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2048. (1921) Enquête sur la critique (Les Marges)

Dur métier qui suppose d’incessantes lectures, un esprit toujours en éveil et le goût de la justice. […] Quant à Sainte-Beuve, c’est un de ces grands esprits dont chaque époque ne peut que souhaiter la présence chez elle, mais qui n’apparaissent qu’à éclipses dans une littérature. […] Le magistère du goût exercé par Sainte-Beuve était possible et souhaitable dans un temps où les esprits cultivés étaient encore à peu près d’accord sur les principes. […] Il y a donc un esprit critique très ardent à mettre de l’ordre dans nos conceptions. […] Les qualités qu’il faut priser entre toutes, chez l’écrivain qui s’adonne à la critique, sont la bonne fol et l’ouverture de l’esprit, accompagnées du désir d’exprimer le plus nettement et le plus complètement possible sa pensée.

2049. (1894) Propos de littérature « Chapitre V » pp. 111-140

Griffin infusa l’esprit même du peuple, et il en passa quelque chose dans la forme désormais plus aisée qui trouva des grâces nouvelles, comme « à la bonne franquette » parmi les vergers fleuris. […] Par les Odelettes dont j’ai parlé à plusieurs reprises, il se rapproche il est vrai des choses simples, mais dans un esprit différent. […] Rome faisait des vers selon la Grèce et nous faisons des vers selon Rome ; l’esprit d’un peuple d’arrangeurs et d’adaptateurs a engendré un peuple digne de lui et à l’envi nous pratiquons « l’instar » qui pourtant nous paraît ailleurs ridicule. […] Ainsi s’est effumé le mysticisme des landes d’Armor ; pourtant l’on ne s’étonnera pas si l’artiste a gardé de son autre patrie une sorte de rude esprit de combat que révèlent son aspect et mille manières d’être, mais qui s’apaise en une tranquille force aux courbes des campagnes douces et claires, décors de ses poèmes. […] Il a de Thibaut l’élégance et l’esprit ; mais s’il avait aimé la comtesse de Moha il se fût refugié au plus profond des sylves de l’Ardenne.

2050. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIII. La littérature et la morale » pp. 314-335

C’est conserver étourdiment l’esprit d’un temps où régnaient cette haine de la chair, ce mépris de l’amour que le christianisme naissant paraît avoir puisés dans le spectacle des voluptés impures de la décadence païenne. […] Il voit essentiellement dans l’homme un être qui pense. « Ô pur esprit », lui écrira Gassendi, adversaire railleur, mais d’abord impuissant, de sa doctrine. […] Qu’est-ce à dire, sinon que des esprits différents peuvent puiser aux mêmes sources des suggestions différentes. […] On sait après cela quels livres ont influé sur un groupe d’esprits et en quel sens ils ont agi. […] Pour peu qu’une sommation impérieuse à marcher dans un sens indiqué s’adresse à des esprits déjà las et trouvant qu’ils sont allés assez loin, l’envie leur vient aussitôt de rebrousser chemin.

2051. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préface des « Derniers Jours d’un condamné » (1832) »

Alors seulement, une fois le ponens caput expiravit crié par la voix sinistre de l’horloge, l’auteur respirait et retrouvait quelque liberté d’esprit. […] Cette farce pourtant, quelques esprits avaient eu la bonté de la prendre au sérieux. […] Ces divers arrangements une fois faits, toute peur s’évanouit dans l’esprit des hommes d’état dirigeants, et, avec la peur, l’humanité s’en alla. […] Et dans ce cas, il n’a reçu ni éducation, ni instruction, ni soins pour son esprit, ni soins pour son cœur ; et alors de quel droit tuez-vous ce misérable orphelin ? […] Le Traité des Délits est greffé sur l’Esprit des Lois.

2052. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre III. L’histoire réelle — Chacun remis à sa place »

Tout le monde a plus d’esprit que Voltaire ; l’aristocratie anglaise a plus d’esprit que Machiavel. […] Au premier rang, les esprits, au deuxième, au troisième, au vingtième, les soldats et les princes. […] Déjà de nobles esprits sont à l’œuvre ; l’histoire future approche ; quelques magnifiques remaniements partiels en sont comme le spécimen ; une refonte générale est imminente. […] Les gagneurs d’esprits effacent les gagneurs de provinces. […] Rien ne reste que l’esprit.

2053. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre III. De la nature du temps »

J’appelle « simultanées » deux perceptions instantanées qui sont saisies dans un seul et même acte de l’esprit, l’attention pouvant ici encore en faire une ou deux, à volonté. […] Bornons-nous ici à faire remarquer que l’opération a beau paraître savante, elle est naturelle à l’esprit humain ; nous la pratiquons instinctivement. […] Ce sont de simples vues de l’esprit, qui jalonnent d’arrêts virtuels la durée consciente et le mouvement réel, utilisant à cet effet le point mathématique qui a été transporté de l’espace au temps. […] Distincte ou confuse, elle fut toujours la métaphysique naturelle de l’esprit spéculant sur le devenir. […] Les esprits les plus réfractaires aux premiers éléments se représentent tout de suite, et sans difficulté, des lignes sans épaisseur et des points sans dimension.

2054. (1924) Souvenirs de la vie littéraire. Nouvelle édition augmentée d’une préface-réponse

Préférer Voltaire à Diderot, cela juge une tournure d’esprit. […] Des esprits nobles et libres s’y éveillèrent. […] L’esprit de contradiction faisait partie de sa nature. […] C’était un travers de caractère bien plus qu’un vice d’esprit. […] Francueil veut nous remettre l’esprit et fond en larmes.

2055. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Rodolphe Topffer »

Je ne sais qui a dit que l’expérience dans certains esprits ressemble à l’eau amassée d’une citerne : elle ne tarde pas à se corrompre. […] Il ressentit d’abord, en y arrivant, une grande impression de solitude ; le bruit et la vanité qui, jusque dans la maladie, continuent de faire la vie apparente de ces grands rendez-vous, l’offusquaient ; il avait, si l’on ose le dire, quelques préventions un peu exagérées contre ce qu’il appelait notre beau monde ; nature genuine, comme disent les Anglais, il avait avant tout horreur du factice ; mais il ne tarda pas à s’y lier d’un commerce en tout convenable à son caractère et à son esprit avec quelques personnes qui lui prodiguèrent un intérêt affectueux, et particulièrement avec M. Léon de Champreux, de Toulouse : « J’ai rarement vu, nous écrit M. de Champreux, autant de naïveté et de bonhomie réunies à un esprit plus piquant, plus original ; chaque parole dans sa conversation était un trait ; mais, bon et affectueux par-dessus tout, sa plaisanterie était toujours inoffensive. […] Si l’auteur a voulu montrer dans ce ministre (et il l’a voulu en effet) combien avec un esprit juste, avec un cœur pur et droit, exercé par la pratique chrétienne, guidé par les inspirations de l’Écriture, et muni d’une vigilance et d’une observation continuelles, on peut se trouver en fin de compte plus avisé que les malicieux, plus habile que les habiles, et véritablement un maître prudent et consommé dans les traverses les plus délicates de la vie comme dans les choses du cœur, il a complètement réussi. […] Sayous, parent et ami de Topffer, et qui l’a si bien connu par l’esprit et par le cœur.

2056. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — II »

Elle constate quelques lois de notre esprit et de nos facultés ; mais on obéissait à ces lois sans elle. […] Quand elle se hasarde à des inductions sur l’avenir de l’homme, ce ne sont que des inductions sur l’avenir du moi, et ces inductions supposent toujours que la dernière grande évolution sociale est accomplie en ce monde ; c’est toujours d’après cette hypothèse que la psychologie s’enquiert des conséquences probables de destinée personnelle auxquelles l’individu est sujet, et dans cette recherche elle ne sort pas un seul instant du point de vue chrétien ; elle se pose l’âme comme substance distincte de la matière, Dieu comme un pur esprit, et l’autre vie comme n’étant pas de ce monde. […] Jouffroy a tout fait, dans cette leçon vraiment mémorable, pour y pousser les jeunes esprits qui l’écoutaient avec une sorte d’anxiété. […] Ce sont là d’heureuses inconséquences dont nous le félicitons, et dont nous ne félicitons pas moins son auditoire ; les saillies du maître rectifient souvent sa doctrine dans l’esprit des disciples. […] Eux aussi ont parlé de l’activité de l’homme, mais ce n’a jamais été que de l’activité de la substance esprit, et à cette égard ils se sont montres, comme toujours, sous l’influence de la conception chrétienne, qui confond la volonté avec l’acte.

2057. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre III »

l’apaisement lumineux qui surgit quand, l’esprit en détresse, on entrevoit cette possible genèse d’une œuvre d’art, fille de sa détresse ainsi fécondée. […] Devant le succès de cette méthode — apanage des esprits malades ou des corps débiles — il arriva ceci : que loin de chérir l’équilibre et la force, on se prit à aimer leurs contraires. […] M. de Fleury, Introduction à la médecine de l’esprit, p. 122, Alcan, 1898. […] Dr Maurice de Fleury, Introduction à la médecine de l’esprit. […] Docteur Maurice de Fleury, Introduction de la médecine de l’esprit, p. 352.

2058. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Barbey d’Aurevilly. »

On me cite de lui des mots d’un esprit surprenant, d’un tour héroïque, qui joignent l’éclat de l’image à l’imprévu de l’idée. […] Elle consiste dans une foi absolue, imperturbable, à la suprématie physique et intellectuelle, à l’esprit à la beauté, à l’élégance, au « je ne sais quoi » des hommes et des femmes du faubourg Saint-Germain. […] de M. d’Aurevilly consiste à croire que le dandysme est quelque chose de considérable et qui fait honneur à l’esprit humain. […] Les agréments extérieurs, l’élégance des habits, la politesse des manières, tout cela passe, non seulement aux yeux des sages, mais même aux yeux des gens du monde quand ils s’avisent d’être sérieux, pour des avantages très inférieurs à l’esprit, aux talents et à la valeur morale. […] D’un ensemble de pratiques insignifiantes et inutiles il fait un art qui porte sa marque personnelle, qui plaît et qui séduit à la façon d’un ouvrage de l’esprit.

2059. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre VI. Jean-Baptiste  Voyage de Jésus vers Jean et son séjour au désert de Judée  Il adopte le baptême de Jean. »

Hébron, la ville patriarcale par excellence, située à deux pas du désert de Judée et à quelques heures du grand désert d’Arabie, était dès cette époque ce qu’elle est encore aujourd’hui, un des boulevards de l’esprit sémitique dans sa forme la plus austère. […] La vie anachorétique, si opposée à l’esprit de l’ancien peuple juif, et avec laquelle les vœux dans le genre de ceux des Nazirs et des Réchabites n’avaient aucun rapport, faisait de toutes parts invasion en Judée. […] Le baptême n’était du reste pour Jean qu’un signe destiné à faire impression et à préparer les esprits à quelque grand mouvement. […] Il ne fut pas, dans l’ordre de l’esprit, le père de Jésus, mais bien son frère. […] Mais la jeunesse est capable de toutes les abnégations, et il est permis d’admettre que Jean, ayant reconnu dans Jésus un esprit analogue au sien, l’accepta sans arrière-pensée personnelle.

2060. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre I : Des sens, des appétits et des instincts. »

De là, on doit conclure, contrairement à l’opinion reçue, que le cerveau ne constitue pas seul le sensorium, qu’il n’est pas seul le siège de l’esprit : son siège, qui est partout où il y a des courants nerveux, comprend le cerveau, les nerfs, les muscles, les organes des sens et les viscères. De ce début tout physiologique, nous passons à la première classe de phénomènes appartenant proprement à l’esprit. […] Et maintenant si l’on remarque que les images peintes sur la rétine sont les matériaux de la vision, qu’ils servent à nous suggérer une construction mentale qui seule constitue la vision proprement dite, « qu’il se produit dans l’esprit, à la vue d’un objet extérieur, un agrégat d’impressions passées que l’impression du moment suggère et ne constitue pas » ; on comprend qu’il importe peu que ces matériaux qui servent au travail ultérieur de l’esprit soient fournis par deux images, comme dans l’homme, ou par des milliers comme dans l’insecte. […] L’excitation spontanée donne naissance à des mouvements, à des changements de posture, par conséquent à des sensations ; il s’établit ainsi, dans l’esprit encore vide, une connexion entre certaines sensations et certains mouvements ; et plus tard, lorsque la sensation sera excitée par quelque cause extérieure, l’esprit saura qu’un mouvement s’exécutera en conséquence dans cette partie.

2061. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Les Confidences, par M. de Lamartine. (1 vol. in-8º.) » pp. 20-34

Il hésite à prononcer tout haut le nom illustre de son père, ce nom qui était le sien : Virgile, qui d’Homère apprit à nous charmer, Boileau, Corneille, et Toi que je n’ose nommer, Vos esprits n’étaient-ils qu’étincelle légère ? […] Il faut pourtant qu’indépendamment de l’éducation il ait manqué quelque chose encore à cette nature et à cet esprit d’ailleurs si doué ; car, lorsqu’une qualité un peu forte existe en nous, elle sait très bien se produire tôt ou tard, et se passer après tout de l’éducation. […] Mais ce jeune esprit ouvert à tout, amoureux de tout, repousse un seul livre parmi ceux qu’on lui met entre les mains ; il a d’instinct une aversion. […] M. de Lamartine assurément ne le croit pas, car il nous dit, en parlant de sa formation précoce : Cette vie entièrement paysannesque, et cette ignorance absolue de ce que les autres enfants savent à cet âge, n’empêchaient pas que, sous le rapport des sentiments et des idées, mon éducation familière, surveillée par ma mère, ne fit de moi un des esprits les plus justes, un des cœurs les plus aimants, etc., etc. […] J’entends par bon sens, remarquez-le, non pas le bon sens vulgaire, mais le tact, l’esprit de conduite, le bon goût, bien des choses à la fois, en un mot, la justesse d’esprit dans ses applications les plus variées et les plus délicates.

2062. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — I. La Poësie en elle-même. » pp. 234-256

Parmi les plus grands ennemis de la poësie, il faut compter un frère de madame Dacier, sçavant comme elle quoique moins célèbre ; mais esprit entêté de réforme. […] L’Arioste appaisa tout ; il acquit, dans la province, un grand empire sur les esprits, & en particulier sur ces brigands. […] Il est a remarquer qu’aucun de nos grands poëtes François n’a écrit contre les fables : La fable offre à l’esprit mille agrémens divers. […] Convenons pourtant d’une chose, que le goût des fables est passé : notre siècle leur préfère l’esprit de philosophie, d’exactitude & de raison : elles étoient d’une grande ressource aux anciens poëtes. […] Ses poësies ne sont point indignes de lui, quoiqu’on ait dit qu’elles ne sont que des plagiats ; qu’on y voit moins son esprit que celui des autres ; que l’auteur a fait des vers dans notre langue, comme nous en faisons dans celle des Romains.

2063. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XV. M. Dargaud » pp. 323-339

Je ne dirai pas de lui la vieille phrase traînée « c’est un esprit qui s’est cherché longtemps », d’abord parce qu’elle traîne, ensuite parce qu’elle ne serait pas juste. C’est au contraire un esprit qui, sans se chercher, s’est rencontré dans des directions différentes. […] Mais nous y avons retrouvé le magicien évocateur, qui évoque, lui, mieux que des esprits et des ombres ; car ce sont des existences complètes, qui, sous sa plume, s’en viennent écumer et bouillonner autour de nous ! […] Cette histoire se compose de quatre volumes, doublement substantiels par l’esprit et par la matière, lesquels représentent six années de recherches et de travail infatigable sur l’époque la plus passionnée et la plus féconde de l’histoire moderne, puisque le monde moderne, tout entier, est sorti de cette époque-là ! […] Qui ne porte pas un peu le joug de la renommée de Machiavel sur son esprit ?

2064. (1886) Le naturalisme

Magnifique expansion, riche floraison de l’esprit humai n ! […] Vienne un Cervantès qui écrive, sous forme de roman, une histoire pleine d’esprit et de vérité, protestation de l’esprit patriotique contre le faux idéalisme et les discours enchevêtres que nous adressent des héros nés en d’autres pays, sur l’heure, son œuvre deviendra populaire. […] Son esprit concentrait dans un foyer les rayons de lumière épars, sans prendre la peine de les compter ni de s’enquérir de leur provenance. […] Durant la première, — les années de jeunesse, — Flaubert avait un esprit délié, une imagination féconde ; il apprenait sans effort et travaillait facilement. […] L’esprit du barde écossais s’incarna dans des êtres aussi différents entre eux qu’Espronceda, Martinez de la Rosa, Gil, Escosura, Canovas del Castillo, Vicetto, Villoslada, Fernandez y Gonzalez, et d’autres, dont les noms ne me reviennent pas à l’esprit.

2065. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Lamartine »

1º L’amour platonique  Le fâcheux esprit gaulois s’en est beaucoup égayé. […] J’aime ces petites besognes, à la fois nobles par leur objet et commodes à l’esprit par le peu d’effort qu’elles exigent. […] Je crois, sans en être absolument sûr, que Victor Hugo a plutôt l’habitude de comparer les choses de l’âme et de l’esprit à celles de la matière. […] J’apparais à l’esprit, mais par mes attributs. […] La liberté d’esprit, c’est ma terre promise.

2066. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXI » pp. 87-90

. — On n’a pas plus d’esprit que lui, mais c’est un mauvais enfant gàté. […] Dans toutes ses pièces, dans tous ses romans, dans toutes ses impressions de voyages, Dumas me fait toujours un seul et même effet, et déroule à mes yeux un seul et même esprit : c’est un déjeuner de garçons perpétuel. […] Il est impossible de ne pas remarquer, quand on est un peu grammairien ou même moraliste, que voilà bien des grands hommes de bien en quinze jours, et rien ne prouverait plus combien une telle expression si solennelle, et qui devrait être si réservée, exprime peu une idée nette pour les esprits du jour que cet abus et comme ce jeu qu’on en fait.

2067. (1874) Premiers lundis. Tome II « Le poète Fontaney »

Fontaney était un homme parfaitement distingué, dans le sens propre du mot, un de ces hommes auxquels il n’a manqué qu’une situation plus heureuse et plus élevée qui fît valoir en eux tous les mérites de l’esprit et du caractère. […] Ajoutez à cette noble qualité de l’esprit toutes les délicatesses et les fiertés de l’honnête homme et du gentleman, pour parler son langage de lord Feeling ; on comprendra quelles difficultés et quelles amertumes une telle nature dut rencontrer dans la vie. […] C’est une musique de l’esprit qui en entretient la douceur et la délicatesse, et qu’on cultive en vue d’elle-même et de soi-même.

2068. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 303-308

L’Auteur n’a point écrit, comme il l’annonce lui-même, pour repaître la vaine curiosité de ceux qui ne recherchent que des faits nouveaux & extraordinaires ; il s’est encore moins proposé d’amuser les Esprits oisifs, qui ne lisent que superficiellement ou pour se désennuyer. Il a écrit pour des Esprits solides, pour des Chrétiens jaloux de connoître leur Religion dans son origine, dans ses progrès, dans ses vrais caracteres ; pour les ames droites qui lisent dans la vûe d’acquérir des connoissances utiles & de devenir meilleures ; pour les hommes de toutes les conditions qui n’ont ni le loisir, ni la facilité, ni le talent de puiser dans les sources & d’en écarter ce que la prévention, l’ignorance & la superstition ont pu y mêler de faux, d’excessif & d’indigne de la divinité du dogme & de la sainteté du culte. […] Par cette louable discrétion, l’esprit n’est occupé que des actions racontées ; il les voit, les saisit, les compare, les pese, les juge.

2069. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 115-120

Une lampe d’une main, un poignard de l’autre, une femme toujours prête à être égorgée, & qui, par un quart de conversion, ne l’est pas, ont paru, à des yeux avides de spectacle, un jeu d’optique qu’on pouvoit supporter quelquefois ; mais les gens de goût savent combien cette pantomime est peu propre à intéresser, ou plutôt combien elle prouve la sécheresse d’un esprit qui a eu besoin de recourir à de si minces ressorts. […] Il a cru que l’esprit pouvoit suppléer à tout. Nous ne dissimulerons pas qu’il seroit plus en état qu’aucun autre de remplacer par-là le défaut de poésie & de versification, si cet esprit étoit moins baroque, & dirigé par un goût plus sûr & plus exercé.

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