S’appliquer de bonne heure à la lecture des Historiens & des Philosophes, pour apprendre des premiers l’origine & l’usage des loix, des seconds, la maniere de penser & de raisonner ; tels furent les moyens qu’il jugea propres à le mettre en état de fournir une carriere où l’esprit ne sauroit se soutenir lui seul.
Ce n’est pas ainsi qu’on fait valoir les Grands Hommes ; ce n’est pas non plus d’après de tels Panégyristes qu’on doit les juger.
L’Académie la mit au dessous de celle de M. l’Abbé du Jarry, que le Public trouva très-mauvaise quand elle parut, & qui commence par ces trois Vers : « Enfin ce jour paroît où le saint Tabernacle, D’ornemens enrichi, nous offre un beau spectacle ; La mort ravit un Roi plein d’un projet si beau, &c. » « L’Académie ne s’apperçut point de tous les défauts de cette Piece, qui est très-plate, très-prosaïque, & où l’on trouve des Pôles glacés & où des Pôles brûlans, & jugea à propos de la couronner.
Les Etres moraux, les Personnages métaphysiques qui y figurent, révoltent un Lecteur délicat, & font tort à quelques-unes, qui ne sont jugées sans examen, que parce que les autres sont justement méprisées.
Racine le fils, sur les Tragédies de son pere ; sa Traduction des Dialogues de Lucien, celle des Tragédies d’Eschyle sur-tout, sont autant de travaux qui déposeront en faveur de son génie, de son savoir, de ses lumieres, de son zele pour le progrès des Arts, contre les esprits jaloux qui l’ont attaqué sans le valoir ; contre les esprits superficiels qui l’ont jugé sans le connoître ; contre les Philosophes qui l’ont décrié sans pouvoir lui nuire ; ils prouveront encore, avec ses autres Ouvrages, l’énorme différence qu’il y a entre l’Honnête homme qui sait faire un noble usage de ses talens, & l’Ecrivain dangereux qui en abuse pour dépriser ceux de ses Rivaux.
L’élégant Traducteur de Virgile étoit bien capable de juger du mérite du Poëte qui a le plus approché de ce même Original, dont personne n’a mieux senti ni mieux rendu que lui toutes les beautés.
Chapitre V Les mots gréco-français jugés d’après leur forme et leur sonorité. — Comment le peuple s’assimile ces mots. — Rejet des principes étymologiques. — L’orthographe et le « fonétisme ».
Mais à présent, si vous êtes de bonne foi, vous devez convenir que les divinités du paganisme, lorsqu’elles agissent directement et pour elles-mêmes, sont plus poétiques et plus dramatiques que les divinités chrétiennes. » On pourrait en juger ainsi à la première vue.
Avec de pareilles qualités, le critique existe déjà, — mais il ne sera tout à fait venu que quand Dusolier y ajoutera ces principes sans lesquels la critique n’est jamais que les préférences de l’esprit d’un monsieur quelconque, plus ou moins bien doué… Le critique qui doit juger les autres ne peut avoir de scepticisme, car la première qualité du juge, c’est la plus inébranlable certitude qu’il est dans le droit.
C’est aussi uniquement alors qu’on sera vraiment en possession de sa pensée et que la Critique pourra la juger.
Je suis bien aise, lui dis-je, de faire cette épreuve avec un aussi habile homme que toi, et tu jugeras qui se trompe de nous deux. […] Se tournant alors vers son amie : Vous voyez, dit-elle, que j’avais bien jugé ce jeune homme. […] « Je fis ensuite réflexion sur la cause qui m’avait empêché de me donner la mort, et je la jugeai toute divine. […] Le pape, qui s’informait aussi de tout, et auquel les médecins avaient annoncé la mort prochaine du châtelain, dit qu’il voulait que celui-ci me fît mourir avant lui, de la manière qu’il le jugerait à propos, puisque j’étais la cause de sa mort. […] On en jugera par ce que j’en ai raconté. » XII Le duc Alexandre de Médicis le reçut bien, il lui confia les dessins de ses monnaies et lui fit faire son portrait.
Suivant Charès, ce philosophe fut gardé sept mois aux fers, parce qu’Alexandre avait dessein de le faire juger devant un tribunal en présence d’Aristote, c’est-à-dire lorsque ce prince aurait été de retour dans la Grèce. […] On voit ici, d’après les paroles mêmes d’Alexandre plaidant sa propre cause devant l’assemblée des Macédoniens de son camp, que le gouvernement représentatif de Macédoine subsistait encore en Asie dans l’armée, et que les procès même d’État étaient jugés avec publicité et liberté par le tribunal populaire ou militaire. […] Il ne livra pas le philosophe aux bourreaux ; il se contenta de l’emprisonner et de le réserver, comme on le lit dans une de ses lettres à Olympias, sa mère, « pour être jugé à Athènes par ses concitoyens, et selon les lois de son pays ». […] Quoi qu’il en soit, cette querelle d’Alexandre avec le neveu d’Aristote, son emprisonnement et sa mort pendant qu’on le ramenait à Olynthe pour être jugé, affligèrent et aigrirent Aristote. […] Si quelques hommes l’emportaient sur les autres hommes autant que, selon la croyance commune, les dieux et les héros peuvent différer des mortels, à l’égard du corps qu’un seul coup d’œil suffit pour juger, et même à l’égard de l’âme, de telle sorte que la supériorité des chefs fût aussi incontestable et aussi évidente pour les sujets, nul doute qu’il ne fallût préférer la perpétuité de l’obéissance pour les uns, et du pouvoir pour les autres.
Lorsque le temps qui sépare deux impressions est moindre d’un tiers de seconde, l’image mnémonique de la première impression, à l’état évanouissant, enveloppe la seconde impression ; et c’est cet enveloppement plus ou moins grand qui nous fait juger la distance entre les deux impressions. […] Nous jugeons que deux intervalles de temps sont égaux lorsque, entre le commencement et la fin de chacun, nous sentons des relâchements, puis des tensions expectantes de nos muscles exactement similaires. […] Il y a là, évidemment, un cercle vicieux ; pour juger les longueurs des intervalles de temps par la longueur des rythmes musculaires ou respiratoires, il faut déjà pouvoir juger et apprécier ces rythmes musculaires, et nous ne les apprécions que par nos efforts internes d’attention volontaire, par nos appétitions et nos volitions, auxquelles il faut toujours en revenir. […] C’est cette conscience de la co-existence qui permet de juger, de comparer, de désirer et de vouloir, toutes opérations qui supposent qu’on peut avoir plusieurs idées présentes à la fois.
Il y avait plusieurs manières de la reproduire, cette époque, quoi qu’il n’y en eût qu’une seule de la juger. […] Ces quinze pas nécessaires à cet habile tireur, il a bien prouve qu’il les lui fallait, mais qu’à cette distance son coup d’œil était infaillible, quand journaliste à la veille — mais seulement à la veille — d’événements qui devaient amener un état de choses jugé si longtemps impossible, il voyait si clair le lendemain. […] Ce n’est pas seulement une grande plume de lutte toujours prête, c’est un grand artiste en histoire, et c’est exclusivement comme artiste, d’une force littéraire peut-être supérieure à sa force politique, que nous avons à le juger. […] cela n’est-il pas digne d’étonnement, et après l’étonnement d’attention, et de la part de ceux qui savent, qui, ayant vocation pour lire son livre comme Cassagnac pour l’écrire, peuvent dire si son diamant est vrai ou faux, et de la part de ceux qui, comme moi, le croient vrai, et peuvent d’ailleurs juger du feu qu’il jette et de la hardiesse de sa coupe, et de l’adroite et longue patience du lapidaire qui l’a taillé. […] … Pour qui savait bien le juger et pénétrer dans le fond de sa conscience politique, Granier de Cassagnac était un autoritaire et un monarchiste.
J’ai souvent cité un mot magnifique de madame de Staël, et je l’ai répété parce que, selon moi, c’est le mot suprême de la Critique : « Quand on me conduirait à la mort, — disait-elle, — pendant le trajet, je crois que je jugerais mon bourreau. » Un auteur ennuyeux, n’est-ce pas un bourreau que la Critique juge ? […] Mais s’il n’est pas ennuyeux, au contraire ; s’il a du talent… fourvoyé, mais, après tout, du talent ; s’il intéresse, ou seulement s’il amuse, — ce qui est le petit intérêt après le grand ; si enfin il prend l’âme ou l’esprit par un côté quelconque : c’est plus difficile de le juger. […] Elle répéta avec platitude que les anglais trouvaient que Féval ne savait ni la grammaire de leur langue ni la grammaire de leurs mœurs, comme si, dans leur insularisme susceptible et hautain, et tout aussi intellectuel que politique, les anglais, enragés de nationalité blessée et justes comme des bœufs qui saignent, ne dénigreront pas toujours l’étranger qui voudra les peindre ou s’avisera de les juger. […] On publie, en le scindant, un livre qui devait être fini dans la pensée de l’auteur quand il a commencé de l’écrire, et par là on embarrasse mortellement la Critique, qui, pour juger une œuvre, doit l’étreindre toute dans la profondeur de son unité et la précision accomplie de son contour. […] Jugez donc !
Telles, les abeilles ouvrières poignardent les mâles quand elles jugent que la ruche n’a plus besoin d’eux. […] Surtout, ils doivent agir sur une matière, servir d’armes de chasse ou de pêche, par exemple ; le groupe dont il est membre aura jeté son dévolu sur une forêt, un lac, une rivière ; et cette place, à son tour, un autre groupe pourra juger plus commode de s’y installer que de chercher ailleurs. […] Mais il jugerait probablement lui-même que le mysticisme ainsi entendu, ainsi compris d’ailleurs par l’« impérialisme » tel qu’il le présente, n’est que la contrefaçon du mysticisme vrai, de la « religion dynamique » que nous avons étudiée dans notre dernier chapitre. […] Que si l’on s’en tient au mysticisme vrai, on le jugera incompatible avec l’impérialisme. […] Et ils en sont convaincus parce qu’ils jugent incontestable, définitivement prouvée, une certaine relation entre l’organisme et la conscience, entre le corps et l’esprit.
Il fait juger et condamner Fargues, un ancien frondeur, par le premier président de Lamoignon, et Fargues fut jugé par l’intendant Machault. […] À l’égard du duc du Maine, Saint-Simon en effet a eu le tort de trop le craindreaj, même après qu’il était déraciné et abattu ; mais quant à juger avec haine le garde des sceaux et ancien lieutenant de police d’Argenson, c’est ce qu’il n’a pas fait. […] [NdA] Moins au long toutefois qu’il n’a semblé jusqu’ici, d’après les éditions précédentes : car, dans la première qui a servi aux réimpressions, on a jugé à propos de transposer, du tome IIIe au XIXe , plus de 100 pages relatives aux grandesses d’Espagne, et on en a bourré le récit de l’ambassade de Saint-Simon.
L’esprit est large et libre, chrétien sans bigoterie, monarchiste sans servilité ; les papes et même les rois sont hardiment, sévèrement jugés. […] Il l’appliqua avec modération, sans aucune idée de tolérance, mais par respect pour sa religion, et de crainte des sacrilèges qui pouvaient suivre des conversions forcées et fausses : les évêques du midi, l’intendant Bâville le jugèrent tiède. […] Il a pu mal juger la révolution d’Angleterre, ou la révocation de l’édit de Nantes : il ne les a pas jugées autrement dans ses oraisons funèbres que dans ses autres ouvrages ; il n’a dit que ce qu’il a constamment pensé.
Pourtant je crois qu’en art comme en politique, chacun se doit à tous ; c’est au public de choisir dans le contingent d’idées qui lui sont apportées, de faire une moyenne et de juger en dernier ressort. […] Il faut que les beautés du théâtre allemand, nous soient révélées dans leur intégralité, et pour cela, je demande qu’elles nous soient montrées dans un local spécial où chacun viendra juger, sans passion, sans idée préconçue autre que celle d’entendre chanter ou parler autrement, qu’on ne le fait en France. […] Alors, mon cher Carvalho, vous avez jugé que le moment était venu de représenter Lohengrin, œuvre dramatique, sur un théâtre, et, pour ne froisser aucun intérêt français, vous avez décidé de le jouer en matinée ; mes confrères de la presse vous ont soutenu vaillamment dans ce projet artistique et bien digne d’un artiste comme vous. Il leur a semblé, avec raison, que Paris dépassait toute mesure dans son ressentiment et qu’il n’y pourrait pas persévérer sans se montrer barbare envers ce mort au même degré que Wagner l’a été pour la capitale agonisante ; les esprits sages ont jugé que, si Wagner a été bête un jour, ce n’est pas une raison pour que nous devenions des niais à perpétuité et que cette vengeance envers l’œuvre immortelle des travers d’un homme retourné à la poussière était, au fond, indigne de notre intelligence et de notre générosité.
Le détail et le groupement des spectacles qu’on lui présente doivent être tels qu’ils provoquent des images faiblement analogues à celles que donnerait la réalité et de nature à susciter comme celle-ci des sentiments d’aversion, de sympathie, d’excitation ; si ce charme ne s’opère pas, c’est que le livre est mauvais, mal fait, gâté à quelque endroit par quelque faute de composition qui ôtera l’illusion à tout le public, sans qu’une partie s’obstine à tenir pour ressemblant ce qu’une autre aura jugé faux. […] Huysmans, dans les Sœurs Vatard) sera jugée bonne par un lecteur non pas simplement en raison de son extrême exactitude, mais si elle correspond à la « manière de voir » de ce dernier, c’est-à-dire à la qualité de ses sens, à sa mémoire des formes et des couleurs, à tout le mécanisme interne qu’il lui a fallu pour transformer ses sensations d’un spectacle analogue, en un souvenir semblable à celui que l’auteur s’efforce d’évoquer. […] L’expérience générale ne se si guère trompée sur ce point ; ce qu’on cherche à connaître d’un homme pour le juger, ce ne sont pas ses occupations, ce sont ses goûts. […] Si un art purement national n’a pu se développer ni à Rome, ni en France, malgré d’heureux débuts, ce fut chez les Latins et au XVIIe siècle, par suite d’une rupture d’équilibre entre les progrès trop lents de cet art et le raffinement trop prompt des classes supérieures, qui trouvèrent la littérature grecque ou les lettres classiques mieux adaptées à leur condition spirituelle ; ce fut au XVIIIe siècle et au nôtre, par un libre choix de nos artistes eux-mêmes, qui se jugèrent tout à coup constitués de telle sorte, que seules les littératures et la pensée septentrionales purent satisfaire leur goût, c’est-à-dire leur présenter l’image d’œuvres où leurs facultés pourraient exceller.
Il ne faut pas s’étonner non plus si toutes les combinaisons de la nature ne sont pas absolument parfaites, pour autant que nous sommes capables d’en juger, et si quelques-unes d’entre elles répugnent à l’idée que nous nous faisons de la convenance. […] Les lois complexes et peu connues qui gouvernent les variétés sont les mêmes, autant que nous pouvons en juger, que les lois qui ont gouverné la production des formes dites spécifiques. […] En tous, autant qu’on en peut juger par ce que nous en savons de nos jours, la vésicule germinative est la même. […] Il est très possible que des formes, aujourd’hui généralement considérées comme de simples variétés, soient plus tard jugées dignes d’un nom spécifique, comme il en serait par exemple de la Primevère et du Coucou ; et en ce cas le langage scientifique se mettrait d’accord avec la langue vulgaire.
Il faut lire Quintilien sur Homère pour juger d’une pareille méthode critique. […] Pour bien juger de la différence des deux méthodes historiques, ancienne et moderne, il faut comparer les œuvres des historiens sur le même sujet, l’antiquité. […] Ceci n’empêche point nos historiens d’admirer la vertu de Caton et de juger l’ambition de César ; mais il faudrait, après leurs démonstrations, que l’ardeur des sentiments républicains fût bien forte pour se faire illusion sur une réalité que Cicéron et Brutus lui-même ont fini par entrevoir. […] Si bien instruit qu’il soit des faits, on peut lui reprocher de juger les personnes et les choses en homme d’école plutôt qu’en historien ; mais on lui rendra cette justice, que sa mesure de jugement n’a rien de commun ni avec la morale du succès, ni même avec la morale de l’utile.