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1605. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre IV. Shakspeare. » pp. 164-280

La politesse bienveillante est le fruit tardif d’une réflexion avancée ; elle est une sorte d’humanité et de bonté appliquée aux petites actions et aux discours journaliers ; elle ordonne à l’homme de s’adoucir à l’égard des autres et de s’oublier pour les autres ; elle contraint la pure nature, qui est égoïste et grossière. […] Désormais la mort, la vie, tout lui est égal ; l’habitude du meurtre l’a mis hors de l’humanité.

1606. (1829) Tableau de la littérature du moyen âge pp. 1-332

La douceur du climat, je ne sais quelle impression chevaleresque et généreuse venue de l’Espagne et même des Mores, avaient communiqué aux habitants une élégance poétique, qui se rapproche un peu de l’humanité des temps modernes. […] C’est en langue vulgaire que commence à se manifester l’esprit de réforme morale et d’émancipation, qui devait amener plus tard cette guerre sanglante des Albigeois, où l’humanité fut défendue par les troubadours avec tant de courage.

1607. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « Essai, sur les règnes, de Claude et de Néron. Livre second » pp. 200-409

Le mépris de la vie s’élevait-il sur les ruines du sentiment de l’humanité ? […] Là, vous trouverez un tyran, ennemi de la liberté, étranger à toute justice, à qui la philosophie ne put inspirer un sentiment d’humanité, quelque respect pour les lois ; plongé dans la débauche au milieu d’un troupeau d’émulés, de fauteurs et de compagnons de sa lubricité ; des tyrans subalternes à la merci desquels la fortune et la vie des citoyens sont abandonnées, des assassins soudoyés, un sénat sans force et sans dignité, des prêtres sans mœurs, tous les vices du luxe, tous les crimes de la misère, toutes les perfidies de l’intérêt personnel, toutes les alarmes suscitées par le despotisme, l’espionnage et les délations ; vous entendrez les imputations de la jalousie accréditées par la haine, et répétées par l’ennui ; vous tomberez dans un chaos de forfaits et de vertus. […] Il prononce décidément que la compassion est un défaut réel ; que la cruauté et la compassion sont deux extrêmes, l’une de la sévérité, l’autre de la clémence : ce qui m’inclinait d’abord à croire qu’en passant du latin dans notre langue, le mot compatir avait changé d’acception  ; ou que l’influence des mœurs générales sur les notions du vice et de la vertu faisait traiter de faiblesse à Rome ce que nous regardons comme un sentiment d’humanité. […] La critique dira de tes ouvrages historiques tout ce qu’elle voudra ; mais elle ne niera point qu’on ne remporte de cette lecture une haine profonde contre tous les méchants qui ont fait et qui font le malheur de l’humanité, soit en l’opprimant, soit en la trompant ; dans tes romans et tes contes, pleins de chaleur, de raison et d’originalité, j’entrevois partout la sage Minerve sous le masque de Momus.

1608. (1878) Nos gens de lettres : leur caractère et leurs œuvres pp. -316

Dieu vous a créés et mis au monde pour amuser l’humanité après dîner. — Et ils ont, les malheureux, ils ont la faute de français lugubre ; leurs solécismes sont d’un entrain navrant ; on pourrait prononcer leurs vaudevilles sur des tombes ! […] « J’avouerai, dit-il, que ces poisons excitants me paraissent non seulement un des plus terribles et des plus sûrs moyens dont dispose l’Esprit des ténèbres pour enrôler et asservir la déplorable humanité, mais encore une de ses incorporations les plus parfaites. » Ainsi, nul doute : avaler une boulette de haschich, c’est avaler Satan ; boire une cuillerée d’opium, c’est boire Satan ; — voilà le pain, voilà le vin ; voilà l’hostie et voilà le ciboire ; — la table diabolique fait pendant à la table sainte. […] Le principal est que nos critiques insistent sur ce point : que, désormais, la littérature doit s’imprégner de l’humanité, jaillir de l’inspiration générale ! […] D’où partiraient ces cris suprêmes qui traversent le drame et où l’humanité éperdue se reconnaît ?

1609. (1862) Notices des œuvres de Shakespeare

Les sorcières sont bien ce qu’elles doivent être, et je ne sais pourquoi il est d’usage de se récrier avec dégoût contre cette portion de la représentation de Macbeth : lorsqu’on voit ces viles créatures arbitres de la vie, de la mort, de toutes les chances et de tous les intérêts de l’humanité, et qui en disposent d’après les plus méprisables caprices de leur odieuse nature, à la terreur qu’inspire leur pouvoir se joint l’effroi que fait naître leur déraison, et le ridicule même d’un tel spectacle en augmente l’effet. […] Chacun des grands drames de Shakspeare est dédié à l’un des grands sentiments de l’humanité ; et le sentiment qui remplit le drame est bien réellement celui qui remplit et possède l’âme humaine quand elle s’y livre ; Shakspeare n’y retranche, n’y ajoute et n’y change rien ; il le représente simplement, hardiment, dans son énergique et complète vérité. […] Il ne faut pas oublier qu’élevée dans un cloître elle doit avoir horreur de tout ce qui pouvait souiller son corps qu’elle est accoutumée à considérer comme un vase d’élection ; d’ailleurs une vertu absolue a aussi sa noblesse, et si elle est moins dramatique que la passion, elle amène ici cette scène si vraie où Claudio, après avoir écouté avec résignation le sermon du moine et se croyant détaché de la vie, retrouve, à la moindre lueur d’espoir, cet instinct inséparable de l’humanité qui nous fait embrasser avec ardeur tout ce qui peut reculer l’instant de la mort.

1610. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. THIERS. » pp. 62-124

Cependant on en répandit à flots ; car aucun parti, même celui qui prend l’humanité pour devise, n’est sage dans sa vengeance. » Voilà des accents miséricordieux bien naturels et qui répondent à l’imputation de système.

1611. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « LEOPARDI. » pp. 363-422

A partir de ce jour-là, l’humanité dépouilla sa robe virile et entra dans les années de deuil et de triste expérience.

1612. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE CHARRIÈRE » pp. 411-457

toi (c’est à l’époux qu’il s’adresse, à celui qu’il a peint si flegmatique sous le nom d’Albert), tu n’as pas senti comment l’humanité t’embrasse, te console. » Le véritable Albert goûtait peu cette insigne faveur et il était plutôt de l’avis de celui qui lui écrivait : « Sauf le respect pour votre ami, il est dangereux d’avoir un auteur pour ami. » — Les raisons de Gœthe pourtant, au point de vue poétique, ont leur beauté et leur grandeur.

1613. (1860) Cours familier de littérature. X « LIXe entretien. La littérature diplomatique. Le prince de Talleyrand. — État actuel de l’Europe » pp. 289-399

La meilleure preuve que ce ministre ne fut pas l’instigateur du meurtre de Vincennes, c’est qu’à l’instant même où ce meurtre retentit en Europe, l’Angleterre déclara toute alliance incompatible avec le gouvernement coupable de tels défis à l’Europe, au droit des gens et à l’humanité.

1614. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXXXIXe entretien. Littérature germanique. Les Nibelungen »

Croyez-y tant que vous voudrez, mais n’oubliez pas que trop espérer n’est pas plus permis à l’humanité que trop craindre, et quel que soit l’enthousiasme de l’esprit humain, il est constamment borné par trois terribles conditions de sa nature, la brièveté de la vie, la rotation éternelle des choses, et la courte étendue de l’espace et du temps que Dieu a accordé à l’homme.

1615. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 avril 1885. »

Associés successivement, appelés à coopérer tous à un même résultat, les arts avaient fourni, par leur concours, le moyen de rendre intelligibles à un peuple assemblé les buts les plus élevés et les plus profonds de l’humanité ; puis les différentes parties constituantes de l’art s’étaient séparées, et désormais, au lieu d’être l’instituteur et l’inspirateur de la voix publique, l’art n’était, plus que l’agréable passe-temps de l’amateur, et, tandis que la multitude courait aux combats de gladiateurs ou de bêtes féroces dont on faisait l’amusement public, les plus délicats égayaient leur solitude en s’occupant des lettres ou de la peinture.

1616. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juin 1886. »

— où un sage tyran comprendra que seule la joie des artistes a quelque raison d’être : où il écartera des artistes les vaines ombres meurtrières de l’humanité démocratique ; où il les entretiendra dans la santé de leurs estomacs, l’élégance de leurs vêtements, et la liberté sereine de leurs âmes ! 

1617. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIVe entretien. Épopée. Homère. — L’Odyssée » pp. 445-524

Quant à moi, aucune langue ne rendra jamais mon admiration et ma piété pour Homère, et, s’il y avait sur la terre quelque ordre de créature intermédiaire entre la divinité et l’humanité, je dirais : Homère est de cette race divine.

1618. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre I. Des poëtes anciens. » pp. 2-93

C’est que le premier n’a célébré que des Héros, qu’il n’a célébré que des Jeux qui n’ont intéressé que la Grèce, & que le second en chantant l’Amour & le Vin a intéressé les passions de l’humanité, qui à cet égard sera toujours la même.

1619. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

Les peintures générales sont les seules que la philosophie et l’humanité doivent se permettre : il est vrai que comme on pense rarement à se les appliquer, elles ne sont pas aussi utiles qu’elles devraient l’être ; mais les portraits isolés et ressemblants le sont encore moins.

1620. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome II pp. 5-461

Qui sait même si l’on ne doit pas à cette triste réflexion le tableau des nobles chagrins du Misanthrope, de qui l’humeur exprime avec tant d’éloquence ce même sentiment, déplorable pour l’humanité ? […] « — Il est d’autres objets où tend l’humanité. […] Qu’auprès du fourbe couvert d’un masque d’humanité, il mette un vrai philosophe, parlant peu de vertus et les pratiquant bien : le ridicule ne tombe que sur le nouveau genre d’imposture, et non sur la morale.

1621. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome II pp. 1-419

La lecture attentive de ses œuvres latines et même de ses œuvres italiennes montre clairement que l’amant de Laure tenait à l’humanité aussi bien que l’amant d’Henriette ; et, s’il ne s’explique pas avec la franchise de Clitandre, au moins faut-il reconnaître qu’il n’habite pas toujours la région des nuages. […] En lisant tout ce que l’auteur nous raconte sur les origines du théâtre en Europe, nous oublions volontiers qu’il veut nous parler du théâtre anglais, et qu’il a choisi pour thème un des plus grands génies dont s’honore l’humanité. […] Il a très nettement défini le caractère général de cette révolution : répondant aux détracteurs et aux admirateurs, il a marqué très clairement là placé qu’elle tient dans l’histoire de l’humanité. […] Guizot a su l’entourer d’une évidence lumineuse, et personne, je crois, après avoir suivi le développement de sa pensée, ne pourra persister à voir, dans la révolution anglaise, une catastrophe infligée à l’humanité par la colère divine comme une juste expiation de ses fautes. […] Guizot a voulu nous montrer les idées qui ont présidé à l’accomplissement des faits ; en d’autres termes, il a voulu nous montrer le développement individuel et le développement social de l’humanité.

1622. (1859) Critique. Portraits et caractères contemporains

que l’humanité tourne sans cesse dans le même cercle vicieux de révolutions accomplies et à refaire !

1623. (1863) Causeries parisiennes. Première série pp. -419

Ils sont ce que la loi, ce que l’humanité veulent qu’ils soient, un simple aide-mémoire pour le jury, l’analyse lucide des débats présentée par un esprit exercé à peser la valeur des témoignages. […] Ce bienfaiteur de l’humanité ne verrait aucun inconvénient, j’en suis persuadé, à ce qu’on lui élevât dans toutes les gares de France des statues avec-les locomotives prises sur ses ennemis. […] À bien regarder dans le passé, nous voyons, au contraire, que l’humanité, dans ses grands mouvements, s’est montrée volontiers iconoclaste, et que lorsqu’elle a voulu réellement confesser une croyance, elle a déserté momentanément les autels païens de la forme et du son. […] « Parvenu au plus haut degré religieux que jamais homme avant lui eût atteint, arrivé à s’envisager avec Dieu dans les rapports d’un fils avec son père, voué à son œuvre avec un total oubli de tout le reste, et une abnégation qui n’a jamais été si hautement pratiquée, victime enfin de son idée et divinisé par la mort, Jésus fonda la religion éternelle de l’humanité, la religion de l’esprit, dégagée de tout sacerdoce, de tout culte, de toute observance, accessible à toutes les races, supérieure à toutes les castes, absolue en un mot. » Les travaux de M. 

1624. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « Essai, sur les règnes, de Claude et de Néron. Livre premier. » pp. 15-203

Je dis la prudence ; car un père tendre qui craint pour son enfant, le détournera toujours d’une science qui apprend à connaître la vérité et qui encourage à la dire, sous des prêtres qui vendent le mensonge, des magistrats qui le protégent, et des souverains qui détestent la philosophie, parce qu’ils n’ont que des choses fâcheuses à entendre du défenseur des droits de l’humanité : dans un temps où l’on ne saurait prononcer le nom d’un vice sans être soupçonné de s’adresser au ministre ou à son maître28  ; le nom d’une vertu, sans paraître rabaisser son siècle par l’éloge des mœurs anciennes, et passer pour satirique ou frondeur ; rappeler un forfait éloigné, sans montrer du doigt quelque personnage vivant ; une action héroïque, sans donner une leçon ou faire un reproche. […] M’offre-t-elle le récit de quelque fait qui déshonore l’humanité ? […] donc ils étaient des lâches ; l’humanité ? […] la justice, la bienfaisance, l’humanité, la patience, la modération, l’héroïsme patriotique ne sont-ils pas dignes de notre admiration et de nos éloges, en quelque lieu que se montrent ou que se soient montrées ces grandes qualités, à Constantinople, à Pékin, à Londres, dans Athènes l’ancienne, ou dans Rome la moderne ?

1625. (1864) Histoire anecdotique de l’ancien théâtre en France. Tome I pp. 3-343

Moralité et figure sur la Passion ; le joyeux Mystère des Trois Rois ; le Couvert d’humanité ; le Monde qui tourne le dos à chacun ; Plusieurs qui n’ont pas de conscience. […] prends cet argent, je te le donne pour l’amour de l’humanité. » Corneille le jeune ne dédaignait aucun genre, son heureuse facilité et son désir de se produire au théâtre, lui ont fait essayer depuis la tragédie jusqu’à l’opéra où il ne réussit nullement, quoique Lully fût son collaborateur pour la musique. […] L’humanité est ainsi faite que bien rarement ici-bas on se contente du lot que la nature nous a dévolu en partage.

1626. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Malherbe »

Ici il ne faut pas lui demander, dans l’inspiration qui l’anime et le transporte, autre chose que du patriotisme et de la poésie : l’humanité, la tolérance, les impartialités équitables de l’histoire, qui, tout balancé, conclura de même, mais qui fait la part des vaincus, viendront après, plus tard, lorsqu’on aura le loisir d’y songer.

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