Les uns ont cru y reconnaître l’expression de la soif d’idéal qui tourmente l’humanité ; les autres, l’expression d’un monde invisible, l’émanation du Divin dans l’humain ; d’autres encore, un simple jeu dans lequel l’homme, quand ses instincts ont été satisfaits, dépense le surplus de ses forces physiques et intellectuelles. […] La contagion n’est complète et absolue que lorsque les facteurs en jeu sont d’égale valeur. […] Et cependant, à la réflexion, quand nous voulons préciser, nous sommes impuissants à formuler une ressemblance précise entre ce jeu des sons et les choses qu’il nous a fait entrevoir. […] C’est ainsi que, jusqu’à un certain point, elle évoquera l’idée de mouvement, elle donnera même l’idée de lumière et d’ombre au moyen de jeux de sonorités, par l’opposition des timbres, par exemple, ou des harmonies ; mais cette évocation ne sera jamais parfaite ni intégrale ; rien ne sera en elle déterminé : ni les dimensions, ni les reliefs, ni les contours, ni la couleur, rien de ce qui constitue la forme concrète d’un être ou d’un objet. […] Faut-il rappeler enfin les surprenantes et merveilleuses combinaisons harmoniques que les peuplades des archipels de la Malaisie savent produire avec leurs jeux de cloches ?
Certes, pas un artiste digne de ce nom, pas un Parnassien surtout, ne saurait accorder la moindre estime au pitoyable jeu des bouts-rimés. […] Les incrédules auront beau jeu d’ici là ! […] Vraiment c’était ainsi qu’il avait caché son jeu ! […] Je vois Banville qui sourit À ces innocents jeux d’esprit. […] À ces innocents jeux d’esprit Pardonnez, Leconte de Lisle.
Pour chanter la colère, comme pour célébrer les vainqueurs des jeux olympiques, il faut plus que de la finesse, plus que de l’élégance ; il faut de la force, de la grandeur : à ces conditions seulement il est permis de tenter la satire lyrique. […] La France et l’Europe, qui n’assistaient pas au petit lever de Louis XIV, qui n’étaient conviées ni à sa table, ni à son jeu, ni à ses parties de chasse, étaient forcées de voir en lui autre chose que l’égoïsme et la gourmandise. […] C’est un livre écrit pour les femmes oisives, pour les jeunes gens qui partagent leur vie entre le jeu, l’escrime et l’équitation ; pour les esprits sérieux qui font de la lecture autre chose qu’une distraction, c’est une nourriture appauvrie, un fruit sans saveur, une plante épuisée, une poussière inutile. […] Il n’invente pas, car l’invention est un jeu dangereux, et M. […] La poésie n’est plus pour elle qu’un jeu ou un métier.
Les troubles de la circulation des idées produisent toute la littérature, tout l’art, tout le jeu, toute la civilisation. […] Le premier est un jeu auquel on peut se divertir et qui a même une certaine valeur critique ou satirique, bien manié et bien dirigé. […] Mais on peut, par des jeux de glaces, créer des fantômes factices, et c’est ce qu’ils font, quand ils nous donnent à prononcer dans leurs vers une voyelle qui, en vérité, n’existe pas. […] Ces petits mots proférés seuls donnent nécessairement jeu, teu, deu, leu ; mais dès qu’ils entrent en composition, leur voyelle devient instable. […] Certes l’apprentissage d’un métier, des exercices corporels, des jeux, des promenades à travers les choses voilà qui serait plus utile que l’étude des difficultés orthographiques d’une langue complexe, toute en nuances et en exceptions.
En effet, la moitié du temps actuellement consacré à l’étude serait partagé entre l’entraînement physique — gymnastique, jeux, promenades — et l’enseignement d’un métier manuel. […] Autrement dit, le bien sortira du mal, par une lente germination, par le simple jeu de l’évolution. […] C’est qu’en effet une force entre alors en jeu, qui est, dans le monde des organismes sociaux, analogue à celle qu’on désignait, en physique, sous cet aphorisme : « La nature a horreur du vide. » C’est du simple jeu de ce phénomène que seront victimes les nations latines. […] Tel peuple, bien assis sur son territoire et sûr de la pérennité de sa possession, pourrait, sans le jeu naturel de cette loi, en faire le plus fol usage ou tout simplement s’endormir sur son coin d’univers inutilisé, au plus grand dommage de l’humanité. […] Se trouvant à son tour en contact avec l’Anglo-Saxon, de civilisation industrielle, il a dû céder par le simple jeu de la loi sus-énoncée.
Les machines que l’intelligence de l’homme crée, quoique infiniment plus grossières, possèdent aussi une indépendance qui n’est que l’expression du jeu de leur mécanisme intérieur. […] Pour nous, un corps n’est vivant que parce qu’il meurt et parce qu’il est organisé de manière à ce que, par le jeu naturel de ses fonctions, il entretient son organisation pendant un certain temps et se perpétue ensuite par la formation d’individus semblables à lui. […] Il y a là une solidarité organique et sociale qui entretient dans l’économie animale un mouvement sans cesse dépensé et sans cesse renaissant, jusqu’à l’heure où le dérangement ou la cessation d’action d’un élément organique nécessaire amène un trouble dans le jeu de la machine vivante ou même en provoque l’arrêt définitif. […] L’esprit humain est un tout complexe qui ne marche et ne fonctionne que par le jeu harmonique de ses diverses facultés. […] Descartes avait posé les premiers principes et appliqué les lois mécaniques au jeu de la machine du corps de l’homme ; ses adeptes étendirent et précisèrent les explications mécaniques des divers phénomènes vitaux.
Dès le début, Saint-Simon fils d’un père antique, et, sous sa jeune mine, un peu antique lui-même, n’a pas de goût vif pour les femmes, pour le jeu, le vin et les autres plaisirs : mais il est glorieux ; il tient au vieux culte ; il se fait un idéal de vertu patriotique qu’il combine avec son orgueil personnel et ses préjugés de rang. […] Pour le reste la paresse même : peu de promenades sans grande nécessité ; du jeu, de la conversation avec ses familiers, et tous les soirs un souper avec un très petit nombre, presque toujours le même, et si on étoit voisin de quelque ville, on avoit soin que le sexe y fût agréablement mêlé.
Mais, au milieu des jeux folâtres et au sortir du bain qu’il prend en s’ébattant dans une petite anse, voilà tout d’un coup qu’à la vue d’un débris, ou, pour parler net, d’une carcasse de cheval étendue sur le sable, l’idée obscure de la mort se pose à lui pour la première fois : un vague frisson l’a saisi pour tout le reste du jour. […] Ce sont mes amitiés d’abord… » Ensuite ce sont ses plaisirs, ses jouissances saines d’homme naturel, d’artiste, le dîner du dimanche sous la treille, le coudoiement du peuple, la source perpétuelle de l’observation vive. « Sous ces feuillages je retrouvais, dit-il, les jeux charmants de l’ombre et de la lumière, des groupes animés, pittoresques, et cette figure humaine où se peignent sous mille traits la joie, l’ivresse, la paix, les longs soucis, l’enfantine gaieté ou la pudique réserve. » Jean-Jacques sentait de même, pauvre grand homme tant dévoré du bourgeon !
Tel a bâti un pont à ses frais, tel autre une chapelle, une maison d’école ; plusieurs établissent des bibliothèques qui prêtent des livres, avec des chambres chauffées ou éclairées, où les villageois trouvent le soir des journaux, des jeux, du thé à bon marché, bref des divertissements honnêtes qui les détournent du cabaret et du gin. […] Une proclamation de la reine interdit de jouer à aucun jeu ce jour-là, en public ou en particulier ; défense aux tavernes de recevoir les gens pendant le service.
C’est un jeu d’enfant ; et, si un philosophe recueilli a inventé l’écriture, si un oiseau inspiré a inventé la musique, si un opticien coloriste a inventé la peinture, nous pensons que la sculpture a été inventée par un enfant. […] Ses premiers jeux cependant avaient été de petits chefs-d’œuvre dans l’atelier de son père.
Gravir une verticale, et trouver des points d’appui là où l’on voit à peine une saillie, était un jeu pour Jean Valjean. […] Charras, mâcher et remâcher cette journée, revanche des vaincus au jeu des batailles, et nous disons : Il est plus beau d’accepter une défaite et de s’en relever, que de se révolter sans cesse contre la triste vérité, surtout devant sa capitale conquise, son empereur à Sainte-Hélène, son pays rançonné, et de soutenir au monde qu’on a marché de victoire en victoire, de Madrid à Toulon, de Moscou au Rhin, de Leipsik à Mayence, de Waterloo à Paris, à la suite d’un homme infaillible qui n’a pas fait un faux pas dans sa vie.
Si c’est un jeu d’esprit de trouver un poète dans l’auteur de la Pucelle 64 et de vouloir le relever des arrêts de Boileau, il n’y a que justice à dire que, dans ses écrits en prose, quelques pages sont sensées, ingénieuses et naturelles. […] On y prit le goût des livres qui vont à un but, et qui, au lieu d’être les jeux d’esprit d’un érudit solitaire, comme la plupart de ceux de Balzac, sont les actes les plus considérables d’un homme qui veut persuader aux autres les vérités dont il est convaincu.
Notre vulgarité d’aperçus nous permet à peine d’imaginer combien un tel état différait du nôtre, quelle prodigieuse activité recélaient ces organisations neuves et vives, ces consciences obscures et puissantes, laissant un plein jeu libre à toute l’énergie native de leur ressort. […] C’est un tableau mouvant où les masses de couleurs, se fondant l’une dans l’autre par des dégradations insaisissables, se nuanceraient, s’absorberaient, s’étendraient, se limiteraient par un jeu continu.
Beaucoup pensent de nos jours que l’esprit humain doit renoncer à ses recherches comme à des jeux d’enfance. […] Comte, ont si bien pris le contre-pied de toute évidence et donné si beau jeu à leurs adversaires, que leurs plus fidèles disciples ne les ont pas suivis jusque-là.
Daudet dit, que c’est une persécution chez lui, un empoisonnement de la vie, et qu’il n’est jamais entré dans un appartement nouveau, sans que ses yeux n’y cherchent la place et le jeu de son cercueil. […] Il ajoute que Got est un fin regardeur, qu’il attrape des jeux de physionomie, des attitudes, des mouvements de mains des gens, avec lesquels il se trouve, mais qu’il est incapable de tirer la moindre chose de lui-même ; or, un bouffon, ça ne se rencontre pas, dans la rue, ça ne s’observe pas, ça ne se photographie pas.
Sa brusquerie était-elle de commande, et couvrait-elle un jeu ?
Était-il disciple et adepte à quelque degré, ou n’était-il qu’un observateur encore, déguisé en disciple, et n’avait-il qu’une arrière-pensée, celle de saisir le dernier mot de la cabale et la clef du jeu ?
Dès le premier instant qu’il eut à commander à d’autres, dès qu’il eut à porter enseigne, dit-il, il voulut savoir ce qui est du devoir de celui qui commande, et se faire sage par l’exemple des fautes d’autrui : « Premièrement j’appris à me chasser du jeu, du vin et de l’avarice, connaissant bien que tous capitaines qui seraient de cette complexion n’étaient pas pour parvenir à être grands hommes. » Il développe ces trois chefs, et particulièrement, et avec une verve singulière, les inconvénients de l’avarice en un capitaine : « Car si vous vous laissez dominer à l’avarice, vous n’aurez jamais auprès de vous soldat qui vaille, car tous les bons hommes vous fuiront, disant que vous aimez plus un écu qu’un vaillant homme… » Il ne veut pas qu’un homme de guerre, pareil à un citadin ménager, songe toujours à l’avenir et à ce qu’il deviendra en cas de malheur ; le guerrier est enfant de l’État et du prince, et il pose en maxime « qu’à un homme de bien et vaillant, jamais rien ne manque. » — Après ces trois vices qui sont à éviter à tout prix, car ils sont ennemis de l’honneur, il en touche plus rapidement un quatrième dans lequel, sans raffiner sur les sentiments, il conseille du moins toute modération et sobriété : C’est l’amour des femmes : ne vous y engagez pas, cela est du tout contraire à un bon cœur.
Ce que voulait Montluc, c’était de s’illustrer par une belle, par une incomparable défense, dont il fût à tout jamais parlé ; et comme il l’a dit du marquis de Marignan : « Il servait son maître, et moi le mien ; il m’attaquait pour son honneur, et je soutenais le mien ; il voulait acquérir de la réputation, et moi aussi. » Entre le marquis de Marignan et lui, c’était donc un pur duel d’honneur, et il s’agissait d’y engager les Siennois, qui jouaient un plus gros jeu, et de s’en faire assister jusqu’à l’extrémité moyennant toute sorte de talent et d’art ; en les séduisant, en les rassurant tour à tour, et surtout en évitant, peuple élégant et vif, de les heurter par la violence ; c’eût été feu contre feu.
Dans une telle situation, là où personne autre n’entrevoyait de ressources possibles que dans le résultat des négociations engagées, Napoléon, lui, ne cherchait et ne voyait d’issue que par quelqu’un de ces grands coups comme il en avait tant de fois frappé, et comme le jeu de la guerre en offre volontiers aux grands capitaines.
Singulier spectacle, singulier jeu auquel nous assistons : un vieillard de plus de quatre-vingts ans qui ne peut se décider à n’être plus ministre ; un roi de près de trente ans qui ne peut se décider à devenir homme et maître !
Ceux même qui partagèrent le moins cette douleur d’une noble intelligence sont faits pour la comprendre, pour la respecter ; ici, chez lui, ce n’était pas une ambition déçue, ce n’était pas un point d’honneur en jeu, c’était une religion.