Goethe cependant l’avait précédé de bien des années ; mais Goethe, dans une vie plus calme, se fit une religion de l’art, et l’auteur de Werther et de Faust, devenu un demi-dieu pour l’Allemagne, honoré des faveurs des princes, visité par les philosophes, encensé par les poètes, par les musiciens, par les peintres, par tout le monde, disparut pour laisser voir un grand artiste qui paraissait heureux, et qui, dans toute la plénitude de sa vie, au lieu de reproduire la pensée de son siècle, s’amusait à chercher curieusement l’inspiration des âges écoulés ; tandis que Byron, aux prises avec les ardentes passions de son cœur et les doutes effrayants de son esprit, en butte à la morale pédante de l’aristocratie et du protestantisme de son pays, blessé dans ses affections les plus intimes, exilé de son île, parce que son île antilibérale, antiphilosophique, antipoétique, ne pouvait ni l’estimer comme homme, ni le comprendre comme poète, menant sa vie errante de grève en grève, cherchant le souvenir des ruines, voulant vivre de lumière, et se rejetant dans la nature, comme autrefois Rousseau, fut franchement philosophe toute sa vie, ennemi des prêtres, censeur des aristocrates, admirateur de Voltaire et de Napoléon, toujours actif, toujours en tête de son siècle, mais toujours malheureux, agité comme d’une tempête perpétuelle ; en sorte qu’en lui l’homme et le poète se confondent, que sa vie intime répond à ses ouvrages ; ce qui fait de lui le type de la poésie de notre âge. » Ainsi ce que madame de Staël, qui n’avait devant les yeux que Goethe, déplorait comme étant une maladie et n’étant qu’une maladie, nous, en contemplant Byron, chez qui cette maladie est au comble, nous ne le déplorions pas moins, mais nous le regardions comme un mal nécessaire, produit d’une époque de crise et de renouvellement. […] Vous vivez solitaires, vous n’avez plus de fêtes. […] J’y trouve le retour à la nature, le sentiment de l’égalité humaine, le sentiment pur de l’amour : ce sont trois traits de Rousseau, qui, comme une image sacrée de l’idéal, ont passé dans l’âme de Goethe, et y vivaient à l’époque où il fit Werther.
Qu’une atmosphère favorable soit nécessaire au développement de la première de ces qualités, cela n’est pas douteux, comme il n’est pas douteux que la seconde soit l’apanage des pays qui vécurent dans le rayonnement d’un centre de civilisation raffinée. […] Vivre est chose plus facile à Nîmes et à Toulouse qu’à Lille et à Paris. […] Mais l’homme malheureux ne se contente pas, fût-il aigri et plein de Heine, de faire de petites chansons avec ses grandes douleurs : il construit, dans ses vers, les pays heureux où il voudrait vivre… et ne point mourir.
Quel était-il donc, pour oser se faire ainsi le terme de comparaison de tout ce qui avait vécu avant lui, pour contrôler par sa propre sagesse la sagesse ancienne, et moderne, et peser le genre humain à son poids ? […] Enfin, à tous ces avantages du caractère de la condition, du spectacle d’un siècle laborieux et agité, qui vécut de toutes les vies, Montaigne joignait une qualité qu’aucun autre écrivain de son temps n’a possédée à ce degré où elle est la marque même du génie, je veux dire la modération. […] C’est l’effet du temps où vivait Montaigne.
Mais, pendant que je respire encore, supportez ma présence, et ne vous ennuyez point de vivre avec moi. […] Mais si je fais tout ce qui dépend de moi afin que vous puissiez vivre dans une parfaite tranquillité, que cette considération pour le moins vous retienne, si toutes les autres sont inutiles. Quelque grand nombre d’amis que vous ayez, nul ne vous laissera vivre avec autant de liberté que je fais.
« On nous assura, de plus, qu’ils vivaient longtemps et que la mort, qui est un accident si commun chez les autres hommes, passait pour prodige parmi ceux de cette lignée. […] Jusqu’à la dernière page (du moins de ce qui nous est parvenu), cette marque subsiste de lettres confidentielles où deux personnes s’entendent à demi-mot : « Je vous donne les gens de Limoges pour aussi fins et aussi polis que peuple de France : les hommes ont de l’esprit en ce pays-là, et les femmes de la blancheur ; mais leurs coutumes, façon de vivre, occupations, compliments surtout, ne me plaisent point. […] Vous savez ce que Stendhal a dit bien joliment de nos auteurs classiques : s’ils n’ont pas eu le sentiment de la nature, il ne faut pas s’en étonner beaucoup parce qu’ils vivaient tous ou presque tous à Paris, et que les environs de Paris ne sont pas pour donner un sentiment très profond et très grandiose de la nature ; le sentiment d’une nature aimable, gracieuse, infiniment charmante même, oui, mais le sentiment du grand pittoresque, ils ne pouvaient le trouver autour d’eux.
Ce n’est pas pour soi seul qu’ici-bas on doit vivre. […] La sensation d’une lecture faite par des acteurs, c’est la sensation que nous avons lorsque le poète n’a pas le don dramatique ; lorsque nous avons la sensation de quelque chose qui est vécu par les acteurs, c’est que l’auteur est doué véritablement. […] Lorsque vous lisez la fable de la Poule et les Deux Coqs, vous avez un procédé du burlesque employé très nettement par La Fontaine : Deux coqs vivaient en paix.
Il fut du triumvirat qui a donné les trois plus grands de l’époque, mais il n’en est l’Auguste que parce qu’il est celui qui a vécu le plus longtemps. […] Quant aux vers qui entrelardent cette maigreur, ils ne sont pas différents des autres vers de leur auteur que par leur faiblesse, mais on les reconnaît encore, à une multitude de traits, pour être de cette inépuisable fabrique qui a peut-être trop fabriqué… Vous en jugerez : … Dieu ne nous a pas confié sa maison La Justice, pour vivre en dehors d’elle… Cette justice qui est une maison… Celui qu’on nomme un Pape est vêtu d’apparences ! ……………………………………………………… ……………………………… J’abandonne Ce palais, espérant que cet or me pardonne, Et que cette richesse et que tous ces trésors, Et que l’effrayant luxe usurpé dont je sors, Ne me maudiront pas d’avoir vécu… ……………………………………………………… ………………… Je ne suis plus qu’un moine Comme Basile, comme Honorat, comme Antoine !
Tous ses héros ne sont pas des héros ; ils sont de taille de foule, et ils vivent coude à coude avec ce qu’il y a de plus commun dans l’humanité. […] Enfin, le peintre Marcel, qui ramasse les débris du naufrage de Catherine, ce qui n’est pas une grande aubaine, ce sage d’atelier, ce moraliste de peinture, n’est qu’un bon garçon qui veut vivre à Bruges et qui se moque du préjugé. […] Feydeau, et nul d’entre eux n’y donne l’intérêt élevé, l’intérêt d’art ou de nature humaine que doit avoir toute œuvre qui a la prétention de vivre.
Nestor, dit Homère, vécut trois âges d’hommes parlant diverses langues. […] Cette phrase proverbiale, vivre les années de Nestor, signifiait, vivre autant que le monde.
Par exemple, il est un écrivain, fort peu connu de vous peut-être ; c’est un Allemand qui vivait au milieu du onzième siècle, c’est Lambert d’Affschensbourg. […] Il n’est aucun mérite qui ne se trouvât dans le jeune roi anglais ; et il serait mieux, si raison plaisait à Dieu, qu’il eût vécu que maints envieux qui n’ont jamais fait aux braves que mal et tristesse. […] Le dommage est si grand, que je n’ai pas soupçon qu’il se répare jamais ; à moins qu’on ne lui tire le cœur, et qu’on ne le fasse manger à ces barons qui vivent sans cœur ; et alors ils en auront beaucoup. […] Le comte de Toulouse la protégeait ; le tuteur du vicomte de Béziers était soupçonné d’en faire partie : les temples des Albigeois étaient fréquentés ; leurs hymnes en langue vulgaire retentissaient librement ; et leur foi vivait paisible à côté de la foi catholique, dans les mêmes cités et dans les mêmes villages. […] On voit par cet ouvrage comment on vivait noblement au douzième siècle, quels étaient les usages, les jeux, les sujets d’entretien.
Le père de Burns, déjà âgé, n’ayant guère que ses bras pour toute ressource, ayant loué sa ferme trop cher, chargé de sept enfants, vivait d’épargne, ou plutôt de jeûne, solitairement, pour éviter les tentations de dépense […] Le propre de l’âge où nous vivons et qu’il ouvre, c’est d’effacer les distinctions rigides de classe, de catéchisme et de style ; académiques, morales ou sociales, les conventions tombent, et nous réclamons l’empire dans la société pour le mérite personnel, dans la morale pour la générosité native, dans la littérature pour le sentiment vrai. […] Économes, patients, précautionnés, rusés, il le faut bien ; la pauvreté du sol et la difficulté de vivre les y ont contraints ; c’est là le fonds de la race. […] Ils vivent les yeux tournés vers le dedans, non pour noter et classer leurs idées, en physiologistes, mais en moralistes, pour approuver ou blâmer leurs sentiments. […] Quelque temps avant sa mort, à vingt-neuf ans, il disait : « Si je mourais maintenant, j’aurais vécu autant que mon père. » 1232.
S’agit-il d’expliquer l’embarras d’un jeune homme obligé de choisir une carrière parmi les convoitises et les doutes de l’âge où nous vivons, il vous montre1393 « un monde détraqué, ballotté, et plongeant comme le vieux monde romain quand la mesure de ses iniquités fut comblée ; les abîmes, les déluges supérieurs et souterrains crevant de toutes parts, et dans ce furieux chaos de clarté blafarde, toutes les étoiles du ciel éteintes. […] D’autre part, comme les druides, ils vivent dans des demeures sombres, souvent même ils cassent les vitres de leurs fenêtres et les bourrent de pièces d’étoffes ou d’autres substances opaques, jusqu’à ce que l’obscurité convenable soit rétablie. […] Il dit quelque part1408 qu’il y a au fond du naturel anglais, sous toutes les habitudes de calcul et de sang-froid, une fournaise inextinguible, un foyer de rage extraordinaire, la rage des dévoués Scandinaves1409, qui, une fois lancés au fort de la bataille, ne sentaient plus les blessures et vivaient et combattaient, et tuaient, percés de coups dont le moindre, pour un homme ordinaire, eût été mortel. […] Le meilleur fruit de la critique est de nous déprendre de nous-mêmes, de nous contraindre à faire la part du milieu où nous vivons plongés, de nous enseigner à démêler les objets eux-mêmes à travers les apparences passagères dont notre caractère et notre siècle ne manquent jamais de les revêtir. […] Au moindre arrêt des manufactures, quinze cent mille ouvriers1469 sans ouvrage vivent de la charité publique.
» XIV Voilà ce que l’école véritablement savante des premiers grands missionnaires jésuites, compagnons du père Amyot, et le père Amyot lui-même, pensaient des premiers livres chinois à l’époque où ces Argonautes de la science faisaient, pour ainsi dire, partie du collège des lettrés, cohabitaient avec les lettrés dans le palais des empereurs, vivaient, mouraient en Chine, et écrivaient ces recueils de Mémoires et ces traductions où toute la civilisation chinoise est pour ainsi dire reproduite en mappemonde d’idées et d’institutions sous nos yeux. […] Il conserva son modique patrimoine, gage de son indépendance et héritage de son fils ; il vivait selon la condition à la fois digne et modeste dans laquelle il était né ; il refusa le don qu’on voulait lui faire de villes ou de provinces en propriété. […] » XXVI Confucius, d’après ces maîtres et ces modèles, et les politiques de son école après lui, commentent ainsi ces trois relations et ces cinq vertus réduites en gouvernement et en rites : « Il faut un gouvernement aux hommes, puisque les hommes sont destinés par leurs nécessités à vivre en société. […] Les ancêtres sont les arbres chenus dont ceux qui vivent aujourd’hui ne sont que les rejetons.
Cela lui suffit toute une année pour vivre. […] pourvu qu’avec toi je pusse vivre et t’embrasser comme fait le lierre, dans les ornières j’irais boire. […] « Et, pendant qu’aux lieux où Mireille vivait ils se frapperont leurs fronts sur la terre de regrets et de remords, elle et moi, enveloppés d’un serein azur sous les eaux tremblotantes ; oui, moi et toi, ma toute belle, dans une étreinte enivrée, à jamais et sans fin nous confondrons, dans un éternel embrassement, nos deux pauvres âmes ! […] Vivre de peu !
IX Comme pontife, le pape actuel était un second Pie VII ; comme homme de prière, il vivait sans voir la terre, les yeux au ciel ; comme souverain politique, c’était un Italien amoureux de l’indépendance et de la dignité de l’Italie. […] Le dictateur Manin y vécut dans une pauvreté fière et volontaire, il y vécut de son travail quotidien de professeur de langue italienne. […] Voyons maintenant ce que ce souverain génie politique, ce Dante de la diplomatie, ce Montesquieu précurseur de son siècle, aurait, dans son patriotisme italien, conseillé à l’Italie s’il eût vécu de nos jours.
Quand le vent de Libecio agitait les vagues, on voyait frissonner la mer et courir l’écume avec ce sentiment de gaieté et d’immortalité que donne au regard cette surabondante vie et cette renaissante jeunesse des éléments qui semblent vivre et qui vivent en effet d’une nouvelle vie tous les matins. […] L’habitude de professer donne souvent un pédantisme à la parole et une impériosité au geste, qui révoltent au premier abord ; l’homme n’aime pas à vivre avec les oracles. […] Je vivrais cent mille ans, que le groupe charmant que je contemplais en élevant mes yeux vers l’arbre ne s’effacerait pas de ma mémoire.
L’objet du huitième est sa nourriture et les lieux qu’il habite ; le neuvième traite de ses mœurs, s’il est possible d’user de cette expression ; Aristote y dit quelles sont les habitudes des différents animaux ; avec qui d’entre eux ils vivent réciproquement, soit en société, soit en guerre ; comment ils pourvoient à leur conservation et à leur défense. […] Les abeilles vivent six ans ; quelques-unes vont jusqu’à sept : on regarde comme heureux qu’une ruche dure neuf ou dix ans. […] Le monde moral où il entre par cette dépendance éclairée de sa liberté, est le vrai monde où son âme doit vivre, tandis que son corps vit dans un monde tout différent, où la liberté n’a presque plus rien à faire. […] Peut-être les hommes vivraient-ils en troupes comme quelques autres espèces d’animaux ; mais ils ne pourraient jamais avoir entre eux ces rapports et ces liens durables qui forment les peuples et les nations, avec les gouvernements plus ou moins parfaits qu’ils se donnent et qui subsistent des siècles.
C’est qu’il y sert la pire espèce de maîtres, les courtisans qui vivent de la faveur et des abus. […] Il n’y avait pas de risque que l’honnête homme qui a écrit Gil Blas se fût donné le bizarre plaisir de vivre pendant vingt années en tête-à-tête avec un fripon. […] L’instituteur païen forme son élève pour vivre « : au plus épais de la mêlée humaine et au plein jour de la république28. » Aussi doit-on, avant toute chose, lui inspirer l’estime de lui-même et la confiance en ses forces. […] Le moyen de l’éducation païenne est d’inspirer à l’enfant de la hardiesse, d’allumer son orgueil, de le préparer aux combats de la vie publique ; le moyen de l’éducation chrétienne est de le rendre défiant de lui-même, de faire de l’émulation une rivalité de bons offices, de préparer l’homme à vivre en paix avec ses semblables.
Celui qui n’estime que l’argent mérite de vivre au milieu de gens qui ne pensent qu’à lui voler le sien. […] Mais, aimés ou non, ils vivent. […] Ils vivent donc, du consentement des uns ou en dépit des autres, et pour ne pas mourir. […] Si ses enfants sont moins bien nés que ceux de Molière, ils n’en vivent pas moins de la même vie.
Serons-nous donc plus maltraités, Pour avoir le bonheur de vivre ? […] Après avoir vécu en philosophe, toute sa vie, il se démentit à la mort. […] La manière dont elle apprit le Grec & le Latin est remarquable : on la tient d’un vieux officier de Saumur, qui avoit vécu avec Tannegui Le Févre. […] On convient généralement qu’Énée vivoit trois cens ans après Didon : sur quoi les sçavans, scrupuleux en fait de noms & de dattes, se récrient contre l’audace de Virgile ; lui demandent raison d’avoir fait rencontrer deux illustres personnages qui ont vécu dans des siècles différens ; d’avoir supposé à la reine de Carthage la passion la plus violente & la plus éloignée de son caractère, puisqu’à la mort de Sichée, elle lui voua une fidélité inviolable & préféra le bûcher à de nouveaux engagemens.
» s’écrie-t-il. « Pourquoi donc les impies vivent-ils dans l’opulence ? […] À quoi sert d’avoir vécu, si ce n’est à recueillir une philosophie pour ce monde et pour l’autre ? […] Quand on a vécu un certain nombre d’années sur cette terre et qu’on a sondé jusqu’au tuf le sol de cette vie, il n’y a que deux conclusions à tirer et deux partis extrêmes à prendre : le mépris de soi-même, de l’homme et du monde créé, ou le respect de l’œuvre divine et l’adoration de l’ouvrier divin ; en d’autres termes, le sarcasme, le suicide, ou la résignation et la prière. […] Il ne lui reste qu’à prendre ce monde au sérieux et à vivre avec résignation, ou bien à prendre ce monde en facétie et à dire : Ô Jupiter !
Quelle belle raison de vivre ! […] Il s’est acquis une expérience chagrine ; il lui a servi à quelque chose d’avoir vécu si vieux ! […] quoi, ils n’avaient donc rien vu, ces hommes qui arrivaient de leurs provinces, encore mal décrassés de leurs origines rustiques ou bourgeoises, et qui, devenus Parisiens d’adoption, avaient le bonheur de vivre dans une des villes les plus agissantes du monde ? […] Mais pour se convaincre de tout cela il est nécessaire de vivre véritablement de la vie des individus qu’on prétend décrire.