Banquet sacré, banquet du peuple, celui que rêvait Michelet.
Plus tard, c’est le riche que le romancier mettra en contact avec le pauvre (Balzac), le patron avec l’ouvrier, le peuple avec la bourgeoisie, pour instituer ce que Zola veut qu’on appelle des expériences. […] Voici la familiarité et le langage imagé du peuple : Quand on n’a pas mangé, c’est très drôle. — Savez-vous, la nuit, quand je marche sur le boulevard, je vois des arbres comme des fourches, je vois des maisons toutes noires grosses comme les tours de Notre-Dame, je me figure que les murs blancs sont la rivière, je me dis : Tiens, il y a de l’eau là ! […] De peuple à peuple, chacun sait comment on se traite. […] Personnellement, j’ai au plus deux romans sur le peuple, et j’en ai dix sur la bourgeoisie, petite et grande.
Cela ne démoralisera point le peuple. […] Quoique aristocrate en une certaine mesure, Rousseau aime le peuple, sa simplicité, sa franchise, sa bonhomie, sa douceur ordinaire, sa proximité de la bonne nature : les gens du peuple qui apparaissent dans ses romans, dans la Nouvelle Héloïse, dans l’Émile, dans les Confessions, sont de très honnêtes gens. […] L’homme du peuple, dans Molière, apparaît rarement et il n’y apparaît guère à son avantage. […] Observez les petits hommes du peuple dans une école primaire ou les petits bourgeois dans un lycée. […] Cette passion est si naturelle qu’on la trouve à tout instant dans le peuple.
Vous êtes là quelques usurpateurs qui expropriez la masse du peuple, et quand vous serez gorgés, nous n’aurons qu’à vous exproprier à notre tour… Tout accaparement, toute centralisation conduit au collectivisme. […] — Vous reconnaissez le peuple américain pour le peuple le plus logique de la terre et dès que vos romanciers, auteurs dramatiques et journalistes ont à attribuer une folie quelconque à un personnage, c’est presque toujours sur le dos d’un Américain qu’ils la mettent ! […] Ce n’est pas seulement les erreurs françaises sur les habitudes et le tempérament du peuple anglais, que M. […] Aucun des deux peuples ne peut supporter de voir l’autre libre et prospère. […] Je regrette de ne pouvoir donner idée des mille observations qui fourmillent dans ce livre et dont celles qui concernent la moralité des deux peuples offrent le plus grand intérêt.
Le romancier gracieux, qui a si souvent introduit dans ses ouvrages des figures de personnages aristocratiques en y mêlant une fine pointe d’ironie, n’a eu cette fois qu’à imaginer un personnage de plus, celui d’un homme de lettres né dans les rangs du peuple, aussi peu né que possible, mais avec des goûts distingués et une vocation d’homme de qualité, qui eût été abbé dans l’ancien régime, qui eût été toute sa vie le gentil abbé de l’hôtel d’Uzès et à qui il n’a manqué de nos jours, pour remplir cette destinée d’autrefois, que le titre et le petit collet.
Ce caractère si peu naturel, ce nous semble à nous autres de sang-froid, était pourtant devenu si naïf chez eux, qu’ils ne le démentirent jamais ; tels ils avaient été à la tribune et au club, tels ils furent à la barre et sur la charrette, se drapant et déclamant encore ; gladiateurs du peuple, ils luttèrent dans l’arène jusqu’au bout, et tombèrent avec grâce.
C’est une veine inégale, capricieuse, qui court et roule bons et méchants mots, érudition et lazzi, dictons du peuple et centons latins : il y a du l’Intimé aux mauvais endroits ; aux excellents, c’est beau comme le paysan du Danube, mais comme le paysan du Danube qui aurait fait ses études du temps d’Étienne Pasquier, à l’Université de Paris.
Elle est envahie par les misères du siècle, par la brutalité, l’ignorance, la superstition, et son peuple de moines appelle sans cesse la colère et le zèle des réformateurs.
Phidias s’érigeait sur l’Acropole et s’imposait au peuple comme une manifestation divine.
Toute société, avant d’être réalisée, existe à l’état de rêve, de conception, de désir ; et cela devient de plus en plus vrai à mesure que les peuples prennent d’eux-mêmes et de leurs besoins une conscience plus claire.
« Ce n’est pas à un prêtre, à un archidiacre à qui j’ai affaire, mais bien à un bouffon, à un misérable pédant, sorti de la lie du peuple, & qui, d’enfoncé qu’il étoit jusqu’aux oreilles dans la boue & dans les ordures du collège, a obtenu, par je ne sçais quels moyens, des bénéfices qui l’ont tiré de la misère où sa naissance l’avoit jetté. » Cette réplique infâme étoit sous presse.
Il a fallu que le christianisme vînt chasser ce peuple de faunes, de satyres et de nymphes, pour rendre aux grottes leur silence, et aux bois leur rêverie.
Chaque peuple a ses signes de vénération ; et il me semble que l’action de joindre les mains n’est ni des idolâtres anciens, ni des juifs, ni même des premiers chrétiens.
Renan lui sait gré de s’être parfois plié pour que son peuple de professeurs ne fût pas accablé.
Nous ferons voir d’une manière claire et distincte comment les fondateurs de la civilisation païenne, guidés par leur théologie naturelle, ou métaphysique, imaginèrent les dieux ; comment par leur logique ils trouvèrent les langues, par leur morale produisirent les héros, par leur économie fondèrent les familles, par leur politique les cités ; comment par leur physique, ils donnèrent à chaque chose une origine divine, se créèrent eux-mêmes en quelque sorte par leur physiologie, se firent un univers tout de dieux par leur cosmographie, portèrent dans leur astronomie les planètes et les constellations de la terre au ciel, donnèrent commencement à la série des temps dans leur chronologie, enfin dans leur géographie placèrent tout le monde dans leur pays (les Grecs dans la Grèce, et de même des autres peuples).
Et il énumère toutes les zizanies d’alentour, classiques et romantiques, grétristes et rossinistes, Grecs et Turcs ; à propos de ces deux peuples alors aux prises il disait : Qu’êtes-vous sous ce beau ciel Que réfléchit l’Archipel, Turcs si doux et si polis, Et vous, soldats de Miaulis ? […] Pascal a dit hardiment : « Il faut avoir une porte de derrière et juger de tout par là : en parlant cependant comme le peuple. » Béranger a eu cette porte de derrière dans la chanson : il a su y introduire toute une armée par la poterne, toute une race de héros et de vainqueurs comme dans une Ilion. […] En vain dans son Appel aux Français soupirait-il d’un demi-ton de plainte : Peuple français, la politique T’a jusqu’ici fort attristé ; Rappelle ta légèreté, Ton antique Joyeuseté !
Outre le caractère religieux qu’elle revêt et qui la distingue, ce qu’a de particulier le rôle de Mme de Krüdner entre tous les enthousiasmes teutoniques d’alors, c’est qu’elle s’appuie plutôt sur l’extrême Nord, sur la Russie, et, comme elle le dit, sur les peuples de l’Aquilon ; elle les concilie dans son cœur avec un ardent amour de la France. […] « Dites aux peuples étonnés que les Français ont été châtiés par leur gloire même ; dites aux hommes sans avenir que la poussière qui s’élève retombe pour être rendue à la terre des sépulcres ! […] Vous n’êtes point captive dans les liens de la mort, comme tout ce qui n’a eu que le domaine du mal pour régner ou pour servir. » Et elle finit en montrant la Croix laissée dans ces lieux comme un autel magnifique qui doit tout rallier, et qui dira : « Ici fut adoré Jésus-Christ par le héros et l’armée chère à son cœur : ici les peuples de l’Aquilon demandèrent le bonheur de la France. » Ces pages expriment clairement en quel sens Mme de Krüdner concevait et conseillait la sainte-alliance ; mais ce qui était son rêve, ce qui fut un moment celui d’Alexandre, se déconcerta bientôt, et s’évanouit en présence des intérêts contraires et des ambitions positives, qui eurent bon marché de ces nobles chimères.
Jouffroy sur les Lettres de Jacopo Ortis, inséré au Courrier Français en 1819, je trouve exprimé à nu, et avec une fermeté de style à la Salluste, ce sentiment d’opposition aux conquêtes et à la force militaire : « Un peuple ne doit tirer l’épée que pour défendre ou conquérir son indépendance. […] Le nom seul subsista quelques années, pour accréditer auprès du peuple des chefs ambitieux et servir d’instrument à l’établissement du despotisme. […] Il cherchait à tirer des antécédents historiques, des conditions géographiques et de l’esprit religieux des peuples, la loi de leur mouvement et de leur destinée.
J’ai vu régner Dorat et Parny préféré à Tibulle, et puis je les ai vu reléguer sans souvenir au nombre des poëtes à fantaisies, jouets d’un peuple sans mémoire ; j’ai vu couronner Chateaubriand vêtu de la pourpre de son style : j’ai vu mourir Béranger dans sa gloire aux sons de ses grelots bachiques et politiques ; j’ai vu, et pour peu que je vive, j’en verrai bien d’autres encore : ne nous faisons pas nos dieux éternels, car ce sont les dieux du temps qui souvent n’a pas de lendemain ; jouissons de tout ce qui nous charme dans les différents chefs-d’œuvre dont nos contemporains nous charment ; mais ne répondons ni d’eux ni de nous devant la postérité. […] … Non, non ; ne peult durer tant coulpable vertige : Ô peuple Franc, reviendraz à ton roy ! […] se rompoist ton funeste sommeil, Quand te voyraz marchier sur taz fumants de cendre, Peuple esgaré… quel sera ton réveil ?
Il est arrivé au peuple d’oc ce qui serait arrivé à la France tout entière si nous avions été écrasés par les Allemands voici un peu plus d’un lustre : la langue teutonne nous eut été imposée, nous nous serions accoutumés plus ou moins vite à cette contrainte vitale pour des vaincus, mais il est sûr que, de bien longtemps, les poètes d’origine française n’auraient pu rivaliser de talent, de science, — et de gloire, — avec leurs confrères strictement germains. Un peuple qui oublie sa langue ne mérite que l’anéantissement, a dit Mistral ; qu’il l’oublie, c’est vilain et néfaste ; si on la lui supprime brutalement, l’honneur est sauf, mais, à cela près, le résultat est le même. […] (On ne peut s’empêcher de remarquer combien les conversations des femmes du peuple, dans notre Provence, même quand elles parlent français, trahissent plus d’idées, d’associations d’idées, que celles de nos campagnes et de nos villes du nord de la Loire.)
Les poètes étaient jadis les législateurs des peuples : ne seraient-ils de nos jours que leurs histrions ? […] Quand il les refuse à une nation, c’est qu’il veut qu’elle meure, car les grands écrivains ne sont pas seulement la gloire d’un peuple, ils en sont l’âme et la vie ; ils en sont même l’immortalité ! […] Le goût peut-il être une loi souveraine et universelle qu’on doive appliquer indistinctement à tous les peuples, à tous les âges !
Elles peuvent, à l’occasion, se prêter mutuelle assistance ; et c’est pourquoi il importe de noter avec soin, aux divers moments de l’existence d’un peuple, la nature des relations qu’elles ont ensemble. […] Sully Prudhomme, dans son noble poème de la Justice, a condensé en un dialogue tragique l’antagonisme de ces deux voix que l’homme moderne entend retentir au fond de sa conscience ; l’une est celle de la science, implacable et sereine, qui renverse sans pitié les vieilles idoles, les croyances chères à l’enfance des peuples, les préjugés enracinés par une longue accoutumance ; l’autre est celle du cœur qui proteste, qui tantôt a peur de ce bouleversement, s’attendrit sur les choses détruites, proclame l’inutilité du savoir humain et conseille au chercheur de s’endormir dans le plaisir et l’insouciance, tantôt se révolte, taxe la science d’impie, l’accable d’invectives passionnées, l’accuse de désenchanter la vie, d’anéantir le bonheur et la vertu. […] Les peuples enfants ont raisonné ou déraisonné de même ; ils se sont représenté la foudre lancée par une main irritée, le vent déchaîné par le souffle d’une bouche divine, la mer soulevée par une puissance à la fois individuelle et surhumaine.