Ses yeux brillaient de fièvre en racontant ce que le 20e corps avait fait. […] Nous avons voulu vous oublier, ô Jésus, et vous avez mis de force la mort devant nos yeux. […] Ils auront les yeux fixés sur moi. […] Et, tandis que les mitrailleuses allemandes balayent la plaine, François de Torquat, une jambe broyée, les yeux tournés vers le Christ des tranchées, renouvelle son sacrifice pour la France et pour les siens.
La grande ville exerce un attrait prodigieux, même sur les petites gens dont la vie est rude, fatigante, excédante ; elle possède un charme spécial, dont l’idée n’est pas nécessairement liée à celle de plaisir, mais qui consiste peut-être dans la perpétuelle activité où l’on se sent plongé, dans l’incessante distraction de l’esprit et des yeux qui n’aperçoivent plus aussi bien la fuite des jours, dans la facilité et l’urbanité des relations, dans leur fragilité même qui les renouvelle, en somme dans les moyens que l’homme y trouve d’échapper à lui-même. […] « Pour des vers faits dans la province, ces vers-là sont fort beaux », disait Molière, que Gresset devait copier outrageusement, en composant ce vers facile et célèbre : Elle a d’assez beaux yeux pour des yeux de province. […] Et si, par exemple, vous allez au mois d’août dans les marais salants de la Loire-Inférieure, vous assisterez à un mariage, un seul, en grand costume local, à un vrai mariage de paludier et de paludière, mais qu’on peut dire toujours le même, car les costumes, en nombre limité, jamais renouvelés, servent à toute la paroisse, se prêtent entre voisins et voisines, entre parents ou camarades, et ne sortent des coffres qu’un seul jour d’été, sous les yeux agrandis des badauds qui payent les frais de la noce.
La fonction de Rome était à leurs yeux de concentrer l’univers : « Fiebat orbis urbs », dit Varron. […] Rappelons d’abord qu’en tout état de cause l’unification des sociétés n’est nullement à nos yeux la raison suffisante de leurs tendances égalitaires, mais une des conditions, entre beaucoup d’autres, qui favorisent le succès de ces tendances. […] Les grandes villes, foyers désignés des idées démocratiques, y sont, nous l’avons vu, plus rares que dans le reste de l’Europe. — Il est vrai que, sous nos yeux, de jour en jour, des centres populeux se forment jusque dans l’Empire des tsars ; toutes les industries russes, et en particulier celle des transports, se perfectionnent peu à peu207. […] Les progrès de l’unification américaine accompagnent sous nos yeux les progrès de la démocratie.
Les costumes, les uniformes, les appellations étonnent les oreilles comme les yeux ; la vieille armée humiliée et grondeuse ne se peut empêcher de rire. […] Comme dans une moralité satirique de la fin du Moyen Âge, le vieux monde qui se réveille, et qui, mal éveillé encore, se frotte les yeux, fait toutes sortes de maladresses et de balourdises, et cogne à tout coup le nouveau monde, qu’il croit absent, évanoui, et qu’il rencontre à chaque pas sans vouloir le reconnaître. […] Malgré le budget déjà équilibré et les justes combinaisons financières du baron Louis, malgré les succès diplomatiques de M. de Talleyrand à Vienne, les deux côtés honorables de 1814, et qu’il nous fait si bien connaître ; malgré ces compensations qui n’étaient pas sensibles aux yeux du public, l’historien nous montre la situation intérieure comme s’étant peu à peu délabrée d’elle-même et comme étant devenue par degrés désespérée.
Ce jeune homme à l’œil ardent, à la parole inspirée, au geste quasi prophétique, qui parlait de la spiritualité de l’âme avec enthousiasme et qui semblait recéler prématurément en lui un germe mortel, frappait les imaginations et reportait la pensée aux leçons de l’école de Platon dans l’Antiquité. […] que d’esprits émancipés qui allaient au-delà du maître, qui le compromettaient aux yeux du Clergé et des puissances, qui formaient ce que j’appelle l’aile gauche de sa doctrine et qui la débordaient de toutes parts : Jules Simon, Vacherot, vous en savez quelque chose ! […] C’était, je l’ai dit, un esprit ardent, une imagination vive, inquiète même (je l’ai défini un jour « un lièvre avec des yeux d’aigle ») ; une fois sur une piste, il s’y lançait et ne quittait plus qu’il ne l’eût épuisée.
En tout de même : ces belles et illustres études de Goethe, de Schiller, de Shakspeare, de Dante, de Galderon, dont tant de plumes brillantes, dont tant de chaires sonores nous parlaient magnifiquement, mais un peu superficiellement, lui, il ne croyait jamais les posséder assez, il les faisait et les recommençait sans cesse dans une lecture assidue, les yeux collés sur les difficultés du texte autant que sur les beautés. Et en effet, pour qui l’a vu, ses grands yeux saillants, à fleur de tête, semblaient avides de regarder et comme naturellement voués à une continuelle lecture. […] Je lis dans une des lettres affectueuses et touchantes que j’ai sous les yeux, écrites de Vienne à son vieil ami Théodore Gaillard, des aveux et des semblants de remords de cette flânerie délicieuse, de cette humeur incurablement vagabonde qui le promenait par toutes les capitales, prenant de chacune ce qu’elle avait d’original et d’excellent : « Quelle existence frivole !
Le trait est jeté au passage, comme négligemment ; mais l’œil délicat le relève, et toute illusion a disparu. […] « Tu ne t’entends pas trop mal, se dit Octave à lui-même en se rendant justice, à exalter une pauvre tête, et tu pérores assez chaudement dans tes délires amoureux. » Le dernier chapitre, ce dîner en tête-à-tête de Brigitte et d’Octave aux Frères Provençaux, a du charme ; la résolution d’Octave part d’un noble cœur ; il s’immole, il renonce à Brigitte, il l’accorde à Smith, et, malgré l’étrangeté du procédé, on n’y sent pas le manque de délicatesse ; mais pour qu’on pût jouir un peu de cette situation nouvelle et plus reposée, pour qu’on y crût et qu’elle fût définitive aux yeux du lecteur, il faudrait des garanties dans ce qui précède. […] J’ai noté, dans ce chapitre II, page 8, une phrase sur Napoléon, sur son arc, sur la fibre humaine qui en est la corde, et sur les flèches que lance ce Nemrod, et qui vont tomber je ne sais où ; une pareille phrase, si on la lisait dans la traduction du Titan de Jean-Paul, ferait dire : « Cela doit être beau dans l’original, » et ce demi-éloge de la pensée serait, à mes yeux, la plus sensible critique du style et de l’expression.
A certains jours sombres de l’hiver, ces montagnes de neige striées de noir font l’effet, à l’œil fidèle qui s’y attache avec lenteur, de la plus austère et de la plus délicate gravure. […] Il parlait, du reste, de toutes les choses du cœur avec une facile éloquence, et son esprit n’était pas sans ressource ; mais il n’avait aucune teinture de ce qu’on appelle littérature, et qui est, aux yeux du monde, le plus beau fruit de l’éducation. […] Étendu tout du long, il écoutait les sons que Juliette tirait de son clavecin, et en même temps il suivait des yeux les nuages qui flottaient au gré du vent dans l’azur du ciel.
Le front, très haut, se gonfle au-dessus des yeux en deux bosses qui ne font guère défaut dans les têtes des hommes de génie ; les sourcils bien fournis sont très rapprochés des yeux, et ces yeux vifs, perçants, impérieux et spirituels sont comme embusqués au fond de deux cavernes sombres, d’où, avec impartialité, ils regardent passer tous les dieux.
Quand l’œil plonge dans la dépression de la mer Morte, la vue a quelque chose de saisissant ; ailleurs elle est monotone. […] Jésus, qui envisageait les ouvrages d’art comme un pompeux étalage de vanité, voyait tous ces monuments de mauvais œil. […] À l’encontre des Pharisiens très sévères, qui marchaient voilés ou les yeux fermés, il regardait les femmes, même les païennes 625.
Une chose qu’on ne remarque guère, c’est qu’on papillote à l’esprit par la multiplicité des incidens aussi cruellement qu’aux yeux par la mauvaise distribution des lumières, et que si le papillotage de lumières détruit l’harmonie, le papillotage d’actions partage l’intérêt et détruit l’unité. […] Je ne puis permettre la métamorphose d’Apollon en st Jean, sans permettre de montrer la vierge avec des lèvres rebordées, des yeux languissants de luxure, une gorge charmante, le cou, les bras, les pieds, les mains, les épaules et les cuisses de Vénus ; la vierge Marie Vénus aux belles fesses, cela ne me convient pas. Mais voici ce qu’a fait le Poussin ; il a tâché d’ennoblir les caractères ; il s’est assujetti selon les convenances de l’âge, aux proportions de l’antique ; il a fondu avec un tel art la bible avec le paganisme, les dieux de la fable antique avec les personnages de la mythologie moderne, qu’il n’y a que les yeux savans et expérimentés qui s’en aperçoivent, et que le reste en est satisfait.
Cette image de la beauté divine que nous portons en nous-mêmes est d’abord quelque peu obscure ; il faut que les traits de cette beauté, aperçus par des yeux plus clairvoyants et reproduits dans les écrits qu’elle a inspirés, habituent peu à peu nos yeux à la distinguer. […] Levons les yeux au ciel, et voyons si Hercule n’y paraît pas ; car seul il peut tirer le char de l’ornière.
À des yeux catholiques, Léon XIII, fût-il de facultés médiocres, n’aurait pas besoin pour être dans l’avenir un grand pape d’être prédit par une biographie qui serait une promesse d’histoire, mais il n’est pas moins vrai que sa biographie, telle que la voici, en est une pour ceux qui ne sont pas chrétiens. […] Est-ce par respect pour la mémoire d’un pontife qui commença son règne dans l’ivresse d’une popularité dont les ennemis de la Papauté voulurent lui faire partager le délire, et auquel l’éclair du poignard qui tua Rossi put seul dessiller les yeux ? […] Dominé par cet Antonelli qui lui ressemblait si peu, et sans que l’histoire puisse encore expliquer cette domination mystérieuse, Pie IX laissa Mgr Pecci trente-deux ans d’épiscopat à Pérouse, dans ce confinement d’un diocèse qui a été pour lui un royaume, et dans lequel il s’apprenait laborieusement à être pape, sous l’œil de Dieu, et sans savoir qu’après Pie IX ce serait lui qui le deviendrait !
Après cela, que Clément XIV ait souffert ou non de cette abolition qu’il a signée ; qu’il y ait répugné longtemps ou bien qu’il y ait promptement consenti ; qu’il l’ait promise aux cabinets qui la demandaient avant ou après son élection ; qu’il ait pleuré en la signant, qu’il soit tombé par terre après l’avoir signée, ou qu’il soit resté calme et fort comme un homme qui vient de soulager sa conscience en accomplissant un devoir ; qu’il en soit mort fou ou repentant ou qu’il ait gardé la pleine possession de son intelligence et se soit éteint dans cette impénitence finale des pouvoirs qui, comme Œdipe, se sont crevé les yeux, et que d’autres Œdipes aux yeux crevés prennent, comme le P. […] Ainsi, ce n’était pas assez de voir le destin des couronnes tombé dans les mains de ministres comme Choiseul, Pombal, Tanucci, d’Aranda, il fallait que la tiare elle-même s’humiliât sous ces mains perverses, et que l’idée de la papauté ayant obéi à de tels hommes la dégradât aux yeux des peuples !
« Madame Louise part — dit-il — quand madame Dubarry arrive… » C’est cette portière de la Révolution qui met à la porte de Versailles la fille de Louis XV, laquelle tire son voile de nonne sur ses yeux comme devant le soleil, pour ne plus voir cette éblouissante coquine. […] qui ne sourit pas comme l’aimable Bonhomme, lequel est certainement trop du xviiie siècle pour être pie, mais qui ne se permet guères qu’un œil de poudre en impiété. […] Cependant, il ne peut s’empêcher de convenir qu’en dépit de sa laideur la tête est intelligente, l’œil vif, la mine éveillée, mais, allez !
Le peuple se sert mieux de ses yeux que de son entendement. […] … Tournez vos yeux sur vos petits-enfants : quelles larmes ne suspendrait pas leur innocente gaieté ? […] Lisons donc tant que nos yeux nous le permettront, et tâchons d’être au moins les égaux de nos enfants. […] » « Les yeux de Polybe ne se sèchent pas en contemplant un dieu ! […] Est-ce qu’on ignore combien la vie a peu de prix à vos yeux ?
Ainsi, pour n’en citer qu’un exemple, M. de Latena dit : « Une femme sincère, qui baisse ou détourne subitement les yeux au seul aspect d’un homme, trahit pour lui un amour naissant ou à son déclin, un amour dédaigné ou tourmenté par le remords. Mais le doute ne tarde pas à être éclairci par sa rougeur ou son air de contrariété, par son calme affecté ou sa triste préoccupation. » La Bruyère, sans entrer dans ces nuances un peu prolongées, avait dit vivement : « Une femme qui n’a jamais les yeux que sur une même personne, ou qui les en détourne toujours, fait penser d’elle la même chose. » Mais, dans bien des cas, on éprouve chez M. de Latena la satisfaction de rencontrer des pensées justes, exprimées avec une attention et une description circonstanciée qui montre qu’elles sont bien nées, en effet, dans l’esprit de l’auteur : son seul soin est d’être élégant d’expression en même temps que fidèle.
On croit trop aisément qu’une incorrection est expressive, parce qu’elle surprend, qu’un barbarisme est pittoresque, parce qu’il arrête l’œil. […] Mais il ne suffit plus ici de lire des yeux, ni même de repasser des mots aux choses, des signes aux objets, il faut étudier les mots dans leurs rapports entre eux, dans leurs sens, voir ce qu’ils pourraient exprimer autant que ce qu’ils expriment, rechercher leurs origines et leurs variations, sonder leur profondeur, mesurer leur étendue, profiter en un mot de la rencontre qu’on en fait une fois, pour les connaître intimement, à fond, pour jamais.
Molière fut également à même d’étudier de ses propres yeux l’art et les représentations théâtrales des comédiens de cette nation, puisque, de 1660 à 1673, la troupe de Joseph de Prado, entretenue par la reine Marie-Thérèse, alternait avec les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne, tout comme les Italiens avec Molière au Palais-Royal. […] Mais, après avoir terminé ce premier travail, je voulus franchir les limites où il m’avait contraint de me renfermer ; je m’engageai alors librement dans les curieuses perspectives que j’avais vues s’ouvrira mes yeux, et j’essayai d’y pénétrer le plus avant qu’il me fut possible.
L’un de ses principaux mérites, à nos yeux, c’est d’avoir essayé de montrer que certains termes abstraits ne paraissent inexplicables que parce qu’ils sont trop éloignés des concrets d’où ils sont tirés. […] Il importe de remarquer que, quoique le plus souvent ce soit l’œil qui nous informe du mouvement, ce n’est pas cependant des sensations de la vue que l’idée de mouvement est dérivée.
C’était encore un courtisan quand il disait, dans une dédicace, à la mère de cet enfant adultérin : Le temps qui détruit tout, respectant votre appui, Me laissera franchir les ans dans cet ouvrage, ………………………………………………… Sous vos auspices, ces vers Seront jugés, malgré l’envie, Dignes des yeux de l’univers. […] Grâces à vos exemples, Ils n’ont devant les yeux que des objets d’horreur, De mépris d’eux et de leurs temples, D’avarice qui va jusques à la fureur…………… C’était un sage politique quand il montrait dans la fable du Vieillard et l’Âne, que le pouvoir ne doit point compter sur l’obéissance sans affection.
L’homme aux cent yeux… Cette courte périphrase exprime tout, et le discours du maître est excellent…. […] Quant à moi, j’y mettrais encor l’œil de l’amant.