Elle ne s’y soumet d’ailleurs que pour mettre mieux en relief une originalité d’ailleurs très vive.
Ses Lettres sur l’Atlantide de Platon & sur l’ancienne Histoire de l’Asie, pour servir de suite à l’Ouvrage précédent, ne lui cedent en rien du côté du style, qui en est vif, animé, rapide, & plein de chaleur ; mais quelquefois défiguré par une affectation d’esprit qui approche du précieux.
Le plan en est finement conçu, l’intérêt vif, les scenes sont bien distribuées, les airs bien amenés, les sentimens aussi variés que naturels.
Une imagination aussi vive & aussi brillante que celle de M. le Chevalier de Boufflers, n’auroit pas dû s’abaisser jusqu’à embellir le langage du vice ; elle est assez riche de son propre fonds, pour se faire admirer dans d’autres sujets.
Tout ce que la tendresse a de plus vif & de plus touchant, tout ce que la nature, animée par le sentiment, tout ce qu’une élégante naïveté, la richesse des détails, la variété des images, la chaleur du style, le pathétique des situations peuvent offrir à l’ame pour l’intéresser, la captiver & l’attendrir, se trouve dans cet Ouvrage, préférable à mille autres du même genre.
Doué d’une sensibilité vive & touchante, d’une imagination brillante & féconde, nourri de la lecture des Ecrivains les plus substantiels, il n’a besoin, pour cet effet, que de mettre plus de liaison dans ses idées, communément nobles & élevées, plus de naturel dans son style, souvent énergique & élégant, mais surchargé de figures parasites, de métaphores recherchées, qui le rendent quelquefois emphatique & boursoufflé.
Il est spirituel, un peu trop à la manière du xviiie siècle ; il fait de petits vers, il est vif, il est jugeur, il a enfin une personnalité qui nuance les anecdotes qu’il raconte.
On a remarqué que dans cette sorte de faveur et d’amitié de roi à sujet, qui rappelle celle de Henri IV et de Sully, c’est plutôt Joinville qui joue le rôle de Henri IV, c’est-à-dire qui a la repartie piquante et vive, et que c’est plutôt saint Louis qui fait le Sully, c’est-à-dire le sage et le mentor. […] Cette scène d’arrivée et de débarquement en vue de l’ennemi est vive chez Joinville, et pleine de couleur : Le jeudi après Pentecôte arriva le roi devant Damiette, et trouvâmes là toute l’armée du Soudan sur la rive de la mer, de très belles gens à regarder ; car le Soudan porte les armes (armoiries) d’or, sur lesquelles le soleil frappait, qui faisait les armes resplendir. […] Des deux endroits où Joinville en parle, je choisis le plus vif.
Aujourd’hui, ces heureuses et vives qualités de l’orateur, parmi lesquelles il faut compter l’une des premières, « une voix pleine, résonnante, douce et harmonieuse », ont disparu, et l’écrivain seul nous reste, écrivain juste, clair, exact, probe comme sa pensée, mais qui n’a rien de surprenant. […] Je lisais tout cela à haute voix ; et avec ce ressouvenir des premières années où l’on eût la foi vive et entière, avec ces sentiments sérieux et rassis que l’âge nous rend ou nous donne, et aussi avec ce goût d’une littérature apaisée, qui est désormais la mienne en vieillissant, je trouvais ce discours aussi excellent de forme que de fond, beau et bon de tout point. […] Cet éloge funèbre du Grand Condé, dont Mme de Sévigné a esquissé une vive analyse dans une lettre à Bussy et dont elle se disait transportée, est d’un caractère à part et garde encore l’empreinte morale de la manière de Bourdaloue ; il laisse la vie glorieuse et mondaine du prince, ou plutôt, dans cette vie, il ne s’attache qu’à son cœur, à ce qui s’y conserve d’intègre, de droit, de fidèle, jusque dans ses infidélités envers son roi et envers son Dieu, et il va dégageant de plus en plus cette partie pure, héroïque et chrétienne, jusqu’à ce qu’il la considère en plein dans la maturité finale et un peu tardive de ses dernières années.
Il est pourtant un côté qu’il importe de bien mettre en vue et de reconnaître : Bourdaloue, vivant et parlant, eut beaucoup plus de variété et d’à-propos que l’on ne suppose, et, s’il ne semble appliqué qu’à semer le bon grain dans les âmes, il est à remarquer qu’il savait pénétrer dans ces âmes et ces esprits de ses auditeurs, et les entrouvrir, par des tranchants assez vifs et assez inattendus. […] Tous les sermons de Bourdaloue Sur la prédestination, Sur la grâce, Sur la fréquente communion, etc., n’étaient pas seulement des enseignements de doctrine, c’étaient des à-propos frappants et vifs dans la disposition des esprits d’alors. […] C’est s’en faire une idée trop contrite et trop recueillie : pour se représenter avec vérité Bourdaloue vivant et éloquent, et pour corriger une impression trop monotone, il faut y joindre le portrait peint par Mlle Chéron et gravé par Rochefort : Bourdaloue y a les yeux ouverts, vifs, le nez assez aquilin, la figure maigre et un peu longue, la bouche fine, la physionomie animée, spirituelle et pénétrante ; enfin il n’a pas les yeux fermés, la lèvre close et la physionomie morte (ou au repos) du portrait peint par Jouvenet et gravé par Simonneau.
Cette lettre, publiée par Voltaire, est devenue historique, et elle fait le plus grand honneur auprès de la postérité à l’esprit et à l’humanité de M. d’Argenson : « Vous m’avez écrit, monseigneur, lui répondait Voltaire, une lettre telle que Mme de Sévigné l’eût faite, si elle s’était trouvée au milieu d’une bataille. » Et cet éloge est mérité ; on a la description gaie, vive, émue, du combat, du danger, du succès plus qu’incertain à un moment, de la soudaine et complète victoire ; le principal honneur y est rapporté au roi : puis, après tout ce qu’un courtisan en veine de cœur et d’esprit eût pu dire, on lit les paroles d’un citoyen philosophe ou tout simplement d’un homme : Après cela, pour vous dire le mal comme le bien, j’ai remarqué une habitude trop tôt acquise de voir tranquillement sur le champ de bataille des morts nus, des ennemis agonisants, des plaies fumantes… J’observai bien nos jeunes héros ; je les trouvai trop indifférents sur cet article… Le triomphe est la plus belle chose du monde : les Vive le roi ! […] Je n’oserais assurer qu’il ait trouvé cette expression et qu’elle lui soit venue aussi vive, aussi légèrement tendre qu’elle aurait pu l’être, le jour où, à peine âgé de vingt ans, il fit un matin à je ne sais quelle dame la déclaration suivante, qu’il a pris soin de nous conserver mot pour mot : Déclaration d’amour prononcée à une toilette le 25 juin 1714 : « Jusques à quand, madame (il débute tout comme Cicéron dans sa fameuse harangue : Jusques à quand, Catilina…), — jusques à quand, madame, prendra-t-on des marques d’amour pour des marques de mépris ?
J’étais au contraire très vive… » On voit au château de Charlottenbourg un tableau qui représente Frédéric âgé de trois ans, à la promenade, battant du tambour et paraissant entraîner sa sœur aînée la princesse Wilhelmine, qui l’accompagne et le suit. […] Dans sa première année de règne, Frédéric va visiter sa sœur à l’Ermitage près de Bareith, elle vient à son tour le visiter à Berlin ; l’amitié, et une amitié vive, exaltée, n’a cessé de respirer dans tout ce qu’ils s’écrivent ; Frédéric s’en inspire même pour faire d’assez jolis vers. […] Il est vrai que vous mériteriez de trouver toujours des cœurs semblables au vôtre ; mais ils sont rares, ma chère sœur… À partir de ce moment, toute trace des premiers dissentiments entre eux a disparu ; leur amitié renaît de ses cendres plus brillante et plus vive ; elle reprend ses liens, plus étroite que jamais, et désormais indissoluble : frère et sœur ne cesseront plus « de faire une âme en deux corps ».
Elle devient surtout très vive et très animée depuis la chute de M. de Choiseul et à dater de l’exil de Chanteloup. […] La nouveauté de cette correspondance est la duchesse de Choiseul, que l’on connaissait déjà pour son mélange de grâce et de raison d’après les témoignages unanimes des contemporains, mais pas à ce degré où la montrent au naturel cette suite de lettres vives, spirituelles, sensées, sérieuses, raisonneuses même, passionnées dès qu’il s’agit de la gloire et des intérêts de son époux. […] Ne vous affligez pas vous-même pour moi ; car ces regrets ne sont pas de longue durée, et je sens tous les jours qu’ils deviennent moins vifs.
C’est bien la plus vive, la plus parlante image de cette moitié de Lamennais à laquelle on a peine à croire quand on n’a fait que le lire, moitié d’une âme qui semblait en conversant se livrer tout entière, tant elle était gaie et charmante, et qui s’éclipsait si vite alors que son front se plissait et que sa physionomie noircissait tout à coup. […] Tous ces menus détails de la vie intime, dont l’enchaînement constitue la journée, sont pour moi autant de nuances d’un charme continu qui va se développant d’un bout de journée à l’autre : — le salut du matin qui renouvelle en quelque sorte le plaisir de la première arrivée, car la formule avec laquelle on s’aborde est à peu près la même, et d’ailleurs la séparation de la nuit imite assez bien les séparations plus longues, comme elles étant pleine de dangers et d’incertitude ; — le déjeuner, repas dans lequel on fête immédiatement le bonheur de s’être retrouvés ; — la promenade qui suit, sorte de salut et d’adoration que nous allons rendre à la nature, car à mon avis, après avoir adoré Dieu directement dans la prière du matin, il est bon d’aller plier un genou devant cette puissance mystérieuse qu’il a livrée aux adorations secrètes de quelques hommes ; — notre rentrée et notre clôture dans une chambre toute lambrissée à l’antique, donnant sur la mer, inaccessible au bruit du ménage ; en un mot, vrai sanctuaire de travail ; — le dîner qui s’annonce non par le son de la cloche qui sent trop le collège ou la grande maison, mais par une voix douce qui nous appelle d’en bas ; la gaieté, les vives plaisanteries, les conversations brisées en mille pièces qui flottent sans cesse sur la table durant ce repas : le feu pétillant de branches sèches autour duquel nous pressons nos chaises après ce signe de croix qui porte au ciel nos actions de grâces ; les douces choses qui se disent à la chaleur, du feu qui bruit tandis que nous causons ; — et, s’il fait soleil, la promenade au bord de la mer qui voit venir à elle une mère portant son enfant dans ses bras, le père de cet enfant et un étranger, ces deux-ci un bâton à la main ; les petites lèvres de la petite fille qui parle en même temps que les flots, quelquefois les larmes qu’elle verse, et les cris de la douleur enfantine sur le rivage de la mer ; nos pensées à nous, en voyant la mère et l’enfant qui se sourient ou l’enfant qui pleure et la mère qui lâche de l’apaiser avec la douceur de ses caresses et de sa voix, et l’océan qui va toujours roulant son train de vagues et de bruits ; les branches mortes que nous coupons dans le taillis pour nous allumer au retour un feu vif et prompt ; ce petit travail de bûcheron qui nous rapproche de la nature par un contact immédiat et me rappelle l’ardeur de M.
L’Almaviva, disons-nous, se réveille en lui de tous les côtés et a de vifs revenez-y de jeunesse. […] Je ne demande que la faveur de lui parler un instant ; pour l’obtenir, je m’adresserais à sa femme elle-même. » Noirmont n’insiste plus : il comprend qu’il vaut mieux pour Herman, puisqu’il faut tôt ou tard la rencontrer, revoir cette fois Pompéa, et à l’instant même, et livrer résolument le grand combat ; car c’est bien de ce côté que se présente la bataille rangée et que va être le fort du péril ; le reste n’est rien ou servira plutôt de diversion et de secours ; la coquetterie avec la future belle-sœur n’est qu’une escarmouche plus vive qu’effrayante, entamée à peine ; mais revoir Pompéa belle, jeune, ayant les droits du passé, dans la plénitude de la vie, à l’âge de vingt-six ans, avec ce je ne sais quoi d’impérieux et de puissant qu’une première douleur ajoute à la passion et à la beauté… le danger est là, danger d’une reprise fatale ; et, en pareil cas, mieux vaut affronter une bonne fois, qu’éluder. […] Sous le premier Empire, la joie était redevenue une pure joie, une joie naturelle, pétillante, sans arrière-pensée, la joie du Caveau et des enfants d’Épicure ; mais après 1830, aux environs de cette date nouvelle, l’imagination reprit son essor ; le plaisir ne se produisait lui-même que sous air de frénésie et dans un déguisement qui le rendait plus vif, plus divers, plus éperdu, donnant l’illusion de l’infini ; il fallait, même en le poursuivant, satisfaire ou tromper une autre partie de soi-même, une partie plus ambitieuse et plus tourmentée.
Quand je dis qu’il l’exalte, je vais trop loin : il le décrit lui et son œuvre, mais il les décrit de telle sorte que sa parole rend le tableau à vous en faire venir l’impression au vif et jusqu’à la peau. […] Encore une fois, revenons au vrai, et à ce vrai littéraire qui n’oublie jamais l’humanité, et qui implique une sorte de sympathie pour tout ce qui en est digne ; si nous sommes justes pour l’ex-chaudronnier Bunyan qui, dans ses visions fanatiques, a fait preuve de force et d’imagination, n’écrasons point d’autre part cette gentille et spirituelle créature, cette quintessence d’âme, cette goutte de vif esprit dans du coton, Pope. […] Oui, il était attentif à tout, même dans la conversation ; oui, quand une pensée, une expression heureuse, délicate ou vive, passait devant lui ou lui venait à l’esprit, il était empressé à la recueillir : toujours inquiet du mieux et de l’excellent, il l’amassait goutte à goutte et n’en laissait volontairement distraire aucune parcelle ; il s’y consumait, il se relevait la nuit quand il le fallait, et, comme il ne pouvait se servir seul, il faisait relever son monde, même en hiver, pour écrire une pensée qu’il craignait de perdre, et qui lui aurait échappé au réveil ; car plus d’une de nos pensées, et des meilleures, sont souvent noyées et englouties à jamais entre deux sommeils, comme les Égyptiens dans la mer Rouge.
On en a vu de très vives et agréables sur son intérieur, quand elle n’était que Dauphine ; il ne paraît pas qu’elle ait continué avec ce détail depuis qu’elle était reine. […] Il s’est élevé dans ces dernières années une assez bizarre et assez vive querelle à son sujet, et cette querelle s’est produite sous une forme qui est particulière à ce temps-ci, et qui, nous paraissant très simple à nous, paraîtra peut-être ridicule plus tard et pédantesque : c’est à propos de catalogues. […] Mais il est un point sur lequel je tiendrai ferme et protesterai à l’égal des plus vifs défenseurs de Marie-Antoinette : non, cette reine charmante, noble et fière, aimable, sensible, élégante, n’aimait pas et ne pouvait pas aimer les vilaines lectures, et si elle avait de la prédilection pour quelques romans, je pourrais bien vous dire lesquels : c’était pour ceux de Mme Riccoboni ; là et non ailleurs serait sa nuance ; les Lettres de Juliette Catesby lui plaisaient, et si elle avait été condamnée à lire un peu trop longtemps par pénitence, c’est de ce joli roman ou de l’Histoire d’Ernestine qu’elle eût fait volontiers son livre d’Heures 62.
Elle garde de l’âpreté jusque dans ses descriptions les plus heureuses ; ses couleurs, même les plus naturelles, sont heurtées, aiguës, le plus souvent déchirées et emportées au vif, comme les cimes qui environnent ce beau lac. […] le vôtre, le mien : pétulance, un sang chaud, quelque parole trop vive, beaucoup d’années sans trop penser à Dieu, un cœur malhabile à le saisir, facile à s’en distraire. » Là-dessus une conversation s’engage : le pasteur (ou Mme de Gasparin déguisée en pasteur) s’applique à rassurer Lisette : elle ne croyait qu’en Jéhovah le Dieu terrible : il lui montre le Dieu d’Abraham, le Dieu du pardon, celui qui s’est immolé et qui a souffert. […] « Telle est mon histoire, en deux mots. — Mais il m’en faudrait cent pour vous dire à quel point, vous sachant un peu prévenu, et le comprenant mieux que personne (vous pouvez m’en croire), je suis touché de votre bonté pour moi, et reconnaissante de la place que vous m’avez donnée à côté d’une femme que je respecte et pour laquelle j’éprouve un vif attrait. — Soyez-en bien persuadé, monsieur, et veuillez recevoir, etc.
J’ai le plaisir de les connaître particulièrement, et j’ai tant entendu déraisonner sur eux à propos de ce dernier drame spirituel et passionné, vif et hardi, incomplet et brusque, qui méritait la critique et l’attention, — j’ai tant entendu débiter, à ce sujet, de lieux communs et de fadaises (Melpomène, la dignité des genres, la Maison de Molière, etc.), que l’envie me prend d’esquisser le portrait littéraire de ces deux frères unis, ou plutôt de l’extraire du présent volume qu’ils viennent de publier, Idées et Sensations, — un recueil de pensées, de fantaisies et de petits tableaux, qu’ils ont dédié à Gustave Flaubert. […] L’indépendance des idées est nécessaire à l’indépendance de l’admiration. » Ils veulent du présent, du vif, du saignant dans les œuvres : « En littérature, on ne fait bien que ce qu’on a vu ou souffert. » L’Antiquité leur paraît encore à juger ; ils ne paraissent accepter rien de ce qu’on en dit ; ils croient que tout est à revoir, et que le procès à instruire n’est pas même commencé ; ce respect du passé en littérature, ce culte des anciens à tous les degrés, qu’il s’agisse des temps d’Homère ou du siècle de Louis XIV, est, selon eux, la dernière des religions qu’on se prendra à examiner et à percer à jour : « Quand le passé religieux et politique sera entièrement détruit, peut-être commencera-t-on à juger le passé littéraire. » Ils ne font grâce entre les anciens qu’à Lucien, peut-être à Apulée, à cause de l’étonnante modernité qu’ils y retrouvent : ce sont pour eux des contemporains de Henri Heine ou de l’abbé Galiani. […] Hommes d’observation, de sincérité et de hardiesse, ils se sont fait une doctrine à leur usage : ils se sont dit de ne pas répéter ce qui a été dit et fait par d’autres ; ils vont au vif dans leurs tableaux, ils pénètrent jusqu’au fond et aux bas-fonds ; ils veulent noter la réalité jusqu’à un degré où on ne l’avait pas fait encore ; ils tiennent, par exemple, à copier et à reproduire la conversation du jour et du moment, les manières de dire et de parler si différentes de la façon d’écrire, et que les auteurs, d’ordinaire, ne traduisent jamais qu’incomplètement, artificiellement ; ils ne reculent pas au besoin devant la bassesse des mots, fussent-ils dans une jolie bouche et du jargon tout pur, confinant à l’argot ; ils imitent, sans rien effacer, sans faire grâce de rien ; ils haïssent la convention avant tout ; pas d’école : « Aussitôt qu’il y a l’école de quelque chose, ce quelque chose n’est plus vivant. » Ils haïssent la fausse image et le ponsif du beau : « Il y a un beau, disent-ils, un beau ennuyeux, qui ressemble à un pensum du beau. » Très-bien : Je les comprends, je les approuve, je les suis volontiers, ou à très-peu près, jusque-là.
Les plus vifs de caractère et d’humeur y arrivent à la longue tout comme les autres. […] Beugnot, dans ses Mémoires, nous en a donné un vif aperçu, et tous ceux qui ont vu de nos jours le quartier général d’un gouvernement provisoire peuvent en avoir quelque idée. […] Pour cela je ramasse une nouvelle, dont je ne mets qu’un fragment dans mon billet, ajoutant que je demandais la permission de venir achever de vive voix ce qui ne pouvait se confier au papier.
Jasmin prend peut-être quelques licences de tours, ou du moins il profite en cela des habitudes introduites ; il cède un peu trop, sans y songer, à ce flot de gallicismes qui vont chaque jour s’infiltrant ; tout en observant parfaitement la grammaire locale, il ne recourt peut-être pas assez à certaines locutions par lesquelles l’idiome du Midi se distinguait du français du Nord, et qu’on pourrait sauver ; en un mot, ce n’est pas un poëte remontant du patois à la langue par l’érudition ; mais c’est un poëte pur, soigné en même temps que naturel dans l’expression, habile et curieux aux mots vifs de son vocabulaire ; rien de rocailleux, rien de louche chez lui, et, pour parler selon ses images, son clair Adour, à nos yeux, semble courir sans un flot troublé47. […] « C’est Baptiste et sa fiancée qui allaient chercher la jonchée48…. » Jamais gaieté nuptiale de jeunes garçons et de jeunes filles n’a été exprimée dans un rhythme plus dansant, dans une langue plus vive, plus claire de sons et d’images, plus fringante elle-même et plus guillerette, pour ainsi dire. […] Jasmin est venu à Paris, mais il n’y est venu qu’en passant, comme un hôte et un ami ; il y a produit sa poésie en personne, avec esprit, avec gentillesse ; il l’a traduite, commentée, chantée de vive voix, et lui a conquis tous les suffrages.
MADAME DE SÉVIGNÉ Les critiques, et particulièrement les étrangers, qui, dans ces derniers temps, ont jugé avec le plus de sévérité nos deux siècles littéraires, se sont accordés à reconnaître que ce qui y dominait, ce qui s’y réfléchissait en mille façons, ce qui leur donnait le plus d’éclat et d’ornement, c’était l’esprit de conversation et de société, l’entente du monde et des hommes, l’intelligence vive et déliée des convenances et des ridicules, l’ingénieuse délicatesse des sentiments, la grâce, le piquant, la politesse achevée du langage. […] La Fontaine et Mme de Sévigné, sur une scène moins large, ont eu un sentiment si fin et si vrai des choses et de la vie de leur temps, chacun à sa manière, La Fontaine, plus rapproché de la nature, Mme de Sévigné plus mêlée à la société ; et ce sentiment exquis, ils l’ont tellement exprimé au vif dans leurs écrits, qu’ils se trouvent placés sans effort à côté et fort peu au-dessous de leur illustre contemporain. […] Mme de La Fayette lui écrivait : « Votre présence augmente les divertissements, et les divertissements augmentent votre beauté lorsqu’ils vous environnent ; enfin la joie est l’état véritable de votre âme, et le chagrin vous est plus contraire qu’à personne du monde. » Mme de Sévigné avait ce qu’on peut appeler de l’humeur, dans le sens d’humour, mais une belle humeur à chaque instant colorée et variée de la plus vive imagination.