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450. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre onzième. »

C’est un besoin des sociétés arrivées à leur maturité de tracer des règles, de réduire leur expérience en maximes, d’engager les âges à venir par les exemples du passé. […] Dans ces Pensées, publiées quatre ans après, mais conçues vers le même temps, ce grand génie, franchissant les siècles, cherchait les principes et la sagesse bien au-delà des expériences du temps présent, auquel La Rochefoucauld était resté trop attaché.

451. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — III. (Suite et fin.) » pp. 47-63

Mais ici la méfiance, déjà propre à cette jeune nature, se marqua à l’instant ; sa physionomie se ferma : « Mais je ne connais personne à Paris », répondit-il ; — et après une pause d’un instant : « Je n’y connais plus que la colonne de la place Vendôme. » Puis s’apercevant qu’il avait interprété trop profondément une parole toute simple, et pour corriger l’effet de cette brusque réponse, il envoya le surlendemain à M. de La Rue, qui montait en voiture, un petit billet où étaient tracés ces seuls mots : « Quand vous reverrez la Colonne, présentez-lui mes respects. » Au maréchal Marmont, comme à toutes les personnes avec qui il parlait de la France, le jeune prince exprimait l’idée qu’il ne devait, dans aucun cas, jouer un rôle d’aventure ni servir de sujet et de prétexte à des expériences politiques ; il rendait cette juste pensée avec une dignité et une hauteur déjà souveraines : « Le fils de Napoléon, disait-il, doit avoir trop de grandeur pour servir d’instrument, et, dans des événements de cette nature, je ne veux pas être une avant-garde, mais une réserve, c’est-à-dire arriver comme secours, en rappelant de grands souvenirs. » Dans une conversation avec le maréchal, et dont les sujets avaient été variés, il en vint à traiter une question abstraite ou plutôt de morale, et comparant l’homme d’honneur à l’homme de conscience, il donnait décidément la préférence à ce dernier, « parce que, disait-il, c’est toujours le mieux et le plus utile qu’il désire atteindre, tandis que l’autre peut être l’instrument aveugle d’un méchant ou d’un insensé ». […] Mais quand l’homme se trouve en face d’une difficulté réelle, disproportionnée avec ses forces, il se résigne ; et si l’expérience lui a enseigné que le temps et un effort réglé et continu sont les seuls moyens du succès, il prend alors l’habitude de la patience, et cette habitude passe dans sa nature.

452. (1903) Zola pp. 3-31

On ne s’arrêta pas au non-sens de l’expression qui suppose que l’on peut faire des expériences sur les caractères des hommes, alors qu’on ne peut faire sur eux que des observations ; et l’on comprit que M.  […] Si Zola voulut faire l’expérience de dépasser la mesure, il dut voir qu’il était à peu près impossible de la dépasser et qu’elle est, pour ainsi parler, à l’infini.

453. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Du Rameau » pp. 288-298

Je ne prononce pas, je m’enquiers ; dans un quart d’heure, ce serait une expérience faite et je saurais à quoi m’en tenir. […] Ce qui doit inquiéter sur son compte, c’est qu’il a beaucoup encore à acquérir, et qu’il est d’expérience que nos artistes transportés d’Italie, perdent d’année en année.

454. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre V : M. Cousin historien et biographe »

Au contraire, priez un lecteur ordinaire de lire l’histoire de Mme de Sablé et de Mme de Longueville ; l’expérience est aisée, et je l’ai faite : il n’emportera qu’une impression vague ; il ne pourra dire exactement quel fut l’esprit de cette époque ; il saura seulement que, selon M.  […] Passons aux preuves a posteriori, c’est-à-dire à l’expérience et aux témoignages.

455. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. de Ségur. Mémoires, souvenirs et anecdotes. Tome II. »

« Mon dessein n’est pas d’entrer dans une discussion, dit-il ; mais il me suffira d’affirmer que j’ai vu, en assistant à un grand nombre d’expériences, des impressions et des effets très réels, très extraordinaires, dont la cause seulement ne m’a jamais été expliquée. » Sans nier que ces impressions et ces effets puissent être les résultats d’une imagination frappée, il demande si ce mot imagination est une réfutation bien péremptoire, et si au moins les savants et les philosophes ne devraient pas, par amour pour la vérité, méditer sur les causes de cette nouvelle et étrange propriété de l’imagination.

456. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Une petite revue ésotérique » pp. 111-116

Bazalgette termine son article en reprenant à Joséphin Péladan le type abstrait du mage pythagoricien : « C’est la suprême culture, la synthèse supposant toutes les analyses, le plus haut résultat combiné de l’hypothèse unie à l’expérience, le patriciat de l’intelligence et le couronnement de la science à l’art mêlé. » Dans la critique des livres, Psyché fait un sort à part à Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlinck, à la Fin des Dieux de Henri Mazel, à Lilith de Remy de Gourmont, à Ombres et Mirages de Robert Scheffer, au Miroir des légendes de Bernard Lazare.

457. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Panurge » pp. 222-228

Sous François Ier, il parodie la royauté, fait d’Arnache roi des Dipsodes pris à la guerre, « gentil crieur de saulce verte » et l’expérience réussit »à souhait : « et fut aussi gentil crieur, qui fût oncques vu en Utopie ; mais l’on m’a dit depuis que sa femme, le bat comme plâtre, et le pauvre sot ne s’ose défendre, tant il est niais. » Ni l’Église, ni les gens de loi, les papimanes, les papegauts, les evegauts, les saintes décrétales, les chats fourrez et chicanous, ne lui inspirent plus de retenue.

458. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XVIII. Des Livres sur l’Art Militaire & sur les sciences qui y ont rapport. » pp. 370-378

L’auteur est un homme de grande expérience.

459. (1938) Réflexions sur le roman pp. 9-257

Ce thème, il en a vu la misère, pas assez tôt heureusement pour ne pas confirmer son expérience et la nôtre au moyen de son stérile essai. […] Bourget a ainsi, d’une abondante expérience, posé çà et là des points de discussion. […] Vous conviendrez que c’était là une expérience intéressante. […] L’expérience, la raison et le bon goût nous montrent là un moyen de vie et de santé supérieur aux échanges de séné et de casse. […] On ne peut manquer d’y faire des versions et des expériences curieuses, d’y avancer dans la connaissance d’autrui et de soi-même.

460. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mort de M. Vinet »

Le plus modeste, le plus humble des hommes, il offrait en lui cette union si rare d’une expérience clairvoyante et précise, et d’une naïveté d’impressions, d’une sorte d’enfance merveilleusement conservée ; cela donnait à sa personne, à sa conversation, un grand charme, que sa parole écrite ne rendait pas.

461. (1875) Premiers lundis. Tome III « Émile Augier : Un Homme de bien »

Les jeunes gens du jour ont ce travers commun D’affubler leur candeur d’un vêtement d’emprunt, De faire les lurons à qui rien n’en impose, Et dont l’œil voit d’abord le fond de toute chose ; De ne pas sembler neufs sottement occupés, Ils mettent de l’orgueil à se croire trompés, Perdant ainsi, pour feindre un peu d’expérience, La douceur d’être jeune et d’avoir confiance !

462. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XIII] »

Vous connaissez maintenant, par votre expérience, que comme des esclaves fugitifs elles vous ont abandonné, et qu’elles sont même, en quelque sorte, devenues perfides et homicides à votre égard, puisqu’elles sont la principale cause de votre désastre. […] Mon avis serait de leur donner à gouverner une province qui méritât d’être châtiée ; ils apprendraient par leur expérience, après qu’ils y auraient tout mis sens dessus dessous, qu’ils sont des ignorants, que la critique est aisée, mais l’art difficile ; et surtout qu’on s’expose à dire force sottises, quand on se mêle de parler de ce qu’on n’entend pas. […] Songez, Mylord, que, sans le voyage et les expériences de ceux qu’il envoya à Cayenne en 1672, et sans les mesures de M. 

463. (1905) Promenades philosophiques. Première série

L’expérience a été faite, ajoute de Maistre ; mais, au lieu d’enchaîner Protée, elle a produit, quoi ? […] Encore faut-il, pour cette opération délicate, que l’expert soit mis sur la voie par une expérience directe et réelle d’absorption. […] Tel est le fruit de l’expérience, c’est-à-dire de la connaissance. […] Nous considérons comme principe directeur ce qui n’est que le résultat de l’expérience traditionnelle. […] Mais les écoles peuvent-elles être transformées en laboratoires d’expériences ?

464. (1894) Dégénérescence. Fin de siècle, le mysticisme. L’égotisme, le réalisme, le vingtième siècle

Que l’hystérie soit en réalité une conséquence de la fatigue, c’est ce que Féré a démontré par des expériences probantes. […] Il réunit des aperceptions en une idée qui est en contradiction avec toutes les expériences, à laquelle il doit cependant accorder la même valeur qu’à toutes ses autres idées et à ses autres jugements, parce qu’elle prend naissance de la même façon que ceux-ci. […] Il ne faut jamais oublier, en effet, que le cerveau pathologiquement altéré ou épuisé est simplement un milieu de culture ensemencé par l’éducation, l’instruction, les impressions et les expériences de la vie, etc. […] L’expérience enseigne que l’instinct de conservation est souvent le pire conseiller dans les situations dangereuses. […] La plupart des aliénistes connaissent par expérience des cas analogues.

465. (1887) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Troisième série pp. 1-326

Krantz avait pris la peine de noter ce seul petit fait, peut-être en eût-il tiré cette conclusion, comme nous, que la règle des trois unités s’était dégagée, comme toutes les autres, de l’expérience dramatique, et d’une expérience déjà singulièrement étendue. […] Mais si Racine, avec tout son art et tout son esprit, n’avait pas, au contraire, possédé cette expérience, il ne serait pas Racine, et ses tragédies vaudraient celles de Voltaire. […] Nourrisson n’est pas le premier qui le dise, c’est à Descartes que Pascal aurait dû l’idée de la fameuse expérience du puy de Dôme. […] Concluons donc, avec les vrais juges, que la philosophie de Gil Blas est bien celle de l’expérience. […] C’est comme si le savant expérimentait pour expérimenter, sans chercher dans son expérience la confirmation ou la contradiction d’un résultat prévu ou au moins soupçonné.

466. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. Causes physiologiques et psychologiques du plaisir et de la douleur »

Ce n’est pas seulement le présent qui résonne en nous, mais encore le passé : nos émotions en apparence les plus nouvelles renferment le ressouvenir et l’écho inconscient des expériences de toute une série d’ancêtres. […] En outre, comme le remarque James Ward d’après les expériences de Romanes, les organismes inférieurs qui absorbent directement les liquides par la peau réagissent fortement sous l’action des liquides amers. […] La méthode de Cardan, qui se procurait volontairement toutes sortes de peines pour jouir du plaisir d’en être délivré, est manifestement contraire à l’expérience. […] Au contraire, « la satisfaction de la volonté échappe par elle-même à la conscience », parce qu’elle ne produit aucun étonnement ; la volonté ne ressent que les satisfactions qui provoquent, par le contraste même, le souvenir d’expériences tout opposées, la comparaison, le souvenir, le raisonnement.

467. (1903) La renaissance classique pp. -

Il a constamment sous les yeux la race dont il sort et dont le génie et la tradition l’enveloppent : ce qui ne l’empêche pas de franchir chaque fois qu’il le faut les limites de sa « petite patrie », de suivre avec une attention réfléchie la marche des événements dans le monde, et enfin de n’ignorer rien de tout ce qu’un esprit initié de bonne heure aux méthodes intellectuelles peut acquérir d’expérience et de savoir par les voyages, la culture et l’étude. […] Il s’est acquis une expérience chagrine ; il lui a servi à quelque chose d’avoir vécu si vieux ! […] Il faut les étudier patiemment, assidûment, comme le physiologiste qui, pendant des semaines et des mois, guette les actions du milieu et les réactions des plasmas soumis à son expérience. […] Outre les qualités originales que l’artiste doit y apporter de lui-même, cela suppose une grande somme d’expérience, puis une grande somme de culture, non pas cette science indiscrète et chaotique des Allemands, mais une science à la fois étendue et précise, toujours guidée par un goût délicat, qui permet à l’écrivain, comme l’instinct permet à l’animal, de discerner sa pâture parmi les choses indifférentes et nuisibles.

468. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — II. (Fin.) » pp. 495-513

Il s’agit de déloger l’autorité de ces derniers postes spécieux : « L’examen dans les ouvrages de belles-lettres, nous dit Terrasson, doit donc tenir lieu de l’expérience dans les sujets de physique ; et le même bon esprit, qui fait employer l’expérience dans l’un, fera toujours employer l’examen dans l’autre. » Le livre de Terrasson est à lire comme un des plaidoyers les plus directs et les plus consciencieux qui aient été faits en faveur de la doctrine de la perfectibilité.

469. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres complètes de Buffon, revues et annotées par M. Flourens. » pp. 55-73

Buffon, avec un dédain superbe, commença le premier à attaquer Linné sur ses méthodes artificielles, et, même lorsqu’il en fut venu à reconnaître par expérience la nécessité des classifications, il ne lui rendit jamais pleine et entière justice : « Buffon antagoniste de Linné, que toujours il avait combattu, nous dit Linné lui-même dans des fragments de Mémoires, est obligé, bon gré mal gré (nolens, volens), de faire arranger les plantes du Jardin du roi d’après le système sexuel. » Buffon, en ce point, ne céda pas si aisément que le croyait Linné ; il ne consentit jamais, nous dit Blainville, à laisser entrer dans le jardin de botanique la méthode et la nomenclature de Linné, enseignes déployées ; « il permit seulement d’inscrire les noms donnés par Linné, mais à condition (chose incroyable si le génie n’était humain !) […] J’ai souvent causé avec des savants modestes qui se rattachent à cette méthode de philosophie et d’expérience, et, après chaque entretien, je suis toujours sorti plein de respect pour Buffon savant, sans parler de cette autre admiration qu’on a de soi-même pour le peintre et l’écrivain.

470. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — II » pp. 254-269

Toutefois, sa pensée et sa recommandation, pour être appréciées comme il faut, ne doivent point se séparer des temps où il écrivait : qu’on se reporte, en effet, à ce lendemain des guerres civiles et des fanatismes sanglants, à ces horreurs récentes exercées des deux parts au nom de la religion et d’une fausse piété, et l’on concevra tout le sens et l’application de cet endroit ; il redoute la confusion si facile à faire quand un zèle excessif s’en mêle ; il craint à bon escient et par expérience que l’on ne traite comme malhonnêtes gens et criminels tous ceux qui ne pensent point en matière de foi comme nous-mêmes, et il cherche, en émancipant moralement la probité, à bien établir qu’il y a des vertus respectables qui peuvent subsister à côté et indépendamment de la croyance. […] On a beau admettre toutes les formes de maturité et d’expérience ; on a beau se dire que Charron était un de ces esprits à qui il n’est pas donné de faire leur initiation par eux-mêmes, de se donner l’impulsion, qui l’attendent d’autrui, mais qui n’ont besoin que de ce premier mouvement, de cette chiquenaude du voisin, pour prendre leur assiette et arriver à la pleine possession de leur pensée ; on a beau se donner cette explication, il reste un coin d’obscurité et d’incertitude.

471. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — I » pp. 356-374

Frédéric, qui depuis longtemps a renoncé à l’idéal, et qui se contente en tout, faute de mieux, des à peu près, réplique à son frère et lui déclare, en vertu de l’expérience, que la perfection n’existe pas, que les meilleurs des humains, ce sont les moins vicieux : Vous m’envoyez, lui dit-il, dans les cabanes des pauvres chercher la vertu ; mais les hommes qui les habitent sont-ils sans passions ? […] il y a en lui plus que de l’expérience, il y a de l’empirisme : même lorsqu’on approuve, on ne sourit pas.

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