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543. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre II. Le théâtre du quinzième siècle (1450-1550) »

Il va sans dire que nulle ombre d’unité, au sens classique du mot, n’existait dans de telles pièces. […] On ne négligeait rien pour parler aux yeux et aux sens. […] Croyant a l’absolue réalité des choses qu’ils montraient, ils ne se doutaient pas que souvent c’était les dégrader, les fausser, les vider de leur sens, que de les figurer uniquement comme des réalités : mais parfois, quand ils s’approchaient familièrement des objets de leur foi, avec un sens instinctif de la vie, ils ne rendaient pas sans bonheur le pathétique des situations ou le mouvement des passions que les livres sacrés indiquaient. […] Là, en effet, il y a comme un rudiment d’art, une manifestation au moins d’un certain sens instinctif qui aurait pu transformer la farce en comédie. […] Cette imitation se serait organisée et développée, en prenant le sens d’une parodie universelle et consciente des folies de ce pauvre monde.

544. (1895) La musique et les lettres pp. 1-84

Tout — que la jeunesse abrite sa croissance dans l’architecture de pensifs locaux, serait simple, avec même la côtoyant, en aînés, une présence d’hommes, uniques par l’Europe et au monde, qui, à mon sens, domine la pierre historiée comme je fus surtout étonné d’eux. […] Il s’agit d’une retouche, faite afin d’en éclairer le sens, à la loi qui régit momentanément notre Domaine public. […]     Je m’interromps, d’abord en vue de n’élargir, outre mesure pour une fois, ce sujet où tout se rattache, l’art littéraire : et moi-même inhabile à la plaisanterie, voulant éviter, du moins, le ridicule à votre sens comme au mien (permettez-moi de dire cela tout un) qu’il y aurait, Messieurs, à vaticiner. […] Que, l’agencement évoluât à vide depuis, selon des bruits perçus de volant et de courroie, trop immédiats, n’est pas le pis ; mais, à mon sens, la prétention d’enfermer, en l’expression, la matière des objets. […] La Cité, si je ne m’abuse en mon sens de citoyen, reconstruit un lieu abstrait, supérieur, nulle part situé, ici séjour pour l’homme. — Simple épure d’une grandiose aquarelle, ceci ne se lave, marginalement, en renvoi ou bas de page.

545. (1890) L’avenir de la science « XXII » pp. 441-461

Dieu me garde d’insulter jamais ceux qui, dénués de sens critique et dominés par des besoins religieux très puissants, s’attachent à un des grands systèmes de croyance établis. […] Voltaire se moque de la Bible, parce qu’il n’a pas le sens des œuvres primitives de l’esprit humain. […] Le sérieux et le frivole vont ainsi s’étageant dans les fastes de la mode ; la frivolité ne tarde pas à devenir niaise, et le ridicule est pliable à tous sens. […] Nous ne voulons pas enfermer à jamais l’humanité dans nos formules ; mais nous sommes religieux, en ce sens que nous nous attachons fermement à la croyance du présent et que nous sommes prêts à souffrir pour elle en vue de l’avenir. […] Il faut souhaiter aussi, sans l’espérer, qu’ils ne persécutent pas trop les efforts dans le sens nouveau.

546. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre III. De la nature du temps »

On répugnera peut-être à l’emploi du mot si l’on y attache un sens anthropomorphique. […] Mais par là elle reconnaît qu’un événement E, s’accomplissant à côté de l’horloge H, est donné en simultanéité avec une indication de l’horloge H dans un sens tout autre que celui-là, — dans le sens que le psychologue attribue au mot simultanéité. […] Notre pensée, interprétant le temps mathématique, refait en sens inverse le chemin qu’elle a parcouru pour l’obtenir. […] Il est vrai qu’une certaine doctrine accepte le témoignage des sens, c’est-à-dire de la conscience, pour obtenir des termes entre lesquels établir des rapports, puis ne conserve que les rapports et tient les termes pour inexistants. […] Vous pouvez dire que vous avez encore affaire à du temps, — on est libre de donner aux mots le sens qu’on veut, pourvu qu’on commence par le définir, — mais nous saurons qu’il ne s’agit plus du temps expérimenté ; nous serons devant un temps symbolique et conventionnel, grandeur auxiliaire introduite en vue du calcul des grandeurs réelles.

547. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Lamartine »

Enfin, que Jocelyn « abandonne » son amie, cela n’est vrai qu’en un sens. […] Tel est le sens du poème. […] Chaque tentative que fait l’amour des sens pour s’assouvir aboutit forcément à une déception qui l’exaspère. […] Quand elle reprend ses sens, des bruits inaccoutumés viennent, par un soupirail, de la loge souterraine où sont les lions. […] Il nous parle, ô mortels, mais c’est par ce seul sens.

548. (1902) Symbolistes et décadents pp. 7-402

Le mot symbolisme avait pris dès lors sa carrure et son sens. […] Mystiques, nous l’étions dans un certain sens, par notre poursuite de l’inconnaissable et de la nuance imprécise ; occultistes non pas, au moins ni M.  […] Chevrier dans un sens très intelligemment naturaliste, avait laissé de brillants souvenirs, et des personnes songeaient à la ressusciter. […] Il n’est ni décadent (personne ne l’est), ni symboliste au sens actuel du mot (si ce mot n’est pas pure inutilité). […] Il y a mieux ; des recherches dans le sens des vieux fabliaux, et surtout une tentative pour tirer de la vieille chanson de geste française un poème moderne.

549. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Littré. »

Nombreux travaux en tous sens. — Universalité. […] Nous sommes dans une forêt de vaste savoir où bien des routes pratiquées en tous sens nous appellent ; nous les indiquons du doigt sans y pénétrer, et nous arrivons peu à peu à notre objet principal. […] Comment de ce mélange si confus, de ce broiement en tous sens, de cet amalgame d’apparence si incohérente, était-il sorti en ces divers lieux, et avec des différences tranchées, des produits congénères pourtant et marqués de certains traits de commune ressemblance ? […] Il donne d’abord la prononciation, la spécification grammaticale du mot, puis ses sens actuels, appuyés et prouvés par des exemples d’auteurs classiques ou modernes, par des phrases courtes dont aucune ne fait double emploi. Ce n’est qu’après avoir épuisé ces sens et acceptions de l’usage présent qu’il passe à l’historique du mot depuis les onzième ou douzième siècles jusqu’au seizième, et là il procède également par une série d’exemples incontestables et triés, ne mettant que le nécessaire ; ce n’est pas lui qui ferait un pas de plus pour aller cueillir la fleurette.

550. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Théocrite »

Hommes et poëtes, ne sommes-nous pas tous plus ou moins comme le Daphnis de l’idylle, qui, en mourant, ne veut rendre sa flûte qu’au dieu, et qui crie aux ronces de donner des violettes, au genévrier de porter le narcisse, et au monde entier d’aller sens dessus dessous, parce que lui-même il s’en va ? […] Je rends le sens, je presse la nuance, et j’avertis que ce n’est pas tout. […] La chèvre poursuit le cytise, le loup la chèvre, et la grue suit la charrue ; et moi je ne me sens de folie que pour toi. […] Au moment où elle montre Delphis franchissant le seuil d’un pied léger, Simétha qui, à cette fin de couplet, n’a pas terminé sa phrase, jette le refrain comme entre parenthèses, et le sens se continue après cette suspension d’un instant. En un mot, le sens passe à travers le refrain comme sous l’arche d’un pont.

551. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque » pp. 2-79

Vie et œuvres de Pétrarque I Il y a deux amours : l’amour des sens et l’amour des âmes. […] En cherchant bien la différence essentielle qui existe entre l’amour des sens et l’amour des âmes, on arrive à conclure ceci : C’est que l’amour des sens a pour mobile et pour objet le plaisir, et que l’amour des âmes a pour mobile et pour objet la passion du beau ; aussi le premier n’inspire-t-il que des désirs ou des appétits, et le second inspire-t-il des admirations, des enthousiasmes et pour ainsi dire des cultes. […] Voyez Ovide dans son Art d’aimer, d’un côté ; voyez Pétrarque dans ses sonnets amoureux, de l’autre : le ciel et la terre ne sont pas à une plus grande distance l’un de l’autre que ce poète impur des sens et que ce poète du pur amour. […] Dans ceux qui aiment de l’amour surnaturel, de l’amour du beau et non de l’amour des sens, comme nous l’avons dit en commençant, l’amour est plus parfait après la mort de ce qu’on aime que pendant la vie de l’objet aimé. […] Le vers enferme le vers, et le mot presse le mot ; c’est le sens, c’est le sentiment, c’est presque la musique du sonnet, mais ce n’est pas la langue : le français est trop viril pour ainsi pleurer.

552. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe » pp. 81-160

Quinet, nature allemande dans un talent français, a donné pour la première fois à la France la traduction, le sens et le commentaire. […] s’écrie-t-il, comme tous mes sens viennent de tressaillir à ce signe ! Je sens tout à coup la jeune et sainte sève de la vie bouillonner dans mes nerfs et dans mes veines. […] Je me sens toute tressaillir. […] combien je sens cependant que rien de parfait n’est la part de l’homme !

553. (1922) Enquête : Le XIXe siècle est-il un grand siècle ? (Les Marges)

Les sens ! […] Les sens sont entrés dans la littérature ; c’est pour n’en plus sortir de longtemps, je l’espère. […] Le progrès — si ce mot a un sens — l’évolution, la vie même impliquent une part bienfaisante d’ingratitude, d’injustice et d’oubli. […] N’avons-nous pas tout simplement perdu le sens du comique ? […] Chassé va peut-être nous le dire : « il marque, à son avis, l’irruption des sens dans la littérature » ; ou M. 

554. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « IX »

Car ma connaissance de Wagner me donne la certitude que la création d’une partition était, chez lui, toujours une œuvre « d’après coup », un travail en un certain sens mécanique. […] Ceux-là enfin ne peuvent appartenir à aucun parti officiel, car, qui dit officiel dit pratique dans le sens le plus restreint du mot ; ils préfèrent suivre la Pratique qui ne fait qu’un avec la Théorie, et qui finit toujours par triompher. […] Glatisenapp, l’auteur de la seule biographie complète, a gâté une œuvre de très grand mérite par l’absence de tout sens critique et de toute vue d’ensemble vraiment vivante, et aussi par un genre d’adulation qui sied mal à un artiste aussi viril que Wagner. […] Et cependant, la conception de cette Revue était wagnérienne dans le meilleur sens du mot. […] Je suis d’autant plus à l’aise pour le faire qu’à l’origine. lorsqu’on agita la question de foncier un périodique musical dévoué aux idées nouvelles, je combattis de mon mieux le programme et l’étiquette, trop exclusifs à mon sens, qu’avait choisis M. 

555. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre IV. La philosophie et l’histoire. Carlyle. »

Puis l’envoyé céleste est rappelé ; son vêtement de terre tombe, et bientôt devient pour les sens eux-mêmes une ombre évanouie. […] Est-ce que le mot devoir n’a pas de sens ? […] Cet obscur au-delà que les sens n’atteignent point, que la raison ne peut définir, que l’imagination figure comme un roi et comme une personne, c’est la sainteté, c’est le sublime. […] Toutes les croyances, les liturgies, les formes religieuses, les conceptions dont se revêt le sentiment religieux, sont en ce sens des idoles, des choses vues. […] « La destruction accomplie, restèrent les cinq sens inassouvis, et le sixième sens insatiable, la vanité ; toute la nature démoniaque de l’homme apparut », et avec elle le cannibalisme1465. » — Ajoutez donc le bien à côté du mal, et marquez les vertus à côté des vices !

556. (1899) La parade littéraire (articles de La Plume, 1898-1899) pp. 300-117

On a perdu le sens des principes et on ne s’y occupe guère que des personnalités. […] C’est alors qu’on les accabla d’outrages et qu’on dénatura le sens de leur pensée. […] Le moindre effort dans ce sens serait superflu. […] C’est en ce sens qu’il est intéressant. […] C’est à peu près le même thème, mais en sens inverse qu’a élu M. 

557. (1894) Propos de littérature « Introduction » pp. 9-10

Frères par l’amitié, MM. de Régnier et Vielé-Griffin le sont aussi par leurs écrits, mais à cause de leurs différences mêmes, — en ce sens spécial que l’un complète l’autre à merveille et que leurs livres réunis donneraient l’idée presque parfaite de la poésie nouvelle. L’un deux l’emporte par le talent, l’autre par l’instinct poétique ; chez celui-ci des images plus nouvelles, plus d’inattendu une plus riche variété de rythmes et de gestes ; chez celui-là un sens plus pur de l’attitude, une rigueur plus grande dans l’expression, un style plus noble et plus voisin de la perfection.

558. (1896) Le IIe livre des masques. Portraits symbolistes, gloses et documents sur les écrivains d’hier et d’aujourd’hui, les masques…

Le rythme du vers est indépendant de la phrase grammaticale ; il place ses temps forts sur des sons et non sur des sens. […] Et comme le son et le sens ne peuvent que très rarement coïncider, la prose sacrifie le son et le vers sacrifie le sens. […] Autre remarque par quoi l’on verra que le sens musical et le sens poétique sont très différents : M.  […] Loin que les idées lui entrent uniquement par les sens, il semble au contraire que les sens n’aient qu’un rôle mineur dans leur élaboration. […] Car, tandis que, dans la série des notions générales, positivisme prenait le sens, tout moderne, de réalisme philosophique, pour les adeptes, le mot gardait un sens religieux, sentimental et presque amoureux.

559. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Première série

oui, je sens aussi ce charme là, en m’appliquant. […] En prenant hellénisme au sens de paganisme, et paganisme au sens d’antichristianisme, on finit donc par s’entendre. […] Brunetière donne donc d’abord au mot banal un sens favorable qu’il n’a jamais eu, puis « un mauvais sens » qu’il n’a pas davantage. […] Eh bien, je ne me sens pas convaincu. […] — je ne les sens pas toujours.

560. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Joseph de Maistre »

L’est-il jamais devenu depuis lors dans le sens positif qu’on lui impute ? […] Dans quel sens et jusqu’à quel point ? […] Je sens que la raison humaine frémit à la vue de ces flots de sang innocent qui se mêle à celui des coupables. […] Aujourd’hui, nous ne sommes plus si épouvantés que nous l’étions alors ; nous avons un peu repris nos sens. […] — l’auteur s’attaque à tous ces pourquoi, les perce en tous sens et les tourmente : il en fait jaillir de belles visions.

561. (1910) Muses d’aujourd’hui. Essai de physiologie poétique

Même, par le jeu magique de son art, le poète peut donner aux mots qu’il manie un sens inattendu. […] Il faut noter ici que, sous l’inspiration des femmes-poètes, le sens de la nature s’est métamorphosé. […] Il est peut-être moins nécessaire pour un poète de posséder une langue très riche de mots qu’un sens inné, instinctif, de cette suggestion, dont j’ai parlé. […] En même temps que les mots savamment accordés y jouent leur harmonie nécessaire, leur sens précis ajoute à cette musique l’évocation même de ce jardin, recréé par l’art du poète. […] Je vous conseille l’innocence des sens.

562. (1892) La vie littéraire. Quatrième série pp. -362

Ils n’ont ni spontanéité, ni sens, ni valeur, ni caractère aucun. […] À son sens, un homme marié était un homme perdu. […] Bladé a le sens du grand style et de la belle forme. […] Elle a le sens de tous les arts. […] Je sens que je suis indiscret.

563. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DÉSAUGIERS. » pp. 39-77

On assure, non sans vraisemblance, que cela commence fort à passer, et qu’on ne chante plus guère, du moins dans le sens joyeux du mot. […] Pour les Bourbons, si on veut le prendre en un certain sens, tout a fini en effet par des chansons, mais ç’a été par celles de Béranger, non point par celles de Désaugiers. […] On se remit à l’instant à vivre, à vivre avec délices, à jouir éperdument des dons naturels, de l’usage de ses sens, des plaisirs libres et faciles, du charme des réunions surtout et de la cordialité des festins. […] Ce flâneux de Cadet Buteux est un excellent type de gros sens parisien, faubourien, d’observation badaude et populaire. […] Royer-Collard, que je voyais au jour de l’an (1845) malade et octogénaire, me disait de ce ton qui n’était qu’à lui et dans le même sens : « Si vous m’en croyez, monsieur, ne vieillissez pas, ne vieillissez pas ! 

564. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série «  Leconte de Lisle  »

Y a-t-il autre chose dans le romantisme que la mélancolie de René et l’amour de ce qu’on appellait en 1880 la couleur locale, c’est-à-dire le sens de l’histoire avivé par la passion des belles lignes et des belles couleurs ? […] Le goût de l’action se réveille sous un ciel moins accablant qui permet la lutte, et le sens de la beauté vit et se développe dans une nature aux contours harmonieux et modérés, dans une lumière qui réjouit et n’aveugle point. […] Elles enchantent l’imagination et satisfont le sens critique. […] Le poète m’a si bien prévenu contre les mensonges de l’éternelle Mâya que je ne puis croire qu’il s’y laisse prendre  La Nature, dont il cherche les aspects violents, occupe ses sens et son imagination, mais rien de plus. […] Presque pas de ces mots flottants et de sens incertain qui corrompent la clarté de la vision.

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