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610. (1896) Écrivains étrangers. Première série

Comme à eux, le repos lui était interdit ; une fatalité le poussait toujours en avant ; et partout sur son passage il ne laissait que des cendres. […] Toujours, depuis ses années de jeunesse, un impérieux instinct l’a poussé à se gagner partout des amis. […] Et qu’importe, après cela, si, parmi les arbres, quelques folles herbes poussaient, pêle-mêle avec les buissons et les fleurs sauvages ? […] Empêcheront-elles les hommes de souffrir, et de se haïr, et de s’entre-dévorer quand l’instinct fatal les y poussera ? […] C’est un vent de folie et de cruauté qui souffle sur la foule, qui la pousse droit devant elle, hurlante et frémissante.

611. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre I. Les Saxons. » pp. 3-71

Voyez dans leur épopée42 le sublime pousser au milieu de l’horrible, comme une éclatante fleur de pourpre au milieu d’une mare de sang. […] — Car tu as trempé et rougi dans Fafnir — ton épée, cette épée étincelante. —  Ton fer s’est arrêté dans mon cœur. » « C’est mon cœur qui m’a poussé. —  Ce sont mes mains qui ont accompli l’œuvre,  — mes mains et mon fer aigu. —  Rarement il devient brave — et aguerri aux blessures,  — celui qui tremble — au moment du danger !  […] Dans leur langue, les flèches « sont les serpents de Héla, élancés des arcs de corne », les navires sont « les grands chevaux de la mer », la mer est la coupe des vagues, « le casque est « le château de la tête  » ; il leur faut un langage extraordinaire pour exprimer la violence de leurs sensations, tellement que lorsque avec le temps, en Islande où l’on a poussé à bout cette poésie, l’inspiration primitive s’alanguit et l’art remplace la nature, les Skaldes se trouvent guindés jusqu’au jargon le plus contourné et le plus obscur. […] Un d’entre eux, dont le poëme est mutilé, a conté l’histoire de Judith ; avec quel souffle, on va le voir ; il n’y a qu’un barbare pour montrer en traits si forts l’orgie, le tumulte, le meurtre, la vengeance et le combat : « Alors and Holopherne — fut échauffé par le vin. —  Dans les salles de ses convives,  — il poussa des éclats de rire et des cris,  — il hurla et rugit,  — de sorte que les enfants des hommes — purent entendre de loin — quelle clameur, quelle tempête de cris — poussait le chef terrible,  — excité et enflammé par le vin. —  Les coupes profondes — furent souvent portées — derrière les bancs. —  De sorte que l’homme pervers,  — le farouche distributeur de richesses,  — lui et ses hommes,  — pendant tout le jour — s’enivrèrent de vin,  — jusqu’à ce qu’ils fussent tombés,  — gisants et soûlés ; — toute sa noblesse,  — comme s’ils étaient morts. » La nuit venue, il commande que l’on conduise dans sa tente « la vierge illustre, la jeune fille brillante comme une fée  » ; puis, étant allé la retrouver, il s’affaisse ivre au milieu de son lit.

612. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre III. La nouvelle langue. » pp. 165-234

Deux idées avaient soulevé le moyen âge hors de l’informe barbarie : l’une religieuse, qui avait dressé les gigantesques cathédrales et arraché du sol les populations pour les pousser sur la Terre sainte ; l’autre séculière, qui avait bâti les forteresses féodales et planté l’homme de cœur debout et armé sur son domaine ; l’une qui avait produit le héros aventureux, l’autre qui avait produit le moine mystique ; l’une qui est la croyance en Dieu, l’autre qui est la croyance en soi. […] » Il va à l’endroit où il l’a vue pour la première fois, puis à un autre où il l’a entendue chanter ; « il n’y a point d’heure du jour ou de la nuit où il ne pense à elle. » Personne n’a depuis trouvé des paroles plus vraies et plus tendres ; voilà les charmantes « branches poétiques » qui avaient poussé à travers l’ignorance grossière et les parades pompeuses ; l’esprit humain au moyen âge avait fleuri du côté où il apercevait le jour. Mais le récit ne suffit point à exprimer le bonheur et le rêve ; il faut que le poëte aille192-A « dans les plaines qui s’habillent de verdure nouvelle, où les petites fleurs commencent à pousser, où les pluies bonnes et saines renouvellent tout ce qui est vieux et mort  » ; où « l’alouette affairée, messagère du jour, salue dans ses chansons le matin gris, où le soleil dans les buissons sèche les gouttes d’argent suspendues aux feuilles. » Il faut qu’il s’oublie dans les vagues félicités de la campagne, et que, comme Dante, il se perde dans la lumière idéale de l’allégorie. […] Mais Chaucer la pousse plus loin et la met en action ; son moine quête de maison en maison, tendant sa besace206. « Donnez-nous un boisseau de froment, d’orge ou de seigle, un demi-penny ou un morceau de fromage, ce que vous voudrez, nous ne choisissons pas. […] On est capable, comme ici Chaucer, d’aller chercher dans la vieille forêt commune du moyen âge des histoires et des légendes, pour les replanter sur son terrain et leur faire donner une nouvelle pousse.

613. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIIIe entretien. Littérature cosmopolite. Les voyageurs »

Saroutaki était fils d’un boulanger de Tauris, capitale de la Médie, qui, n’ayant pas moyen de le pousser, l’envoya à Ispahan chercher fortune. […] Janikan, général des courtchis16, qui est le plus puissant corps de troupes qu’ait la Perse, proche parent de ce Daoud-Kan, le défendait de tout son pouvoir ; mais, voyant qu’il ne gagnait rien auprès du premier ministre, et que son parent allait être poussé à bout, il en porta ses plaintes au roi, tant en particulier qu’en public, le suppliant de mettre à couvert le gouverneur de Guilan des recherches du premier ministre. […] Janikan (Djâny-khân) ne voyant, à cause de cela, aucun moyen de sauver son parent, rompit ouvertement avec le premier ministre et se déclara hautement son ennemi ; mais le ministre se contentait de pousser sa pointe. […] On avait peine dans le sérail à croire le rapport de ce conjuré ; toutefois, comme la chose était trop importante pour en négliger l’avis, et que la reine et les eunuques, que la conjuration regardait, croyaient à tout moment qu’on les venait mettre en pièces, le roi se laissa pousser à faire mourir le lendemain matin tout ce nombre d’assassins, sans autre forme de procès. […] Ils ne devinaient point le motif qui avait porté cet eunuque à une résolution si déterminée: il n’y était poussé ni par la haine, ni par la crainte, ni par l’espérance.

614. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Cromwell » (1827) »

Sa pensée, comme sa vie, ressemble au nuage qui change de forme et de route, selon le vent qui le pousse. […] Les événements, chargés de ruiner l’ancienne Europe et d’en rebâtir une nouvelle, se heurtaient, se précipitaient sans relâche, et poussaient les nations pêle-mêle, celles-ci au jour, celles-là dans la nuit. […] C’est ici qu’il faut admirer comme Scudéry, le capitan de cette tragi-comédie, poussé à bout, le rudoie et le malmène, comme il démasque sans pitié son artillerie classique, comme il « fait voir » à l’auteur du Cid « quels doiuent estre les épisodes, d’après Aristote, qui l’enseigne aux chapitres dixiesme et seiziesme de sa Poétique », comme il foudroie Corneille, de par ce même Aristote « au chapitre vnziesme de son Art Poétique, dans lequel on voit la condamnation du Cid » ; de par Platon « liure dixiesme de sa République », de par Marcelin, « au liure vingt-septiesme ; on le peut voir » ; de par « les tragédies de Niobé et de Jephté » ; de par « l’Ajax de Sophocle » ; de par « d’exemple d’Euripide » ; de par « Heinsius, au chapitre six, Constitution de la Tragédie ; et Scaliger le fils dans ses poésies » ; enfin, de par « les Canonistes et les Iurisconsultes, au titre des Nopces ». […] Hippolyte, brisé par sa chute, vient compter ses blessures et pousser des cris douloureux. […] Voilà ce qu’établira bientôt une autre critique, une critique forte, franche, savante, une critique du siècle qui commence à pousser des jets vigoureux sous les vieilles branches desséchées de l’ancienne école.

615. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIe entretien. Vie du Tasse (1re partie) » pp. 5-63

Je gravis lentement la rampe pavée de cailloux luisants du Tibre, entre lesquels la mousse et les herbes parasites poussaient sans être foulées. […] Cependant je ne sais quelle curiosité amoureuse du site et de sa paix me poussait à connaître aussi les cloîtres intérieurs et le jardin que ces murs dérobaient à mes regards ; je m’y figurais des mystères de recueillement et de charmes secrets. […] Torquato, de plus, était sincèrement et tendrement religieux ; il se sentait poussé vers son poème non-seulement par la poésie, mais par la piété ; c’était le croisé du génie poétique, aspirant à égaler, par la gloire et par la sainteté de ses chants, les croisés de la lance qu’il allait célébrer.

616. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXVIIIe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 65-128

Fior d’Aliza (suite) Chapitre VI (suite) CLXXXII À ces mots, la jeune Maremmaise poussa son amant à gauche, dans un sentier qui menait à la mer ; quant à elle, elle saisit le tromblon, la poire à poudre, le sac à balles et le chapeau pointu du brigand, et, se jetant à gauche, sous les arbustes moins hauts que sa tête, elle se mit à tirer, de temps en temps, un coup de son arme à feu en l’air, pour que la détonation et la fumée attirassent les sbires tous de son côté, et laissassent à son compagnon le temps de descendre par où on ne l’attendait pas, vers la mer ; elle laissait voir à dessein son chapeau calabrais par-dessus les feuilles, pour faire croire aux gendarmes que c’était le brigand qui s’enfuyait en tirant sur eux. […] Alors je lui racontai précipitamment comment j’avais pris les habits et la zampogne de mon oncle dans le coffre, afin de ne pas être exposée, comme une pauvre fille, aux poursuites, aux insolences et aux libertinages des hommes dans les rues ; comment mon oncle et ma tante avaient voulu s’opposer par force à mon passage, comment le père Hilario leur avait dit, au nom du bon Dieu : Laissez-la faire son idée ; comment il avait promis d’avoir soin d’eux, à défaut de leurs deux enfants, dans la cabane ; comment une noce, qui avait besoin d’un musicien, m’avait ramassée sur le pont du Cerchio ; comment cette noce s’était trouvée être la noce de la fille du bargello ; comment leur gendre, en s’en allant de la maison avec sa sposa, avait laissé vacante la place de serviteur et de porte-clefs de la prison ; comment la femme et le mari, trompés par mes vêtements et contents de ma figure, m’avaient offert de les servir à la place du partant ; comment j’avais pressenti que la prison était la vraie place où j’avais le plus de chance de trouver et de servir mon frère prisonnier ; comment j’avais joué de ma zampogne, dans ma chambre haute au sommet de la tour, pendant la nuit, afin de lui faire connaître, par notre air de la grotte, que je n’étais pas loin et qu’il n’était pas abandonné de tout le monde, au fond de son cachot, où il avait été jeté par les sbires ; comment le bargello m’avait appris mon service le matin et comment j’avais compris que le meurtrier c’était lui ; comment j’étais parvenue, petit à petit, à l’empêcher de pousser aucun cri en me revoyant ; comment je le verrais à présent à mon aise, et sans qu’on se doutât de rien, tous les jours ! […] Puis, en réfléchissant mieux et en me demandant comment la noce d’un contadino avec la fille du bargello avait pu trouver un pifferaro pour entrer en ville, dans une saison où il n’y a pas un seul musicien ambulant dans la plaine de Lucques, je me suis demandé à moi-même si ce musicien inconnu qui jouait pour cette noce jusqu’au seuil de la prison, n’y aurait pas été poussé par l’instinct de s’y rapprocher, un jour ou l’autre, de celui qu’elle aime, et, sans vouloir interroger personne de la prison, dans la crainte d’apprendre ainsi aux autres ce que je voulais savoir moi-même, je n’ai fait que saluer la femme du bargello sur sa porte, et j’ai passé ; mais quand la nuit a été venue, je me suis porté à dessein dans ma stalle de la chapelle voisine, et j’ai écouté de toutes oreilles si aucune note de zampogne ne résonnait dans les cours ou dans le voisinage de la prison.

617. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « De l’influence récente des littératures du nord »

Dans les Revenants, Mme Alving, dont la vie a été jusque-là une vie de foi et d’immolation chrétienne, bouleversée par l’atroce injustice de la destinée d’un fils condamné à la maladie et à la folie par les vices de son père, secoue subitement le joug de ses anciennes croyances et, du premier coup, va si loin dans cette indépendance retrouvée que, à un moment, elle n’hésite pas à pousser dans les bras du malade une servante qu’elle sait être sa sœur naturelle. […] La liaison, d’ailleurs chaste, de Rosmer et de Rébecca a poussé à la folie, puis au suicide, la douce Mme Rosmer. […] Ce significatif roman est plein des plus délirants cris d’orgueil intellectuel et moral qu’on ait jamais poussés  Et la Dame de la mer, c’est Jacques, sauf le dénouement.

618. (1828) Préface des Études françaises et étrangères pp. -

Les hommes d’un vrai talent de chaque époque sont toujours doués d’un instinct qui les pousse vers le nouveau, comme des voyageurs qui marchent sans cesse à la découverte des pays inconnus. […] Racine et Corneille ont exploité magnifiquement ces trois antiquités, en les arrangeant, sans les dénaturer, selon le goût de leur siècle ; car les poètes dramatiques (et c’est ce qui nuit beaucoup à la durée de leurs ouvrages) ne peuvent pas toujours pousser très loin la fidélité des mœurs et la vérité du langage ; ils sont obligés, pour être entendus et goûtés, de prendre, dans leur style et dans leurs caractères, une moyenne proportionnelle entre le siècle qu’ils mettent sur la scène et le siècle dans lequel ils vivent. […] Certes, si un théâtre nouveau pouvait s’ouvrir, sous la direction d’un entrepreneur intelligent, sans comité de lecture ni d’administration, sans cet encombrement d’ouvrages reçus depuis trente ans et vieillis avant de naître, avec des acteurs jeunes, disposés à jouer tous les rôles, en étudiant la pantomime expressive et la déclamation naturelle des grands acteurs anglais, les seuls qui, depuis Talma, nous aient fait éprouver des émotions tragiques ; avec la ferme volonté de ne représenter en fait de pièces nouvelles que des pièces vraiment neuves, et d’un caractère homogène ; certes, un pareil théâtre n’aurait pas besoin d’autres secours que son travail et sa bonne organisation, et il y aurait dans tout cela quelque chose de fort et de vital qui ne ressemblerait guères à la végétation expirante, à la fécondité caduque qui poussent et se perpétuent encore aux quinquets de nos coulisses.

619. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Taine » pp. 305-350

Il pousse dans les chaires. […] Taine, je crois, révéla le vrai sens dans lequel il aurait dû pousser ou laisser épanouir son talent d’écrivain. […] Ils souffrirent dès le premier coup porté à l’honneur et à la mémoire de leurs pères, et ils poussèrent un cri, bientôt étouffé ; — car il ne faut pas qu’on croie jamais mortelle la blessure dont on peut mourir !

620. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Crétineau-Joly »

Les circonstances étant donc ce qu’elles sont, un livre de l’abolition de la Compagnie de Jésus, où tout serait raconté sans fausse honte et sans condescendance sur cet Ordre et sur ses ennemis, ne pousserait-il pas à la solution que l’avenir saura dévoiler et à laquelle tant de préjugés sucés avec le lait, grandis dans le sang, s’opposent encore ? […] N’avaient-ils pas poussé le Protestantisme, — cette chose qui ne peut rien pour elle-même, parce que le sens de l’autorité lui manque et que la logique la roulera toujours, de conséquence en conséquence, aussi loin qu’il lui plaira de la rouler, — n’avaient-ils pas poussé le Protestantisme jusque par-delà toute doctrine, jusqu’à cette honteuse Négation qui n’a plus qu’à s’asseoir et à se taire dans les ténèbres ?

621. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Alphonse Daudet »

les préjugés poussent en une minute et durent des siècles, et voilà pourquoi il faut vite les étrangler. […] Ces giroflées ont la vie plus dure que les murs sur lesquels elles ont poussé ; et cela, avec le vaste génie de Balzac, de ce chef de Dévorants qui a tout dévoré, même le temps qui a suivi sa mort, est une double raison pour qu’une Étude de mœurs parisiennes, à cette heure, quelque force de rendu qu’elle ait, ne produise pas sur l’imagination l’effet profond d’une œuvre dans laquelle ces mœurs seraient saisies et exprimées pour la première fois. […] Et, après tout, ce portrait n’est-il pas poussé jusqu’au type ?

622. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — I. » pp. 431-451

Poussé par sa vocation d’historien et cherchant encore son sujet, il entreprend avec son ami Deyverdun une Histoire générale de la république des Suisses (ce même thème héroïque que Jean de Müller traitera bientôt), et Gibbon avait déjà composé l’introduction en français : il fallut que l’illustre historien David Hume le rappelât à l’idiome national, en lui disant comme Horace aux Romains qui écrivaient leurs livres en grec : « Pourquoi portez-vous le bois à la forêt ?  […] [NdA] Je crains toujours dans ces portraits de pousser à la caricature, ce qui pour quelques-uns des personnages serait facile, mais ce qui est plein d’inconvénients et ce qui dérange pour le lecteur la vraie proportion des choses.

623. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Une Réception Académique en 1694, d’après Dangeau (tome V) » pp. 333-350

Issu d’une illustre famille, et en qui l’orgueil héréditaire surpassait encore les titres, il avait poussé plus loin qu’aucun autre de ses membres cette infatuation de la naissance, mais il ne s’y était pas endormi, et avait voulu que l’évêque en lui et le saint égalât le gentilhomme, j’allais dire le prince. […] « L’abbé de Caumartin, sifflé, soufflé, pressé, poussé, excité, remué, agité, tourmenté, persécuté par je ne sais quel esprit malin à moi inconnu jusqu’ici, a fait contre moi un discours à l’Académie, critique, caustique, satirique, comique, allégorique, hyperbolique, emphatique, ironique, fanatique, fantastique, extatique, excentrique.

624. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le baron de Besenval » pp. 492-510

On décréta, sans demander à l’entendre, « qu’il perdrait sa place dans le conseil, qu’il serait condamné à 10000 livres d’amende, et qu’on lui écrirait une lettre dure par laquelle on lui ferait savoir que ce n’était qu’en faveur des services de ses ancêtres qu’on ne pousserait pas plus loin la punition. » Besenval eut le bon esprit de recevoir cet arrêt de condamnation, non en gentilhomme de Versailles, mais en homme resté de son pays et en sujet soumis aux lois. […] L’agriculture, les arts sont poussés à leur plus haut point de perfection ; le luxe, les commodités et toutes les recherches qui contribuent à l’agrément de la vie sont des moyens sûrs et faciles de s’enrichir pour les uns, tandis que les autres en jouissent ; la nation est heureuse, et l’État florissant.

625. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — I » pp. 249-267

La réflexion solitaire, si forte qu’on la suppose, est faible contre cette multitude d’idées qui de tous côtés, à toute heure, par les lectures, les conversations, viennent l’assiéger… Tels que des flots dans un grand fleuve, nous avons chacun un petit mouvement, et nous faisons un peu de bruit dans le large courant qui nous emporte ; mais nous allons avec les autres, et nous n’avançons que poussés par eux. […] Taine ne craint pas de forcer ses idées en les promulguant : « Selon la coutume des novateurs, a-t-il dit de l’historien philosophe Niebuhr, il pousse la vérité jusqu’à l’erreur : exagérer est la loi et le malheur de l’esprit de l’homme : il faut dépasser le but pour l’atteindre.

626. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. (Suite et fin) »

Rousset a, dès l’origine, une théorie du caractère et de la fonction de Louis XIV, qui est celle des opposant et des mécontents, et que je ne crois pas très justifiée, si on y regarde de près : « Louis XIV, nous dit-il, avait, comme Philippe II, le goût des détails ; ses ministres encouragèrent ce goût et le poussèrent même à l’excès ; en trompant par la multiplicité des affaires un appétit de travail qui était réel et sérieux, ils l’assouvissaient d’abord par les petites et tenaient les grandes en réserve ; mais toutes lui étaient présentées. […] Il faut l’entendre, avant tout, parler de la chose sur laquelle il a le plus droit d’être écouté, de celle qu’il a le mieux sue et qu’il avait le plus à cœur de posséder et de faire dignement, l’office et la fonction de la royauté ; soit qu’il songe à son fils dans ses instructions, soit que plus tard il s’adresse à son petit-fils partant pour régner en Espagne, il excelle à définir dans toutes ses parties ce personnage qu’il a su le mieux être, qu’il a été le plus naturellement et comme par une vocation spéciale, le personnage de souverain et de roi. il faut l’entendre encore dans cette Conversation devant Lille (qui se lit dans les Œuvres de Pellisson), parlant dans l’intimité, mais non sans quelque solennité selon sa noble habitude, de son amour pour la gloire, du sentiment généreux qui l’a poussé à s’exposer et à paraître à la tranchée et à l’attaque comme un simple mortel, comme un soldat : « Il n’y a point de roi, pour peu qu’il ait le cœur bien fait, disait-il, qui voie tant de braves gens faire litière de leur vie pour son service, et qui puisse demeurer les bras croisés. » On retrouve là à l’avance, dans la bouche du monarque, quelques-unes des belles pensées de Vauvenargues sur la gloire, avec un peu plus d’emphase, mais non moins de sincérité.

627. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Charles-Quint après son abdication, au monastère de Saint-Just »

Car, quoiqu’il fût très fier de sentiments et de langage, Charles-Quint, outre qu’il aimait « la vérité dans sa simplicité », avait cela du vrai politique de ne point pousser les choses à l’extrême et de ne pas substituer avant tout l’orgueil à l’intérêt. […] Après donc avoir donné ses soins à réparer ses affaires, à les régler une dernière fois et à les remettre sur un pied suffisant, il se retirait en prudent et en sage sur un dernier bon semblant de fortune, sur un succès modeste, sans pousser plus avant les chances, sans trop demander au sort, et, sans se soucier d’ailleurs des discours et propos, mêlés de sourire, qu’en tiendraient immanquablement entre eux les ennemis et les jaloux.

628. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Histoire de Louvois par M. Camille Rousset. Victor-Amédée, duc de Savoie. (suite et fin.) »

A l’entendre, si sa mère le poussait trop loin et prétendait lui imposer plus que des conseils, lesquels il serait toujours ravi de recevoir ; si l’on oubliait pourtant qu’il était majeur enfin et voulait être maître, il ne demandait pour juge et arbitre en ce conflit que le roi lui-même, ajoutant : « Qu’il ne pouvait, croire que le roi voulût empêcher un prince légitime de gouverner ses États ; qu’il lui enverrait quelqu’un de confiance pour lui marquer son zèle et son respect ; qu’il n’entrerait jamais dans d’autres intérêts que les siens ; qu’il ne se marierait que de sa main, et que, se tenant dans ces termes et que faisant encore plus pour son service que n’avait fait Madame Royale, il était persuadé de n’être point désapprouvé de lui dans les démarches qui pouvaient lui donner à lui-même un peu de considération. » Il allait plus loin à certains moments, et comme s’il avait obéi à un élan de son cœur : « Eh bien ! […] Poussé à cette extrémité, Victor-Amédée a pris son parti ; il feint une dernière irrésolution, endort un instant Catinat, et cependant il fait appel à son peuple, il fortifie Turin ; il tentera le sort des batailles.

629. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Mémoires de madame Roland »

Cousin, qui a poussé à fond l’application de sa doctrine à propos des papiers de Pascal et qui l’a proclamée sur tous les tons jusqu’à en faire une sorte d’article de foi littéraire, a-t-il trouvé mauvais, par exemple, que dans la publication du Journal intime de Maine de Biran, on ait retranché tous les passages où lui, M.  […] Nous avons vu de quelle nature étaient les reproches adressés par la Décade et par les contemporains amis au premier éditeur : écoutons le dernier éditeur maintenant, et admirons la contrariété des points de vue : « Nous avons poussé le scrupule, dit M. 

630. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Leckzinska (suite et fin.) »

Il semble qu’ils se soient défiés de l’insipidité comme d’un écueil : ils ont poussé au piquant53. […] Les unes prirent des couleurs plus modestes, les autres baissèrent leurs coiffures, d’autres mirent moins de rouge ; enfin les vieilles dames poussèrent la prudence jusqu’à replacer dans leurs cheveux le bec noir. » Le bec noir est un détail de toilette qui demanderait tout un commentaire. — Mais n’ai-je pas raison de dire que la méchanceté de cette date (celle du Méchant de Gresset), dans toute son allure féminine et avec sa griffe la plus fine, nous a été conservée dans ce passage.

631. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre (suite et fin) »

Noailles a le mérite de pousser le comte de Saxe contre lequel Louis XV faisait d’abord quelques objections, se méfiant de lui à cause de sa qualité d’étranger : « Les officiers, Sire, qui se portent vers le grand sont aujourd’hui si rares que, dans l’opinion que j’ai du comte de Saxe, je le regarde aujourd’hui comme un homme précieux pour votre État, qui mériterait des distinctions particulières s’il était né votre sujet ; qui, étant étranger, en mérite encore de plus grandes, afin de l’attacher plus étroitement à Votre Majesté. Il a de l’élévation dans l’esprit et des sentiments dans le cœur… » Et l’on peut remarquer, à ce propos, que le maréchal de Noailles avait le talent de ne pas choisir trop mal ses amis : sous la Régence, il avait adopté le chancelier d’Aguesseau et se l’était étroitement attaché et acquis ; en 1743, il poussait le comte de Saxe.

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