Il eut à appliquer l’édit de Nantes, auquel il applaudit sans l’avoir conseillé, et que plus tard peut-être il sentit être une faute. […] Bossuet s’abandonne librement ici à ses facultés de poète : il écrit pour des femmes, en qui il veut redoubler la ferveur, en leur faisant sentir le charme puissant des Livres Saints. […] Les qualités de Fléchier sentent la décadence, et en effet avant la fin du siècle il est sensible que l’éloquence chrétienne s’en va, du même pas que l’esprit chrétien. […] Si l’on excepte les formules traditionnelles, rien n’y sent le chrétien. […] La sincérité de son zèle et de sa charité unit, fond tous ces éléments, et maintient la simplicité dans cette éloquence que l’on sent un peu lourdement voulue.
Cousin sur Santa-Rosa valent mieux pour notre manière de sentir qu’une oraison funèbre calquée sur celles de Bossuet. […] On a délicatement fait sentir combien les chefs-d’œuvre de l’art antique entassés dans nos musées perdaient de leur valeur esthétique. […] Ils sentent clairement et éminemment ce que tout le monde sent vaguement. […] La foule lui prête la grande matière ; l’homme de génie l’exprime, et en lui donnant la forme la fait être : alors la foule, qui sent, mais ne sait point parler, se reconnaît et s’exclame. […] Ce qu’on appelle psychologie, celle des Écossais par exemple, n’est qu’une façon lourde et abstraite, qui n’a nul avantage, d’exprimer ce que les esprits fins ont senti bien avant que les théoriciens ne le missent en formules.
Dans l’Anneau du Nibelung on sent une variété plus étrange, une composition plus achevée dans Parsifal : mais Tristan est l’œuvre aimée des psychologues et réalistes. […] » elle se sentait incomplète, et, tourmentée en dépit de sa placidité apparente, elle maudissait sa solitude. […] Aujourd’hui même et dans cette église aura lieu le concours de chant ; Walter, à ce mot, se sent naître à une vie nouvelle. […] Vous sentez la déconvenue de Beckmesser, interrompu tout net par cette explosion de cordonnerie militante. […] » s’il ne sentait en lui l’ardent besoin d’expansion, la flamme innée, toujours prête aux effluves, sans lesquels il n’y a pas de poète et pas de chanteur ?
Il sent comme un fer chaud à son cœur ; c’est la blessure d’Amfortas qui le brûle lui aussi ; il a compris son mal. […] Mais Parsifal touche sa blessure avec la pointe de la lance merveilleuse, et Amfortas se sent guéri. […] On n’y sent pas la vieillesse, mais une virilité alanguie et finissante. […] Car, ce qui le poussa à écrire des ouvrages philosophiques, ce fut la conviction d’une profonde révélation dont il sentait que les Hindous et le Christianisme avaient parlé. — Mais, comment l’exprimer ? […] Le besoin de les pénétrer dans leur ensemble et dans leur enchaînement se fait donc sentir en proportion.
De plus, cette irritation étant toujours favorable ou défavorable à la vie du tout et des parties, elle doit être sentie comme peine ou plaisir rudimentaire : c’est le germe de l’émotion diffuse. […] Vous croyez faire une métaphore en disant : « Je souffre dans toutes les parties de mon être », et vous n’exprimez que l’exacte vérité : quand une partie de l’organisme sent la souffrance, toutes les autres la sentent par contre-coup, chacune selon son importance et son degré d’organisation. Le cri d’alarme qui sort de votre bouche est la traduction pour l’oreille de l’alarme qui s’est produite non seulement dans votre cerveau, mais jusque dans les moindres particules de votre organisme : c’est le cri d’un peuple entier qui se sent menacé dans sa vie. […] La réaction instinctive de la volonté sous l’influence du sentiment, après s’être étendue par contagion à tout notre organisme, s’étend par la même contagion aux organismes similaires, et si les autres comprennent ce que nous sentons, c’est qu’eux-mêmes le sentent. […] Le Français exprime tout ce qu’il sent par sa physionomie et ses gestes ; aussi se reconnaît-il au premier coup d’œil et ne peut-il rien cacher. » — « La mimique de l’Anglais, selon Mantegazza, est fière et dure, celle de l’Allemand lourde, bienveillante et toujours disgracieuse.
Job en a senti l’iniquité apparente et véritablement atroce dans un de ses versets, et je les ai moi-même exprimées dans un seul vers : L’insensible néant t’a-t-il demandé l’être. […] et de réveiller de la mort non sentie pour remourir dans les tortures d’une seconde mort sentie, un être qui ne demandait ni ce bienfait ni ce supplice, et qui dormait son sommeil de néant, comme dit Job ? […] On y sent le regret de la poussière, la passion du néant, la haine franche et blasphématoire de celui qui a changé cet heureux néant en vie, et cette insensible poussière en homme !… Jamais bouche mortelle ne porta au Créateur un défi si audacieux de répondre ; jamais homme, peut-être, après Job, ne sentit l’ingratitude et l’horreur de ce don forcé de la vie plus que moi ! […] Je n’ai pas écouté chanter en moi mon âme Dans la grotte sonore où le barde des rois Sentait, au sein des nuits, l’hymne à la main de flamme Arracher la harpe à ses doigts.
Il est un lettré ou un savant ; il se sent supérieur à toutes sortes de gens riches et puissants qu’il coudoie chaque jour ; il constate souvent leur sottise, il se demande pourquoi il n’a pas d’argent pendant que les autres en regorgent. […] Ils commençaient déjà à ne plus se sentir chez eux, et ils déploraient l’envahissement de Paris par les étrangers. […] Elle a, décidément, trop d’instruction et de goût ; elle a trop réfléchi ; elle a trop de curiosité de la vie ; elle se sent trop fine et trop jeune pour risquer tout cela dans cette aventure. […] Elle en refuse un second, puis un troisième, celui qu’elle sent qu’elle ne refuserait pas s’obstinant à ne pas se faire connaître. […] Vous avez trop d’énergie, trop de curiosité d’esprit, trop d’ardeur à vivre pour ne pas sentir toute la valeur d’une époque intense et passionnée comme la nôtre.
Le duc l’engagea à coucher le tout par écrit et envoya le mémoire à son frère M. de Guise, qui le reçut ayant le pied déjà à l’étrier, et qui n’eut que le temps d’écrire au bas, après l’avoir lu : « Ces raisons sont bonnes, mais elles sont venues à tard ; il est plus périlleux de se retirer qu’il n’est de passer outre. » Le président Jeannin sent toutefois à un certain moment qu’il s’engage, lui aussi, dans une voie périlleuse ; obligé par devoir et par reconnaissance envers Henri III, il est amené par les circonstances à demeurer auprès du duc de Mayenne, même quand celui-ci est devenu le chef de la Ligue et le maître de Paris, sous le titre ambitieux et ambigu de lieutenant général de l’État royal et Couronne de France. […] Dans tous les actes de modération ou de sage vigueur du duc de Mayenne aux instants critiques de la Ligue, il est facile de sentir l’influence du président. Ainsi, dès le début (février 1589), quand le duc fait échec dans Paris à l’influence des Seize et institue le Conseil général de l’Union qui remet un peu d’ordre et de décence dans l’administration de cette grande cité, on sent que le président Jeannin doit être là derrière. […] Il était assez faible pour que le moindre succès l’enflât, pour qu’un secours promis par l’Espagne le rendît moins traitable ; il avait assez d’honneur pour qu’une défaite éprouvée le piquât au jeu et lui parut un motif de plus de persévérer : il avait assez de bon sens d’ailleurs et d’honnêteté pour sentir les misères et les assujettissements de sa position, et peut-être aussi les misères des peuples et de l’État.
Un poète de l’ordre spiritualiste et mystique, et qui avait la clef du monde intérieur, s’est plu à dire : « Chez moi, toutes choses plutôt ressenties que senties », donnant à entendre que la sensation ne lui revenait qu’épurée dans le miroir de la réflexion et du souvenir. […] On attend ce charme qu’il nomme, on ne le sent pas. […] Je mangeais machinalement, du bout des lèvres, m’efforçant d’être attentif et poli, mais plus hagard qu’un assassin qui se sent sur le point d’être découvert. […] Quelques autres prétendent que le cas de Roger est trop singulier et trop poussé à bout pour être tout à fait vrai, que l’impitoyable rigueur logique avec laquelle procède sa passion est plus logique que la vérité même, ou du moins que la vraisemblance en pareil cas ; que cette impression se prononce surtout en avançant, et qu’on y croit sentir un parti pris ; que ce n’est que quand on invente que l’on est tenté ainsi d’exagérer, et que tout s’expliquerait pour la critique s’il n’y avait de tout à fait observés que les trois quarts de l’histoire de Roger, le reste étant inventé et composé.
Je ne veux point vous faire meilleure que vous n’êtes ; l’impression que vous produisez, vous la sentez vous-même ; vous vous enivrez des parfums que l’on brûle à vos pieds. […] Dans ses idées littéraires un peu naïves et qui se sentaient encore un peu de la province, il aurait désiré que Mme Récamier écrivît, qu’elle prît rang à son tour parmi les femmes qui aspirent à la double couronne ; il essaya, à un moment, de l’enhardir à faire preuve de talent, à devenir poète, c’est-à-dire à traduire et à interpréter un poète, comme si ce n’est pas la même chose que de devenir auteur. […] On m’arracherait plutôt le cœur que le souvenir de vous avoir tant et si longtemps aimée. » M. de Chateaubriand a jeté une fois à son adresse, en un jour de mauvaise humeur, le mot de médiocrité : les lettres de M. de Laval nous montrent un homme d’une politesse, d’une sociabilité parfaites, et dont le cœur n’était pas médiocre à sentir l’amitié. […] Ce serait pourtant être ingrat, à ceux qui ont eu l’honneur de le rencontrer souvent dans ce cercle de son choix, de ne pas se rappeler et de ne pas dire à tous combien de fois ils l’y virent naturel, aimable, facile, éloquent, bonhomme même ; mais, dès que le public intervenait, dès que les passions du dehors entraient par la moindre fente, et que le plus léger souffle de contrariété se faisait sentir, tout changeait aussitôt ; le visage se pinçait, l’humeur s’altérait : la correspondance accuse trop ces variations et ces susceptibilités excessives.
Ce n’est plus en Italie pourtant, si l’on a retrouvé tout entier le jeune général d’Italie, c’est en France que l’on combat, sur un sol plus cher encore, plus sacré et tout palpitant : et c’est ce qui fait que même ces dernières journées de gloire sont déchirantes, en ce que l’on sent qu’elles sont fugitives et qu’elles vont finir. […] Thiers, qui les sent autant que personne, n’a nulle part négligé de faire ressortir. […] Je ne suis pas de ces esprits qui ne comprennent qu’une chose ; je n’ai pas le goût de diviser en deux camps mes compatriotes ; il y a, je le sais, le point de vue très plausible, très légitime à bien des égards, du bon sens et de la prudence, comme il y a le parti de l’exaltation intrépide et généreuse ; mais, si large qu’on fasse la part de la civilisation générale, de la raison humaine et de la philosophie, il est des moments où l’honneur l’emporte sur tout ; où, si adouci qu’on soit, si éclairé qu’on se flatte d’être, il convient d’être peuple, de sentir comme le peuple, si l’on veut rester nation. […] Cette fibre nationale qu’on a senti vibrer dans l’œuvre de M.
Je ne suis point, et tant s’en faut, un adhérent ; je ne suis pas ou je voudrais être le moins possible un adversaire : je ne suis que cette chose qu’il méprise tant et qu’il traite si à la légère, un littérateur, de ceux qui se sentent attirés vers l’esprit et le talent partout où ils les rencontrent, fût-ce dans le plus grand mélange. […] Veuillot fut touché d’un certain aspect de cette Rome multiple, de l’aspect à la fois grandiose et mystique ; mais il ne fut pas touché en simple artiste et amateur, qui sent et qui passe. […] Veuillot distingue deux veines et deux courants dans la littérature française, le courant gaulois, naturel, et ce qu’il appelle l’influence sacrée, religieuse, épiscopale : il fait à celle-ci, pour la gravité et l’élévation, une part bien légitime ; il est ingrat pourl’autre, pour le vrai et naïf génie national qu’il sent sibien, qu’il définit par ses heureux caractères, et que tout à coup il appelle détestable, se souvenant que ce libre génie ne cadre pas tous les jours avec le Symbole. […] On n’entre pas dans l’intrigue politique quand on se sent si rétif.
Il risque la triplique (le mot est de lui), mais il se sent là sur un mauvais terrain. […] Mme de Sévigné sent très bien ce qu’il y a là-dessous ; elle ne s’en laisse pas conter et répond40 : « Il est vrai que j’aime votre fille ; mais vous êtes une friponne de me parler de jalousie ; il n’y a ni en vous ni en moi de quoi la pouvoir composer. […] J’ai une santé au-dessus de toutes les craintes ordinaires ; je vivrai pour vous aimer, et j’abandonne ma vie à cette occupation, et à toute la joie, et à toute la douceur, à tous les égarements, et à toutes les mortelles inquiétudes, et enfin à tous les sentiments que cette passion me pourra donner. » Ne sentez-vous pas la passion vraie qui déborde et qui ne trouve jamais ; à son gré, assez de mots ? […] Il est abondant, débordant (exundans), irrégulier ; mais quand on est à ce degré chez soi, dans le plein de la langue et de la veine françaises, on peut tout oser et se permettre, on peut hardiment écrire comme on parle et comme on sent, on n’est pas hasardé.
Boileau (autre infirmité), enfin, ne sentait pas la famille, ni le rôle que tient la femme dans la société, ni celui qu’elle remplit en mère au foyer domestique et autour d’un berceau ; sa sensibilité et son imagination n’avaient jamais été éveillées de ce côté. […] Perrault ne le sentait pas. […] Ses Contes (on le reconnaît tout d’abord) ne sont pas de ceux qui sentent en rien l’œuvre individuelle. […] Qu’il ne sache pas seulement, qu’il sente par où ses aïeux, les premiers hommes, ont passé.
» Mais, sans être allé à Rome et à Athènes, chacun prétend sentir de soi-même, comme s’il y avait été. […] Entré jeune dans la vie littéraire sous l’astre orageux de Balzac (l’auteur assurément qui ressemble le moins à Térence), M. de Belloy a sauvé de cette influence caniculaire son originalité, une manière de sentir à lui, modeste, discrète, délicate. […] Sentir et juger ainsi, c’est être fidèle à l’esprit de tous deux et remplir, en quelque sorte, leur intention habituelle si humaine, si indulgente, et penchant plutôt du côté de la conciliation que de l’envie. […] Mais dans tout ce récit où se complaît cette nature paterne si sincère et si naïve, ne sentez-vous pas la veine de bonhomie, d’indulgence et d’humanité, propre au poète qui avait le droit de dire : Homo sum ?
Je ne m’exagère point l’importance de ces détails dont la plupart ont passé dans la Vie de Racine écrite par son fils ; mais, si l’on n’y doit rien trouver de tout à fait neuf, on sentira du moins une pure et douce saveur originale, je ne sais quel charme d’honnêteté parfaite et d’innocence. […] La foi communique à tout ce qu’ils sentent et ce qu’ils pensent un caractère d’éternité. — La joie de la famille Racine dura peu : « Nous passâmes avant-hier l’après-dînée chez votre sœur. […] Mais déjà vers cette date, et un mois à peine écoulé depuis la cérémonie nuptiale, le mal, qui n’avait jamais entièrement cessé, se faisait de nouveau sentir. […] Il lui en échappe quelques-uns quand il sent près de lui quelqu’un de confiance.
« Je connais combien je suis loin de ce que l’homme peut atteindre, et de ce que moi-même j’eusse désiré dans ces moments d’énergie où l’on ne sent que l’élévation du beau sans songer aux entraves terrestres. […] tout est muet : ce silence nous oppresse ; les nobles désirs et les grandes pensées nous semblent inutiles ; on ne voit que doute et impuissance, et on sent déjà qu’on va s’éteindre dans les ténèbres où ce qui est reste inexplicable, et ce qui doit être, inaccessible. […] D’ailleurs le malheur devrait à la longue influer bien plus sur mon humeur que sur mes opinions : or, j’aime extrêmement la gaieté de l’intimité, et je rirais comme un autre, quoique je sente le poids de cette main de fer qui reste appuyée sur moi : mais je pense que c’est dans ce qu’on appelle (bien ou mal) mélancolie que nous trouverons les lumières désormais utiles. […] Cependant il s’est trouvé que bientôt après M. de Chateaubriand, qui avait vu l’Amérique, a écrit éloquemment dans ce genre ; Mmede Staël paraît avoir aussi senti l’étendue de nos pertes, mais la société a détourné ses idées ; l’intention de jouer un rôle absorbe toutes celles de M. de Chateaubriand : le dénûment rendra les miennes inutiles. « C’est ainsi que dans tous les genres tout reste à recommencer sur la terre. » Une partie de ces remarques a pu être imprimée déjà, mais on a ici la pensée au complet et dans toute sa sincérité.
Tous les hommes sensibles et généreux se sont sentis quelquefois prêts d’en être atteints ; et souvent peut-être des créatures excellentes que poursuivaient l’ingratitude et la calomnie, ont dû se demander si la vie, telle qu’elle est, pouvait être supportée par l’homme vertueux, si l’organisation entière de la société ne pesait pas sur les âmes vraies et tendres, et ne leur rendait pas l’existence impossible. […] On est averti des penchants coupables, par toutes les réflexions, par toutes les circonstances, par tous les traités de morale ; mais lorsqu’on se sent une nature généreuse et sensible, on s’y confie entièrement, et l’on peut arriver au dernier degré du malheur, sans que rien vous ait fait connaître la suite d’erreurs qui vous y a conduit. […] J’ai déjà tâché de faire sentir, en analysant Shakespeare, que ses beautés ne pouvaient être égalées que par un génie semblable au sien, et que ses défauts devaient être soigneusement évités. […] Il se trouve sans doute un résultat philosophique à la fin de ses contes ; mais l’agrément et la tournure du récit sont tels, que vous ne vous apercevez du but que lorsqu’il est atteint : ainsi qu’une excellente comédie, dont, à la réflexion, vous sentez l’effet moral, mais qui ne vous frappe d’abord au théâtre que par son intérêt et son action.
Hardiment naturaliste, il estimait qu’il n’y a pas d’interprétation artistique de la nature qui n’y manifeste de l’agrément et de la grâce ; mais, comme c’était le plus loyal et le moins truqueur des artistes, il ne rendait ainsi que parce qu’il sentait d’abord : sa forme d’esprit était un délicat épicurisme, de plaisir qui y étaient enveloppées. […] Il mêle tous ces emprunts dans le courant limpide de son style, et les plus vertes expressions, les plus triviales, et qui sentent la canaille ou l’écurie, n’étonnent ni ne détonnent chez lui, tant elles sont à leur place, et justes, naturelles, nécessaires. […] Mais le bonhomme avait son idée : il ne se voyait pas savant, mais poète et artiste, et derrière chaque vérité conçue par son esprit il sentait se lever toutes les émotions de son cœur, toutes les images de ses sensations. […] Ils le voyaient tel qu’il est, c’est-à-dire unique ; et, par une exceptionnelle et heureuse dérogation aux procédés habituels de leur esprit, ils le sentaient mieux qu’ils ne le définissaient.
Déja les peintres dont on grave les ouvrages commencent à sentir l’utilité de ces inscriptions, et ils en mettent au bas des estampes qui se font d’après leurs tableaux. […] On ne lui pardonneroit jamais une énumeration pareille ; s’il fait cette énumeration dans ses premiers livres, le lecteur ne s’en souviendra plus, et il ne sentira pas les beautez dont l’intelligence dépend de ce qu’il aura oublié ; s’il fait cette énumeration immediatement avant la catastrophe, elle deviendra un retardement insupportable. […] La noblesse et la dignité de son visage déposent si hautement en sa faveur, qu’on sent bien que son premier mouvement seroit d’absoudre d’abord l’accusée qui se présenteroit avec une pareille contenance. […] Le sanguin paroît attendri, et l’on voit bien que, malgré son emportement, il sent déja des remords qui le font chanceler dans sa résolution.
Ainsi ma manière de voir et de sentir n’aura d’autorité que la candeur et la simplicité avec lesquelles je tâcherai de m’exprimer. […] Il sentait avec inquiétude que la sanction du temps et de l’opinion lui manquait toujours. […] Maintenant, éclairés par des expériences de plus d’un genre, et rendus à notre véritable existence sociale, convenons qu’il n’y a qu’un moyen de réunir tous les partis ; c’est de sentir les raisons de tous, de condescendre à toutes les opinions, de ne point s’attaquer mutuellement avec les armes toujours inconvenantes de l’ironie ou du sarcasme, de se mettre à la place de tous les intérêts. […] Les peuples refusent de s’associer à ceux-là, parce que leurs opinions adoptives ne sont plus que des opinions de raisonnement ; mais les hommes sages doivent les accueillir avec quelque respect, surtout lorsque la bonne foi se laisse apercevoir ; et elle est toujours sentie dès qu’elle existe.
Il aura d’ailleurs de la peine à définir ce sujet sous forme d’une « histoire » suivie : si la psychologie est la connaissance de l’homme individuel en tant qu’il sent, pense et agit, nous voyons que cette connaissance, extériorisée en livres, résulte de quatre lignées qui, au XIXe siècle, tantôt se coupent et tantôt divergent : les philosophes, les médecins, les moralistes et les romanciers ; et il va falloir sans doute (pensons à Tarde et à un livre comme les Fonctions mentales dans les sociétés inférieures de M. […] Quand il veut faire travailler à Pauline La logique de Condillac, lui faire apprendre par coeur L’art poétique de Boileau, dont il dira ensuite pis que pendre, ses conseils partent évidemment d’un fonds moins important, moins vraiment stendhalien que lorsqu’il veut lui faire prendre, en 1805, l’habitude d’analyser les personnes qui l’entourent (« l’étude est désagréable, mais c’est en disséquant des malades que le médecin apprend à sauver cette beauté touchante ») ou lorsqu’il contracte dans ses premières relations montaines l’aptitude à traduire par une algèbre psychologique les valeurs les unes dans les autres (" notre regard d’aigle voit, dans un butor de Paris, de combien de degrés il aurait été plus butor en province, et, dans un esprit de province, de combien de degrés il vaudrait mieux à Paris. " ) c’est à cette époque que Stendhal s’accoutume (héritier ici de Montesquieu qui ne paraît point, je crois, dans ses lectures) à rattacher instantanément un trait sentimental à un état social, à mettre en rapport par une vue rapide le système politique d’un pays avec ses façons de sentir. […] Delacroix : « l’énergie est chez lui l’aspiration de l’énergie, le rêve de l’énergie, la nostalgie d’un passé historique plutôt que la puissance de construction d’un avenir. » L’image de la cristallisation qui forme le leit-motiv du livre est à la fois le produit d’une imagination musicale, une figure de la réalité amoureuse : " il me semble, dit Stendhal dans une lettre, qu’aucune des femmes que j’ai eues ne m’a donné un moment aussi doux et aussi peu acheté que celui que je dois à la phrase de musique que je viens d’entendre. " la musique, surtout telle que la goûtait Stendhal qui n’y sentait qu’un motif de rêverie, c’est le monde et l’acte mêmes de la cristallisation parfaite, de sorte que Beyle, amoureux de second plan, simple amateur en musique, se définirait peut-être comme un cristallisateur. […] Ils partaient, oublieux, vers cette lueur éthérée et azurée qu’entrevoit sous les paupières closes, le regard dilaté par l’amour… etc. » Le rythme de l’étreinte corporelle n’est que présage dans l’amour total, mais l’amour lui-même n’est que présage pour cette région plus vaste du rythme universel, il n’est lui-même que l’un des couples de Watteau, le plus près, levé droit, de l’étang azuré ; les autres s’approchent, faits à son image et qui épousent son mouvement, et il existe un certain degré de musique, point étranger à l’Embarquement, où l’on sent à la fois et que l’amour n’est plus rien et que rien n’est plus qui ne soit l’amour.