Jean-Paul Clarens Un prodigieux savant, un immense penseur, un incomparable poète vient de surgir au déclin de notre siècle pour l’illustrer magnifiquement et le résumer dans des tendances caractéristiques et des impairissables conquêtes.
Ce jour-là, je me demandai plus sérieusement que jamais s’il n’y avait rien de mieux à faire que de consacrer à l’étude et à la pensée tous les moments de sa vie, et, après avoir consulté ma conscience et m’être raffermi dans ma foi à l’esprit humain, je me répondis très résolument : « Non. » Si la science n’était qu’un agréable passe-temps, un jeu pour les oisifs, un ornement de luxe, une fantaisie d’amateur, la moins vaine des vanités en un mot, il aurait des jours où le savant devrait dire avec le poète : Honte à qui peut chanter, pendant que Rome brûle.
Ils font des livres qu’on ne lit guère ; on ne dispute plus, on se rit de tout, et l’on persiste dans le matérialisme. » Horace Walpole508 qui en 1765 revient en France et dont le bon sens prévoit le danger, s’étonne de tant d’imprudence : « J’ai dîné aujourd’hui, dit-il, avec une douzaine de savants ; quoique tous les domestiques fussent là pour nous servir, la conversation a été beaucoup plus libre, même sur l’Ancien Testament, que je ne le souffrirais à ma propre table en Angleterre, n’y eût-il pour l’écouter qu’un valet de pied. » On dogmatise partout. « Le rire est aussi démodé que les pantins ou le bilboquet. […] D’abord il comprend presque tout le monde ; ensuite il désigne les gens qui se déclarent ennemis du papisme, mais qui, pour la plupart, ont pour objet le renversement de toute religion. » — Ces savants, je leur demande pardon, ces philosophes sont insupportables, superficiels, arrogants et fanatiques. […] Ils empruntent aux théories savantes de quoi lui mettre un bonnet d’âne, et leurs fredaines leur plaisent davantage quand elles sont assaisonnées d’impiété. […] En 1782511 un personnage de Mme de Genlis écrit : « Il y a cinq ans je les avais laissées ne songeant qu’à leur parure, à l’arrangement de leurs soupers ; je les retrouve toutes savantes et beaux-esprits. » Dans le cabinet d’une dame à la mode, on trouve, à côté d’un petit autel dédié à la Bienfaisance ou à l’Amitié, un dictionnaire d’histoire naturelle, des traités de physique et de chimie.
C’est ainsi que nous fûmes frappé non-seulement au cœur, nous-même, ami, collègue et voisin de campagne, presque contemporain d’années de M. de Marcellus, il y a quelques mois, en recevant le billet de faire-part qui nous convoquait inopinément à ses obsèques, mais frappé à l’esprit ; c’est ainsi qu’en nous interrogeant quelque temps après avec plus de sang-froid sur ce que la France venait de perdre en lui, nous nous répondions : « La France vient de perdre non un orateur, non un poète, non un écrivain de profession, non un savant de métier, mais plus qu’un orateur, plus qu’un poète, plus qu’un écrivain, plus qu’un érudit ; elle vient de perdre un homme de goût ! […] VI C’est une chose remarquable en général, que ces hommes d’étude, de goût, de littérature exquise et savante, habitent, comme Walter Scott, des demeures féodales, comme la Brède de Montesquieu, comme Montbard et sa tour de Buffon, comme le manoir de Montaigne en Gascogne, comme M. de Marcellus à Audour. […] J’entrevis l’espérance de les avoir en ma possession ; je fis entendre au pacha qu’Ali-Bey s’occupait uniquement d’astronomie ; qu’il allait à la Mecque par ordre de son roi, pour y mesurer le soleil, qu’il savait bien y être plus grand qu’ailleurs (c’est une croyance de l’islamisme) ; que ce qu’il laissait après lui formait l’héritage de son fils Osman-Bey, qui habitait le royaume de Fez ; et qu’enfin, pour profiter des écrits de ce savant, il fallait traduire ses observations en arabe : j’offris de me charger de ce travail ; mes motifs allaient être goûtés, je m’en flattais du moins, quand le pacha fut destitué. […] « “L’expédition des Anglais au pôle nord, disait ce savant dans une de ses dernières lettres que j’ai lue, et mon voyage au centre de l’Afrique, doivent résoudre les deux plus grands problèmes géographiques qui nous restent sur le globe, avec la différence que, si je réussis, ma mission produira infiniment plus de résultats utiles à l’humanité que le voyage au pôle.”
C’était de la tragédie pour les savants. […] Il voulait confusément un théâtre national, moins grossier que celui des Confrères de la Passion, moins savant que celui de Jodelle et de Garnier. […] Il y eut donc, à la fin du seizième siècle, contre la tragédie savante, une sorte d’insurrection, dont le chef et le héros fut Alexandre Hardi. […] On finit par s’en dégoûter, et on en revint à la tragédie savante.
Raspail, Pasteur et les savants Chirurgiens et Docteurs Ce sont des hommes. […] Ce qui fut spécial à cette guerre récente, c’est l’abaissement moral des gens d’intellectualité raffinée, des savants, des philosophes, des écrivains. […] Les Poètes contre la guerre ah. — (Le Sablier). — Une belle et savante anthologie où j’ai retrouvé les noms de nos amis : René Arcosai, Georges Bannerotaj, Charles Bauduinak, Georges Duhamel, Edouard Dujardinal, Louis de Gonzague-Frickam, Marcel-Martinetan, Georges Piochao, Jules Romain, Jean de Saint-Prixap, Henriette Sauretaq, Charles Vildrac, et d’autres que j’oublie. […] La forme en est savante et travaillée, L’esprit en est délicat, inquiet et ardent.
Daunou, qui en rendit compte dans le Journal des Savants (mai 1822), reconnaissait que les vues par lesquelles l’auteur avait étendu son sujet et en avait éclairci les préliminaires « supposaient une étude profonde de l’histoire de France ; » il trouvait que l’ouvrage « se recommandait moins par l’exactitude rigoureuse des détails que par l’importance et la justesse des considérations générales ; » mais il insistait sur cette importance des résultats généraux, et notait « la profondeur et quelquefois la hardiesse des pensées, la précision et souvent l’énergie du style. » Nous aimons à reproduire les propres paroles du plus scrupuleux des critiques, de celui qui, en rédigeant ses jugements, en pesait le plus chaque mot. […] M.Mignet en avait fait d’abord, dans le Journal des Savants, des articles qu’il a réunis ensuite en volume (1845). […] Celle-ci, au milieu des rapports complexes qu’elle embrasse, affecte par moments une régularité savante et une ingénieuse symétrie de mécanisme que les choses en elles-mêmes, dans leur cours naturel, ne sauraient présenter à ce degré.
Et cependant parler, je le sens, est bien difficile ; venir contredire dans sa forme, dans sa tendance et dans ses conclusions, le Rapport que vous avez entendu dans la séance de vendredi et qui est l’ouvrage d’un savant collègue, d’un esprit pratique et positif, que je respecte tout particulièrement et qui m’a toujours montré de la bienveillance, ce n’est pas chose aisée, et il n’est pas agréable, je vous l’assure, de paraître prendre en main, ne fût-ce même qu’incidemment, une cause qui est déclarée détestable, funeste, perverse ; de paraître le moins du monde s’associer à ce qu’on a appelé les efforts des méchants. […] J’en prends à témoin mon savant collègue M. […] Chimère de savant, soit ; mais, chimère pour chimère, celle-là en vaut bien d’autres.
Un Platon, un savant grec, un livre étaient une victoire sur la nuit. […] Cependant, les Médicis ramenaient quelque chose de réel en Italie, une langue, des marbres, des manuscrits, des savants, des traductions, des modèles, mais nous ne rapportions rien que des songes. […] Si je l’ai prolongé, c’est d’abord par le désir de vous être agréable et de vous obéir, à vous si excellent, si savant, si sage, si bien mon ami, dont le zèle pour tout ce qui tient à ce grand homme se serait difficilement contenté, si j’avais été plus court ; enfin, poussé par une certaine douceur amère et, le dirai-je, par une foule de démangeaisons, à faire un retour sur le souvenir de ce grand homme et à m’y complaire.
La vérité en cet ordre de choses est savante et cachée. […] Ainsi, la culture savante et lettrée étant absolument indispensable dans le sein de l’humanité, lors même qu’elle ne pourrait être le partage que d’un très petit nombre, ce privilège flagrant serait excusé par la nécessité. […] Il faut donc renoncer à trouver en quoi que ce soit l’ultérieur définitif et maintenir la raison savante comme la dernière autorité.
Les savants examinent la question ; les gens instruits apprécient les savants ; le vulgaire suit les yeux fermés. […] Vous avez des académies, des sociétés savantes : consultez leurs jugements ; mais consultez surtout ceux du public.
Bornons-nous ici à faire remarquer que l’opération a beau paraître savante, elle est naturelle à l’esprit humain ; nous la pratiquons instinctivement. […] Il n’y a pas de physique, pas d’astronomie, pas de science possible, si l’on refuse au savant le droit de figurer schématiquement sur une feuille de papier la totalité de l’univers. […] Dans ces conditions, il nous sera facile de suivre la règle que nous nous sommes imposée dans le présent essai : celle de ne rien avancer qui ne puisse être accepté par n’importe quel philosophe, n’importe quel savant, — rien même qui ne soit impliqué dans toute philosophie et dans toute science.
La conscience et la vie Conférence Huxley 1, faite à l’Université de Birmingham,le 29 mai 1911 Quand la conférence qu’on doit faire est dédiée à la mémoire d’un savant, on peut se sentir gêné par l’obligation de traiter un sujet qui l’eût plus ou moins intéressé. […] Prenez des joies exceptionnelles, celle de l’artiste qui a réalisé sa pensée, celle du savant qui a découvert ou inventé. […] Si donc, dans tous les domaines, le triomphe de la vie est la création, ne devons-nous pas supposer que la vie humaine a sa raison d’être dans une création qui peut, à la différence de celle de l’artiste et du savant, se poursuivre à tout moment chez tous les hommes : la création de soi par soi, l’agrandissement de la personnalité par un effort qui tire beaucoup de peu, quelque chose de rien, et ajoute sans cesse à ce qu’il y avait de richesse dans le monde ?
Il semble, en effet, qu’alors l’Écriture sainte, associée, avec tant de grandeur, aux cérémonies du culte, aux solennités funèbres et à tous les triomphes de la parole chrétienne, ait fait tort, même auprès des imaginations les plus savantes, à la poésie du chantre de Thèbes. […] Ainsi, le savant abbé Massieu, d’une pureté attique dans le langage de sa dissertation, veut-il, devant l’Académie des inscriptions et belles-lettres, représenter fidèlement la poésie de Pindare, il a soin de la traduire dans une prose si bien paraphrasée qu’il n’y reste pas le moindre souffle lyrique ; et il ne manque pas cependant de s’excuser des témérités qu’il croit y voir encore, et d’en demander grâce pour l’original. […] Ce n’est pas, comme dans l’arrière-saison du culte et de la poésie mythologique, comme dans les hymnes officiels de Callimaque et les extases savantes de Proclus, un effort de travail ou d’abstraction rêveuse.
Il faut l’entendre, au sortir de ce beau fleuve romain et cicéronien où il vient de s’abreuver pour la centième fois, célébrer cette ampleur et cette finesse de parole, cette transparence lumineuse, cette riche abondance de mots, et cet art savant qui les épand si nombreux, si faciles sans qu’il y en ait jamais un d’inutile ou de perdu : Quand on se laisse simplement entraîner, dit-il, par la lecture, c’est une musique délicieuse qui vous flatte : l’esprit sent la justesse des accords sans se rendre un compte exact de son plaisir, et ne fait qu’apercevoir instinctivement une nuance délicate de la pensée sous chacune des expressions dont la phrase s’embellit. […] En parlant des livres, et, à ce propos, de la rue obscure, du salon grave et sombre où il visitait les antiques libraires dans son enfance, et des savants modestes qu’il y rencontrait, et des différentes manières d’aimer les livres, des différentes espèces de bibliophiles, et des variétés dans l’espèce, jusqu’à l’amateur de bouquins exclusivement, en parlant de toutes ces choses et de tous ces gens, qui faisaient son sujet d’observation et son gibier depuis des années, le rayon lui est venu, un de ces rayons familiers, riants, comme La Bruyère les savait saisir, qui éclairent le front des originaux, et qui pénètrent dans les intérieurs.
Serions-nous devenus moins délicats en devenant plus savants ? […] Un critique spirituel et sensé le remarquait à propos de la musique d’Auber, en parlant d’un de ses derniers opéras qui avait fort réussi : « Pour remporter ce succès avec une œuvre si élégante et si claire, un style si aimable et si charmant, il a fallu, disait-il, un très grand talent et un très grand bonheur ; car aujourd’hui, par la pédanterie qui court, par les doctrines absurdes qu’on voudrait accréditer, par l’ignorance et l’outrecuidance de quelques prétendus savants, la clarté, la grâce et l’esprit sont un obstacle plutôt qu’un avantage… Le beau mérite que d’entendre et d’admirer ce que tout le monde admire et comprend !
Un savant anglais a même essayé de retrouver par conjecture la vieille orthographe, les vieilles formes de l’Homère d’avant Aristarque, de l’Homère contemporain de Pisistrate100. […] Mais ces défauts si réels ne doivent pas faire condamner absolument un travail dans lequel l’auteur paraît d’ailleurs avoir apporté des soins, s’être entouré de beaucoup de secours, et qui, empruntant presque à chaque page l’alliance élégante du dessin et s’adressant aux gens du monde bien plutôt qu’aux savants, a chance de ne pas remplir trop incomplétement son objet. — Pour nous ç’a été du moins un prétexte que nous avons saisi, de nous arrêter une fois et de nous incliner devant cette grande figure d’Homère, et c’est tout ce que nous voulions.
L’élégie de Le Brun est sèche, nerveuse, vengeresse, déjà sur le retour, savante dans le goût de Properce et de Callimaque ; l’imitation de l’antique n’en exclut pas toujours le fade et le commun moderne. […] Ces Rois de la lyre et du savant pinceau, qu’avait chantés André Chénier, étaient tous deux apostats de cette amitié sainte.
Mais l’histoire n’est pas, pour Sainte-Beuve, le terme ou le but de la critique : il a la prétention d’être un philosophe, un savant ; il cherche des lois générales. […] Ces fines observations, ces exactes analyses se traduisent grossièrement en littérature par cette notion : il n’y a dans l’homme que des sensations et des instincts : tout le reste est mensonge, sottise, spiritualisme, indigne de l’attention d’un savant.
Enfin la beauté des costumes, la perfection des décors et des feintes ou machines, la musique employée dans les intermèdes et parfois dans les pièces, tout cela faisait connaître à la France un art savant et raffiné qu’elle devait être encore longtemps à atteindre elle-même. […] C’était un artiste universel, au dire du savant comédien Bartoli qui a fait son éloge.
Adolphe est comme une savante symphonie qu’il faut entendre plusieurs fois, et religieusement, avant de saisir et d’embrasser l’inspiration de l’artiste. […] Sans doute il eût été facile à une imagination plus active et plus exercée d’encadrer le sujet de ce roman dans une fable plus savante et plus vive, de multiplier les incidents, de nouer plus étroitement la tragédie.
Walckenaer est un des savants de ce temps-ci les plus laborieux et les plus divers, un savant presque universel.