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606. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIIIe entretien » pp. 223-287

Une convenance naturelle ; ce bon ton inné, qui n’est que le rapport juste de l’homme avec tout homme ou avec toute chose ; un langage sonore, cadencé et grave, quoique gracieux dans ses inflexions un peu lentes ; un recueillement respectueux, mais nullement bas ou servile, devant ceux qu’il écoutait ; la dignité d’un cœur libre dans la déférence d’un disciple ou d’un fils : voilà ce rare jeune homme. […] Dis à ta mère que tu m’as apporté un quine. » C’était alors le langage compris des concierges, institution du hasard qui tenait toujours ouverte à la fortune la loge du portier. […] XIV Ce jeune homme aura évidemment un autre don de la poésie moderne, le don de rendre en vers familiers quoique expressifs les choses et les sentiments que l’orgueil emphatique de la poésie du dix-huitième siècle avait relégués dans le domaine de la prose, comme si le vers était incapable de dire juste et vrai, comme si la poésie n’était pas, par excellence, le langage du cœur !

607. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre sixième. »

Ce fut une école de mœurs presque autant qu’une école de langage. […] Sainte-Marthe disait qu’Amyot, « en portant la langue au plus haut point de pureté dont elle semblait capable, n’avait guère moins acquis de gloire par cette voie que s’il avait conquis de nouvelles provinces par l’épée, et étendu les limites du royaume130. » Huet le loue « d’avoir apporté dans sa traduction tant d’esprit et tant de bonnes dispositions, tant de subtilité et tant de politesse, qu’on peut dire qu’il a été le premier qui ait montré jusqu’où pouvaient aller les forces et l’étendue de notre langue131. » — « Quelle obligation dit Vaugelas, ne lui a point notre langue, n’y ayant jamais eu personne qui en ait mieux su le génie et le caractère que lui, ni qui ait usé de mots ni de phrases si naturellement françaises, sans aucun mélange des façons de parler des provinces, qui corrompent tous les jours la pureté du vrai langage français ! […] Voltaire reprend toutes les idées de Montaigne, donne la précision et le tour vif de la polémique à ces opinions enveloppées dans Montaigne du langage abondant, pittoresque et quelquefois traînant, de la spéculation inoffensive.

608. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIV. La littérature et la science » pp. 336-362

C’est d’abord et surtout en lui donnant des leçons de beau langage. […] Quand quelqu’un souhaite lire, il bande, avec une grande quantité de toutes sortes de petits nerfs, cette machine ; puis il tourne l’aiguille sur le chapitre qu’il veut écouter, et en même temps, il en sort, comme de la bouche d’un homme ou d’un instrument de musique, tous les sons distincts et différents qui servent, entre les grands lunaires, à l’expression du langage. » On pourrait dire de même que de nos jours tel roman de Jules Verne, telle fantaisie d’un poète, de Victor Hugo, par exemple, dans Plein ciel, présagent l’invention des bateaux sous-marins ou des nacelles ailées qui opéreront la traversée effrayante d’un astre à un autre. […] Car, si beaucoup de ces termes forgés par la science ne se hasardent pas dans le langage ordinaire, beaucoup aussi sont entrés dans l’usage courant avec les choses qu’ils représentent et les plus délicats des puristes n’oseraient affronter le ridicule de s’en passer.

609. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 février 1886. »

Aussi votre langage musical naturel est-il très peu précis et très incomplet. […] Le chant est le langage par lequel l’homme doit se communiquer musicalement, et on ne vous comprendra pas si ce langage n’est pas formé et gardé aussi indépendant que toute autre langue cultivée doit l’être.

610. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 septembre 1886. »

Il les a éprouvées toutes, toutes absolument, et il les a traduites avec une précision telle qu’aux amis de son œuvre surnaturelle chaque note est un mot, un mot certes plus expressif, au point de vue émotionnel, que ne le sont, au point de vue notionnel, les vocables d’un langage verbal. […] Voici les émotions plus fortes exprimées par Christophe Glück ; et déjà le langage est plus riche ; deux parties, le chant et l’orchestre, concourant à l’expression ; une scrupuleuse application — et chez nul, peut-être, autant que chez Glück — à ce que la musique recrée seulement les émotions définies du personnage en scène ; des opéras rigoureusement divisés en deux parties : l’une, d’amusement (les ballets, certains airs), l’autre, d’art ; une profondeur d’analyse jusque là insoupçonnée : avec cela, un très petit nombre d’émotions, les mêmes sans cesse traduites, et par les mêmes moyens. […] Le vieux langage, si précis et si minutieux, des musiciens classiques fut dangereusement compromis : vulgarisé, détourné de son but essentiel, pollué par les colossales passions faciles où on l’asservit.

611. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre premier. La sélection et la conservation des idées dans leur relation à l’appétit et au mouvement. »

Il y a toutefois une différence importante entre les sensations et les émotions, sous le rapport de leurs formes vives et de leurs formes idéales, pour employer le langage de Spencer. […] On oublie d’abord les mots, c’est-à-dire le langage rationnel, puis les exclamations et interjections, ou langage émotionnel, et, dans des cas très rares, les gestes.

612. (1833) De la littérature dramatique. Lettre à M. Victor Hugo pp. 5-47

Je vous ai bien dit, Monsieur, au commencement de ma lettre, que mon langage serait celui d’un père à son fils. […] Certes vous ne seriez point venu lui dire qu’à la faveur de l’assoupissement de la nation il vous avait escamoté votre pièce, filouté les produits, et qu’il vous avait enfin dévalisé comme dans un bois, ou si la loi vous eût accordé la liberté de lui tenir en plein tribunal un pareil langage, vous auriez pu vous vanter de jouir de la grande chose ; et le grand homme, défendu par une nation libre, ne serait point mort à Sainte-Hélène. […] Ces entrées, dont chaque élève jouirait à son tour sans le distraire de ses travaux, lui donneraient quelques connaissances dans un genre de littérature auquel il ne faut pas être étranger : là il prendrait les formes aimables d’une bonne éducation, qui comprend tout à la fois une politesse aisée, la pureté du langage et l’élégance du débit.

613. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Villemain » pp. 1-41

C’était un abus de langage d’appliquer à une nation dont la vie se compose de jeunesses successives (peste ! […] Comme Janin, Villemain n’a jamais mis l’effort de sa pensée que dans les artifices et les combinaisons du langage. […] À part, en effet, quelques mots plus profondément jaillis que les autres à travers un langage très artistement composé, Pindare est un poète essentiellement de convention, comme le sont les Académies.

614. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Victor Hugo »

certes, il faut que nous soyons de bien bons enfants en littérature, si nous sommes en politique de mauvais garçons ; il faut que nos besoins d’originalité ne soient pas bien grands, à nous autres éreintés de l’époque actuelle, pour que nous soyons si aisément satisfaits de la répétition des mêmes idées, des mêmes sentiments, du même langage et presque des mêmes mots, des mêmes tableaux et de la même manière de peindre, et que nous en jouissions avec autant de pâmoison de plaisir et de furie d’enthousiasme que si tout cela était inconnu, inattendu, virginal, et tombé, pour la première fois, du ciel ou du génie d’un homme. […] Cela ressemble à ce qu’en langage de théâtre on appelle « un ours ». […] Ils haussent les épaules et ils rient de ce vieux bonhomme qui n’a pas pu laver son génie des souillures immortelles que le Christianisme y a laissées ; car Hugo se sert contre le Christianisme d’un langage que le Christianisme a fait.

615. (1803) Littérature et critique pp. 133-288

Ses plus terribles censeurs se permettraient à peine le langage de son nouveau panégyriste. […] On a beau dire, l’Europe a plus d’hommes qu’alors, et les hommes valent mieux. » Ce grand poète a tenu constamment le même langage. […] et, pour parler le langage de l’auteur, où peignit-on jamais mieux que dans le sujet de Philoctète, la douleur abandonnée à ses impressions solitaires ? […] Continuons le développement de cet ouvrage, et que les lecteurs songent qu’un tel sujet a son langage propre et ses expressions consacrées. […] Jetez les yeux sur les générations qui succédèrent immédiatement au siècle de Louis XIV : où sont ces hommes aux figures calmes et majestueux, au port et aux vêtements nobles, au langage épuré ?

616. (1864) Études sur Shakespeare

Dans cette cour jeune encore et peu expérimentée, le langage de l’adulation dépassait de beaucoup la servilité des caractères ; et dans ce pays, où n’avaient point péri les anciennes institutions, le gouvernement était loin de pénétrer partout. […] À l’horreur qu’il ressent pour le criminel est due l’effrayante énergie du langage qu’il lui prête. […] Dans un temps où l’esprit, comme tourmenté de son inexpérience et de sa jeunesse, essayait de toutes les formes, excepté de la simplicité, près d’une cour où l’euphuisme, langage à la mode, avait porté jusque dans la conversation familière les plus bizarres travestissements de personnes et d’idées, il se peut que, pour exprimer des sentiments réels, le poëte ait pris quelquefois, dans ces compositions légères, un rôle et un langage de convention. […] Si ce ne sont pas là de pures formes de langage employées peut-être dans des occasions bien différentes de celles qu’elles paraissent indiquer, le sentiment qui occupait ainsi la vie intérieure du poëte était aussi orageux que passionné. […] Comment y parviendra-t-il s’il ne s’adapte avec soin à leurs dispositions, à leurs penchants, s’il ne répond aux besoins actuels de leur esprit, s’il ne s’adresse constamment à des idées qui leur soient familières, et ne leur parle le langage qu’ils ont coutume d’entendre ?

617. (1876) Romanciers contemporains

Fontenelle a fait parler à ses bergers le beau langage de la ville. La difficulté suprême est de faire tenir aux villageois le véritable langage de la campagne. […] En y cédant, elle aurait fait tenir au narrateur un langage invraisemblable. […] Chaque personnage tient le langage qui convient à sa situation. […] Ses paysans, ses prêtres, ses ermites ont tous le langage propre à leur condition.

618. (1899) La parade littéraire (articles de La Plume, 1898-1899) pp. 300-117

L’aristocratie de son langage et l’ordonnance de sa pensée lui acquerront toujours la sympathie des lettrés. […] Et non seulement il a rendu conscientes des impressions inexprimées, mais il a doué de vertus pathétiques l’incohérent langage des amants. […] Montfort, c’est qu’il a exprimé l’amour dans un langage si quotidien et si naturel. […] Il faut parler de l’amour avec le langage de l’amour, et je sais gré à l’auteur de Chair de l’avoir si bien compris. […] Pour lui, la poésie reste le langage divin, traditionnel, auguste, où les sentiments les plus nobles, les aspirations les plus hautes d’une race s’énoncent et s’interprètent.

619. (1805) Mélanges littéraires [posth.]

Affectation L’affectation de style, dans le langage et dans la conversation, est un vice assez ordinaire aux gens qu’on appelle beaux parleurs : il consiste à dire, en termes bien recherchés, et quelquefois ridiculement choisis, des choses triviales ou communes. […] L’affectation dans le style est à peu près la même chose que l’affectation dans le langage ; avec cette différence que ce qui est écrit doit être naturellement un peu plus soigné que ce que l’on dit, parce qu’on est supposé y penser mûrement en l’écrivant ; d’où il suit que ce qui est affectation dans le langage, ne l’est pas quelquefois dans le style. L’affectation dans le style est à l’affectation dans le langage, ce qu’est l’affectation d’un grand seigneur à celle d’un homme ordinaire. […] La raison en est toute simple : ou ils écrivent comme ils parleraient, persuadés qu’ils parlent comme on doit écrire ; et ils se permettent, en ce cas, une infinité de négligences et d’expressions impropres, qui échappent, malgré qu’on en ait, dans le discours : ou ils mettent, proportion gardée, le même soin à écrire qu’ils mettent à parler ; et, en ce cas, l’affectation dans leur style est, si l’on peut parler ainsi, proportionnelle à celle de leur langage, et par conséquent ridicule. […] Il faut y distinguer ceux qui ne sont d’usage que dans la conversation, d’avec ceux qu’on emploie en écrivant ; ceux que la prose et la poésie admettent également, d’avec ceux qui ne sont propres qu’à l’une ou à l’autre ; les mots qui sont employés dans le langage des gens instruits, d’avec ceux qui ne le sont que dans le langage du peuple ; les mots qu’on admet dans le style noble, d’avec ceux qui sont réservés au style familier ; les mots qui commencent à vieillir, d’avec ceux qui commencent à s’introduire, etc.

620. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Deuxième partie. — L’école critique » pp. 187-250

Car cette hypothèse est fausse, et ce langage inexact. […] Je ne suis pas sûr que le langage humain ne se trompe pas, et que toutes les œuvres qui portent le nom de comédies, soient vraiment des comédies. […] Lysidas me fait une nécessité de mettre mes idées anciennes en langage nouveau, non parce qu’il écrit plus mal ou parle moins, simplement qu’autrefois, mais parce qu’il pense avec beaucoup plus de profondeur. […] Elle prend les comédies comme telles sur la foi du langage, cet interprète faillible du faillible sens commun, et ce procédé fort peu philosophique la fait tomber dans des propositions contradictoires, telles que celle-ci : Aristophane et Molière sont deux grands poêles comiques.

621. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre II. La vie de salon. »

Louis XIV avait eu toutes les qualités d’un maître de maison, le goût de la représentation et de l’hospitalité, la condescendance et la dignité, l’art de ménager l’amour-propre des autres et l’art de garder sa place, la galanterie noble, le tact et jusqu’à l’agrément de l’esprit et du langage. « Il parlait parfaitement bien222 ; s’il fallait badiner, s’il faisait des plaisanteries, s’il daignait faire un conte, c’était avec des grâces infinies, un tour noble et fin que je n’ai vu qu’à lui. » — « Jamais homme si naturellement poli223, ni d’une politesse si mesurée, si fort par degrés, ni qui distinguât mieux l’âge, le mérite, le rang, et dans ses réponses et dans ses manières… Ses révérences, plus ou moins marquées, mais toujours légères, avaient une grâce et une majesté incomparables… Il était admirable à recevoir différemment les saluts à la tête des lignes de l’armée et aux revues. […] L’indécence qui est dans les choses n’est jamais dans les mots, et le langage des convenances s’impose, non seulement aux éclats de la passion, mais encore aux grossièretés de l’instinct  Ainsi les sentiments les plus naturellement âpres ont perdu leurs pointes et leurs épines ; de leurs restes ornés et polis, on a fait des jouets de salon que des mains blanches lancent, se renvoient et laissent tomber comme un joli volant. […] À peine leur langue est-elle déliée, qu’ils parlent le langage poli, celui de leurs parents. […] » on reçoit d’elle, comme M. de Talleyrand, le brevet de parfait savoir-vivre qui est le commencement d’une renommée et la promesse d’une fortune. — Sous une telle « institutrice », il est clair que le maintien, le geste, le langage, toute action ou omission de la vie mondaine devient, comme un tableau ou un poème, une œuvre d’art véritable, c’est-à-dire infinie en délicatesses, à la fois aisée et savante, si harmonieuse dans tous ses détails que la perfection y cache la difficulté.

622. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (3e partie) » pp. 193-271

Elle parle à tous les hommes le même langage, quoique tous ne l’entendent pas également. […] Ce ne sont pas là des hypothèses gratuites ; ce ne sont pas même des postulats de la raison pratique, comme disait Kant en son bizarre langage. […] Il y a danger, comme Cicéron le remarquait, voilà près de deux mille ans, dans ces variations arbitraires de langage ; l’intérêt bien entendu n’en est pas moins l’intérêt ; et l’interprétation peut changer perpétuellement, non pas seulement d’un individu à un autre, mais dans le même individu, qui n’a pas toujours de son intérêt, même en tâchant de le bien entendre, des notions pareilles et immuables. […] Il l’a confondue avec le corps, auquel elle est jointe, et dont elle n’est selon lui que l’achèvement, ou, pour prendre son langage, l’Entéléchie.

623. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre sixième »

Pourquoi ne serait-ce pas tout aussi bien le langage d’un financier, qui, à la vue de sa cassette, songerait à tout ce qu’un mortel peut se donner avec de l’argent ? […] De la joie et du cœur on perd l’heureux langage Pour l’absurbe talent du triste persiflage57. […] Voilà pourquoi les peintures de ce fond n’ont reçu aucune atteinte du temps, et pourquoi rien n’a vieilli de ce langage. […] Mais du moins la comédie larmoyante avait gardé la rime et le dialogue à tirades, dernière image de la comédie évanouie ; Diderot et Beaumarchais les rejettent bravement pour se rapprocher, disent-ils, du langage de la nature, qui parle en prose ; pour se donner, disons-le, une facilité de plus.

624. (1909) De la poésie scientifique

Sans craindre la contradiction d’ailleurs, il déclarait aussi que « la poétique est perfectible »  tout en assurant quelques lignes plus loin « qu’il a lieu de penser que la technique du langage poétique est achevée » «4. […] Et, en Poésie  si nous rappelons que dans notre théorie « instrumentale » le Rythme dépend indissolublement et de l’Idée et du Verbe, concommitants, si nous rapportons que le langage comporte trois éléments (d’émotivité instinctive, d’imitation des phénomènes, phonétique, graphique et colorée, et de sentiment et de pensée), et si nous insistons que l’origine du Son-articulé est émotive, en expression directement phonétique, — nous dirons (ce qui est contenu en notre définition générale), que de sa nature essentielle et comme physiologique, le Rythme est représentatif de l’émotion que dégage l’Idée, émotion qui est inséparable d’elle. […] Le langage devenait phonétique et idéographique, l’idéogramme étant concurremment une simplification de la complexité phonétique  qui cependant demeure en puissance émotive en lui… Donc, en retour, toute pensée émue, toute idée suscitée à retentir suggestivement dans l’être (et il n’en doit être d’autres en poésie), nécessairement dégagera autour d’elle toute l’atmosphère complexement vibrante dont elle demeure en puissance, éveillera en mouvements toute la succession émotive d’où elle est issue… Participant du geste d’émoi traditionnellement et par répétition devenu rythmique, et du cri primordial de même essence que le geste  le Verbe-idéogramme qui exprimera totalement cette pensée et son émotion doit aussi, nécessairement, reprendre sa valeur phonétique, c’est-à-dire ses diverses et émotives durées de vibration. […] Il sied cependant d’en rapporter quelques points… Originairement série de cris émotifs, le langage a pour valeurs expressives essentielles les Voyelles  durées vibratoires de hauteur et d’intensité diverses et variables — dont les Consonnes sont des modifications.

625. (1856) Cours familier de littérature. II « XIIe entretien » pp. 429-507

Je ne puis m’expliquer autrement cette fulguration de lumière, de divinité, de science, de sagesse, et même de langage, dans une si complète obscurité de la terre ! […] Job lui-même essaye de se modérer et de parler leur langage, afin qu’on ne puisse pas le prendre par ses paroles. […] » Quant au langage qu’il prête à Dieu et quant à l’énergie de son pinceau dans les descriptions lyriques qui parsèment le drame ; tout cela est à la hauteur du Créateur et de la création. […] Voilà le langage d’un poète ou d’un philosophe véritable ; voilà la philosophie de Job après qu’il a ravalé son orgueil avec ses blasphèmes et ses larmes, et qu’il a crié le grand mot : « Je m’humilie et je me repens ! 

626. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre IV. De la délimitation, et de la fixation des images. Perception et matière. Âme et corps. »

Son tort n’est pas de priser trop haut l’expérience, mais au contraire de substituer à l’expérience vraie, à celle qui naît du contact immédiat de l’esprit avec son objet, une expérience désarticulée et par conséquent sans doute dénaturée, arrangée en tout cas pour la plus grande facilité de l’action et du langage. […] À cette confusion Zénon était encouragé par le sens commun, qui transporte d’ordinaire au mouvement les propriétés de sa trajectoire, et aussi par le langage, qui traduit toujours en espace le mouvement et la durée. Mais le sens commun et le langage sont ici dans leur droit, et même, en quelque sorte, font leur devoir, car envisageant toujours le devenir comme une chose utilisable, ils n’ont pas plus à s’inquiéter de l’organisation intérieure du mouvement que l’ouvrier de la structure moléculaire de ses outils. […] Ce prétendu temps homogène, comme nous avons essayé de le démontrer ailleurs, est une idole du langage, une fiction dont on retrouve aisément l’origine.

627. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — II. (Fin.) » pp. 361-379

C’était le langage du temps, et c’est parce qu’on croyait trop alors à ces anges répandus partout sur la terre qu’il y a eu tant de crimes possibles tout à côté. […] Il fait parler grossièrement de soi-disant citoyens auxquels il dicte leur langage : « Comment, leur fait-il dire69, nous pourrons enfoncer notre chapeau devant la femme du roi, et il faudra l’ôter devant le Cheval blanc !

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