Sainte-Beuve L’originalité de Maurice de Guérin était dans un sentiment de la nature tel qu’aucun poète ou peintre français ne l’a rendu à ce degré, sentiment non pas tant des détails que de l’ensemble et de l’universalité sacrée, sentiment de l’origine des choses et du principe souverain de la vie.
Son calme regard passe en revue, non sans quelque hautaine goguenardise, courses et salons, audiences et séances, obsèques et premières, retenant tous détails nécessaires sans négliger d’aucune sorte l’ensemble à brosser largement.
L’ensemble est un peu trop voulu, littéraire, systématique, et l’on sent que l’écrivain met souvent ses métaphores vives au service de son esprit hésitant.
Il en est ainsi pour la part d’influence qu’il convient d’attribuer à l’hérédité où à cet ensemble fort complexe qu’on désigne sous le nom de climat.
On va montrer au cours de cette dernière partie qu’elle est, avec l’ensemble de ces conceptions, le procédé d’invention du réel.
Moins il y a de mots, mieux on voit l’ensemble. […] Aussi faut-il que le portrait soit assez habilement fait pour qu’on puisse voir l’homme d’ensemble. […] Le lecteur se perd dans tous ces détails, il faut un grand effort de mémoire pour reconstruire un ensemble dont chaque partie est si distante l’une de l’autre. […] Dans le roman ce n’est pas autre chose : quand on connaît à fond chaque personnage, on sait leur contenance réciproque, on voit l’action d’ensemble, comme on voit l’ensemble d’un tableau avant d’en saisir les détails. […] Ce n’est qu’à l’ensemble de ses manifestations qu’elle imprime un caractère grandiose et libre.
Sa destinée a de tels contrastes et de telles harmonies dans son ensemble, que ce serait une profanation d’y rien dégrader. […] Le souvenir est comme une plante qu’il faut avoir plantée de bonne heure ensemble ; sans quoi elle ne s’enracine pas. […] Le philosophe systématique et le moraliste sont volontiers mal ensemble. […] Un descendant de l’auteur des Maximes, le duc de La Rochefoucauld, l’ami de Condorcet qui était son oracle, et nourri de toutes les idées et les illusions du dix-huitième siècle (voir son Portrait au tome III des Œuvres de Rœderer, et au tome I des Mémoires de Dampmartin), a écrit une lettre à Adam Smith (mai 1778) sur les Maximes de son aïeul ; cette lettre où, tout en cherchant à l’excuser sur les circonstances où il a vécu, il lui donne tort sur l’ensemble, est d’un homme qui lui-même, à cette date, n’avait encore vu les hommes que par le meilleur côté.
Nous ne citerons rien des vers mêmes : ils sont faciles et sensibles, de l’école de Lamartine ; mais c’est plutôt l’ensemble de cette fraîche floraison qui m’a frappé, comme d’une de ces prairies émaillées au printemps où aucune fleur en particulier ne se détache au regard, et où toutes font un riant accord. […] Pour montrer cependant à quel point dans son esprit tout cela se rapportait à des cadres élevés, et quel ensemble il en serait résulté avec le temps, je veux donner ici, tel qu’on le trouve dans ses papiers, le plan d’un ouvrage en deux volumes, où seraient entrés, moyennant corrections, plusieurs des morceaux déjà publiés. […] Résumé sur l’ensemble de cette époque littéraire. — Bernardin de Saint-Pierre, Mme de Staël et Chateaubriand. — Les Méditations de Lamartine et l’Indifférence de Lamennais. — Les deux Poésies en présence. […] Les vues neuves et perspicaces, les choses bien saisies et bien dites, abondent et viennent égayer le courant du détail à travers la juste direction de l’ensemble.
Elles sortent les unes des autres, celles d’en haut de celles d’en bas, en sorte que la plus noble prend sa substance et sa nourriture dans la plus basse, et qu’ensemble elles forment une chaîne dont on ne peut détacher aucun anneau. […] Lorsqu’on en voit plusieurs ensemble, ce n’est pas une société de paix, c’est un attroupement de guerre, qui se fait à grand bruit, avec des hurlements affreux, et dénote un projet d’attaquer quelque gros animal, comme un cerf, un boeuf, ou de se défaire de quelque gros mâtin. […] C’est une joie rude, un mouvement désordonné, une voix rauque, sourde et violente. « Il se rue, grattant, frottant, se vautrant, gambadant, chantant, broutant », et le tout ensemble. […] Il a la sensation de l’ensemble, lentement ou promptement, il n’importe ; c’est cette sensation qui fait l’artiste.
« Ensemble nous échangions de doux entretiens en montant ensemble tout attendris à la maison de Dieu ! […] « Les fils de l’homme ne sont que néant ; s’ils étaient tous ensemble dans le plateau de la balance, un souffle de ta bouche sur l’autre bassin les ferait monter ! […] « Qu’il est doux et qu’il est agréable que les frères habitent ensemble dans la paix !
si c’est là le prix qu’exige le ciel pour nous épargner, qu’il nous tue tout de suite ; qu’il nous ensevelisse tous les quatre ensemble dans le tronc de l’arbre que ces bourreaux de bûcherons vont abattre sur nos têtes ! […] Il n’y avait jamais eu d’autre entre lui et moi, tellement, ma tante, que lui et moi ça ne faisait pas deux ; et comme aussi nous n’avions jamais été séparés ni même menacés d’être désunis l’un de l’autre, nous ne pouvions pas savoir combien il y avait de lui dans moi et de moi dans lui, et combien il manquerait tout à coup de moi en moi et de lui en lui si on venait jamais à nous arracher d’ensemble. […] Quand il me disait : Allons ici ou là, j’allais ; quand je l’appelais, il venait partout où j’avais fantaisie d’aller moi-même ; nous ne savions jamais qui est-ce qui avait pensé le premier, mais nous pensions toujours la même chose : à la source, pour puiser l’eau de la maison ; sur les branches, pour battre les châtaignes ; aux noisetiers, pour remplir lui sa chemise, moi mon corset de noisettes vertes ; au maïs, pour sarcler les cannes ou cueillir les grains jaunis par l’été ; à la vigne, aux figuiers, pour couper les grappes ou pour sécher les figues mûres ; à l’étable, pour traire les chèvres, pendant qu’il les tenait par les cornes ; dans le ravin, où il y a l’écho de la grotte, pour nous apprendre à remuer les doigts sur les trous du chalumeau de la zampogna, à chercher à l’envi l’un de l’autre des airs nouveaux dans l’outre du vent qui s’enflait et se désenflait de musique sous notre aisselle ; ici, là, enfin partout, toujours deux, toujours ensemble, toujours un ! […] Ils me reportèrent ensemble sur mon lit dans la cabane ; et quand ma tante vit mes beaux longs cheveux coupés comme une toison d’agneau, jetés sous ses pieds au bord du lit, elle jeta de tels cris qu’ils réveillèrent les corneilles sur les branches du châtaignier.
Mais aussitôt les autorités constituées et le peuple ameuté par elles le traitent en ennemi public, et il succombe sous ces pharisaïsmes et ces égoïsmes ligués ensemble. […] Raskolnikof est le seul homme qui ne l’ait pas traitée avec mépris : elle le voit torturé par un secret ; elle essaie de le lui arracher… L’aveu s’échappe : la pauvre fille, un moment atterrée, se remet vite ; elle sait le remède : « Il faut souffrir, souffrir ensemble… prier, expier… Allons au bagne ! […] Cette incapacité apparaît lorsqu’ils s’avisent de classer nos écrivains : ils mettent ensemble les grands et les médiocres. […] Il est à peu près impossible d’embrasser de pareils ensembles, de tenir à la fois présentes à sa mémoire toutes les parties qui devraient conspirer la beauté de l’œuvre et, par conséquent, de connaître au juste et d’apprécier cette beauté.
Ce serait ici l’occasion de rechercher quelles influences fatales ont écarté du sol de la France le plus beau laurier poétique, et quelles conséquences en ont résulté pour l’ensemble de la poésie française, qui privée des divins secours d’une épopée, où toutes les autres littératures puisent comme dans un fleuve, a cherché sa gloire dans les genres qui n’en découlent pas nécessairement, et a pris ce caractère léger, didactique ou satyrique qu’elle a conservé pendant deux siècles, et qui lui a donné une physionomie moins belle sans doute, mais bien distincte au milieu des nations modernes. […] C’est que, prise dans son ensemble, la France est toujours la reine des nations ; c’est que, nulle part, les succès ne font autant de bruit ; c’est qu’une jeunesse ardente et instruite fermente suries bancs de ses universités ; c’est enfin qu’au milieu même de ce monde si prosaïque et si superficiel, se trouvent peut-être cinq cents personnes, femmes et hommes, dont l’âme est aussi poétique et aussi rêveuse que dans les montagnes de l’Écosse ou sur les bords de l’Arno, et qui ne possèdent pas moins cette promptitude de conception, ce jugement sain, cette délicatesse de tact que rien n’égale et ne remplace chez les autres peuples. […] Après avoir montré la France des deux derniers siècles, infiniment supérieure par sa prose à toutes les autres nations ensemble, il nous a fallu avouer son évidente infériorité dans les hauts genres de poésie, qui n’ont été réellement cultivés que par l’école actuelle ; nous sommes heureux de pouvoir lui rendre sa suprématie dans la littérature dramatique. […] Avec les chefs-d’œuvre de son magnifique répertoire, secourus des chefs-d’œuvre de Shakespeare, avec l’ensemble satisfaisant qu’elle peut encore donner à ses représentations, avec la sollicitude éclairée de M.
Les représentations, les émotions, les tendances collectives n’ont pas pour causes génératrices certains états de la conscience des particuliers, mais les conditions où se trouve le corps social dans son ensemble. […] Quel abîme, par exemple, entre les sentiments que l’homme éprouve en face de forces supérieures à la sienne et l’institution religieuse avec ses croyances, ses pratiques si multipliées et si compliquées, son organisation matérielle et morale ; entre les conditions psychiques de la sympathie que deux êtres de même sang éprouvent l’un pour l’autre75, et cet ensemble touffu de règles juridiques et morales qui déterminent la structure de la famille, les rapports des personnes entre elles, des choses avec les personnes, etc. ! […] Puisque, d’autre part, l’ensemble déterminé que forment, par leur réunion, les éléments de toute nature qui entrent dans la composition d’une société, en constitue le milieu interne, de même que l’ensemble des éléments anatomiques, avec la manière dont ils sont disposés dans l’espace, constitue le milieu interne des organismes, on pourra dire : L’origine première de tout processus social de quelque importance doit être recherchée dans la constitution du milieu social interne.
Dans de telles circonstances, un livre de Balzac, un livre presque inconnu, et qui ne se rattachait par aucun lien à l’ensemble de La Comédie humaine, pouvait-il passer sous les yeux de la Critique sans les attirer ? […] Y a-t-il donc beaucoup d’années que Bulwer, détourné de la voie de ses premiers romans, écrivait son livre au daguerréotype : De l’Angleterre et des Anglais, et n’y sentait-on pas l’influence de ce dandysme autochtone à la Grande-Bretagne qui vient de tout un ensemble de mœurs et d’institutions, et que les favoris du Prince du Dandysme, le prince de Galles, purent bien nommer, mais ne créèrent pas ? […] Il a cru pouvoir détacher une des plus ravissantes fleurs que l’audace du génie ait sculptées dans une des frises de son splendide monument, et nous l’offrir ainsi à part de l’ensemble où elle brille. […] Qu’était l’oripeau historique quand il s’agissait de faire voir, comme Balzac la voyait sous la loupe grossissante de son observation drolatique, cette nature humaine à deux masques, comique et tragique tout ensemble, mais plus comique que tragique encore, comme toujours ?
Rendre à la poésie française de la vérité, du naturel, de la familiarité même, et en même temps lui redonner de la consistance de style et de l’éclat ; lui rapprendre à dire bien des choses qu’elle avait oubliées depuis plus d’un siècle, lui en apprendre d’autres qu’on ne lui avait pas dites encore ; lui faire exprimer les troubles de l’âme et les nuances des moindres pensées ; lui faire réfléchir la nature extérieure non seulement par des couleurs et des images, mais quelquefois par un simple et heureux concours de syllabes ; la montrer, dans les fantaisies légères, découpée à plaisir et revêtue des plus sveltes délicatesses ; lui imprimer, dans les vastes sujets, le mouvement et la marche des groupes et des ensembles, faire voguer des trains et des appareils de strophes comme des flottes, ou les enlever dans l’espace comme si elles avaient des ailes ; faire songer dans une ode, et sans trop de désavantage, à la grande musique contemporaine ou à la gothique architecture, — n’était-ce rien ? […] Je ne prétends garantir ni adopter toutes les applications qu’il a faites de son talent ; mais il est un procédé, un art général, non seulement une main-d’œuvre, mais un feu sincère qui se fait reconnaître dans tout l’ensemble et qui m’inspire de l’estime.
Eh bien, ni le ciel ni la terre ensemble ne valent l’amour » (grande description de l’amour). […] Mais, à part ces taches légères et faciles à enlever, cette pièce en son ensemble est tout un poëme qui unit (alliance si rare dans un certain mode lyrique !)
Ce par quoi l’individu est fort, ce dans quoi il se sent animé de vie, il croit involontairement aussi que cela doit être aussi toujours l’élément de sa liberté ; il met ensemble la dépendance et la torpeur ; l’indépendance et le sentiment de vivre comme des couples inséparables […] Le contraste de son attitude avec celle de Beethoven lors d’une rencontre qu’ils firent ensemble de la famille impériale montre la différence qu’il y a entre une personnalité qui sait « plier » et une personnalité indomptée comme celle de Beethoven37.
Ces deux cyniques, l’un du haillon, l’autre de l’épée, s’en vont ensemble, et Diogène, avide de jouir de l’immense lumière inconnue, va encore une fois dire à Alexandre : Retire-toi de mon soleil. […] Elles l’ont pour le mystérieux ensemble.
Si l’on considère un instant dans son ensemble le mouvement poétique de ces vingt-cinq dernières années, on est frappé par le nombre considérable de discussions qui ont été provoquées par des questions de pure forme, et même, la plupart du temps, exclusivement prosodiques. […] Ce n’est point s’inféoder que d’orienter ensemble ses regards vers des sommets nouveaux.
Toutes ces idées sont incohérentes et mal liées ensemble, du moins quant à l’effet poétique. […] On voit que cette pièce manque entièrement d’ensemble et même d’objet.
Sur ces trois grands plans des figures interposées ont aussi leurs places, leurs plans particuliers, nets et distincts, ce qui rend l’ensemble clair et en écarte la confusion. […] C’est qu’une idée accessoire donne la loi à l’ensemble au lieu de la recevoir.