Ce discours de l’abbé de Caumartin était fort éloquent et fort agréable, plein de louanges ; mais on prétend qu’elles étaient malignes. […] Nous sommes au plus fort de cette pluie d’épigrammes fines qui ne laisse pas de répit et qui ne cesse plus : La véritable éloquence, poursuivait sans pitié l’abbé de Caumartin, doit convenir à la personne de l’orateur : la vôtre ne laisse pas ignorer à ceux qui vous entendent ou qui vous lisent, d’où vous venez et ce que vous êtes. […] III, p. 264) : « M. de Bouillon (le père), ennuyé de ses déportements, lui en fit une forte romancine », mais une forte remontrance 66.
Elle eut l’idée de composer pour les enfants un recueil qui se serait appelé les Enfantines ; quelques-unes de ces pièces se sont conservées ; il en est une fort jolie, intitulée : L’Ange Joujou. […] Il était chez M. de Lamennais, il vient d’en sortir : il a fort à faire, craint-elle, de lutter avec cet éloquent démon et ce grand tentateur. […] Un de ces enfants est fort gentil, vif, éveillé, questionneur ; il voulait tout voir, tout savoir. […] — Le vent qui soufflait fort à la fenêtre l’étonnait aussi ; ma chambrette était pour lui un lieu enchanté, une chose dont il se souviendra longtemps, comme moi si j’avais vu le palais d’Armide. […] mais on a parlé de classique dernièrement à propos des écrits d’une dame russe fort vantée, et j’ai protesté contre cette manière d’éloge : Mme Swetchine, avec tout son esprit, ne saurait, en effet, être appareillée aux véritables classiques, même en matière de spiritualité ; celle qui mériterait véritablement ce nom par la grâce du tour, la correction du trait, le naturel et la propriété des images, la simplicité (au moins relative) des pensées, ce serait Mlle Eugénie de Guérin, si elle avait fait un livre.
Un homme de beaucoup d’esprit, dont les idées valaient mieux que les faits et gestes, et qui eut l’honneur de recevoir, depuis, les confidences de Napoléon sur ces matières ecclésiastiques, l’abbé de Pradt, a traité ce sujet dans un livre fort remarquable et digne d’être relu85. […] Liautard, cet homme d’activité et d’intrigue, dont l’action tendait à s’étendre fort au-delà de son collège, se vantait d’être un antagoniste déclaré, un ennemi. […] des choses impossibles sans doute, et d’ailleurs fort diverses. […] Il me semble que de fortes luttes se préparent. […] Cette partie des Mémoires d’un témoin fort peu considérable sans doute, mais dont les amis curent grande influence, n’est pas sans quelque intérêt pour l’histoire du temps. — En vérité, on rougit pour son pays de penser quelle a pu être à un moment, et à l’aide d’une active amie (Mme du Cayla), l’influence politique d’un sot panaché et d’un niais comme ce vicomte Sosthènes ; on hésiterait à, parler ainsi d’un galant homme, si lui-même il n’avait pris à tâche de se dresser son monument et comme sa pyramide ridiculement solennelle, dans ses futiles et interminables Mémoires.
Il ne cesse de prêcher, et il le fait d’une façon fine, tendre, poétique et sensée, gaie et légère, qui aurait^dû être pleinement persuasive, si la nature n’était pas plus forte que toutes les raisons. […] Il essaye de se mettre au point de vue de Marie, et quand elle a fort raisonné sur ce qu’il implore d’elle et qu’elle a épilogué sur les différentes manières d’aimer et sur celle même qu’elle ne comprend pas, il lui dit : « Eh bien ! […] Ces petits amours sont des oiseaux fort farouches ; les grands mots surtout leur font peur. » En général, Michel se fait peu d’illusion sur les femmes ; il sait la vie, il sait ce que valent la plupart du temps ces grandes défenses : « La parole chez les femmes est toujours un mensonge convenu ; on peut facilement la mal traduire et se tromper de ruse. » Mais ici ce n’est pas le cas. […] Un jour donc que Marie questionnait Michel, et le questionnait sur toute chose humaine ou divine, — car il entre évidemment beaucoup plus de curiosité que d’amour dans son goût pour lui, — Michel, interrogé, répond : « Marie, je n’ai pas tout vu, quoique je sois fort curieux ; je n’ai pas tout analysé ; je n’ai pas tout nié, Dieu merci ! […] Je suis pourtant fort ignorant, mais voici ce que je sais et comment je sais.
D’ailleurs, les hommes changent, et tel qui a été fort bon devient médiocre et quelquefois misérable. » Et encore, dans une autre lettre à ce même ministre, en parlant de la bravoure : « C’est la première qualité que je demande à la guerre. […] Villars parlait fort de la donner, et d’autant plus haut qu’il se doutait bien que Berwick, général flegmatique et froid, était chargé de tempérer ce qu’on appelait sa trop grande ardeur : « C’est pourquoi, dit-il, je n’hésitais pas à proposer les projets les plus hardis, persuadé qu’on en rabattrait toujours assez. » C’est ainsi qu’il fit mine de se mettre en marche comme pour aller secourir Douai, dont il croyait fort bien cependant ne pouvoir faire lever le siège. […] Je vous supplie de me mander si vous jugez qu’en faisant le siège de Landrecies, ils puissent toujours conserver leur communication à Douai par Marchiennes, pour en tirer leurs convois et munitions de guerre, ce qui est fort éloigné de Landrecies ; et il est néanmoins bien difficile qu’ils les puissent faire venir d’ailleurs… S’il était possible dans ce grand éloignement d’attaquer leurs lignes de Denain pour couper la communication> ce moyen paraîtrait le plus assuré et le moins hasardeux pour les obliger à lever le siège ; et vous feriez bien d’en écrire vous-même à M. le maréchal de Villars et de lui en envoyer un projet, lui marquant le nombre de troupes dont vous auriez besoin, de quelle manière et en quel temps il devrait les faire marcher, etc., etc. […] Il me semble, à vous parler naturellement, qu’après les ordres réitérés de Sa Majesté, les plus fortes réflexions du général doivent être pour bien faire ses dispositions et profiter des moments. […] Les nuits, à cette époque de l’année, sont fort courtes.
Mais de même que je me rappelais tout à l’heure Virgile en le lisant, je ne puis m’empêcher encore de me reporter à cette autre parole d’Andromaque dans Euripide, laquelle, au plus fort de ses douleurs et de ses alarmes maternelles, s’écrie : « … Oui, cela est vrai pour tous les hommes : leurs enfants, c’est leur âme même, et celui qui, pour n’en avoir pas l’expérience, dit le contraire, celui-là souffre moins, mais il est heureux sans bonheur. […] L’estime est la plus forte de toutes les sympathies. » La religion n’est pas absente dans Émile ; sans parler de l’abbé de La Tour qui la représente dignement par la plus pure morale, le nom de Dieu y revient souvent et y est invoqué par la bouche d’Émile : « Il est impossible à l’homme qui médite souvent sur lui-même de ne pas remonter à la cause qui l’a fait naître ; toutes les grandes pensées aboutissent à Dieu… « Dieu existe ! […] « Pour surgir de l’obscurité il n’est plus qu’un moyen, grattez la terre avec vos ongles, si vous n’avez pas d’outils, mais grattez-la jusqu’à ce que vous ayez arraché une mine de ses entrailles… Quand vous l’aurez trouvée, on viendra vous la disputer, peut-être vous l’enlever ; mais, si vous êtes le plus fort, on viendra vous flatter, et, quand vous n’aurez plus besoin de personne, on viendra vous secourir. » Et ceci encore, qui est dit d’ailleurs en bonne part et sans amertume : « Le temps de la métaphysique a passé. […] M. de Girardin, marié en 1831 avec la personne si distinguée qui doubla pendant tant d’années son existence, était mis en demeure plus que jamais de se frayer son chemin dans une société que les événements de 1830 avaient fort mélangée à la fois et simplifiée. […] L’essentiel, en tout début, est de mordre sur le public ; si vous y atteignez, le plus fort est fait.
Cette barbarie, cette demi-civilisation saxonne, croisée d’habileté et de finesse normande, le tout enfermé, tassé dans son île, travaillé, trituré, pétri et mûri durant des siècles, selon ce que l’auteur nous a si bien fait voir, se retrouve, dans la conclusion, à l’état de la plus forte, de la plus solide, de la plus sensée, de la mieux tenue, de la mieux pondérée, de la plus positive et de la plus poétique des nations libres. […] Pour moi, je l’avouerai, ces sortes d’explications sur de grands génies pris dorénavant comme types absolus et symboles, non pas précisément surfaits, mais généralisés de plus en plus et comme élevés en idée au-dessus de leur œuvre, si forte et si grande déjà qu’elle soit en elle-même, ces considérations chères à la haute critique moderne restent à mes yeux nécessairement conjecturales ; ce sont d’éternels problèmes qui demeurent au concours et où l’on revient s’essayer de temps à autre : chacun, à son tour, y brise une lance. […] Nous le fîmes, et c’est ce qui donna matière aux maximes publiées ensuite dans nos mélanges ; celles de la fin d’un des volumes sont de moi, celles de l’autre volume sont du docteur Swift. » Ce sont là des passe-temps ingénieux, des jeux de gens d’esprit et de gens de lettres ; on est loin de Shakespeare sans doute et même de Milton ; mais je ne vois rien en tout cela qui prête si fort au ridicule, et dans une Histoire de la littérature, la partie littéraire proprement dite, même en ce qu’elle offre d’un peu calculé et d’artificiel, a droit, ce semble, de trouver place et grâce. […] Et en général je dirai : combinons nos efforts, ne les opposons pas et ne détruisons rien, Vous nous invitez, vous nous obligez, à force de talent, à marcher avec vous vers le grand, le fort, le difficile, vers ce que nous n’aurions pas abordé à ce degré sans vous ; mais aussi ne nous supprimez pas nos points de vue habituels et agréables, nos paysages de Windsor et nos jardins de Twickenham. […] Ce petit recueil est tout un trésor, en effet, de forte ou suave poésie.
« Je suis un peu embarrassée », dit Mme Roland lorsqu’elle en vient à cette histoire, « de ce que j’ai à raconter ici ; car je veux que mon écrit soit chaste, puisque ma personne n’a pas cessé de l’être, et pourtant ce que je dois dire ne l’est pas trop. » Et en finissant ce récit, de tout point fort circonstancié, elle ajoute : « L’impression de ce qui s’était passé demeura si forte chez moi que, même dans l’âge des lumières et de la raison, je ne me le rappelais qu’avec peine ; que je n’en ai jamais ouvert la bouche à une intime amie qui eut toute ma confiance ; que je l’ai constamment tu à mon mari, à qui je ne cèle pas grand’chose, et qu’il m’a fallu faire dans ce moment même autant d’efforts pour l’écrire que Rousseau en fit pour consigner l’histoire de son ruban volé, avec laquelle la mienne n’a pourtant pas de comparaison. » Je sais bien d’autres histoires des Confessions avec lesquelles celle-ci a plus de ressemblance qu’avec le ruban volé, et ce sont les plus laides ; il suffit, je ne les indiquerai pas avec plus de précision. […] Mme Roland a ici l’impudeur d’une honnête femme qui fait la forte. […] L’idée de Dieu était fort à la baisse en l’an iii ; il semblait que Robespierre l’eût compromise en la proclamant. […] Roland, de plus, avait vieilli, et de son côté Mme Roland était arrivée à cet âge de trente-cinq ans environ où la pudeur diminue, même aux plus honnêtes, et où la plus sage a fort à se défier des désirs qui, dans leur dernier réveil, et avec tout un arriéré formidable, sentent qu’ils n’ont plus qu’un jour, une heure, une suprême saison.
Dans les moments de marche ou d’installation incohérente et confuse, comme le sont les temps présents, il est simple qu’on aille au plus important, qu’on s’occupe du gros de la manœuvre, et que de toutes parts, même en littérature, ce soit l’habitude de frapper fort, de viser haut et de s’écrier par des trompettes ou des porte-voix. […] Mme de Souza, alors Mme de Flahaut, avant d’épouser fort jeune le comte de Flahaut, âgé déjà de cinquante-sept ans, avait été élevée au couvent à Paris. […] Si on voulait franchir son cercle idéal, si on lui parlait politique, elle répondait que M. de Sénange avait eu une attaque de goutte, et qu’elle en était fort inquiète. […] Quant à moi, je n’ai jamais écrit ni dit une sentence fort injuste qui comprend tous les siècles, et qui est si loin de ces convenances polies qu’une femme doit toujours respecter. » L’atticisme scrupuleux de Mme de Souza s’effraie avant tout qu’on ait pu lui supposer une impolitesse de langage. […] Saint-René Taillandier (Lettres de Sismondi, de Bonstetten, de Mme de Staël, etc.), un certain nombre de lettres de Mme de Souza adressées à la comtesse d’Albany ; elles sont fort agréables.
Il faut pour cela deux choses : la première, que les langues soient déjà très riches, très fortes et très nuancées d’expressions, sans quoi le poète manquerait de couleurs sur sa palette ; la seconde, que le poète lui-même soit un instrument humain de sensations, très impressionnable, très sensitif et très complet ; qu’il ne manque aucune fibre humaine à son imagination ou à son cœur ; qu’il soit une véritable lyre vivante à toutes cordes, une gamme humaine aussi étendue que la nature, afin que toute chose, grave ou légère, douce ou triste, douloureuse ou délicieuse, y trouve son retentissement ou son cri. Il faut plus encore, il faut que les notes de cette gamme humaine soient très sonores et très vibrantes en lui, pour communiquer leur vibration aux autres ; il faut que cette vibration intérieure enfante sur ses lèvres des expressions fortes, pittoresques, frappantes, qui se gravent dans l’esprit par l’énergie même de leur accent. […] Si la pensée frappe fort, le mot est fort ; si elle frappe doucement, il est doux ; si elle frappe faiblement, il est faible. […] Mais le grand poète, d’après ce que je viens de dire, ne doit pas être doué seulement d’une mémoire vaste, d’une imagination riche, d’une sensibilité vive, d’un jugement sûr, d’une expression forte, d’un sens musical aussi harmonieux que cadencé ; il faut qu’il soit un suprême philosophe, car la sagesse est l’âme et la base de ses chants ; il faut qu’il soit législateur, car il doit comprendre les lois qui régissent les rapports des hommes entre eux, lois qui sont aux sociétés humaines et aux nations ce que le ciment est aux édifices ; il doit être guerrier, car il chante souvent les batailles rangées, les prises de villes, les invasions ou les défenses de territoires par les armées ; il doit avoir le cœur d’un héros, car il célèbre les grands exploits et les grands dévouements de l’héroïsme ; il doit être historien, car ses chants sont des récits ; il doit être éloquent, car il fait discuter et haranguer ses personnages ; il doit être voyageur, car il décrit la terre, la mer, les montagnes, les productions, les monuments, les mœurs des différents peuples ; il doit connaître la nature animée et inanimée, la géographie, l’astronomie, la navigation, l’agriculture, les arts, les métiers même les plus vulgaires de son temps, car il parcourt dans ses chants le ciel, la terre, l’océan, et il prend ses comparaisons, ses tableaux, ses images, dans la marche des astres, dans la manœuvre des vaisseaux, dans les formes et dans les habitudes des animaux les plus doux ou les plus féroces ; matelot avec les matelots, pasteur avec les pasteurs, laboureur avec les laboureurs, forgeron avec les forgerons, tisserand avec ceux qui filent les toisons des troupeaux ou qui tissent les toiles, mendiant même avec les mendiants aux portes des chaumières ou des palais.
Perrault était l’homme de confiance de Colbert, auprès de qui il avait remplacé Chapelain : esprit ouvert, inventif, un peu trop assuré et présomptueux, comme sont souvent les gens qui se sont formés eux-mêmes, incapable de douter de son savoir, comme de se douter de ses ignorances, ayant plutôt la curiosité d’un amateur et l’intelligence d’un directeur des beaux-arts que les dons d’un écrivain ou d’un critique, faisant une forte cabale avec ses deux frères, le receveur des finances et le médecin, fort appliqués comme lui aux sciences et aux arts, et fort répandus aussi dans le monde. […] Il y a un sentiment fin et juste de la couleur, si l’on peut dire, des expressions et des langues dans la démonstration que Boileau entreprend ; mais la gaucherie de la forme est plus sensible que la vérité du fond, et l’on ne peut s’empêcher de sourire, quand on voit Boileau alléguer Thalès, Empédocle et Lucrèce, pour faire valoir la dignité de l’eau dans l’antiquité, quand il ne veut pas qu’Homère ait parlé du « boudin » : un « ventre de truie », à la bonne heure, voilà qui est noble ; ou quand enfin il aime mieux mettre aux pieds de Télémaque une « magnifique chaussure » que de « beaux souliers », et maintient obstinément qu’il ne faut pas appeler « cochons » ou « pourceaux » les animaux de nom « fort noble », en grec, dont avait soin le « sage vieillard » Eumée, qui n’était pas un « porcher ». […] Il l’était si bien qu’il ne renversait la théorie moderne du « progrès » dont l’application à la littérature lui paraissait fort aventureuse, que par une théorie plus moderne encore, qui contient en germe les principes d’une critique toute « relativiste » et même « évolutionniste ».
Pendant le xve siècle, l’Italie avait eu des drames latins, fort inspirés de Sénèque, et depuis 1515 elle avait une tragédie nationale en langue vulgaire : en 1515, Trissino donna sa Sofonisba. […] Naturellement, selon les lois de l’éloquence et du lyrisme, leurs développements des situations particulières et des sentiments individuels tendent à l’universel, au lieu commun : d’autant mieux que, ne comprenant rien à la nature propre du drame, ils sont amenés fort logiquement à le prendre comme une allégorie morale, destinée à l’instruction : pourquoi raconterait-on ces choses extraordinaires, si ce n’est pour l’exemple ? […] Qu’on lise, si l’on peut, sa Didon : le quatrième livre de l’Enéide y est fort intelligemment mis en scène. […] Sur cette misérable scène de l’Hôtel de Bourgogne, à la maigre lueur des chandelles, le contraste de la réalité signifiée et de l’image figurée était trop fort ; on remarqua que la forêt était un arbre, la mer un bassin : on s’étonna que l’Allemagne et le Danemark, ou même la place Royale et les Tuileries ne fussent séparés que par quelques toises, et qu’en une heure le héros eût vieilli de trente ans. […] Aucun principe, aucune doctrine d’art n’est en jeu ; et c’est pourquoi nous pouvons ne pas nous arrêter aux pamphlets de Mairet, accusant Corneille de plagiat, aux Observations de Scudéry se faisant fort de démontrer : 1° que le sujet du Cid ne valait rien ; 2° qu’il choquait les règles ; 3° qu’il manquait de jugement en sa conduite ; 4° que les vers en étaient méchants — et qualifiant Chimène d’impudique et de parricide.
Une forte organisation sociale représente pour l’individu la condition optima. […] Un ouvrier fileur, un métallurgiste, un chemineau et un instituteur peuvent différer fort peu, intellectuellement et sentimentalement les uns des autres, et s’ils diffèrent, cela ne provient d’ailleurs que de leur profession. […] Cela nous semble fort douteux ; car tout État est conformiste par définition. […] Les autres s’efforceront de défendre leur individualité par tous les moyens ; n’étant pas les plus forts, ils biaiseront avec les contraintes sociales, ils s’ingénieront à trouver des fissures, des trous, dans le filet social ; ils se ménageront contre la tyrannie la plus gênante ou la plus menaçante des refuges, des alliés, des compagnons de résistance. […] Les groupes, comme les individus, ont une tendance à s’illusionner sur leur propre compte ; à se concevoir autres qu’ils ne sont, plus forts, plus grands, plus nobles, plus influents qu’ils ne sont (peuples qui s’attribuent une origine divine, qui attendent un messie, etc. ; bureaucratie qui surfait de bonne foi son importance et ses mérites).
Toute âme forte et grande, aux moments où elle s’anime, peut se dire maîtresse de la parole, et il serait bien étrange qu’il n’en fût pas ainsi. […] Une âme forte, qui serait toujours dans l’état d’excitation où sont quelquefois les âmes simples, aurait un langage continuellement net, franc, et souvent coloré. […] L’éducation littéraire de Napoléon avait été fort négligée, fort inégale. […] Il était fort gêné dans ses affaires, lorsqu’en novembre 1797 Napoléon arriva à Paris.
Mme Du Deffand eut cela de particulier du moins, entre les esprits forts de son siècle, de n’y point mettre de bravade, de sentir que la philosophie qu’on affiche cesse d’être de la philosophie, et elle se contenta de rester en parfaite sincérité avec elle-même. […] Plus tard, dans sa vieillesse, on la voit, jusqu’à la fin, faire tant qu’elle peut de nouvelles connaissances pour combler les vides ou diversifier le goût des anciennes : elle dut faire à plus forte raison la même chose en amour durant la première moitié de sa vie. […] Elle sentit en lui aussitôt et les qualités propres à cet homme si distingué et celles de la race forte à laquelle il appartenait : elle lui en sut gré également ; et elle qui n’avait jamais aimé d’amour, qui n’avait eu que des caprices et point de roman ; qui, en fait d’amitiés, n’en comptait que trois jusqu’alors sérieuses dans sa vie, celle de Formont et celle de deux femmes, dont l’une encore l’avait trompée ; cette moraliste à l’humeur satirique devint tout d’un coup tendre, émue autant qu’amusée, d’une sollicitude active, passionnée ; elle ne s’appartint plus. Bref, aveugle et à soixante-huit ans, elle trouva à placer son cœur, et cette fois (pour la rareté du cas) elle le plaça sur un Anglais, homme recherché, répandu, qui n’avait pas cinquante ans, dont elle aurait pu être la mère, qui devait passer sa vie loin d’elle, et qu’elle embarrassait fort par ses vivacités de tendresse. […] Elle fait de même chez Jean-Jacques : « Ne sachant que lire, j’ai repris l’Héloïse de Rousseau ; il y a des endroits fort bons, mais ils sont noyés dans un océan d’éloquence verbiageuse. » Sur Racine, sur Corneille, elle a des jugements sains et droits.
Elle eut une éducation forte, et apprit le latin dès l’enfance. […] Le bruit, ce n’est pas la nuit qu’il l’incommode, à ce qu’elle m’a dit, mais le jour, au fort de son travail ; cela dérange ses idées. […] Mme du Châtelet distingue fort entre les préjugés et les illusions ; elle veut supprimer les uns et conserver les autres. […] Elle insiste fort sur la direction positive qu’il faut se tracer et suivre, sans regret, sans repentir, sans plus regarder en arrière une fois qu’on s’est dit d’aller ; il faut partir d’où l’on est et vouloir ce qu’on veut : « Décidons-nous, dit-elle en concluant, sur la route que nous voulons prendre pour passer notre vie, et tâchons de la semer de fleurs. » Tâchons, en effet ; mais cet effort se marque trop, et ce propos si déterminé de semer des fleurs est tout fait pour les empêcher d’éclore. […] Ainsi, deux ou trois jours après cette mort, comme il s’inquiétait fort d’une bague que portait la marquise, et où devait se trouver son portrait sous le chaton, Longchamp lui dit qu’il avait eu la précaution, en effet, de retirer cette bague, mais que le portrait qu’elle renfermait était celui de M. de Saint-Lambert : « Ô ciel !
Darget (lecteur et secrétaire du roi de Prusse) vienne m’en parler, je l’assurerai fort que je n’ai nulle connaissance de cette impression, et que je vais prendre les ordres du roi pour empêcher qu’elle ne s’exécute en France. […] « Il a été grand surtout dans les moments les plus critiques, a dit Napoléon ; c’est le plus bel éloge que l’on puisse faire de son caractère. » Ce caractère moral est ce qui ressort encore chez Frédéric à travers le guerrier, et qui demeure bien au-dessus ; ç’a été une âme d’une forte trempe et un grand esprit qui s’est appliqué à la guerre parce qu’il le fallait, plutôt que ce n’était un guerrier-né. […] Cela sent un reste de mauvais goût natif et de grossièreté septentrionale, et l’on a pu dire, avec une juste sévérité, des lettres de Frédéric : « Il y a de fortes et grandes pensées, mais tout à côté il se voit des taches de bière et de tabac sur ces pages de Marc Aurèle. » Frédéric, qui avait du moins le respect des héros, a dit : « Depuis le pieux Énée, depuis les croisades de saint Louis, nous ne voyons dans l’histoire aucun exemple de héros dévots. » Dévots, c’est possible, en prenant le mot dans le sens étroit ; mais religieux, on peut dire que les héros l’ont presque tous été ; et Jean Muller, l’illustre historien, qui appréciait si bien les mérites et les grandes qualités de Frédéric, a eu raison de conclure sur lui en ces mots : « Il ne manquait à Frédéric que le plus haut degré de culture, la religion, qui accomplit l’humanité et humanise toute grandeur18. » Je ne veux plus parler aujourd’hui que de Frédéric historien. […] Ce ton est mâle, simple, et la narration s’y nourrit de réflexions rares, mais fortes, qui révèlent l’enchaînement des causes. […] Henry, pasteur de l’Église française à Berlin, a écrit une dissertation où il traite de l’irréligion de Frédéric ; sans prétendre l’absoudre sur ce point, le digne écrivain croit qu’on a fort exagéré ce côté français de Frédéric, par lequel il regardait et flattait les philosophes du xviiie siècle ; il cherche à démontrer que Frédéric, avec une sorte de fanfaronnade, s’est plu à l’exagérer lui-même.
D’Aguesseau naquit en 1668 à Limoges, où son père était alors intendant, un père vénérable dont il nous a retracé la vie ; et il reçut de lui une éducation domestique forte et tendre, qui rencontra le naturel le plus docile et le plus heureux. […] Parlons avec franchise : tous ces éloges qu’on accorde à l’éloquence judiciaire de d’Aguesseau nous semblent aujourd’hui fort exagérés. […] Nous faisons plus qu’entrevoir, nous embrassons déjà fort clairement, dans ces nobles pages de d’Aguesseau, la théorie de plus d’un illustre moderne, ce qui sera la métaphysique de M. […] Il avait reçu de la nature, nous dit son fils, un cœur délicat et sensible, avec un sang vif qui s’allumait aisément ; et, comme la promptitude n’est pas incompatible avec la plus grande bonté, il aurait pu être fort prompt, s’il se fût laissé aller à son tempérament ; mais ce n’était que son visage qui trahissait, malgré lui, une émotion entièrement involontaire. […] Il me faut pourtant y faire une remarque critique sur une phrase souvent citée, et qui a fort étonné de la part d’une plume aussi correcte que celle de d’Aguesseau.
La préface de son premier tome, d’abord, est fort spirituelle ; il raconte de nouveau l’origine de la querelle, les injures que lui ont values les opinions exprimées dans le poème du Siècle de Louis le Grand. […] Contre les doctes de ses amis, Charpentier46, Ménage, le couple Dacier et les pédants en us ; contre ces illustres traducteurs qui, à la moindre critique sur Platon ou sur Homère, se fâchent « comme s’ils en étaient descendus en ligne directe (car des collatéraux ne prendraient jamais la chose si fort à cœur) » ; contre eux tous, Perrault, ce me semble, a d’emblée gain de cause devant nous. […] Il ne l’entend pas, et pourtant il jette à ce propos mille pensées fort neuves, fort spirituelles, et que la science critique a depuis plus ou moins exploitées ; il a des ouvertures imprévues et heureuses. […] On finit par s’en rapporter dans cette grave affaire à l’avis de Bossuet, lequel donna moins de tort à Perrault que ne l’avait fait Arnauld ; et, sur ces entrefaites, Racine ménagea entre les deux adversaires une réconciliation qui, sans être jamais fort tendre, fut honnête du moins et suffisante.
Sans doute il y a lieu toujours à d’agréables distractions dans l’intervalle, à ce que j’appelle la poésie du diable, à celle du printemps et de la jeunesse ; mais les productions fortes, et qui pourraient marquer socialement, sont très compromises dans leur germe. […] Onésime Seure a inséré quelques pièces qui se pourraient appeler des fabliaux évangéliques, et une fort jolie fable, Le Ruisseau et la Montagne. […] Nadaud (1849), non qu’il n’y en ait de fort jolies, mais elles sont trop à l’usage du Quartier latin et de la Closerie des lilast. […] On en fait, on en refait, et de forts jolis, je vous jure. […] M. de Laprade a fort convenablement loué Musset ; celui-ci ne l’appréciait nullement : il y avait antipathie de nature.
Ainsi, à propos du prince de Vaudémont, ancien gouverneur de Milan et homme de mérite, qui a fort réussi à Versailles : Serait-ce un grand malheur, écrit Mme des Ursins, quand vous voudriez par vous-même le connaître à fond, en l’entretenant sur toutes sortes de matières différentes, et lui demandant comment il pense sur les sujets ? […] Ils devraient, ce me semble, laisser leurs disputes jusqu’à ce que la paix générale fût faite, et ensuite recommencer leurs guerres civiles, s’arracher leurs bonnets de la tête, s’ils en avaient envie ; mais présentement nous avons des choses plus sérieuses ; et, pour moi, j’ai si fort regardé ces deux partis avec indifférence, que je n’ai pas voulu presque en entendre parler, et je cherche toujours mes confesseurs exempts de haine ou d’amitié pour eux. […] J’entendis donc la défaite de l’armée ennemie, et retournai souper de fort bonne humeur. […] Mme des Ursins ne laisse pas tomber ce mot : « On dit pourtant, remarque-t-elle, que c’est plutôt le peuple qui en a été irrité, que la plupart des seigneurs. » On conçoit par une telle disposition de cœur combien, dans de si périlleuses conjonctures, Mme des Ursins dut être utile alors à Madrid pour y soutenir et y fortifier les résolutions royales ; car ce fut là l’honneur de cette maison de Bourbon à son avènement en Espagne, ce fut son vrai sacre, pour ainsi dire, de ne jamais désespérer au plus fort de la crise, de sentir la main de Louis XIV prête à se retirer et presque à se retourner contre elle, sans se laisser abattre : « Le roi est tout occupé du soin de se défendre seul, au cas que le roi, son grand-père, lui retire les secours dont il l’a assisté », écrivait Mme des Ursins. […] Mais, en avançant, le désaccord qui naît du fond des situations et des caractères est plus fort que le goût qui vient purement de l’esprit.
On la lui offrait plus forte ; il crut devoir la réduire lui-même à ce chiffre modique, ne voulant y voir et y laisser subsister que la légère attache de l’obligation et du bienfait. […] Les actions de la société avaient été portées fort haut, et peut-être d’une manière artificielle. […] La péroraison par laquelle Mirabeau terminait sa brochure est restée célèbre dans le genre de l’invective : Pour vous, monsieur, qui, en calomniant mes intentions et mes motifs, m’avez forcé de vous traiter avec une dureté que la nature n’a mise ni dans mon esprit ni dans mon cœur ; vous, que je ne provoquai jamais, avec qui la guerre ne pouvait être ni utile ni honorable ; … croyez-moi, profitez de l’amère leçon que vous m’avez contraint de vous donner… Retirez vos éloges bien gratuits ; car, sous aucun rapport, je ne saurais vous les rendre ; retirez le pitoyable pardon que vous m’avez demandé ; reprenez jusqu’à l’insolente estime que vous osez me témoigner… Et il finit par ce conseil terrible et le plus incisif, entre hommes avides avant tout de la popularité : « Ne songez désormais qu’à mériter d’être oublié. » Beaumarchais, sous le coup de l’outrage, se tut : il avait rencontré un jouteur encore plus osé que lui, et à plus forte carrure ; il était dépassé et vaincu. […] On peut juger de ce que peut être la dignité de l’homme mise en musique ; mais les contemporains s’en accommodaient fort, et Beaumarchais essayait par tous les moyens de ressaisir la popularité qui lui échappait. […] Dans une discussion du Conseil à laquelle il est admis, il a peine à entendre Danton, qui pourtant parlait assez fort et assez haut : M.