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622. (1888) La critique scientifique « La critique et l’histoire »

Que l’on conçoive un travail psychologique, historique, littéraire de cette sorte, accompli parfaitement pour l’art, les artistes et les admirateurs dans une époque, dans un peuple ; que l’on sache celui-ci divisé par un procédé approximatif, en une série de types intellectuels et de similaires, à constitution déterminée par termes scientifiques précis : que ces types soient connus et posés comme des hommes vivants et en chair, ces foules comme des agrégats tumultueux, vivants, animés, logés, vêtus, gesticulant, ayant une conduite, une religion, une politique, des intérêts, des entreprises, une patrie, — qu’à ces groupes ainsi déterminés et montrés, on associe, si l’histoire en porte trace, cette tourbe inférieure ne participant ni à l’art ni à la vie luxueuse ou politique communeee, et dont on peut vaguement soupçonner l’être, par le défaut même des aptitudes reconnues aux autres classes ; que l’on condense enfin cette immense masse d’intelligence, de cerveaux, de corps, qu’on la range sous ses chefs et ses types, on aura atteint d’une époque ou d’un peuple la connaissance la plus parfaite que nous puissions concevoir dans l’état actuel de la science, la plus profonde pénétration dans les limbes du passé, la plus saisissante évocation des légions d’ombres évanouies. […] L’esthopsychologie, la science des œuvres d’art considérées comme signes, accompagnée de la synthèse biographique et historique que nous venons d’esquisser, dépeint des hommes réels, des hommes de fortune médiocre ou élevée, ayant vraiment vécu dans un entourage véritable, ayant coudoyé d’autres hommes en chair et en os, étant enfin des créatures humaines, avec, pour parler comme Shylock, des yeux, des mains, des organes, des dimensions, des sens, des affections., des passions, tout comme les vivants que l’on rencontre aujourd’hui sous nos yeux.

623. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Henri Heine »

Il fait apparaître dans ses Reisebilder des personnages aussi baroques et aussi redoutablement vivants que ceux du conteur berlinois, dessinés avec les mêmes détails bizarres et précis. […] Le réel et l’imaginaire se confondent chez Heine, des allégories d’idées abstraites deviennent des créatures vivantes et passionnantes. […] Ce sont les fleurs traditionnelles, la rose, la violette ou le souci ; le rossignol et l’alouette de Roméo ; l’époque et le costume sont indécis, les incidents si simples qu’un jeune Persan vivant à Bagdad sous les Abassides, en eût pu composer l’histoire de sa passion pour quelque belle Arménienne, aussi bien qu’un étudiant de Bonn pour une fille de brasserie.

624. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre II. Shakespeare — Son œuvre. Les points culminants »

Ils existent d’une existence plus intense que n’importe qui, se croyant vivant, là, dans la rue. […] Le poëte est sur ce pavé des vivants ; il leur parle-plus près de l’oreille. […] Ce désespoir suprême lui est épargné de rester derrière elle parmi les vivants, pauvre ombre, tâtant la place de son cœur vidé et cherchant son âme emportée par ce doux être qui est parti.

625. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Première partie. Écoles et manifestes » pp. 13-41

Elle m’apparaît cette théorie (la théorie naturiste) bien plutôt comme une lumineuse méthode d’interpréter la vie quotidienne, de s’intéresser avec une égale allégresse aux successives représentations de l’heure et du jour — que comme un moyen de fixer dans leur détail la multiplicité des réalités vivantes… Où donc M. de Bouhélier trouverait-il les éléments d’un roman ? […] Toute œuvre d’art est sociale, par cela seul qu’elle est vivante ; toute œuvre tendancieuse, si elle l’est entièrement et clairement, est artificielle. […] On a dit à tort que nous manquions de critiques, non, nous manquons davantage d’œuvres vivantes.

626. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Philarète Chasles » pp. 147-177

Il était même, avec Jules Janin, le seul vivant, vraiment vivant, d’un journal qui ne représente plus que la littérature bien conservée, — une momie à peu près, mais qui fait illusion en l’enveloppant bien. […] VI Et, en effet, mourir n’est rien, quand on meurt dans la logique de son esprit et l’honneur intellectuel de sa vie ; mais être traîné aux gémonies des idées communes qui ont fait, toute une vie, hausser les épaules de mépris, et s’y traîner soi-même, vivant encore, voilà vraiment ce qui nous autorise à dire que Philarète Chasles a vécu un livre trop tard !

627. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre IV. Le rêve »

Ils aspirent peut-être à la lumière ; ils n’essaient pourtant pas d’y remonter ; ils savent que c’est impossible, et que moi, être vivant et agissant, j’ai autre chose à faire que de m’occuper d’eux. […] La nature, dit-il, ébauche des corps vivants, mais les ébauche seulement. […] La sensation est chaude, colorée, vibrante et presque vivante, mais indécise.

628. (1891) Esquisses contemporaines

Les choses débordent l’homme jusqu’à l’étouffer, mais les choses sont animées et vivantes ; jamais elles n’ont été mieux comprises, jamais dépeintes avec autant d’intensité et de couleur. […] Or, à la base de toute personnalité, se trouve le contact permanent avec l’humanité vivante et la possession interne des éléments qui constituent la vie générale. […] La représentation intuitive de la multitude des vivants, qui furent avant nous et qui seront après nous dans la suite des siècles, a quelque chose de tragique et de saisissant. […] Celui qui parle ainsi ne compte plus au nombre des vivants. […] Le lecteur doit faire un constant effort d’imagination synthétique pour rassembler ces membres épars en un corps vivant et pour concevoir qu’un souffle de vie puisse animer des âmes pareillement démontées.

629. (1890) Dramaturges et romanciers

Desgenais n’est pas plus un caractère que L’Angély ou Triboulet : c’est un composé de saillies et de boutades, un sac à épigrammes, un pamphlet vivant. […] Les années s’écoulent et le souvenir de cette apparition reste toujours vivant dans le cœur de Sibylle. […] Ils ne visent pas à être des types, ils se contentent d’être des individualités très vivantes et des portraits très ressemblants. […] Livrés à l’action, ce sont des individus bien vivants, souvent des caractères, quelquefois presque des types. […] Pour n’être qu’un instrument passif, Zicka n’est-elle donc pas une personne vivante ?

630. (1911) Études pp. 9-261

Ils sont si vivants qu’ils restent d’abord confondus. […] Le magicien évoque les beaux fantômes vivants. […] La joie nous est donnée de posséder Dieu, de goûter à sa substance, de l’éprouver vivant en nous-mêmes. […] Il faut qu’elle trouve place, entière et vivante. […] Il est vivant, il m’échappe comme il vous élude ; mais je lui en sais gré, tandis que vous le boudez.

631. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XX » pp. 84-86

de l’élément même qui la fit la première fois, du cœur et du sang de l’homme, des libres mouvements de l’âme qui ont remué ces pierres, et sous ces masses où l’autorité pèse impérieusement sur nous, je montrai quelque chose de plus ancien, de plus vivant, qui nia l’autorité même, je veux dire la liberté… » J'ai suivi la même marche, porté la même préoccupation des causes morales, du libre génie humain dans la littérature, dans le droit, dans toutes les formes de l’activité.

632. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « APPENDICE. — LEOPARDI, page 363. » pp. 472-473

Alors, ami blessé, ton cœur serait guéri ; Chaque vivant objet, que la trame déploie, Te rendrait un écho d’harmonie et de joie ; Et soumis, adorant, tu sentirais partout Dieu présent et visible, et tout entier dans tout !

633. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XV. Du Purgatoire. »

Admirable commerce entre le fils vivant et le père décédé !

634. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Amédée Van Loo  » pp. 139-140

S’il y a des statues, par exemple, dans un tableau ; vous ne prendrez jamais ces statues pour des personnages vivants.

635. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (5e partie) » pp. 65-128

Parmi les documents vivants les plus précieux à consulter sur les hommes célèbres, parmi les terroristes et parmi les victimes, était un vieillard de beaucoup d’esprit et de beaucoup de vertu, qui, dans sa plus verte jeunesse, avait été lié avec Danton d’une amitié confiante et intime, amitié d’entraînement d’un adolescent pour un grand acteur dans un grand drame, mais sans aucune complicité dans aucun crime. […] J’appris par hasard que l’auteur existait encore, aussi vivant à quatre-vingt-quatre ans qu’il avait pu l’être à trente ans. […] Je dois presque tout à un homme de cœur et de talent, son voisin, M. de la Sicotière, qui a fait, d’après nature et d’après les traditions encore vivantes, le portrait de son immortelle compatriote. […] La mémoire des morts n’est pas une monnaie de trafic entre les mains des vivants.

636. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXVIe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 385-448

L’arbre est la vie de ma mère, de mon oncle, de ma cousine, de nos pères et de nos enfants ; tuez-nous tout de suite si vous voulez le tuer, mais vous ne le tuerez pas, moi vivant ! […] CXXXIII — Je leur dis alors, comme on parle dans le délire de la fièvre, tout ce qu’on peut dire quand on a perdu sa raison et qu’on n’écoute rien de ce qui combat votre folie par des raisons, des caresses ou des menaces, que mon parti était pris ; que si Hyeronimo devait mourir, il valait autant que je mourusse avec lui, car je sentais bien que ma vie serait coupée avec la sienne ; que des deux manières ils seraient également privés de leurs deux enfants ; que, vivant, il aurait peut-être besoin de moi là-bas ; que, mourant, il lui serait doux de me charger au moins pour eux de son dernier soupir et de prier en voyant un regard de sœur le congédier de l’échafaud et le suivre au ciel ; que la Providence était grande, qu’elle se servait des plus vils et des plus faibles instruments pour faire des miracles de sa bonté ; que je l’avais bien vu dans notre Bible, dont ma tante nous disait le dimanche des histoires ; que Joseph dans son puits avait bien été sauvé par la compassion du plus jeune de ses frères ; que Daniel dans sa fosse avait bien été épargné par les lions, enfin tant d’autres exemples de l’Ancien Testament ; que j’étais décidée à ne pas abandonner, sans le suivre, ce frère de mon cœur, la chair de ma chair, le regard de mes yeux, la vie de ma vie ; qu’il fallait me laisser suivre ma résolution, bonne ou mauvaise, comme on laisse suivre la pente à la pierre détachée par le pas des chevreaux, qui roule par son poids du haut de la montagne, quand même elle doit se briser en bas ; que toutes leurs larmes, tous leurs baisers, toutes leurs paroles n’y feraient rien, et que, si je ne me sauvais pas aujourd’hui, je me sauverais demain, et que peut-être je me sauverais alors trop tard pour assister le pauvre Hyeronimo. […] À la vue de mon pauvre père aveugle étendu ainsi sur le seuil et qu’il me fallait franchir pour voler sur les pas de mon frère, les forces me manquèrent ; je crus voir un sacrilège, et je tombai à mon tour à genoux et les bras étendus autour de son cou ; ma tante, de son côté, se précipita tout échevelée sur nos deux corps palpitants, en sorte que nous ne formions plus, à nous trois, qu’une seule masse vivante ou plutôt mourante, d’où ne sortaient que des sanglots et des soupirs, étouffés par des reproches et par des baisers. […] En vivant ainsi et en parlant avec l’un ou avec l’autre, quelque âme charitable finira bien par me dire ce qui est advenu de Hyeronimo.

637. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre II. Le quinzième siècle (1420-1515) »

Ils faisaient ainsi de la religion une chose vivante et populaire : tant pis si elle y perdait sa pureté, sa fière et divine idéalité. […] L’autre, le plus vivant rameau du tronc de la foi chrétienne, où toute la sève se porte quand le reste se dessèche, c’est l’idée de la mort qui, sous le poids écrasant des misères, dans l’anarchie morale et religieuse, s’exaspère en un sentiment aigu île l’anéantissement de la chair. […] Chaque âme, avec le ton de son tempérament, avec une légèreté railleuse, avec un désespoir accablé ou grimaçant, avec une philosophique résignation, avec une joie insultante et pourtant angoissée, chaque âme a dit l’universelle nécessité, le mot qui donne pitié des morts, et fait frissonner les vivants. […] Il s’instruit en vivant : chaque fait, chaque acte est classé dans son esprit, et fournit une leçon, une règle pour l’avenir.

638. (1857) Articles justificatifs pour Charles Baudelaire, auteur des « Fleurs du mal » pp. 1-33

Il a visité l’Orient et gardé une vivante empreinte des splendeurs de la nature tropicale. […] C’est là en effet l’avancement d’hoirie infernale que tout coupable a de son vivant dans la poitrine. […] Baudelaire, profondément imagée, vivace et vivante, possède à un haut degré ces qualités d’intensité et de spontanéité que je demande au poète moderne. […] Baudelaire excelle surtout, je l’ai dit, à donner une réalité vivante et brillante aux pensées, à matérialiser, à dramatiser l’abstraction.

639. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Lettres de la mère Agnès Arnauld, abbesse de Port-Royal, publiées sur les textes authentiques avec une introduction par M. P. Faugère » pp. 148-162

La mère Agnès, si respectée qu’elle fût, n’était que la seconde de la mère Angélique, et ne la remplaça jamais tout à fait aux yeux des sœurs ; on ne faisait pas collection à l’avance de tout ce qui sortait de ses lèvres ou de sa plume ; on ne lui préparait pas son dossier de sainte de son vivant. […] De son vivant, sa tribune à l’église était tout proche de la porte dite des Sacrements ; ce qui faisait que la mère Agnès, pour lui faire honneur, l’appelait le portier de Jésus-Christ.

640. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Étude sur la vie et les écrits de l’abbé de Saint-Pierre, par M. Édouard Goumy. L’abbé de Saint-Pierre, sa vie et ses œuvres, par M. de Molinari. — II » pp. 261-274

Le premier acte d’opposition à Louis XIV, et le seul possible, lui vivant, c’était de parler paix, paix européenne perpétuelle, et d’aller renouer la tradition monarchique au nom populaire de Henri IV. […] Il a surtout rassemblé les principaux points de sa doctrine dans le portrait d’Agaton, archevêque très vertueux, très sage et très heureux ; c’est son vicaire savoyard à lui, et, s’il a échappé aux tracasseries du Parlement et de la Sorbonne, c’est qu’on ne le lisait pas et que, de son vivant, personne ne le prenait au sérieux.

641. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « I. Leçon d’ouverture du Cours d’éloquence française »

On remarquait malignement que Larroumet avait beaucoup cité les critiques vivants, des journalistes souvent sans autorité ni mérite littéraires. […] Car malgré son enthousiasme de collégien pour les rythmes larges et les sonorités cuivrées du style de Taine, Larroumet, dès qu’il réfléchit, se détourna de la philosophie systématique que construit la littérature, et préféra la souplesse désossée de Sainte-Beuve, le style à mille faces qui réfléchit tous les rapports des choses, la phrase au développement onduleux qui en dessine la mobilité vivante, l’information curieuse et l’induction aiguë qui ne substituent jamais des vues de l’esprit à l’observation du réel.

642. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « II  L’esprit scientifique et la méthode de l’histoire littéraire »

Disons-nous bien que toutes les opérations, qui pour la science des laboratoires sont réelles, ne peuvent être dans l’histoire littéraire que métaphoriques ou idéales, que l’analyse du génie poétique n’a rien de commun que le nom avec l’analyse du sucre, et se passe tout entière dans la tête qui la fait, que l’identification du genre littéraire qui se maintient par imitation, avec l’espèce vivante qui se perpétue par génération, est purement verbale, et qu’enfin tout ce qui est méthode dans les sciences de la nature, si on le transporte dans notre domaine, devient système. […] Il y a sans doute bien des œuvres mortes ; mais les chefs-d’œuvre sont devant nous, non point comme les documents d’archives, à l’état fossile, morts et froids, sans rapport à la vie d’aujourd’hui ; mais comme les tableaux de Rubens ou de Rembrandt, toujours actifs et vivants, capables encore d’impressionner les âmes de notre temps autant qu’ils firent celles de leur temps, et d’y déterminer des modifications profondes.

643. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre IV. Le théâtre des Gelosi » pp. 59-79

Il inscrit, par exemple, dans la liste des robbe per la commedia : « des bâtons pour bâtonner (bastoni da bastonare), beaucoup de lanternes, une chatte vivante et un coq vivant, quatre chiens de chasse, un pot de nuit avec du vin blanc dedans, des costumes de notaires, de pèlerins ou de voyageurs, une lune simulée qui se lève, etc. » Le nombre des personnages est habituellement de douze ou quinze, divisés par groupes.

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