/ 1880
607. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Dumas, Alexandre (1802-1870) »

Jules Janin La scène du IVe acte, entre Monaldeschi et Sentinelli (dans Christine), représente l’action la plus puissante du drame moderne, et les plus vieux dramaturges en seraient fiers. […] Eugène Lintilhac Charles VII chez ses grands vassaux ; Kean et Caligula (qui fit créer le verbe caliguler dans le sens de se dépenser beaucoup et de n’amuser guère), pour ne citer que les plus fameux de ces drames innombrables bâclés par Dumas père, avec une si remarquable entente de la scène, qu’une demi-douzaine d’entre eux supportent encore fort bien l’épreuve de la représentation, en dépit de l’improvisation du style, laquelle reste sensible même à la représentation.

608. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Ruy Blas » (1839) »

Les femmes, l’action intéresse d’ailleurs, sont si absorbées par les développements de la passion, qu’elles se préoccupent peu du dessin des caractères ; quant aux penseurs, ils ont un tel goût de voir des caractères, c’est-à-dire des hommes, vivre sur la scène, que, tout en accueillant volontiers la passion comme incident naturel dans l’œuvre dramatique, ils en viennent presque à y être importunés par l’action. […] De là, sur notre scène, trois espèces d’œuvres bien distinctes : l’une vulgaire et inférieure, les deux autres illustres et supérieures, mais qui toutes les trois satisfont un besoin : le mélodrame pour la foule ; pour les femmes, la tragédie qui analyse la passion ; pour les penseurs, la comédie qui peint l’humanité.

609. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Fontenelle, et le père Baltus. » pp. 2-16

Mille autres scènes scandaleuses démasquèrent les prêtres. […] « C’est le nigaud le plus spirituel, & l’homme d’esprit le plus nigaud que je connoisse. » Mais on condamne, dans Dumarsais, les scènes d’irréligion qu’il donna plus d’une fois.

610. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Lenient » pp. 287-299

Le costume reste seul, se promenant majestueusement sur la scène. […] Lenient, lui, ne resterait pas sur la scène si son costume en disparaissait, car c’est son costume qui est sa personne, c’est son costume qui est Arlequin !

611. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Émile Augier, Louis Bouilhet, Reboul »

Ce jeu de cartes biseautées se coupe toujours de la même façon, tandis que, hors la scène, il faut au moins une inspiration personnelle d’une valeur quelconque et une puissance relative de langage, pour être compté parmi les écrivains d’imagination et les poètes. […] … Telle est la question que nous ne craignons pas de poser devant sa jeune gloire… Comme les diverses manifestations de l’esprit n’en changent jamais la nature, la place d’Augier dans la poésie lyrique et élégiaque nous semble devoir être identiquement la même que dans la poésie dramatique, — moins les retentissements d’un succès, toujours plus sonores à la scène qu’ailleurs !

612. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. de Banville. Les Odes funambulesques. »

Trop attiré par les jeux de la scène, Il soupira pour les yeux de Climène, Comme un Tircis en veste de l’ami-                Housset ! […] L’auteur des Odes funambulesques n’en est plus aux Ruy-Blas de son maître, mais aux Pierrot et aux Colombine des scènes inférieures.

613. (1860) Ceci n’est pas un livre « Les arrière-petits-fils. Sotie parisienne — set » pp. 178-179

La scène est à Paris — en 1860.

614. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Alfred de Vigny. »

» — « Vous regardez souvent de ce côté, ma chère, répondit Anne d’Autriche, appuyée sur le balcon… » Hors de là, et à part ces scènes délicates, le roman de Cinq-Mars est tout à fait manqué en tant qu’historique, et pour tout esprit ami de la vérité il ne saurait se relire aujourd’hui. […] Il offrit Shakespeare sur notre scène plus fidèlement qu’on ne l’avait osé faire jusqu’alors ; son Othello, représenté le 24 octobre 1829, précéda de peu Hernani. […] Son Chatterton, une fois mis sur le théâtre et admirablement servi par l’actrice qui faisait Kitty Bell, alla aux nues ; il méritait les applaudissements et une larme par des scènes touchantes, dramatiques même vers la fin. […] 1° Il était, par goût et par instinct primitif, le poète catholique des mystères, le chantre d’Éloa, de Moïse, du Déluge, des grandes scènes sacrées, et au fond il ne croyait pas. […] Aujourd’hui les choses ont changé de point de vue : les deux acteurs du drame académique ont disparu de la scène du monde.

615. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (2e partie) » pp. 5-80

Le prince composait de grands paysages historiques avec les pages de la nature que la mer, les montagnes, les ruines déroulaient sous ses yeux ; Léopold Robert y jetait des groupes humains et pittoresques qui les animaient de leurs scènes ; la princesse Charlotte les gravait sous l’inspiration du jeune maître. […] XIV Asseyez-vous avec nous devant cette incomparable page, et regardez la scène, et puis retournez-vous et regardez en vous-mêmes : que sentez-vous ? […] Il pouvait prendre cette image de l’extase humaine sous mille aspects, sous mille formes, dans mille attitudes et dans mille scènes plus élevées du drame de la vie : les palais, les temples, les bosquets, les bords des fontaines lui offraient ces images de la félicité ou de la volupté, dans les champs de victoire, dans les triomphes des guerriers ou des orateurs sauveurs de la patrie et idoles des peuples, dans les actes de foi et de culte qui unissent les hommes à Dieu par la piété, cette plénitude de l’âme ; par les langueurs de l’amour heureux, dans les jardins d’Armide et d’Alcine, où le Tasse et l’Arioste enlacent leurs héros dans les bras de beautés ivres de regards. […] La scène se groupe sur un quai de Venise, en face de la mer ; une grande barque pontée de pêcheurs est à l’ancre sur le bord du quai. […] XLIII Or combien n’a-t-il pas fallu de réflexion, de sensibilité, de création mentale et manuelle, au peintre de ces deux grandes scènes de la vie humaine, pour avoir conçu, reproduit, exprimé tant de sentiments divers dans les physionomies de tant de personnages, si heureusement ou si douloureusement impressionnés ?

616. (1860) Cours familier de littérature. X « LVe entretien. L’Arioste (1re partie) » pp. 5-80

Laissez-moi recomposer la scène et le tableau. […] Ici le poète se complaît à décrire une des scènes pastorales de cette nature dont les imaginations poétiques sont le miroir complaisant, et qui rafraîchissent également le lecteur. […] Aussi ce chant de Ginevra, transformé en drame, serait-il aussi pathétique sur la scène qu’il est charmant à lire dans ce jardin. […] Le soleil baisse, le livre nous a fait oublier l’heure de la promenade en voiture ; notre esprit s’est promené sur des sites et sur des scènes plus enchantés encore que ceux de ces belles collines et de cette belle mer. […] Est-ce le livre, est-ce la scène, est-ce la personne, qui s’incruste ainsi dans notre âme, de manière à en faire partie éternellement ?

617. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XV. La littérature et les arts » pp. 364-405

Un peu plus tard, quand le goût de la campagne mêlé à une sensiblerie larmoyante s’est réveillé dans le cœur des citadins blasés, Greuze représente l’Accordée de village et d’autres scènes villageoises bien propres à toucher les âmes sensibles. […] Le volume imprimé évoque des figures, des scènes entières devant les regards de l’illustrateur et c’est par centaines qu’on nommerait ceux qui de nos jours ont excellé à traduire par des lignes ou des couleurs la pensée ou les rêves d’autrui. […] Delacroix a surpassé les tableaux que je m’étais faits de scènes écrites par moi-même, à plus forte raison les lecteurs trouveront-ils toutes ces compositions pleines de vie et allant bien au-delà des images qu’ils se sont créées. » Mais à qui remonte en pareille occurrence l’inspiration première ? […] Il y avait autant de taches de couleur que de taches d’encre sur les marges de ces beaux livres sans cesse feuilletés. » En fournissant ainsi des sujets, des motifs, des types à la peinture, il se peut que la littérature l’ait parfois poussée hors de son vrai chemin ; qu’elle ait incité les artistes à chercher l’intérêt ailleurs que dans la combinaison des tons et des jeux de lumière, je veux dire dans la représentation de scènes pathétiques, émouvantes. […] » Décrivant un paysage du Poussin, il s’extasie sur l’idée que le peintre a eue de mettre au premier plan une femme enveloppée par un serpent, et il conclut avec assurance : « Voilà les scènes qu’il faut savoir imaginer, quand on se mêle d’être un paysagiste !

618. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1874 » pp. 106-168

Mme X… était, il y a huit jours, à la représentation de Fort-en-gueule, et la salle, à la voir toute charmante et toute souriante, ne pensait guère, que lorsque les yeux de cette femme regardaient dans sa jumelle, ils ne voyaient pas ce qui se jouait sur la scène, mais qu’ils voyaient les affreux instruments d’acier, les bistouris impitoyables qui allaient la déchirer, le lendemain matin, et lui faire, pour la septième fois, l’opération des glandes cancéreuses. […] Je le trouve sur la scène déjà vide, au milieu de deux ou trois Normands, à l’attitude consternée des gardes d’Hippolyte. […] Et je regardais dans cette lumière indescriptible, dans cette lumière faite de la clarté mourante d’un crépuscule et du flambement flave du gaz, mal allumé, je regardais la petite Charlotte Bernard, passer des coulisses sur la scène, avec sur sa peau des colorations et des glacis d’une créature de clair de lune. […] Et dans le fouillis des choses, la presse des objets, la confusion des formes et des couleurs, l’on entrevoit encore des photographies de l’Empereur Napoléon III, dans toutes les phases de sa bonne ou de sa mauvaise fortune ; on entrevoit les éclairs de rubis et d’émeraude de toute une collection d’oiseaux-mouches dans l’ombre d’une armoire ; on entrevoit des aquarelles drolatiques de Giraud représentant des scènes de l’intérieur de la princesse ; on entrevoit d’élégiaques têtes d’études d’Amaury Duval ; on entrevoit de vieilles gravures représentant Napoléon Ier en costume troubadouresque ; on entrevoit des mécaniques en bronze doré pour tenir horizontalement une branche, on entrevoit par l’entrebâillement des panneaux, des tiroirs, des albums, des blocs de papiers à aquarelle, des cornets de cristal hérissés de pinceaux, des tubes, des vessies, une armée de bouteilles d’encres de couleur avec leurs floquets de ruban rouge : tous les ustensiles et tous les outils de la peinture à l’huile, de l’aquarelle, du pastel, du crayonnage, — à l’état de provisions. […] Je me résous à mettre dans le renfoncement, et le vague d’un souvenir, toutes les scènes de b.., et de cour d’assises, que je voulais peindre dans la réalité brutale de la mise en scène, et les trois parties de mon roman se condensent en un seul morceau.

619. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — III. Le Poëme épique, ou l’Épopée. » pp. 275-353

Si tant d’auteurs ont échoué, c’est principalement parce qu’ils n’ont pas mis assez de ces morceaux & que le lecteur trouve trop de récits & trop peu de scènes. […] Le célèbre sculpteur, Michel-Ange Buonarotti donna, à Rome, une scène dans le même goût. […] Il donna des scènes de fanatisme sur la fin de sa vie, qui l’ont plus fait connoître que tous ses ouvrages. […] L’adieu d’Hector & d’Andromaque, cette scène épique si touchante, si pleine de chaleur & de vie, est rendu ainsi : C’est trop, s’écrie Hector, c’est trop vous attendrir. […] Il se défie moins de l’art de l’auteur : il ne voit, il n’entend que les personnages qui sont en scène, & l’illusion produit tout son effet.

620. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIe entretien. Littérature italienne. Dante. » pp. 329-408

Les deux hommes modernes qui ont remué le plus d’idées par l’éloquence et le plus d’hommes par la guerre, Mirabeau et Napoléon, sont des Toscans transportés sur la scène de la France. […] Cette scène a dû m’impressionner cependant avec une certaine force, puisqu’elle se retrouve si complète et si vive après trente ans dans mon imagination ; mais je ne la percevais que par mes sens et par le seul instinct, car mon esprit était absorbé par la contemplation intérieure d’une tout autre nature. […] Chaque scène de ce drame sacré était empruntée à la terre ou aux autres planètes de l’espace, et les décorations poétiques changeaient ainsi, au gré du poète, comme l’époque, les événements, les personnages. […] N’eût-il que ces deux scènes, Dante mériterait d’être nommé à côté d’eux !  […] Dante le comprit, et, franchissant les limites de l’espace et du temps pour entrer dans le triple royaume dont la mort ouvre les portes, il plaça de prime abord la scène de son poème dans l’infini.

621. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIIe entretien. I. — Une page de mémoires. Comment je suis devenu poète » pp. 365-444

Et, à ce sujet, je ne puis m’empêcher de vous faire observer, en passant, que l’enfant, l’adolescent, le jeune homme, l’homme fait prendraient bien plus de goût à la littérature et à la poésie si les maîtres qui la leur enseignent proportionnaient davantage leurs leçons et leurs exemples aux différents âges de leurs disciples ; ainsi, aux enfants de dix ou douze ans, chez lesquels les passions ne sont pas encore nées, des descriptions champêtres, des images pastorales, des scènes à peine animées de la nature rurale, que les enfants de cet âge sont admirablement aptes à sentir et à retenir ; aux adolescents, des poésies pieuses ou sacrées, qui transportent leur âme dans la contemplation rêveuse de la Divinité, et qui ajournent leurs passions précoces en occupant leur intelligence à l’innocente et religieuse passion de l’infini ; aux jeunes gens, les scènes dramatiques, héroïques, épiques, tragiques des nobles passions de la guerre, de la patrie, de la vertu, qui bouillonnent déjà dans leur cœur ; aux hommes faits, l’éloquence, qui fait déjà partie de l’action, l’histoire, la philosophie, la comédie, la littérature froide, qui pense, qui raisonne, qui juge ; la satire, jamais ! […] La scène qui s’efface pour nous se colore pour un autre peuple ; ce n’est pas le spectacle, c’est le spectateur qui change. […] « Conçoit-on bien ce que serait une scène de la nature si elle était abandonnée au seul mouvement de la matière ? […] Ces objets étaient répétés dans l’eau d’un étang avec l’ombrage d’un noyer qui servait de fond à la scène, et derrière lequel on voyait se lever l’aurore. […] IV Moi, cependant, caché par la vigne et l’érable, Je regardais, muet, la scène d’Orient, L’ombre que ce beau groupe allongeait sur le sable, Ton visage confus, le vieillard souriant ; Il te donna, pour prix de ta cruche d’eau pure, Un chapelet de grains colorés de carmin, Une croix de laiton, qui battait sa ceinture ; Et toi, courbant ton cou sous sa manche de bure, Tu plias les genoux et tu baisas sa main.

622. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gabrielle d’Estrées. Portraits des personnages français les plus illustres du XVIe siècle, recueil publié avec notices par M. Niel. » pp. 394-412

Mais je vois bien où vous en voulez venir en faisant ainsi le niais et l’ignorant, c’est en intention de me la faire nommer, et je le ferai. » Et il nomme sa maîtresse Gabrielle comme réunissant évidemment les trois conditions : « Non que pour cela, ajoute-t-il un peu honteusement et en faisant retraite à demi, non que je veuille dire que j’aie pensé à l’épouser, mais seulement pour savoir ce que vous en diriez, si, faute d’autre, cela me venait quelque jour en fantaisie. » On voit quelle vive et vraie conversation il s’est tenu entre le roi et Sully dans ce jardin à Rennes ; il n’y a manqué pour faire une excellente scène de comédie historique que d’avoir été racontée par les secrétaires un peu plus légèrement. […] On a toute cette scène également racontée avec détail, la réconciliation que Henri IV veut ménager entre son ministre et sa maîtresse, et qui ne fait qu’amener de la part de celle-ci une explosion plus violente d’injures et de lamentations. […] Ces scènes, au reste, avec elle étaient rares ; elle était de ces femmes qui reposent et délassent ceux qui les aiment, bien loin d’engendrer les querelles.

623. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — II » pp. 71-89

Toute cette scène est racontée par celui-ci d’une manière vive et charmante. […] Le Dauphin, prince guerrier aussi et d’humeur vaillante, qui était debout derrière le fauteuil de son père, se mit dès ce début du parti de Montluc ; il lui faisait signe de la tête d’aller toujours et de parler hardiment : ce qu’il ne fallait pas lui répéter deux fois ; et la suite de ce discours est ainsi accompagnée agréablement, aux endroits décisifs, par ce jeu de scène, par cette pantomime du Dauphin, qui approuve, sourit, fait des signes et jouit du triomphe du soldat Montluc sur les prudents conseillers. […] À celle nouvelle, il éprouva une impression soudaine et qu’il a rendue bien énergiquement ; tout son sang se glaça, en écoutant le gentilhomme qui lui faisait ce récit : « S’il m’eût donné, dit-il, deux coups de dague, je crois que je n’eusse point saigné ; car le cœur me serra et fit mal d’ouïr ces nouvelles ; et demeurai plus de trois nuits en cette peur, m’éveillant sur le songe de la perte. » Il se représentait la scène du conseil, sa promesse solennelle de la victoire, la conséquence incalculable dont une défaite eût été pour la France, et dans ce prompt tableau que son imagination frappée lui développa tout d’un coup, cet homme intrépide retrouva la peur à laquelle il était fermé par tout autre côté.

624. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Mathurin Regnier et André Chénier »

Chénier tenait donc pour la division des genres et pour l’intégrité de leurs limites ; il trouvait dans Shakspeare de belles scènes, non pas une belle pièce. […] Or j’ai soigneusement recherché dans ses œuvres les traces de ces premières et profondes souffrances ; je n’y ai trouvé d’abord que dix vers datés également de Londres, et du même temps que le morceau de prose ; puis, en regardant de plus près, l’idylle intitulée Liberté m’est revenue à la pensée, et j’ai compris que ce berger aux noirs cheveux épars, à l’œil farouche sous d’épais sourcils, qui traîne après lui, dans les âpres sentiers et aux bords des torrents pierreux, ses brebis maigres et affamées ; qui brise sa flûte, abhorre les chants, les danses et les sacrifices ; qui repousse la plainte du blond chevrier et maudit toute consolation, parce qu’il est esclave ; j’ai compris que ce berger-là n’était autre que la poétique et idéale personnification du souvenir de Londres, et de l’espèce de servitude qu’y avait subie André ; et je me suis demandé alors, tout en admirant du profond de mon cœur cette idylle énergique et sublime, s’il n’eût pas encore mieux valu que le poète se fût mis franchement en scène ; qu’il eût osé en vers ce qui ne l’avait pas effrayé dans sa prose naïve ; qu’il se fût montré à nous dans cette taverne enfumée, entouré de mangeurs et d’indifférents, accoudé sur sa table, et rêvant, — rêvant à la patrie absente, aux parents, aux amis, aux amantes, à ce qu’il y a de plus jeune et de plus frais dans les sentiments humains ; rêvant aux maux de la solitude, à l’aigreur qu’elle engendre, à l’abattement où elle nous prosterne, à toute cette haute métaphysique de la souffrance ; — pourquoi non ?  […] Ou, s’il lui déplaisait de remanier en vers ce qui était jeté en prose, il avait en son souvenir dix autres journées plus ou moins pareilles à celle-là, dix autres scènes du même genre qu’il pouvait choisir et retracer48.

625. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre IV. Le roman »

La comédie essaya bien de se mettre d’accord avec cette disposition des esprits ; mais la difficulté de représenter matériellement les formes de la vie, lieux, meubles, costumes, toutes ces choses où les mœurs générales et les tempéraments individuels mettent leur empreinte, paralysait l’effort des auteurs, dans l’état où était encore l’art de la mise en scène ; et tout le siècle s’écoule sans arriver à créer la pièce réaliste. […] La première partie du roman, publiée en 1715, a été écrite dans les derniers temps de Louis XIV : ce ne sont que des scènes de la vie privée. […] Elle nous explique par le menu, délicieusement, ce qu’il y a de rouerie native dans l’innocence d’une ingénue, et ce qui, dans une bonne nature, peut s’épanouir de férocité coquette : lisez la scène de la première messe où Marianne, en toilette, fixe l’admiration des hommes et la jalousie des femmes.

626. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres inédites de la duchesse de Bourgogne, précédées d’une notice sur sa vie. (1850.) » pp. 85-102

On trouvera qu’il était bien prompt à se former une pensée et une impression ; mais cette première impression, en effet, était capitale dans une Cour et sur une scène où il s’agissait avant tout de réussir en entrant, et de représenter toujours. […] Je renvoie, pour l’entier détail et pour les accessoires de l’admirable scène, à Saint-Simon, qui, en cet endroit, est notre Tacite, le Tacite d’un roi non cruel, mais qui le fut ce jour-là à force d’égoïsme et de personnalité. […] Cette première lettre si élégante, si riante de surface et d’apparence, ne renfermait au fond que vanité, égoïsme de maître, pur souci de la révérence et du décorum : la scène du bassin des Carpes est au bout.

627. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Mme de Genlis. (Collection Didier.) » pp. 19-37

Ne pouvant se priver de son goût pour le théâtre, elle imagina de mettre en action et de leur faire jouer dans le jardin, où les décorations artificielles se combinaient avec la nature, les principales scènes de l’Histoire des voyages de l’abbé Prévost, abrégée par La Harpe, et en général toutes sortes de sujets historiques ou mythologiques. […] La dernière scène qui s’annonçait bien, quand Mlle de Clermont déclarait vouloir à tout prix pénétrer jusqu’à M. de Melun blessé et mourant, cette scène est manquée finalement, puisque la princesse se laisse détourner de sa pensée, et qu’elle ne revoit point celui qu’elle aime.

628. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire de la Restauration, par M. de Lamartine. (Les deux premiers volumes. — Pagnerre.) » pp. 389-408

Dans son Histoire de la Restauration, M. de Lamartine revient aux premières scènes de sa jeunesse, et, bien qu’il y revienne avec un complet dégagement de vues, il saura en ressaisir suffisamment les émotions et le ton : il les embellira même peut-être ; mais, qu’il se montre plus ou moins indulgent ou sévère, il ne saurait ici être dangereux. […] Avant d’en venir à nous rendre l’esprit des premières scènes de la Restauration, M. de Lamartine s’est engagé dans le récit de la campagne de 1814. […] Ici, en épanchant les trésors de sa palette sur ces premières scènes de la Restauration, il est sans inconvénient et dans l’ordre des émotions permises.

/ 1880