Le public n’aime pas à être brusquement dépaysé au milieu d’une pièce ; son attention se fatigue dès qu’il perd de vue le clocher du lieu où l’action se passe. […] Mais le spectre noir a le don de troubler la vue, ordinairement nette et lucide, de M.
Il fit les délices des sociétés qui se l’arrachaient ; ses amis particuliers, surtout Grimm et Diderot, appréciaient hautement la nouveauté et l’étendue de ses vues, de ses lumières : Ce petit être, né au pied du mont Vésuve, écrivait Grimm, est un vrai phénomène. Il joint à un coup d’œil lumineux et profond une vaste et solide érudition, aux vues d’un homme de génie l’enjouement et les agréments d’un homme qui ne cherche qu’à amuser et à plaire. […] Du moins, s’il se pique de se dégager lui-même des vues illusoires et des impressions relatives, il ne s’acharne pas à les détruire chez les autres, en quoi il diffère essentiellement de ses amis, les philosophes français du xviiie siècle. […] La secte économique se fondait alors, et des hommes éclairés accordaient grande attention et grande estime à ces vues systématiques. […] Cette Naples, qui a tant d’attraits pour qui l’a vue une fois, et où l’on voudrait mourir, ne lui paraît qu’un exil.
En sortant de ces soirées brillantes, il lui faut rentrer dans une petite chambre qu’il a louée cinq ducats ; ces détails matériels, qui ont été supprimés dans les débuts de la correspondance, montrent le côté faible de cette situation précaire, et c’est un côté que Bernardin ne perdait jamais de vue. […] Il commence même à porter ses vues plus loin ; son esprit de système l’entraîne vers les spéculations physiques : J’ai recueilli, dit-il, sur le mouvement de la terre des observations, et j’en ai formé un système si hardi, si neuf et si spécieux, que je n’ose le communiquer à personne. […] J’ai à mettre en ordre des matériaux fort intéressant, et ce n’est qu’à la vue du ciel que je peux recouvrer mes forces. […] Il s’est logé pour travailler plus en liberté dans le faubourg Saint-Marceau, rue Neuve-Saint-Étienne, tout au haut d’une maison d’où l’on a vue sur le jardin des Dames-Anglaises : ce n’est pas encore la fin de son vœu, car son vœu c’est un jardin à lui et une cabane, c’est de loger à terre et non si haut. […] Je n’ai pu toutefois parvenir à fixer le moment précis de la grande crise nerveuse de Bernardin, quand il se montre à nous (préambule de L’Arcadie) frappé d’un mal étrange, sujet à des éclairs qui lui sillonnent la vue, voyant les objets doubles et mouvants, et, dès qu’il rencontrait du monde dans les jardins publics et dans les rues, se croyant entouré d’ennemis et de malveillants.
— Les soldats s’amusaient aussi appeler les ânes des demi-savants : mais, dans les moments difficiles, ils injuriaient ces malheureux serviteurs, et les savante avaient leur part aux reproches du soldat, qui s’imaginait que le but de l’expédition était de satisfaire leur passion pour des recherches auxquelles le militaire prenait fort peu d’intérêt. » — Il ne sait donc pas, celui qui a écrit ces lignes, que cette noble armée, de laquelle il lui plaît de faire une cohue de goujats, prenait aussi sa part des souvenirs magnifiques dont elle était environnée, qu’elle enterrait ses moite avec orgueil au pied de la colonne de Pompée, et qu’elle battait des mains avec enthousiasme à la vue des ruines de Thèbes ! […] A cette vue, les soldats (reprirent courage, espérant atteindre enfin on ennemi qui reculait sans cesse. […] Et nous nous disions : Si, au lieu d’une Vie de Napoléon Bonaparte, Walter Scott avait eu l’idée d’écrire un roman historique où ce personnage eût joué un rôle, s’il avait saisi cette occasion pour peindre des scènes de la Révolution française et pour montrer en action quelques-uns des caractères principaux qui s’y rencontrent, il eût fait un ouvrage plus intéressant à coup sûr que son histoire, mais également plein de vues fausses, de descriptions superficielles, et de portraits de fantaisie : et pourtant Walter Scott a eu sur cette période contemporaine autant et plus de renseignements que sur les époques d’Ivanhoë, de Quentin Dthrward, d’Élisabeth, de Cromwell et des Puritains.
Pour tout ce qui concerne l’industrie principalement, et l’association des travailleurs, nul doute qu’il n’y ait beaucoup à profiter des vues neuves, précises, jetées en avant par les économistes de ces divers systèmes, et opposées à l’art de grouper des chiffres, ainsi qu’aux autres jongleries de nos financiers. […] Et si l’on vient citer le don de la liste civile et la proposition des céréales pour prétendre que le gouvernement n’a pas toujours strictement agi dans l’intérêt de la classe dont il était issu, je dirai que, dans les douze millions donnés à Louis-Philippe, je vois le bourgeois courtisan essayant de faire briller avec de l’or son trône quasi-royal, et dans l’importation des blés le bourgeois prévoyant craignant d’éveiller la colère du peuple et les émeutes de la famine. » La vue de M. […] Mais il est évident, quoiqu’il ne se soit pas expliqué fort longuement jusqu’ici sur ce dernier point, qu’il entend parler d’une théorie en partie neuve et d’une vue qui aurait échappé jusqu’ici aux divers organes de la presse quotidienne.
Rencontrant une dame qu’il n’avait pas vue depuis très longtemps un homme d’âge hésitait : « Comment ! […] Chose curieuse, l’émotion sentimentale fut, ce m’a semblé, tout aussi forte, et de plus je m’aperçus d’un mérite incroyable de composition, d’un art, assurément tout instinctif, des préparations des dispositions prises en vue d’amener un effet final, ou en vue d’éclairer d’avance certaines particularités de caractère par où s’expliquent les incidents et les péripéties ; je m’aperçus, en un mot, que le roman, s’il n’était pas aussi bien écrit que je l’eusse désiré, était aussi bien construit qu’une nouvelle de Maupassant.
Qui ne sent à première vue combien l’espèce de relâchement dans lequel nous vivons, par des causes qui ne sont pas toutes mauvaises, rend nécessaire une ferme croyance sur ce point ? […] J’ai voulu voir d’une vue claire et déterminer, sans paraxode ni rhétorique, ce qu’il y a de constant, d’essentiel, d’immuable dans l’esprit français. […] La première chose s’est vue à la suite des guerres d’Italie. […] La seconde s’est vue pendant et après les guerres de religion. […] La douceur même que donne une vérité clairement vue ne lui est permise que le jour où tout le monde la verra comme lui ; jusque-là, c’est peut-être un piège.
Tout prend à ses yeux un sens et une valeur, en vue du but important qu’il se propose, lequel rend sérieuses les choses les plus frivoles qui de près ou de loin s’y rattachent. […] D’où viennent tant de vues nouvelles sur la marche des littératures et de l’esprit humain, sur la poésie spontanée, sur les âges primitifs, si ce n’est de l’étude patiente des plus arides détails ? […] La vue saine des choses, laquelle ne résulte pas d’un argument, mais de toute une culture critique, de toute la direction intellectuelle, est-elle le fait du grand nombre ? […] Comte croit bien comme nous qu’un jour la science donnera un symbole à l’humanité ; mais la science qu’il a en vue est celle des Galilée, des Descartes, des Newton, restant telle qu’elle est. […] Il consacre la troisième partie de l’Opus majus à l’utilité de l’étude des langues anciennes (grec, arabe, hébreu) et porte en ce sujet délicat la plus parfaite justesse de vues.
On se demande si elle est jolie, et ceux qui l’ont vue répondent qu’elle est très-agréable. […] Vinet sur Bourdaloue ; sa vue sur le jésuitisme, qui n’est qu’une aggravation du catholicisme, me semble très-juste, très-féconde ; c’est ce qui peut s’observer en France aujourd’hui.
Ces hommes, d’ailleurs, consommés dans la connaissance de ce qui fait la force, n’avaient pas encore jugé nécessaire d’entrouvrir les sources précieuses qu’ils possédaient seuls et qu’ils avaient tenues si longtemps fermées pour des raisons bien supérieures aux vues de l’habileté humaine. […] La vie d’un Ordre qui a accompli les choses les plus puissantes et les meilleures qu’on ait vues depuis la Rédemption, est un sujet dont il est difficile de détacher sa pensée. […] une vue surnaturelle de l’avenir engageait peut-être les Jésuites à se laisser condamner sans résistance. […] Nous l’avons dit, qu’on ne le perde pas de vue ! […] Les gouvernements applaudissent ; car toute concession est grosse d’une autre encore plus mortelle, Choiseul tombe, mais qu’importe à la sérieuse Espagne, à ce Charles III, inflexible et muet, pour les vues duquel Choiseul, éventé comme la présomption, s’était si vainement agité !
Un fait demeure bien constant : L’Hôpital dans un premier moment avait incliné du côté des réformés au point de se rallier à eux et de leur donner même des gages ; ses édits subséquents de tolérance s’expliquent mieux de la sorte, et, quand on veut suivre ce grand magistrat dans sa carrière publique, il y a une borne extrême au point de départ qu’il ne faut pas perdre de vue et qui nous est indiquée par d’Aubigné. […] Il est vrai qu’il s’agit dans le cas présent de Montbrun, un des vaillants selon le cœur de d’Aubigné, un de ceux qui honorent le plus l’idéal qu’il a en vue, c’est-à-dire la chevalerie des guerres civiles. […] Et continuant le portrait de celui qu’il connaissait si bien pour l’avoir servi de près, d’Aubigné insiste sur ce que Henri IV, dans sa grande promptitude d’esprit, était servi par deux sens dont la nature l’avait merveilleusement doué, l’ouïe et la vue, qu’il avait perspicaces, aiguisées et sûres à un degré inimaginable : d’Aubigné en cite des exemples. […] À la première vue, il a une physionomie grandiose et une ride austère qui étonne, et qui semble accuser en lui et en ses contemporains une race plus forte que celle d’aujourd’hui.
Tel il fut au lycée, dans les concours ; tel, à l’École normale dans cette première génération qui datait de la fondation même : partout le plus en vue, le plus désigné, l’âme et la vie, le prince de la jeunesse pensante, le grand promoteur et agitateur dans l’ordre des idées. […] Cousin de hasarder bien des vues historiques contestables qu’il avait l’art de coordonner avec son système philosophique. […] Que manquait-il donc à ce brillant esprit, à cet esprit de haut vol, si plein de vues et même d’éclairs de bon sens sur toutes choses, pour être un vrai génie et pour mériter d’être salué de ce nom ? […] Mérimée, la vue plus réfléchie des choses envisagées à distance, un principe de patriotisme et de générosité aussi, qu’il ne faudrait point méconnaître et qui avait trouvé jusqu’à un certain point sa satisfaction dans les événements d’Italie, l’avaient amené à des sentiments favorables à la politique de l’Empire et de son chef illustre.
En effet, les choses de la nature ne sont-elles pas tout aussi vraies, vues dans le clair de lune, que dans un rayon de soleil de midi ? […] Nous causons de l’intérieur de son beau-père, qui est, à ce qu’il paraît, un vrai paradis de la maladie ; nous causons de la vue d’ensemble de la femme, qui perçoit, d’un seul coup d’œil, une toilette de la chaussure à la coiffure ; nous causons de notre sensitivité à nous deux, que nous croyons la plus aiguë des sensitivités modernes. […] La première vue et le premier examen d’un bibelot, dans la fumée d’un cigare ou d’une cigarette, est la sensation par excellence d’un passionné d’art. […] » C’est Gambetta qui entre dans le salon rouge de Brébant, et tout en parlant d’un homme politique en vue, va s’asseoir au bout de la table. […] Et tous trois, devant un carton de vues de Paris du xviiie siècle, nous passons ensemble les dernières heures de la journée : la petite femme, toute triste de la cataracte venue à un de ses yeux, et qui la tient dans la terreur de perdre la vue, Nittis encore tout endolori de sa fluxion de poitrine, moi souffrant et soucieux de les quitter, et de ne pas savoir, ainsi qu’il arrive à mon âge, si je les reverrai encore, ces tendres amis.
Allons, fais avancer le char ; que la vue de l’ermitage purifie nos âmes ! […] Comment, ils ne frappent pas ta vue ! […] (Toutes, à la vue du roi, éprouvent un moment de trouble.) […] Quel dégât il a apporté dans notre sainte retraite, que la vue d’un char a jeté dans cet acte de fureur ! […] Le héros lui souffle doucement dans l’œil pour lui rendre la vue : scène de Daphnis et Chloé, où la simplicité et la candeur luttent de grâce.
Cette Préface de M. de Meilhan se termine par une vue que je signale et qui était presque alors, à sa date, une prédiction. […] J’espère que cette vue, qu’il ne met d’ailleurs en avant que comme un aperçu lointain, ne se trouvera pas vérifiée dans l’avenir des sociétés libres et démocratiques.
Le prince de Ligne y contribua ; il confesse tout ce manège, non pas dans ses lettres à la marquise de Coigny, écrites sur le moment et faites pour être vues, mais dans une relation écrite plus tard après l’événement, et qui peut se lire dans le XXIVe tome de ses Œuvres. […] Ce ne sont pas des prédictions, comme à un de Maistre, que j’irai lui demander, mais des saillies et des vues pleines de perspicacité et de justesse. […] La vue des crimes a ôté cette fraîcheur, cette grâce, cette urbanité des mœurs de la nation la plus aimable. […] Avant de la connaître (si elle n’avait pas passé par Vienne), je ne l’aurais jamais vue à Paris. […] Le prince de Ligne, malgré sa douceur de mœurs habituelle, ne pouvait s’empêcher d’avoir quelque accès de misanthropie ; il en voulait aux engouements et à toutes ces contrefaçons de talent ou d’esprit qui usurpent la réputation des originaux et des véritables : « Il se fait, disait-il, dans la société un brigandage de succès, qui dégoûte d’en avoir. » Mais il était plus dans sa nuance de philosophie et dans les tons qui nous plaisent, lorsqu’il écrivait cette pensée qui résume sa dernière vue du bonheur : Le soir est la vieillesse du jour, l’hiver la vieillesse de l’année, l’insensibilité la vieillesse du cœur, la raison la vieillesse de l’esprit, la maladie celle du corps, et l’âge enfin la vieillesse de la vie.
Ce renoncement suprême en vue de Marianne ne lui paraissait pas même mériter le nom de sacrifice : « Je ne sens que de la joie, disait-il, en songeant que je vais, en attendant la mort, mener une vie plus triste qu’elle, et j’aime si fort ma douleur qu’il me semble que c’est encore un moindre malheur de la souffrir que de la perdre ; si ma chère Marianne la peut voir, elle lui fait plaisir. » Il haïssait les biens, les grandeurs, tout ce qu’il ne pouvait plus partager ; il n’aimait que cette douleur, la seule chose qui lui restât de son amie ; il en parlait, d’ailleurs, comme d’une peine poignante, qui le tenait cruellement éveillé durant les nuits et qui prolongeait ses insomnies jusqu’au matin, où il ne s’assoupissait qu’à la fin et par excès de fatigue : « Mais j’ai beau faire, je ne saurais perdre de vue l’objet de mon tourment. […] Les princes de Conti y firent leurs preuves, et le plus jeune qui survécut à son frère, et qui fut le Conti élève du Grand Condé, le Conti de Steinkerque et de Neerwinden, y montra des vues et des intentions de capitaine. […] Lassay, qui ne revint point avec eux, aurait bien voulu désarmer pour son compte le mécontentement du roi, qui à son égard datait de plus loin47 : dans une lettre sérieuse, assez politique, et où il mêle des vues sur les armées, sur les finances et l’administration des États de la maison d’Autriche, il loue délicatement Louis XIV et son gouvernement : « Comme on ne juge bien des choses que par comparaison, écrit-il, en vérité il faut sortir de France pour connaître parfaitement la puissance du roi. » On voit, par le désordre qu’il décrit, que l’Autriche n’avait pas eu alors ses Louvois et ses Colbert. […] La maîtresse en était absente, et, en la remerciant de l’hospitalité donnée en son nom, il lui écrivait avec un vif sentiment de la nature italienne : Vous ne m’aviez point dit assez de bien de Bagnaia, madame ; c’est le plus aimable lieu du monde que j’aie jamais vu ; on y trouve en même temps une belle vue, de grands arbres aussi verts qu’en France et qu’il ne faut point aller chercher, et des quantités de fontaines qui vont quand les maîtres n’y sont point : jamais ordre n’a été plus inutile que celui que vous aviez donné au jardinier de les faire toutes aller ; elles n’attendent pas vos ordres pour jeter des torrents de la plus belle eau du monde. […] Lassay avait du goût pour les jardins et pour les bâtiments, comme il le prouva plus tard en accommodant l’hôtel Lassay, comme il l’avait déjà montré en petit dans sa jolie maison de retraite près des Incurables ; il avait le goût simple et uni, et avec peu il obtenait d’heureux effets : Je vous demande encore, disait-il à la maîtresse de cette villa de Bagnaia, de faire abattre, à hauteur d’appui, la muraille qui est devant vos fenêtres, car cette muraille vous donne une vue effroyable et vous en cache une fort belle ; et, si on prétend qu’elle est nécessaire pour votre maison, il n’y a qu’à faire un petit fossé derrière.
Le duc de Bourgogne, à cette date, n’était plus un enfant, il avait vingt-six ans : mais il avait conservé bien des puérilités de sa première vie ; il ne représentait pas au-dehors ; il manquait de décision et de vues dans le conseil ; il ne paraissait pas d’une valeur incontestable dans les occasions. […] Saint-Simon nous montre à vue d’œil tout ce mouvement, ce flux et ce reflux où lui-même il nage, et qui est beaucoup moins sensible dans la correspondance plus calme et nullement enthousiaste de Fénelon. […] Fénelon n’est que le plus en vue et le plus populaire parmi ces auteurs de plans politiques et d’inventeurs de programmes. […] Je trouve dans une lettre de lui à Mme de Montberon, alors qu’il approchait de la cinquantaine (1700), une peinture bien fine et bien circonstanciée de cet état insipide, aride, désabusé, où il se trouve : « Pour moi, je suis dans une paix sèche, obscure et languissante, sans ennui, sans plaisir, sans pensée d’en avoir jamais aucun ; sans aucune vue d’avenir en ce monde ; avec un présent insipide et souvent épineux… » Ces instants d’aridité et de dégoût, chez Fénelon, se peignent avec des traits qui font encore que son ennui ne ressemble pas à un ennui vulgaire. […] [NdA] Ce jugement serait bien injuste si on l’appliquait à tous les hommes de Port-Royal, et surtout du premier Port-Royal ; il n’est vrai que si l’on a en vue la majorité des jansénistes du dehors.
Personne, durant quelque temps, n’eut plus ni même autant de courage, car personne n’était plus en vue ni désigné à plus de fureurs. » Le parti qu’il avait tant combattu se vengea de lui aussitôt après les journées de Juin. […] Il lui semble qu’un Louis XVI plus énergique, en 1775, aurait pu, en soutenant Turgot, et sans rien perdre par lui-même du prestige de la souveraineté, réaliser à temps cette liberté octroyée, équitable, humaine, populaire, débonnaire sans faiblesse, la plus complète qui se soit encore vue sous le soleil. […] J’indiquerai ici, ne pouvant discuter le détail, ce qui me semble vrai, plausible, acceptable, dans l’ensemble des vues de M. de Girardin, et ce qui me paraît n’être encore que de la pure algèbre, de la mécanique sociale toute rationnelle. […] ici nous sommes prêts à reconnaître, nonobstant toutes les exceptions flagrantes, une tendance générale de la société et de la civilisation vers l’ordre d’idées pacifiques et économiques prêchées par M. de Girardin ; et c’est ce qui a fait dire de lui à M. de Lamartine en une parole heureuse et magnifique comme toutes ses paroles : « Chez Girardin le paradoxe, c’est la vérité vue à distance. » Mais à quelle distance ? […] Il y a mieux : ce parfait état de société, cet ordre idéal et simple que M. de Girardin a en vue, je le suppose acquis et obtenu, je l’admets tout formé comme par miracle : on a un pouvoir qui réalise le vœu du théoricien ; qui ne se charge que de ce que l’individu lui laisse et de ce que lui seul peut faire : l’armée n’est plus qu’une force publique pour la bonne police ; l’impôt n’est qu’une assurance consentie, réclamée par l’assuré ; l’individu est libre de se développer en tous sens, d’oser, de tenter, de se réunir par groupes et pelotons, de s’associer sous toutes les formes, de se cotiser, d’imprimer, de se choisir des juges pour le juger (ainsi que cela se pratique pour les tribunaux de commerce), d’élire et d’entretenir des ministres du culte pour l’évangéliser ou le mormoniser… ; enfin, on est plus Américain en Europe que la libre Amérique elle-même, on peut être blanc ou noir impunément.
Hippocrate l’avait pressenti, dès l’antiquité, dans son traité des Airs, des Eaux et des Lieux ; aux Anciens la vue et le pressentiment dans sa largeur : aux Modernes le détail, l’exactitude et la preuve. […] Aussi ne trouve-t-on réellement à Rome, dès le principe, « qu’un seul art grand et original, l’architecture, parce qu’il est le plus utile. » De même « un seul des dons de l’esprit y naît naturellement, y atteint de soi-même tout son développement, et étend son influence sur tous les autres, l’éloquence. » Ici encore, une de ces pages concises et pleines, qui résument toute une perspective et une suite de vues : « Par leur caractère, par leurs institutions, les Romains sont naturellement un peuple, je ne dirai pas éloquent, mais oratoire. […] L’esprit de parti fausse ainsi les vues et mène à des conclusions révoltantes. […] Zeller hésite un peu sur ce point ; mais il n’hésite pas quand il attribue à César l’idée de fonder, sous un nom ou sous un autre, une monarchie populaire, universelle et, en quelque sorte, humaine : « Étendre le droit de cité à tous les hommes libres de l’Empire, régner sur le monde pour le monde entier, non pour l’oligarchie ou la démocratie quiritaires ; abaisser les barrières entre les classes comme entre les nations, entre la liberté même et la servitude, en favorisant les affranchissements et en mettant le travail en honneur ; avoir à Rome une représentation non du patriciat romain, mais du patriciat du monde civilisé ; fondre les lois de la cité exclusive dans celles du droit des gens ; créer, répandre un peuple de citoyens qui vivent de leur industrie et qu’on ne soit pas obligé de nourrir et d’amuser : voilà ce qu’on peut encore entrevoir des vastes projets de celui qu’on n’a pas appelé trop ambitieusement l’homme du monde, de l’humanité ; voilà ce dont témoignent déjà les Gaulois, les Espagnols introduits dans Rome, Corinthe et Carthage relevées, et ce qu’indiquent les témoignages de Dion Cassius, de Plutarque, de Suétone, bien qu’ils aient pu prêter peut-être à César quelques-unes des idées de leur temps. » César (s’il est permis d’en parler de la sorte à la veille d’une publication par avance illustre), César, au milieu de tous ses vices impudents ou aimables, de son épicurisme fondamental, de ce mélange de mépris, d’indulgence et d’audace, de son besoin dévorant d’action, et de cet autre besoin inhérent à sa nature d’être partout le premier, César, à travers ses coups de dés réitérés d’ambitieux sans scrupule et de joueur téméraire, avait donc une grande vue, une vue civilisatrice : il n’échoue pas, puisque son idée lui survit et triomphera, mais il périt à la peine, parce qu’il avait devancé l’esprit du temps, tout en le devinant et le servant, parce qu’il vivait au milieu de passions flagrantes et non encore domptées et refoulées.
On revient, après dix ans, en vue des mêmes idées, non plus pour y aborder, mais pour les juger ; si on y revient ensemble, il y a de quoi se consoler peut-être. […] Et ceux qui étaient encore en feu il y a dix ans, et ceux qui se sont produits et déjà fatigués depuis, et ceux qui ressaisissent aujourd’hui de bons éclairs d’une ferveur littéraire longtemps ailleurs détournée, tous ne sont pas si loin de s’entendre pour de certaines vues justes, de certains résultats de goût, de sens rassis et de tolérance. […] Les organes les plus en vue, les chefs de file tout à fait considérables du mouvement historique, philosophique et littéraire, aux dernières années de la Restauration, MM. […] Le ralentissement de ceux-ci, l’échouement de ceux-là, la difficulté des vents pour les heureux même, les ont à peu près tous jetés en vue des mêmes rivages : ce n’est plus certes le navire Argo qui peut voguer d’une proue magique à la conquête de la toison d’or ; mais de toutes ces nefs restantes, de tous ces débris d’espérances littéraires et de naufrages, n’y aurait-il donc pas à refaire encore une noble escadre, un grand radeau ? […] Sans doute il y aura des différences, des dissidences qui subsisteront ; mais, en avançant, et par un triste bienfait des années, tant de portions âpres sont dépouillées déjà : ne serait-il pas temps de se rabattre vers les vues semblables, d’insister sur les endroits de la trame qui se fortifient en se croisant ?
Il s’en faut pourtant qu’il soit indifférent ; il a l’émotion que donne la vue du désordre à l’historien de l’ordre. […] On reconnaît là son point faible : trop de confiance dans la vue de l’esprit, et l’observation négligée comme le petit côté du naturaliste. […] Tandis que la plupart des hommes supérieurs, soit fatigue, soit défiance mélancolique dans les vues de l’esprit si souvent démenties, finissent par le détail, le fait, et s’éteignent dans les timides plaisirs de l’érudition, c’est le temps pour Buffon de l’invention, des affirmations hardies, de la foi dans l’esprit, de la passion pour cette recherche des causes où Virgile rêvait le bonheur du sage. […] Il rectifie ses premières vues par les expériences récentes, se consolant de s’être autrefois trompé par la pensée qu’on se servait de ses vérités pour redresser ses erreurs. […] Se faire un plan, attendre, avant de prendre la plume, cette plénitude qui est l’inspiration des bons écrivains, rejeter les pensées isolées, les premières vues, se défier des traits, c’est œuvre d’homme ; si le style vient de là, je comprends que pour un style il faille un homme.
Les heures de la nuit s’écoulaient, et je ne m’en apercevais pas ; je suivais avec anxiété ma pensée, qui de couche en couche descendait vers le fond de ma conscience, et, dissipant l’une après l’autre toutes les illusions qui m’en avaient jusque-là dérobé la vue, m’en rendait de moment en moment les détours plus visibles ! […] Bien plus, apercevant les choses par des vues générales, il découvre en l’homme cent mille misères que le vulgaire n’aperçoit pas : l’immensité de notre ignorance, l’incertitude de notre science, la brièveté de notre vie, la lenteur de notre progrès, l’impuissance de notre force, le ridicule de nos passions, l’hypocrisie de notre vertu, les injustices de notre société, les douleurs sans nombre de notre histoire. […] Il achevait son cours d’esthétique par l’aveu du même sentiment : « À la vue d’un arbre sur la montagne battu par les vents, nous ne pouvons pas rester insensibles : ce spectacle nous rappelle l’homme, les douleurs de sa condition, une foule d’idées tristes56. » À vous, peut-être ; mais combien d’hommes n’y verront rien de semblable, et combien d’artistes n’y verront qu’un sujet de tableau ! […] Il y a des philosophes qui croiraient se discréditer en avouant que leur science a des obscurités et que leur vue a des bornes ; ils auraient honte de fléchir sous un doute, ou de rester courts devant une objection ; ils goûtent l’admiration aussi vivement que les coquettes ; pour la garder entière, ils simulent des explications, comme elles achètent de fausses dents. […] Il n’en reste pas moins parmi les maîtres : et lorsqu’on considère sa puissance d’investigation et de raisonnement, l’étendue et la liaison de ses idées, la prudence et la hardiesse de ses tentatives, et surtout l’originalité de ses vues, on juge que parmi les maîtres son rang n’est pas le dernier.
Vous m’écrivez à cette heure que je vous en ai tout à fait désabusé, et que je vous ai découvert des choses que vous n’eussiez jamais vues si vous ne m’eussiez connu. […] Si l’on cherche maintenant ce que Pascal a pu penser de ce chevalier qui le régentait si rudement, il est difficile de ne pas croire qu’il a eu en vue M. de Méré dans la définition qu’il donne des esprits fins par opposition aux esprits géométriques , de ces « esprits fins qui ne sont que fins, qui, étant accoutumés à juger les choses d’une seule et prompte vue, se rebutent vite d’un détail de définition en apparence stérile et ne peuvent avoir la patience de descendre jusqu’aux premiers principes des choses spéculatives et d’imagination, qu’ils n’ont jamais vues dans le monde et dans l’usage. » On retrouve presque en cet endroit de Pascal les termes mêmes du chevalier et sa prétention perpétuelle à dénigrer la géométrie, sous prétexte qu’un coup d’œil habile suffît à tout36. […] que cette vue sordide est bien loin du cœur du véritable honnête homme ! […] Enfin, m’étant remis le mieux que je pus, j’entrai dans un cabinet fort propre où je fis la révérence à la plus belle femme qu’on ait jamais vue ; je me baissai avec beaucoup de respect pour lui baiser la robe, mais elle m’en empêcha et me voulut bien saluer aussi civilement que si je n’eusse pas été déguisé. […] Je m’assure que, si vous l’eussiez souvent vue, ou qu’elle eût eu de vos écrits, elle vous eût ajouté à ces deux excellents génies. »— Pascal avait fort connu Mitton, et, dans les ébauches de ses Pensées, il le nomme par moments et le prend à partie, quand il songe au type du libertin qu’il veut réfuter : « Le moi est haïssable.
Je perds brusquement la vue. […] Ni la vue ni le toucher n’arrivent tout de suite à localiser leurs impressions. […] Il nous est indispensable, en vue de l’action, de traduire notre expérience affective en données possibles de la vue, du toucher et du sens musculaire. […] Nous allons revenir, pour simplifier l’exposition, au sens de la vue que nous avions choisi comme exemple. […] Tout ce que ma vue constate dans l’espace, mon toucher le vérifie.
L’école anglaise a surtout en vue l’équilibre de certains pouvoirs, émanés de source différente. […] Qu’à défaut de triomphe on ne perdit pas de vue drapeau et articles inscrits, avec lesquels il s’identifiait, c’est ce qu’il voulait du moins. […] Et celui-ci était le plus probe, le plus inflexible, passé une certaine ligne ; il ne cédait ici qu’en vue surtout de maintenir et de modérer. […] La Fayette est-il complètement guéri et tempéré, rompu, sinon dans ses convictions, du moins dans ses vues du dehors ? […] Il y a dans la multitude tant de légèreté et de mobilité, que la vue des honnêtes gens, de ses anciens favoris, la disposerait à reprendre ses sentiments libéraux » ; eh bien !
J’aimais à me rendre dans ce lieu, où l’on jouit quelquefois d’une vue immense et d’une solitude profonde. […] Si Paul venait à se plaindre, on lui montrait Virginie ; à sa vue, il souriait et s’apaisait. […] Mais le tonnerre gronde ; on annonce un vaisseau en vue à quatre lieues en mer. […] La vue de cette aimable personne, exposée à un si terrible danger, nous remplit de douleur et de désespoir. […] Elle était à moitié couverte de sable, dans l’attitude où nous l’avions vue périr.
Albert Mérat excelle à produire, avec l’harmonie prestigieuse des mots, l’illusion des choses ; il semble à première vue qu’une idée habite des sonnets si élégamment construits. […] Une femme entre à l’église et prie en sa grâce de parisienne agenouillée : sait-elle, saura-t-elle jamais qu’un poète l’a vue ainsi et qu’il a pensé, en la voyant, à la divine douceur mystique de l’Évangile ?
« Les formes esthétiques seront évoquées par des sons (les mots) choisis, associés et rythmés (vers, strophes), en vue d’une émotion esthétique à produire. […] On a dit que cette divergence de vues provenait de ce que les Symbolistes étaient en majorité d’origine étrangère.
Les uns, de l’école d’Augustin Thierry, apportaient des vues historiques, originales, paradoxales même, neuves, — plus neuves peut-être que justes dans leurs premiers résultats, — mais stimulantes, pénétrantes d’aperçus et de recherches, et vivifiantes par l’esprit et pour l’avenir. […] D’autres enfin (MM. de Rémusat, Dubois, etc.) allaient prodiguer sur tout sujet et en toute occasion des vues critiques à la Staël, un peu vagues peut-être, un peu trop déliées ou inachevées, mais ingénieuses, singulièrement variées, d’une grande excitation et d’un heureux renouvellement. […] Que de choses on aurait vues qui ont été redites depuis par d’autres, et moins bien peut-être ! […] Cette Bibliothèque auguste, telle que nous l’avons vue encore du temps de M. […] Magnin : c’était son cadre, c’était sa patrie ; il dut en porter le deuil dans son cœur quand elle changea et se transforma en vue du mieux, jusqu’à se défigurer.
Ce vent de la parole dont Villemain a joué toute sa vie, il en joue aujourd’hui pindariquement pour Pindare ; mais une vue réelle, un mot profond, une pensée qui attire une autre pensée, voilà ce qu’en six cents mortelles pages nous défions de trouver une fois. […] ne sait plus gouverner… Causerie donc, ou, pour mieux dire encore, notes prises en vue d’un cours qui ne fut jamais fait, et dont le professeur se débarrasse en les étiquetant d’Essai sur Pindare et la poésie lyrique, quand il aurait pu tout aussi bien les décorer de tout autre nom. […] Son esprit, sans unité et sans métaphysique, était radicalement incapable de la moindre synthèse et de la moindre critique vue de haut. […] Elle n’est jamais la parole pour la parole, mais la parole en vue d’un but à atteindre ou d’une résistance à briser. […] Et ce n’est pas, dans son livre d’aujourd’hui, la seule chose qu’on puisse lui reprocher que ces distractions ou ces défauts de mémoire, impardonnables et déshonorants pour un historien ; il y a de plus ici le défaut d’appréciation, le manque de vue absolu, qui va jusqu’à la cécité.
Recueillant précieusement les témoignages des historiens et des voyageurs, il en déduit que l’homme n’a en réalité que deux caractères qui le distinguent spécialement de l’animal, et il aboutit à cette définition : « L’homme est un animal moral et religieux. » Telles semblent être, en effet, à une première vue, les seules propriétés que l’homme n’ait point en partage avec les animaux, lesquels ont comme lui la sensibilité, l’intelligence, l’activité volontaire. […] Tous les philosophes, depuis Aristote jusqu’à Hegel, ont remarqué la supériorité de la vue et de l’ouïe sur les autres sens, en observant que la vue et l’ouïe sont proprement les sens du beau. […] En sorte qu’à parler rigoureusement l’ouïe et la vue devraient être considérées comme les organes et non les facultés du beau. […] L’ethnographie de notre siècle est parvenue, soit par l’observation directe, soit par la science des langues et des idiomes, à des vues ingénieuses, instructives, souvent solides, sur les caractères essentiels du génie des races diverses qui peuplent le globe. […] Ajoutez à l’étude des monuments religieux et littéraires l’analyse des langues et des idiomes, et vous trouverez la démonstration philologique des vues générales que l’ethnographie avait tout d’abord dégagées de l’observation historique.
Il n’a encore à cette date que le grade de lieutenant-général ; il diffère d’emblée sur les vues d’avec le maréchal. […] Avec Villars, il y aura fertilité et luxe plutôt que disette de moyens, de plans, de vues ; on n’a qu’à choisir ; il a l’initiative, il a l’invention. Un de ses principes (car Villars a des principes, et sous son fracas il a le fond), c’est « qu’à la guerre, comme dans toute autre matière importante, il est dangereux de n’avoir qu’un objet, parce que, si on le manque, on se trouve sans vues et sans desseins, et par conséquent dans une inaction ruineuse ». […] Ainsi, le 2 juin de cette année 1702, il écrivait à Chamillart : Ne voulez-vous point, Monseigneur, dans la guerre la plus difficile qu’on ait vue depuis trente ans, peser la différence qu’il y a d’un homme à un autre ? […] Les courtisans n’y regardaient pas de si près : Villars, nouvellement marié et père, avait fait venir la maréchale à Strasbourg, et l’on prétendait que ce n’était que pour elle et par jalousie, pour ne la point perdre de vue, qu’il avait songé à procurer ce repos à son armée après la prise de Kehl.
Daunou, qui en rendit compte dans le Journal des Savants (mai 1822), reconnaissait que les vues par lesquelles l’auteur avait étendu son sujet et en avait éclairci les préliminaires « supposaient une étude profonde de l’histoire de France ; » il trouvait que l’ouvrage « se recommandait moins par l’exactitude rigoureuse des détails que par l’importance et la justesse des considérations générales ; » mais il insistait sur cette importance des résultats généraux, et notait « la profondeur et quelquefois la hardiesse des pensées, la précision et souvent l’énergie du style. » Nous aimons à reproduire les propres paroles du plus scrupuleux des critiques, de celui qui, en rédigeant ses jugements, en pesait le plus chaque mot. […] On n’avait pas eu jusque-là dans un livre la révolution tout entière résumée à l’usage de la génération qui ne l’avait ni vue ni faite, mais qui en était fille, qui l’aimait, qui en profitait et qui l’aurait elle-même recommencée, si elle eût été à refaire. […] La hauteur personnelle de Louis XIV et ses ténacités d’orgueil compliquèrent toujours et traversèrent plus ou moins la vue de ses vrais intérêts comme roi ; son rare bon sens, en se mettant au service de cette passion personnelle, ne la dominait pas assez. […] Qu’ils le soient seulement dans l’intérêt général et en vue du bien de l’État, comme disait Richelieu, les voilà plus qu’absous, et ils font de grands hommes. […] C’est ainsi que M.Mignet a eu tour à tour à apprécier des philosophes, des hommes d’État, des jurisconsultes, des médecins, des économistes : il n’a failli à aucun de ces emplois, et on l’a vu porter dans tous la même conscience d’études, une vue équitable et supérieure, et une grande science d’expression ; mais il nous semble n’avoir jamais mieux rencontré que dans les portraits qui se détachent par la hauteur et l’unité de la physionomie, ou dans ceux qui se lient naturellement à de grands exposés de systèmes, par exemple dans ceux de Sieyès et de Broussais.
Car, son essence étant de prendre les choses par des points de vue tout arbitraires, ceux qui viennent les seconds ne se croient pas obligés par les vues des premiers ; au contraire, tout ce qui est conventionnel provoque une réaction en sens contraire : il est impossible qu’une mode soit durable. […] Ce qu’il nous faut, ce n’est pas la bonhomie qui excite la défiance, parce qu’elle suppose courte vue. […] À côté des siècles où la politique a occupé le centre du mouvement de l’humanité, il en est d’autres où elle s’est vue acculée dans le petit monde de l’intrigue et où le grand intérêt s’est porté sur les hommes de l’esprit. […] Quels sont les noms qui frappent à la première vue jetée sur l’histoire de cette époque ? […] Les affaires étaient entre les mains d’un roi incapable, de courtisans oubliés, de grands seigneurs sans vues ni portée.
A voir les arrivées successives de mobilisés, comme je les ai toutes vues, cela vous remue le cœur et vous enflamme et on ne demande qu’une chose : délivrer la terre de la clique impériale qui nous embourbe depuis si longtemps sous le poids formidable des armements. […] Il attend ses supérieurs à l’épreuve. » En conformité de ces vues, j’ai entendu un prêtre sous-officier raconter que dans certaines compagnies les hommes se fient de préférence à certains d’entre eux, parfois de simples soldats, qui ont montré l’art de se débrouiller. […] nous ne voulons pas être de ceux pour qui la leçon de la guerre est une leçon que la guerre leur permet de donner aux autres ; nous la recevons, nous aussi et de nos adversaires d’hier avec empressement, s’ils ont quelque chose à nous dire qui puisse élargir nos vues. […] Ce ne sont plus là des réflexions de cabinet, des aperçus, des vues, des ingéniosités, mais bien des choses que cet homme a éprouvées avec tout son être. […] Ces vues sont dignes d’attention.
Il établit bien d’abord qu’il n’aspire point à améliorer la condition de l’homme ou la morale de la vie ; il estime que chacun a en soi, c’est-à-dire dans son tempérament, les principes du bien et du mal qu’il fait, et que les conseils de la philosophie servent de peu : « Celui-là seul est capable d’en profiter, dit-il, dont les dispositions se trouvent heureusement conformes à ces préceptes ; et l’homme qui a des dispositions contraires agit contre la raison avec plus de plaisir que l’autre n’en a de lui obéir. » Ce qu’il veut faire, c’est donc de présenter un tableau de la vie telle qu’elle est, telle qu’il l’a vue et observée : « Tous les livres ne sont que trop pleins d’idées ; il est question de présenter des objets réels, où chacun puisse se reconnaître et reconnaître les autres. » Les premiers chapitres des Mémoires de La Fare, et qui semblent ne s’y rattacher qu’à peine, tant il prend les choses de loin et dans leurs principes, sont toute sa philosophie et sa théorie physique et morale. […] Ce roi qui avait vu de près les désordres et en avait tant souffert s’appliqua à y remédier, et la première chose qu’il eut en vue fut l’abaissement des grands seigneurs. […] Il se fit là tout d’un coup comme un réveil de la licence, des intrigues et de l’émancipation en tous sens qui s’était vue au xvie siècle ; toutes les imaginations, toutes les ambitions étaient en campagne : Il est aisé de comprendre, nous dit La Fare, comme quoi chacun alors par son industrie pouvait contribuer à sa fortune et à celle des autres : aussi les gens que j’ai connus, restés de ce temps-là, étaient la plupart d’une ambition qui se montrait à leur première vue, ardents à entrer dans les intrigues, artificieux dans leurs discours, et tout cela avec de l’esprit et du courage. […] Il prédit donc, sous Louis XIV, qu’un jour viendra où, à la première occasion, l’excès de cette autorité amènera de nouveaux désordres, et il anticipe de loin par la vue sur le xviiie siècle.
C’est par ce jeu prudent et serré, et par l’habileté de ses manœuvres, qu’il parvint à couvrir Arras, cette capitale de l’Artois, sur laquelle l’ennemi avait d’abord jeté ses vues et qui lui aurait ouvert l’entrée dans l’intérieur du royaume. […] Villars, dans ses Mémoires, parle avec grand dédain et pitié de cette campagne de 1711, si peu féconde en entreprises et en résultats, et où l’on se ruinait misérablement en détail : l’historien des Mémoires militaires, qui a suivi de près le général dans ses moindres mouvements et dans ses lettres au roi et au ministre, lui rend plus de justice pour « la fermeté de ses vues, la justesse de ses combinaisons et la précision de ses manœuvres », pour être parvenu aussi à rétablir le bon esprit et la confiance dans l’officier et le soldat : « En résumant, dit-il, les détails contenus dans ce Mémoire, et en se rappelant non seulement les progrès que les alliés avaient faits la campagne précédente sur les frontières du royaume, mais aussi les vastes projets que leurs généraux avaient formés pour celle-ci, il est difficile de refuser à M. le maréchal de Villars la gloire d’avoir, pour la troisième fois, sauvé la France. » II. […] Cependant le prince Eugène, n’ayant pu déterminer le duc d’Ormond à un engagement général, se résolut à faire un siège ; il assiégea d’abord Le Quesnoi qui se rendit le 3 juillet après douze jours de tranchée ouverte et d’une défense jugée insuffisante ; puis il porta ses vues sur Landrecies qu’il investit avec le gros de ses forces, et dont la prise lui eût ouvert le Soissonnais : il se passait ainsi d’Arras et de Cambrai, et forçait par une autre clef le cœur de la France. […] Selon Montesquiou40 qui, non content de tirer tout de son côté, accuse Villars d’incertitude pendant l’opération même, ce maréchal aurait eu l’idée de s’arrêter lorsqu’il apprit de M. de Vieuxpont, à cinq heures du matin, qu’on ne pouvait être à l’Escaut avant huit heures : « Comme il était grand jour, M. le maréchal de Villars crut que, le prince Eugène pouvant voir notre marche, c’était un obstacle invincible à notre entreprise ; en conséquence, il ordonna aux officiers du campement d’arrêter l’armée et de la faire camper où elle se trouvait ; ce qu’ayant appris, j’allai joindre M. le maréchal de Villars, à qui je dis que l’armée des ennemis ne pouvant marcher à Denain qu’à notre vue par la hauteur de Quérénaing, sur laquelle on ne voyait personne, je le priais de vouloir bien toujours marcher sur l’Escaut ; qu’y étant arrivés nous verrions si les ennemis marchaient à Denain ; que si on apercevait leur armée marcher et être à portée de secourir ce poste, nous serions toujours les maîtres de ne point passer l’Escaut et de camper, moyennant quoi il n’y avait nul risque à courir. […] La postérité, elle, de sa vue à distance, ne s’y est pas trompée : elle a été plus juste dans l’appréciation totale et un peu confuse.
Dans un admirable article sur les difficultés qu’il y aurait, pour plus d’un demi-siècle encore, à composer une véritable histoire de la Révolution française, parlant des Mémoires nombreux qui commençaient à paraître et dans lesquels chacun plaidait pour son parti et pour son saint et ne présentait que « la portion de vérité qui pouvait servir le mieux à noircir l’adversaire », l’éminent publiciste indiquait, à l’appui de sa pensée, les deux exemples le plus en vue : « Beaucoup de gens, disait-il, écrivent leurs Mémoires pour faire l’histoire personnelle de leurs talents, de leur mérite et de leur conduite. […] Elle avait été liée d’assez bonne heure avec Linguet, le maître de Mallet, et avec bien des Genevois de sa connaissance ; il l’avait vue à Paris à l’œuvre, sur le théâtre de l’action, et il eût été curieux de l’entendre motiver ce jugement si plein, mais trop sommaire. […] Roland avait peu d’étendue dans l’esprit ; tous ceux qui la fréquentaient ne s’élevaient point au-dessus des préjugés vulgaires. » Il aurait fallu à Mme Roland quatre ou cinq années de plus de cette scène publique, pour atteindre à tout son développement et à sa maturité sous sa seconde forme, pour sortir de ses vues de coterie, de ses préventions exclusives et de son intolérance contre tout ce qui s’écartait d’un premier type voulu, pour comparer entre eux les hommes, apprécier chacun à sa valeur et se dégoûter des médiocres de son bord qu’elle surfaisait. […] En même temps qu’il la voit disciple de Rousseau et modelant en partie ses Mémoires sur les Confessions, il cherche à l’en distinguer par un caractère fondamental : il ne découvre dans ses écrits, dit-il, « ni la tragique sollicitude de Rousseau pour les âmes simples et ignorantes, ni la douloureuse anxiété avec laquelle celui-ci remue et sonde les bas-fonds de la société, ni sa haine contre l’inégalité, même quand ce n’est pas sur le talent qu’elle pèse, ni les cris vengeurs que lui arrache la vue du paysan opprimé par un publicain barbare ou celle de l’homme du peuple étouffant dans les étreintes de la misère. […] Vous, vous le faites embrasser ; par ma foi, vous êtes un drôle de corps. » Dans tous ces endroits, elle est naturelle, pleine de verve et d’abondance ; elle n’est plus tout à fait cette dame parfaite que Lemonteya vue à Lyon ; elle se livre, elle a du jet ; elle est ce qu’il faut, selon les lieux et les moments ; elle est ce qu’elle veut être, familière et vive quand le cœur lui en dit ; la plume alors prend le galop et court à bride abattue : nous avons une Sévigné de la bourgeoisie, et mieux que cela, une Sévigné George Sand.
La détresse menaçante, la vue surtout de sa fille, allaient la forcer peut-être à écrire. […] Toutes deux suivaient à pas lents la grande route, à cet endroit, fort agréable, d’où la vue s’étend sur des champs arrosés et coupés comme de plusieurs petites rivières, et, par delà encore, Sur ce pays si vert, en tout sens déroulé, Où se perd en forêts l’horizon ondulé. […] Hervé passa bientôt sur la chaussée devant elles au petit trot ; il les regarda d’une façon assez marquée ; mais, ne les ayant jamais vues au dehors, ne s’étant jamais demandé apparemment ce que pouvait être Christel avec sa souple et fine taille en plein air, il ne les reconnut pas à temps et ne les salua pas. […] Ici, c’est près du jeune homme qu’une belle jeune fille est messagère ; élégante, légère, demi-penchée, émue et alarmée, lisant, depuis des mois, la mort ou la vie dans son regard, et il ne l’a pas vue ! […] On t’a vue, quand tu te prends à la jeunesse et à la beauté, t’y acharner avec violence, y revenir coup sur coup, pour les ébranler, comme avec sa hache le bûcheron furieux, et leur livrer de longs assauts dans des agonies terribles.
Il n’y songea même pas ; il se contenta d’effleurer tout, en amateur, et de jeter en avant sur tout sujet ses vues personnelles, plus content d’en avoir à montrer que soucieux d’en vérifier la justesse. […] On ne s’étonnera donc point que les meilleures pages que Boileau ait écrites sur la Querelle des anciens et des modernes, soient celles où il entre dans les vues de son adversaire : je veux parler de la lettre qu’il écrivit à Perrault en 1700, après que le grand Arnauld, leur ami commun, les eut réconciliés. S’élevant cette fois au-dessus des petites chicanes, et renonçant aux dénégations absolues, il prenait le sujet de haut et l’embrassait d’une vue large et pénétrante. […] Avec une netteté admirable de vues, il disait les écrivains qui devaient recommander leur siècle à la postérité. […] Selon ses nouvelles vues, à vrai dire, toute son œuvre était à refaire : il y avait un autre Art poétique à écrire.
Ses vues systématiques. […] Mais les orléanistes faisaient servir leur vue de l’histoire aux intérêts d’un parti : Tocqueville, plus philosophe en restant strictement historien, se contente d’établir la continuité du développement de nos institutions et de nos mœurs : la Révolution s’est faite en 1789, parce qu’elle était déjà à demi faite, et que, depuis des siècles, tout tendait à l’égalité et à la centralisation ; les dernières entraves des droits féodaux et de la royauté absolue parurent plus gênantes, parce qu’elles étaient les dernières. […] Cependant, lorsqu’il se mit à étudier les documents originaux, il s’aperçut que « l’ordre des considérations politiques où il s’était tenu jusque-là » était « trop aride et trop borné », que par ses vues systématiques il « obtenait des résultats factices », enfin qu’il « faussait l’histoire ». […] Les vues systématiques et politiques, qui menaient Guizot ou Thierry à forcer le sens des faits, étaient étrangères à Michelet. […] Il avait le sens des symboles, et la grandeur poétique, la plénitude morale du symbolisme chrétien l’ont saisi : à mesure que la religion du moyen âge se matérialisera, se desséchera, il pleurera cette grande ruine ; il cherchera de tous côtés les illuminés, les indépendants, les révoltés, qui ont gardé la vue de l’Idée et le contact de Dieu : il mettra en eux son amour et sa joie.
Rien dans Mme des Ursins ne sent la coterie ni la secte, ce qui ne veut pas dire qu’elle n’ait pas ses préventions et ses inimitiés ; mais, en général, elle se détermine comme les politiques par des raisons d’utilité et en vue des affaires. […] Il est curieux de comparer cette différence qui tient à celle des humeurs et comme au tempérament des deux esprits : Tout ce que vous me représentez, madame (écrit la princesse des Ursins), depuis que l’officier des gardes vint annoncer la venue de M. de Chamillart qui conduisait M. de Silly dans votre petite chambre de Marly, pendant que vous soupiez dans votre cabinet, jusqu’à ce que Sa Majesté vînt dire elle-même à la porte cette grande nouvelle, me paraît si naturel, que je crois vous avoir vue jeter votre serviette par terre, courant pour entendre ce que l’on disait ; Mme de Dangeau voler pour aller écrire à monsieur son mari ; Mme d’Heudicourt marcher comme si elle avait eu de bonnes jambes, sans savoir presque ce qu’elle faisait ; M. de Marsan sauter sur un siège pour se faire voir, malgré sa goutte, avec la même facilité que l’eût pu faire un danseur de corde. […] Elle envoie et fait tenir au ministère français des plans de finances que des personnes habiles en Espagne ont imaginés ; mais on les rejette à première vue à titre de nouveauté, si bien qu’on aura du moins la « consolation de mourir dans les formes ». Toute la correspondance de Mme des Ursins, durant cette année 1709, fait le plus grand honneur à sa générosité et à son élévation d’âme comme aussi à sa perspicacité de vue ; car, en définitive, l’événement lui a donné raison, et le trône des Bourbons d’Espagne est resté debout sans que celui de Louis XIV en fût trop rabaissé. […] On ne connaît bien la duchesse de Bourgogne, Mme de Caylus, et bien d’autres personnes d’aimable renom, que lorsqu’on les a vues revenir chaque jour dans cette correspondance.
Il en a écrit de deux sortes et sous deux formes différentes : 1º des Mémoires proprement dits sur les événements historiques auxquels il a assisté, et les affaires politiques auxquelles il a pris part ; ces Mémoires, souvent cités par Lemontey dans son Histoire de la Régence, sont restés manuscrits, et je ne les connais pas ; 2º indépendamment de cet ouvrage, qui paraît être très volumineux, puisque Lemontey en cite à un endroit le tome VIIIe, le duc d’Antin, dans une vue toute morale et de méditation intérieure, avait écrit pour lui seul une espèce de discours de sa vie et de ses pensées, à peu près comme Bussy-Rabutin, qui, en dehors de ses Mémoires, a fait un résumé de sa vie dans un discours destiné à ses enfants sous le titre de L’Usage des adversités. […] Après l’avoir vue mourir, il se retira quelque temps à Bellegarde ; puis, ayant paru à la Cour, il reçut, à cette occasion, de Louis XIV, des témoignages qui le rengagèrent, à l’instant, de plus belle : « Je reçus en arrivant beaucoup d’honnêtetés du roi, elles me parurent sincères. […] Le roi se promena, visita le parc, loua tout, hors une belle allée de marronniers qui masquait la vue de sa chambre. Le lendemain au réveil, regardant à sa fenêtre, il fut bien étonné d’avoir la plus belle vue du monde. […] On a raconté aussi que plus tard, dans un séjour de Louis XIV à Fontainebleau, le roi ayant blâmé un bois qui masquait la vue, la même scène se renouvela avec quelque variante : peu de jours après l’observation du roi, d’Antin, alors directeur des Bâtiments, avait préparé avec art son coup de théâtre : il avait fait scier tous les arbres près de la racine ; des cordes étaient attachées aux troncs, et toute une armée de bûcherons invisibles attendait en silence.
Thiers et Mignet, les deux rédacteurs jusqu’alors les plus en vue, démasqua en quelque sorte Carrel. […] Il s’y élevait à des vues générales qui embrassaient toute la politique et la civilisation de ce pays ; mais surtout il y exposait la campagne de Mina en Catalogne, et les aventures de la Légion libérale étrangère, avec feu, avec une netteté originale et une véritable éloquence ; on sentait qu’il ne manquait à ce style un peu grave et un peu sombre, pour s’éclairer et pour s’animer, que d’exprimer ce que l’auteur avait vu et senti. […] Thiers, Mignet et Carrel devaient avoir successivement la direction de la feuille, et les deux premiers, comme plus en vue et plus connus du public, devaient commencer ; Carrel ne serait venu comme directeur qu’à sa date, c’est-à-dire en troisième lieu, la troisième année probablement. On a essayé de dire qu’il y avait désaccord de vues politiques dès l’origine entre Carrel et ses deux amis : le plus simple examen, la lecture des articles que Carrel inséra dans le journal durant toute cette année 1830, avant et depuis les événements de Juillet, suffit pour détruire cette assertion. […] Pour mieux dégoûter du suicide, l’ami ne craint pas de nous montrer l’impression d’horreur que cause même aux indifférents la vue d’un homme jeune et beau, d’une noble créature qui a ainsi attenté contre elle-même, et qui a tout fait pour dégrader et dévaster son image (jusque dans les traits qu’une mort ordinaire et naturelle sait respecter.
Énonçant les motifs, réels ou non, qu’il avait eus pour entrer dans la discussion, il alla droit, avant tout, à l’adversaire, et le frappant de l’épée au visage, selon le conseil de César, il le raillait sur cette prétention au patriotisme, au désintéressement et au bien public, de laquelle Beaumarchais aimait (et assez sincèrement, je le crois) à recouvrir ses propres affaires et ses spéculations d’intérêt : Tels furent mes motifs, s’écriait-il déjà en orateur, en maître puissant dans la réplique et dans l’invective ; et peut-être ne sont-ils pas dignes du siècle où tout se fait pour l’honneur, pour la gloire, et rien pour l’argent ; où les chevaliers d’industrie, les charlatans, les baladins, les proxénètes n’eurent jamais d’autre ambition que la gloire sans la moindre considération de profit ; où le trafic à la ville, l’agiotage à la Cour, l’intrigue qui vit d’exactions et de prodigalités, n’ont d’autre but que l’honneur sans aucune vue d’intérêt ; où l’on arme pour l’Amérique trente vaisseaux chargés de fournitures avariées, de munitions éventées, de vieux fusils que l’on revend pour neufs, le tout pour la gloire de contribuer à rendre libre un des mondes, et nullement pour les retours de cette expédition désintéressée… ; où l’on profane les chefs-d’œuvre d’un grand homme (allusion à l’édition de Voltaire par Beaumarchais), en leur associant tous les juvenilia, tous les senilia, toutes les rêveries qui, dans sa longue carrière, lui sont échappées ; le tout pour la gloire et nullement pour le profit d’être l’éditeur de cette collection monstrueuse ; où pour faire un peu de bruit, et, par conséquent, par amour de la gloire et haine du profit, on change le Théâtre-Français en tréteaux, et la scène comique en école de mauvaises mœurs ; on déchire, on insulte, on outrage tous les ordres de l’État, toutes les classes de citoyens, toutes les lois, toutes les règles, toutes les bienséances… Voilà donc Mirabeau devenu le vengeur des bienséances et des bonnes mœurs contre Beaumarchais, et Figaro passant mal son temps entre les mains du puissant athlète, qui le retourne et l’enlève de terre au premier choc. […] Plus Charles IX a de succès, plus mon observation acquerra de force ; car la pièce aura été vue par des gens de tous les états. […] Mon frère, mon ami, mon Gudin, s’entretient souvent avec moi de cet avenir incertain ; et notre conclusion est toujours : Méritons au moins qu’il soit bon ; s’il nous est dévolu, nous aurons fait un excellent calcul ; si nous devons être trompés dans une vue si consolante, le retour sur nous-mêmes, en nous y préparant par une vie irréprochable, a infiniment de douceur. […] Nous n’espérons pas, toutefois, faire oublier jamais à ceux qui les ont vues d’autres lettres de même date, très secrètes, et où la licence déborde. […] Beaumarchais, si attaqué, si calomnié, n’eut jamais de haine ; si l’on excepte Bergasse, qu’il a personnifié dans Bégearss avec plus de mauvais goût encore que de rancune, il avait raison de dire et de répéter : J’ai reçu de la nature un esprit gai qui m’a souvent consolé de l’injustice des hommes… Je me délasse des affaires avec les belles-lettres, la belle musique et quelquefois les belles femmes… Je n’ai jamais couru la carrière de personne : nul homme ne m’a jamais trouvé barrant ses vues ; tous les goûts agréables se sont trop multipliés chez moi pour que j’aie eu jamais le temps ni le dessein de faire une méchanceté.
D’abord, comment deux impressions, par exemple de la vue et de l’ouïe, éclair et tonnerre, se lient-elles dans le cerveau ? […] Lorsque la rencontre d’une personne à Paris me rappelle la rencontre de cette même personne à Lyon, la vue de son visage éveille l’image du même visage dans un milieu ou cadre différent, en contiguïté avec des images affaiblies de telle rue de Lyon. […] Dans le centre visuel dorment toutes les images de la vue, triées et mises à part ; dans le centre auditif sommeillent toutes les images de l’ouïe. […] Qu’une image particulière de la vue, comme celle de la couleur rouge, ébranle le centre visuel, cet ébranlement se répandra par diffusion dans le centre visuel tout entier ; il tendra à susciter l’image plus ou moins précise d’autres couleurs similaires, ou encore celle de la couleur en général, puis, par une sélection nouvelle, celle de l’étendue, et ainsi de suite. […] Enfin je remarque que la vue du cadavre m’avait causé alors une profonde tristesse et que tout à l’heure aussi j’étais triste. » C’est donc la similarité d’émotion, c’est l’état de la sensibilité qui a été la puissance dominatrice et déterminante ; ici encore les idées empruntent leur principale force aux sentiments ou appétitions qui les animent, et la conscience, loin de refléter passivement les impressions, agit pour les accepter ou les repousser.
La vue fréquente des collections de gravures dans le cabinet de son père l’habituait aux lignes précises du dessin. […] Un des traits du caractère et du talent de Mme Tastu, et qui la distingue entre les femmes-poëtes d’aujourd’hui, c’est cette justesse de sens, une vue constamment nette et non troublée. […] Ne perdons point ceci de vue, en appréciant un talent à demi voilé, qui n’est allé qu’à une gloire décente sous le contrôle du devoir. […] Après la perte de son mari, elle est allée rejoindre jusque dans l’Orient son fils unique, qui y remplissait des fonctions consulaires : elle est, après des années, revenue en France, la vue affaiblie, sentant le poids de l’âge, étrangère aux vains bruits, aux agitations de la vanité, et ne demandant de consolation qu’à la famille, à l’amitié, aux choses du cœur et de l’intelligence.
Il faudroit que le gouvernement proscrivît aussi ces arts aimables, à cause des objets dangereux qu’ils présentent quelquefois à la vue. […] D’autres ont cru puérilement que la poësie avoit été le premier langage de l’homme, qu’il avoit rendu par elle les mouvemens rapides de son ame, ces transports de reconnoissance dont il dut être saisi à la vue du spectacle de l’univers. […] Il étoit attentif à lui former des élèves, & même il employoit dans cette vue une partie de son bien. […] On convient que les vers du philosophe couronné manquent quelquefois de soin & de fini ; qu’ils n’atteignent pas toujours à notre coloris François : mais, en récompense, il les a remplis d’idées, de grandes vues, de morceaux très-poëtiques.
Le mieux donc et le plus sûr pour tout auteur qui se préoccupe du noble but qu’a en vue l’institution présente, c’est que la pensée morale préexiste dès l’origine de l’ouvrage, qu’elle en domine la conception, qu’elle le pénètre ensuite dans le détail par une intention pleine et droite, qu’on la sente circuler et ressortir à travers les égarements mêmes, les luttes de passions et les aventures qui sont du ressort de la scène. […] Il a été remarqué que l’auteur, en se proposant et en professant hautement un but moral des plus honorables, jette quelquefois bien durement le défi à la société ; qu’il la maltraite en masse et de parti pris plus qu’il ne conviendrait dans une vue plus impartiale et plus étendue ; qu’il n’est pas très juste de croire, par exemple, qu’un jeune homme tel qu’il nous a montré le sien, Georges, le personnage principal de la pièce, riche, aimé, considéré à bon droit, puis ruiné un matin à vingt-cinq ans par un si beau motif, doive perdre en un instant du même coup tous ses amis, moins un seul ; il a été dit que l’honneur et la jeunesse rencontrent plus de faveur et excitent plus d’intérêt, même dans le monde d’aujourd’hui. […] MM. les ministres, consultés par vous à ce sujet, monsieur le président, ont bien voulu autoriser la Commission à suivre l’esprit plutôt que la lettre de l’arrêté, et à proposer cette fois d’attribuer cette seconde prime de trois mille francs à un ouvrage qui a plus de quatre actes, qui par conséquent est plus considérable qu’on ne le demande, et qui remplit d’ailleurs si bien les vues de l’institution.
Vers ce même temps, et non plus dans l’ordre de l’action, mais dans celui du sentiment, de la méditation et du rêve, il y avait deux génies, alors naissants, et longuement depuis combattus et refoulés, admirateurs à la fois et adversaires de ce développement gigantesque qu’ils avaient sous les yeux ; sentant aussi en eux l’infini, mais par des aspects tout différents du premier, le sentant dans la poésie, dans l’histoire, dans les beautés des arts ou de la nature, dans le culte ressuscité du passé, dans les aspirations sympathiques vers l’avenir ; nobles et vagues puissances, lumineux précurseurs, représentants des idées, des enthousiasmes, des réminiscences illusoires ou des espérances prophétiques qui devaient triompher de l’Empire et régner durant les quinze années qui succédèrent ; il y avait Corinne et René, Mais, vers ce temps, il y eut aussi, sans qu’on le sût, ni durant tout l’Empire, ni durant les quinze années suivantes, il y eut un autre type, non moins profond, non moins admirable et sacré, de la sensation de l’infini en nous, de l’infinienvisagé et senti hors de l’action, hors de l’histoire, hors des religions du passé ou des vues progressives, de l’infini en lui-même face à face avec nous-même. […] Ce sentiment paisible, je n’irai point le chercher dans les Alpes ; ce n’est qu’ici que je puis le trouver : il y a quelque chose de délicieux pour moi dans la vue du bois de Champ-Rose au loin, dans l’aspect de certains arbres, dans l’étendue de nos plaines. » Et encore, car, si je m’écoutais, je ne pourrais me lasser de citer : « Que tes lettres m’ont causé de plaisir ! […] Cet homme eut l’oppression des montagnes sur le cœur ; il en eut la noble infirmité et le chaos dans les hasards de ses délirants systèmes ; il en eut les contours et la virginité dans le galbe sans soleil de son style blanc et terne. » Mais c’est en entrant dans le Valais seulement que l’on comprend bien certaines descriptions désolées d’Oberman et ces contrées d’un amer abandon : le pays et le livre s’expliquent l’un par l’autre, et je me suis dit tout d’abord à cette vue : Et l’ombre des hauts monts l’a durement frappé !
Mais ces exceptions mêmes prouvent ce que je dis : si ces rares natures se dispensent de l’ennui de la composition, c’est que, par un don singulier, elles conquièrent d’une seule vue, par une rapide intuition, ce que le vulgaire n’obtient que par la longue patience et l’attention laborieuse : c’est que leur plan s’est fait en un moment, et leur œuvre se développe selon un modèle idéal que leur imagination contemple. […] Il prodiguera les vues originales, les pensées profondes, les mots d’esprit, les traits touchants : il sèmera dans son œuvre de quoi faire un chef-d’œuvre : et le lecteur, ne sachant pas où on le mène, égaré, rebuté, étourdi, aveuglé, n’y comprendra rien, bâillera, et jettera le volume : car tous les hommes ne sont pas d’humeur à refaire le livre qu’ils lisent. […] Ce qui, mal placé, est une niaiserie ou une platitude, peut-être, dans un autre lieu, une vue profonde et fertile en conséquences.
V, § 7]23 ; alors elle exprime, non plus la pensée discursive, momentanément suspendue, mais la simple vue de Dieu et surtout la volonté ou l’amour24. […] Nous allons procéder à son égard comme nous avons fait pour Bonald, exposer méthodiquement69 ses vues sur la parole intérieure, en les critiquant lorsqu’elles nous paraîtront inexactes. […] VI, § 8], ajoutant à cette occasion, ce qui est une vue très féconde, que la parole aide puissamment l’attention aux idées, et, par suite, l’analyse de leurs éléments et de leur rapports [ch. […] Mais les vues de ce genre qu’on rencontre dans son étude sur la parole sont mal coordonnées, peu précises, parfois même inexactes. […] I, p. 122 à 125 : vues empruntées à de Bonald et à Bossuet, Connaiss. de Dieu et de soi-même.
Je me disais comme Pline le Jeune, lorsqu’il décrit et développe les mérites de tant d’illustres amis : « At hoc pravum malignumque est non admirari hominem admiratione dignissimum, quia videre, alloqui, audire, complecti, nec laudare tantum, verum etiam amare contingit. » Je me disais cela en commençant, et les circonstances extérieures se prêtaient elles-mêmes à cette vue et y inclinaient en quelque sorte la critique, afin que celle-ci pût remplir tout son rôle à ce moment. […] Même en énumérant les qualités des talents amis, il y a un mot qu’il ne faudrait jamais perdre de vue, le circum prœcordia ludit, qu’un satirique accorde à l’aimable Horace : se jouer autour du cœur de ceux même qu’on caresse, et montrer qu’on sait les endroits où l’on ne veut pas appuyer.
Ses vues étaient plus vastes, aussi furent-elles plus utiles. […] Ses vues politiques embrassent le globe entier, qu’il réunit par le commerce, par l’intérêt et par l’amour. […] À cette vue, une joie funeste parut dans ses regards. […] Revenue plus délicate par son éducation, et plus courageuse par son malheur même, vous l’auriez vue chaque jour succomber, en s’efforçant de partager vos fatigues. […] Alors j’ai voulu dire adieu à mon amie ; aussitôt je l’ai vue qui nous suivait avec Marie et Domingue.
Tout me fait espérer qu’à ma vue elle volera vers moi, Je puis sans doute rencontrer sur mon chemin un obstacle imprévu, je puis rencontrer un officier fidèle aux Bourbons qui arrête l’élan des troupes, et alors je succomberai en quelques heures. […] Au lieu de ce lion du Sahara qui m’éblouit, je suis content si je vois l’homme dans le héros et si je ne le perds pas de vue un seul instant. […] » — Encore une fois, ce dix-neuvième volume est des plus neufs pour les faits comme pour les vues.
Ce soir, 31 mai, en descendant du Vésuve à cinq heures et demie, admirable vue du golfe : fines projections des îles sur une mer blanche, sous un ciel un peu voilé ; ineffable beauté ! […] XXII On a besoin de renouveler, de rafraîchir perpétuellement son observation et sa vue des hommes, même de ceux qu’on connaît le mieux et qu’on a peints, sans quoi l’on court risque de les oublier en partie et de les imaginer en se ressouvenant. — Nul n’a droit de dire : « Je connais les hommes. » Tout ce qu’on peut dire de juste, c’est : « Je suis en train de les connaître. » XXIII Assembler, soutenir et mettre en jeu à la fois dans un instant donné le plus de rapports, agir en masse et avec concert, c’est là le difficile et le grand art, qu’on soit général d’armée, orateur ou écrivain. […] XXX Si l’on va au-delà des jeux éphémères de la littérature actuelle, qui encombrent le devant de la scène et qui gênent la vue, il y a en ce temps-ci un grand et puissant mouvement dans tous les sens, dans toutes les sciences.
Il seroit également injuste de se récrier contre certains traits de critique, où la plaisanterie nous échappe comme d’elle-même, à la vue du ridicule : si nous savions d’autres moyens plus propres à le faire sentir, nous les aurions employés. Il en est de même de certains mouvemens de zele que les circonstances nous arrachent : l’excès de l’abus & la vue de l’impunité ont toujours produit les mêmes impressions dans les ames justes & sensibles. […] De petits objets, de petites vues, de petits motifs, de petits moyens, de petites inventions, de petits amusemens ont remplacé, dans les ames Françoises, cette chaleur & cette élévation qui firent la gloire de nos Ancêtres, qui ont été supérieurs en tout, parce qu’ils n’étoient pas Philosophes.
Ils ont beau s’écrier d’un fausset philosophique, qu’il n’a fait que copier Horace & Juvenal, qu’il n’est tout au plus qu’un bon versificateur, qu’il ne connut jamais le sentiment, que ses idées sont froides & communes, qu’il n’est pas enluminé comme eux, qu’il n’a qu’un ton, qu’une maniere ; ils ont beau s’applaudir réciproquement de leurs prouesses littéraires, lever jusqu’aux nues l’entortillage & l’enflure de leurs pensées, ne trouver rien d’égal à la profondeur de leurs courtes vues, s’extasier sur le vernis de leurs mystérieuses expressions ; la voix noble & ferme de Stentor n’a qu’à se faire entendre, & aussitôt cette engeance mutine disparoîtra, avec son Général, pour se cacher sous ses humbles pavillons. […] Qu’on ne l’accuse point de malignité : il est si naturel à un esprit droit & juste, à un cœur ferme & généreux, d’éprouver les mouvemens du dépit, à la vue des usurpations ; le zele pour la gloire des Lettres & les intérêts de l’équité est si prompt à s’enflammer contre des injustices absurdes & multipliées, que l’esprit vient comme de lui-même au secours de la raison outragée ; & du mélange de sa vivacité unie à la sensibilité du cœur, naissent ces traits vigoureux qui impriment tantôt le ridicule, tantôt l’opprobre sur les travers ou sur les vices. […] Plus adroit, plus heureux dans ses dénouemens que le premier ; plus décent, plus moral que le second, il ne perd jamais de vue le but de la vraie Comédie, qui est de corriger les hommes, de guérir leurs travers, en les amusant.
La patricienne que nous avons vue dans Mme Daniel Stern, beau type de médaille effacé, déformé, mais reconnaissable, a bien moins fléchi dans Mme de Belgiojoso, dont le bronze était plus solide et plus pur. […] On n’y trouve qu’un volume de Don Quichotte qui la retient, quand l’idée la prend d’être trop chevalière errante, et qui la rappelle tout à coup à l’ordre, avec la grosse voix de Sancho, Ce qu’elle décrit avec le plus de soin, ce sont les paysages, et elle les nuance comme elle ferait de sa tapisserie dans son boudoir, ou la beauté de quelques femmes dont elle dit successivement, avec une négligence et une bonne foi, ou une mauvaise, mais qu’on aime : « Celle-là était la plus belle femme que j’aie jamais vue en Asie », ou enfin les atours inouïs de luxe et de poésie parfois, mais plus souvent de mauvais goût, de ces grandes coquettes Barbares. […] Et veut-on la preuve de ce renoncement au rôle littéraire, à la recherche de l’esprit, à la vue du penseur, l’ambition actuelle de tant de bandeaux qui feraient bien mieux de se lisser, prenez la plus grosse question qui soit dans ce livre sur l’Asie Mineure et sur la Syrie.
Dans son énorme livre, dont l’énormité est une raison de plus ajoutée à tant d’autres pour ne pas être lu par les superficiels de cet âge d’ignorance frivole ; dans ce livre qui est tout à la fois une histoire et une théorie, il a mis en présence la Monarchie et la Révolution comme elles n’y avaient, je crois, été mises jamais, du moins avec cette largeur de vue historique, cette prodigieuse abondance de détails, cette implacable impartialité… Beau, mais désespérant spectacle ! […] L’auteur des Ruines, qui a, par parenthèse, des vues particulières en Histoire, lesquelles ne manquent ni de justesse inattendue, ni de profondeur, pose dans son livre qu’il n’y eut de France monarchique qu’à partir de Hugues Capet. […] » et l’autre disant : « En Europe, maintenant, il fait nuit. » Il savait qu’il n’y avait plus, puisqu’il l’avait vue disparaître, de Monarchie, en France, qu’on pût conseiller ou qu’on pût avertir… Aussi garda-t-il stoïquement son livre.
En dehors de ces deux vues politiques très connues, très discutées et encore très discutable », il ne voit plus rien, cet homme de politique sacrée, et c’est pour nous rapporter de telles choses, qui sont au pied de toutes les taupinières politiques de notre âge, qu’il est monté au Sinaï et qu’il en descend plus resplendissant de talent que de vérité ! […] avoir pris le ton qu’il fallait prendre du reste ; avoir été prêtre jusque-là, touchant, poignant, d’une gravité, d’une pénétration…, — mais dans cette généralité que nous avons notée, cette généralité de l’enseignement catholique que le premier venu peut avoir comme le dernier ; — et puis tout à coup, lorsqu’il s’agit du conseil exprès, de la vue précise, se montrer… — comment dirons-nous ? […] La décentralisation dont il parle aujourd’hui est peut-être, en sachant l’entendre, une vue qui a sa justesse, mais elle n’a, dans l’économie des postulations du publiciste, ni la grosseur, ni la toute-puissante efficacité qu’il lui attribue.
Le livre avait-il en vue quelque prix d’Académie ? […] Mais où il l’a le mieux vue, c’est là où elle est le plus dans des hommes d’autant de sentiment et de pensée que Corneille, c’est-à-dire dans ses écrits. […] Attendrissement inattendu qui vous prend en regardant cette figure d’une si mâle expression de génie qu’il semble qu’on ne l’a jamais vue jeune, quoi qu’elle l’ait été… et quand le grand Corneille est toujours, plus ou moins, le bonhomme Corneille !
Ton sein offre à la vue deux globes de marbre, tels qu’on en voit au bord des ruisseaux de Branno ; tes bras ont la blancheur et la fermeté des colonnes d’albâtre du palais de Fingal. […] Ils l’aperçurent bondissant et blanc comme la neige ; sa vue ralluma leur fureur. […] pourrai-je errer sur la colline et soutenir la vue du tombeau de Cuchullin ? […] Eussé-je douze beautés qui m’appelassent leur père, je les offrirais à ton choix, illustre enfant de la renommée. » À ces mots, il ouvrit la salle où était la belle Evirallina : à sa vue, la joie fit palpiter nos cœurs sous l’acier, et nous fîmes des vœux pour la fille de Branno. […] « À cette vue, Cuchullin s’enflamme et fronce le sourcil : sa main se porte sur l’épée de ses pères ; ses yeux roulent dans le feu et s’attachent sur l’ennemi.
Bernis est sensible à l’intention ; mais il ne s’y laisse point prendre : À l’égard des Saisons de Babet, répond-il, on m’a dit qu’on les a furieusement estropiées ; car je ne les ai pas vues depuis près de vingt ans. […] L’expérience m’apprend aussi que le mérite des grandes choses n’est jamais mieux connu que de ceux qui ne les ont pas vues naître. […] Frédéric, adversaire équitable, le confirme dans son Histoire : il ne reproche à Bernis que de s’être prêté à des vues dont il sentait jusqu’à un certain point l’imprudence, et qu’il s’efforça ensuite, mais en vain, de modérer : Tant qu’il s’agissait d’établir sa fortune, écrit l’historien-roi, toutes les voies lui furent égales pour y parvenir ; mais aussitôt qu’il se vit établi, il songea à se maintenir dans ses emplois en se conduisant par des principes moins variables et plus conformes aux intérêts permanents de l’État. Ses vues se tournèrent toutes du côté de la paix, pour terminer, d’une part, une guerre dont il ne prévoyait que des désavantages, et d’une autre, pour tirer sa nation d’une alliance contraire et forcée dont la France portait le fardeau, et dont la maison d’Autriche devait seule retirer tout le fruit et tout l’avantage. […] Ses actions imprudentes l’élevèrent, ses vues sages le perdirent ; il fut disgracié pour avoir parlé de paix… Et sur l’heure même de la disgrâce de Bernis, Frédéric parle de lui à Milord Maréchal dans le même sens : « On a trop exagéré le mérite de Bernis lorsqu’il était en faveur ; on le blâme trop à présent.
C’est alors, dans ce second moment d’un enthousiasme plus tranquille, qu’il se remet à embrasser de ses regards l’ensemble de la société et qu’il se fortifie dans ses premières vues. […] Nommé de ce comité avec le duc de La Rochefoucauld, Dupont de Nemours, Adrien Duport, Talleyrand, Defermon, il se distingua entre tous par ses connaissances positives, l’étendue de ses vues, la fertilité ingénieuse de ses moyens et procédés. […] Je ne veux pas d’assignats pour plus de 200 millions ; et M. de Mirabeau sait très bien, du moins je m’en flatte, que le secret de mon opinion n’est pas dans des vues malhonnêtes ou contraires à la Révolution. Ce n’est pas non plus dans de pareilles vues qu’il faut chercher les motifs de l’opinion de M. l’abbé Sieyès, de M. de La Rochefoucauld et de plusieurs autres. […] C’est ainsi qu’il jugeait, pour l’avoir vue à l’œuvre, la démocratie en elle-même, organisée par en bas, aux vingt-six mille clubs, aux vingt millions de têtes.
Il n’est pas de ceux qui ayant tout vu, tout essayé dans l’action, comme Retz, et tout osé, se risquent à tout dire, sauf à se faire une langue à leur image et qu’ils sont seuls à parler de cet air-là, bien assurés qu’ils sont d’ailleurs d’être toujours de la bonne école et de la bonne race : il est un de ces auteurs de profession qui, ayant commencé par la plume et ne la perdant jamais de vue, se retrancheraient plutôt (comme Fontanes) des idées ou des accidents de récit, s’ils croyaient ne pouvoir les rassembler et les rendre en toute correction et en parfaite élégance. […] S’il avait moins de goût que les grands hommes de la Grèce et de Rome que nous venons de citer, cela tenait aux inconvénients de son époque, de son éducation, et à un vice aussi de son esprit, atteint d’une sorte de pédantisme : mais s’il péchait dans le détail, il ne se trompait pas dans sa vue publique de la littérature et dans l’institution qu’il en prétendait faire pour le service et l’agrément de tous. […] Ainsi, c’est une règle presque générale que l’Académie, après un temps où elle était complètement de niveau avec l’opinion littéraire extérieure et où elle en représentait les aspects les plus en vue et les plus florissants, baisse ensuite ou retarde un peu. […] J’estime donc que l’Académie qui commença par donner assez pertinemment son avis sur Le Cid, n’aurait peut-être pas trop mal tenu ce que promettait ce commencement, si elle s’y était vue obligée. […] Mais je m’aperçois que cette vue suppose et demande toujours une suite ou au moins une fréquence de Richelieux historiquement impossibles.
Ces pensées politiques et autres, par leur caractère de gravité et de vérité, par l’absence de toute déclamation, par la sincérité des aveux et le noble regret des fautes commises, par les sages vues d’avenir qui se mêlent au jugement du présent, font beaucoup d’honneur à Barnave, et ne peuvent que confirmer, en l’épurant, l’impression d’intérêt et d’estime qui demeure attachée à sa mémoire. […] Il importe, en effet, à la vérité historique de reconnaître que ce qu’on a appelé le changement de Barnave ne date point de ce voyage, ne tient point à une simple émotion, bien concevable d’ailleurs et bien naturelle, mais à une modification antérieure et raisonnée de vues et de principes. […] Il s’y élève à une hauteur de vues politiques et d’éloquence à laquelle il n’avait pas encore atteint, et on le dirait inspiré du génie de Mirabeau. […] Il entre beaucoup de hasard dans ses vues littéraires, et encore plus dans ses aperçus physiologiques ; il y a beaucoup de tâtonnements, même dans ses considérations politiques, lorsqu’il sort de ce qu’il sait le mieux, et qu’étendant son regard au-delà de l’horizon intérieur, il aborde, par exemple, les questions de relations étrangères. […] Il en résulte que Barnave pouvait dire, à la rigueur ou à peu près, devant le Tribunal révolutionnaire, qu’il n’avait jamais eu avec la Reine des relations directes, qu’il ne l’avait jamais vue, etc.
Dans ces divers traités de savoir-vivre et de politesse, si on les rouvre dans les âges suivants, on découvre à première vue des parties qui sont aussi passées que les modes et les coupes d’habit de nos pères ; le patron évidemment a changé. […] En politique, il avait certainement ce coup d’œil lointain et ces vues d’avenir qui tiennent à l’étendue de l’esprit, mais il possédait bien plus ces qualités sans doute que la patience persévérante et la fermeté pratique de chaque jour, qui sont si nécessaires aux hommes de gouvernement. […] En 1744, âgé de cinquante ans seulement, son ambition politique semblait déjà en partie usée ; sa santé était assez atteinte pour qu’il eût de préférence en vue la retraite. […] Lord Chesterfield destinait ce fils si cher à la diplomatie ; il trouva d’abord quelques difficultés à ses vues dans les raisons tirées de l’illégitimité de naissance. […] Montesquieu, dont la vue baissait, lui avait dit autrefois : « Je sais être aveugle.
Son livre est rempli de vues élevées ou fines, mais sous forme un peu compacte ; il est fait pour être lu et médité par des hommes de pensée et de réflexion plutôt que par l’ordinaire du public ; il n’a rien qui se détache ni qui frappe ; l’auteur continue d’être abstrait, tout en sentant que l’abstrait ne prend point et n’est pas le plus court chemin pour arriver à l’effet qu’il désire. Une fois ou deux, il essaie du tableau, comme lorsqu’il veut rendre l’impression que fait la vue des invalides prosternés aux pieds des autels ; mais M. […] Les ouvrages qu’il composa depuis à titre de spectateur, et qui ont pour objet la Révolution française observée dans les diverses phases de son développement, contiennent quantité de vues justes, élevées, ingénieuses, et les plus honorables désirs. […] Necker publiait ses Dernières vues de politique et de finance. […] Et c’est ici qu’il se trahit à ravir dans toute l’indécision naturelle de sa pensée : il propose à la fois deux plans parallèles, l’un de parfaite république, l’autre de monarchie exemplaire ; il construit tour à tour ces deux plans avec une grande habileté d’analyse, il les balance, et, les ayant pondérés de tout point, il dit à l’homme proclamé par lui nécessaire : « Prenez l’un de mes projets, ou prenez l’autre. » Puis, si on ne les prend pas, il se console par la vue de son propre idéal, et, comme tous les théoriciens satisfaits, il en appelle à l’avenir et au bon sens qui, tôt ou tard, selon lui42, est le « maître de la vie humaine ».
Or, nous avons vu que l’émotion esthétique est une forme inactive de l’émotion ordinaire, et que chacune de ces dernières peut tour à tour devenir esthétique, et résulter, avec quelque modification, de la vue ou de l’audition d’une œuvre d’art. […] Le vocabulaire d’abord de l’écrivain contiendra en prépondérance des termes d’une certaine sorte qui, selon les images directes ou associées qu’ils suscitent, la sensation même qu’ils donnent à la vue ou à l’oreille, leur caractère familier ou rare, seront colorés, fantasques, magnifiques, sonores, rustiques, bas, etc. […] La vue d’un panier de pêches est sans doute esthétique : mais en est-il de même de la vue d’une terrine de foie gras, d’un morceau de grosse toile molle ? […] Il va de soi que nous mettons à part les émotions de colère ou de dégoût que peut susciter chez certains hommes la vue ou l’audition d’une œuvre d’art qui lui répugne.
Zola, notamment dans Nana, le Bonheur, Germinal, le romancier, tout en conservant une vue très nette des lieux où se passe son action, et d’excellentes aptitudes descriptives, a si bien simplifié le mécanisme de ses personnages, leur prête des conversations si banales et des caractères si généraux, qu’ils perdent toute individualité nette. […] Zola n’échappent pas à la formule que lui-même a donnée justement de toute œuvre d’art : « La nature vue à travers un tempérament. » II Tous les caractères que présente l’humanité ne semblent pas à M. […] Par un moyen inverse en vue d’un effet analogue, M. […] Que l’on remonte maintenant de ce pessimisme, terme de notre analyse, à la vue magnifiée des hommes et des choses dont il découle ; de celle-ci à l’amour de la vie, de la force, de la sensualité, de la raison et de la santé, ses causes ; que l’on se rappelle le réalisme de procédés et de vision que ces idéaux résument, l’on aura, je pense, les gros linéaments de l’œuvre de M. […] Enfin, il a conçu le premier, sans la réaliser, malheureusement, la grande idée que le roman ne devait pas être une étude individuelle, mais bien une vue d’ensemble où passerait la foule, où s’étalerait toute une époque, et qui, décentralisé et indéfini, engloberait tout un peuple, dans un temps et toute une ville.
Il y a en effet dans tout système des vues qui ne sont pas liées avec l’ensemble du système, et qui par elles-mêmes sont vraies, solides, intéressantes, dignes d’être conservées par la science ; même parmi les vues systématiques, on peut trouver des faits, des données qui resteraient encore vrais, le système disparaissant. […] Selon cette vue, les systèmes ne sont que des machines destinées à rassembler les richesses acquises et à en susciter de nouvelles. […] Kant lui-même, malgré son affreux pédantisme, est encore un penseur assez large et assez libre, et il est très-abondant en vues particulières, plus ou moins liées avec le tout. […] En la réduisant à l’horizon de notre vue, sachons que cet horizon n’est une limite que pour nous, et non pas pour elle.
Elle a trois de ses femmes autour d’elle ; l’une vue par le dos la soutient sous les bras et joint en même temps ses regards et sa prière aux cris douloureux de sa maîtresse ; la seconde, plus sur le fond et vue de face, a la même action. […] La touche en est mâle et spirituelle, c’est la vraie couleur de ces malades, que je n’ai jamais vue ; mais n’importe. […] Un cadavre n’a rien qui dégoûte, la peinture en expose dans ses compositions sans blesser la vue. […] Mais cela est peut-être impossible, du moins cette alliance ne s’est point encore vue ; et le premier de tous les peintres n’est que le second dans toutes les parties de la peinture.
Ils se figurent pour ainsi dire le monde mental avec le seul sens de la vue, comme un monde de formes, de dessins et de couleurs, le tout lumineux, mais sans chaleur, sans consistance et sans vie. […] D’autre part, la faculté de discernement ne s’est développée qu’en vue du choix ; si nous avons conscience des différences, principalement sensitives, c’est que ces différences sensitives entraînent des différences réactives. […] Quand on parle du son objectif, on désigne, encore un coup, d’autres sensations possibles de la vue et de l’ouïe, d’autres rapports du même phénomène, d’autres richesses qu’il renferme. […] La distinction des phénomènes internes et des phénomènes externes n’est donc qu’une classification des conditions d’un seul et même phénomène en : 1° conditions représentables dans l’espace par le moyen de la vue et du tact, et 2° conditions non représentables dans l’espace. […] Et s’il s’agit d’une perception actuelle de la vue, comment ne sentirait-on pas des mouvements dans le globe oculaire ?
ce n’est pas tant la vue de la pierre précieuse dont il est orné qui a pu exciter l’émotion du roi, que… Les deux gardes , ensemble. […] Les ténèbres de l’intelligence du héros se dissipent à la vue et à la voix de l’enfant ; il reconnaît la mère. […] M’enivrer de ta vue ! […] Oui, cet anneau retrouvé d’une manière tout à fait miraculeuse, et à la vue duquel le retour de ma mémoire était sans doute attaché. […] Cependant, la simple vue de cet anneau m’ayant rendu plus tard la mémoire, je me rappelai alors avec amertume les moindres circonstances de cette union, et la manière indigne dont j’avais traité Sacountala.
Ce publiciste, qui prônait Lourdes où il avait recouvré la vue et en affirmait les miracles, avait imaginé de traduire les Évangiles. […] La vue se brouille. […] Les opinions auxquelles les savants tendent à revenir sur la constitution de la matière ne sont pas sans analogie avec les vues profondes des premiers alchimistes. » Une élite se prépare à la tâche. […] Il ne me reste plus qu’à jeter mes vues ailleurs, si toutefois… mais saurons-nous jamais le dernier mot de cette affaire ?
L’air manque, la vue se trouble ; on n’est plus en pays humain, on n’aperçoit d’abord qu’un entassement d’abstractions formidables, solitude métaphysique où il ne semble pas qu’un esprit vivant puisse habiter ; à travers l’Être et le Néant, le Devenir, la Limite et l’Essence, on roule, la poitrine oppressée, ne sachant si jamais on retrouvera le sol uni et la terre. Peu à peu la vue perce les nuages ; on entrevoit des ouvertures lumineuses ; le brouillard s’évapore ; devant les yeux se déroulent des perspectives infinies ; des continents entiers s’étalent embrassés d’un coup d’œil ; et l’on se croirait arrivé au sommet de la science et au point de vue du monde, si là-bas, sur un coin de la table, on n’apercevait un volume de Voltaire posé sur un volume de Condillac. […] Je n’apporte ni une vue nouvelle sur la nature des êtres, ni une vue nouvelle sur la méthode des sciences ; j’apporte une exhortation à la vertu.
Il nous semble qu’on a vanté trop exclusivement son Petit Carême : l’auteur y montre, sans doute, une grande connaissance du cœur humain, des vues fines sur les vices des cours, des moralités écrites avec une élégance qui ne bannit pas la simplicité ; mais il y a certainement une éloquence plus pleine, un style plus hardi, des mouvements plus pathétiques et des pensées plus profondes dans quelques-uns de ses autres sermons, tels que ceux sur la mort, sur l’impénitence finale, sur le petit nombre des élus, sur la mort du pécheur, sur la nécessité d’un avenir, sur la passion de Jésus-Christ. […] « Regardez le monde tel que vous l’avez vu dans vos premières années, et tel que vous le voyez aujourd’hui ; une nouvelle cour a succédé à celle que vos premiers ans ont vue ; de nouveaux personnages sont montés sur la scène, les grands rôles sont remplis par de nouveaux acteurs : ce sont de nouveaux événements, de nouvelles intrigues, de nouvelles passions, de nouveaux héros, dans la vertu comme dans le vice, qui sont le sujet des louanges, des dérisions, des censures publiques.
Ce qu’a donné ce naturalisme (sa soumission aux lois de la nature) dans sa philosophie et dans son esthétique, c’est un problème que je n’examine pas, mais dans son œuvre d’historien politique, cette vue gœthienne l’a mené à une doctrine par trop timide. […] Reconnaissons bien haut la maîtrise de cet homme et comment sa conception de la .Révolution (qui est une vue incomplète, qui d’autre part déjà avait été élaborée par Tocqueville) est un des grands événements de notre vie mentale.
Fortement marquée de l’expérience de son siècle, elle paraît avoir été douée de cette supériorité de caractère et de vue qui, saisissant la vie telle qu’elle est, la domine et sait la refaire aux autres telle qu’elle devrait être. […] Nous l’avons vue souffrir à cet égard, souffrir réellement, lorsqu’on exprimait le moindre blâme devant elle ; et dans ces occasions elle imposait silence d’une manière qui n’était jamais désobligeante, car elle montrait tout simplement la peine qu’on lui faisait éprouver. […] Pour un ministre en retraite, ce moment doit se trouver dans le premier jour, ou dans la première nuit qui suivent sa disgrâce… » Il faut souhaiter à tous nos ministres qui sont tombés, ou qui tomberont, de franchir en un jour, ou en une nuit, ce passage souterrain, qui, comme celui du Pausilype, doit leur rendre si vite la vue des plus beaux cieux. […] Il lui donna même quelques nouveaux amis ; elle se trouvait naturellement liée avec M. et Mme Guizot, avec M. de Barante : il la lia avec Mme de Broglie, qu’elle a trop peu vue, mais avec qui elle a entretenu, dans ses dernières années, de vraies et tendres relations. […] Osons, non pas en vue de louange pour elle, mais en vue du fruit pour quelques-uns, osons soulever un coin du saint voile ; elle s’écriait : « … C’est vous, mon Dieu, qui avez permis que je vinsse un moment dans ce monde, où nous sommes tous appelés, pour y faire un court et pénible voyage.
. — La crainte du modèle ancien : Ibsen et les revenants — Un exemple emprunté à la Cité antique : les Grecs et les Romains régis par des lois faites en vue d’une croyance ancienne et disparue, la croyance en une vie posthume et souterraine. […] Toute idée générale a donc été à l’origine façonnée en vue d’un être déterminé. […] Or cette vue du philosophe paraît bien profonde si l’on considère que le juif, dont le lien national est purement ethnique et religieux et n’est fixé autour d’aucun lieu de l’espace, a tout à gagner et rien à perdre avec une doctrine qui fait de tous les hommes, des citoyens de l’univers égaux entre eux, et, des nationalités diverses, des faits d’une importance secondaire ou périmée. […] Le Bovarysme du passé a été observé à notre époque avec une vue singulièrement perspicace. […] Sous l’empire de cette croyance, un souci tout égoïste et un instinct de prévoyance les contraignirent d’organiser leur vie sociale en vue des nécessités de leur vie posthume.
Il ne s’agit pas seulement d’avoir de bons yeux, ni myopes, ni presbytes, voyant de loin, voyant de près, voyant juste et rapidement, et une âme claire, qui ne déforme pas l’image ; il faut entendre par là une acuité de tous les sens, la vue, l’ouïe, le toucher, l’odorat, une aptitude singulière à toutes les perceptions externes dont l’art peut tirer parti, et à laquelle se joint, ordinairement, la mémoire spéciale des images. […] Les gens qui possèdent ce don de la vue sont de plus en plus nombreux. […] Il est en pied, visible à partir du genou, immobile ; et néanmoins, à première vue, l’imagination se représente la détente brusque des jambes, flexibles et fortes comme l’acier des arbalètes, qui donneront un élan redoutable à ce buste élégant, dès que l’ennemi se montrera. […] Il trouve cette comparaison superbe : « Tout cela, d’un bout à l’autre, aussi loin que la vue peut s’étendre, ni rouge, ni tout à fait jaune, ni bistré, mais exactement couleur de peau de lion. » En peintre également il étudie l’ombre saharienne et le silence saharien. […] Les vues hardies sur la fin propre de l’art, sur le rôle du peintre, sur sa formation, sur la science des couleurs et leur emploi, abondent aussi bien que les mots pittoresques, dans les Maîtres d’autrefois.
A ces honorables sexagénaires, on aurait pu faire remarquer que M. d’Alton-Shée n’avait pas encore soixante ans ; que dans son geste, son allure, dans toute sa personne, il y a toute la prestesse et la vivacité d’un homme encore jeune : il est vrai que la vue lui fait défaut. […] Un essai fort dramatique, le Duc Pompée, publié par la Revue des Deux Mondes, témoignait d’une aptitude remarquable ; une pièce composée depuis en vue du Théâtre-Français, l’ivresse, n’a pu s’y faire jour. […] William d’Alton, né le 1er janvier 1766, volontaire à quinze ans (avril 1781) au régiment d’infanterie de Berwiek, y avait gagné ses premiers grades lorsque la Révolution éclata ; il eut à subir bien des vicissitudes ; il était en 1793 à l’armée du Rhin, commandée par Beauharnais ; il fit la campagne de 1795 dans l’armée de Rhin-et-Moselle, puis passa dans l’armée de l’Ouest, où il devint aide de camp du général Hédouville ; il l’accompagna à Saint-Domingue en 1798 ; il était estimé de Hoche, sous qui il avait servi en Vendée ; mais cette expédition de Saint-Domingue l’avait retardé dans sa carrière ; il eut quelque peine à se voir confirmé dans le grade de chef de brigade (colonel) que le général Hédouville lui avait conféré dans la traversée ; nommé par le premier consul aux fonctions d’adjudant commandant (titre analogue), employé à l’armée d’Italie, il allait enfin pouvoir se produire sur un théâtre en vue, quand la fortune du premier coup le mit en lumière et le frappa.
croyez-le bien, la sagacité des hommes n’est pas plus grande quand il s’agit du passé que quand il s’agit de l’avenir, et, dans tous les sens, leur vue est courte… Mais puisque après toutes les histoires sur la Révolution française, et Dieu sait s’il y en a eu déjà et s’il y en aura encore ! […] c’est une grande erreur, ou plutôt c’est un manque de vue, puisqu’on prétend y avoir regardé, que de dater l’apparition de l’esprit révolutionnaire dans notre histoire de la fin du règne de Louis XIV, et de lui donner pour première origine et pour cause la réaction inévitablement nécessaire de la Régence contre l’accablant despotisme d’un Roi qui avait fatigué et dégoûté la France par soixante ans de pouvoir absolu. […] Rocquain se trouve faite… Je sais bien que l’Histoire ne se fait pas toute seule et qu’il faut la prendre où elle est, c’est-à-dire chez les autres qui l’ont vue ou qui l’ont écrite avant nous.
Sur l’art de négocier, et sur les intérêts politiques de l’Europe, ils conviennent qu’il montra du génie et une grande supériorité de vues : mais, dans ce genre même, ils lui reprochent une faute importante ; c’est le traité de 1635, portant partage des Pays-Bas espagnols, entre la France et la Hollande. […] En général, ces grandes vues du ministère, qui s’occupent de projets d’humanité, et qui, par des établissements utiles, cherchent à tirer le plus grand parti possible et de la terre et des hommes, semblent lui avoir été peu connues. […] Il n’eut ni dans les factions la fierté brillante et l’esprit romanesque et imposant du cardinal de Retz, ni dans les affaires l’activité et le coup d’œil d’aigle de Richelieu, ni dans les vues économiques les principes de Sully, ni dans l’administration intérieure les détails de Colbert, ni dans les desseins politiques l’audace, et je ne sais quelle profondeur vaste du cardinal Alberoni.
Ce que le système offre, à première vue, de trop mince et de trop étendu en surface, aurait pu se corriger dans la pratique. […] En 1804, à la veille de l’Empire, causant avec lui aux Tuileries, pensant tout haut, exprimant son impatience des injustices de l’opinion parisienne à ce moment, son ennui des résistances qu’il éprouvait dans ses vues de la part même de quelques-uns de ses proches, le premier consul disait ces paroles qui renferment une trop haute et trop soudaine définition personnelle pour ne pas être recueillies : Au reste, moi je n’ai point d’ambition… (Et se reprenant :) ou, si j’en ai, elle m’est si naturelle, elle m’est tellement innée, elle est si bien attachée à mon existence, qu’elle est comme le sang qui coule dans mes veines, comme l’air que je respire. […] Quand Roederer reviendra sous la Restauration à la belle littérature et à la société de Louis XIV, ce sera par un long détour et par un revers imprévu, en vertu d’une vue ingénieuse, fine, et moyennant tout un enchaînement d’idées ; il y reviendra à la manière de Fontenelle, non de Fontanes. […] On y trouve des observations très vraies et très bien vues sur le caractère particulier de la Révolution en France, sur la part qu’y eut, plus que l’intérêt même, un amour-propre légitime, et sur ce que cette Révolution est restée chère aux Français, moins encore comme utile que comme honorable. […] L’histoire politique le nommera ; mais ce qui est mieux encore, sans être précisément un écrivain et en ne paraissant qu’un amateur, il a marqué par ses idées et ses vues sa place dans l’histoire de la littérature et de la société françaises68.
Ce qui fait à mes yeux une grande partie de l’intérêt des écrits de d’Argenson et ce qui doit les rendre précieux pour quiconque aime la vérité, c’est que tout y est successif et selon l’instant même ; il ne rédige pas ses mémoires après coup en résumant dans un raccourci plus ou moins heureux ses souvenirs ; il écrit chaque jour ce qu’il sait, ce qu’il sent ; il l’écrit non pas en vue d’un public prochain ou posthume, mais pour sa postérité tout au plus et ses enfants, et surtout pour lui, pour lui seul en robe de chambre et en bonnet de nuit. […] Les imprudents se battent, et les gens sages viennent à profiter de l’objet du combat quand on est bien sûr qu’ils ne s’en sont pas mêlés ; et cette aventure de tertius gaudet arrive dans les cours les plus intrigantes tout comme pendant les gouvernements forts et tranquilles… Dans ces intrigues, ajoute-t-il, le moindre risque, selon moi, surpasse les plus hautes espérances ; je crains extrêmement la disgrâce et la Bastille ; j’aime ma liberté et ma tranquillité, et je ne les veux jamais sacrifier qu’au bonheur de mes citoyens ; mais quelle sottise de les sacrifier à ses vues personnelles ! […] Le marquis d’Argenson, du reste, a exprimé cette séparation de vues et d’inspiration dans des pages fort belles, mais qui auraient besoin d’être légèrement dégagées. […] du seul archevêque de Bordeaux, mon oncle, lequel était un petit esprit, taquin et triste, grand économe, homme à vues bourgeoises, aimant sa maison avec orgueil, mais sans générosité, plein de lui et vide des autres, dur et sec, haïssable, et échappant seulement à la haine publique par son économie ; mais mon père et mes aïeux ont toujours passé dans leur temps pour gens francs, nobles, courageux et dignes de l’ancienne Rome, surtout de nulle intrigue à la Cour ; aimant la vie de province, ce qui est la vraie vie de la province ; riches ou pauvres, et cependant s’y faisant d’abord distinguer par les lumières de leur esprit et la bonté de leur cœur. […] On retrouve dans cette fin toute la verve que nous lui avons vue précédement à nous parler de son père, et cette touche qui sent sinon le vieux Romain, du moins le vieux Français.
Je viens de compter quelques-unes des dates politiques et des événements, de cour qui font qu’à vue d’œil un salon de 1710 n’est pas un salon de 1730, ni celui-ci un salon de 1760, ni aucun de ceux-là un salon de 1780 : mais combien d’autres révolutions qui influent sur la nature des femmes, qui l’agitent et la renouvellent ! […] Toutes ces gracieuses et généreuses personnes, Mme de Luxembourg, son amie la comtesse de Boufflers, n’étaient après tout coupables que de vouloir faire le bonheur d’un malheureux homme de génie et de tourment, qui ne le permettait pas : « Je craignais excessivement, nous dit Rousseau en commençant le récit de cette liaison, Mme de Luxembourg ; je savais qu’elle était aimable : je l’avais vue plusieurs fois au spectacle et chez Mme Dupin, il y avait dix ou douze ans, lorsqu’elle était duchesse de Boufflers et qu’elle brillait encore de sa première beauté ; mais elle passait pour méchante, et dans une aussi grande dame cette réputation me faisait trembler. A peine l’eus-je vue que je fus subjugué : je la trouvai charmante, de ce charme à l’épreuve du temps, le plus fait pour agir sur mon cœur. […] Il y avait plusieurs jours que je ne l’avais pas vue. […] je l’ai connue, je l’ai vue et goûtée cette société d’autrefois en quelques-uns de ses débris exquis, de ses derniers rejetons retardés, qui se continuaient sur plus d’un point dans la société nouvelle.
On manqua en revanche Coni, dont l’entreprise avait été confiée par Catinat à un officier, M. de Bulonde, qui ne répondit point à ses vues et que Feuquières conseilla mal, et, assure-t-on, malignement. […] Je crois que M. de Feuquières pourra bien jouer des siennes et faire valoir des sentiments fondés sur des raisons bonnes pour ceux qui ne voient pas les choses… » Je ne me fais pas juge entre Catinat et Feuquières, ce serait une grande impertinence ; je ne me fais point le défenseur de Feuquières, ce n’est point mon rôle, et il y aurait à ceci de l’impertinence encore et, qui plus est, de l’injustice ; mais enfin, pour voir le double côté de la question, pour l’envisager à sa juste hauteur et la dégager autant que possible des personnalités dont elle est restée masquée jusqu’à ce jour, qu’on veuille supposer un instant ceci : il y a dans l’armée de Catinat un militaire, incomplet dans la pratique, mais d’un génie élevé, qui a, dès 1690, l’instinct et le pressentiment des grandes opérations possibles sur cet admirable échiquier de la haute Italie ; ce militaire, à tout moment, conçoit ce qu’on pourrait faire et ce qu’on ne fait pas ; il blâme, il critique, il raille même, il hausse les épaules, il est ce qu’on appelle un coucheur, et ce qu’on appelait alors être incompatible : tel était Feuquières, qui à des vues supérieures joignait, il faut en convenir, une malignité particulière. […] Il est vrai que les ennemis auraient pu faire des démarches qui l’auraient abrégée ; mais celles de notre armée ont pu contribuer à leur en ôter les vues. […] Catinat s’en fâcha : « Tes lettres cérémonieuses me chagrinent ; comme je les lis toujours de la vue, j’y mets le tu et le toi, à la place du vous ; de bonne foi je ne te ferai plus réponse si tu continues… Tu te moques de moi de penser à m’écrire autrement qu’à l’ordinaire. » Catinat connut bientôt des circonstances particulièrement flatteuses pour lui dans cette nomination du roi, et il les apprit de l’intendant des vivres Bouchu, qui était l’homme de son armée. […] Elle a jusqu’à présent tout le crédit qu’une jolie femme peut avoir ; elle a dans l’esprit tout l’enjouement et l’amusement qui peut plaire, menteuse avec un air naïf, n’aimant rien, point de vues pour l’avenir, hardie, ordurière, nulle teinture de modestie, livrée aux présents de M. le prince d’Orange, prenant de l’Empereur et du roi d’Espagne, et ce qu’il y a de beau, c’est que M. de Savoie le sait et qu’il trouve en cela le ménagement d’un méchant cœur ravi que sa maîtresse rencontre dans la libéralité d’autrui ce qu’elle ne pourrait pas trouver dans la sienne… Il redit tout à sa maîtresse, et sa maîtresse redit tout aux alliés… Dans tout cela Mme la Duchesse Royale ne fait qu’aimer son mari, le servir, vouloir ce qu’il veut et ne se mêler de rien ; Madame Royale (la mère) n’ose parler, et M. et Mme de Carignan sont dans une circonspection si craintive que, si M. de Savoie meurt, vingt-quatre heures après ils craindront qu’il n’en revienne. » Toute cette correspondance de Tessé que nous connaissons par des extraits de M.
75 Le général Soult, qui ne le perdait pas de vue, le fit nommer colonel en novembre 1803, lors de la formation du camp de Boulogne. […] Auguste Colbert, dès vingt-trois ans, était en pleine lumière, et il y resta ; il ne cessa de combattre sur une scène en vue, sous l’œil de César, en soldat de la grande armée, et sa mort sur le champ de bataille illustrait à jamais aux yeux de la patrie. […] La vue de ces trois mouchoirs blancs faisant bandeau sur le visage de trois officiers à cheval eut cela d’heureux quelle changea subitement la fureur du peuple en surprise et bientôt en gaieté : ils durent à cela peut-être de ne point être écharpés et mis en pièces. […] Ils avaient traversé les camps de l’armée anglaise et s’étaient rendus sur la place de Zarsa, où ils attendaient les billets de logement devant la maison de l’alcade, où logeait le général en chef, lorsqu’une jeune femme parut au balcon et, à leur vue, poussa un cri : « Quelle ne fut pas ma surprise, nous dit le narrateur, en reconnaissant une jeune Espagnole, nommée Isidaure, qui avait suivi en Portugal la division du général Franceschi ! […] À notre vue, toute celle populace s’agite comme une mer en furie, pousse des hurlements, se porte sur la tour et menace de forcer la garde.
Sa vue déchire et l’on croit être près d’entendre des cris sortir de cette bouche ouverte par une convulsion de souffrance morale. La vue de toutes les dents découvertes sans grimace ajoute beaucoup à l’expression de cette torture. […] En revenant, ma bonne sœur, je me suis vue entourée, presque ensevelie dans des fils de la ] Vierge. […] » Et qui a connu Mme Valmore en ces longues années d’épreuves, qui l’a visitée dans ces humbles et étroits logements où elle avait tant de peine à rassembler ses débris, qui l’y a vue polie, aisée, accueillante, hospitalière même, donnant à tout un air de propreté et d’art, cachant ses pleurs sous une grâce naturelle et y mêlant des éclairs de gaieté, brave et vaillante nature entre les plus délicates et les plus sensitives, qui l’a vue ainsi et qui lira ce qui précède se prendra encore plus à l’admirer et à l’aimer.
S’attaquant au chef et capitaine de la bande, à celui qui, bien ou mal, n’avait cessé d’être en vue, M. […] Toutes ces études convergent à vue d’œil, se croisent et se rejoignent de manière à ne laisser rien échapper. […] Il était dans ces dispositions, et toutefois il s’était mis à l’étude du droit, lorsque, revenant un jour de Poitiers, il rencontra dans une hôtellerie Ronsard, jeune également, un peu son aîné, je crois, encore inconnu, et méditant lui-même sa réforme et révolution poétique : les deux jeunes gens s’entendirent à première vue et se lièrent. […] Voilà une gloire et des services dont la postérité se passerait bien. » Quoi qu’il en soit de ces vues si nettement exprimées et de ce qui peut y entrer de conjectural, l’importance excessive du Roman de la Rose et de toutes les ramifications qu’il engendra est un fait qui domine notre poésie durant ces âges médiocrement poétiques. […] Boulier n’a jamais su, littérairement pas plus qu’astronomiquement, ce que c’est qu’une Pléiade : de là sa faute, plus en vue encore au terme et au sommet d’une péroraison.
Au milieu de tant d’influences à fracas et de méthodes plutôt subversives, il nous paraît bon d’insister sur une manière neuve et sobre, ingénieuse et judicieuse, fertile en vues, vérifiable toujours, qui, entre mille avantages, a ses imperfections et quelques défauts sans doute, mais aucun de ceux qui égarent. — Il ne nous restera, tout cela démontré, qu’à supplier l’amitié elle-même de nous pardonner d’avoir pu être si analyseur à son égard, et d’avoir tant osé distinguer ici et là. […] Par l’autre voix secrète, il n’était pas moins excité à se marquer une place entre les jeunes et hardis investigateurs qui, dans les dix dernières années de la Restauration, allaient demander aux littératures étrangères des vues plus larges, des précédents et des points d’appui pour l’émancipation de l’art, et des termes nombreux de comparaison pour l’histoire de l’humaine pensée. […] Dom Rivet qui, aidé de dom Duclou, de dom Poncet, de dom Colomb, de dom Tennes, ces humbles inconnus, est le principal auteur des neuf premiers volumes de l’ Histoire littéraire de la France, avait en vue, au point de départ, les travaux de La Croix du Maine et de Du Verdier, dans leurs Bibliothèques françoises qui s’arrêtent au xvie siècle. […] Les discours préliminaires, du moins, qui sembleraient devoir contenir des idées générales et philosophiques, rassemblent certainement et résument avec utilité les principaux faits extérieurs du siècle et les vues les plus immédiates, mais rien au delà. […] Mais, de dom Rivet à dom Brial, ne cherchez que des matériaux ; ne demandez ni une vue rare ni un éclair.
Elle est chose grave, sacrée1, et pourtant il entre à vue d’œil toutes sortes de hasards dans sa constitution, bien du factice et du convenu dans sa vérité définitive. […] Arrivé le dernier, il a trouvé moyen d’y jeter toutes sortes de vues nouvelles, inattendues. […] Et, par exemple, il importe de bien dégager l’idée principale, l’idée monarchique, de la séparer des nombreux accessoires où elle se mêle et qui peuvent parfois la faire perdre de vue. […] Mais ce droit qui naît, qui se fabrique à vue d’œil, qui tire toute sa force de l’utilité et de la fonction, est faible à d’autres égards : il a besoin de consécration et de complément religieux. […] Ce qui me frappe surtout dans le cours de l’ouvrage, c’est la quantité d’esprit que l’auteur y a versée, je veux dire la quantité de vues, d’aperçus, d’ouvertures de toute sorte et de rapprochements.
Le caractère de ce premier écrit de M. de Barante a donc été d’introduire une vue moderne dans la critique. […] Guizot, continuait pourtant lui-même l’histoire philosophique, tout en la transformant ; il analysait les faits, les élevait à l’idée, les réduisait en éléments, les groupait enfin et les distribuait selon les vues de l’esprit ; mais, comme cet esprit était très-étendu, très-perçant, très-impartial dans l’ordre des idées, il évitait cette direction exclusive qu’on reprochait aux écrivains du xviiie siècle. […] Impuissant que je suis à apporter mon tribut en telle matière et à payer un hommage tout à fait compétent à l’auteur, soit par une approbation approfondie, soit même sur quelques points par une contradiction motivée, je veux du moins signaler, à propos de cette héroïque destinée de Charles le Téméraire, quelques renseignements peu connus, quelques vues neuves que j’emprunterai aux recherches d’un savant étranger, non point étranger par la langue. […] Rien alors ne se fait sans eux, et les plus grands coups, ce sont souvent eux qui les donnent19. » Quoi qu’il en soit des vues nouvelles que ce coin de la question, tardivement démasqué, ne peut manquer d’introduire dans l’histoire finissante de la maison de Bourgogne, l’effet des beaux récits de Jean de Muller et de M. de Barante subsiste ; l’impression populaire d’alors y revit en traits magnifiques et solennels que le plus ou le moins de connaissance diplomatique ne saurait détruire. […] Mais M. de La Rochejaquelein, à la première vue de ce drapeau, le sabra en s’écriant : « Prince, nous ne suivons que les Fleurs de Lis !
Mieux placé que la Rochefoucauld, qui, durant l’âge où se formait le trésor de ses pensées, n’avait vu que la cour et les grands seigneurs, ou cette espèce d’hommes avides ou crédules qu’on appelle les hommes de parti, La Bruyère, par son emploi, avait vue sur la cour, et, par sa condition, sur la ville, et il mêlait dans ses peintures les grands et les petits. […] La Bruyère, moins sublime, en effet, que Pascal, et moins profond que La Rochefoucauld, songe plus à s’approprier au public, et s’accoutume à ne regarder les choses que jusqu’où la vue des autres peut le suivre. […] Non ; car, de la même vue dont il regarde ces avantages, il aperçoit ceux qui leur manquent. […] Tel vice que nous n’avons pas nous indigne dans l’orgueil de notre innocence, et nous parlons d’autrui en Catons, les mêmes qui tout à l’heure allons fort baisser le ton, à la vue d’un défaut déjà vieux, planté en nous ou qui y pousse. […] C’est de La Bruyère, quand il n’est que cet habile homme, que Boileau disait ce mot déjà cité : « Qu’il ne manquerait rien à Maximilien, si la nature l’avait fait aussi agréable qu’il a envie de l’être106. » Un peu par faiblesse, un peu par l’extrême difficulté pour le moraliste de se tenir entre le raffiné et le commun, La Bruyère tantôt cherche à parer, pour les déguiser, des préceptes de sagesse banale qu’il n’a pas su éviter, et tantôt s’éblouit de la finesse de ses vues.
Mais, a-t-elle répliqué, ne vous mettez pas eu tête qu’il aime une personne… Elle n’a pas fini, et c’est la première fois que je l’ai vue se modérer dans ses transports. […] Le 9 juin, elle écrivait : « La faveur de madame de Maintenon croît toujours ; celle de Quantova (madame de Montespan) diminue à vue d’œil. » Le 21 : « On me mande que les conversations de S. […] De quoi n’est-il point capable dans la vue de sa fortune ? […] Mais ayant pris depuis deux ans beaucoup d’embonpoint, sans rien perdre de la noblesse de sa taille, elle était plus belle qu’on ne l’avait jamais vue à la cour ; sa figure étonnait par son éclat et sa majesté ; elle n’avait jamais mis de rouge, et le teint d’aucune jeune personne n’effaçait la pureté du sien. » Madame de Genlis se plaît à décrire ailleurs les charmes physiques de madame de Maintenon ; mais elle la place dans une situation romantique : elle venait de se dépouiller de sa mante et de son écharpe pour en revêtir une personne qui manquait d’habits. […] C’est une fausse vue de considérer le mariage de Louis XIV avec madame de Maintenon comme l’ouvrage de la religion ou des prêtres.
Il apportait dans ces discussions une grande connaissance de la matière, la science de l’histoire, des rapprochements lumineux avec la législation anglaise, qu’il possédait à fond et dans les moindres particularités, un esprit véritablement législatif, qui ne s’en tient pas aux vues générales, mais qui se plaît à entrer dans le dispositif des lois, à en examiner le mécanisme, et qui invente au besoin des moyens et des ressorts nouveaux. […] En ce qui est de système de procédure civile ou pénale, comme aussi en fait d’économie politique, il a eu, en causant, toutes sortes d’idées ingénieuses au service de ses amis qui s’occupaient de ces matières, et il leur a suggéré bien des vues fines de détail. […] À part toutefois ces quelques circonstances où il s’est passionné, le genre d’éloquence particulier à M. de Broglie est en général celui que Cicéron avait en vue, quand il disait : « On doit s’énoncer avec moins d’appareil dans les délibérations du Sénat, car on parle devant une assemblée de sages. » Sa parole était bien celle, en tout, qui convenait en présence de l’ancienne Chambre des pairs. […] M. de Broglie eut en ces années (1828-1829) un véritable rêve d’homme de bien, de philosophe élevé qui croit à Dieu, à la vérité idéale et suprême, à la vérité et à l’ordre ici-bas, à la perfectibilité de l’esprit humain, à la sagesse et au progrès de son propre temps, au triomphe graduel et ménagé de la raison dans toutes les branches de la société et de la science, dans l’ensemble de la civilisation même : « N’en déplaise aux détracteurs officieux de notre temps et de notre pays, écrivait-il en 1828, tout va bien, chaque jour les saines idées gagnent du terrain ; l’esprit public se forme et se propage à vue d’œil. » Il s’agissait, dans ce cas, d’une simple pétition sur les juges auditeurs ; mais on sent la satisfaction généreuse qui déborde du cœur d’un homme de bien. […] En les proposant, M. de Broglie faisait évidemment violence à ses théories antérieures, à ses combinaisons constitutionnelles les plus chères, à ses vues bienveillantes de morale sociale et humaine ; mais cette fois, en face d’un forfait immense, il vit la réalité à nu, et, en homme de bien courageux, il n’hésita pas.
» Évidemment ce Voyez ne s’adresse pas à Sophie, qu’il tutoie d’habitude : c’est l’écrivain, c’est l’orateur, et non plus l’amant, qui s’adresse ici à cet auditoire absent et idéal que son imagination ne perd jamais de vue. […] Il y eut en lui aussi une part de comédien et de personnage de théâtre qui tenait au talent même, et comme il en entre si aisément et à peu près inévitablement, on ose le dire, chez tous les hommes publics à qui il est donné de mener les autres hommes : mais le fond du cœur était chaud, le fond de la conviction était sincère, de même que plus tard nous verrons que le fond de ses vues politiques, en apparence si turbulentes et si orageuses, était tout à fait sensé. […] Toutes mes vues s’étaient donc tournées de ce côté. […] L’amant était encore tout vivant et tout délirant en lui ; le père était tout occupé de l’enfant qui venait de naître et qui vécut peu ; le prisonnier multipliait ses réclamations, ses apologies, ses mémoires, dans la vue de ressaisir sa liberté, et, en attendant, l’homme d’étude se livrait à toutes les lectures qui lui étaient possibles, à la traduction et à la composition de divers ouvrages, dont on voudrait à jamais anéantir deux ou trois, pour l’honneur de l’amour, pour la dignité du malheur et celle du génie. […] Je recommande cette vue à ceux qui examineraient de près Mirabeau écrivain ; elle nous fait aboutir encore directement à Mirabeau orateur.
Je n’avais aucune part ni dans les affaires publiques, ni dans les secrets de mon maître : cela ne convenait ni à mes vues ni à mon caractère. […] Ce qui frappe et attriste en le lisant, c’est de voir combien tout ce monde, que de loin on se figure si élégant et si spirituel, et qui l’était, a des vues basses et toutes domestiques. […] L’abbé de Cosnac, moins par scrupule que par un éloignement naturel, évite de se mêler à ces sortes d’intrigues, qui sont, au contraire, l’élément même et le triomphe de Sarasin : Pour moi, nous dit l’abbé, je ne cherchais à me mêler que des affaires du parti, non seulement dans la vue de me rendre utile et nécessaire, mais encore parce que je les trouvais plus conformes à mon inclination, qui me portait autant à l’ambition qu’elle m’éloignait de l’amour. […] En s’opposant de toutes ses forces à ce qu’on livrât la place de Bordeaux à Cromwell avec qui l’on avait ouvert des négociations, en s’opposant vers la fin à l’incroyable faiblesse du prince de Conti qu’on avait presque décidé à conduire sa belle-sœur, la princesse de Condé, en Espagne, Cosnac rendit un service et à son prince et au roi, et ici sa vue s’élève un peu ; on entrevoit quelque chose de cette moralité politique qui va mettre en première ligne la patrie ; c’est par ce côté que nous le trouverons digne plus tard de comprendre et de servir Louis XIV. […] C’est le seul présent qu’il lui ait fait, excepté un diamant de deux mille écus qu’il lui avait donné à Bordeaux, le second jour qu’il l’avait vue.
René d’Argenson qui avait donné l’édition des Mémoires en 1825, et qui a cherché à prouver par quantité de raisons que ces curieux documents nouveaux sur son arrière-grand-oncle étaient d’autant moins dignes de confiance qu’ils étaient plus intimes et plus personnels, plus complètement sincères et écrits en vue du bonnet de nuit. […] Et comme le marquis d’Argenson dit en terminant : « Mon imagination aime les images, et le bonheur coule de là chez moi par les sens », au lieu de cette parole expressive, l’éditeur de 1825 lui fait dire : « Mon imagination aime les images ; il me semble qu’à la lecture de nos vieux romanciers le bonheur me pénètre par tous les pores » ; transportant ainsi à la lecture des romans ce qui est dit, au sens physique, de la seule vue des images et des estampes.
Comment, avec du griffonnage noir aligné sur du papier d’imprimerie, remplacerez-vous pour lui la vue personnelle des couleurs et des formes, l’interprétation des visages, la divination des sentiments ? […] Par cette puissance, l’imagination reproduit et remplace la vue ; le livre tient lieu de l’objet ; la phrase rend présente la chose qui n’est pas là.
Ils ne connaissaient d’autres époques historiques que celles de la vie de leurs mères, d’autre chronologie que celle de leurs vergers, et d’autre philosophie que de faire du bien à tout le monde et de se résigner à la volonté de Dieu… …………………………………………………………………………………………… Quelquefois, seul avec elle (Virginie), il (Paul) lui disait au retour de ses travaux : « Lorsque je suis fatigué, ta vue me délasse. Quand, du haut de la montagne, je t’aperçois au fond de ce vallon, tu me parais, au milieu de nos vergers, comme un bouton de rose… Quoique je te perde de vue à travers les arbres, je n’ai pas besoin de te voir pour te retrouver : quelque chose de toi que je ne puis dire, reste pour moi dans l’air où tu passes, sur l’herbe où tu t’assieds… Dis-moi par quel charme tu as pu m’enchanter.
Je tâcherai de répondre à vos vues, mais avec la circonspection d’un homme qui ne veut ni s’égarer, ni vous égarer. […] C’est en unissant ainsi ce qui peut être agréable & ce qui n’est simplement qu’instructif, qu’on peut se flatter de se faire lire, ou du moins de se faire supporter à ses Lecteurs ; car je n’aspire qu’à cela, & avec des talens médiocres peut-on avoir sans témérité des vues plus élevées ?
Ce fut la ligne que suivirent les Cramer, les Calandrini, les Abauzit, et qu’observa lui-même dans sa belle et juste carrière Charles Bonnet, le dernier de tous et le plus en vue. […] Ils font sentir que le tout n’est qu’un jeu, que le poète n’a d’autre vue que de s’égayer et de remporter l’approbation du public, du grand nombre qui prend goût à ces malignités. […] Victor Cherbuliez qui, dans ses Causeries athéniennes, a traité les plus délicates questions de l’art avec une verve, un savoir, une élévation de vues, auxquels je ne trouve à dire que pour le trop de densité. […] [NdA] On peut lire pourtant encore une Lettre à une dame de Dijon touchant les dogmes de l’Église romaine, où il y a bien des choses justes et fines : comme on oppose toujours aux protestants l’Exposition de la foi catholique, par Bossuet, Abauzit fait très bien remarquer que ce livre si vanté, auquel on renvoie toujours et qui fut publié dans des circonstances et dans des vues qu’on n’ignore pas, « est moins une exposition qu’un adoucissement de la foi catholique », que l’on s’efforce de rapprocher de la protestante : « Ainsi le livre de M. de Meaux ne nous regarde pas, mais il est excellent pour son Église qui devrait en profiter ; et ce n’est pas tant une apologie dans les formes que des excuses qu’il nous fait.
La vue de ce beau livre m’a tenté, et je me suis mis à relire, — oui, à relire d’un bout à l’autre, non pas les quatre Évangiles, je mentirais, mais le premier des Évangiles, celui qui est dit selon saint Matthieu ; et les idées qu’a fait naître en moi cette lecture sont telles, que je crois pouvoir les communiquer à mes lecteurs sans inconvénient ni scandale pour aucun. […] Je sais bien qu’on a plus d’une fois discuté et contesté l’originalité entière de cette morale chrétienne, telle qu’elle apparaît à la réflexion et que je l’exprime en ce moment ; on a prétendu qu’il n’y avait pas une si grande distance entre elle et les maximes des plus sages de l’Antiquité, et, pour ne parler que des plus en vue dans notre Occident, de Socrate, de Platon, de Cicéron, de Sénèque, et plus tard de Marc-Aurèle. […] considérez comment croissent les lis des champs… etc. » Nous savons tous dès l’enfance ces belles paroles, nous sommes nourris de ces innocentes et virginales images ; l’idée pourtant qui y est exprimée ou plutôt touchée si légèrement, le conseil qui y est donné d’un air si aisé et d’un si engageant appel, n’est pas seulement un renchérissement sur la nature, c’est plutôt un renversement de cette nature humaine tout égoïste et du sens commun ordinaire, en vue d’une idéale et surnaturelle perfection. […] Comment ce qui était particulier et en vue surtout d’auditeurs galiléens à l’origine est-il devenu général et universel ?
Viollet-Le-Duc qui ne sont pas trop spéciaux, j’ai pensé qu’il y avait lieu de profiter d’une circonstance qui le met tout d’un coup en vue et en contact avec le public pour expliquer à ceux qui le connaissent moins, quel il est, et l’ordre d’idées qu’il représente dans l’art, dans l’histoire et l’érudition littéraire. […] Vitet, déjà prêt par ses voyages antérieurs, devenu inspecteur général des monuments historiques après Juillet 1830, homme de verve et de science, donnait à ce genre d’études une impulsion nouvelle, en l’éclairant d’une vue plus générale et en traçant, le premier, avec vérité et largeur le cadre des époques : il a eu l’initiative. […] En architecture (puisque c’est de cela qu’il s’agit en ce moment), le Romain, qu’on ne prétend nullement déprécier parce qu’on essaye de le définir, est grand bâtisseur, et il l’est en vue surtout de l’utilité publique comme de la majesté de l’Empire ; il porte dans les monuments qu’il élève une structure puissante, logique, sensée, uniforme, qui affecte l’éternité et va de soi à la grandeur. […] Et c’est aussi ce qui rend plus merveilleux de voir que les ouvrages de Périclès aient été faits pour un si long temps et si vite : car, en ce qui est de la beauté, chacun était dès lors et tout d’abord comme antique, et, pour la fleur, aujourd’hui encore ils sont aussi frais et paraissent aussi jeunes que jamais : tellement il y fleurit je ne sais quel éclat de nouveauté qui en préserve la vue des atteintes du temps, ces ouvrages ayant en eux-mêmes un souffle d’éternelle fraîcheur et une âme secrète qui ne vieillit pas !
Pour moi, si j’avais eu à donner un avis en telle matière, j’aurais peut-être incliné pour Florus, Florus écrivain élégant et ingénieux, dont l’ouvrage est moins une narration d’histoire qu’un morceau oratoire et un panégyrique du peuple romain, mais qui y porte de la nouveauté, une vue déjà moderne et un commencement de philosophie de l’histoire. […] Velléius le justifie à nos yeux, ne fût-ce que par un endroit qui nous touche et qui mérite d’être signalé comme un exemple d’une vue déjà toute moderne. […] Elle n’avait tout son sens pour lui que par cette vue-là. […] Lui, au contraire, il présente ce spectacle unique d’un croyant solide, affermi dès l’enfance, inébranlable, imperturbable, embrassant la diversité des points de vue, la masse des arguments, mais ne s’étendant en tous sens et ne prolongeant ses vues que pour tout réduire et ramener à l’unité première dont il ne se départit jamais.
Alphonse Daudet est des plus éclatantes qu’on ait vues. […] Le moins qu’ils risquent, c’est de refaire toujours le même livre, car le champ de leurs observations, si tant y a qu’ils aient besoin d’observer, est vite parcouru ; le nombre de leurs effets est extrêmement limité ; et rien ne ressemble plus à une… oaristys vue par le côté qu’ils aiment, qu’une autre oaristys vue par le même côté. […] Voulez-vous encore des choses vues ?
Usant d’une imagination adroite et subtile, il s’emploie à donnera tous ses goûts une nourriture facticement convenable, présente à ses yeux des spectacles combinés, substitue les évocations de l’odorat à l’excercice de la vue, et remplace par les similitudes du goût certaines sensations de l’ouïe, pare son esprit de tout ce que la peinture, les lettres latines et françaises ont d’œuvres raffinées, supérieures ou décadentes, oscille dans sa recherche d’une doctrine qui systématise son hypocondrie, entre l’ascétisme morose des mystiques et l’absolu renoncement des pessimistes allemands. […] Que l’on note encore le chapitre de A Rebours, où, par une boueuse nuit d’automne, le duc erre par tout le quartier anglican de Paris, des bureaux de « Galignani » à la taverne de la rue d’Amsterdam dans Les Sœurs Vatard, le tumultueux intérieur d’atelier de femmes par un matin de paye après une nuit blanche, la plaisante énumération des manques de tenue de l’ouvrière Céline devenue la maîtresse d’un monsieur à chapeau de soie le bruissant tableau des Folies-Bergère dans les Croquis parisiens, et les vues en grisaille de certains sites dolents de la banlieue enfin, dans tous ses livres, cette qualité que M. […] Il raconte en ses couleurs, son agitation et ses clameurs, la vue du cours de Vincennes par un jour de foire, puis : « Tout cela était bien indifférent à Désirée. » Il dessine en d’admirables pages le va-et-vient, les jets de vapeur, les escarbilles volantes, la course accélérée ou contenue des locomotives, toute la vie grandiose et fantastique de la gare de l’Ouest à la tombée de la nuit, et conclut : « Anatole réfléchissait. » Mais, d’autres fois, la perfection de sa vision l’emporte au-delà de la vraisemblance. […] « En effet, c’était de la gourme, des coliques et des fièvres, des rougeoles et des gifles, dès le premier âge ; des coups de bottes et des travaux abêtissants, vers les treize ans ; des duperies de femmes, des maladies et des cocuages, dès l’âge d’homme ; c’était aussi, vers le déclin, des infirmités et des agonies, dans un dépôt de mendicité ou dans un hospice. » Et, chose singulière, cette vue exclusive des misères humaines n’inspire aux pessimistes de M.
Elle n’est rien moins que de savoir si l’émotion esthétique est quelque chose de spécial, ou si elle ne serait pas simplement une « forme inactive » de l’émotion ordinaire, chacune de nos émotions pouvant tour à tour devenir esthétique, et résulter, « avec quelque modification », de la vue ou de l’audition d’une œuvre d’art. […] Il fallait, pour toucher le fond du plaisir du beau, remonter aux perceptions mêmes, aux états perceptifs de la vue ou de l’ouïe, lesquels sont agréables ou désagréables selon la nature et le degré de l’excitation. […] Il avait été séduit des vues originales de M.
Mais cette vue, qui lui communiquerait de sa grandeur et l’envelopperait d’innocence, cette vue qui, du moins, serait une excuse à balbutier pour lui devant l’Histoire, on est obligé d’y renoncer dès qu’on étudie sérieusement le règne de ce malheureux prince, dont le pouvoir était construit sur la plus forte et la plus pure notion que les hommes aient eue jamais d’un roi, et qui aurait tout pu, jusqu’au dernier moment, s’il n’avait pas eu, dans le fond du cœur même, le honteux petit grain de sable qui, placé ailleurs, tua Cromwell. […] Voilà ce qu’il ne faut pas perdre de vue dans ce singulier continuateur.
Mais, pour nous, c’est un saint, et nous pouvons expliquer surnaturellement, non pas seulement son infaillibilité en matière de dogme, dont il n’est pas question ici, mais cette infaillibilité de vue, de dessein et didée politique qui en fait réellement un grand homme, à part parmi les plus grands ! Nous avons, nous, une lumière allumée par la foi pour voir en cet homme providentielles grâces d’état que Dieu lui a communiquées, dans les intérêts d’une fonction sans laquelle le monde périssait, mais Renée ne l’a pas, cette lumière, et pourtant il a vu cette infaillibilité et il a dit qu’il l’avait vue ! […] Et tel est, du reste, à toute page, le caractère de cette histoire, où l’historien, qui, nous l’avons dit, n’est pas catholique de foi, est catholique de vue à force d’avoir la tête politique !
Prenez, par exemple, la lettre d’Henri IV à Crillon, la lettre qui dit : « Pends-toi, brave Crillon, nous avons combattu à Arques, etc. » ; et lisez « Pendez-vous, brave Crillon, de n’avoir pas été ici près de moi, lundi dernier, à la plus belle occasion qui se soit jamais vue, etc. » ; puis un délayage de six lignes qui ne change rien au fond des choses, mais qui emporte cette adorable forme du laconisme et du tutoiement ! […] Et ce n’est pas seulement de la puérilité d’érudition, c’est de l’abaissement dans la vue. […] Mais nous voudrions que sur l’abaissement de sa vue historique il fût un peu moins rassuré.
Le livre qu’il intitule Sixte-Quint et Henri IV est une vue nouvelle, pour conduire par un chemin de plus à une conclusion déjà ancienne dans beaucoup d’esprits, c’est que la Réforme ne réforma rien, mais détruisit tout du monde qu’elle devait réformer… La Réforme, en effet, pour tous ceux qui l’ont étudiée, fut la destruction complète et violente du monde catholique, si unitairement constitué, tel qu’il était au Moyen Âge, destruction consommée par une minorité qui ne l’eût jamais accomplie si les gouvernements n’avaient donné mieux que le nombre en donnant les forces organisées de leur pouvoir à cette minorité sans eux vaincue. […] qu’il n’y en ait pas mis une autre… Henri IV a donc commis là bien évidemment une des plus grandes fautes que souverain pût commettre, même la question religieuse écartée, que l’Histoire cependant n’écartera pas, car, je le dis, en regardant bien en face les révolutions futures, ou du moins le chemin par lequel elles peuvent venir, les gouvernements doivent toujours venir à bout, quand ils le voudront, eux qui sont la force organisée, de la force qui ne l’est pas… Segretain a par des exemples nombreux et frappants fait toucher du doigt dans son histoire la bévue des gouvernements du xvie siècle qui précédèrent celui de Henri IV, lequel paracheva et fixa les conséquences de cette énorme faute, en la commettant à son tour ; et on se demande vraiment pourquoi, en lisant Segretain, qui nous met en lumière une chose qu’avant lui on n’avait pas assez vue, ce qui prouve son extrême bonne foi et son désir de justice : c’est qu’à toutes les époques de sa vie Henri IV, quelles qu’aient été ses apostasies, avait toujours été au fond de sa pensée plus catholique que protestant ! […] Assurément, l’apparence y est, mais Segretain a prouvé, avec la finesse d’une vue attentive qui prend garde à tout, que l’apparence fut une réalité.
Éternellement et partout, c’est toujours la même vue brouillée, la même oreille qui tinte, la même main incertaine qui se pose aux objets et les dérange. […] Plus vrai qu’Edgar Poe, le chasseur américain au succès21, dont le but caché est de terrasser l’imagination de son temps à l’aide de combinaisons enragées et d’excentricités réfléchies, Hoffmann n’a pas cette puissance terrible qu’avait Edgar Poe, et que du fond de ses ivresses il pensait encore à exercer ; Hoffmann, lui, perdait de vue son public comme on perd de vue les convives lorsque l’on glisse sous la table.
dépend avant tout de l’appréciation des faits sociaux qu’il convient de ne jamais perdre de vue ; M. […] Dans nos méditations même solitaires ne perdons jamais de vue l’état vrai de la nation et l’intérêt actuel de la France.
Il y a alors un tel changement à vue, que tous les rêves du somnambulisme s’abîment à la fois dans les sous-sols du théâtre cérébral, prêts à reparaître sur la scène par une nouvelle évocation. […] Ce résultat tient en partie à ce que l’attention est immédiatement fixée sur le stimulus, en partie à ce qu’il n’y a pas de sensations concurrentes du toucher ou de la vue. […] Les seules vues sur le dehors sont celles qu’ouvre la parole de l’hypnotiseur, qui se trouve ainsi l’unique évocateur et conducteur des idées. […] Dans d’autres cas, il y aurait des hallucinations collectives, où la même apparition est vue par plusieurs personnes. […] Une femme passe, par exemple, du « type visuel » au « type moteur » et réciproquement ; dès lors, la personne qui pensait tout au moyen des signes fournis par la vue semble disparaître pour faire place à celle qui se sert des signes moteurs.
Il faut qu’il connaisse de longue vue votre visage ; sinon vous êtes un mécontent. […] Mais le vrai paratonnerre fut son ambition, instruite par la vue des choses. […] Saint-Simon ne fut qu’un homme « plein de vues », c’est-à-dire romanesque comme Fénelon, quoique préservé des pastorales. […] Ce talent consiste d’abord dans la vue exacte et entière des objets absents. […] C’est à ce prix qu’est le génie ; uniquement et totalement englouti dans l’idée qui l’absorbe, il perd de vue la mesure, la décence et le respect.
Chez Mme de Noailles au contraire, les objets se présentent successivement avec tout le cortège des images qui peuvent impressionner la vue, l’ouïe, l’odorat. […] On ne saurait imaginer plus exacte correspondance entre la réalité précise vue par de certains yeux et la sensation du poète qui fixe cette réalité. […] Je ne doute pas, pourrions-nous douter que Mme Henri de Régnier l’ait vue aussi, dans sa réalité tangible, celle qui allait devenir l’Esclave de son inspiration ? […] Il est clair que, si la société comptait un grand nombre de Grâce Mirbel, les rapports sexuels, réglés en vue du mariage, et qui sont déjà difficiles, deviendraient tout à fait impossibles. […] C’est toujours l’image immortelle dont Shakespeare caractérise le charme de Cléopâtre, et partant, de toute femme qui obéit à son instinct : « Je l’ai vue une fois dans la rue sauter quarante pas à cloche-pied.
Gandar ne perd jamais de vue le but sérieux, et même quand il rêve, il ne s’en éloigne pas. […] Guigniaut, il nous expose la suite régulière de ses études, de ses excursions, de ses vues et de ses projets qu’il n’a pas tous remplis. […] Un humaniste qui a vu la Grèce n’est point en effet le même que celui qui ne l’a pas vue. […] La Fontaine et Fénelon, s’ils ne l’avaient pas vue, avaient deviné la Grèce. […] La seule vue d’un rivage de Grèce aurait averti un homme de talent de la note si discordante ; l’idée même ne lui en serait pas venue.
Vinet une occasion naturelle de développer ses propres vues, et d’exposer dans Pascal l’homme et le chrétien. […] On ne sait pas assez en France qu’il y a eu en février 1845, dans le petit canton de Vaud, une révolution du genre de celle dont Genève s’est vue le théâtre en octobre 1846, mais une révolution plus radicale et sans aucun contre-poids.
Quoi qu’il en soit de ce rigorisme qui doit après tout moins exciter le blâme que le regret, on trouve d’ailleurs dans son livre des détails sur l’armée et sur l’émigration, d’où ressortent des vues générales assez curieuses, ce nous semble, et qu’on ne saurait trop rappeler. […] Le tableau qu’il trace de l’émigration se recommande aussi par des vues sages et modérées.
Gresset, Piron et Destouches ne se sont point proposé des sujets de pure invention et comme en l’air ; ils ont eu en vue même dans ces portraits généraux, quelque travers, quelque ridicule, qui passait alors non loin d’eux à portée du rire. […] Mais ce que nous voudrions surtout suggérer à un talent aussi net et aussi naturel d’expression, aussi tourné par vocation, ce semble, aux choses de théâtre, ce serait d’agrandir, avant tout, le champ de son observation, non pas de vieillir (cela se fait tout seul et sans qu’on se le dise), mais de vivre, de se répandre hors du cercle de ses jeunes contemporains, de voir le monde étendu, confus, de tout rang, le monde actuel tel qu’il est, de le voir, non pas à titre de jeune auteur déjà en vue soi-même, mais d’une manière plus humble, plus sûre, plus favorable au coup d’œil, et comme quelqu’un de la foule ; c’est le meilleur moyen d’en sortir ensuite avec son butin, et de dire un jour à quelque ridicule, à quelque vice pris sur le fait : Le voilà !
Au reste, les détracteurs de Boileau lui font un crime des traits qu’il s’est permis contre ce Poëte, comme s’ils pouvoient ignorer que Boileau n’avoit en vue [ainsi qu’il est aisé de s’en convaincre par les Notes de son Commentateur] que les Tragédies non lyriques de Quinault, qui en effet sont médiocres. […] D’ailleurs, Boileau, nous le répétons, n’avoit en vue que les Tragédies de Quinault, & rendoit justice à ses autres Ouvrages, comme il s’en explique lui-même dans une de ses Préfaces.
Il fut témoin de cette rentrée lugubre du cardinal ; il vit cette vaste litière rouge, entourée de hallebardiers, qui dérobait au peuple la vue de ce dur vieillard, déjà pâle des approches de la mort. […] Pour les écrivains profanes, il les étudiait avec d’autant moins de scrupules que son but était pieux ; il cherchait dès lors, dans l’histoire de l’antiquité païenne, les vues de Dieu pour l’établissement du christianisme. […] On a surtout en vue celui des ouvrages de Bossuet où il a regardé la vie humaine avec le plus de complaisance. […] Peut-être y aurait-il profit à étudier dans la même vue toutes les querelles, soit philosophiques, soit théologiques, qui ont occupé le dix-septième siècle. […] En cet état, l’âme, absorbée dans une contemplation sans fin, devenait indifférente même à sa condamnation éternelle, pour peu qu’elle la crût dans les vues de Dieu, et y souscrivait avec une sorte de joie.
Mais il me paraît presque impossible qu’un homme placé au-dessus des autres hommes, un conducteur de peuples, n’ait jamais de vues supérieures à son intérêt personnel, du moins dans les choses où cet intérêt se confond avec l’intérêt général. […] Il y a apparence qu’il n’était pas, à tous les instants de sa vie, et dans les proportions énormes qu’on a vues, l’effrayant condottiere échappé de l’Italie du quinzième siècle. […] Au reste, je m’attachais moins à discuter la vérité de l’inhumaine et surhumaine figure tracée par l’historien qu’à démêler comment et pourquoi il l’avait vue ainsi. […] Alors il redouble ses investigations ; il cherche un endroit où puisse s’appliquer son microscope ; il trouve une explication qui rabaisse, à la portée de sa vue, la grandeur dont l’aspect l’avait d’abord offusqué, etc. » Rien de plus faux, à mon sens, que ce jugement. […] Taine n’est en effet qu’un entomologiste, un myope, uniquement attentif aux petites choses, comme si, au contraire, cette comparaison n’impliquait pas une vue très générale sur l’histoire de la Révolution.
Puis il prie les anges de lui inspirer un peu de leur esprit, afin, dit-il, … qu’à vue ouverte Je puisse avoir vesrité découverte, Pour faire entendre à tout le moins aux miens La différence et des maux et des biens ; Et comme ils sont l’autre et l’un desguïsés Pour imposer mesme aux plus advisés ; Car ce savoir sans autre art et estude Est le chemin de la béatitude. […] Le mérite en est si grand qu’il ne saurait être diminué par les erreurs que Du Bellay mêle à ces vues et notamment par le conseil d’imiter les modernes. […] Henri Estienne avait une vue plus juste, quand, peu d’années après Du Bellay, il attaquait l’imitation de la littérature italienne. […] On pourrait extraire quelques beaux vers des Antiquités de Rome ; sorte de chant dans lequel la vue des ruines fait faire au poète un retour sur lui-même. […] Le poëte de génie, celui qui a le don de voir d’une vue claire et d’exprimer en termes durables la vérité, se voit lui-même tout d’abord et tel qu’il est ; et, soit qu’il s’approuve ou se blâme, il ne tire que de lui-même l’opinion qu’il a de ses ouvrages.
Ayant quitté Rome avec ses parents en 1831, elle passa le reste de son enfance et sa première jeunesse à Florence ; elle acheva de s’y nourrir et de s’y former dans la vue du beau ; elle copiait dans la galerie les chefs-d’œuvre des maîtres. […] Elle a fondé un établissement qui porte son nom, destiné aux jeunes filles incurables. — Il faut l’avoir vue, me dit-on, au milieu de cette enfance, partout ailleurs aimable, ici disgraciée, qui n’a que des laideurs et des misères à offrir : elle apparaît et console. — Sa maison est une sorte de ministère des grâces. […] Elle a senti tout le prix et toute l’intention de ce sympathique accueil, et elle en a rapporté l’hommage à qui de droit, à celui qui, du fond de sa prudence, ne perd pas un seul instant de vue la consommation et la confirmation d’un si bel ouvrage.
Nisard est une de ces rares constructions qui sont nées d’une idée, d’un dessein médité, et dont toutes les parties unies et conjointes, en parfait rapport entre elles, attestent la force de la conception, une exécution aussi ferme qu’ingénieuse, de grandes ressources de vues et d’aperçus, et une extrême habileté de style, enfin une forme originale de la critique. […] Voilà pourquoi il est toujours très délicat à un critique qui a des procédés et des habitudes marquées de venir se prononcer sur la valeur absolue du procédé d’un autre critique, son contemporain et son confrère, si ce dernier a de son côté, une vue ferme, complexe mais arrêtée, et qui, s’appliquant à chaque point d’un vaste sujet, l’embrasse, le serre, le transpose même au besoin, et prétend à en tirer non seulement une impression et une image, mais une preuve et une conclusion. […] Sur Fontenelle, sur Lamotte, que de vues fines, de distinctions précises et pénétrantes !
C’est surtout, en un mot, l’emploi de nos facultés intérieures que, sans nous en rendre compte, nous cherchons au dehors dans les choses, et qui nous dirige jusque dans la vue que nous en tirons. Que si cette vue, d’ailleurs, concorde assez bien avec les circonstances éparses, si seulement ces circonstances s’y prêtent et que le talent soit doué d’assez de puissance, non pas pour les créer (à lui seul il n’y suffirait pas), mais pour les rallier en faisceau, il en résulte les grands succès. […] Cousin a pris soin de compléter et d’orner, avec sa curiosité littéraire actuelle, ses vues fidèlement reproduites d’alors : des biographies neuves donnent la main aux analyses ; il en résulte pour des parties entières de ce Cours (je demande pardon du terme de l’éloge) un ensemble tout à fait charmant.
Mais j’aurai de plus, au lieu de l’image indécise et illimitée que me suggérait Buffon, la vue intérieure, nette et lumineuse, d’un paysage où se localisent avec précision les caractères généraux du désert. […] Entendons-nous : il faut l’avoir vue, mais il n’est pas toujours bon de l’avoir sous les yeux, au moment d’écrire : la volonté de la peindre vous gênerait, vous verriez tout, rien ne se détacherait. […] Après un intervalle de temps, vous le regarderez en vous-même, vous en évoquerez l’image : incomplète, fragmentée, déformée, elle ramènera l’émotion, l’idée, que la vue involontaire, le choc inattendu de la réalité vous avaient imposées : ce lambeau d’image qui s’est accroché inconsciemment dans votre esprit, c’est précisément ce qu’il y a pour vous de caractéristique dans l’objet, c’est ce que la description doit éclairer.
On en trouve des exemples innombrables dans les perceptions acquises de la vue. […] Nous entendons que nos perceptions ont rapport à quelque chose qui existe, même quand nous n’y pensons pas, qui a existé avant que nous y ayons pensé, qui existerait quand même nous serions anéantis ; nous entendons qu’il existe des choses que nous n’avons jamais vues, touchées, ni aperçues, ni nous, ni aucun autre homme. […] Laissez-nous donc simplement faire disparaître par la pensée ce support et supposer que les phénomènes restent, et forment les mêmes groupes et les mêmes séries, grâce à quelque autre agent ou même sans aucun agent, si ce n’est une loi interne, et nous arriverons, sans substance, aux conséquences en vue desquelles la substance était supposée.
Il dédaigne l’histoire vue de niveau pour l’histoire vue d’en haut, l’histoire qui marche pour l’histoire qui plane, l’histoire qui développe et déduit pour l’histoire qui résume. […] À travers ses compilations d’histoire et de voyages, écrites sans expression et sans couleur et où un déisme insignifiant est affirmé comme pour couvrir des marchandises suspectes, on sent le libre penseur qui, au tournant d’une phrase, salue presque respectueusement le honteux, grotesque et simiesque Darwin, — la Bête du temps, — et on croit ailleurs deviner çà et là le positiviste très peu positif qui se dissimule… Au vague de son esprit, sans conclusion comme sans vue fixe, Faliés ajoute le vague des doctrines, et si, parmi les civilisations qu’il pouvait étudier et dont il a oublié les principales, il a choisi (pour parler comme lui) les civilisations américaines, c’est qu’il a obéi — la chose n’est pas plus grosse que cela — au hasard de ses lectures et à la préférence de ses admirations.
à part l’imprévu déconcertant de la forme, nous avons vu souvent passer dans les publications contemporaines les idées qui traversent le livre de Vacquerie, mais jamais nulle part nous ne les avons vues avec cette bouffissure, cette contorsion, ce déhanché, ces airs simiesques. […] IV La biographie en question, qui termine, dans une gloire, le volume de Profils et Grimaces, quoique écrite évidemment en vue du public a pris la forme, adroite du reste (mais Vacquerie se soucie bien d’être adroit !) […] Vacquerie raconte au monde la famille de son maître en littérature, mais, tout en nous donnant cette vue d’histoire, il continue d’être lui-même (heureusement !)
Elle est aussi dans cette philosophie de l’histoire qu’on trouve dès 1849 dans la lettre, datée de Berlin, à M. de Montalembert, et qui est d’ailleurs la vue génératrice de toutes les vérités de l’Essai, lesquelles sont nombreuses. Cette vue exprimée et développée déjà par Donoso Cortès, et qu’il démontre, à savoir : le triomphe naturel du mal sur le bien, et le triomphe surnaturel de Dieu sur le mal, par le moyen d’une action directe, personnelle et souveraine, n’avait jamais été formulée avec cette plénitude et cette vigueur. C’est dans la radieuse clarté de cette vue complète que Donoso écrivit l’Essai, qui est tout ensemble la plus profonde apologie du dogme catholique et une attaque contre les doctrines contemporaines dont le but est d’abattre ce dogme et de le ruiner.
Nous montrer les côtés faibles ou mauvais d’une grande œuvre qui noie ses défauts dans une splendeur éblouissante, appliquer une vue de lynx sur cette vue d’aigle qui a embrassé tant d’objets, mais à laquelle beaucoup ont pu échapper, signaler enfin dans l’homme le plus imposant la petitesse humaine qui doit empêcher l’idolâtrie, c’est là une entreprise qui a son mérite, ses difficultés, sa valeur. […] Après cette vue d’ensemble sur l’homme et son œuvre, M.