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56. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre V. Jean-Jacques Rousseau »

Mais chacun de nous, dans la vie même, peut refaire en lui l’homme naturel. […] Voilà les principes naturels de l’état social ; et tout l’effort doit tendre, non pas à détruire les sociétés actuellement existantes, mais à les réduire au type idéal ; tous les abus, toutes les misères, toute l’oppression disparaîtraient dans cette réduction, et l’organisation politique, avec les mœurs qui en découlent, ne pervertirait plus l’homme naturel. […] Rousseau nous l’a dit : l’homme naturel, c’est lui. […] Et son vrai maître de droit politique, mieux que Montesquieu, ce sera le professeur de Genève Burlamaqui, qui enseignait la liberté et l’égalité naturelles. […] La société n’est-elle pas un fait naturel, donc bonne si la nature est bonne ?

57. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Maucroix, l’ami de La Fontaine. Ses Œuvres diverses publiées par M. Louis Paris. » pp. 217-234

Les défauts de Maucroix, comme ceux de La Fontaine, étaient purement naturels, et jusque dans leur malice ou leur licence gardaient de la bonhomie. […] Son grand travail, en quelques endroits qu’il a tâché de polir, ne sert qu’à mieux faire voir qu’il n’est point naturel. » Maucroix, en deux ou trois pièces, a précisément ce naturel joint au poli, et qui fait de lui plutôt un disciple de Racan. […] Les lettres qu’il écrit durant le temps de ce séjour à Paris à son ami le chanoine Favart nous peignent à ravir et au naturel sa situation d’esprit : « Vous connaîtrez, si je ne me trompe, au style de cette lettre, dit-il dès les premiers jours, que je suis un peu sombre ; il est vrai que je le suis : que sert de dissimuler ? […] On a tout Maucroix au naturel dans ces lettres où il écrit moins qu’il ne cause ; je n’omets que les historiettes qui se glissent trop gaiement sous sa plume les jours où, sortant de l’Assemblée, il avait causé avec Tallemant des Réaux : il se hâte d’en régaler ses amis de Reims. […] Louis Paris paraît croire qu’il faut écrire hombre le jeu de cartes, au lieu d’ombre ; mais j’aime mieux ce dernier sens tout naturel et si d’accord avec les goûts de Maucroix, umbratilis vita.

58. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « La Fontaine. » pp. 518-536

Il était l’homme de l’instinct, du génie naturel, des penchants divers et abandonnés ; on le pourrait définir le plus naturel des hommes, et qui n’avait toute sa réflexion que quand il rêvait. […] Ces premières poésies légères de La Fontaine sont dans le goût de Voiture et de Sarrasin et ne s’élèvent guère au-dessus des agréables productions de ces deux beaux esprits ; on sent seulement que chez lui le flot est plus abondant et plus naturel. […] C’est après tout, et sous une forme assez naturelle, le combat des dieux nouveaux contre les dieux anciens. […] Je ferai remarquer encore qu’il y a sous l’idéal de Bernardin de Saint-Pierre un arrière-fond de réalité, comme il convient à un homme qui a beaucoup vécu de la vie pauvre et naturelle. […] Sortira-t-il de la lutte amoindri et tant soit peu diminué en définitive, et cette belle poésie première de Lamartine, qui a excité tant d’émotions, fera-t-elle baisser d’un cran la sienne, si naturelle, si précise et si parlante ?

59. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — L’inter-nationalisme »

Pourquoi dès lors ne pas accepter dans le langage courant, un terme qui exprime un fait essentiellement naturel, normal et universel ? […] Si l’on y voit une fusion complète des corps sociaux en une seule nation, la nation humaine, si l’on envisage les affinités d’individus et de groupes sous la forme d’un collectivisme universel, il est naturel que cette expression paraisse absurde ; mais il s’agit de toute autre chose. […] Le génie est l’allié naturel du génie. […] Au dessus des antipathies, des rivalités, des haines, au tréfonds des cœurs, il y a évidemment une sympathie naturelle d’homme à homme, ordinairement inconsciente et inaperçue, mais qui parfois s’épanouit de la sorte la plus inattendue. […] Le but vital de l’homme, pris dans l’ensemble, étant au fond semblable à celui de son voisin, il est naturel que les chemins qu’ils parcourent pour y atteindre soient parallèles et parfois confondus.

60. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Introduction »

Wallace, qui étudie actuellement l’histoire naturelle de l’archipel malais, est arrivé presque exactement aux mêmes conclusions que moi sur l’origine des espèces. […] Quand on réfléchit à ce problème de l’origine des espèces, en tenant compte des rapports mutuels des êtres organisés, de leurs relations embryologiques, de leur distribution géographique et d’autres faits analogues, il semble naturel tout d’abord qu’un naturaliste arrive à conclure que chaque espèce ne peut avoir été créée indépendamment, mais doit descendre, comme les variétés, d’autres espèces. […] Il sera traité assez longuement de ce principe fondamental de sélection naturelle dans le quatrième chapitre ; et nous verrons comment cette sélection naturelle cause presque inévitablement de fréquentes extinctions d’espèces parmi les formés de vie moins parfaites, et conduit à ce que j’ai nommé la divergence des caractères. […] Enfin, je suis convaincu que le mode principal, mais non pas exclusif de leurs modifications successives, c’est ce que j’ai nommé la Loi de sélection naturelle.

61. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Troisième faculté d’une Université. Faculté de droit. » pp. 506-510

Elle sera composée de huit professeurs : 1° Un professeur de droit naturel ; 2° Un professeur en histoire de législation ; 3° Un professeur d’institutions du droit des gens ; 4° Un professeur des Institutes de Justinien ; 5° et 6° Deux professeurs du droit civil national ; 7° Un professeur du droit ecclésiastique en général et du même droit national ; 8° Un professeur de procédure civile et criminelle. […] Ils suivront le professeur de droit naturel et celui de l’histoire de la législation. Le professeur de droit naturel ne s’en tiendra pas à des éléments ; il portera l’enseignement beaucoup plus loin que les élèves ne l’ont reçu dans le cours de morale qui a précédé celui de leur entrée dans cette école. Il prendra pour guides : L’ouvrage de Puffendorff intitulé des Devoirs de l’homme et du citoyen, de Officio hominis et civis ; ou revenir sur Le Droit naturel de Burlamaqui. […] Quel homme plus propre à servir dans le département des affaires étrangères que l’émérite dans le droit naturel et le droit des gens ?

62. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Seconde faculté d’une Université. Faculté de médecine. » pp. 497-505

En suivant le cours des beaux-arts, les élèves ont pris une teinture élémentaire d’histoire naturelle et de chimie. […] L’histoire naturelle et la chimie exigent deux nouvelles chaires. […] L’histoire naturelle et la chimie. Les professeurs d’histoire naturelle et de chimie donneront leurs leçons conjointement, l’un le matin, l’autre l’aprèsmidi. […] Les deux premières, les étudiants suivront les leçons des professeurs d’histoire naturelle et de chimie, celles du professeur d’anatomie, et ne se livreront point à d’autres études.

63. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 18, reflexions sur les avantages et sur les inconveniens qui resultoient de la déclamation composée des anciens » pp. 309-323

Mais, me dira-t’on, nous avons plusieurs comediens intelligens dans leur art, et qui peuvent en composant eux-mêmes la déclamation de leurs rolles, par rapport à leurs talens naturels, y jetter des beautez et des agrémens qu’un autre qu’eux n’y pourroit pas mettre. […] Leur jeu ne sçauroit être naturel, et du moins il doit devenir froid. […] En premier lieu, comme les acteurs qui recitent des opera ne laissent pas d’être touchez eux-mêmes en recitant, comme l’assujetissement où ils sont de suivre la note et la mesure ne les empêche point de s’animer, et par consequent de déclamer avec une action aisée et naturelle, de même l’assujetissement à suivre une déclamation notée dans laquelle étoient les acteurs des anciens, n’empêchoit pas ces acteurs de se mettre à la place du personnage qu’ils representoient. […] Il semble que les regles qu’on a étudiées alors deviennent en nous une portion de la lumiere naturelle. Quintilien répond à ceux qui prétendoient que l’orateur qui ne suivoit que sa vivacité et son enthousiasme en déclamant, devoit être plus touchant qu’un orateur qui regloit son action et ses gestes prémeditez sur les préceptes de l’art ; que c’est blâmer tout genre d’étude que de penser ainsi ; et que la culture embellit toujours le naturel le plus heureux.

64. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « Remarques finales. Mécanique et mystique »

On a eu tort de dire « Chassez le naturel, il revient au galop », car le naturel ne se laisse pas chasser. […] Mais comment le retrouver, puisque l’acquis recouvre le naturel ? […] Quel sera donc, en ce sens précis, son régime naturel ? […] De la société naturelle nous venons en effet d’indiquer quelques traits. […] L’invention mécanique est un don naturel.

65. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre III. Molière »

quel charmant naturel dans le tracas de ces pères, de ces fils, de ces femmes ! […] Il est naturel que ceux qui ont eu part au bonheur laissent s’approcher les autres de la table : c’est la loi que les enfants aient leur tour après les parents. […] Sans vouloir forcer les choses, il y a dans le Misanthrope comme un germe de la fameuse antithèse de l’homme social et de l’homme naturel qui s’épanouira à travers l’œuvre de J. […] Regardez le Joueur : il est naturel qu’un joueur oublie sa maîtresse, quand la chance le favorise, naturel aussi qu’il se retourne avec attendrissement vers elle, quand il est décavé, en jurant de ne plus jouer. […] Il a porté cette vérité même dans son jeu, qu’il a rendu le plus naturel possible.

66. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre III. Combinaison des deux éléments. »

Ainsi, dans toute société, la religion est un organe à la fois précieux et naturel. […] Sous les religions positives qui sont fausses, il y a la religion naturelle qui est vraie. […] Le premier intérêt de l’homme sain est de s’en délivrer, d’écarter toute superstition, toute « crainte de puissances invisibles398 »  Alors seulement il peut fonder une morale, démêler « la loi naturelle ». […] Pascal, Pensées (sur l’origine de la propriété et des rangs), Provinciales (sur l’homicide et le droit de tuer). — Nicole, Deuxième traité de la charité et de l’amour-propre (sur l’homme naturel et le but de la société). […] « La société est naturelle à l’espèce humaine, comme la décrépitude à l’individu.

67. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre II : Règles relatives à l’observation des faits sociaux »

Cette manière de procéder est si conforme à la pente naturelle de notre esprit qu’on la retrouve même à l’origine des sciences physiques. […] S’il en a été ainsi des sciences naturelles, à plus forte raison en devait-il être de même pour la sociologie. […] Comte, il est vrai, a proclamé que les phénomènes sociaux sont des faits naturels, soumis à des lois naturelles. […] Elles sont naturelles, si l’on veut, en ce sens qu’elles énoncent les moyens qu’il est ou qu’il peut paraître naturel d’employer pour atteindre telle fin supposée ; mais elles ne doivent pas être appelées de ce nom, si, par loi naturelle, on entend toute manière d’être de la nature, inductivement constatée. […] En zoologie, les formes spéciales aux espèces inférieures ne sont pas regardées comme moins naturelles que celles qui se répètent à tous les degrés de l’échelle animale.

68. (1892) Boileau « Chapitre IV. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » » pp. 89-120

Ce don naturel, cette faculté créatrice que donne « l’influence secrète du ciel », n’est-ce pas l’imagination ? […] La poésie est un art, et la vérité n’y est pas d’un autre ordre qu’en peinture et en sculpture : c’est la vérité de l’imitation, la conformité de la représentation figurée au modèle naturel. […] Toute réalité dégage un charme naturel, qu’il ne tient qu’à l’art d’exprimer. […] Un artiste aime la brutalité des passions naturelles, comme il admire le dessin d’un os ou la saillie d’un muscle. […] Il attribue une valeur absolue à des choses toutes relatives, et s’imagine trop facilement que la vérité et le naturel d’Athènes seront aussi vérité et naturel à Paris.

69. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Florian. (Fables illustrées.) » pp. 229-248

Le Bon Ménage, Les Jumeaux de Bergame, paraissaient à Grimm de très jolies miniatures, qui faisaient ressouvenir de Marivaux, mais où le naturel prévalait. […] Cette suite d’Arlequins pris à des moments et à des âges différents fait une série de jolies pièces, où les mots naturels, gais et fins, sont abondamment semés. […] Le talent de Florian s’y montre au complet, avec son naturel gracieux, sa diction facile et spirituelle, avec une morale aimable et bienveillante, mais qui n’exclut ni la raillerie, ni la malice. […] La fable est un genre naturel, une forme d’invention inhérente à l’esprit de l’homme, et elle se retrouve en tous lieux et en tous pays. […] Les qualités du fabuliste sont naturelles chez Florian : il a la fertilité de l’invention, et les images lui viennent sans effort.

70. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre X. De la littérature italienne et espagnole » pp. 228-255

J’appelle philosophie, l’investigation du principe de toutes les institutions politiques et religieuses, l’analyse des caractères et des événements historiques, enfin l’étude du cœur humain, et des droits naturels de l’homme. […] Ainsi donc les mêmes causes qui faisaient renaître les lettres en Italie, s’opposaient au développement de la raison naturelle. […] Quand ils veulent renoncer à leur talent naturel, à l’esprit comique, pour essayer de l’éloquence oratoire, ils ont presque toujours de l’affectation. […] L’Europe, et en particulier la France, ont failli perdre tous les avantages du génie naturel par l’imitation des écrivains de l’Italie. […] Il est dans leur caractère de se réveiller tout à coup par ce sentiment au milieu de la mollesse habituelle de leur vie ; ils expriment le ressentiment avec ses couleurs naturelles, parce qu’ils l’éprouvent réellement.

71. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVI. Buffon »

Et lorsque je dis l’un des premiers hommes du dix-huitième siècle, ce n’est pas assez ; c’est le premier qu’il faudrait dire, car dans l’ordre religieux, supérieur à tout, Joseph de Maistre et Bonald doivent être comptés comme étant du dix-neuvième siècle, et dans les sciences naturelles, Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire en sont aussi. […] Ce furent l’abbé Bexon, Gueneau de Montbéliard, Daubenton, ses lieutenants en histoire naturelle, auxquels il découpait le monde pour leur en donner à chacun une province à lui décrire et à lui rapporter. […] Flourens, est d’avoir fondé la partie descriptive et historique des sciences naturelles. […] Flourens, mais la description naturelle, — l’art de peindre avec des mots, — et qui, dans l’ordre hiérarchique de cet art nouveau précéda immédiatement Chateaubriand, lequel commença sa carrière d’écrivain par être aussi naturaliste. […] Quand les sciences naturelles, qui sont d’hier, auront grandi et seront développées, Buffon en sera probablement l’Hésiode, — un Hésiode dont les hypothèses seront les fables, — mais qui seront inviolables au Temps, sous la garde d’un langage assez beau pour être immortel.

72. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 46, quelques refléxions sur la musique des italiens, que les italiens n’ont cultivé cet art qu’après les françois et les flamands » pp. 464-478

En effet, le chant des paroles doit imiter le langage naturel des passions humaines, plûtôt que le chant des tarins et des sereins de Canarie, lequel notre musique s’attache tant à contrefaire avec ses passages et ses cadences si vantées. […] Notre musique est donc aujourd’hui si chargée de colifichets, qu’à peine y reconnoît-on quelque trace de l’expression naturelle. […] Roland Lassé étoit françois, ainsi que la plûpart des musiciens citez par Guichardin, à prendre le nom de françois dans sa signification la plus naturelle, qui est de signifier tous les peuples dont la langue maternelle est le françois, sous quelque domination qu’ils soient nez. Comme un homme né à Strasbourg est allemand, quoi qu’il soit né sujet du roi de France, de même un homme né à Mons en Hainault est françois, quoiqu’il soit né sujet d’un autre prince, parce que la langue françoise est dans le Hainault la langue naturelle du païs. […] Ainsi qu’il est plusieurs personnes, qui pour être trop sensibles à la musique, s’en tiennent aux agrémens du chant, comme à la richesse des accords, et qui éxigent d’un compositeur qu’il sacrifie tout à ces beautez, il est aussi des hommes tellement insensibles à la musique, et dont l’oreille, pour me servir de cette expression, est tellement éloignée du coeur, que les chants les plus naturels ne les touchent pas.

73. (1890) Nouvelles questions de critique

C’est tout simplement une pitié que le désordre et la confusion des éditions que nous avons de l’Histoire naturelle. […] Et c’est au contraire ce qui rentre, ainsi que nous le disions tout à l’heure, dans la compétence naturelle de l’Académie française. […] S’ils y réfléchissaient davantage, ils n’y verraient rien que de naturel, et même de nécessaire. […] En effet, quelques-unes des plus graves « erreurs » de Buffon, de ce que l’on appelait ses « erreurs », à l’époque où l’histoire naturelle de Cuvier régnait souverainement dans l’école, on les a vues redevenir des « vérités », depuis que l’histoire naturelle de Cuvier a elle-même été remplacée par celle de Darwin et d’Haeckel. […] Si la critique n’était que « l’histoire naturelle des esprits », il faudrait encore qu’elle fît ses réserves, et même en présence d’un Hugo.

74. (1868) Curiosités esthétiques « V. Salon de 1859 » pp. 245-358

Chez nous le peintre naturel, comme le poëte naturel, est presque un monstre. […] Je veux parler de la grimace naturelle et professionnelle qui appartient à chacun. […] Il est donc naturel que j’aie peu d’échantillons à citer. […] » Au lieu d’extraire simplement la poésie naturelle de son sujet, M.  […] Quand le but naturel d’un art est méconnu, il est naturel d’appeler à son secours tous les moyens étrangers à cet art.

75. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre III. Coup d’œil sur le monde politique, ancien et moderne, considéré relativement au but de la science nouvelle » pp. 371-375

Les Carthaginois furent arrêtés de bonne heure dans cette carrière par la subtilité naturelle de l’esprit africain, encore augmentée par les habitudes du commerce maritime. […] Les trois formes de gouvernement se succédèrent chez eux conformément à l’ordre naturel ; l’aristocratie dura jusqu’aux lois Publilia et Petilia, la liberté populaire jusqu’à Auguste, la monarchie tant qu’il fut humainement possible de résister aux causes intérieures et extérieures qui détruisent un tel état politique. […] S’il est encore des nations barbares dans les parties les plus reculées du nord et du midi, c’est que la nature y favorise peu l’espèce humaine, et que l’instinct naturel de l’humanité y a été longtemps dominé par des religions farouches et bizarres. — Nous voyons d’abord au septentrion le czar de Moscovie qui est à la vérité chrétien, mais qui commande à des hommes d’un esprit lent et paresseux. — Le kan de Tartarie, qui a réuni à son vaste empire celui de la Chine, gouverne un peuple efféminé, tels que le furent les seres des anciens. — Le négus d’Éthiopie, et les rois de Fez et de Maroc règnent sur des peuples faibles et peu nombreux. […] Celles du Nord, comme la Suède et le Danemark il y a un siècle et demi, et comme aujourd’hui encore la Pologne et l’Angleterre, semblent soumises à un gouvernement aristocratique ; mais si quelque obstacle extraordinaire n’arrête la marche naturelle des choses, elles deviendront des monarchies pures. — Cette partie du monde plus éclairée a aussi plus d’états populaires que nous n’en voyons dans les trois autres.

76. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre V. Autres preuves tirées des caractères propres aux aristocraties héroïques. — Garde des limites, des ordres politiques, des lois » pp. 321-333

Ce droit répondrait tout à fait au jus quiritium Romanorum, que nous avons prouvé avoir été le droit naturel commun à toutes les nations héroïques. […] La loi reconnaissant libre quiconque naissait dans la cité ; sous de telles circonstances, le droit naturel changea de dénomination ; dans les aristocraties, il était appelé droit des gens, dans le sens du latin gentes, maisons nobles [pour lesquelles ce droit était une sorte de propriété] ; mais lorsque s’établirent les démocraties, où les nations entières sont souveraines, et ensuite les monarchies, où les monarques représentent les nations entières dont leurs sujets sont les membres, il fut nommé droit naturel des nations. […] Tant les esprits sont disposés à reconnaître docilement l’équité naturelle sous les gouvernements humains ! […] Or rien de plus conforme à l’équité naturelle que les privilèges qui sont mérités. […] Mais lorsqu’ensuite se formèrent les monarchies modernes, lorsque reparut dans plusieurs cités la liberté populaire, le droit romain compris dans les livres de Justinien fut reçu généralement, en sorte que Grotius affirme que c’est un droit naturel des gens pour les Européens.

77. (1895) De l’idée de loi naturelle dans la science et la philosophie contemporaines pp. 5-143

Une telle classification est nécessairement unique : c’est la classification naturelle. […] Déjà Kant, dans son Histoire naturelle du Ciel, déduit la genèse du monde. […] Par elle se produit mécaniquement une sélection naturelle analogue à la sélection artificielle. […] Il identifie la sélection naturelle avec la sélection artificielle. […] C’est là, selon Condorcet, l’effet d’une loi naturelle indépendante de la volonté humaine.

78. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Discours sur le système et la vie de Vico » pp. -

Il était naturel que cette protestation partît de l’Italie. […] Ce caractère est surtout sensible dans tout ce qui touche le droit naturel. […] N’essayons pas d’expliquer cette uniformité du droit naturel en supposant qu’un peuple l’a communiqué à tous les autres. […] Leur origine fut naturelle, leur signification doit être fondée en nature. […] Revêtu d’un pouvoir sans bornes, il consulte non la loi, mais l’équité naturelle.

79. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Adrienne Le Couvreur. » pp. 199-220

En prenant le costume de reine, elle en prenait aussi le ton, c’est-à-dire qu’elle y parlait au naturel, sans faste, sans se croire obligée, comme faisaient les autres, de racheter par une solennité de commande ce qui avait manqué jusque-là dans le costume. […] Il ne paraît pas que, hors de la scène, elle eût des beautés bien frappantes et bien extraordinaires ; mais elle en avait l’ajustement naturel, l’ensemble et l’harmonie. […] Molière veut que, même dans la tragédie, on parle naturellement, humainement ; la difficulté est de concilier avec la parfaite dignité et la noblesse ce naturel qui ne peut être ici qu’un naturel très travaillé et très savant. […]  » Pressé sur ses raisons, il ne fit pas difficulté de les dire, et une longue amitié s’ensuivit, durant laquelle le philosophe modeste n’épargna pas d’utiles conseils, des conseils qui se rapportaient tous à la vérité, au naturel, à la propriété de l’expression. […] Il nous peint en termes naturels l’étonnement et la douleur qu’elle témoigna à cette première nouvelle.

80. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre III : Concurrence vitale »

Ses effets sur la sélection naturelle. — II, Ce terme doit être employé dans une large acception. — III. […] Effets de la concurrence vitale sur la sélection naturelle. — Avant d’aborder le sujet de ce chapitre, je dois faire quelques observations préliminaires sur la manière dont la concurrence vitale appuie le principe de sélection naturelle. […] — Les causes qui mettent obstacle à la tendance naturelle des espèces à se multiplier sont fort obscures. […] Pourquoi chaque forme végétale ne multiplie-t-elle pas dans toute l’étendue de sa région naturelle, jusqu’à doubler ou quadrupler le nombre de ses représentants ?

81. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. Causes physiologiques et psychologiques du plaisir et de la douleur »

Part du mécanisme et de la sélection naturelle dans l’évolution du plaisir et de la douleur. […] — Nous allons voir que ce lien existe en effet, et qu’il existe avant l’influence extérieure de la sélection naturelle. […] La sélection naturelle est donc une loi de travail, de dépense incessante : — Travaille ou meurs. […] La sélection naturelle se fait en faveur des races qui savent accumuler leurs forces par la modération même. […] L’action, enfin, doit toujours se trouver en rapport avec la forme même des organes, produit de la sélection naturelle.

82. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIV. De la plaisanterie anglaise » pp. 296-306

Dans les pièces même telles que L’Avare, Le Tartufe, Le Misanthrope, qui peignent la nature humaine de tous les pays, il y a des plaisanteries délicates, des nuances d’amour-propre, que les Anglais ne remarqueraient seulement pas ; ils ne s’y reconnaîtraient point, quelque naturelles qu’elles soient ; ils ne se savent pas eux-mêmes avec tant de détails ; les passions profondes et les occupations importantes leur ont fait prendre la vie plus en masse. Il y a quelquefois dans Congrève de l’esprit subtil et des plaisanteries fortes ; mais aucun sentiment naturel n’y est peint. […] Mais comme les antithèses ne composent pas seules l’éloquence, les contrastes ne sont pas les seuls secrets de la gaieté ; et il y a, dans la gaieté de quelques auteurs français, quelque chose de plus naturel et de plus inexplicable : la pensée peut l’analyser, mais la pensée seule ne la produit pas ; c’est une sorte d’électricité communiquée par l’esprit général de la nation. […] Il existe cependant une sorte de gaieté dans quelques écrits anglais, qui a tous les caractères de l’originalité et du naturel. […] Nous avons parlé des malheurs qui sont résultés pour les Athéniens de leur goût immodéré pour la plaisanterie ; et la France nous fournirait un grand exemple à l’appui de celui-là, si la puissance des événements de la révolution avait laissé les caractères à leur développement naturel.

83. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre III. Buffon »

Sa dignité, en un siècle de laisser aller et de débraillé, avait sa source dans l’élévation naturelle de son âme ; il n’affectait rien ; et nous devons nous défier de la légende qui s’est attachée à son nom. […] Il trouve sa voie en 1739, après qu’il a été nommé Intendant du jardin du roi : il se tourne vers l’histoire naturelle ; il prépare ses matériaux. […] Toute la partie descriptive de l’histoire naturelle a ennuyé Buffon ; il a eu le tort de le dire. […] Il ne fait pas de son œuvre une machine pour battre en brèche la religion et l’Église ; il expose l’histoire naturelle pour elle-même, non pour démontrer ceci ou démolir cela. […] Il rendit deux grands services à la science et à la littérature : à la science, le service de la dégager des aventures irréligieuses, immorales, où les philosophes la compromettaient ; à la littérature, le service de lui donner l’histoire naturelle comme une nouvelle province.

84. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IX : M. Jouffroy écrivain »

Je ne connais guère de lecture plus attachante que le Cours de droit naturel. […] Cours de droit naturel. […] Cours de droit naturel, p. 184, 199, 209. […] Cours de droit naturel, p. 92. […] Cours de droit naturel, p. 74.

85. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVII. De la littérature allemande » pp. 339-365

Ils considèrent toutes les idées dans leurs rapports naturels ; les institutions qui existent chez eux sont trop contraires aux plus simples notions de la philosophie, pour qu’ils puissent en rien y soumettre leur raison. […] Les philosophes d’Allemagne, entourés d’institutions vicieuses, sans excuses, comme sans avantages, se sont entièrement livrés à l’examen rigoureux des vérités naturelles. […] Werther a produit plus de mauvais imitateurs qu’aucun autre chef-d’œuvre de littérature : et le manque de naturel est plus révoltant dans les écrits où l’auteur veut mettre de l’exaltation, que dans tous les autres. […] Les Allemands manquent quelquefois de goût dans les écrits qui appartiennent à leur imagination naturelle ; ils en manquent plus souvent encore par imitation. […] Les Allemands sont éminemment propres à la liberté, puisque déjà, dans leur révolution philosophique, ils ont su mettre à la place des barrières usées qui tombaient de vétusté, les bornes immuables de la raison naturelle.

86. (1894) Propos de littérature « Chapitre IV » pp. 69-110

Celle-ci, écartée de la première tonique par la modulation, trouve sa cadence naturelle dans la tonique de l’accord suivant. […] Si l’on relit les divers exemples de « vers libres » que j’ai cité, on remarquera que les divisions de la strophe concordent avec les divisions naturelles de la phrase. […] Progrès inconscient peut-être, mais naturel : l’enjambement n’a sa raison d’être qu’avec la mesure syllabique dont il cherche à combattre la monotonie ; il ne peut que nuire aux rythmes, — hors des cas particuliers pour lesquels, encore une fois, la sensation ainsi exprimée justifie l’exception ; — car, au développement naturel des mouvements qu’elle contient doit s’allier le développement naturel de la période. […] Il semble naturel que son caractère — car cela ne tient-il pas de l’instinct plutôt que de la raison ?  […] Un vers fondé sur un nombre constant de toniques est une mesure naturelle et fréquemment se trouvera le multiple d’un rythme ; mais il n’est point en lui-même un rythme.

87. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 3665-7857

La malice naturelle aux hommes est le principe de la comédie. […] Rien n’est plus difficile que d’être naturel dans un rôle qui ne l’est pas. […] Un évenement naturel est susceptible de l’une & de l’autre : il n’en est pas toûjours ainsi d’un évenement merveilleux. […] Mais la Motte a raison de dire, que quoique rien ne plaise que ce qui est naturel, il ne s’ensuit pas que tout ce qui est naturel doive plaire. […] Que ces écarts sont bien plus naturels dans Properce !

88. (1892) Boileau « Chapitre V. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » (Fin) » pp. 121-155

On ne se contentera pas du vraisemblable : mais on s’efforcera de rendre le naturel vraisemblable. […] Ainsi nous fera-t-il convenir que l’incroyable est arrivé, devait arriver, et que notre conception de possibilités naturelles implique ce qu’en son nom nous voulions d’abord repousser. […] Mais ces règles, il ne suffit pas de les apprendre pour les appliquer : c’est ici qu’il faut surtout le génie et le goût naturels. […] Tout cela nous inquiète : et quand il réclame ensuite partout la simplicité et le naturel, on craint qu’il ne mette pas sous ces mots la même chose que nous. […] Il faut convenir que le xviie  siècle n’entendait pas comme nous le naturel et la simplicité.

89. (1875) Premiers lundis. Tome III « Instructions sur les recherches littéraires concernant le Moyen Âge »

Sciences exactes et naturelles Les sciences dites exactes sont à peu près nulles en France au moyen âge, c’est-à-dire jusqu’au onzième siècle. […] Des passages intéressants sur l’état des sciences mathématiques, physiques, cosmographiques et naturelles se rencontrent dans des ouvrages en vers, qui étaient des espèces de répertoires et de compilations universelles. Ainsi, les bestiaires appartiennent à la fois à la science naturelle et à la poésie de ces temps ; ainsi, dans la Bible de Guyot de Provins, est le passage célèbre sur la boussole. […] On serait attentif aux premières marques de saine observation dans les sciences naturelles : ces siècles possédaient une zoologie, une botanique, qui se reproduisent en partie jusque dans leur architecture. […] L’imprimerie n’a pas mis au jour, autant qu’il serait naturel de le croire, tous les écrits importants des savants du xvie  siècle et du xviie .

90. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IV. Des femmes qui cultivent les lettres » pp. 463-479

La jalousie naturelle à tous les hommes ne s’apaise que si vous pouvez vous excuser, pour ainsi dire, d’un succès par un devoir ; mais si vous ne couvrez pas la gloire même du prétexte de votre situation et de votre intérêt, si l’on vous croit pour unique motif le besoin de vous distinguer, vous importunerez ceux que l’ambition amène sur la même route que vous. […] Peut-être serait-il naturel que, dans un tel état, la littérature proprement dite devînt le partage des femmes, et que les hommes se consacrassent uniquement à la haute philosophie. […] Jamais les hommes, en France, ne peuvent être assez républicains pour se passer entièrement de l’indépendance et de la fierté naturelle aux femmes. […] Faudrait-il pour cela combattre de tous ses efforts les qualités naturelles, et diriger toutes les institutions vers l’abaissement des facultés ! […] La gloire même peut être reprochée à une femme, parce qu’il y a contraste entre la gloire et sa destinée naturelle.

91. (1910) Rousseau contre Molière

», et c’est ce qu’on appelle une contradiction naturelle, et c’est la plus naturelle des contradictions. […] » II n’y a pas de mot plus fort et il est parfaitement naturel. […] C’est un défaut naturel que l’on ne peut guère corriger. […] Mais c’est bien naturel. […] Je lui dis : « Il n’y a rien là que de très naturel.

92. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quatorzième. »

A quelle influence le duc de Bourgogne dut-il de prendre enfin possession de son véritable naturel ? […] Était-ce son naturel ? […] C’est d’abord un naturel qui diffère du naturel commun à tous les écrivains du dix-septième siècle, par la facilité qui le rend plus aimable. […] Cet idéal du simple, du naturel, de l’aimable, c’est là qu’il l’a réalisé. […] Tout ce qui est du monde s’y voit au naturel, et il ne s’y voit rien qui fasse baisser les yeux.

93. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Plan, d’une université, pour, le gouvernement de Russie » pp. 433-452

On entre ignorant à l’école, on en sort écolier ; on se fait maître soi-même en portant toute sa capacité naturelle et toute son application sur un objet particulier. […] L’histoire naturelle. […] L’histoire naturelle. […] La morale La religion naturelle. […] Le premier cours, divisé en huit classes, comprend les sciences mathématiques, les sciences naturelles, les sciences logiques, les langues et la rhétorique.

94. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VI » pp. 50-55

Mais il eut le bon esprit, dès son entrée dans le monde, d’être simple et naturel avec les personnes qu’il savait être ennemies du bel esprit et des pointes, sauf à se dédommager avec les autres. Il est toujours naturel quand il écrit au marquis de Salle, depuis duc de Montausier, à mademoiselle de Rambouillet, à la marquise sa mère, au marquis de Pisani son frère : ses lettres sont l’opposé, quand elles s’adressent à des précieuses 23. […] Le corbeau de Voiture est mort… » Les lettres des dernières années de Voiture sont incomparablement plus simples, plus naturelles, et de plus d’esprit véritable que celles de sa jeunesse. […] Il répond à Costar : « Je veux des fleurs cueillies per devia rura et un peu plus naturelles, Et flores terræ quos ferunt solutæ.

95. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 17, s’il est à propos de mettre de l’amour dans les tragedies » pp. 124-131

Il est donc naturel d’avoir de la prédilection pour les imitations qui depeignent d’autres nous-mêmes, c’est-à-dire des personnages livrez à des passions que nous ressentons actuellement, ou que nous avons ressenties autrefois. […] non ignara mali miseris succurrere disco. il est encore ordinaire de juger des mouvemens naturels du coeur en general, par les mouvemens de son propre coeur. Ainsi ceux qui n’ont point de pente vers une passion, ne conçoivent point que les fureurs dont le poëte remplit ses scenes, et qu’il expose comme les suites naturelles d’un emportement dont-ils n’ont jamais senti les accès, soïent exposées suivant la verité : ou bien les suites d’une semblable passion leur paroissent les pures saillies de l’imagination dereglée d’un poëte exagerateur : ou bien les personnages d’une piece cessent de les interesser. […] Les transports forcenez d’un ambitieux, au desespoir qu’on lui ait préferé pour remplir un poste éminent et l’objet de ses desirs, celui de ses rivaux qu’il méprisoit davantage, peuvent donc bien interesser vivement ceux qui sçavent par leur propre experience que la passion que le poëte dépeint peut exciter dans le coeur humain ces mouvemens furieux : mais toutes ces agitations, que quelques écrivains nomment la fievre d’ambition, toucheront foiblement les hommes à qui leur tranquillité naturelle a permis de se nourrir l’esprit de reflexions philosophiques, et qui plusieurs fois se sont dit à eux-mêmes que les personnes qui distribuent les emplois se déterminent souvent dans tous les païs et dans tous les tems par des motifs injustes ou frivoles.

96. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Les frères Le Nain, peintres sous Louis XIII, par M. Champfleury »

Champfleury, que nous aurons peu aujourd’hui à envisager comme romancier, est lui-même, dans ses ouvrages, un studieux observateur et un copiste consciencieux des personnages et des situations naturelles ; il a ses défauts qui paraissent d’abord et qui ne se dissimulent pas ; mais il a sa vérité, sa façon de voir bien à lui, et qui, une fois appliquée à son objet, l’environne, le pénètre et ne le lâche pas avant de nous l’avoir bien montré et expliqué. […] Auparavant, et plus on se rapprochait de l’époque de Henri IV, plus on était simple, naturel et voisin de la bonhomie : les arts eux-mêmes, qui avaient perdu de la délicatesse des Valois, marquaient de la probité et de la gravité, en attendant de retrouver mieux. […] Au xviiie siècle, l’excellent peintre de genre, Chardin, semble avoir voulu renouer à eux pour les scènes d’intérieur et la représentation des objets naturels : « C’est là, c’est chez lui, disait Diderot, l’un de ses grands admirateurs, qu’on voit qu’il n’y a guère d’objets ingrats dans la nature, et que le point est de les rendre. » Chardin, qui était, en outre, un homme de beaucoup d’esprit, répandait sur ses reproductions naturelles une qualité que les Le Nain avaient trop négligée ou ignorée, l’agrément : ceux-ci lui restaient supérieurs peut-être par un trait moral plus prononcé, par une bonhomie plus antique. […] Dans sa recherche si louable vers les sources naturelles, M.  […] Un fait isolé ne prouve rien, et, comme dit le proverbe, une hirondelle ne fait pas le printemps ; mais des séries de faits ou d’objets sont des témoins irrécusables, et qui servent de fondement ou de garantie à toute histoire naturelle, sociale, politique.

97. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Ampère »

Quoi qu’il en soit, en s’efforçant constamment de classer les faits de l’intelligence selon l’ordre naturel, M.  […] Ampère y allait plus librement et par une méthode plus vraiment naturelle. […] En 1816, il publiait dans les Annales de Chimie et de Physique sa classification naturelle des corps simples, y donnant le premier essai de l’application à la chimie des méthodes qui ont tant profité aux sciences naturelles. […] Chevreul dans le Dictionnaire des Sciences naturelles, et elle a servi de base à celle qu’a adoptée M.  […] Annales des Sciences naturelles, t. 

98. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XII : Distribution géographique (suite) »

La sélection naturelle doit donc tendre souvent à augmenter la stature des plantes herbacées croissant sur une île encore dépourvue d’arbres, quel que soit l’ordre auquel elles appartiennent, et à les convertir ainsi d’abord en arbustes, puis enfin en arbres. […] Wallace jetteront bientôt de grandes lumières sur l’histoire naturelle de cette région. […] Encore moins ai-je voulu dire qu’une forme qui possède en apparence la faculté de franchir toutes les barrières naturelles et de se répandre au loin, comme seraient par exemple certains oiseaux doués d’un vol puissant, doive nécessairement avoir une grande extension ; car il ne faut jamais oublier qu’une grande extension implique, non seulement la faculté de franchir les barrières naturelles, mais aussi le pouvoir de vaincre dans le combat de la vie des associés nouveaux dans des contrées éloignées. […] Ainsi s’explique aisément la haute importance des barrières naturelles, soit de terre ou d’eau, qui séparent nos diverses provinces zoologiques ou botaniques. […] Il n’existait sans doute alors que des êtres à génération scissipare, sans alternance, génération qui n’est autre que le bourgeonnement successif du végétal, c’est-à-dire, en réalité, la greffe ou la bouture naturelle, ou même encore la génération de la cellule par la cellule.

99. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre V. Observations philosophiques devant servir à la découverte du véritable Homère » pp. 268-273

Les caractères poétiques, qui sont l’essence des fables, naquirent d’une impuissance naturelle des premiers hommes, incapables d’abstraire du sujet ses formes et ses propriétés ; en conséquence, nous trouvons dans ces caractères une manière de penser commandée par la nature aux nations entières, à l’époque de leur plus profonde barbarie. — C’est le propre des barbares d’agrandir et d’étendre toujours les idées particulières. […] La réflexion, détournée de son usage naturel, est mère du mensonge et de la fiction. […] Les inconvenances, les bizarreries qu’on pourrait lui reprocher, furent l’effet naturel de l’impuissance, de la pauvreté de la langue qui se formait alors. Le langage se composait encore d’images, de comparaisons, faute de genres et d’espèces qui pussent définir les choses avec propriété ; ce langage était le produit naturel d’une nécessité, commune à des nations entières. — C’était encore une nécessité que les premières nations parlassent en vers héroïques (livre II, page 158). — 15.

100. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre V. Subordination et proportion des parties. — Choix et succession des idées »

On s’efforcera donc de distinguer les divisions naturelles du sujet que l’on traite, de partager en autant de sections qu’il faut le trajet à faire. […] Diviser un sujet n’est pas le morceler ; en séparer les éléments naturels n’est pas le découper en menus fragments. […] Ce n’est pas qu’il n’y ait des répétitions qu’on n’a pas le droit de blâmer : mais pour être tolérables, il faut qu’elles soient indispensables ; et cette nécessité ne doit pas être le produit de la maladresse, qui ne peut sortir autrement d’embarras, elle doit venir du fond des choses et de la constitution naturelle du sujet. […] Combien le discours du poète anglais est plus fort, plus naturel, plus vraisemblable ! […] On a cédé à une liaison naturelle des choses, et de fil en aiguille on est arrivé à dire ce qu’on n’avait pas besoin de dire encore : plus tard, quand le moment est venu de placer l’idée, quand on ne peut plus s’en passer, pour ne pas avoir à défaire l’ouvrage fait et à tout recommencer, par paresse, on aime mieux la répéter que de la retirer de l’endroit où elle s’était glissée à tort.

101. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre IV : La Volonté »

Au lieu d’une méthode factice et abstraite qui prenant la volonté toute constituée, à son âge adulte, ne peut l’expliquer qu’à demi, nous avons ici une méthode naturelle et concrète qui complète l’étude statique par l’exposition dynamique. […] les plus générales sont : la vigueur naturelle de la constitution, et l’afflux inaccoutumé d’énergie nerveuse centrale, causé par des excitants physiques, comme la nourriture ou la boisson, et les excitants intellectuels, comme les plaisirs et les peines. Le second germe de la volonté se trouve dans le lien naturel qui unit le sentiment et l’action. […] Il est ce qu’il prétend être dans sa généralité — une histoire naturelle de l’esprit. […] Bain est d’une grande valeur C’est la meilleure histoire naturelle de l’esprit humain qui ait encore été produite, c’est la plus précieuse collection de matériaux bien élaborés.

102. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre V : Règles relatives à l’explication des faits sociaux »

Il est naturel de chercher la cause d’un phénomène avant d’essayer d’en déterminer les effets. […] C’est de l’idée contraire que se sont inspirés et les théoriciens du droit naturel et les économistes et, plus récemment, M.  […] Pour eux, la vie sociale est essentiellement spontanée et la société une chose naturelle. […] Notre théorie est même plus contraire à celle de Hobbes que celle du droit naturel. […] Pour nous, au contraire, tout est naturel, même les arrangements les plus spéciaux ; car tout est fondé dans la nature de la société.

103. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 29, qu’il est des païs où les ouvrages sont plûtôt apprétiez à leur valeur que dans d’autres » pp. 395-408

Les romains naissent presque tous avec beaucoup de sensibilité pour la peinture, et leur goût naturel a encore des occasions fréquentes de se nourrir et de se perfectionner par les ouvrages excellens qu’on rencontre dans les églises, dans les palais, et presque dans toutes les maisons où l’on peut entrer. […] La difference qui est entr’eux est déja sensible dans les peuples qui habitent aux pieds des Alpes du côté des Gaules et du côté de l’Italie, mais elle est encore bien plus grande entre les naturels de Paris et les naturels de Rome. […] Comme nous avons vû en France plus de poëtes excellens que de grands peintres, le goût naturel pour la poësie a eu plus d’occasions de s’y cultiver que le goût naturel pour la peinture.

104. (1914) En lisant Molière. L’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

C’est une passion très naturelle ; on la trouve à chaque instant dans le peuple. […] Vouloir vivre de bonne soupe, comme Chrysale, est très naturel ; mais avoir de la curiosité, ce qui est pour quoi on s’instruit, est très naturel aussi. […] A la place de tous les genres d’imagination, ce qu’il recommande à satiété, c’est le naturel » Qu’entend-il par naturel ? […] Le naturel dans tout l’art théâtral, c’est la ressemblance avec la vie. […] Cela est naturel.

105. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — Q. — article » pp. 572-580

A force de tendre au naturel, il tombe dans une simplicité froide ou rampante. Le naturel, il est vrai, s’énonce sans effort, quand l’esprit & le cœur, qui le produisent par leur accord, sont profondément pénétrés ; mais il n’exclut ni la noblesse, ni l’élévation, ni le choix des expressions, ni la finesse, ni l’élégance des tours. […] Quinault, dont on a quinze ou seize tant Tragédies que Comédies, & treize Opéra, continua jusqu’à sa mort, avec une régularité scrupuleuse & un courage inoui, les fonctions monotones de sa Charge d’Auditeur des Comptes, comme s’il n’eût jamais connu d’occupation plus intéressante pour son esprit & pour son cœur ; effet admirable & cependant naturel de cet amour du devoir, la base de toute société, l’idole de nos bons aïeux, & que, pour le malheur de notre âge, a éteint dans presque tou les cœurs l’esprit de systême & d’égoïsme, digne fruit des tristes lumieres de la moderne Philosophie. […] « Ce Couplet vaut mieux peut-être, dit M. de Voltaire, que toute la Médée de Séneque, de Corneille, & de Longepierre, parce qu’il est fort & naturel, harmonieux & sublime ».

106. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre premier. Caractères naturels »

Caractères naturels Passons de cette revue générale des épopées aux détails des compositions poétiques. Avant d’examiner les caractères sociaux, tels que ceux du prêtre et du guerrier, considérons les caractères naturels, tels que ceux de l’époux, du père, de la mère, etc., et partons d’abord d’un principe incontestable. […] Nous commencerons l’étude des caractères naturels par celui des époux, et nous opposerons à l’amour conjugal d’Ève et d’Adam l’amour conjugal d’Ulysse et de Pénélope.

107. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre II. De l’expression »

Il ne change rien à l’ordre naturel, non plus qu’aux tournures simples. […] Platon, à quatre-vingts ans, retouchait encore le commencement de sa République pour y mettre plus de naturel. […] Car n’allez pas imaginer qu’un poëte naturel ne connaisse que les mots familiers et les tournures simples. […] Ce n’était pas assez, pour donner à la fable l’air naturel, de ployer l’alexandrin et de chiffonner la roide draperie classique. […] Patru aurait voulu que La Fontaine ne mît pas ses fables en vers ; et Lessing plus tard écrivit les siennes en prose, prétendant ramener l’apologue à son expression naturelle.

108. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) «  Mémoires de Gourville .  » pp. 359-379

Tout cela se vérifie à ravir dans ses charmants Mémoires, écrits avec aisance et naturel, qui enchantaient Mme de Coulanges et qui désennuyaient Mme Du Deffand. […] Dans une des courses infatigables qu’il faisait à travers la France pour le service des princes, Gourville a un moment de réflexion bien naturel et qui rappelle la philosophie de Gil Blas. […] Dans cette négociation, comme dans toutes, il met en avant de cette gaieté naturelle et de cet esprit de plaisanterie qui sert à couvrir les affaires sérieuses et qui les rend plus faciles. […] Le but du cardinal, d’accord avec Gourville, est de tâcher que celui-ci soit fait prisonnier, et trouve par là une occasion naturelle d’arriver au prince de Condé pour lui porter des paroles d’accommodement. […] Ses Mémoires se terminent par cinq ou six portraits d’un naturel et d’une vérité admirables, portraits de Mazarin, de Fouquet, de Colbert, de Lionne, de Pomponne, de Louvois.

109. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — II. (Fin.) » pp. 308-328

Lui et La Motte, représentant tous deux le bel esprit, l’emportaient déjà sous la Régence, et allaient faire école, si Voltaire n’était venu à temps pour remettre le naturel en honneur : Son style simple, naturel et original à la fois, le charme inexprimable de son coloris, nous ont bientôt fait mépriser, dit Grimm, tous ces tours épigrammatiques, cette précision louche et ces beautés mesquines, auxquels des copistes sans goût avaient procuré une vogue passagère. […] Le simple, le naturel, le vrai sublime ne le touchaient point : c’était une langue qu’il n’entendait point. […] Prenant les discours généraux que Buffon a mis en tête de quelques volumes de son Histoire naturelle, il les apprécie littérairement comme ferait un homme né sous l’étoile française de Malherbe, de Pascal et de Despréaux : « On est justement étonné, dit-il, de lire des discours de cent pages, écrits, depuis la première jusqu’à la dernière, toujours avec la même noblesse, avec le même feu, ornés du coloris le plus brillant et le plus vrai. » Ce n’était certes plus un étranger celui qui appréciait à ce point la convenance et la beauté continue du style. […] et n’est-il pas aussi naturel d’avoir soixante ans que d’en avoir quinze ? […] Si vous voulez, d’ailleurs, ne garder aucun faux respect, aucune considération intellectuelle pour ces prétendus philosophes, tels qu’Helvétius et d’Holbach, lisez Grimm : vous les voyez réduits à leur valeur personnelle par celui qui les a le mieux connus, et qui, en les peignant si au naturel, n’a songé nullement à les dénigrer.

110. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre premier. Astronomie et Mathématiques. »

Dans les sciences, ses dogmes ne s’opposent à aucune vérité naturelle ; sa doctrine ne défend aucune étude. […] Qu’est-ce donc à dire, sinon que les prêtres, qui sont hommes comme nous, se sont montrés plus ou moins éclairés, selon le cours naturel des siècles ? […] Mais si, exclusivement à toute autre science, vous endoctrinez un enfant dans cette science qui donne peu d’idées, vous courez les risques de tarir la source des idées mêmes de cet enfant, de gâter le plus beau naturel, d’éteindre l’imagination la plus féconde, de rétrécir l’entendement le plus vaste. […] Nous attribuons faussement à nos sciences ce qui appartient au progrès naturel de la société. […] D’une autre part, il est naturel que des esprits communs, ou des jeunes gens peu réfléchis, en rencontrant les vérités mathématiques dans l’univers, en les voyant dans le ciel avec Newton, dans la chimie avec Lavoisier, dans les minéraux avec Haüy ; il est naturel, disons-nous, qu’ils les prennent pour le principe même des choses, et qu’ils ne voient rien au-delà.

111. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre cinquième. Genèse et action des principes d’identité et de raison suffisante. — Origines de notre structure intellectuelle »

. — 1° Insuffisance de l‘expérience individuelle ; 2° de l’expérience ANCESTRALE ; 3° de la SÉLECTION NATURELLE. […] Cette projection est naturelle et nécessaire pour plusieurs motifs. […] De même pour le changement agréable et, par une évolution naturelle, pour tout changement, même celui qui semble indifférent. […] C’est le rythme naturel à l’esprit que d’aller toujours du phénomène présent en arrière par le souvenir et en avant par l’attente. […] La projection au dehors de notre tendance à persévérer dans l’être est donc naturelle, et elle entraîne une confiance naturelle dans la reproduction des mêmes choses.

112. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Œuvres complètes d’Hyppolyte Rigault avec notice de M. Saint-Marc Girardin. »

En un mot, si spirituel qu’il fût, il avait plus d’acquit que de naturel, et il se cachait beaucoup de préméditation et de rédaction toute faite sous cette vivacité de surface et cette apparente facilité. […] On me raconte deux petits faits qui le montrent assez au naturel à cette date. […] Cette disposition à appuyer, à récidiver dans la piqûre, était naturelle chez lui. […] Pour moi qui ne l’avais jamais été autrement que par la lecture, très attentive, qu’il avait faite de mes livres, j’ai bien senti ce besoin, cette démangeaison trop naturelle qu’il avait de se dédommager sur quelqu’un. […] En politique, il était centre gauche, partisan de ces doctrines libérales honnêtes, qui sont le résultat assez naturel des études classiques : il ne les épousait pas systématiquement ni avec trop de passion ; il n’était pas homme non plus à les modifier, à les rétracter ou à les suspendre d’après l’expérience positive de la vie.

113. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre II. Du goût, de l’urbanité des mœurs, et de leur influence littéraire et politique » pp. 414-442

La nation française était, à quelques égards, trop civilisée ; ses institutions, ses habitudes sociales avaient pris la place des affections naturelles. […] L’aisance des manières existait sans l’abandon des sentiments, la politesse classait au lieu de réunir ; et tout le naturel, toute la simplicité nécessaire à la perfection de la grâce, n’empêchait pas de veiller avec une attention constante ou avec une distraction feinte sur le maintien des moindres signes de toutes les distinctions sociales. […] En effet, indépendamment de la morale qui se fonde sur la raison, il y a celle de l’instinct naturel, celle dont les impressions sont irréfléchies et irrésistibles. […] L’intérêt de la progression existe toujours, puisque les préjugés ne mettent point de bornes à la carrière de la pensée ; l’esprit donc, n’ayant plus à lutter contre l’ennui, acquiert plus de simplicité, et ne risque point, pour ranimer l’attention, ces grâces maniérées que réprouve le goût naturel. […] Ils ne réuniraient presque jamais dans les compositions littéraires le naturel des observations avec la noblesse des sentiments ; loin de s’aider de leurs souvenirs, ils auraient besoin de les écarter : à peine le recueillement de l’âme pourrait-il encore donner quelquefois l’idée du vrai tableau.

114. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Michelet »

Esprit ardent que l’âge n’éteint pas, mais exalte, Michelet s’est dernièrement distrait de l’histoire pour se jeter aux sciences naturelles et physiques, et le voilà respirant, suçant, pompant ces fleurs sérieuses avec une furie d’abeille déjà enivrée. […] Car c’est un goût épousé par Michelet que l’amour de l’histoire naturelle, et non pas un goût qui ait poussé de soi dans l’ardent célibat de sa pensée. […] En histoire naturelle, Michelet est un savant de jeune fille, et il devient tellement sentimental, même dans son livre de la Mer, qu’il ne sera peut-être pas fâché de l’expression. […] Dieu créateur, qui a tiré le monde du néant, est une antique notion que Michelet a depuis longtemps rejetée aussi bien de ses livres d’histoire que de ses livres d’histoire naturelle. […] Mais en histoire naturelle, et parlant aux femmes, auxquelles, éducateur tourtereau, il égruge le grain scientifique que, sans lui, elles ne seraient pas capables d’avaler, c’est plus scabreux.

115. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 4, objection contre la proposition précedente, et réponse à l’objection » pp. 35-43

On me dira en stile poëtique, que ce cocher couvert de haillons en lambeaux, qui gagne pauvrement sa vie, en assommant de coups de fouet deux chevaux étiques, liez à un carosse prêt à s’écrouler, seroit peut être devenu un Raphaël ou bien un Virgile, si né dans une famille honnête, il avoit reçû une éducation proportionnée à ses talens naturels. […] Si son génie le détermine à la poësie, et par consequent à l’amour des lettres, son heureux naturel méritera qu’un honnête homme le trouve digne de son attention. […] Mais je veux bien que cet enfant reste dans sa bourgade : il y cultivera son génie naturel, jusques à ce que ses tableaux surprennent quelque passant. […] Que ceux qui ne voudront pas se donner la peine de lire cette histoire, fassent du moins refléxion sur la vivacité de la jeunesse, sur sa docilité, sur les voïes sans nombre, dont nous n’avons indiqué qu’une partie, et qui peuvent toutes en particulier, conduire un enfant jusques à une situation où il puisse cultiver ses talens naturels.

116. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Malesherbes. » pp. 512-538

Flourens, l’esprit qui convient aux sciences d’observation ; le style y est abondant, naturel, sain, médiocrement élégant, mais souvent spirituel par le bon sens : c’est là un des traits qui caractérisent Malesherbes. […] Il fallait concilier tous ces devoirs officiels avec la bonté morale et l’équité naturelle dont il n’était pas homme à se départir. […] M. de Malesherbes, qui les lisait au passage, avisait lui-même aux corrections à faire pour que l’ouvrage pût avoir cours en France, et il se concilia, malgré ces services aimables, la reconnaissance de Rousseau, infidèle ici à son ingratitude naturelle. […] Boissy d’Anglas, qui la trouve joviale : elle n’est que très vive et très naturelle. […] La plus vieille de ces académiciennes avait bien huit ans accomplis, et M. de Malesherbes nous présidait avec une gravité qui nous semblait fort naturelle.

117. (1870) La science et la conscience « Chapitre III : L’histoire »

Avec infiniment plus de naturel et de charme, Froissard n’a pas compris ni écrit autrement l’histoire des temps chevaleresques. […] « Comme l’homme, dans l’ordre des choses naturelles, ne s’enfante pas lui-même, il est tout aussi loin de se donner l’être quand il s’agit de ses facultés intellectuelles. […] La méthode est donc la même pour les deux ordres de sciences, naturelles et historiques, et cette méthode n’est autre que l’induction, dont Bacon a été l’inventeur. […] Il a su ainsi faire de l’histoire une véritable science, analogue à cette physiologie naturelle qui explique la vie animale par la constitution et la fonction des divers organes. […] Tout peuple a commencé par être une société naturelle, dans le sens matériel du mot, pour devenir une société politique, dont les membres fussent de plus en plus de vrais citoyens, ayant des idées et des volontés au lieu d’instincts et de passions.

118. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Monsieur Walckenaer. » pp. 165-181

Il dut à cette excursion heureuse une connaissance toute naturelle de la littérature anglaise du xviiie  siècle, et aussi des cadres brillants où se jouait sa sensibilité adolescente. […] En attendant qu’il se fît connaître par des travaux plus précis, un ouvrage de lui, Essai sur l’histoire de l’espèce humaine (1798), nous le montre sous sa forme encyclopédique et traçant une esquisse d’une histoire naturelle générale de l’humanité et de la société. […] Il ne voyait pas dans les affaires les ennemis naturels des recherches littéraires et scientifiques telles qu’il les concevait, et il semblait qu’en changeant ainsi de sujet, il ne faisait que varier les applications d’un même esprit de méthode et de détail. […] En histoire littéraire comme en histoire naturelle, il y a le groupe, il y a ceux que certaines analogies rassemblent, et qui ont un air de famille auquel on ne se méprend pas. […] Cette lettre, je le répète, est un assez joli et assez naturel échantillon du style élégant comme on le concevait dans les premières années du siècle, avant l’effort de régénération de la langue à ses vraies sources : mais entre cette élégance et celle de Louis XIV, on conviendra qu’il y a tout un monde.

119. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Il n’est pas aisé d’écrire en vers même comme Louis Racine ; témoin la Loi naturelle de Voltaire, fort au-dessous de la Religion de Louis Racine. […] Avec André Chénier, l’imagination, la sensibilité, le naturel, la poésie, rentrent dans les vers. […] Encore le sont-ils si peu que, sauf quelques passages charmants où ils sont naturels par le goût, je ne vois de rustique dans leurs poésies que l’archaïsme de leur langue. […] On en trouva le style naturel, parce qu’il était bourgeois. […] Je mets à la charge de la mode certains passages où il est vulgaire pour être naturel, et licencieux pour être vrai.

120. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Gil Blas, par Lesage. (Collection Lefèvre.) » pp. 353-375

L’auteur de Gil Blas le savait bien : son personnage, pour rester un type naturel et moyen, avait donc besoin de n’être à aucun degré monté au ton d’un stoïcien ni d’un héros. […] Mais, par un dénouement tout à fait naturel et comique, ce bonhomme amoureux qui se tient pour bien averti par Gil Blas, et qui lui en sait gré jusqu’à un certain point, se rengage avec sa maîtresse au lieu de rompre. […] Toutes ces scènes chez l’archevêque sont admirables de naturel, et respirent une douce comédie insensiblement mêlée à toutes les actions de la vie. […] Joubert, pensait à ce manque d’idéal chez notre auteur, quand il a laissé tomber ce jugement sévère : « On peut dire des romans de Lesage qu’ils ont l’air d’avoir été écrits dans un café, par un joueur de dominos, en sortant de la Comédie. » Mais nous touchons là aux antipathies qui séparent nettement deux races d’esprits : ceux qui préfèrent le naturel à tout, même au distingué, et ceux qui préfèrent le délicat à tout, même au naturel. […] Cette surdité, qui augmenta avec les années, avait dû contribuer à l’éloigner des cercles du beau monde, mais elle n’avait en rien altéré sa gaieté naturelle.

121. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame Émile de Girardin. (Poésies. — Élégies. — Napoline. — Cléopâtre. — Lettres parisiennes, etc., etc.) » pp. 384-406

avec naturel, gaieté, et une certaine abondance et richesse de nature qui ne demandait qu‘à s’épanouir. […] ) ; enfin, aussi naturelle dans le factice, aussi vraie dans le faux qu’on le peut être. […] Je n’y trouve pas plus de ce naturel véritable qui, né de la pensée ou du sentiment, et jaillissant de la passion même, pénètre dans tout le langage et y circule comme la vie. […] C’est qu’il y a deux sortes de rangs, le rang social, et le rang natif ou naturel : « Non seulement, dit-elle, la nature nous désigne un rang, mais ce rang est une vocation. […] Quand la condition sociale et le rang naturel se rencontrent, tout est bien, on a l’harmonie.

122. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — La rentrée dans l’ordre »

J’ai dit plus haut quelle haute signification comportait cette rentrée du prêtre dans l’ordre naturel. […] Or, l’homme parvient à la plénitude de son existence par l’épanouissement progressif, à travers la vie, de ses facultés naturelles. […] Le prêtre entend parvenir au sommet de la vie par une voie contraire, en se rejetant violemment hors de l’humanité, en annihilant toutes ses facultés, c’est-à-dire en s’affranchissant de ses essentielles bases naturelles. […] Elle empoisonne de scrupule et d’angoisse toute sensibilité naturelle : ainsi elle s’assujettit ceux des siens qui n’ont pas voulu complètement mourir de la mort intérieure, en leur faisant un supplice de vivre. […] L’anti-humain n’a qu’un rôle celui de retourner à sa fonction naturelle ou de périr.

123. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre II. De la sensibilité considérée comme source du développement littéraire »

Le langage naturel de la passion, c’est le cri, l’exclamation, l’interjection. […] L’émotion s’exprime spontanément par le cri inarticulé, la physionomie, le geste, l’action réflexe : pour la traduire en mots, en phrases intelligibles à tous, pour la développer visiblement par le langage, il faut un esprit qui l’analyse ; et plus l’esprit aura d’étendue naturelle, plus il aura acquis de pénétration et de finesse par l’activité habituelle, plus les sentiments se manifesteront avec clarté, avec intensité, avec nuances. […] Elle n’est pas plus vraie, plus forte, plus naturelle, pour être exprimée gauchement, puérilement, par des images étranges, par des symboles ridicules, mêlés de niaiseries inattendues et de plats coq-à-l’âne. […] On ne saurait donc trop se défaire de ce préjugé si commun, que l’esprit qu’on a nuit aux effusions du cœur, qu’il faut pour ainsi dire en faire abstraction et s’en détacher pour laisser le cœur tout seul parler son pur et naturel langage.

124. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre VI. Autres preuves tirées de la manière dont chaque forme de la société se combine avec la précédente. — Réfutation de Bodin » pp. 334-341

Mais pour ne point laisser de doute sur cette succession naturelle, nous examinerons comment chaque état se combine avec le gouvernement de l’état précédent ; mélange fondé sur l’axiome : lorsque les hommes changent, ils conservent quelque temps l’impression de leurs premières habitudes. […] Or comme dans les républiques, un puissant ne se fraie le chemin à la monarchie, qu’en se faisant un parti, il est naturel qu’un monarque gouverne d’une manière populaire. […] Ensuite il a intérêt à ce que la multitude n’ait point à se plaindre en ce qui touche la subsistance et la liberté naturelle. […] Ces privilèges sont des lois d’intérêt privé, dictées par l’équité naturelle.

125. (1730) Discours sur la tragédie pp. 1-458

Sans aspirer à des titres si fastueux, il est naturel de bien considérer la carriere où l’on veut courir, pour y mesurer plus surement ses forces. […] Il n’est pas naturel que toutes les parties d’une action se passent dans un même apartement ou dans une même place. […] Ce qu’il croit naturel a sur lui les droits de la nature, et fera les mêmes impressions. […] étoit-il naturel que Bajazet attendît si tard à répondre ? […] Il fit une tragédie ; et comme elle étoit touchante, elle fit, malgré le préjugé, une partie de son impression naturelle.

126. (1895) La science et la religion. Réponse à quelques objections

A quelle découverte, à quel progrès de la mécanique, ou de l’histoire naturelle, ont-ils attaché leur nom ? […] En fait, les sciences physiques ou naturelles nous avaient promis de supprimer « le mystère ». […] Mais nous pouvons être assurés aujourd’hui que les sciences naturelles ne nous le diront pas. […] Ai-je besoin d’ajouter qu’à plus forte raison les sciences naturelles ne décideront pas la question de savoir où nous allons ? […] Ce principe est si général et si naturel qu’il se montre à tout moment dans les moindres actes de la justice humaine.

127. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) «  Œuvres de Chapelle et de Bachaumont  » pp. 36-55

Mais en même temps qu’on se rendra mieux compte de la circonstance et du tour d’esprit naturel qui l’ont fait naître, il s’y joindra un regret : c’est qu’il soit arrivé à cette jolie pièce d’esprit un malheur qui arrive à toute chose nouvelle qui réussit, elle est devenue le point de départ d’une mode et d’un genre. […] Il appartenait à la même bourgeoisie parlementaire, étant le fils, mais le fils naturel, d’un maître des comptes appelé L’Huillier. […] Chapelle et son camarade de voyage, âgés l’un et l’autre de trente à trente-deux ans, se mettent en route pour faire un tour dans le Midi, et dans le compte rendu léger de leur voyage qu’ils envoient à leurs amis de Paris, ils trouvent moyen de faire avec un naturel parfait une charmante satire littéraire : de là le grand succès et cette vivacité de faveur qu’on ne s’expliquerait pas autrement aujourd’hui. […] Seulement La Fontaine y est naturel, même dans le parti pris ; Regnard y est gai, Pompignan plus lourd et provincial, Bertin sec et vif, Boufflers espiègle. […] Chapelle et Bachaumont ne se posent point en législateurs du Parnasse ; ce sont deux beaux esprits naturels qui se permettent de rire des beaux esprits maniérés.

128. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « JASMIN. » pp. 64-86

Dupront, avocat, homme du pays, de grand talent au barreau, et qui eût été poëte lui-même, m’assure-t-on, si une sorte de paresse naturelle ne l’eût retenu. […] Jasmin a adressé, en 1832, une pièce de vers français à Béranger, son patron naturel en notre littérature ; ces vers faciles et corrects, mais communs, prouveraient, s’il en était besoin, que le français est pour Jasmin une langue acquise, et que la couleur, l’image, la pensée, lui viennent en patois. […] Il faut dire de plus que Jasmin lit à merveille ; que sa figure d’artiste, son brun sourcil, son geste expressif, sa voix naturelle d’acteur passionné, prêtent singulièrement à l’effet. […] qu’il travaille toujours ses vers ; qu’il les laisse venir naturels toujours. […] Il a, dans Béranger, son patron et son correspondant naturel, un bel exemple de modestie, de persévérance, et aussi de perfectionnement dans l’emploi du talent.

129. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « La Mare au diable, La Petite Fadette, François le Champi, par George Sand. (1846-1850.) » pp. 351-370

On fera tout d’abord une remarque sur ce style demi rustique, demi vieilli, que l’auteur, dans tout ce roman, a employé et distribué avec beaucoup d’art et de bonheur : c’est que, pour vouloir être ici plus naturel que dans La Mare au diable, l’artificiel commence. […] Elle aura tenu durant une huitaine de jours Amyot entrouvert, elle l’aura lu à bâtons rompus, et elle se l’est infusé plus abondamment et plus au naturel que le docte et l’exquis Courier durant des années de dégustation et d’étude de cabinet. […] Tous ces jeunes cœurs, les naturels autant que les poétiques, ceux des filles comme ceux des garçons, sont connus, maniés, montrés à jour par Mme Sand, comme si elle les avait faits. […] Tout se répare : la petite Fadette, devenue une belle, sage et riche personne, épouse Landry et guérit presque le souffreteux Sylvinet par ses secrets de magnétisme naturel. […] Pour moi, je préfère, je l’avoue, chez Mme Sand les productions simples, naturelles, ou doucement idéales ; c’est ce que j’ai aimé d’elle tout d’abord.

130. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Pensées »

tout d’un coup le voile se déchire, et je m’aperçois que ce que je désirais sous une forme équivoque est quelque chose de naturel et de pur, c’est un regret qui s’éveille, c’est de n’avoir pas à moi, comme je l’aurais pu, une fille de quinze ans qui ferait aujourd’hui la chaste joie d’un père et qui remplirait ce cœur de voluptés permises, au lieu des continuels égarements. […] Nos goûts vicieux et dépravés ne sont le plus souvent que des indications naturelles faussées et détournées de leur vrai sens. […] — -Ce que je voudrais constituer, c’est l’histoire naturelle littéraire. […] Aujourd’hui, l’histoire littéraire se fait comme l’histoire naturelle, par des observations et par des collections. […] sur tous les points on est à l’œuvre ; en physique, en chimie, en zoologie, en botanique, dans toutes les branches de l’histoire naturelle, en critique historique, philosophique, en études orientales, en archéologie, tout insensiblement change de face ; et le jour où le siècle prendra la peine de tirer ses conclusions, on verra qu’il est à cent lieues, à mille lieues de son point de départ.

131. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre VII. Dernières preuves à l’appui de nos principes sur la marche des sociétés » pp. 342-354

Les démocraties plus généreuses n’ôtèrent aux vaincus que les droits politiques, et leur laissèrent le libre usage du droit naturel ( jus naturale gentium humanarum , Ulpien). […] Le droit naturel des nations, appliqué et autorisé dans les provinces par les préteurs romains, finit, avec le temps, par gouverner Rome elle-même. […] Cette mancipation réelle n’est autre que l’occupation, source naturelle de tous les domaines. […] Au moyen d’une fiction de ce genre, la mancipation naturelle devint la tradition civile solennelle, qui se représentait en simulant un nœud. […] Dans les cas où il s’agit de transférer la propriété, c’est cette même volonté qui valide la tradition naturelle et opère l’aliénation ; ce ne fut que dans les contrats verbaux, comme la stipulation, que la garantie du contrat conserva le nom de cause pris dans son ancienne acception.

132. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 7, que les genies sont limitez » pp. 67-77

L’art ajoûte beaucoup aux talens naturels, mais c’est quand on étudie un art pour lequel on est né. […] Ils ne sçauroient leur faire enfanter des ouvrages d’un caractere élevé au-dessus de leur portée naturelle. […] l’imitation du parler suit incontinent… etc. les leçons d’un maître de musique habile développent nos organes, et nous apprennent à chanter méthodiquement ; mais ces leçons ne peuvent changer que très-peu de choses dans le son et dans l’étenduë de notre voix naturelle, quoiqu’elles la fassent paroître plus douce et tant soit peu plus étenduë. […] L’art ne supprime pas plus les défauts d’organisation lesquels il apprend à cacher, qu’il augmente l’étenduë naturelle des talens physiques que ses leçons perfectionnent.

133. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XII. Des livres de jurisprudence » pp. 320-324

Les Loix Ecclésiastiques de France dans leur ordre naturel, & une analyse des livres de droit canonique, conferés avec les usages de l’Eglise Gallicane, in-fol. 1756. par M. d’Hericourt. […] Les Loix Civiles dans leur ordre naturel, par Domat, in-fol. 1756. […] Ce Prince a disposé le droit romain dans un ordre naturel, a retranché les loix étrangeres, & a établi pour ses Sujets un droit certain & universel.

134. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre sixième »

Il les faut espiègles, alertes, vifs, pour ces artifices de scène où il ne peut y avoir de naturel que leur talent. […] Le travail qui ne ramène pas l’écrivain au naturel l’en éloigne presque autant que l’imitation des choses à la mode. […] La comédie de Destouches avait cessé de faire rire ; c’était une transition naturelle à la comédie qui allait faire pleurer. […] Le caractère a créé la situation, et cette situation, loin d’être, comme le veut Diderot, l’opposé du caractère, en est la conséquence naturelle. […] Le Père de famille, le Fils naturel, sont en effet des romans dialogués.

135. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre II. Les directions divergentes de l’évolution de la vie. Torpeur, intelligence, instinct. »

Sans doute il s’en faut que tous les instincts consistent dans une faculté naturelle d’utiliser un mécanisme inné. […] L’intelligence, à l’état naturel, vise un but pratiquement utile. […] C’est de l’extension d’une certaine géométrie naturelle, suggérée par les propriétés générales et immédiatement aperçues des solides, que la logique naturelle est sortie. […] L’intelligence est caractérisée par une incompréhension naturelle de la vie. […] Et pourtant ce sont là des fonctions naturelles de la cellule, les éléments constitutifs de sa vitalité.

136. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XI : Distribution géographique »

La dissemblance des habitants de différentes régions peut être attribuée, au contraire, à des modifications résultant de la section naturelle, et en moindre degré à l’action directe des conditions physiques. […] C’est ainsi que les barrières naturelles, en mettant obstacle aux migrations, jouent un rôle presque aussi important que le temps lui-même le peut faire à l’aide du lent procédé de modification par sélection naturelle. […] L’influence si considérable et si frappante des barrières naturelles de toute nature sur la distribution géographique des êtres organisés ne peut se comprendre que dans le cas où la majorité des espèces auraient été créées seulement d’un côté de ces obstacles, et incapables d’émigrer de l’autre côté. […] En ce cas, on pourrait donc dire avec toute rigueur que le centre de création de l’espèce ou do la variété qui en résulte par la sélection naturelle est unique, quant au lieu, sinon quant au temps et quant aux individus : c’est-à-dire qu’il serait bien géographiquement unique. […] Alph. de Candolle, l’altitude peut avoir en certains cas compensé la latitude pour rétablir l’identité des conditions de vie et des causes de variations par sélection naturelle.

137. (1914) L’évolution des genres dans l’histoire de la littérature. Leçons professées à l’École normale supérieure

Par exemple, est-il naturel d’être hydrocéphale, je suppose, bec-de-lièvre ou pied bot ? […] Parce qu’il est le plus naturel des écrivains de son temps, Diderot en est un des plus rares, mais, s’il en est aussi l’un des plus vulgaires, c’est également parce qu’il en est le plus naturel. […] Le Père de famille est-il plus naturel, après tout, que Tancrède ? […] Et enfin, puisqu’il y a dans la vie des actions naturelles que nous cachons, pourquoi le naturel ne serait-il pas aussi bien de les cacher que de les étaler ? […] Rien de plus naturel ni de plus nécessaire.

138. (1910) Études littéraires : dix-huitième siècle

Elles sont des produits naturels de l’ignorance aidée de l’imagination. […] Le trait, qui est fréquent, est naturel à ce point qu’il n’est pas même dissimulé. […] Il reviendra plus tard à son jardin, sans doute ; mais il était naturel qu’il eût au moins une rechute. […] J’ai soupçon que l’assurance de l’homme doué de la puissance naturelle qui fait la fortune de M.  […] Elle s’applique à l’histoire naturelle comme à l’histoire.

139. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le buste de l’abbé Prévost. » pp. 122-139

Devant la maison natale était suspendu une sorte de dôme, également formé de guirlandes naturelles et qui produisait un effet charmant ; enfin, on y avait déjà disposé les mâts vénitiens et les lanternes de papier de couleurs vives et variées pour l’illumination du soir. […] Dans ce premier jet, le style moins correct, moins court, est peut-être encore plus naturel, plus lié, et offre des traits qui se rapprochent davantage de la réalité telle quelle : l’auteur, sans viser ensuite à rien ennoblir, a pourtant songé évidemment à adoucir certains tours ou certains mots qui avaient semblé trop bas. […] Ce livre, avec tous ses étranges aveux et avec l’espèce de mœurs si particulières qu’il présente, ne plaît tant que par le parfait naturel et cet air d’extrême vérité. […] Comme les hommes extrêmement sincères et naturels, ayant dû renoncer une fois à ce qui lui était le plus cher, il ne trouva plus ensuite de ressort suffisant et de point d’appui dans l’amour-propre social et dans la seule vanité mondaine. […] Homme bon, entraînant, fragile, cœur tendre, esprit facile, talent naturel, langue excellente, plume intarissable, inventeur invraisemblable et hasardeux, qui sut être une fois, comme par miracle, le copiste inimitable de la passion, tel fut l’abbé Prévost, qu’il ne faut point juger, mais qu’on relit par son meilleur endroit et qu’on aime.

140. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre premier »

Par malheur, la multitude et la variété, dans l’histoire littéraire, ne sont pas, comme dans l’histoire naturelle, des formes sans nombre de la même perfection. Dans l’ordre naturel, chaque individu est parfait et le plus convenablement approprié à sa destination, en sorte que la connaissance qu’on en a est parfaite et profitable comme celle de toute vérité. […] Une histoire de la littérature française, où ces origines n’auraient pas leur place, manquerait de ce qui doit en former l’introduction naturelle. […] Je sais que ce désordre, chez les écrivains habiles, n’est qu’une interversion calculée et savante de l’ordre naturel ; mais encore, pour s’y reconnaître, faut-il que l’esprit passe par deux états. […] Les mots sont comme des déductions invincibles les uns des autres, et il n’est pas besoin d’une opération particulière qui rétablisse l’ordre naturel, dérangé par l’artifice de l’inversion.

141. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 326-344

On se flattoit qu'en se formant sur les vrais modeles, son goût acquerroit les qualités nécessaires à un bon Ecrivain ; que son imagination renonceroit aux idées gigantesques ; qu'il perdroit l'habitude de peser sur les mots ; qu'il mettroit plus de liaison dans ses phrases, moins d'appareil dans ses réflexions, plus de nombre, d'aisance & de naturel dans son style ; qu'il se déferoit enfin d'un ton de prétention & de pédantisme, qui sentoit trop le nouveau venu de l'Université *. […] Ils savent que rien n'est beau que le vrai ; que chaque chose doit être revêtue des couleurs qui lui sont propres ; que trop de faste dans le style est une preuve certaine de la stérilité de l'esprit ; que le naturel seul a droit de plaire, de saisir, de toucher. […] On lui a pardonné de s'être élevé, dans son premier Ecrit*, contre cette Philosophie orgueilleuse qui voudroit élever la Religion naturelle sur les débris de l'auguste Religion de nos Peres ; d'avoir dit, en 1756, en parlant de M. de Voltaire que le génie de cet homme célebre est un volcan qui ne jette plus aujourd'hui que de foibles étincelles, obscurcies par beaucoup de cendres qui s'y mêlent ; que cet Ecrivain, nourri des maximes Angloises, s'est abandonné à une liberté effrénée de penser & de dire les choses les plus dangereuses. […] Puisqu'il paroît si disposé à profiter des leçons qu'on lui donne, nous l'inviterons à porter les derniers coups au vice radical, qui sera toujours l'ennemi de ses talens, c'est-à-dire, à se défaire de cette morgue philosophique dont il ne paroît pas encore sentir assez les travers ; à se persuader qu'il ne saura jamais bien écrire, que quand sa diction sera pleinement modeste & naturelle ; que ce n'est pas être lumineux, que de s'attacher à des pensées plus compliquées que nettes & animées ; que ce n'est pas être élégant, que d'employer des tours pénibles & des expressions étrangeres aux idées ; que c'est être bien loin de l'éloquence, que de n'avoir que cette espece de sentiment qui naît de l'imagination, & non celui dont la source est dans le cœur. […] Réflexions philosophiques & littéraires sur le Poëme de la Religion naturelle, vol. 

142. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre premier. L’idée force du monde extérieur »

N’oublions pas non plus que la notion de pluralité est toute naturelle, puisque notre conscience est sans cesse changeante, allant d’une sensation à l’autre. […] Il y a là un effet d’optique interne et de perspective ton te naturelle. […] Notre conscience est sociale par essence : si elle a une centralisation naturelle autour de l’appétit, elle a aussi un mouvement d’expansion naturel vers d’autres êtres également sentants et doués d’appétit. […] Le métaphysicien alors se demandera comment il a pu passer du moi au non-moi : c’est-à-dire qu’après avoir artificiellement sépare deux termes inséparables, il cherchera vainement un moyen naturel de les ramener à cette continuité qui est la vraie loi de la vie et de la conscience.

143. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre V. Des orateurs anciens et Modernes. » pp. 223-293

Il mit à la place de ces faux ornemens, une éloquence douce & naturelle, qui n’a rien de contraire à la sainteté du ministère évangélique. […] Port majestueux, son de voix agréable, geste naturel & réglé, il joignit à ces beaux dehors une éloquence forte & vive. […] Son éloquence est vive & naturelle. […] Son style est naturel sans en être moins éloquent ; & il sçait embellir un sujet sans le charger. […] Alors se livrant à tout le feu qui lui étoit naturel, & qu’excitoit encore l’action de l’Orateur & la vue d’une assemblée infiniment attentive, M.

144. (1870) La science et la conscience « Chapitre I : La physiologie »

Où est le rôle, où est la place de la personne humaine dans une philosophie naturelle qui explique tout par un concours de forces physiques, dans une science historique qui explique tout par l’action irrésistible des grandes forces naturelles et sociales, dans une spéculation métaphysique qui explique tout par le procès logique des idées ? […] La vérité vraie est que l’auteur est la nature, et que, dans la vie morale comme dans la vie physique, tout se fait et s’explique par le jeu des forces naturelles. […] Ici en effet, ce n’est plus de rapports entre objets différents qu’il s’agit, comme entre les objets de la géométrie, de la chimie, de l’histoire naturelle. […] Pourtant cette distinction est presque aussi vieille que l’esprit humain, ce qui montre combien elle est naturelle et nécessaire. […] C’est une chose purement esthétique, comme la beauté, ou purement naturelle, comme la bonté des choses physiques.

145. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome II

c’est bien là le sublime de la galanterie romanesque ; mais l’amour naturel va plus droit à son but. […] Cette tragédie est bien inférieure à celle de Racine pour l’art ; mais elle lui est supérieure pour le naturel et la vérité des caractères. […] cela n’est pas noble, je le crois bien ; mais cela est naturel et vrai, cela est théâtral. […] Il y a loin sans doute de cet Achille si naturel à l’Achille furieux qui épouvante l’armée et partage les dieux. […] Ce fond est mis en œuvre avec la gaîté libre et franche, l’esprit naturel qui était à la mode dans ce temps-là.

146. (1858) Du vrai, du beau et du bien (7e éd.) pp. -492

Cette philosophie est l’alliée naturelle de toutes les bonnes causes. […] Telle est la portée naturelle et légitime de la raison. […] Les vérités nécessaires trouvent en Dieu leur sujet naturel. […] Qui nous porte vers l’infini dans la beauté naturelle ? […] Que de mouvements gracieux ou hardis, et toujours naturels !

147. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — I. » pp. 41-61

« Je suis très franche et très naturelle, et je dis tout ce que j’ai sur le cœur. » C’est la devise qu’il faudrait mettre à toutes ces correspondances de Madame, la plupart écrites en allemand, et dont on a publié à diverses reprises de volumineux extraits à Strasbourg et au-delà du Rhin. […] Il se glisse ainsi par moments, sous la plume et dans l’expression de Madame, une veine naturelle de Rabelais et de grotesque. […] Madame était agréable à Louis XIV par sa franchise, par son naturel ; elle le réjouissait quelquefois par ses reparties et ses gaietés, elle le faisait rire de bon cœur. […] Ce qu’elle prisait fort en lui, c’était sa droiture de sentiment et sa justesse de coup d’œil quand il était livré à son propre mouvement, c’était la qualité de son esprit, l’agrément de ses entretiens, la tournure excellente de ses propos ; enfin c’était un certain naturel élevé qui l’attirait et la charmait en Louis XIV. […] Madame, naturelle, franche, laissant éclater volontiers ses sentiments, aimant à s’épancher, plus souvent au-delà qu’en deçà, et observant mal les mesures, ne devait pas aimer le procédé froid, prudent, discret, mystérieux, poli et inattaquable, d’une personne à qui elle supposait mille projets plus noirs et plus profonds que ceux de l’enfer.

148. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette »

On la voit qui continue d’obéir à son bon naturel. […] Je lui baise les mains avec respect, en la priant de me continuer ses bontés. » On ne saurait avoir meilleur cœur ni meilleur naturel. […] Mais dans l’habitude de la vie et de la conversation, on saisit avec plaisir chez elle ce jet facile et courant, une parole vive, aisée, des plus naturelles, et même spirituelle. […] Je fais cette remarque, parce qu’à voir un passage de cette Introduction il serait naturel de penser que l’un des deux, de M.  […] Feuillet tenait à ne pas avoir lu, — à ne pas paraître avoir lu, — ce premier article avant d’avoir publié lui-même son Introduction : or, dans cette Introduction, il me semble, au contraire, qu’il y a trace et indice très-probable qu’il m’a lu, comme il était naturel d’ailleurs qu’il le fît tout en terminant son travail et en corrigeant ses épreuves.

149. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre III. Montesquieu »

Il conte l’histoire des Troglodytes, qui se sont détruits en s’abandonnant aux instincts naturels. […] En 1716 et dans les années suivantes, Montesquieu se laisse gagner au goût des sciences physiques et naturelles. […] Il y croit si bien qu’il demandera en 1728 à entrer dans la diplomatie : c’est sans doute qu’il se flatte de pouvoir manier les chaînes infinies des causes et des effets naturels. Il se persuade alors que les institutions artificielles sont aussi efficaces que les combinaisons naturelles, et qu’une loi bien trouvée peut suspendre ou détruire les fatalités historiques. […] On s’attendrait que Montesquieu va poursuivre son exposition dans le même sens, selon la même méthode, et commencer à étudier les rapports nécessaires des lois avec chaque ordre de causes naturelles.

150. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Fontenelle, par M. Flourens. (1 vol. in-18. — 1847.) » pp. 314-335

Rien de plus piquant, rien de plus clair ; on assiste à cette suite d’explications provisoires et illusoires, à cette succession naturelle d’erreurs, et l’on comprend si bien comment l’on a dû dès l’abord y donner et les épuiser toutes, qu’on s’en détache déjà. […] Il est si porté à penser que l’ignorance et la sottise sont un fait des plus naturels et des plus universels, que rien ne l’étonne en ce genre ni ne l’irrite. […] La question littéraire se trouvait ainsi réduite, au grand scandale des érudits, à une question de physique et d’histoire naturelle. […] À la longue, cette prétention (car c’en était bien une), en se réduisant et en s’adoucissant, finit par devenir l’habitude facile, le pas égal et naturel de sa pensée. […] Grimm a très bien remarqué que Voltaire avait toutes les qualités de goût opposées précisément aux défauts de Fontenelle, le naturel, la vivacité, la saillie franche et prompte, le jet de source.

151. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Essai sur Amyot, par M. A. de Blignières. (1 vol. — 1851.) » pp. 450-470

Ce simple traducteur de Plutarque s’est acquis la gloire personnelle la plus enviable ; on le traite comme un génie naturel et original. […] Transporté brusquement des grâces païennes de Longus ou des beautés naturelles de Plutarque à l’étude de la théologie et à la Somme de saint Thomas, il s’y applique, il y réussit même ; il s’efforce de s’y plaire et de se persuader que cela ne l’ennuie pas. […] M. de Chateaubriand en jugeait ainsi à son retour d’Orient, en les relisant la mémoire encore pleine du souvenir des plages historiques qu’il avait visitées : « C’est, selon moi, disait-il, le plus beau morceau de Plutarque, et d’Amyot son traducteur. » Dans les traités moraux de Plutarque, que de charmantes pages aussi, riches de sens, pleines d’aisance et de naturel, et qui ont un air de Montaigne ! […] Il y met du liant ; sa phrase court comme une phrase naturelle et d’un auteur original, qui n’a pas songé à lutter et à jouter. […] Le Plutarque d’Amyot, ce Plutarque un peu plus naturel que l’autre peut-être et plus débonnaire (et tant mieux !)

152. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — I. » pp. 41-62

Une autre raison enfin, et qui est particulière à cet ordre d’esquisses, c’est qu’en écrivant dans les journaux, on est toujours quelque peu journaliste par un endroit ; on cherche l’à-propos, on attend l’occasion, et, sans s’attacher précisément à ne parler que des ouvrages encore tout chauds de la forge (autre expression de Montesquieu), on désire du moins que quelque circonstance naturelle nous ramène aux ouvrages anciens et y dirige l’attention. […] Il ne connut jamais beaucoup cette première Antiquité simple, naturelle, naïve, de laquelle Fénelon était parmi nous comme un contemporain dépaysé : l’Antiquité de Montesquieu était plutôt cette seconde époque plus réfléchie, plus travaillée, déjà latine ; ou, pour mieux dire, il les confondait ensemble, et dans toutes les époques, à tous les âges des anciens, depuis Homère jusqu’à Sénèque et Marc Aurèle, il allait demander des traits ou des allusions faites pour rehausser la pensée moderne. […] On a de lui non pas seulement des rapports sur les travaux des autres, mais des observations directes d’histoire naturelle, lues en novembre 1721. […] Mais, dans le même temps où il travaillait à ce petit mémoire sur des objets d’histoire naturelle, il laissait échapper un autre ouvrage pour lequel il n’avait pas eu besoin de microscope, et où son coup d’œil propre l’avait naturellement servi. […] Très bon dans le particulier, naturel et simple, il mérita d’être aimé de tout ce qui l’entourait autant qu’un génie peut l’être ; mais, même dans ses parties les plus humaines, on retrouverait ce côté ferme, indifférent, une équité bienveillante et supérieure plutôt que la tendresse de l’âme.

153. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XI : M. Jouffroy moraliste »

Quoi de plus naturel même ? […] Il y voyait d’abord une œuvre des forces naturelles ; il y voyait ensuite l’accomplissement d’une volonté surnaturelle. […] Les sciences naturelles tout d’un coup devenaient adultes, et la Société Royale semblait la capitale du monde pensant. […] Cours de droit naturel, 29e leçon, p. 118. […] Cours de droit naturel, 2e leçon, p. 50.

154. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre II. Comment les nations parcourent de nouveau la carrière qu’elles ont fournie, conformément à la nature éternelle des fiefs. Que l’ancien droit politique des romains se renouvela dans le droit féodal. (Retour de l’âge héroïque.) » pp. 362-370

Lorsque les universités d’Italie commencèrent à enseigner les lois romaines d’après les livres de Justinien, qui les présente d’une manière conforme au droit naturel des peuples civilisés, les esprits déjà plus ouverts s’attachèrent aux règles de l’équité naturelle dans l’étude de la jurisprudence, cette équité égale les nobles et les plébéiens dans la société, comme ils sont égaux dans la nature. […] Le droit naturel des moralistes est celui de la raison ; le droit naturel des gens est celui de l’utilité et de la force.

155. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Bernardin de Saint-Pierre »

Aucun préjugé du monde, aucune habitude factice, aucun dogme restrictif, n’arrêtèrent, dans son essor, sa sensibilité naturelle, et il s’y abandonna. […] Et surtout l’idée religieuse et austère, que fomentait le jansénisme, allait à ne voir partout au dehors qu’occasion d’exercice et de mortification pour l’âme, et à obscurcir, à fausser, pour ainsi dire, le spectacle naturel dans les plus engageantes solitudes. […] Mais la nouveauté était aussi dans sa manière et dans son pinceau ; il mêlait aisément aux tableaux qu’il offrait des objets naturels, le charme des plus délicieux reflets ; il avait le pathétique, l’onction dans le pittoresque, la magie. […] Le succès en fut prompt et immense ; l’influence croissante de Rousseau et des idées de sensibilité et de religion naturelle avait préparé les esprits à saisir avidement de telles perspectives. […] Girodot dans Endymion, Prudhon surtout en quelques-unes de ses productions trop rares, ont conçu et disposé la scène naturelle sous un jour assez semblable.

156. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre I. Du comique en général »

L’indifférence est son milieu naturel. […] Pour comprendre le rire, il faut le replacer dans son milieu naturel, qui est la société ; il faut surtout en déterminer la fonction utile, qui est une fonction sociale. […] Il faudra qu’elle tire de son propre fonds, par une opération naturelle, l’occasion sans cesse renouvelée de se manifester extérieurement. […] On est sur une des grandes pentes naturelles du rire. […] Ici encore nous avons voulu suivre fidèlement une direction naturelle du mouvement de l’imagination.

157. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre II. Deuxième élément, l’esprit classique. »

Or, quoi de plus efficace qu’un moule préalable, imposé, accepté, dans lequel, en vertu du naturel, de la tradition et de l’éducation, tout esprit s’enferme pour penser ? […] En effet, d’un bout à l’autre de sa philosophie, pour toute préparation il ne demande à ses lecteurs que « le bon sens naturel », joint à cette provision d’expérience courante que donne la pratique du monde. — Comme ils sont l’auditoire, ils sont les juges. « C’est le goût de la cour qu’il faut étudier, dit Molière350, il n’y a point de lieu où les décisions soient si justes… Du simple bon sens naturel et du commerce de tout le beau monde, on s’y fait une manière d’esprit qui, sans comparaison, juge plus finement les choses que tout le savoir enrouillé des pédants. » — À partir de ce moment, on peut dire que l’arbitre de la vérité et du goût n’est plus, comme auparavant, l’érudit, Scaliger par exemple, mais l’homme du monde, un La Rochefoucauld, un Tréville351. […] Enfin, pour la première fois, voici dans un écrit des groupes naturels et distincts, des ensembles clos et complets, dont aucun n’empiète ni ne subit d’empiètement. […] Il y a donc un défaut originel dans l’esprit classique, défaut qui tient à ses qualités et qui, maintenu d’abord dans une juste mesure, contribue à lui faire produire ses plus purs chefs-d’œuvre, mais qui, selon une règle universelle, va s’aggraver et se tourner en vice par l’effet naturel de l’âge, de l’exercice et du succès. […] Les ouvrages en vers qui sont le plus à la mode en France sont les pièces de théâtre ; ces pièces doivent être écrites dans un style naturel qui approche de la conversation. » 370.

158. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre III. Littérature didactique et morale »

D’autres lapidaires, d’autres bestiaires suivront, attestant et le succès du genre et l’ineptie scientifique des lecteurs, d’autant plus extravagants que la description des choses naturelles s’y mêlera davantage de moralisations allégoriques. […] Et tout le monde extérieur, ennemi naturel de la joie des amants, se ramasse en deux groupes symboliques, la curiosité maligne et bavarde des indifférents, Malebouche, et l’hostilité soupçonneuse de ceux qui ont puissance sur la femme, Jalousie. […] La raison ne distingue les individus que selon l’inégalité naturelle : la force physique, que notre penseur est loin de mépriser, mais surtout l’intelligence et la science, voilà ce qui élève les hommes et leur confère une dignité supérieure. […] La nature prescrit, à l’homme ses besoins, et par là lui prescrit aussi ses désirs : tonie passion qui va au-delà du besoin naturel est factice et mauvaise. […] La bonne vie naturelle et, partant, le bonheur ne sont-ils pas à la portée de tous ?

159. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre III. Montaigne »

Les Essais, c’est Montaigne, c’est vingt ans de vive et robuste pensée, c’est toute une vie intellectuelle ramassée en naturels discours : « livre, disait-il, consubstantiel à son auteur ». […] Si l’on sait rejeter cet être artificiel qui recouvre en chacun de nous l’être naturel, si l’on se retranche aux seuls biens qui sont liés à nos primitives et naturelles fonctions, nous avons des plaisirs et des douleurs — en petit nombre, mais bien réels — qui nous sont communs à tous, et sur lesquels nous sommes tous d’accord. […] Soyons libres même à l’égard des affections naturelles : aimons notre patrie, notre femme, nos enfants, non pas jusqu’au point de nous en troubler. […] Les hommes se combattent et se haïssent parce qu’ils se voient différents : Montaigne leur étale leur naturelle égalité, pour les convier à vivre en frères. […] Son livre, comme sa vie, respire un dogmatisme serein, le dogmatisme de l’égoïsme naturel et du sens commun.

160. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre VI. Le Bovarysme essentiel de l’humanité »

Il s’empare de forces naturelles qui devront épargner les siennes et il parvient, par mille inventions, à multiplier ses richesses dans d’incroyables proportions. […] L’homme primitif, dans son désir de survie, nie le fait de la mort naturelle : il n’y voit qu’un changement de condition et l’explique de mille façons ingénieuses, naïves ou grossières. […] Il est donc naturel que cette source d’énergie ait été captée et utilisée à son profit par le Génie de la Connaissance, et de fait, il semble bien qu’un tel souci soit une des premières sources de l’esprit scientifique. […] À la mort naturelle, qui vient à son heure par usure de l’organisme, il a substitué, par le fait de l’intervention médicale, d’innombrables causes de mort lente, d’innombrables maladies diverses. Mais en modifiant ainsi dans son corps le cours naturel de la vie, en y instituant ces hardies et multiples expériences, il faisait accomplir, ainsi qu’on l’a montré, un progrès merveilleux à la science de la vie.

161. (1904) Propos littéraires. Deuxième série

Raison ne veut rien dire autre chose que naturel. […] Bon pour le Pont-Neuf. » Raison veut dire naturel sans naturalisme, naturel capable de plaire à un homme raisonnable. […] — C’est-à-dire qu’on fût naturel. […] » et « le naturel !  […] Rien de plus naturel.

162. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VIII. De l’éloquence » pp. 563-585

Examinons cependant pourquoi, depuis les premières années de la révolution, l’éloquence s’altère et se détériore en France, au lieu de suivre les progrès naturels dans les assemblées délibérantes ; examinons comment elle pourrait renaître et se perfectionner, et terminons par un aperçu général sur l’utilité dont elle est aux progrès de l’esprit humain et au maintien de la liberté. […] Si vous confondez par une égalité grossière et jalouse ce que distingue l’inégalité naturelle, votre état social ressemble à la mêlée d’un combat dans lequel l’on n’entend plus que des cris de guerre ou de fureur. […] Cette foule d’écrivains calomniateurs émoussent jusqu’au ressentiment qu’ils inspirent ; ils ôtent successivement à tous les mots dont ils se servent, leur puissance naturelle. […] Le son pur de la vérité qui fait éprouver à l’âme un sentiment si doux et si exalté, ces expressions justes et nobles d’un cœur content de lui, d’un esprit de bonne foi, d’un caractère sans reproches, on ne savait à quels hommes, à quelles opinions les adresser, sous quelle voûte les faire entendre ; et la fierté, naturelle à la franchise, portait au silence bien plutôt qu’à d’inutiles efforts. […] Elle ne s’exercera plus sur tout ce qui a rapport aux sciences politiques et métaphysiques, sur toutes les idées abstraites de quelque nature qu’elles soient ; mais elle n’en sera que plus honorée : car on ne pourra plus la présenter comme dangereuse, si elle se concentre dans son foyer naturel, dans la puissance des sentiments sur notre âme.

163. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre III. Poésie érudite et artistique (depuis 1550) — Chapitre I. Les théories de la Pléiade »

Beaucoup cherchèrent alors à traduire dans des vers les hautes conceptions de leurs intelligences, les inquiétudes profondes de leurs âmes : à leur raffinement, à leur obscurité, à leur laborieuse aversion du vulgaire naturel, on serait tenté de ne voir en eux que la « queue » des grands rhétoriqueurs. […] Elle méprise ces poètes de cour, guidés, comme dit Du Bellay, Par le seul naturel, sans art et sans doctrine. […] Du Bellay veut la rime volontaire, propre, naturelle, juste enfin « comme une harmonieuse musique tombante en bon et parfait accord ». […] Il fallait jeter bien des mots dans la langue ; les meilleurs resteraient, élus par l’usage ; une sorte de concurrence et de sélection naturelle déblaierait le vocabulaire peu à peu. […] Il demande « une naïve et naturelle poésie ».

164. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre II. Des livres de géographie. » pp. 5-31

Mr. de Querlon a pour associé dans cette entreprise M. de Surgi, à qui l’on doit les Mélanges intéressans, ou l’Abrégé de l’Histoire naturelle, de l’Asie, de l’Afrique & des terres polaires, en dix vol. […] Il fait donc voyager un Provençal qui part de Marseille pour se rendre dans le Levant, écrit de tous les endroits où il a séjourné, & rend exactement compte à une Dame de tout ce qu’il y a d’intéressant à savoir sur la position des lieux, sur les singularités de la nature, sur les loix, sur les mœurs, les usages, la religion, le gouvernement, le commerce, les sciences, les arts, l’habillement, les édifices, les productions naturelles, &c. […] On trouve dans cet ouvrage l’histoire naturelle, ecclésiastique, militaire, morale & civile des contrées du nouveau monde. […] L’auteur entre dans des discussions intéressantes & amène des points d’histoire qu’il approfondit en homme qui joint une vaste érudition à beaucoup d’esprit naturel. […] La Description historique & critique de l’Italie ou Nouveaux mémoires sur l’état actuel de son gouvernement, des sciences, des arts, du commerce, de la population & de l’histoire naturelle, par M. l’Abbé Richard, en six volumes in-12. 1766. , est un livre infiniment curieux, rempli de goût, d’érudition, de sagacité, de critique.

165. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « De Stendhal »

Il le fut de naturel, d’originalité, de clarté, de logique, poussant sa tartufferie jusqu’à la sécheresse, un Tartuffe qui commença par jouer sa comédie aux autres et qui devint, comme tous les Tartuffes, son propre bonhomme Orgon à, lui-même, punition ordinaire et bien méritée de tous ces menteurs ! […] pas de naturel véritable dans les lettres de cet homme dont l’esprit n’ondoie point, ne se contredit point, et qui aimait tant le naturel, — nous a-t-il dit et répété dans ses livres et sur tous les tons, mais qui l’aimait probablement comme les roués aiment les femmes candides ! […] Elle lui a donné des manières, des affectations, des grimaces d’originalité désagréables aux âmes qui ont la chasteté du Vrai… Sans doute, il est fort difficile de bien déterminer ce que c’est que le naturel dans l’originalité. […] Qu’importe si, dans ce tour de souplesse du naturel dans l’originalité, l’effort est voilé par un art suprême ! […] et il a la force dans le style, qui, de fort, sous sa plume, devient immanquablement de mauvais goût s’il ajoute quelque chose au jeu naturel de ses muscles et de sa robuste maigreur.

166. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Stendhal » pp. 43-59

Il le fut de naturel, d’originalité, de clarté, de logique, poussant sa tartufferie jusqu’à la sécheresse ; un Tartuffe qui commença par jouer sa comédie aux autres, et qui devint, comme tous les Tartuffes, son propre bonhomme Orgon à lui-même, punition ordinaire et bien méritée de tous ces menteurs ! […] pas de naturel véritable dans les lettres de cet homme, dont l’esprit n’ondoie point, ne se contredit point, et qui aimait tant le naturel, — nous a-t-il dit et répété dans tous ses livres et sur tous les tons, — mais qui l’aimait probablement comme les roués aiment les femmes candides ! […] Elle lui a donné des manières, des affectations, des grimaces d’originalité, désagréables aux âmes qui ont la chasteté du Vrai… Sans doute, il est fort difficile de bien déterminer ce que c’est que le naturel dans l’originalité. […] qu’importe si, dans ce tour de souplesse du naturel dans l’originalité, l’effort est voilé par un art suprême ! […] , et il a la force dans le style, qui, de fort sous sa plume, devient immanquablement de mauvais goût, s’il ajoute quelque chose au jeu naturel de ses muscles et à sa robuste maigreur.

167. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre premier. Rapports de l’invention et de la disposition »

Il faut conserver la liberté de ses mouvements, ne point gêner la naturelle allure de l’esprit, en lui imposant une direction trop rigoureuse, en l’emprisonnant dans des divisions trop absolues : il resterait stérile et ne trouverait rien. […] Ce n’est que lorsqu’on a amassé un grand butin qu’on doit songer à en faire l’inventaire, à le classer : et de la diversité naturelle des choses, de leurs analogies et de leurs oppositions, la réflexion dégage une ordonnance logique et sûre. […] L’attention distinguera donc les diverses opérations qui s’unissent dans le jeu spontané des énergies naturelles.

168. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 47, quels vers sont les plus propres à être mis en musique » pp. 479-483

Nous avons exposé en parlant de la musique, qu’elle devoit imiter dans ses chants les tons, les soupirs, les accens, et tous ces sons inarticulez de la voix, qui sont les signes naturels de nos sentimens et de nos passions. […] En effet, le musicien obligé de mettre en musique de pareils vers, ne trouveroit pas beaucoup de ressource pour sa mélodie dans la déclamation naturelle des paroles. […] Mais les premiers renferment les sentimens naturels d’un coeur agité d’une nouvelle passion.

169. (1757) Réflexions sur le goût

C’est jusque-là que le philosophe remonte, mais c’est là qu’il s’arrête, et d’où par une pente naturelle il descend ensuite aux conséquences. […] Comme il sait que c’est la première loi du style, d’être à l’unisson du sujet, rien ne lui inspire plus de dégoût que des idées communes exprimées avec recherche, et parées du vain coloris de la versification : une prose médiocre et naturelle lui paraît préférable à la poésie qui au mérite de l’harmonie ne joint point celui des choses : c’est parce qu’il est sensible aux beautés d’image, qu’il n’en veut que de neuves et de frappantes ; encore leur préfère-t-il les beautés de sentiment, et surtout celles qui ont l’avantage d’exprimer d’une manière noble et touchante des vérités utiles aux hommes. […] Quelque harmonieuse que soit sa prose, l’harmonie poétique était sans charmes pour lui, soit qu’en effet la sensibilité de son oreille fut bornée à l’harmonie de la prose, soit qu’un talent naturel lui fit produire de la prose harmonieuse sans qu’il s’en aperçût, comme son imagination le servait sans qu’il s’en doutât, ou comme un instrument rend des accords sans le savoir. […] On pourrait d’abord répondre que le second vers exprimant un sentiment plus naturel, devrait au moins précéder le premier, et par conséquent qu’il l’affaiblit. […] L’impression est le juge naturel du premier moment, la discussion l’est du second.

170. (1884) Articles. Revue des deux mondes

Beaucoup d’espèces sans doute ont disparu par le concours des circonstances extérieures ; la plupart cependant ont péri de mort naturelle. […] Quel profit espérer d’une Histoire naturelle écrite il y a plus de deux mille ans, par un Grec de Stagyre ? […] En histoire naturelle, la classification est, en effet, le point d’arrivée de la science, ou plutôt elle est la science même, ramassée comme en un tableau. […] Tout ce qu’il y a de vraiment scientifique dans l’Histoire naturelle de Pline vient de l’Histoire des animaux. […] La pensée d’Aristote est désormais souveraine dans le domaine de l’histoire naturelle, et cette royauté, elle ne devait plus la perdre ; son génie est le génie même de la philosophie zoologique.

171. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — II » pp. 254-269

Or, dans la peinture générale qu’il fait de l’homme, il commence par étaler, sans compensation et sans contre-poids, toutes les causes de misère, d’incertitude et d’erreur ; il humilie l’homme tant qu’il peut, et, à ne considérer même les choses qu’au point de vue purement naturel, il ne tient point compte de cette force sacrée qui est en lui, de cette lumière d’invention qui lui est propre et qui éclate surtout dans certaines races, de ce coup d’œil royal et conquérant qu’il lui est si aisé, à l’âge des espérances et dans l’essor du génie, de jeter hardiment sur l’univers. […] Qui agit par ce ressort, agit selon Dieu… » Charron ici, comme en quelques autres endroits, se trouve en contradiction avec son premier scepticisme fondamental, et moyennant cette lumière naturelle qui luit en chacun et qu’il semble reconnaître, il est plus voisin des platoniciens qu’il ne croit. […] La véritable est celle qui ne s’applique point extérieurement et machinalement à l’esprit, qui ne lui impose pas des formes une fois trouvées, et par lesquelles on se croit dispensé du ressort intérieur et de l’invention naturelle. […] Chanet se met donc à réfuter Charron et Montaigne (sans nommer ce dernier) sur les principes de leur scepticisme ; il se sert de ses connaissances en médecine et en histoire naturelle pour rabattre de ce qu’ils ont dit des animaux et pour maintenir l’homme à son rang légitime45. […] [NdA] Dans un lieu où les développements seraient permis, il y aurait à citer au long et à mettre en regard les passages de ces divers auteurs ; c’est ce qu’il me fut permis de faire un jour dans une de mes leçons à l’École normale et à propos de ces idées de Charron sur la convenance qu’il y a pour les mères d’allaiter elles-mêmes leurs enfants ; ayant produit le plaidoyer de Favorin, je disais à mes jeunes et studieux auditeurs : « Je cherche à établir dans vos esprits une filiation naturelle.

172. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres publiées par M. de Falloux. »

La plupart des Pensées de Mme Swetchine semblent avoir ainsi mûri au feu du soleil intérieur, et, au lieu d’être, comme des plantes naturelles d’Italie, écloses au grand air et aux rayons du matin, et qui ont bu la rosée avec l’aurore, elles ont l’air d’avoir poussé en serre et en chambre bien nattée. […] Si elle manque souvent de naturel, on ne doit pas s’en étonner, puisqu’elle est en hostilité déclarée et irréconciliable avec la nature. […] L’homme naturel, l’homme robuste, en pleine possession de la vie, et censé le mieux portant aux yeux du naturaliste, lui paraît, comme à saint Augustin, le grand malade qu’il s’agit de convaincre qu’il est malade et de guérir. […] J’ai voulu, en contraste a ces idées de Mme Swetchine, me donner ce que j’appelle une douche de sens naturel et d’humble sens commun, dussé-je avoir beaucoup à rabattre des trop hautes prétentions humaines. […] Tout cela, je l’avoue, mis en regard des pensées de Mme Swetchine, m’a paru plus vrai, plus naturel, plus vraisemblable, sans mener d’ailleurs nécessairement à des conclusions rigoureuses.

173. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français (suite.) »

Même dans le cadre resserré où je me suis tenu ; on a  pu saisir parfaitement la marche et le progrès naturel du Mystère ou jeu dialogué, et par personnages, des sujets religieux et sacrés. […] Il peut y avoir dans un ouvrage de l’habileté, des parties passables et même assez bonnes, qui font dire : Ce n’est pas trop mal, des situations touchantes, des dialogues assez vifs et assez naturels, d’heureuses reparties et d’heureuses rencontres, des hasards ou des commencements de talent plus, ou moins de main d’œuvre et de métier (la plupart de nos mélodrames actuels ont de tout cela), sans qu’il y ait véritablement beauté. […] Il est donc tout naturel qu’à l’occasion d’une des scènes qui suivent, — une scène de reconnaissance entre Judas et sa mère, devenue sa femme, quand elle découvre avec horreur qu’il est son fils, — M.  […] Louis Paris m’a forcé d’y revenir, j’en profiterai pour trouver de mon côte, par une sorte d’émulation et par contraste, les images et les comparaisons naturelles qui rendent pour moi l’effet produit par cette série de scènes et de journées, mises bouta bout, dont l’assemblage constitue un Mystère. […] C’était une grande lanterne magique au naturel, l’amusement des hommes de ce temps-là, c’est-à-dire de grands enfants.

174. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre I. François Rabelais »

Toutes les fonctions naturelles participent de la perfection de l’être, et forment une part de son bonheur. […] Panurge, dans la tempête, ceint, crie, prie, et ne fait rien : c’est bien, car il agit par naturelle poltronnerie. Le vice naturel s’évanouit : Rabelais débride les instincts, enlève les péchés. […] Il les posera nettement, vigoureusement ; il les suivra avec amour, d’un rire éclatant et serein, dans le tumultueux jaillissement de leurs énergies naturelles. […] De là sa gaieté copieuse, sa bouffonnerie indulgente à l’égard des actes naturels, et de là le pittoresque dramatique de son œuvre.

175. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires de Philippe de Commynes, nouvelle édition publiée par Mlle Dupont. (3 vol. in-8º.) » pp. 241-259

L’édition que j’annonce est une occasion toute naturelle de relire Commynes. […] Mais ici la pensée est élevée, naturelle, et la même réflexion s’applique à de bien plus grosses batailles et de plus savantes que celle-là. […] Non pas qu’il en veuille à Charles : en peut-on vouloir à ceux en qui le sens naturel fait défaut ? […] On a ici, chez Commynes, le portrait de Louis XI au naturel, sans charge aucune, sans rien de ces exagérations qu’on y a mêlées, un exact et fin portrait selon Holbein ou Albert Dürer. […] C’est du Montesquieu pris à sa source, au naturel.

176. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Mme de Genlis. (Collection Didier.) » pp. 19-37

La méthode d’en jouer était encore dans l’enfance : Mme de Genlis, avec sa facilité et son adresse naturelle, en réforma et en perfectionna le doigté. […] Je reviendrai tout à l’heure sur ces Leçons, où se trouve consignée au naturel toute l’enfance et l’adolescence du roi Louis-Philippe et de sa sœur. […] Pour faire un vrai portrait de Louis-Philippe, il faudrait le surprendre dès cette première éducation et dans l’extrait de Journal qu’on a publié de lui (1790-1791), et qui en est la suite naturelle. […] Un autre inconvénient encore, c’est de ne pas laisser aux jeunes esprits qui en sont le sujet un seul quart d’heure pour rêver, pour se développer en liberté, pour donner jour à une idée originale ou à une fleur naturelle qui voudrait naître. […] Le désaccord qu’on s’est plu à noter entre sa conduite et les principes affichés dans ses écrits ne fait que mieux ressortir peut-être ce que ce talent d’instituteur avait en elle de naturel, de primitif et, si j’ose dire, de sincère.

177. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Regnard. » pp. 1-19

Il est proprement gai et plaisant sans complication aucune, et cette vive qualité naturelle, poussée jusqu’au génie, est ce qui lui assure la première place dans la comédie après Molière. […] quand il s’agit de placer des fadaises, la tête d’une femme a plus d’étendue qu’on ne pense. » Dans La Sérénade il y a un certain Champagne qui est bien l’ivrogne le plus naturel et le plus franc. […] Voilà ce qu’il y a de plus naturel chez une femme, et Regnard l’a trouvé. […] Regnard, qui ne devait pas assister à ce débordement et qui mourut avant Louis XIV, voyait au naturel et peignait avec saillie ces générations affectées et grossières, dont nous trouvons également le portrait en vingt endroits des lettres de Mme de Maintenon. […] Ces philosophes au naturel et de la famille de Gil Blas me plaisent, et font diversion à ces autres philosophes métaphysiques et superfins qui se consument à raisonner sur la cause et la substance, sur le moi et le non-moi.

178. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LEBRUN (Reprise de Marie Stuart.) » pp. 146-189

Lebrun, l’un des premiers, ressentit en poésie ce besoin de nouveau, surtout de naturel, et travailla de son point de vue à le servir. […] En même temps que l’auteur, par sa manière plus naturelle et par la source où il puisait, réjouissait l’espérance des esprits libres, il satisfaisait pleinement les spectateurs simples. […] Les anciens pourtant, remarquons-le, n’apostrophent que discrètement, hors de la forme mythologique, ces choses naturelles extérieures. […] Lebrun s’était adressé à l’illustre écrivain comme au patron naturel de tous les hommes de lettres honorables. […] Lebrun, dans ses vers, rendit aux rivages célèbres quelque chose de leur naturelle et sauvage verdeur ; on sentit l’homme qui avait visité ce pays de renaissante mémoire, avant de le chanter.

179. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre II. Les bêtes »

Depuis deux cents ans les êtres qu’on séparait au dix-septième siècle se sont rejoints, et les choses ont repris leur parenté naturelle. […] Nous nous en apercevons à la fatigue secrète qui nous dégoûte du spectacle des choses humaines et nous pousse à la contemplation des choses naturelles. […] Buffon est là pour donner raison à La Fontaine. « Sa colère est noble, son courage magnanime, son naturel sensible. […] S’il friponne les gens et leur débite des contes, c’est par naturel, pour son plaisir, par besoin d’imagination, plutôt qu’avec calcul et pour son profit. […] L’inconstance de son naturel se marque par l’irrégularité de ses actions.

180. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « La duchesse du Maine. » pp. 206-228

Le Grand Condé n’avait au fond de l’âme rien moins que cette bonté naturelle dont l’a loué Bossuet ; mais son grand esprit et son vaillant cœur couvraient bien des choses. […] Il était pied-bot par vice d’humeur, ce qui augmentait sa timidité naturelle dans le monde. […] Louis XIV lui-même s’était déridé une fois, et il avait ri d’un rire naturel à l’une des espiègleries dont cet abbé au nez royal était le sujet. […] Tout autre en eût tiré quelque leçon, ou du moins quelque dégoût et quelque tristesse ; mais la force du naturel et des premières impressions l’emporta. […] On ne peut mieux faire saillir ce qu’avaient de naturel, de parfait, et même de juste dans un certain sens, cet esprit et cette parole prompte, qui était tellement chez soi au sein d’un monde artificiel.

181. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre III : La science — Chapitre II : De la méthode expérimentale en physiologie »

C’est là, suivant lui, le critérium qui distingue la physique des sciences naturelles. […] Une autre difficulté qui s’élève contre la méthode expérimentale en physiologie, c’est le préjugé répandu et bien naturel de la spontanéité des corps vivants. […] Elle représente ainsi une protestation contre une hypothèse non démontrée, et elle sauve par là même le physiologiste des illusions où pourrait l’entraîner le désir bien naturel de simplifier les choses, de réduire les propriétés vitales aux propriétés générales de la matière. […] Les digestions et les fécondations artificielles n’ont rien qui diffère des digestions et des fécondations naturelles, si ce n’est qu’elles se passent dans un autre milieu. […] Autant on doit être sévère pour les philosophes qui nient la philosophie, autant nous trouvons naturel et excusable l’orgueil du savant qui, marchant d’un pied ferme sur le terrain solide de la réalité, ne peut s’empêcher de contempler avec quelque pitié nos fragiles systèmes et nos éternelles controverses.

182. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 35, de la mécanique de la poësie qui ne regarde les mots que comme de simples sons. Avantages des poetes qui ont composé en latin sur ceux qui composent en françois » pp. 296-339

Les hommes se donnent à entendre les uns aux autres par des sons artificiels et par des sons naturels. […] Ils perdent ainsi l’énergie que leur donnoit le rapport naturel de leur son avec la chose dont ils étoient les signes instituez. […] Mais suivant notre construction le cas d’un nom ne sçauroit être marqué distinctement dans une phrase, qu’à l’aide de la suite naturelle de la construction, et par le rang que le mot y tient. […] Il faut la sçavoir pour être capable de bien parler latin, comme il faut sçavoir la quantité de syllabes de sa langue naturelle pour la bien parler. […] Mais la rime seule devient par l’asservissement des phrases françoises à l’ordre naturel des mots, une chaîne aussi gênante pour un poete sensé, que toutes les regles de la poesie latine.

183. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Mignet : Histoire de la Révolution française, depuis 1789 jusqu’en 1814. 3e édition. »

  C’est une faculté naturelle à tous les hommes, à laquelle les indifférents n’échappent pas plus que les curieux, d’aspirer en tout sujet à connaître les causes, et de s’y complaire lorsqu’elles sont saisies. […] Il semble que la vraie destination, le rendez-vous naturel de tels esprits ne puisse être que la philosophie ou la science, et que dans l’une ou l’autre seulement, ils puissent se donner satisfaction ou du moins carrière. […] Lui aussi ne voit dans une révolution qu’un acte unique et fatal régulièrement accompli en plusieurs temps marqués ; seulement, au lieu d’en mesurer la durée d’après la succession naturelle des passions humaines, il la mesure d’après la succession supposée des pensées divines. […] Pendant que ces causes et ces passions avaient leurs effets et leur cours, les forces naturelles, physiques, physiologiques, n’étaient pas suspendues ; la pierre continuait de peser, et le sang de circuler.

184. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XV. Des ouvrages sur les différentes parties de la Philosophie. » pp. 333-345

., est curieuse ; mais le style n’est pas toujours pur, & il s’éloigne souvent du simple & du naturel. […] Il y a de grands ouvrages sur l’histoire naturelle qui décoreroient bien un cabinet dans lequel on ne regretteroit point une certaine dépense. […] C’est l’Histoire naturelle, générale & particuliére avec la description du cabinet du Roi, par M. […] Nous avons un Dictionnaire d’Histoire naturelle, en six vol.

185. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre IV. Suite des précédents. — Julie d’Étange. Clémentine. »

Écoutez parler Clémentine ; ses expressions sont peut-être encore plus naturelles, plus touchantes et plus sublimement naïves que celles de Julie : Je consens, monsieur, du fond de mon cœur (c’est très sérieusement, comme vous voyez), que vous n’ayez que de la haine, du mépris, de l’horreur pour la malheureuse Clémentine ; mais je vous conjure, pour l’intérêt de votre âme immortelle, de vous attacher à la véritable l’Église. […] Comme il promet toujours une récompense pour un sacrifice, on croit ne rien lui céder en lui cédant tout ; comme il offre à chaque pas un objet plus beau à nos désirs, il satisfait à l’inconstance naturelle de nos cœurs : on est toujours avec lui dans le ravissement d’un amour qui commence, et cet amour a cela d’ineffable, que ses mystères sont ceux de l’innocence et de la pureté. […] Il y a toutefois dans ce morceau un mélange vicieux d’expressions métaphysiques, et de langage naturel.

186. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 26, que les sujets ne sont pas épuisez pour les peintres. Exemples tirez des tableaux du crucifiment » pp. 221-226

L’impression d’un grand coup nous oblige à nous ramasser le corps par un mouvement violent et naturel. […] Cette pensée très-convenable à la situation des personnages, et qui montre des accidens differens de la même passion, va jusques au sublime ; mais elle paroît si naturelle en même-tems, que chacun s’imagine qu’il l’auroit trouvée, s’il eût traité le même sujet. […] On suë vainement, dit Horace, quand on veut trouver des inventions du même genre sans avoir un genie pareil à celui du poëte, dont on veut imiter le naturel et la simplicité.

187. (1869) Philosophie de l’art en Grèce par H. Taine, leçons professées à l’école des beaux-arts

Le plus souvent, elle est encadrée de rocs qui avancent ou d’îles qui se rapprochent et font un port naturel. […] Notre fond naturel est vicieux ; réprimons tous nos penchants naturels et mortifions notre corps. […] Combien plus naturel et plus sain est le spectacle que nous présente Homère ! […] Etant né de tels parents, il est naturel que tu sois en tout le premier. […] Lorsqu’un peuple sent la vie divine des choses naturelles, il n’a pas de peine à démêler le fond naturel d’où sortent les personnes divines.

188. (1882) Qu’est-ce qu’une nation ? « II »

Les limites de la France en 1789 n’avaient rien de naturel ni de nécessaire. […] À l’époque où furent faites les annexions, on n’avait l’idée ni des limites naturelles, ni du droit des nations, ni de la volonté des provinces. […] V. — La géographie, ce qu’on appelle les frontières naturelles, a certainement une part considérable dans la division des nations. […] Et, d’abord, sont-ce les montagnes ou bien sont-ce les rivières qui forment ces prétendues frontières naturelles ? […] Si l’histoire l’avait voulu, la Loire, la Seine, la Meuse, l’Elbe, l’Oder auraient, autant que le Rhin, ce caractère de frontière naturelle qui a fait commettre tant d’infractions au droit fondamental, qui est la volonté des hommes.

189. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Deuxième série

Il n’y a pas de morale scientifique, parce qu’il n’y a pas de morale naturelle. […] Et il n’a point étonné ; il a paru naturel, peut-être seulement un peu sublime dans son naturel. […] C’est elle qui a conduit Quinet à l’histoire naturelle. […] Il demande à l’histoire naturelle des leçons de politique. […] Et pourquoi, pour savoir la loi de l’histoire, s’adresser à l’histoire naturelle ?

190. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Conclusion. Le passé et le présent. » pp. 424-475

Ils goûtent encore les plaisirs naturels ; la précocité ne les a point gâtés. […] Et cette circulation semble naturelle, tant elle est bien conduite. […] Ajoutez la brique, les grands schistes qui affleurent, et les estuaires des fleuves où la mer entre pour faire un port naturel. […] Et ce n’est point là un gouvernement importé, implanté artificiellement et du dehors ; c’est un gouvernement spontané et naturel. […] Ainsi dure leur association politique ; ils peuvent être libres parce qu’ils ont des conducteurs naturels et des nerfs patients.

191. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre III. Poëtes françois. » pp. 142-215

Sa touche est plus forte que fine & délicate ; mais elle est toujours naturelle. […] Tout chez lui est vif, concis, touchant, naturel & harmonieux. […] Le Poëme de la Loi naturelle par M. de Voltaire est au rang des Poëmes didactiques. […] Sa Muse a du naturel, de l’enjouement, de l’énergie ; mais elle se permet des libertés dignes d’un cynique. […] Son style est naturel, mais foible.

192. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Geoffroy de Villehardouin. — II. (Fin.) » pp. 398-412

Sentiment du départ, naturel à l’homme, que chaque génération mêlée à une belle entreprise éprouve à son tour, et que chaque historien s’essaye à rendre ! […] Il est deux ou trois points toutefois que je crois bon de dégager et de maintenir, à travers la confusion des scènes et l’horreur naturelle qui s’attache à de tels récits. […] Parlant de ces habitudes asiatiques et lâchement cruelles par lesquelles ces empereurs grecs rivaux se réconciliaient en apparence, faisaient mine de s’embrasser, s’invitaient à des festins, et se crevaient les yeux à l’improviste, Villehardouin nous dit : « Jugez maintenant s’ils étaient dignes de tenir la souveraineté et l’empire, des hommes qui exerçaient de telles cruautés les uns envers les autres ; qui se trahissaient les uns les autres si déloyalement. » S’il y a quelque moralité naturelle dans cette croisade des Français d’alors et dans leur victoire sur Byzance, elle est tout entière dans cette réflexion, qui était aussi celle de Baudouin et de son frère, de ces nouveaux empereurs, vrais chrétiens et honnêtes gens. […] Ils n’estiment rien que la vaillance, dit toujours Nicétas des Français d’alors et de ceux qu’il appelle Barbares, mais c’est la vaillance séparée des autres vertus ; ils la revendiquent pour eux comme infuse par nature et corroborée par un long usage, et ne souffrent qu’aucune autre nation puisse se comparer à eux en ces choses de guerre ; d’ailleurs étrangers aux Muses et n’ayant aucun commerce avec les Grâces, ils sont d’un naturel farouche, et ont la colère plus prompte que la parole. […] Daunou, la gracieuse et piquante naïveté de Joinville, il attache ses lecteurs par la simplicité, la franchise et le cours naturel de son récit. » Ce cours naturel est très bien dit : son récit marche et se presse.

193. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Octave Feuillet »

Pris au mot par le confiant mari, le docteur se voit obligé de jouer lui-même le rôle du faux amant, et il y a des moments où l’on croirait qu’il le joue au naturel et au vrai. […] Feuillet arrivera plus tard à la franchise de l’expression dans Dalila ; mais jusque-là il y a quelques impropriétés, des tours assez peu naturels, sous une forme toujours élégante d’ailleurs et polie. […] Toutes ces descriptions sont naturelles et animées ; tout marche à ravir, jusqu’au moment où, après la rencontre d’une chasse, partie d’un château voisin, après l’avoir voulu fuir et en être même venu à bout, notre homme est relancé jusque dans son moulin et sa ruine, et où il devient l’hôte du château. […] C’est inhumain, c’est dur et bien peu naturel. […] cet homme, jeune encore d’air et d’années, est assis devant vous, de côté, près d’une fenêtre ; le soleil se couche ; un rayon glisse et l’effleure, et alors, sur cette tête si riche et si fière de sa brune parure, vous voyez tout à coup se dessiner, avec une précision désespérante, quelques mèches qu’on ne soupçonnait pas et qui ont beau être mêlées artistement aux autres plus naturelles : une couleur rougeâtre, sous cette lumière rasante, les a trahies.

194. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre V. La Fontaine »

C’est que La Fontaine a un égoïsme d’une qualité particulière, cet égoïsme des enfants, qui n’est que l’instinct naturel, que l’éducation n’a pas entamé ni complété, et dans lequel la civilisation n’a point mêlé ses complications corruptrices. […] C’est tout juste le contraire de ce qu’on attendrait d’un génie naturel et facile : la poésie de La Fontaine est l’œuvre de sa maturité déjà avancée. […] Il n’y a rien d’inconscient dans son génie ; il est tout clair, avisé, réfléchi ; et il faut qu’il ait nettement conçu et la qualité de son naturel et le caractère de son idéal pour les réaliser dans des œuvres parfaites. […] Il mêle tous ces emprunts dans le courant limpide de son style, et les plus vertes expressions, les plus triviales, et qui sentent la canaille ou l’écurie, n’étonnent ni ne détonnent chez lui, tant elles sont à leur place, et justes, naturelles, nécessaires. […] Alors toutes les bizarreries, toutes les impossibilités deviennent vraisemblables ; les symboles se présentent déjà tout chargés de sens, et taillés à la mesure des réalités naturelles.

195. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome I

Maxime, dont le caractère est bien moins noble que celui de Cinna, ne nous instruirait pas assez à quel point le fanatisme peut corrompre le plus beau naturel. […] On ne cesse de répéter qu’Octave fut heureux : disons plutôt qu’il fut habile, et voyons dans son bonheur la suite naturelle de sa conduite. […] Cette politique, au fond assez naturelle, n’est ni intéressante ni théâtrale. […] Mais l’ensemble du style est chaud, ferme, plein d’une sève vigoureuse, d’un naturel franc et original. […] Faut-il compter pour rien ce naturel, cette vérité si précieuse dans les arts ?

196. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 189-194

La plupart de ces Ouvrages péchent par le choix du sujet, les autres par le plan ou l’exécution, tous par le défaut de naturel & de simplicité. […] Il faut, pour être assuré de toujours plaire, s’attacher à des ressorts plus essentiels & plus solides, c’est-à-dire, à ce naturel qui survit à tout, à cette chaleur vivifiante, à ce moëlleux séduisant & flatteur, qui naissent de la force du sentiment, & que l’esprit ne sauroit jamais suppléer. […] Entraînée par son naturel, elle ne se porte que vers les plaisirs faciles, & les goûte sans que le cœur soit de la partie.

197. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre VII » pp. 278-283

On doit trouver dans les poèmes d’Homère les deux principales sources des faits relatifs au droit naturel des gens, considéré chez les Grecs Aux éloges que nous venons de donner à Homère, ajoutons celui d’avoir été le plus ancien historien du paganisme, qui nous soit parvenu. […] On a rapporté ces lois au législateur d’Athènes, d’où elles seraient passées à Rome, et l’on n’y a point vu l’histoire du droit naturel des peuples héroïques du Latium ; on a cru que les poèmes d’Homère étaient la création du rare génie d’un individu, et l’on n’y a pu découvrir l’histoire du droit naturel des peuples héroïques de la Grèce.

198. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — I. » pp. 234-253

Il avait plus de sentiments naturels qu’il n’aime à en accuser. […] Sur tous ces personnages historiques, le prince de Ligne est le témoin le plus juste et le plus rapide, le peintre le plus animé, le plus aisé et le plus au naturel. […] Belœil était, et, j’aime à le croire, est encore un assemblage et un composé charmant de jardins anglais et français, quelque chose de naturel et de régulier, d’élégant et de majestueux. […] Bien qu’il s’élève quelquefois contre la templomanie, il y mêle encore un peu trop d’autels, de statues et d’allégories selon le goût du temps ; mais il y a, dans les jolis dessins où il se joue, des plans et des devis tout naturels et pour toutes les fortunes : Je ne voudrais point, dit-il, faire venir l’ombre et l’eau dans mon jardin, que j’abandonnerais pour les chercher ailleurs. […] L’habitude de ce genre de beautés renouvelait ses jouissances au lieu de les diminuer, ce qui est le grand signe en toutes choses qu’on aime : « Je m’aperçois tous les jours de plus en plus, disait-il, qu’on ne se lasse pas du beau spectacle de la nature. » Pour conclure avec lui sur les jardins, sa morale pratique en ce genre est qu’il faut « en chercher et n’en pas faire », reconnaître et trouver les points de vue existants, les mouvements de terrain naturels, se contenter de les dégager, et non vouloir les créer à toute force ni les construire.

199. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — III — Toujours Vauvenargues et Mirabeau — De l’ambition. — De la rigidité » pp. 38-55

S’il hésite pourtant à dire qu’il a plus souvent qu’on ne le croit la plume à la main, il se montre bien au naturel et avec la dignité qui lui sied, dans la plénitude de ses pensées et de son rêve : Je ne vous cacherai point que je n’ai ni la santé, ni le génie, ni le goût qu’il faut avoir pour écrire ; que le public n’a point besoin de savoir ce que je pense, et que, si je le disais, ce serait ou sans effet, ou sans aucun avantage. […] voulez-vous démentir le chagrin naturel de ceux dont elle s’éloigne, qui témoigne si bien pour sa réalité ? […] Il est assez naturel qu’un homme qui passe sa vie à Verdun ou à Salins, parle de l’ambition en métaphysicien. » Et il retire la plupart de ses assertions, comme un assiégé fait rentrer dans la place des troupes qui se sont trop avancées dans une sortie. […] Un homme amolli me touche, s’il a l’esprit délicat ; la jeunesse et la beauté réjouissent mes sens, malgré l’étourderie et la vanité qui les suivent ; je supporte la sottise, en faveur du naturel et de la simplicité, etc. […] La correspondance entre Vauvenargues et Mirabeau, dans sa nouveauté d’aujourd’hui, est donc une intéressante lecture, profitable et pleine de sens ; elle agite beaucoup d’idées, provoque bien des observations contraires, pose au naturel les deux personnages, ajoute à notre bonne opinion de l’un, et ne laisse pas du tout une mauvaise opinion de l’autre.

200. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Le journal de Casaubon » pp. 385-404

Le latin de Casaubon est en général aisé, naturel, et le grec de son journal se compose en grande partie de locutions proverbiales, de centons de morale, ou de phrases du Nouveau Testament. […] Mais tout cela est bien naturel, dira-t-on, et tout homme de science, qui en même temps est père, l’a pu éprouver. Je le sais bien, et c’est précisément ce qui me touche en Casaubon : il est resté le plus naturel des hommes sous son latin bariolé de grec et d’hébreu. […] Contradiction singulière et pourtant assez naturelle ! […] Il était donc naturel que ce roi estimât Commynes léger et malicieux.

201. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet »

La France a perdu, le 17 janvier 1863, un de ses grands peintres, un de ses talents supérieurs et populaires comme elle les a aimés de tous temps, comme elle les préfère toujours, un grand talent naturel et facile. […] Je ne vois pas qu’il y ait eu grand mal à cela : son naturel, ce qui sera chez lui le trait dominant, ne fut altéré en rien. […] Se livrant avec une imagination vive et sensible à l’impression des objets, il en prend tour à tour le caractère : il change alternativement de style, de couleur, de moyens, et ne se ressemble qu’en une seule chose, la grâce et le naturel. […] Peu importe la différence des temps, des mœurs et des sujets qu’il reproduit : son procédé d’imitation est le même, et il a le même caractère de naturel et de vérité, et, comme eux encore, il se distingue par une fécondité extraordinaire. […] Ces grenadiers marchant au pas de charge dans la bataille de Montmirail, et s’avançant d’un pas si ferme et si assuré vers le danger, ont, sans aucune altération de traits ni de costume, une élévation et un naturel surprenant.

202. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

Un jour que je l’avais entendu raconter avec feu ses premières années, il m’est arrivé d’écrire : « Émile de Girardin est un produit de l’éducation naturelle. […] Émile est fils naturel ; il est pis que cela, il est fils adultérin, et en naissant il n’a pas été reconnu par sa mère pas plus qu’il n’est accepté par son vrai père. […] Les sentiments naturels et affectueux, mortellement affligés, se compliquent, chez Émile, de l’orgueil froissé, irrité et d’autant plus susceptible ; c’était inévitable. […] Rien ne lui paraît plus dans la nature qu’un enfant naturel ; s’il n’a pas de famille, il est mis dans un régiment ; à défaut de mère, il a son colonel, et s’il n’a pas de nom, qu’il s’en lasse un sur le champ de bataille. […] Des instincts d’élégance et de distinction naturelle lui disaient assez en même temps que, si l’on se mettait au taux et au niveau de tout le monde, ce devait être pour élever ce niveau et non pour s’y rabaisser.

203. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XI. L’antinomie sociologique » pp. 223-252

Elle a pour ennemies naturelles la clairvoyance et la sincérité des individus. […] Toute institution, toute croyance est un produit naturel des conditions d’existence sociales à un moment donné, dans un milieu donné. Étant un produit naturel et spontané du milieu social, une croyance collective est forcément sincère et véridique. […] Durkheim déclare le mensonge de groupe impossible et inexistant, par la raison que les croyances collectives, étant un produit spontané d’un certain milieu social, sont par là même naturelles et véridiques. Cela n’est pas évident. « Naturel » ou « nécessaire » ne veut pas dire forcément véridique. — Quand un homme ment à son voisin (mensonge d’individu à individu ou mensonge individuel), ce mensonge a bien ses conditions d’existence.

204. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre II : M. Royer-Collard »

En fait de science comme en fait de conduite, aucun des dons naturels qui confèrent l’autorité ne lui manquait ; il était né conquérant et dominateur des esprits. […] Ainsi définie, la perception extérieure devient certaine, parce qu’elle est naturelle et forcée. […] Si elles sont vraies en psychologie, elles sont vraies en géologie, en astronomie, en histoire naturelle. […] La conception, à l’état naturel et primitif, est accompagnée d’affirmation et de croyance. […] Cette théorie est si naturelle, que M. 

205. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Alexandre Dumas fils » pp. 281-291

Le Racine fils du romantisme, plus heureux que l’autre, qui n’osa pas toucher aux tragédies, est arrivé au bruit par le drame, comme son père… Cela parut naturel et presque juste… En fait de théâtre, Alexandre Dumas fils est tellement né là-dedans, il est tellement l’enfant de cette balle, et le théâtre de ces derniers temps doit tant à son père, que ce théâtre semblait comme tenu de le faire réussir… Il n’y a pas manqué. […] La question de la bâtardise, la possession d’état de l’enfant naturel, la position que doit faire la législation à la fille-mère, toutes ces questions sont touchées dans L’Affaire Clémenceau avec une curiosité enfantino-frémissante ; et, quoiqu’elles n’y soient pas résolues, quoiqu’elles n’y soient agitées que comme l’enfant agite la boîte où il a mis des scarabées et qu’il colle contre son oreille pour les entendre qui remuent, on sent que la partie de son livre que Dumas fils estime davantage, c’est le remuement de ces questions… Du reste, ce côté inattendu et révélé dans le nouveau roman d’Alexandre Dumas fils ne l’a pas empêché cependant de rester parfaitement le fils de son père, même à propos de cette question du bâtard qui s’étend sous les pieds de tout dans son livre, et qui en est comme le sous-sol. […] Comme tous les écrivains qui ne sont que des volontaires, Dumas fils manque de naturel et de vérité. Il a, si vous voulez, une certaine force de métier, mais il n’en a jamais assez pour rentrer, par le fait de cette force, dans le naturel de la vie.

206. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre V. Du gouvernement de la famille, ou économie, dans les âges poétiques » pp. 174-185

Les premiers hommes qui fondèrent la civilisation avaient été conduits à la société par la religion et par l’instinct naturel de propager la race humaine, causes honorables qui produisirent le mariage, la première et la plus noble amitié du monde. […] À ce droit héroïque Ulpien oppose le droit naturel des peuples civilisés (gentium humanarum) ; il les appelle civilisés ou humains, par opposition aux barbares des premiers temps ; et il ne peut entendre parler des barbares qui de son temps se trouvaient hors de l’Empire, et dont par conséquent le droit n’importait point aux jurisconsultes romains. […] Les contrats de société étaient inconnus, par un effet de l’isolement naturel des premiers hommes. […] Mais à cette époque où les hommes avaient encore tout l’orgueil farouche de la liberté bestiale, cette simplicité grossière où ils se contentaient des productions spontanées de la nature pour aliments, de l’eau des fontaines pour boisson, et des cavernes pour abri pendant leur sommeil ; dans cette égalité naturelle où tous les pères étaient souverains de leur famille, on ne peut comprendre comment la fraude ou la force eussent assujéti tous les hommes à un seul.

207. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (3e partie) » pp. 5-56

Selon nous, métaphysiquement parlant, cette liberté bien définie, c’est la révolte naturelle de l’égoïsme individuel contre la volonté générale de la société ou de la nation. […] Quand nous traiterons de la philosophie (ce que nous ferons l’année prochaine), nous reviendrons sur ce bel exorde de religion dite naturelle. […] La littérature légère, la philosophie éclectique, les sciences naturelles, les arts, la société intime avec Voltaire, Rousseau, plus tard avec les de Maistre de Savoie, avec madame de Staël, avaient encore illustré les Huber. […] La solitude rendit son esprit indépendant, effet ordinaire et naturel d’une méditation solitaire. […] Elle entreprenait donc, conformément à cette idée, de faire luire de nouveau cette sainteté primitive et naturelle dans les cœurs de tous les hommes.

208. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quinzième. »

Mme de Sévigné avait trop de naturel pour ne pas sentir la gêne de cet usage. […] Elle savait s’arranger de façon à être naturelle et approuvée, elle aimait qu’autour d’elle on n’écrivît que ce qui pouvait être montré. […] Je ne me plains pas qu’on aime le naturel dans notre pays jusqu’à n’en pas trouver assez chez Mme de Sévigné. […] On n’y est pas ébloui de la mobilité féminine, et le naturel en plaît davantage, parce qu’il vient de la raison qui dédaigne les gentillesses sans se priver des vraies grâces. […] Son esprit pénétrant, subtil, amer, est comme l’instrument naturel pour fouiller dans la corruption, et il y porte l’âpre investigation du confesseur, avec la liberté philosophique de l’historien.

209. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Troisième partie. — L’école historique » pp. 253-354

Je n’ai garde de confondre le beau naturel, que ce poète rencontre quelquefois, avec le familier, le bas, le négligé, le trivial, défauts dans lesquels il tombe trop souvent. […] Je crois qu’un poète dramatique peut se proposer de donner à ses personnages les paroles, l’accent, les gestes et toutes les franchises naturelles de la réalité. […] La méthode d’une science est le fruit lent et naturel du travail des siècles. […] Aux yeux du savant véritable, tout est bien, parce que tout est naturel. […] Rien en lui n’est hors de place ou contre le naturel… J’apprécie et j’aime Molière dès ma jeunesse, et durant tout le cours de ma vie j’ai appris à son école.

210. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (2e partie) » pp. 417-487

C’est la nature : elle seule était assez révélatrice des lois sociales pour inculquer à l’humanité cette condition de son existence ; elle seule était assez puissante pour faire obéir cette humanité, égoïste et toujours révoltée, à cette dure condition naturelle de la sociabilité qu’on nomme souveraineté. […] La véritable autorité sociale, qu’on appelle souveraineté, est donc divine ; divine, parce qu’elle est naturelle. […] C’est le décret de la souveraineté de la nature, et, en l’écrivant dans ton droit de vivre, elle a écrit en même temps ta destinée d’être sociable : car, sans la société naturelle, tu ne vivrais pas, et, sans la société légale, tu aurais bientôt cessé de vivre. […] Si donc la famille, comme nous l’avons démontré, est nécessaire à la continuation de l’espèce, l’hérédité, sans laquelle il n’y a pas de famille, est donc de souveraineté naturelle, de droit divin, de sociabilité absolue. Supposez, en effet, que le père en mourant emporte avec lui tout son droit de propriété dans la tombe, et que la propriété soit viagère dans le chef de cette société naturelle de la famille ; le père mort, que devient l’épouse, la veuve, la mère ?

211. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « L’obligation morale »

Il est naturel que la société fasse tout pour l’encourager. […] L’indiscipline naturelle de l’enfant, la nécessité de l’éducation, en sont la preuve. […] Il est naturel, ou plus précisément habituel, de leur obéir à toutes. […] Elle consistera surtout alors à régulariser des impulsions naturelles en y introduisant l’idée d’une réciprocité non moins naturelle, par exemple l’attente d’un dommage équivalent à celui qu’on aura pu causer. […] Le moment est venu de penser à soi. » Voilà l’ordre naturel bouleversé.

212. (1898) Émile Zola devant les jeunes (articles de La Plume) pp. 106-203

Il résolut de l’étudier comme un naturaliste : l’Histoire naturelle et sociale d’une famille était conçue. […] Mais il est vrai, pourtant, qu’il fleurit à son heure, d’une forte floraison fatale et naturelle. […] À cause de Hugo, le culte des proportions naturelles resta méconnu. […] Il se préoccupe avant tout de régler, selon un ordre naturel, l’entrée, le geste, l’action et les paroles de ses personnages. […] Il aura rétabli les êtres dans leur rapport naturel.

213. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Émile Augier » pp. 317-321

Laya : « Ce que vous appelez mon affectation (dans le style) est mon naturel. » J’ajouterai que cet homme bouillant et brillant, qui portait toutes ses qualités en dehors et qui les avait aussi en dedans, avait une véritable modestie littéraire sous un air de faste, de même qu’il disait avoir eu une timidité première à vaincre avant d’arriver à toute sa hardiesse. […] Lebrun « le plus jeune des poètes du premier empire. » Il a gardé, des temps où il a préludé, l’habitude d’un art sérieux, noble, et qui se respecte toujours ; il y a introduit, dans une seconde époque, une veine de franchise et de naturel qui, en ce temps-là, était neuve encore ; il a été novateur avec frugalité. C’est cette double nuance de dignité et de naturel qui le distinguait à la fois parmi les classiques et parmi les romantiques, lorsque les camps se partageaient ainsi.

214. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre troisième. »

Ce qu’il y a de hardi dans l’expression, d’une musette qui dort, devient simple et naturel, préparé par le sommeil du berger et du chien. […] Il n’est pas naturel que la faim ne force pas tous ces animaux à sortir. […] Cette fable est charmante d’un bout à l’autre pour le naturel, la gaîté, surtout pour la vérité des tableaux.

215. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DE LA MÉDÉE D’APOLLONIUS. » pp. 359-406

L’intérêt véritable est là ; on tient le nœud ; l’action se resserre, elle est vive, pressante, à la fois naturelle et merveilleuse, unissant les combinaisons mythologiques et les peintures du cœur humain. […] Les Modernes ont très-habituellement admis le jeu et le mensonge de l’amour, ce qu’ils aiment aussi à en appeler l’idéal, — les Anciens, jamais ; ils sont restés naturels. […] Prenons nos exemples dans l’antiquité, qui est à la fois plus simplement naturelle et avec laquelle on est moins tenu de rester poli. […] Fénelon, dans sa Lettre à l’Académie française, demandait grâce vainement pour ces sortes de peintures naturelles où se joint la passion à la vérité. […] On a eu dans Rufin le baiser naturel et païen au plus vif ; on a ici le baiser adouci selon Pétrarque, mais pas trop fade encore.

216. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Les situations y sont le plus souvent des inventions arbitraires ; il fallait y substituer des événements naturels. […] Célimène ne sait point se fixer : n’est-il pas naturel que tout le monde la quitte ? […] Beaucoup de femmes y avaient gâté leur naturel. […] Que ne pardonnerait-on pas d’ailleurs à Chrysale pour son excellent naturel ? […] C’est une personne d’esprit qui s’est formée et fortifiée dans son naturel par les travers mêmes de ses parents.

217. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Bussy-Rabutin. » pp. 360-383

Ses aventures d’amour sont racontées dans ses Mémoires avec gaieté et un naturel extrême. […] En général, Bussy peut être frondeur et imprudent, mais il n’est pas menteur : « Et pour faire voir, dit-il encore, que c’est plutôt par amour pour la vérité que je parle, que par aucune malignité de naturel, je dis du bien, quand j’en trouve, de la même personne de qui j’ai dit du mal. » C’est en ce point que le jugement de Bussy vaut mieux que son caractère. […] Pour moi, qui suis naturel, je ne dormis qu’une heure. […] Là est le grand tort, encore subsistant, de Bussy, et ce qui le classe à son rang et le rabaisse dans l’échelle d’élévation des esprits et dans l’ordre des vocations naturelles. […] [NdA] Il s’est toujours vanté de cette douceur naturelle, antérieure et secrète : Il est vrai, écrivait-il à Mlle de Scudéry (16 juillet 1672), que je suis naturellement doux et tendre ; aussi ai-je pris pour ma devise une ruche de mouches à miel, avec ce mot : Sponte favos, aegre spicula ; La douceur naturelle, et l’aigreur étrangère.

218. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre II. Des poëtes étrangers. » pp. 94-141

Des images riches, agréables & toujours variées ; des peintures naturelles de la vie champêtre, font l’ornement de sa prose. […] L’intrigue est naturelle, la scène animée par les actions qui s’y passent, les mœurs sentent l’antique ; le langage est noble & poétique sans être affecté, les personnages sont intéressans. […] Mais il a sur-tout un droit incontestable sur l’admiration universelle des hommes, lorsque de ce haut point où il s’est élevé, il descend à la description naturelle des choses humaines. […] Les charmes de la vie champêtre y sont peints avec les couleurs les plus vives & les plus naturelles. […] Tous ses ouvrages sont remarquables par ce caractère de vérité, de simplicité & de naturel qui sont le sceau du génie.

219. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Histoire de la maison royale de Saint-Cyr, par M. Théophile Lavallée. » pp. 473-494

Cette idée de secourir les demoiselles pauvres pour les préserver des dangers où elle-même avait passé, fut chez elle très ancienne, très naturelle ; elle l’envisageait comme une dette et comme une rançon, devant Dieu, de sa grande fortune. […] Elle avait beaucoup de grâce à parler comme à tout ce qu’elle faisait : ses discours étaient vifs, simples, naturels, intelligents, insinuants, persuasifs. […] Sa langue même si pure se répandait sur ces jeunes personnes qui l’écoutaient, et sa grâce inimitable se renouvelait avec naturel dans leur bouche. Plusieurs des Dames de Saint-Cyr étant mortes en ces années, il est dit de l’une d’elles (Mme d’Assy) dans les Mémoires de Saint-Cyr, en des termes légers et charmants : C’était un esprit doux et bien fait, un bon naturel qui n’avait que de bonnes inclinations ; l’innocence et la candeur étaient peintes sur son visage, qui, jointes à sa beauté naturelle, la rendaient tout aimable. […] Respectées de tous, peu aimées de Louis XV qui les trouvait (cela est assez naturel) trop hautes et trop dignes, et de qui on a recueilli une parole défavorable qui n’est peut-être pas juste, elles disparaissent dans la continuité de leurs devoirs et dans l’uniformité de leur vie.

220. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Joinville. — II. (Fin.) » pp. 513-532

Nous avons pu admirer l’héroïsme plein à la fois d’éclat et de douceur de saint Louis ; nous aimons aussi, sinon tout à fait l’héroïsme, du moins le courage plein de naturel et de bonhomie de l’aimable Joinville. […] C’est ainsi que sont les hommes quand ils sont tout à fait naturels, s’abandonnant à leurs mouvements avec une mobilité qui s’accorde bien, du reste, avec cette foi absolue en Dieu et avec cette idée qu’on est entre les mains de celui qui peut toute chose de nous à chaque instant du jour. Les hommes trop raffinés ou soi-disant philosophes n’ont plus de ces joies ni de ces douleurs ; mais replongez-les dans les épreuves naturelles, ils les retrouveront. […] Il a l’image parfaitement nette et qui joue à l’œil, la comparaison à la fois naturelle et poétique. […] L’esprit naturel avait ses saillies, ses échappées d’enjouement, ses subtilités et ses hardiesses toujours renaissantes : mais tout cela ne jouait encore que dans le cercle tracé, et venait s’arrêter à temps devant tout objet vénéré et redoutable.

221. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. De Pontmartin. Causeries littéraires, causeries du samedi, les semaines littéraires, etc. »

Il a de l’esprit de détail, du piquant et du naturel, quand il oublie son grand rôle. […] Je crois, au contraire, que, quand on le peut, et quand le modèle a posé suffisamment devant vous, il faut faire les portraits le plus ressemblants possible, le plus étudiés et réellement vivants, y mettre les verrues, les signes au visage, tout ce qui caractérise une physionomie au naturel, et faire partout sentir le nu et les chairs sous les draperies, sous le pli même et le faste du manteau. […] Il n’est pas naturel d’abord qu’Aurélie renonce si vite, et du premier coup, à l’ami et au compagnon qu’elle s’était donné en idée. Il n’est pas naturel non plus qu’elle sacrifie à l’instant et si complètement sa mère, laquelle, après tout, ne lui a donné que des marques un peu inégales, mais pourtant des marques de tendresse. […] Est-ce naturel ?

222. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

Toutes les plaisanteries qui portent sur les institutions civiles et politiques contraires à la raison naturelle, perdent leur effet dès qu’elles atteignent leur but, la réformation de l’ordre social. […] Les ridicules de ce dernier genre doivent être en beaucoup moins grand nombre dans les pays où l’égalité politique est établie ; les relations sociales se rapprochant davantage des rapports naturels, les convenances sont plus d’accord avec la raison. […] Ce ne sont pas des maximes de morale, c’est le développement des caractères et la combinaison des événements naturels qui produisent un semblable effet au théâtre ; et c’est en prenant cette opinion pour guide, qu’on pourrait juger quelles sont les pièces étrangères dont nous pouvons nous enrichir. […] Je ne conseille pas cependant d’essayer en France des tragédies en prose, l’oreille aurait de la peine à s’y accoutumer ; mais il faut perfectionner l’art des vers simples, et tellement naturels, qu’ils ne détournent point, même par des beautés poétiques, de l’émotion profonde qui doit absorber toute autre idée. […] Mais lorsqu’on veut triompher de la répugnance naturelle aux spectateurs français, pour ce qu’ils appellent le genre anglais ou le genre allemand, l’on doit veiller avec un scrupule extrême sur toutes les nuances que la délicatesse du goût peut réprouver.

223. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Jasmin. (Troisième volume de ses Poésies.) (1851.) » pp. 309-329

Dans toutes ces compositions Jasmin a une idée naturelle, touchante ; c’est une histoire, ou de son invention, ou empruntée à la tradition d’alentour. […] La superstition est peinte au naturel. […] Depuis lors, cette langue éparse et morcelée avait encore eu ses poètes particuliers en Béarn, à Toulouse, dans le Rouergue, en différents lieux ; mais ces poètes d’un naturel aisé ne faisaient aucun effort pour sortir de l’esprit du cru, et pour élargir l’horizon tout local où les avait confinés la Fortune. […] La langue qu’il parle aujourd’hui, la langue qu’il chante n’est celle d’aucun lieu en particulier, d’aucun coin de Gascogne, de Languedoc ni de Provence ; c’est une langue un peu artificielle et parfaitement naturelle, qui s’entend également par tous ces pays et que les Catalans eux-mêmes comprennent. […] Homme, elles lui ont procuré la considération qui ne suit pas toujours la renommée ; poète, elles l’ont amené à la perfection de son talent et au goût, à ce goût naturel, qui tient à l’usage complet et sûr de toutes les louables facultés.

224. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. (Tome XII) » pp. 157-172

Ce vieux guerrier simple, rude, opiniâtre, qu’on vient de voir dans toute sa grandeur militaire à Essling et à Wagram, mais qui par ses manières fait déjà contraste avec les généraux plus jeunes formés à l’école de Napoléon, est dessiné par l’historien, dans cette campagne de Portugal, en traits naturels et ineffaçables. […] Simple, dépourvu d’extérieur, ne cherchant pas à montrer son esprit, qui était pourtant remarquable, négligent même lorsqu’il avait encore toute l’activité de la jeunesse, déjà très dégoûté de la guerre, sacrifiant beaucoup à ses plaisirs, il n’avait pas cette hauteur d’attitude, naturelle ou étudiée, qui impose aux hommes, qui est l’un des talents du commandement, que Napoléon lui-même négligeait quelquefois de se donner, mais qui était suppléée chez lui par le prestige d’un génie prodigieux, d’une gloire éblouissante, d’une fortune sans égale. […] Le lecteur, à tous les instants aussi, et dans le détail même de la lecture, serait pénétré du véritable esprit du sujet, il en serait nourri, et au bout de ces quinze volumes l’homme réel, l’homme naturel, exprimé en mille façons, lui sortirait par tous les pores. […] Chacun, s’il se laisse aller, parle bien ou assez bien de ce qu’il sait à fond, de ce qu’il a vu, de ce qu’il a compris en détail ; et s’il, laisse courir sa plume avec naturel, il trouve moyen d’intéresser. […] L’exemple même de Raphaël dans ce portrait de Léon X prouverait, au besoin, qu’il ne faut pas craindre de représenter les physionomies des personnages au naturel ; et ceci me rappelle une esquisse d’un prince de l’Église, du cardinal Maury, par M. 

225. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres complètes de Saint-Amant. nouvelle édition, augmentée de pièces inédites, et précédée d’une notice par M. Ch.-L. Livet. 2 vol. » pp. 173-191

Il avait des facultés naturelles très remarquable pour la poésie et le bel esprit : « C’était, a dit de lui l’exact et honnête abbé de Marolles, l’un des plus beaux naturels du monde pour la poésie, et de qui les bons sentiments de l’âme égalaient la gaieté de l’humeur. » Tallemant lui reproche une outrecuidance et une habitude de vanterie qui est un des caractères de la littérature de ce temps-là ; mais Saint-Amant ne paraît point avoir poussé ce défaut aussi loin qu’un Scudéry, et il n’en resta pas moins avant tout un bon vivant. […] Sa description se termine par une vue de la mer rongeant la falaise, et tantôt courroucée, tantôt unie et réfléchissant le soleil, le tout avec ce mélange de naturel presque excessif et aussi de mythologie un peu grotesque : il y met une mascarade de tritons. […] c’est l’élément des bons esprits, il ne l’a pas suffisamment prouvé, et il a plutôt fait une solitude moitié naturelle, moitié de fantaisie, dans laquelle les objets ont tant soit peu dansé devant sa vue, et où si d’un côté il ôtait le masque à la nature, il lui en mettait un à l’autre joue. […] Chacun apportait son mets et son fruit : Thalie, de la part d’Apollon, présenta à son tour le melon, qui obtint le prix au jugement des gourmets immortels. — Une autre pièce que Perrault trouvait fort agréable, et que je suis fort tenté aussi de trouver jolie, est celle de La Pluie ; le poète y décrit au naturel l’effet bienfaisant que produit sur la terre, après une aride attente et une sécheresse de canicule, une ondée longtemps désiré. […] Ce qui plaît en cet endroit, malgré le traînant de quelques vers, c’est encore le naturel, ce qu’on appelait alors la naïveté, un des caractères de Saint-Amant là où il est bon.

226. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — III » pp. 476-491

Voltaire, dès le premier jour, para au danger pour lui et pour les autres ; il rompit avec le concerté ; il donna l’exemple d’une source rapide et vive de naturel, circulant à travers le siècle. Quelques femmes n’avaient pas eu besoin de cet exemple pour rester ou redevenir naturelles de leur côté et fidèles à la plus saine diction. […] L’atticisme, c’est-à-dire le pur langage naturel français, reposé, coulant de source, et jaillissant des lèvres avant toute coloration factice, est-il donc fini à jamais, et doit-il être rejeté en arrière parmi les antiquités abolies qu’on ne reverra plus ? […] Le petit écrit de la vicomtesse de Noailles n’est pas seulement une peinture de cette ancienne politesse et de cette finesse comme naturelle du ton et du langage, il en est presque partout un modèle. […] Elle fut dame du palais de la reine, extrêmement à la mode, et resta toute sa vie volontaire, impétueuse, irascible, mais avec tout cela si bonne, si généreuse, si dévouée à ses amis et aux plus nobles sentiments, et puis si spirituelle, et, par suite de son extrême naturel, si parfaitement originale, qu’elle excitait constamment l’affection, l’admiration, et en même temps la gaieté.

227. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Tallemant et Bussy ou le médisant bourgeois et le médisant de qualité » pp. 172-188

Homme d’esprit à la mode de nos pères, curieux comme on ne l’est pas, à l’affût de tout ce qui se dit et se fait à l’entour, informé dans le dernier détail de tous les incidents et de tous les commérages de société, il en tient registre, non pas tant registre de noirceurs que de drôleries et de gaietés ; il écrit ce qu’il sait par plaisir de l’écrire, avec le sel de sa langue qui est une bonne langue, et en y joignant son jugement, qui est naturel et fin. […] Bussy donne sans doute l’idée d’une certaine naïveté dans l’expression ; mais c’est le naturel dans le raffiné. […] On est, en lisant Bussy, à cent lieues de la Grèce et de ces mollesses, de ces flammes toutes naturelles, et où l’art ne faisait qu’encadrer et couronner la passion. […] Ces anciens étaient privilégiés pour la poésie et pour la peinture des objets naturels. […] Cependant ce qu’il raconte est toujours fort à prendre en considération, parce qu’il est naturel et judicieux, véridique et fin, sans aucune fatuité, sans aucune prétention.

228. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [I] »

* La guerre a été le premier état naturel de l’homme à l’origine des sociétés : guerre contre les animaux de proie, guerre des hommes entre eux. […] Il devient évident que si la guerre a été le premier état naturel de l’homme barbare et sauvage, que si elle a été le triomphe et le jeu de quelques génies prééminents, l’élément nécessaire et l’instrument de grandeur des nations souveraines et des peuples-rois, la paix, avec tous les développements qu’elle comporte, est la fin dernière des sociétés humaines civilisées. […] Ce qu’il y a de singulier et ce qui, à la réflexion, ne paraîtra point pourtant très extraordinaire, c’est que cette science qui de tout temps a été devinée, comprise et pratiquée par des hommes d’un génie naturel supérieur, et qui, dans les détails d’exécution, a été remaniée et travaillée à l’infini, n’a été rédigée et ramenée à ses vrais principes généraux qu’à une époque très récente, et quand elle atteignait à ses plus vastes applications. […] Le maréchal Ney, chargé d’une des opérations les plus importantes dans la combinaison de Napoléon, redoubla de confiance pour Jomini, et, depuis le passage du Rhin, il le tint près de lui pour le travail journalier de son cabinet et l’expédition des ordres ; il n’aimait pas, et pour cause, son chef d’état-major titulaire, le général Dutaillis, créature de Berthier, celui dont l’abbé de Pradt nous a tracé un portrait au naturel, et des moins flatteurs, dans son Ambassade de Varsovie. […] L’auteur n’y perd jamais de vue cette maxime : « La théorie est le pied droit, et l’expérience est le pied gauche. » Les guerres de la Révolution lui fournissaient aussi des termes naturels de comparaison et des exemples ; il les empruntait le plus volontiers à la campagne d’Italie de 1796-1797 et à celle de 1800.

229. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Légendes françaises. Rabelais par M. Eugène Noël. (1850.) » pp. 1-18

Il était impossible que le jet naturel d’une telle veine se contînt et ne sortît pas. […] Le sérieux et l’élévation de ses goûts, la liberté naturelle et généreuse de ses inclinations, le rendirent bientôt un objet déplacé dans un couvent de cet ordre, en cet âge de décadence. […] Pour renverser ces deux colosses, ils n’employèrent d’autres armes que le ridicule, ce contraste naturel de la terreur humaine (Quelle plus juste et plus heureuse définition ! […] Ce plan d’éducation que j’admire chez Rabelais, chez Montaigne, chez Charron et chez quelques-uns de leurs successeurs, avait une grande opportunité quand il s’agissait d’émanciper la jeunesse, de l’affranchir des méthodes serviles et accablantes, et de ramener les esprits aux voies naturelles. […] Son français sans doute, malgré les moqueries qu’il fait des latinisants et des grécisants d’alors, est encore bien rempli et comme farci des langues anciennes ; mais il l’est par une sorte de nourriture intérieure, sans que cela lui semble étranger, et tout, dans sa bouche, prend l’aisance du naturel, de la familiarité et du génie.

230. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IV : M. Cousin écrivain »

Ces preuves en faveur de la raison naturelle ne sont point accumulées au hasard. […] Je le demande, quelle puissance a enseigné tout cela à tant de milliers d’hommes dans l’ancien monde, avant la venue de Jésus-Christ, sinon cette lumière naturelle qu’on traite aujourd’hui avec une si étrange ingratitude ? […] Un souffle puissant pousse et soutient cette vaste machine ; suspendue deux fois, elle reprend son mouvement sans peine, par les tours les plus naturels et les plus simples : l’émotion va croissant ; elle est si vraie et si bien justifiée, qu’elle autorise deux mots qui ailleurs seraient emphatiques. […] Ce passage subit à un ton si différent montre que l’orateur est dans son naturel, qu’il a trouvé son genre, et que son sujet est d’accord avec son talent. […] Il change dans la première phrase le sens naturel du mot conscience.

231. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre I. Les mémoires »

Ayant démontré copieusement la conformité du langage français avec son cher grec, il n’eut pas de peine à se convaincre de la précellence de notre idiome sur le parler d’Italie, qui n’est que du latin : et comme il prouvait par exemples abondants la gravité, sonorité, richesse et souplesse du français, il était naturel qu’il tâchât d’en préserver la pureté des inutiles et plutôt dangereux apports de l’italianisme. […] C’est parce qu’ils fournissent la naïve expression d’un tempérament personnel, et, en lui, de l’universelle humanité, que Paré209 et Palissy210 peuvent encore avoir d’autres lecteurs que les historiens de la chirurgie ou des sciences physiques et naturelles. […] Mais pour le reste il s’est peint au naturel : noir, sec, vif, sobre, brave, cela va sans dire, mais d’une ardeur réglée par la finesse et la prudence, connaissant à fond le soldat, et sachant le prendre, très appliqué à son métier, très au courant de toutes les questions techniques, très attentif aux progrès de l’armement, un peu « Gascon » et vantard, frondeur et souple, honnête en somme autant que la guerre d’alors le permettait, dur par nécessité, homme de consigne et de discipline, dont le service du roi fut l’unique loi. […] Inégal, prolixe, prétentieux même, quand il veut se hausser à l’éloquence, Monluc est à l’ordinaire naturel, original, pittoresque, avec une abondance de détails particuliers qui font voir les choses, une vivacité de saillies et d’expressions trouvées qui font voir l’homme. […] Éditions : Recette véritable par laquelle tous les hommes de la France pourront apprendre à multiplier et à augmenter leurs trésors, la Rochelle, 1563 ; Discours admirables de la nature des eaux et fontaines tant naturelles qu’artificielles, des métaux, des sels et salines, des pierres, des terres, du feu et des émaux, etc, Paris, 1580.

232. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre premier. » pp. 5-11

Il était naturel que l’effronterie des mœurs générales ne distinguât rien dans ce mélange et qu’elle s’élevât également contre les caricatures et contre les modèles, contre la décence et contre la préciosité, contre l’honnêteté et la pruderie, contre la délicatesse et l’affectation ; la licence confondit tout et rendit tout ridicule. […] Peut-être Molière, entraîné par cette sympathie si vive en lui, ne s’appliqua-t-il pas assez à discerner, dans les mœurs dont le public était disposé à rire, le vrai du faux, l’exagération d’avec le naturel noble et choisi, et les affectations hypocrites d’avec un juste éloignement pour l’impudence du vice. […] La 7me de 1661 à 1670, qui comprend depuis la nomination de madame de Montausier à la place de gouvernante de M. le dauphin et le commencement du règne des maîtresses du roi, jusqu’à la nomination de madame Scarron à la place de gouvernante des enfants naturels du roi.

233. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Nicole, Bourdaloue, Fénelon »

Mais il ne l’avait pas parce qu’il était un janséniste de tempérament encore plus peut-être que de doctrine, et qu’il s’accotait sans effort dans des idées qui convenaient à l’aridité naturelle de son esprit. […] On pourrait mettre au compte de Fénelon, en le modifiant un peu, un mot piquant et juste qui a été dit sur Diderot : — Diderot n’est naturel que quand il est exagéré. — Fénelon, lui, n’est naturel que dans je ne sais quelle affectation de simplicité qui lui sied et qu’on lui pardonne.

234. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre I. De l’évolution de la vie. Mécanisme et finalité »

L’idée du transformisme est déjà en germe dans la classification naturelle des êtres organisés. […] L’unique question est de savoir si les systèmes naturels que nous appelons des êtres vivants doivent être assimilés aux systèmes artificiels que la science découpe dans la matière brute, ou s’ils ne devraient pas plutôt être comparés à ce système naturel qu’est le tout de l’univers. […] Cette similitude serait naturelle, au contraire, quelque chose de l’impulsion reçue à la source. […] Darwin avait parlé de variations très légères, qui s’additionneraient entre elles par l’effet de la sélection naturelle. […] Et il est rare qu’à la base d’une habitude contractée il n’y ait pas une aptitude naturelle.

235. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 7172-17709

Par un autre écart aussi peu raisonnable, on a donné à l’une & à l’autre une dénomination prise d’ailleurs, que de leur destination naturelle & primitive. […] Voilà, nous osons le dire, la maniere la plus naturelle & la plus sûre d’introduire les jeunes gens à l’intelligence du latin & du grec. […] Il étoit plus naturel de dire, pocula Lethoea, les eaux du fleuve Léthé. […] Voilà une hyperbate, parce que l’ordre naturel demanderoit qu’on dît, omnes sunt admirati constantiam Catonis. […] Les idiotismes réguliers n’ont besoin d’aucune autre attention, que d’être expliqués littéralement pour être ramenés ensuite au tour de la langue naturelle que l’on parle.

236. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIIe Entretien. Montesquieu »

Il avait aussi rencontré lord Chesterfield, écrivain élégant, mais d’une morale un peu relâchée, même dans les conseils qu’il donne à son fils, enfant naturel qu’il promenait à travers le monde. […] Elle ne peut conquérir que pendant qu’elle reste dans les limites naturelles de son gouvernement. » Le bon sens lui répond : — Mais quelles sont ces limites naturelles au gouvernement d’une monarchie ? […] Qui lui aurait dit dans le passé et qui lui dira dans l’avenir : « Tes limites naturelles sont là, et tout ce que tu y ajouteras t’affaiblira ?  […] La loi de croissance, loi naturelle et par conséquent divine, s’applique aux nations comme aux individus. […] C’est un effet qui dérive de sa cause naturelle.

237. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Pour parler d’abord de la religion naturelle de Descartes, quel risque fait-il courir aux autres on court-il lui-même, à ne se pas convaincre ou à ne les pas persuader, par la raison naturelle, de l’existence de Dieu et de l’immortalité de l’âme ? […] Il a voulu faire, d’un instinct naturel à tous les hommes, une science ; d’une croyance universelle, une théorie : entreprise sublime ! […] Rien n’est donné au hasard ; rien n’est admis pour preuve de la révélation que l’évidence, comme le veut Descartes pour la religion naturelle. […] Il semble avoir deux naturels qui s’excluent, et le second aussi pleinement que le premier. […] Tout y est choisi, et tout y est naturel.

238. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre quatrième. Les émotions proprement dites. L’appétit comme origine des émotions et de leurs signes expressifs. »

Les artistes, de leur côté, ont besoin de comprendre ce qu’il y a de naturel et de nécessaire dans toutes ces attitudes et tous ces mouvements qu’ils ont à saisir et à reproduire. […] Ces tendances ont dû être triées et grossies par la sélection naturelle, à cause de leurs avantages. […] Ce sont là deux nouveaux signes dans le langage naturel. […] Ces images, loin d’être complètement artificielles, ont leur naturelle origine dans la constitution de notre sensibilité et dans le rapport des organes sensibles aux muscles moteurs. […] Ainsi, la loi d’antithèse n’est qu’un cas particulier de la loi d’association, qui elle-même résulte du naturel concert de tous les organes.

239. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre VI. La parole intérieure et la pensée. — Second problème leurs différences aux points de vue de l’essence et de l’intensité »

Le sens commun conçoit les genres un peu autrement que ne fait l’histoire naturelle, et les descriptions du psychologue ne peuvent concorder exactement ici avec les définitions du logicien ; pour le psychologue et pour le sens commun, les espèces font partie du genre à des degrés divers, les unes plus les autres moins ; ces degrés disparaissent si l’on envisage les genres et les espèces du point de vue du naturaliste et du logicien ; tous deux introduisent arbitrairement dans la réalité psychique ou naturelle une rigueur mathématique étrangère aux données de l’observation. […] En résumé, une pensée particulière, groupe d’images hétérogènes, a pour signe naturel la plus saillante de ces images, qui, d’ordinaire, est l’image visuelle, tandis qu’une pensée générale, groupe relativement homogène de pensées particulières dont les caractères distinctifs sont affaiblis ou annihilés [§ 9], a pour signe naturel, mais imparfait, celui de ses éléments qui peut être imité par les organes du corps, pour signe artificiel et parfait un phénomène audible qu’une convention arbitraire associe à ses destinées. […] N’est-il pas naturel que la continuité de notre existence soit faite à nos yeux bien plutôt par le retour périodique des états les plus vifs que par celui des états les plus faibles ? […] Morel, Aristote, Petits traités d’histoire naturelle, GF 979, 2000) […] nous préférons la formule plus empirique du Péri psukhès.] […] lxv) ; elle ne comprend que les onomatopées véritablement françaises, c’est-à-dire les mots nouveaux formés directement par l’instinct populaire à l’imitation de bruits naturels ou humains ; M. 

240. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article »

Son Histoire Naturelle du Sénégal est recherchée des Naturalistes & des Curieux. On a encore de lui différens Mémoires insérés dans ceux de l’Académie des Sciences ; ils ont pour objet l’Histoire Naturelle, & principalement celle des Plantes, dont il paroît que M.

241. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. VILLEMAIN. » pp. 358-396

Toutes les grâces naturelles et vives du talent de M. […] Ce n’est pas sa manière naturelle, à lui, d’entrer dans les choses par les épines ; il lui faut, pour y venir, être averti, poussé du dehors. […] Une ou deux allusions bien naturelles et inévitables jaillirent du front du grand aveugle biblique et vinrent en plein se refléter sur celui du chantre des chrétiennes amours. […] Non, l’auteur de Michaël ou du Vieux Mendiant du Cumberland (pour prendre au hasard de courts et enchanteurs poëmes) n’est pas inférieur à Byron en génie simple, en peinture naturelle et profonde, comme il l’est en gloire. […] Ces Portraits, dans lesquels je cherchais surtout la ressemblance et la fidélité par la mesure des dons naturels et du mérite, par le juste rapport des tons et des couleurs, étaient souvent une surprise pour le modèle lui-même qui avait posé sans s’en douter.

242. (1907) Le romantisme français. Essai sur la révolution dans les sentiments et dans les idées au XIXe siècle

Ce fut l’âge idyllique de la vertu sans contrainte, de la bonté naturelle. […] Je crois qu’il ne serait pas de grandes choses qui ne me fussent naturelles. […] Les plus riches facultés naturelles ont besoin, pour produire œuvre viable, d’une culture. […] Le beau naturel de Lamartine perce à travers toutes ses erreurs. […] Des écrivains du naturel le moins romantique possible, Victor Hugo, G.

243. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre IV. De la religion. »

Elle est presque toujours destructive des qualités naturelles ; ce qu’elles ont de spontané, d’involontaire, est incompatible avec des règles fixes sur tous les objets. […] Des caractères privés de qualités naturelles, à l’abri de ce qu’on appelle la dévotion, se sentent plus à l’aise pour exercer des défauts qui ne blessent aucune des lois dont ils ont adopté le code. […] Les qualités naturelles, développées par les principes, par les sentiments de la moralité, sont de beaucoup supérieures aux vertus de la dévotion ; celui qui n’a jamais besoin de consulter ses devoirs, parce qu’il peut se fier à tous ses mouvements, celui qu’on pourrait trouver, pour ainsi dire, une créature moins rationnelle, tant il paraît agir involontairement et comme forcé par sa nature ; celui qui exerce toutes les vertus véritables, sans se les être nommées à l’avance, et se prise d’autant moins, que ne faisant jamais d’effort, il n’a pas l’idée d’un triomphe, celui-là est l’homme vraiment vertueux. Suivant une expression de Dryden, différemment appliquée, la dévotion élève un mortel jusqu’aux cieux, la moralité naturelle fait descendre un ange sur la terre : He raised a mortal to the skies She drew an angel down.

244. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Fontenelle, et le père Baltus. » pp. 2-16

Qu’on ajoute à cela l’amour naturel des hommes pour le merveilleux, & l’on ne s’étonnera plus que cette opinion ait été générale parmi les chrétiens. […] d’examiner le temps auquel ont cessé les oracles, & de faire voir qu’ils ont cessé d’une manière naturelle. […] Du Marsais prouve qu’attribuer les oracles au malins esprits, n’est pas une vérité fondée sur la tradition ; que les prêtres, pour tromper le peuple, se servoient de statues creuses ; que ce n’est point affoiblir, mais confirmer la gloire de Jésus-Christ, que de réduire les oracles à des causes naturelles ; que les permissions particulières accordées au démons, suivant le témoignage de l’écriture, ne donnent pas droit d’en supposer d’autres ; que ce prodige n’étoit pas nécessaire à l’établissement du christianisme ; qu’admettre de faux miracles, ce seroit, s’il étoit possible, rendre suspects les véritables. […] Cette manière de finir n’a rien de surprenant ; elle étoit la suite naturelle d’un nouveau culte.

245. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre huitième. »

Un rat, hôte d’un champ, etc… On reconnaît tout le talent de La Fontaine dans le discours du rat, dans la peinture de l’huitre bâillant au soleil, dans celle du rat surpris au moment où l’huitre se referme ; et voyez comme ce dernier mot est rejeté au commencement du vers, par une suspension qui met la chose sous les yeux, et le naturel de la leçon qui termine la phrase. […] C’est quelque propos populaire et trivial dont on se passerait bien ; mais il n’appartient qu’à La Fontaine de rendre cette sorte de naturel supportable aux honnêtes gens ; nous en verrons plus bas un autre exemple dans la fable du singe et du léopard. […] Toujours quelque grand trait de poésie, sans jamais blesser le naturel. […] Les meilleurs Apologues sont ceux où les animaux se trouvent dans leur naturel véritable.

246. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre X. Seconde partie. Émancipation de la pensée » pp. 300-314

Alexandre de Humboldt rassemble des matériaux précieux pour toutes les sciences naturelles, il ne néglige point ceux qui peuvent enrichir les sciences intellectuelles. […] Cuvier sur les états antérieurs de la terre que nous habitons, sont une heureuse préparation à l’histoire géologique du globe, qui elle-même est le commencement tout naturel de l’histoire du genre humain. […] L’archéologie va prendre, s’il est permis de parler ainsi, rang parmi les sciences naturelles. […] Pendant que ces choses se passaient dans l’entendement, l’analyse resserrait de plus en plus les limites de nos langues : les mots consacrés par elles avaient subi tant d’épreuves de tous les genres, qu’ils avaient fini par recevoir un sens trop fixe et trop déterminé, qui était en opposition avec l’indépendance naturelle de la pensée.

247. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pécontal. Volberg, poème. — Légendes et Ballades. »

Ce sont là des vers pris aussi avec la main, comme les fleurs auxquelles ils ressemblent, tant ils sont faciles, d’une couleur exquise, d’un tour heureux et naturel. Aisance, simplicité, naturel, battements de cœur qu’on sent dans les vers du poète comme l’artère de la vie dans la gorge de l’oiseau, toutes choses que M.  […] Ce n’est pas un poète sans défaut, et les siens, nous les connaissons et nous les lui dirons : c’est le prosaïsme et l’enfantillage, les deux écueils naturels du genre de composition qu’il a adopté. […] Sont-ils donc trop naturels, trop maternels et trop ingénus, pour qu’on leur donne un prix à l’Académie ?

248. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. »

Gavarni porte en tout l’élégance et la distinction naturelle qui est en lui. […] Peu d’hommes, indépendamment de toute éducation et de tout acquit, sont nés aussi instinctivement distingués ; j’entends par distinction « une certaine hauteur ou réserve naturelle mêlée de simplicité. » Dans tout ce qui sort de son crayon, de même : il est toujours élégant, aussi peu comme il faut que possible quand il le faut et que ses personnages l’y forcent, aussi bas que le ton l’exige ; il n’est jamais commun. […] Voilà une image du premier Gavarni, dont le goût naturel eût été du côté de l’élégance et peut-être du sentiment. […] Il a vu l’ironie, la moquerie partout où elle était naturelle et de bonne prise, et dans sa série des Maris vengés il n’a pas épargné les amants ; il les a surpris à leur tour dans les inconvénients du rôle, et les jours où ils sont eux-mêmes pris au piège. […] Vuillart, souhaitant une bonne fin d’année à l’un de ses amis le jeudi, dernier jour de l’an 1699, écrivait : « Il y en a qui prennent ce nouvel an pour le premier d’un siècle nouveau ; mais il me paraît bien plus naturel de le prendre pour le dernier de celui-ci.

249. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Essai de critique naturelle, par M. Émile Deschanel. »

Essai de critique naturelle, par M.  […] De là l’idée qui est graduellement venue de ne plus s’en tenir exclusivement à ce qu’on appelait la critique du goût, de creuser plus avant qu’on n’avait fait encore dans le sens de la critique historique, et aussi d’y joindre tout ce que pourrait fournir d’éléments ou d’inductions la critique dite naturelle ou physiologique. […] Deschanel, un esprit sincère, autrefois professeur distingué de rhétorique, qui, dans un livre ingénieux, plein de faits et de remarques, vient réclamer cette transformation de l’ancienne rhétorique en histoire et en observation naturelle. […] On peut remarquer, comme un fait moral assez naturel et digne de la race d’Adam, que le Mal qu’on a dit des Femmes a eu jusqu’à six éditions à 3,000 exemplaires, tandis que le Bien qu’on a dit d’elles n’en a eu que quatre à grand-peine. […]   Dans son livre de la méthode physiologique ou naturelle appliquée à la critique littéraire, M. 

250. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LOYSON. — POLONIUS. — DE LOY. » pp. 276-306

A nous habitants des bords que ce retrait désole, il nous est naturel de nous plaindre, de crier à la dissipation et à la ruine, tout en sachant qu’ailleurs on applaudit. […] Cette fièvre même de la mort qu’il portait dans son sein, et qui lui faisait craindre (contradiction naturelle et si fréquente) de ne pas assurer à temps sa rapide existence, pouvait sembler aux indifférents de l’avidité. […] Jean Polonius chante, comme un naturel, dans la dernière langue poétique courante, qui était alors celle de Lamartine ; mais il ne la refrappe pas pour son compte, il ne la réinvente pas. […] Il en est de la poésie amoureuse comme de Vénus quand elle se montre aux yeux d’Énée, naufragé près de Carthage et à la veille de voir Didon : elle prend les traits d’une mortelle, d’une simple chasseresse ; elle ressemble à une jeune fille de Sparte, et s’exprime sans art d’abord, avec un naturel parfait. […] Ce qui ne m’empêche pas de reconnaître, croyez-le bien, tout ce qu’il y a de naturel, de sincère et de bien vite pardonné dans ses perpétuels et affectueux retours à Sattendras ou à Longiron.

251. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre II. Boileau Despréaux »

Séduit outre mesure par les anciens, il a loué dans l’églogue précisément le manque de réalité : cédant trop complaisamment au goût mondain, il a préféré la « mignardise » de Térence au robuste naturel de Molière. […] Raison, vérité, nature, c’est tout un370 ; et Boileau, par ses formules favorites, qui ont révolté tant de lecteurs superficiels, pose seulement en principe le respect du modèle naturel. […] Si on relit le début de l’Art poétique, on y trouvera sans peine que Boileau exige du poète la vocation, le don naturel et spontané. […] Il pose les lois de la versification, qui sera correcte d’abord, mais aussi harmonieuse, expressive ; il pose les lois du style, qui sera correct et clair, mais efficace et expressif, les lois de la composition qui sera juste et proportionnée : vers, langage, plan, ce sont trois moyens, qui doivent concourir à approcher l’objet naturel, sans le déformer, de l’esprit du lecteur. Puis il passe aux genres : les genres, subdivisions des arts, sont comme eux des conventions qui font abstraction d’une partie des caractères naturels pour en mettre quelques-uns en lumière.

252. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « L’abbé de Choisy. » pp. 428-450

Le caractère de l’abbé de Choisy, en toute chose, est de ne pouvoir se contenir, et, dans le bien comme dans le mal, il est prompt, naturel et volontiers indiscret. […] Dans ce Journal, il est un peu trop question des vents et des hauteurs ; mais les lettres où l’auteur parle de lui sont divertissantes et des plus naturelles. […] Sa première vie ne l’a point dépravé autant qu’il semble qu’elle aurait dû faire il devient évident qu’il y a eu dans son fait plus de frivolité que de débauche ; il est resté très naturel, très capable de bonnes impressions ; il suffit qu’il soit entouré de bons exemples : il les imite et les réfléchit. […] Le roi de Siam était gouverné par un aventurier favori, grec de nation, appelé Constance, homme habile, rusé, et qui, sentant qu’il était haï des naturels, avait appelé les étrangers sous prétexte de religion, et dans l’idée de s’en faire un appui. […] Un peu de folâtre de temps en temps s’y fait sentir ; le naturel perce et revient.

253. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Rollin. » pp. 261-282

Et d’Aguesseau, le félicitant sur son ouvrage, entrait dans sa pensée, quand il lui disait : « Vous parlez le français comme si c’était votre langue naturelle. » C’est que Rollin, en effet, était du Pays latin, et ce mot avait alors toute la signification qu’il a perdue depuis. […] Pluche, auteur du Spectacle de la nature, et qui est un peu le Rollin de l’histoire naturelle. […] Dans la relation d’un Voyage littéraire que fit en France, en 1733, un Français réfugié de Berlin, Jordan, il est parlé de Rollin en des termes qui nous le montrent assez au naturel et sans exagération : Je rendis visite à l’illustre M.  […] La modestie pourtant, quand elle est innée et invétérée dans le tempérament même, quand elle augmente (loin de s’aguerrir) et qu’elle s’attendrit d’autant plus avec l’expérience et avec l’âge, n’est plus seulement une vertu morale et chrétienne, c’est le signe ou l’indice naturel d’une limite sentie. […] Guéneau de Mussy déplore cet esprit précoce d’indépendance qui a remplacé et envahi l’âge naturel de la soumission et de la docilité.

254. (1759) Réflexions sur l’élocution oratoire, et sur le style en général

Le style naturel et simple, dit Pascal, nous enchante avec raison ; car on s’attendait à un auteur, et on trouve un homme. […] Aussi les traits vraiment éloquents sont ceux qui se traduisent avec le moins de peine, parce que la grandeur de l’idée subsiste : toujours sous quelque forme qu’on la présente, et qu’il n’est point de langue qui se refuse à l’expression naturelle et simple d’un sentiment sublime. […] L’obligation où se trouve le poète de chercher l’expression, lui fait souvent rencontrer la plus énergique et la plus propre, qu’il n’eût peut-être pas trouvée s’il eût écrit en prose, parce que la paresse naturelle l’eût porté à se contenter du premier mot qui se serait offert à sa plume. […] La simplicité et le naturel de Massillon me paraissent, si j’ose le dire, plus propres à faire entrer dans l’âme les vérités du christianisme, que toute la dialectique de Bourdaloue. […] Mais l’élocution n’a pour tous qu’une même règle ; c’est d’être claire, précise, harmonieuse, et surtout facile et naturelle.

255. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre troisième »

Histoire naturelle. […] S’il est vrai que tout ce qui est ôté au hasard est restitué à Dieu, aucune science ne réussit mieux que l’histoire naturelle à déposséder le hasard au profit de la Providence. […] N’y avait-il dans tout cela que la fortune éphémère d’un écrivain coloriste faisant de l’histoire naturelle « qui n’est pas déjà si naturelle », comme disait malignement Voltaire, dans sa première inquiétude sur cette réputation nouvelle qui s’élevait à côté de la sienne ? […] Aussi, continuons-nous à le tenir pour un des nôtres, même à son pire moment, par la certitude que son naturel finira par l’emporter sur ses mœurs. […] Quoi de plus naturel qu’avant d’arriver à sa retraite il s’y voie déjà arrivé, et qu’il en fasse d’avance les honneurs à son compagnon de voyage ?

256. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre IX : Insuffisance des documents géologiques »

Si l’on ne rencontre pas partout et toujours dans la nature d’innombrables formes de transition, cela dépend donc principalement du procédé même de sélection naturelle, en vertu duquel les variétés nouvelles tendent constamment à supplanter et à exterminer leurs souches mères. […] Lyell sur les Principes de géologie, que les historiens futurs reconnaîtront comme ayant opéré une révolution dans les sciences naturelles. […] Si, en effet, des espèces nombreuses appartenant aux mêmes genres ou aux mêmes familles avaient réellement apparu tout à coup dans la vie, ce seul fait réduirait à néant la théorie de descendance modifiée par sélection naturelle. […] Pour ma part, d’après une expression poétique de Lyell, je regarde les archives naturelles de la géologie comme des mémoires tenus avec négligence pour servir à l’histoire du monde et rédigés dans un idiome altéré et presque perdu. […] Il doit donc en ce cas se manifester un changement des formes organiques qui n’a rien de nécessairement commun avec leur transformation par sélection naturelle.

257. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Molière »

C’est ainsi que, parmi tant de naturels motifs d’étonnement, Boileau ne peut s’empêcher de demander à Molière où il trouve la rime. […] Lui, l’homme au masque ouvert et à l’allure naturelle, il avait à déblayer avant tout la scène de ces mesquins embarras pour s’y déployer à l’aise et y établir son droit de franc-parler. […] se font sans y penser, Semblables à ces eaux si pures et si belles Qui coulent sans effort des sources naturelles. […] On a cru longtemps que cette Béjart, femme de Molière, était fille naturelle et non sœur de l’autre Béjart ; on l’a même cru du vivant de Molière, et depuis sans interruption, jusqu’à ce que M.  […] Il est bien singulier, en effet, que tous les biographes de Molière, à partir de Grimarest, aient écrit, sans contradiction, qu’il avait épousé la fille naturelle de la Béjart, sa première maîtresse.

258. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — I. » pp. 1-19

Jean-Baptiste Massillon, né à Hyères en Provence le 24 juin 1663, fils d’un notaire du lieu, montra de bonne heure ces grâces de l’esprit et de la personne, ces dons naturels de la parole et de la persuasion qui ont distingué tant d’hommes éminents sortis de ces mêmes contrées et qui semblent un héritage ininterrompu de l’ancienne Grèce. […] Il n’y aurait, au reste, rien que de très simple et de très naturel à cela : Massillon jeune, beau, doué de sensibilité et de tendresse, ayant du Racine en lui par le génie et par le cœur, put avoir en ces vives années quelques égarements, quelques chutes ou rechutes, s’en repentir aussitôt, et c’est à ces premiers orages peut-être et à son effort pour en triompher qu’il faut attribuer sa retraite à l’abbaye pénitente de Sept-Fons. […] Ce n’était pas des fleurs étudiées, recherchées, affectées ; non : les fleurs naissaient sous ses pas sans qu’il les cherchât, presque sans qu’il les aperçut ; elles étaient si simples, si naturelles, qu’elles semblaient lui échapper contre son gré et n’entrer pour rien dans son action. […] C’est un groupe en mouvement, c’est un concert naturel, harmonieux. […] Chez Massillon, cette allure naturelle n’avait aucun caractère de sévérité, mais plutôt un air d’effusion et d’abondance comme d’une fontaine coulant sur une pente très douce et dont les eaux amoncelées se poussent de leur propre poids.

259. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — II. (Fin.) » pp. 361-379

À la mort de l’abbé de La Caille, il s’attacha à d’Alembert avec confiance, non comme à un chef, mais comme à un grand géomètre et à un protecteur naturel. […] Je ne rougis point d’un motif trop naturel pour être blâmé… Le voilà donc partant de Versailles pour Paris (15 juillet) avec les autres députés, en grande pompe, et jouissant de ce voyage qui ne fut pour eux qu’un triomphe. […] La surprise ajoutant à ma timidité naturelle, et devant une grande assemblée, je me levai, balbutiai quelques mots qu’on n’entendit pasn, que je n’entendis pas moi-même, mais que mon trouble, plus encore que ma bouche, rendit expressifs… La députation se rend de là à Notre-Dame ; Bailly, dans son trouble, se voit séparé du gros du cortège ; un électeur, M.  […]  » Et il y a des gens qui lui disputent ce mot, dans le sens élevé où il est si naturel qu’il l’ait proféré. […] Tel fut Bailly ; savant ingénieux, écrivain élégant et pur, l’un des plus louables produits et des meilleurs sujets que l’Ancien Régime ait légués au nouveau ; qui n’eut rien en lui du mouvement d’initiative ni du levain révolutionnaire des Mirabeau, des Condorcet, des Chamfort, de ces novateurs plus ou moins aigris, irrités ou inspirés ; qui n’accepta dans sa droiture que ce qui lui parut juste, qui s’y tint, et qui, malgré des faiblesses de vue et des illusions de bon naturel, laisse à jamais l’idée d’un homme aussi éclairé que modéré et vertueux.

260. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Henri IV écrivain. par M. Eugène Jung, ancien élève de l’École normale, docteur es lettres. — II » pp. 369-387

Je mets cette parole à côté de celles que Henri IV écrirait au landgrave de Hesse, au moment des intrigues recommençantes du duc de Bouillon (octobre 1605) : Mon cousin, j’ai voulu décharger mon cœur avec vous de toutes ces choses, afin que vous sachiez que, si ces entreprises et offenses m’ont fait monter à cheval et ont à bon droit ému mon courroux, elles n’ont pourtant changé ni altéré mon naturel ni mon inclination, l’expérience que j’ai des choses du monde m’ayant appris d’être plus prudent que vindicatif en la direction des affaires publiques. Dans la modération et la clémence de Henri IV il entrait donc, sur un fonds premier de générosité et de bon naturel, une profonde connaissance de ce que peuvent les choses, de ce que valent les hommes, bien de la prudence et un peu de mépris. […] Jung, le mot célèbre de Mme de Sévigné à sa fille : « J’ai mal à votre poitrine » ; et l’expression la plus naturelle est celle de Henri. […] Châteaux en croupe, cela est amené et comme entraîné par la vivacité de l’action ; mais, pour paraître naturel, en est-ce moins heureux ? […] Jung est de trop appliquer la méthode de Quintilien à Henri IV, de lui vouloir prendre la mesure comme à un ancien, de trop diviser et subdiviser son esprit, sa manière de penser et de dire, de séparer dans des compartiments divers ce qui n’a jamais fait qu’un, et ce qu’il vaudrait mieux accepter sous sa forme naturelle ; en un mot, de trop vouloir traiter comme un livre ce qui est un homme.

261. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Madame Bovary par M. Gustave Flaubert. » pp. 346-363

Le chapitre de la noce qui se fait aux Bertaux est un tableau achevé, d’une vérité copieuse et comme regorgeante, mélange de naturel et d’endimanché, de laideur, de roideur, de grosse joie ou de grâce, de bombance et de sensibilité. […] Cet enfant apportera dans sa vie un léger contrepoids, des retards au progrès du mal, des accès et comme des caprices de tendresse : pourtant ses entrailles de mère sont mal préparées ; le cœur est déjà trop envahi par les passions sèches et par les ambitions stériles pour s’ouvrir aux bonnes affections naturelles et qui demandent du sacrifice. […] Léon Dupuis, qui à table se prend particulièrement de conversation avec Mme Bovary, et à l’instant, dans un dialogue très bien mené, très naturel, et foncièrement ironique, l’auteur nous les montre allant au-devant l’un de l’autre par leurs côtés faux, leur goût de poésie vague, de romanesque, de romantique, tout cela servant de prétexte à la diablerie cachée ; ce n’est qu’un commencement, mais il y a de quoi déconcerter ceux qui croient à la poésie du cœur et qui ont pratiqué l’élégie sentimentale ; évidemment leurs procédés sont connus et imités et parodiés : c’est à dégoûter des dialogues d’amour pris au sérieux. […] Résultat bien naturel ! […] J’ai parlé de mots naturels, et terriblement vrais, qui échappent.

262. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise par M. Taine. »

Un pareil régime absorbant, dévorant, produisait son effet naturel sur de jeunes et vigoureux cerveaux ; on vivait dans une excitation perpétuelle et dans une discussion ardente. […] Il comprit bientôt qu’on ne saurait être un vrai philosophe psychologue sans savoir d’une part la langue des mathématiques, cette logique la plus déliée, la plus pénétrante de toutes, et de l’autre l’histoire naturelle, cette base commune de la vie ; une double source de connaissances qui a manqué à tous les demi-savants, si distingués d’ailleurs, de l’école éclectique. […] Il a souvent exprimé l’âme et le génie de tels paysages naturels avec des couleurs et une saveur d’une âpreté vivifiante. […] Cette parcelle qu’Horace appelle divine (divinæ particulam auræ), et qui l’est du moins dans le sens primitif et naturel, ne s’est pas encore rendue à la science, et elle reste inexpliquée. […] Émile Deschanel, sous le titre de Physiologie des Écrivains et des Artistes , ou Essai de Critique naturelle (1 vol. in-18, librairie Hachette) ; il mérite un examen tout particulier.

263. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Méditations sur l’essence de la religion chrétienne, par M. Guizot. »

Les chapitres principaux de ce livre, qui n’est qu’une première partie, roulent sur les problèmes naturels, c’est-à-dire sur les questions inévitables et troublantes que se posent à eux-mêmes les hommes, à la différence des autres animaux ; questions instinctives, opiniâtres, toujours renaissantes, qu’on ne saurait éluder ni supprimer : la négation n’en est pas possible, quoique l’école positiviste, du moins une certaine branche de cette école, la proclame et l’établisse au point de départ et qu’elle interdise à l’esprit de vaquer inutilement de ce côté. […] La création du monde et de l’homme, voilà la réponse chrétienne, et non pas l’éternité du monde, c’est-à-dire sa formation et ensuite sa transformation (une première matière étant donnée) en vertu de lois naturelles, éternellement existantes, constantes même dans leur infinie progression et ne dérivant que de soi. […] C’est pourtant là ce qui serait, si toute foi au surnaturel s’éteignait dans les âmes, si les hommes n’avaient plus, dans l’ordre surnaturel, ni confiance ni espérance… « L’histoire naturelle, dit-il encore, est toute la science des époques matérialistes et, pour le dire en passant, c’est là que nous en sommes. […] Quelques-uns sont une exception heureuse ; on les distingue, on les compte, la plupart, ni bons ni mauvais, à la merci des impressions, ont un premier mouvement naturel ; mais le temps, les années, les circonstances et les intérêts qui changent et s’éloignent, les changent aussi. […] J’admets comme un droit naturel et universel la liberté de la pensée ; mais, parce qu’elle est essentiellement libre, elle n’est pas indifféremment vraie, et ceux-là seuls qui pensent comme moi sont, pour moi, dans la vérité et appartiennent à la même société intellectuelle, c’est-à-dire à la même Église que moi.

264. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre I. Composition de l’esprit révolutionnaire, premier élément, l’acquis scientifique. »

Grew, puis Vaillant viennent de démontrer les sexes et de décrire la fécondation des plantes ; Linné invente la nomenclature botanique et les premières classifications complètes ; les Jussieu découvrent la subordination des caractères et la classification naturelle. […] Considérez les chefs de l’opinion publique, les promoteurs de la philosophie nouvelle : à divers degrés, ils sont tous versés dans les sciences physiques et naturelles. […] L’histoire humaine est chose naturelle comme le reste ; sa direction lui vient de ses éléments ; il n’y a point de force extérieure qui la mène, mais des forces intérieures qui la font ; elle ne va pas vers un but, elle aboutit à un effet. […] Nous avons à faire l’histoire naturelle de l’âme, et nous la ferons comme toutes les autres, en écartant les préjugés, en ne tenant compte que des faits, en prenant pour guide l’analogie, en commençant par les origines, en suivant pas à pas le développement qui, d’un enfant, d’un sauvage, d’un homme inculte et primitif, fait l’homme raisonnable et cultivé. […] Buffon, Histoire naturelle, II, 340 : « Tous les êtres vivants contiennent une grande quantité de molécules vivantes et actives.

265. (1892) Boileau « Chapitre VII. L’influence de Boileau » pp. 182-206

Les mêmes excellents esprits, qui disent si bien le charme exquis des Fables de La Fontaine, Bussy et Mme de Sévigné, font aller de pair avec ce divin naturel l’esprit glacé des ballets de Benserade. […] Bouhours, l’auteur des Entretiens d’Ariste et d’Eugène, et de la Manière de bien penser sur les ouvrages de l’esprit, ce fin jésuite, tout en nuances, qui, en proscrivant l’enflure, l’entortillement, la mièvrerie, recommandait l’esprit, la délicatesse, la noblesse, dont l’idéal était le naturel affiné, « le vrai orné », et qui enfin louait les anciens, mais non jusqu’à les préférer aux modernes. […] Voltaire s’indignait contre ces téméraires novateurs ; Boileau eût crié plus haut encore ; mais est-ce à dire qu’il eût été satisfait de l’usage où Voltaire et les versificateurs de ce siècle ravalaient l’instrument naturel de la poésie ? […] Le xviiie  siècle n’aperçut pas davantage le naturalisme de Boileau : il ne conçut pas d’autre naturel que cette aisance élégante et très étudiée où consiste la perfection de la distinction mondaine. […] Et le xixe  siècle sans y songer, par une évolution naturelle, s’est vu ramené plus près de Despréaux que le xviiie  siècle n’a jamais été : si l’on regarde du moins les lois qui règlent la pratique, et non la méthode qui les établit.

266. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « La reine Marguerite. Ses mémoires et ses lettres. » pp. 182-200

Marguerite en donne très gentiment une raison toute naturelle : Mais lors l’âge ancien de votre tante et mon enfantine jeunesse avaient plus de convenance, étant le naturel des vieilles gens d’aimer les petits enfants, et de ceux qui sont en âge parfait, comme était lors votre cousine, de mépriser et haïr leur importune simplicité. […] Elle était brune de cheveux, ce qui ne semblait point alors une beauté ; c’était le blond qui régnait : Je l’ai vue aussi s’habiller quelquefois avec ses cheveux naturels sans y ajouter aucun artifice de perruque, nous dit Brantôme ; et, encore qu’ils fussent noirs, les ayant empruntés du roi Henri son père, elle les savait si bien tortiller, frissonner et accommoder, en imitation de la reine d’Espagne sa sœur, qui ne s’accommodait guère jamais que des siens, et noirs à l’espagnole, que telle coiffure et parure lui seyait aussi bien ou mieux que toute autre que ce fût. Vers la fin de sa vie, Marguerite, devenue à son tour une antique, n’avait plus du tout de cheveux bruns et faisait une grande dépense de perruques blondes : « Pour cela elle avait de grands valets de pied blonds que l’on tondait de temps en temps. » Mais dans sa jeunesse, quand elle osait être brune, au naturel, cela ne la déparait point, car elle n’en avait pas moins un teint d’un vif éclat, « un beau visage blanc qui ressemblait un ciel en sa plus grande et blanche sérénité », — « un beau front d’ivoire blanchissant », disent les contemporains et les poètes, qui en ceci paraissent n’avoir point menti. […] Car ce serait une grande erreur de goût que de considérer ces gracieux Mémoires comme une œuvre de naturel et de simplicité ; c’en est une bien plutôt de distinction et de finesse. […] Marguerite aime et affecte encore les comparaisons empruntées à une histoire naturelle fabuleuse.

267. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre I. La Restauration. »

Ingrate, perfide, envieuse, son naturel est si extravagant, qu’il tourne à la haine ou à la bonté absurde. […] La débauche entre leurs mains devient une chose naturelle, bien plus, une chose de bon goût ; ils la professent. […] Il a perdu jusqu’aux plus vulgaires répugnances de la pudeur naturelle. […] Il n’est bien que dans la vie sérieuse et réglée ; il y trouve le canal naturel et le débouché nécessaire de ses facultés et de ses passions. […] Mais comme la rapidité, l’abondance, le naturel des événements couvrent cette insuffisance !

268. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Troisième série

C’est donc déjà dire beaucoup de la faculté observatrice d’un homme que de dire qu’elle est naturelle. […] Nul naturel. […] Ce sentiment n’est ni mauvais, ni bon : il est naturel, et il est éternel. […] Ne voyez-vous pas l’égalité qui règne dans les lois naturelles ? […] Mais ceci n’est qu’un sentiment, louable peut-être, naturel sans doute ; mais un simple sentiment.

269. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 39, qu’il est des professions où le succès dépend plus du génie que du secours que l’art peut donner, et d’autres où le succès dépend plus du secours qu’on tire de l’art que du génie. On ne doit pas inferer qu’un siecle surpasse un autre siecle dans les professions du premier genre, parce qu’il le surpasse dans les professions du second genre » pp. 558-567

Les anciens ignoroient dans les sciences que j’ai citées bien des choses que nous sçavons, et par la démangeaison naturelle aux hommes de porter leurs décisions plus loin que leurs lumieres distinctes, ils sont tombez, comme je l’ai déja dit, en une infinité d’erreurs. […] Mais il est d’autres professions où les derniers venus n’ont pas le même avantage sur leurs prédecesseurs, parce que le progrès qu’on peut faire en ces sortes de professions, dépend plus du talent d’inventer et du génie naturel de celui qui les exerce, que de l’état de perfection où ces professions se trouvent lorsque l’homme qui les exerce fournit sa carriere. […] Le secours que donne la perfection où l’un des arts dont nous parlons est arrivé, ne sçauroit mener les esprits ordinaires aussi loin que la supériorité de lumieres et de vûës naturelles, peut porter un homme de génie.

270. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VIII : Hybridité »

Dans la théorie de sélection naturelle, ce fait acquiert encore une importance toute spéciale, en ce que la stérilité des hybrides ne peut en rien leur être avantageuse, et ne peut, par conséquent, avoir été acquise par la conservation continue des progrès successifs de cette stérilité. […] De sorte que certains sujets, ou même tous les individus de certaines espèces, se prêtent mieux à un croisement qu’à la fécondation naturelle. […] J’ai plus d’une fois fait allusion à un ensemble considérable de faits que j’ai recueillis, et qui montrent que lorsque les plantes et les animaux sont placés hors de leurs conditions naturelles, leur système reproducteur en est très fréquemment et très gravement affecté. […] Quant à la stérilité des hybrides dont les organes reproducteurs sont plus ou moins atrophiés, et chez lesquels l’organisation tout entière a été troublée par le mélange de deux organismes spécifiquement distincts, elle semble en rapport étroit avec la stérilité qui affecte très fréquemment les espèces de race pure, quand leurs conditions de vie naturelles ont été troublées. […] Elle peut donc à ce point de vue avoir été acquise par sélection naturelle, comme la stérilité des neutres ; les espèces rebelles à tout mélange avec des espèces alliées ayant généralement dû être élues de préférence aux espèces folles ou polymorphes.

271. (1870) La science et la conscience « Chapitre IV : La métaphysique »

Au contraire, entre la philosophie spiritualiste et la conscience, l’entente est naturelle, par cela seul que le spiritualisme trouve dans la conscience elle-même sa donnée première. […] Hâtons-nous de le reconnaître : la philosophie religieuse n’a rien de commun avec la philosophie naturelle quant au sentiment des vérités de l’ordre moral. […] Voilà ce que la conscience apprend à la philosophie naturelle. […] Ainsi, nous nous défions de l’emploi, non-seulement des méthodes mathématiques, évidemment impropres aux sciences purement descriptives, mais encore des méthodes dites naturelles, qui se réduisent à l’observation comparée et à l’induction. Nous trouvons que la psychologie, par exemple, exactement traitée par la méthode des sciences naturelles, court risque d’en rester à la surface des choses, et de ne point pénétrer dans l’intimité de la nature humaine, ouverte seulement à l’œil de la conscience.

272. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » p. 97

Le naturel & le tendre de la Poésie, l’intelligence & les ressorts de ce genre de Spectacle, y sont employés avec une finesse qui en rend l’effet des plus intéressans. Tout le monde sait par cœur des morceaux du Ballet d’Eglé & de l’Opéra de Sylvie, dont les vers sont si naturels & si harmonieux, qu’ils font, pour ainsi dire, valoir la Musique, quoiqu’excellente par elle-même, au lieu que, pour tant d’autres, c’est la Musique qui fait supporter les Vers.

273. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXVI » pp. 279-297

. — Madame Scarron chargée de l’éducation des enfants naturels du roi et de madame de Montespan. — Habitudes de madame Scarron. — Sa société quand elle fut nommée gouvernante. […] Il s’agissait évidemment des enfants naturels du roi et de madame de Montespan. […] Enfin, et c’était là le point le plus sensible, cet état de domesticité qu’elle accepterait dans la maison de madame de Montespan, la placerait au-dessous des regards du roi, de ces regards qu’elle avait trouvés si doux, et qu’elle se sentait autorisée à rappeler sur elle, par l’aveu secret de ce prince pour l’éducation de ses enfants naturels. […] Persuadé que l’inclination du roi pour elle a été le premier motif de sa nomination à la place de gouvernante d’enfants naturels qu’il avait l’intention de reconnaître et d’élever au niveau de ceux de madame de La Vallière, je le suis aussi que le choix fut déterminé par un motif plus sérieux, et qu’il fut fait dans le même esprit que celui de madame de Montausier pour la place de gouvernante des enfants de France. […] Ici se place une observation essentielle : c’est qu’en 1669, quand le roi autorisa de premières démarches pour engager madame Scarron à se charger de ses enfants naturels, aucune apparence de dévotion ne se rencontrait dans la société qu’elle fréquentait ; et j’ajoute qu’aucune apparence de dévotion n’avait atteint ni le roi, ni madame Scarron ; de sorte que la gloire de sa désignation appartient tout entière à l’honnêteté des mœurs et à la bonne compagnie.

274. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Chefs-d’œuvre de la littérature française (Collection Didot). Hamilton. » pp. 92-107

À travers tout, on y sent du naturel et du piquant. […] Ce sont de ces traits qui peignent au naturel une race fine, mais fortement trempée. […] Je crois saisir dans ce portrait-là comme un reflet d’Hamilton en personne ; mais c’est surtout quand il nous peint sa sœur, la belle Mlle d’Hamilton qui épousa Grammont, c’est dans cette page heureuse entre tant d’autres qu’il lui échappe des traits que je lui renvoie à lui-même, et que j’applique non pas à sa muse (ce sont des noms solennels qui ne lui vont pas), mais à sa grâce d’écrivain : Elle avait, dit-il, le front ouvert, blanc et uni, les cheveux bien plantés, et dociles pour cet arrangement naturel qui coûte tant à trouver. […] Qui ne se rappelle, pour les avoir vus, le grotesque Cerise, l’honnête gouverneur Brinon, et Matta surtout, le second du chevalier, Matta si naturel, si insouciant, si plein de saillies ? […] Le style, généralement heureux, naturel, négligé, délicat sans rien de précieux, n’est pas exempt, en deux ou trois endroits, d’une apparence de recherche ou de papillotage, qui sent l’approche du xviiie  siècle.

275. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Bossuet, et Fénélon. » pp. 265-289

Ses aumônes considérables, son éloquence naturelle, les charmes de sa figure, gagnèrent les imaginations tendres & flexibles. […] Son génie étoit créateur & lumineux ; son goût sûr & naturel ; son imagination douce & brillante ; sa conversation instructive & délicieuse ; sa plume celle même des graces. […] Les emportemens de ses ennemis ne le firent jamais sortir de sa douceur naturelle. […] Il y a toute la pompe de l’un & toute l’élégance de l’autre, les agrémens de la sable & la force de la vérité, des descriptions nobles & sublimes, & des peintures riantes & naturelles. […] Quel stile vif, naturel, harmonieux !

276. (1761) Apologie de l’étude

La paresse est naturelle à l’homme. […] Mais, pour suivre la comparaison, ce même pendule, une fois éloigné de sa situation naturelle, y retombe mille fois sans s’y arrêter, jusqu’à ce que son mouvement, ralenti peu à peu par le frottement et par la résistance, soit enfin totalement détruit. […] Nous portons deux hommes en nous, un naturel et un factice. […] Or, de ces besoins imaginaires, souvent plus impérieux que les besoins naturels, le plus universel et le plus pressant est celui de dominer sur les autres, soit par la dépendance ou ils sont de nous, soit par les lumières qu’ils en reçoivent. […] Un imbécile assura que je réduisais tout à la loi naturelle.

277. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre IV. De la pluralité des temps »

. — La simultanéité « savante », dislocable en succession : comment elle est compatible avec la simultanéité « intuitive » et naturelle. — Examen des paradoxes relatifs au temps. […] Je dessinerai le premier en grandeur naturelle, et je réduirai l’autre à la dimension d’un nain. […] Maintenant, S′ étant censé en mouvement, les deux genres de simultanéité ne coïncident plus ; tout ce qui était simultanéité naturelle demeure simultanéité naturelle ; mais, plus augmente la vitesse du système, plus croît l’inégalité entre les trajets P et Q, alors que c’était par leur égalité que se définissait la simultanéité savante. […] , vous pratiquez d’une simultanéité à l’autre, de la simultanéité naturelle à la simultanéité savante, une transfusion de réalité. […] Telle fut l’idée dominante de la métaphysique des Grecs, idée reprise par la philosophie moderne et d’ailleurs naturelle à notre entendement.

278. (1865) Introduction à l’étude de la médecine expérimentale

De même que dans la marche naturelle du corps, l’homme ne peut avancer qu’en posant un pied devant l’autre, de même dans la marche naturelle de l’esprit, l’homme ne peut avancer qu’en mettant une idée devant l’autre. […] Toute la philosophie naturelle se résume en cela : Connaître la loi des phénomènes. […] Dès lors le but de l’expérimentateur est atteint ; il a, par la science, étendu sa puissance sur un phénomène naturel. […] Pinel a appliqué en pathologie la classification naturelle introduite en botanique par de Jussieu et en zoologie par Cuvier. […] La constatation et le classement des corps ou des phénomènes naturels ne constituent point la science complète.

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