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730. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre II »

Le télescope aurait pu encore, sans aucun danger, être appelé tube ou tuyau ; c’est ce dernier nom qu’il eût sans doute reçu, si le peuple avait été appelé à le baptiser14. […] Par peuple, en linguistique, il faut entendre, sans distinction de classe, de caste, ou de couche, l’ensemble du public, tel que livré à lui-même et usant de la parole sans réflexion analytique.

731. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre VI »

Les mots grecs : il semble que, vomis par les cartons de Flaxman, des guerriers vêtus d’un seul casque à balai fassent la cour à des marquises ou à des grisettes ; qu’ils rentrent dans leurs cartons, qu’ils réintègrent leurs musées et continuent, rouges autour des vases noirs, leurs éternels gestes, ou que, résignés à la loi du milieu, ils se fassent, par le costume et par l’accent, les fils du peuple où ils se sont introduits. […] À Paris, le peuple a résolu la question, en ce qui touche à ce dernier mot ; il dit trésoriser, sans malice, mais qu’elle est bonne, cette leçon de l’instinct !

732. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 19, qu’il faut attribuer aux variations de l’air dans le même païs la difference qui s’y remarque entre le génie de ses habitans en des siecles differens » pp. 305-312

Voilà pourquoi, par exemple, les italiens seront toujours plus propres à réussir en peinture et en poësie que les peuples des environs de la mer Baltique. […] Quand les corps deviennent plus foibles et plus sensibles aux injures de l’air, il s’ensuit qu’un peuple doive changer quelque chose dans ses moeurs et dans ses coutumes, ainsi qu’il le feroit si le climat étoit changé.

733. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1866 » pp. 3-95

Pour ce monde de femmes pâles aux paupières fardées, le monstre est l’image habituelle, familière, aimée, presque caressante, comme est pour nous la statuette d’art sur notre cheminée : et qui sait, si ce peuple artiste n’a pas là son idéal ? […] * * * — C’est le paradis moderne pour le peuple que ces pièces à grand spectacle du boulevard. […] Ils croient que cet amour du Roi n’était que la bassesse des peuples. […] — n’est-ce pas le style du moyen âge, le sentiment de cet art, qu’on croirait par moments n’avoir eu pour modèle qu’un peuple de figures à demi formées et comme une race de vivants embryonnaires ? […] Et, dans le peuple de gobeurs du monde et de la rue, qui ont leur catéchisme tout fait sur la prise de la Bastille, combien savent le nombre de prisonniers que ces terribles et dévorants cachots ont lâché à la lumière ?

734. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre III. Les immoralités de la morale » pp. 81-134

Il est déjà très difficile de savoir ce qui convient le mieux à tel peuple donné, à un moment donné. […] Chaque institution doit être examinée dans ses rapports, non point avec un idéal abstrait ou supposé réel, mais avec le peuple qui la possède. Cela n’empêche point d’étudier ensuite la valeur relative des peuples divers, mais c’est une question différente. On verra peut-être ainsi jusqu’à quel point une morale, théorique ou réalisée, correspond aux besoins réels d’un peuple, jusqu’à quel point elle repose sur une fausse conception de l’état social. […] Peut-être le peuple au profit de qui se fera la trahison, s’il a plus d’infatuation que de préjugés.

735. (1908) Dix années de roman français. Revue des deux mondes pp. 159-190

Ils ont prétendu, de plus, montrer en eux l’action des forces sociales et nous faire surprendre les transformations que le travail des idées et que les vicissitudes des mœurs ont opérées dans la vie d’un peuple ou dans l’histoire d’une race. […] C’était bien ici l’occasion de réunir toutes les âmes individuelles de ce peuple, pour en faire jaillir l’âme collective ! […] Aux déclamations des sophistes qui aspirent de plus en plus à un régime opposé à tout ce qui fut la vie sociale de jadis, l’auteur des Amitiés françaises a répondu par la calme revendication du grand principe fondamental de toute son éthique : « à savoir : que le respect de la tradition est essentiel dans la vie d’un peuple ; qu’il y a entre les générations comme entre les individus d’une même race une solidarité qui est la principale source de leur énergie ; que c’est dans le sol même de la patrie que les racines d’un peuple vont chercher la sève ». […] La thèse des Morts qui parlent est que les hommes qui, aujourd’hui, sont censés représenter le peuple au parlement, ne sont que des fantoches incarnant les idées des conventionnels. […] René Bazin, en même temps qu’il élargissait sa vision, éclairait son œuvre à la lumière d’une philosophie plus grave, envisageait la vie avec plus de hardiesse, et s’attachait à mettre le roman social à la portée du peuple.

736. (1856) Mémoires du duc de Saint-Simon pp. 5-63

Les seigneurs vont à lui ; il est père de son peuple. Et qu’est-ce que son peuple, sinon les gentilshommes1 ? […] De là une échelle immense, le roi au sommet, dans une gloire surhumaine, sorte de dieu foudroyant, si haut placé, et séparé du peuple par une si longue suite de si larges intervalles, qu’il n’y avait plus rien de commun entre lui et les vermisseaux prosternés dans la poussière, au-dessous des pieds de ses derniers valets. […] Dans ce peuple d’admirateurs il est déplacé ; il n’a point l’enthousiasme profond ni les genoux pliants. […] Tout en restant grand seigneur, il est peuple ; sa superbe unit tout ; que les bourgeois épurent leur style, prudemment, en gens soumis à l’Académie, il traîne le sien dans le ruisseau en homme qui méprise son habit et se croit au-dessus des taches.

737. (1730) Discours sur la tragédie pp. 1-458

Dans le premier : ce senateur accusé par les tribuns, défendu par les consuls et par les citoyens qu’il a sauvés, et enfin condamné par le peuple à un exil perpétuel. […] Il y a dans une même langue deux ordres différents de tours et d’expressions qui caractérisent les grands et le peuple. […] Vous vous recriez d’abord qu’un peuple sensé ne sauroit ne pas être ami des regles. […] Vous n’avez pas encore assez fait, dit-il au peuple. […] Quoiqu’il en soit, les peuples se sont imposé différentes mesures.

738. (1894) Études littéraires : seizième siècle

11 vient d’un peuple. Quel est ce peuple, quel tempérament, quelles tendances et quelles ressources ?  […] Nous avons vu ce qu’il dit des peuples habitant les pays froids. […] L’unité de Dieu a été un paradoxe ; la souveraineté du peuple a été un paradoxe. […] Il a choisi son peuple entre mille autres dans l’antiquité.

739. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLIXe Entretien. L’histoire, ou Hérodote »

Le peuple ajouta à ces honneurs des gratifications pécuniaires. […] Vous vous montrez aujourd’hui riche et puissant à mes yeux ; je vous vois roi d’un grand peuple ; cependant, je ne dirai pas de vous ce que vous me demandez de dire, jusqu’à ce que j’apprenne que votre vie a fini heureusement. […] Quand cette belle femme parut, elle excita vivement l’attention de Darius, l’attirail dans lequel elle se montrait n’étant dans les mœurs ni des femmes perses, ni de celles de Lydie, ni enfin d’aucun peuple de l’Asie. […] Les Grecs, rangés par ordre de peuples, prirent part tour à tour à ces divers combats, à l’exception cependant des Phocidiens, qui, placés sur la montagne en gardaient les sentiers. […] L’histoire est la foi des peuples : il n’y en avait plus que dans les sanctuaires ou dans les colléges des prêtres : aussi c’était là qu’il cherchait ses traditions pour les discuter.

740. (1902) La formation du style par l’assimilation des auteurs

Tout est tombeau chez un peuple qui nés plus. […] Étudions un dernier exemple : Un peuple entier se soumet à la tyrannie. […] Nous serions instruits par l’un et conduits par l’autre, et cela seul décideroit de la préférence : car on n’a jamais fait un peuple de sages, mais il n’est pas impossible de rendre un peuple heureux. […] Peuple vertueux, on se sert de tes malheurs pour t’opprimer ! […] A Carthage, gouvernée par des abus, le peuple voulait tout faire par lui-même.

741. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome I

Il éprouve qu’il fait partie d’un grand peuple. Il éprouve aussi qu’il a devant lui un peuple différent. […] C’est manquer à l’engagement pris, se déshonorer, soi et son peuple. […] Ce peuple-là, Augustin Cochin n’y croit pas. […] Augustin Cochin, contre-révolutionnaire par amour du peuple, privilégié par la naissance, la fortune et l’intelligence, qui a donné sa vie pour le peuple, parmi des gens du peuple, illustre d’une manière bien frappante cette antithèse.

742. (1890) Journal des Goncourt. Tome IV (1870-1871) « Année 1871 » pp. 180-366

» dit un homme du peuple, en courant. […] C’est au fond une curiosité indifférente de tous : bourgeois et ouvriers, femmes du monde et du peuple. […] Et la grande faute de Thiers, est d’avoir admis dans son ministère, les hommes dont l’incapacité semble au peuple une trahison. […] Parce que la formule « les peuples sont des frères », a fait son chemin, même en ce temps d’invasion et de cruelle défaite. […] Faut-il que la France soit un peuple de gogos, pour avoir gobé cet homme à idées sans idées, ce puffiste d’antithèses !

743. (1916) Les idées et les hommes. Troisième série pp. 1-315

Le peuple de Germanie est essentiellement civilisateur. […] Tous les peuples d’Europe, un seul excepté, le nôtre. […] Enfin, Bernhardi examine le groupement des peuples. […] C’est un peuple qui ne se résout pas à demeurer chez lui ; c’est un peuple de proie. […] On se passionne pour « la cause des peuples ».

744. (1874) Premiers lundis. Tome I « Bonaparte et les Grecs, par Madame Louise SW.-Belloc. »

Mais il semble d’abord qu’à part cette juxtaposition chronologique, tout autre rapprochement entre cet homme et ce peuple doive être plus ingénieux que réel, plus académique qu’historique, l’apparition et la fortune de Bonaparte, en effet, se rattachent à des causes toutes modernes et très générales, à la Révolution française, à la disposition de l’Europe. […] Il est beau, il est consolant sans doute de voir, dans les mouvements des peuples, les inspirations de l’esprit de Dieu, et, dans le sentiment qui les pousse au bien-être, la marque infaillible et divine qu’ils l’atteindront ; il serait doux de penser que les obstacles apparents contre l’affranchissement des Hellènes n’en sont que des moyens dans l’ordre de la providence ; qu’Ali-Pacha, par exemple, a servi la Grèce en détruisant les Armatolikes et en renversant les peuplades libres ; que surtout les puissances d’Europe la servent par leur politique indifférente ou ennemie ; que la Russie la sert, que l’Autriche la sert, que la France et Soliman-bey aident à son triomphe : tout cela, encore une fois, serait doux à croire.

745. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 348-356

Il y aura toujours bien de la différence, entre un homme à qui l’Histoire de tous les Peuples & de tous les Siecles étoit si présente, & un Ecrivain qui a défiguré l’Histoire de tous les Peuples & de tous les Siecles.

746. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 12, qu’un ouvrage nous interesse en deux manieres : comme étant un homme en general, et comme étant un certain homme en particulier » pp. 73-80

Le sujet qui renferme les principaux évenemens de l’histoire d’un certain peuple est plus interessant pour ce peuple-là, que pour une autre nation.

747. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « Remarques finales. Mécanique et mystique »

Remarquons que l’art de gouverner un grand peuple est le seul pour lequel il n’y ait pas de technique préparatoire, pas d’éducation efficace, surtout s’il s’agit des plus hauts emplois. […] Ce qui le serait pour nous davantage, si nous n’étions avertis du dimorphisme de l’homme social, c’est que le peuple lui-même soit convaincu de cette supériorité innée. […] L’ensemble des citoyens, c’est-à-dire le peuple, est donc souverain. […] Quelque mécanisme de ce genre semble vraiment fonctionner pour les horreurs de la guerre, surtout chez les peuples jeunes. — La nature a pris de ce côté d’autres précautions encore. […] Pendant des années les peuples civilisés dépensèrent une bonne partie de leur effort extérieur à se procurer des épices.

748. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Quelques documents inédits sur André Chénier »

Les superstitions prirent la teinture de l’esprit des peuples, c’est-à-dire des climats. […] De là souvent un peuple qui aime à rire ne voit que diable et qu’enfer. » Il se réservait pourtant de grands et sombres tableaux à retracer : « Lorsqu’il sera question des sacrifices humains, ne pas oublier ce que partout on a appelé les jugements de Dieu, les fers rouges, l’eau bouillante, les combats particuliers. […] Le peuple prit au propre ce qui était dit au figuré. […] que de l’ingratitude Un peuple tout entier peut se faire une étude, L’établir pour son culte, et de Dieux bienfaisants Blasphémer de concert les augustes présents. […] Tout ce peuple hébété que nul remords ne touche, Cruel même dans son repos, Vient sourire aux succès de sa rage farouche, Et, la soif encore à la bouche, Ruminer tout le sang dont il a bu les flots.

749. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIe entretien. Poésie lyrique » pp. 161-223

Aucune victoire n’est complète qu’après que le Te Deum , qui pousse l’armée et le peuple au pied des autels du Dieu de la patrie, a porté ses notes triomphales et reconnaissantes jusqu’au ciel ! […] La mer du peuple bouillonnait à leur approche. […] C’était l’eau de feu de la Révolution qui distillait dans les sens et dans l’âme du peuple l’ivresse du combat. Tous les peuples entendent à de certains moments jaillir ainsi leur âme nationale dans des accents que personne n’a écrits et que tout le monde chante. […] Strasbourg doit avoir bientôt une cérémonie patriotique ; il faut que de Lisle puise dans ces dernières gouttes un de ces hymnes qui portent dans l’âme du peuple l’ivresse d’où il a jailli. » Les jeunes femmes applaudirent, apportèrent le vin, remplirent les verres de Dietrich et du jeune officier jusqu’à ce que la liqueur fut épuisée.

750. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIe entretien. La passion désintéressée du beau dans la littérature et dans l’art. Phidias, par Louis de Ronchaud (1re partie) » pp. 177-240

Entre les racines de ces hautes montagnes circulent des vallées et des plateaux qui furent la Franche-Comté, pays militaire de nature parce qu’il est pays frontière, pays républicain de caractère parce qu’il est à lui tout seul un peuple indépendant, le canton libre d’une Suisse française ; les Huns le peuplèrent au temps où les migrations orientales, puis germaniques franchirent le Danube et le Rhin, cherchant de l’espace à l’occident pour leurs troupeaux, et de la liberté dans des sites forts. […] Son père, gentilhomme franc-comtois, attaché aux Bourbons par leurs droits traditionnels, et surtout par leurs malheurs, fut élu par le peuple à la chambre des députés en 1816, pour représenter le pays. […] XXXI Quoique fort jeune en 1848, le poète de Saint-Lupicin, bien qu’issu comme moi de souche royaliste, fut convoqué par le peuple de son pays à venir au secours de la France sous la forme, alors la seule possible, d’une république de droit commun, sans privilège, sans dictature, et par conséquent sans proscriptions et sans échafauds. […] La république était l’idéal du beau platonique en matière de gouvernement, elle était de plus, alors, l’apothéose de la liberté sans tache, l’épreuve à faire de la raison d’un grand peuple voulant se gouverner par lui-même, puisque tous ses gouvernements tombaient d’eux-mêmes sous leur propre poids. […] C’est la lueur de cette lampe nocturne, aperçue des villageois et des bergers de la montagne, qui faisait dire à ces pauvres gens, dans leurs veillées, ce que disent les paysans d’Allemagne allant à l’église pendant la nuit de Noël, en passant sous la tour de Faust : « Que fait donc notre jeune maître à cette heure dans sa chambre haute, seul ainsi toute la nuit avec les esprits, pendant que la cloche sonne et que le peuple chante en chœur à l’église : le Christ est ressuscité ? 

751. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre I. Le broyeur de lin  (1876) »

Cette dernière comprenait, dès l’époque de l’invasion, les chefs de paroisse, les premiers du peuple, de même race que lui, possédant par héritage le droit de marcher à sa tête et de le représenter. […] La veille de la fête, le peuple se réunissait le soir dans l’église, et, à minuit, le saint étendait le bras pour bénir l’assistance prosternée. […] Tout était peuple en elle, et son esprit naturel donnait une vie surprenante aux longues histoires qu’elle racontait et qu’elle était presque seule à savoir. […] Ce qu’il y a de plus particulier chez les peuples de race bretonne, c’est l’amour. […] Rien ne ressemble moins au feu des peuples méridionaux.

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