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694. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1876 » pp. 252-303

C’est au nom des principes absolus de l’égalité, le commencement de la démolition de l’aristocratie de l’intelligence. Lundi 31 janvier Morny — c’est Alphonse Daudet qui parle — n’était pas une intelligence supérieure. […] Il est arrêté par le bruit artiste d’un marteau, un marteau qui reprenait, se taisait, avait l’air de causer avec l’homme, le maniant : un marteau qui était comme une intelligence, et qui n’était pas le marteau bête d’un ouvrier européen. […] … Là-dedans pas une intelligence supérieure… Je ne vois que Picard, lui un vrai bourgeois de l’ancien temps, un bourgeois du dix-huitième siècle, avec une connaissance des hommes et une compréhension des choses… Oui des bonapartistes, des orléanistes, mais pas un français, pas un homme amoureux de sa patrie, comme Cavour.

695. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — III » pp. 455-479

» Pendant deux années il trouva en Danemark dans la famille Brun le degré et comme la température d’affection qui lui convenait le mieux, et il eut aussi devant les yeux tout un monde nouveau qui se découvrait à son intelligence. […] Il rendait pleine justice à sa merveilleuse intelligence ; « J’ai l’avantage de trouver à Coppet une critique impartiale ; c’est aussi un art de tirer parti de la critique ; souvent je persiste dans mon opinion ; mais Mme de Staël est si libre de préjugés, si claire, que je vois mes tableaux dans son âme comme dans un miroir. » Le Voyage dans le Latium, publié à la fin de 1804, eut du succès, et décida de la rentrée de Bonstetten dans la littérature française. […] Parmi les dames russes qui, chaque été, passent à Genève allant en Italie, il avait beaucoup rencontré dans le monde et vu dans l’intimité une jeune personne d’un mérite solide sous le brillant de la jeunesse, d’une intelligence généreuse, sympathique, ouverte à tout ce qui est noble et beau ; il s’était lié avec elle, avec Mlle de Klustine.

696. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « PENSÉES FRAGMENTS ET LETTRES DE BLAISE PASCAL, Publiés pour la première fois conformément aux manuscrits, par M. Prosper Faugère. (1844). » pp. 193-224

Il a complétement réussi ; il a eu la satisfaction d’arriver à lire (à l’exception d’un petit nombre de mots) la totalité de ce texte manuscrit dans lequel, si aidé qu’on fût par des copies plus ou moins conformes, on n’avait encore fait que les premiers pas : « L’écriture de Pascal, dit-il, est excessivement rapide, il semble qu’elle rivalise avec la rapidité de l’esprit ; on dirait une sorte de sténographie obligée de recueillir en courant l’improvisation d’une intelligence pressée de se produire au dehors, parce qu’elle pressent la dissolution prochaine de l’organisation maladive à laquelle elle est enchaînée. […] Lutte du cœur et de l’intelligence ! […] Je ne contesterai pas cette qualification, si par mystique il est entendu qu’il s’agit surtout ici d’un chrétien, qui sans négliger les raisons et preuves qui parlent à l’intelligence, met la raison de sentiment au-dessus des autres.

697. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre II. Deuxième élément, l’esprit classique. »

Pareillement il nous reste à considérer les Français du dix-huitième siècle, la structure de leur œil intérieur, je veux dire la forme fixe d’intelligence qu’ils emportent avec eux, sans le savoir et sans le vouloir, sur leur nouvelle tour. […] Elle dure deux siècles, depuis Malherbe et Balzac jusqu’à Delille et M. de Fontanes ; pendant cette période si longue, nulle intelligence, sauf deux ou trois, et encore dans des mémoires secrets comme Saint-Simon, dans des lettres familières comme le marquis et le bailli de Mirabeau, n’ose et ne peut se soustraire à son empire. […] D’après ces caractères du style, on devine ceux de l’esprit auquel il a servi d’organe  Deux opérations principales composent le travail de l’intelligence humaine.

698. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIIe entretien. Poésie sacrée. David, berger et roi » pp. 225-279

On appelle aussi âme, dans la langue des lettres, cette partie de notre être immatériel qui touche le plus près à l’organe de nos affections, le cœur, c’est-à-dire la partie pathétique, aimante, passionnée de l’intelligence. […] Or l’humanité est sentiment bien plus qu’elle n’est intelligence. L’intelligence est froide, l’âme est chaude ; voilà pourquoi elle est seule féconde !

699. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre III. Montaigne »

Il mena une vaste enquête qui aboutit à classer, à trier, parmi l’immense et confus apport de ces cent années qui avaient trouvé le nouveau monde et ressaisi l’ancien, ce qui pouvait être utile, à Montaigne sans doute d’abord, mais du même coup à ses concitoyens, et à tous les hommes qui auraient la tête faite comme lui : tout ce qu’il garda fut soigneusement expertisé, « contre-rôlé », ajusté, adapté, pour l’usage de l’intelligence. […] Michel de Montaigne est un aimable homme, quand il parle de soi (et il en parle toujours), mais jamais plus que lorsqu’il parle de cette partie de lui qui est son intelligence, ses idées : alors il devient singulièrement intéressant ; alors il nous parle de nous, en parlant de lui ; il nous confesse, en se confessant ; il nous guide, en s’orientant. […] Il affirme la justice et l’humanité : par une horreur intime de la souffrance physique, son instinct écarte toutes les cruautés ; mais sa réflexion adhère à son instinct, et c’est toute son intelligence avec tous ses nerfs qui lui dicte d’éloquentes protestations contre la torture, et contre la barbarie des Espagnols dans le Nouveau Monde.

700. (1921) Enquête sur la critique (Les Marges)

Je suis convaincu, au demeurant, que s’il existe parmi nous, il saura très bien se manifester et que le public d’aujourd’hui est aussi doué pour goûter une intelligence de cette qualité que l’était celui qui fit fête à l’auteur des Lundis. […] Et comme son intelligence, généralement lourde, et son honnêteté (car il est consciencieux et laborieux) ne s’accompagnent que rarement de sensibilité et de finesse compréhensive, il mutilerait la littérature de son époque s’il avait de l’influence sur les créateurs. […] — Le critique idéal est fait d’intelligence, de pénétration, de sensibilité, de culture et de raison.

701. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre troisième »

Chose inouïe pour toutes ces âmes qui n’avaient pas cessé d’être chrétiennes, mais qui ne n’étaient plus guère que par les sens et l’habitude, de connaître enfin, par l’intelligence et le raisonnement, la grandeur de leur croyance, et de retrouver leurs titres d’enfants de Dieu ! […] L’étude que Calvin avait faite des anciens et particulièrement de Cicéron, dont la méthode est si naturelle et si agréable, lui avait donné le secret de ce grand art d’approprier une matière à l’intelligence du lecteur, de la proportionner à son attention, de raisonner avec force, sans abuser de l’appareil du raisonnement. […] Dans Rabelais, c’est l’humeur qui trouble les lumières de l’intelligence : dans Calvin, la raison est dupe du raisonnement.

702. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. John Stuart Mill — Chapitre II : La Psychologie. »

S’ils ont une haute intelligence, ils s’adonneront à l’histoire ou aux sciences plutôt qu’à un art. […] Suivant Hamilton, l’idée de cause n’est pas un principe sui generis de notre intelligence : elle s’explique par l’impossibilité pour nous de concevoir quelque chose qui commence absolument. […] Dès les premières lueurs de l’intelligence, nous tirons des conclusions, mais des années se passent avant que nous apprenions l’usage des termes généraux.

703. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1859 » pp. 265-300

., ces originaux complexes qui sont un résumé et un assemblage d’un tas de choses, ces hommes au langage concret, dont la vie, selon la phrase du dessinateur, « se passe à être un objet d’étude et de jouissance pour l’intelligence de ceux qui boivent avec eux, et cela sans qu’il reste rien de cela dans une œuvre écrite ou peinte ». […] C’est la mesure d’intelligence d’un homme du monde très intelligent, avec un rien de pion et un peu du bagout de faiseur. […] Thiers ou des harpistes comme Lamartine… Et les peintres donc, quelles pauvres intelligences !

704. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre I. La conscience et la vie »

Au bout de la première ligne nous trouvons les instincts de l’insecte ; au bout de la seconde, l’intelligence humaine. /Nous sommes donc autorisés à croire que la force qui évolue portait d’abord en elle, mais confondus ou plutôt impliqués l’un dans J’autre, instinct et intelligence. […] Sur les deux grandes routes que l’élan vital a trouvées ouvertes devant lui, le long de la série des arthropodes et de celle des vertébrés, se développèrent dans des directions divergentes, disions-nous, l’instinct et l’intelligence, enveloppés d’abord confusément l’un dans l’autre.

705. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Résumé et conclusion »

Maintenant, en approfondissant ces deux formes extrêmes du réalisme, on les voit converger vers un même point : l’une et l’autre dressent l’espace homogène comme une barrière entre l’intelligence et les choses. […] Placés au confluent de l’esprit et de la matière, désireux avant tout de les voir couler l’un dans l’autre, nous ne devions retenir de la spontanéité de l’intelligence que son point de jonction avec un mécanisme corporel. […] L’intelligence, se mouvant à tout moment le long de l’intervalle qui les sépare, les retrouve ou plutôt les crée à nouveau sans cesse : sa vie consiste dans ce mouvement même.

706. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre premier. »

Malgré le grand creux qu’il trouvait, dit-il quelque part, dans l’antiquité profane, il était en intelligence, en harmonie de l’âme avec cette poésie morale venue de Pythagore et déclarée sainte par Platon, toute pleine d’éclatantes peintures et de graves pensées, et souvent si chaste et si haute, que les premiers pères de l’Église l’accusaient d’avoir dérobé la parole de Dieu, comme Israël les vases d’Égypte, et que Clément d’Alexandrie en particulier prétendait noter dans Pindare bien des traits empruntés aux chants de David et à la sagesse de Salomon. […] Certes, ce grand bienheureux ainsi nommé par le poëte, n’est pas le Jupiter corrupteur et profane, le dieu de la fable et du vice : c’est plutôt la pure et suprême intelligence que, deux siècles après, concevait Aristote, accusé d’athéisme dans son temps, mais loué par Bossuet pour avoir parlé divinement de l’âme. C’est la perfection de la béatitude spirituelle, dans la souveraine intelligence ; ce sont ces incomparables joies, dont le philosophe voyait, ose-t-il dire, comme une image ici-bas dans les ravissants plaisirs de la pensée savante16.

707. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Étude sur la vie et les écrits de l’abbé de Saint-Pierre, par M. Édouard Goumy. L’abbé de Saint-Pierre, sa vie et ses œuvres, par M. de Molinari. — I » pp. 246-260

Il se produisit, à ce moment, un phénomène assez singulier : sur la fin et comme à l’arrière-saison d’un siècle si riche par l’ensemble et la réunion des plus belles facultés de l’esprit et de l’imagination, on vit paraître plusieurs hommes distingués, et quelques-uns même éminents par certaines parties de l’intelligence, mais notablement privés et dénués d’autres facultés qui se groupent d’ordinaire pour composer le faisceau de l’âme humaine : — Fontenelle en tête, le premier de tous, une intelligence du premier ordre, mais absolument dénué de sensibilité ; La Motte, l’abbé Terrasson, qui l’un et l’autre, avec l’esprit très perspicace sur bien des points, raisonnaient tout à côté comme s’ils étaient privés de la vue ou du goût, de l’un des sens qui avertissent.

708. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Bossuet. Œuvres complètes publiées d’après les imprimés et les manuscrits originaux, par M. Lachat »

Bossuet, ai-je dit ailleurs, c’est le génie hébreu, étendu, fécondé par le christianisme et ouvert à toutes les acquisitions de l’intelligence, à toutes celles du moins que le catholicisme gallican enferme et consacre, mais retenant quelque chose aussi de l’interdiction antique et souveraine, qui sent le commerce direct avec Jéhovah. […] L’important, avec Bossuet, est de bien saisir la forme particulière à son esprit, à cette intelligence si vaste d’ailleurs et si complète pour l’ordonnance et pour l’expression ; je voudrais me la représenter mieux que par des aperçus, et la réfléchir dans son plein.

709. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

L’intelligence dit au cœur : « Le monde n’a pas un bon père, « Vois, le mal est partout vainqueur. » Le cœur dit : « Je crois et j’espère ; « Espère, ô ma sœur ! crois un peu ; « Tu mords l’inconnu, je le couve ; « Je suis immortel, je sens Dieu. » L’intelligence lui dit : « Prouve. » C’est sincère.

710. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre VII. Induction et déduction. — Diverses causes des faux raisonnements »

Il y a une logique naturelle à laquelle obéissent les esprits les moins cultivés : la raison fait son œuvre sourdement, inconsciemment jusque dans les intelligences les plus brutes. […] On met dans la conclusion ce qui n’est pas dans le principe ; car cette égalité réelle ne peut être la conséquence logique et nécessaire de l’égalité essentielle de tous les hommes que si celle-ci implique l’égalité de bonté, d’intelligence, de travail, de mérite : ce qui n’est pas.

711. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lamartine, Alphonse de (1790-1869) »

Philarète Chasles C’était la plus étonnante créature de Dieu, la plus instinctive, la moins apte à conduire les affaires ou à juger les hommes, la mieux douée pour s’élever, planer, ne pas même savoir qu’il planait, tomber dans un abîme et un gouffre de fautes, sans avoir conscience d’être tombé ; sans vanité, car il se croyait et se voyait au-dessus de tout ; sans orgueil, car il ne doutait nullement de sa divinité et y nageait librement, naturellement ; sans principes, car, étant Dieu, il renfermait tous les principes en lui-même ; sans le moindre sentiment ridicule, car il pardonnait à tout le monde et sc pardonnait à lui-même ; un vrai miracle, une essence plutôt qu’un homme ; une étoile plutôt qu’un drapeau ; un arome plutôt qu’un poète, né pour faire couler en beaux discours, en beaux vers, même en actes charitables, en hardis essors, en spontanées tentatives, les trésors les plus faciles, les plus abondants d’éloquence, d’intelligence, de lyrisme, de formes heureuses, quoique trop fluides ; de grâces inépuisables, non pas efféminées, mais manquant de concentration, de sol et de virilité réfléchie. […] Il a eu en partage la beauté, le courage, la générosité, l’intelligence et le don poétique.

712. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre premier. La critique et la vie littéraire » pp. 1-18

Brunetière se met à écrire avant que de sentir, et malgré la force de son intelligence, il est un critique pour l’histoire seulement, pour Bossuet, pour Massillon, non pour la littérature qui se vit, qui se fait, qui se sent dans son siècle. L’homme parfait que donnerait l’équilibre du sentiment et de l’intelligence, de la raison approuvant l’instinct1 !

713. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XV. Commencement de la légende de Jésus  Idée qu’il a lui-même de son rôle surnaturel. »

Le Minokhired ou « Intelligence divine » a bien de l’analogie avec le[Greek : Logos] juif. […] L’« Intelligence divine » (Mainyu-Khratú) figure dans les livres zends ; mais elle n’y sert pas de base à une théorie ; elle entre seulement dans quelques invocations.

714. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface du « Roi s’amuse » (1832) »

Il sait que, lorsqu’il s’agit de lutter pour la liberté de l’intelligence et de la pensée, il n’ira pas seul au combat. […] Des questions de libre pensée, d’intelligence et d’art sont tranchées impérialement par les visirs du roi des barricades.

715. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « De Stendhal »

Diminué par la vanité de son intelligence, il est souvent aussi diminué par elle comme écrivain. […] Car on se demande, en lisant ces lettres, dont quelques-unes valent en critique ce que leur auteur a jamais écrit de plus profond et de plus piquant dans ses livres, on se demande ce qu’il eût été, ce Stendhal-Beyle, s’il avait été spiritualiste et chrétien, c’est-à-dire ce qu’aucune intelligence moderne, ce qu’aucun esprit de ce côté du temps ne peut se dispenser d’être sans à l’instant même se rompre, en plus ou en moins, se dessécher, se rabougrir.

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