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395. (1860) Cours familier de littérature. IX « XLIXe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier » pp. 6-80

Elle n’avait pas d’enfant de son mari ; cette stérilité menaçait de laisser sans héritier direct l’immense fortune et le nom princier de la maison de Devonshire ; elle résolut, dit-on, de devoir à l’intrigue ce qu’elle ne pouvait obtenir de la nature. […] La première duchesse mourut sans révéler le secret ; le vieux duc épousa la mère de son fils, en sorte que l’enfant supposé était en réalité le fils du vieux duc et de la nouvelle duchesse de Devonshire ; seulement cette naissance était anticipée et illégitime. […] « Ce que je connais de plus beau dans le monde, me disait-elle un jour en contemplant un portrait de Raphaël à son premier âge, c’est le génie enfant. — Pourquoi ? […] Elle éblouit, dit-on, plus tard un maître du monde du même charme dont elle avait fasciné l’œil d’un enfant. […] Pour jouir de cet orgueil maternel elle conduisit, un jour, son enfant à Versailles, à ce spectacle de la cour qu’on appelait le Grand Couvert.

396. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque (1re partie) » pp. 145-224

Mais, par cela même que c’est le mode d’argumentation puéril et diffus qu’on emploie avec les petits enfants, c’est aussi le mode le plus propre à fatiguer, à ennuyer, à impatienter les hommes faits, qui cherchent les idées, et qui se lassent de vaines paroles. […] » « Ainsi, Athéniens, j’ai des parents, et, quant à des enfants, j’en ai trois, l’un déjà dans l’adolescence, les deux autres encore en bas âge ; mais je ne les ferai point comparaître ici, pour votre honneur et pour le mien ; il ne me paraît pas séant d’employer de pareils moyens à mon âge (il avait près de soixante-douze ans à l’époque de son procès). […] Xanthippe, l’épouse de Socrate, un de ses enfants dans les bras, est auprès de lui et se lamente à la manière des femmes ; on la reconduit dans sa maison pour laisser la liberté d’esprit au philosophe. […] « Ensuite il fit retirer les femmes et les enfants, et revint nous trouver. […] Rousseau meurt ou se tue dans une retraite où il a fui les hommes qu’il accuse et qu’il redoute, livré aux reproches mérités d’une femme qu’il a flétrie en lui dérobant ses fruits à sa mamelle pour aller les jeter à la voirie humaine des enfants perdus !

397. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (1re partie) » pp. 81-159

L’Angleterre, qu’ils osèrent braver, eut la faiblesse qu’on conserve pour ses enfants même rebelles. […] On me montrait la fleur, l’arbre, le gazon ; et non seulement je m’en amusais comme font les autres enfants, mais je m’attachais à eux. […] Mon père, dont j’étais le seul enfant, servait complaisamment mes goûts ; il aimait à me procurer des œufs, des fleurs, des oiseaux. […] Enfant, j’avais voulu la posséder tout entière ; homme fait, le même désir, la même ivresse vivaient dans mon cœur. […] — Allons, dit tout bas la meurtrière à ses enfants.

398. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre deuxième. L’idée de l’espace. Son origine et son action »

Ainsi, quand l’enfant voit tout le bleu du ciel étalé devant ses yeux, il ne voit pas le ciel grand et large, sous prétexte qu’il ne peut se mouvoir pour le parcourir ! […] L’enfant ne fera pas de la métaphysique au point de supposer un anéantissement du sein qui le nourrit, puis une nouvelle création. […] L’enfant, par habitude, et sans en penser si long, y parvient. C’est seulement quand tout le mécanisme des relations géométriques s’est établi de lui-même que l’enfant arrive à en abstraire l’espace. […] Enfin cette organisation de tout l’objectif en choses diversement situées dans l’espace se transmet en s’accroissant par l’hérédité, et l’enfant naît avec le cerveau hanté des figures d’espace comme l’oiseau avec l’image du nid.

399. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Charles Dickens »

Ses enfants sont tous de monstrueux hydrocéphales, ses portières et ses gardes-malades d’effrayantes mégères ; ses gardes nationaux, ses avocats, ses hommes politiques oscillent entre la stupidité et la coquinerie, et quand ces personnages s’abouchent, ils le font en des termes et avec des attitudes qui ne peuvent aboutir qu’à des horions ou à de réciproques et dangereuses stupéfactions. […] À un degré de complexité moindre, on trouve à citer certains types de fous et d’enfants, l’excellent M.  […] Le ménage était pauvre et dissipé ; l’enfant n’allait guère à l’école, mais parmi les dernières choses que l’on n’avait ni vendues ni mises en gage, était une petite bibliothèque de romans qu’il lisait avidement, le Tom Jones de Fielding, les œuvres de Smollett, Le Vicaire de Wakefield, Robinson Crusoé, Don Quichotte. […] L’enfant qui était alors chétif et faible, qui avait des goûts studieux, un peu pédants même, bien rares parmi ses compatriotes, se pénétra de tous ces livres ; il passa dans sa famille pour un petit prodige et, comme il était habile à retenir les chansons de café-concert qu’on le menait entendre, on l’exhibait souvent aux voisins, juché sur une table et faisant montre de ses talents. […] De l’enfant un peu délicat qu’il était, il s’était transformé en un jeune homme élancé, souple, singulièrement agile et vigoureux, que nous montre un portrait de Maclise, où éclate, sous une abondante chevelure bouclée brune et dans le gracieux ovale imberbe et rose du visage, le regard presque lumineux de vitalité et de gaîté de deux fixes yeux bleus.

400. (1885) L’Art romantique

L’homme de génie a les nerfs solides ; l’enfant les a faibles. […] Ai-je besoin de dire que cet enfant est aujourd’hui un peintre célèbre ? […] « Voici, dit-elle, le trésor des enfants. […] Et les enfants qui jouent à la guerre ! […] À travers ces barreaux de fer symboliques, l’enfant pauvre montrait à l’enfant riche son joujou, que celui-ci examinait avidement comme un objet rare et inconnu.

401. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bataille, Frédéric (1850-1946) »

Cette idée de lui faire porter votre poème par son enfant adorée est d’une délicatesse exquise ; il ne peut manquer d’être fort touché. […] Les enfants aimeront ces fables et les parents les comprendront.

402. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Daudet, Julia (1844-1940) »

. — Enfants et lères (1889). — Poésies (1895). — Notes sur Londres (1897). — Journées de femme ; Alinéas (1898). […] « … Plus tard, je continuai, à des dates éloignées, et je griffonnai des vers comme un peintre des croquis, au bas d’un registre de comptes, au revers d’un devoir de mes enfants, ou de pages lignées d’une fine et serrée écriture qui s’est faite glorieuse.

403. (1882) Autour de la table (nouv. éd.) pp. 1-376

tu n’as pas d’enfants ! […] qu’il mettait ses enfants à l’hôpital. […] Pauvres enfants ! […] Je vous aime, mes enfants poétiques ! […] mon enfant !

404. (1914) Une année de critique

Son livre devant moi, c’est la poussière tombée sur les mains du petit enfant qui creva sa belle poupée. […] Tous les malades sont un peu des enfants ; Rousseau était un malade. […] Quelques « mots » en paraîtront peut-être artificiels, placés dans la bouche d’un enfant ; mais, de même que leurs mères les voient plus jeunes, nous avons une tendance à voir les enfants plus simples qu’ils ne le sont. […] Bref, sous le masque et le fard, il cachait un visage d’enfant. […] Je t’épouserai, moi… Oui… oui… tout de suite si tu veux… Et ton enfant… ton enfant… je le reconnaîtrai… Veux-tu ?

405. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre II. Les bêtes »

Il n’y a pas jusqu’aux petits enfants qui, par la finesse de leurs traits, de leurs proportions et de leurs formes, n’indiquent les altérations profondes que la civilisation a fait descendre des individus dans le type. […] Si elles pouvaient parler, elles nous tutoieraient comme font les enfants. En effet, ce sont des enfants qui, arrêtés dans leur croissance, ont gardé la simplicité, l’indépendance et la beauté du premier âge. […] Ils se confient davantage à la nature ; ils n’ont point à se défendre comme les bêtes, ni à chercher leur pâture ; ce sont des enfants encore endormis dans le sein de leur mère, qui reçoivent d’elle leurs aliments et leur soutien. […] L’imbécile s’imagine que la mère va lui donner son enfant, et, quand il se voit trompé, il s’amuse à menacer et à se plaindre.

406. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XVII, l’Orestie. — les Euménides. »

Une vieille femme qui a peur n’est plus rien, elle vaut moins qu’un enfant » — Ce qu’elle a vu, elle le raconte avec tremblement. […] Les pères sont menacés, la main des enfants est levée sur eux ! […] Quintilien raconte aussi que l’Aréopage condamna à mort un enfant qui arrachait les yeux à des cailles, ne voulant pas laisser croître le monstre que ce jeu cruel prédisait. […] L’ancêtre ayant tué son enfant, le meurtre renaît, comme un instinct invincible, dans sa descendance ; le parricide et le fratricide mettent en coupes réglées sa maison. […] « Pourquoi dites-vous comme un proverbe : Les pères ont mangé du verjus et les dents des enfants en sont agacées ?

407. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Joinville. — I. » pp. 495-512

» — « Parce que, firent-ils, ce n’est pas jeu égal : car or ni argent ne peut équivaloir à votre personne, à celle de votre femme et de vos enfants qui sont à bord. » Alors le roi se tournant vers les principaux passagers, dit : Seigneurs, j’ai ouï votre avis et celui de mes gens. […] C’est pourquoi j’aime mieux mettre ma personne et ma femme et mes enfants en la main de Dieu, que de faire tel dommage à tant de monde qu’il y a céans. […] Le roi mande ses barons à Paris, et leur fait faire serment qu’ils porteront foi et loyauté à ses enfants si aucune chose fâcheuse lui advient dans le voyage : « Il me le demanda, dit Joinville ; mais je ne voulus point faire de serment, car je n’étais pas son homme. » L’amitié si tendre qui bientôt attachera Joinville à saint Louis laissera toujours subsister cependant ce coin d’indépendance féodale et personnelle, ou plutôt cet esprit de légalité qui consistait à dépendre avant tout et à relever du seigneur immédiat. […] Cet abbé de Cheminon lui donne l’écharpe et le bourdon, et le voilà parti en pèlerin, pieds nus et en chemise, faisant visite à tous les saints lieux d’alentour, sans plus devoir rentrer à son château jusqu’à ce qu’il revienne de Palestine ; et en passant d’un de ces lieux des environs à l’autre, « pendant que j’allais, dit-il, à Blécourt et à Saint-Urbain, je ne voulus jamais retourner mes yeux vers Joinville, pour que le cœur ne m’attendrît pas trop, du beau château que je laissais et de mes deux enfants ». […] Mais tout aussitôt, dans la personne de son page et de son serviteur, il a su ramener, par contraste avec son insensibilité, les sentiments naturels et nous faire voir qu’il n’est pourtant pas tout à fait étranger aux larmes ; il nous montre l’enfant et l’homme pleurant comme de simples mortels, l’un son père et sa mère, l’autre sa femme et ses enfants.

408. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — I. » pp. 204-223

Né à Dinan en Bretagne, le 12 février 1704, d’une honnête famille de commerçants, le dernier venu des enfants, il fut l’objet des soins de sa mère veuve, personne de mérite, de raison, qui ne mourut qu’à plus de cent ans, et quelques années seulement avant son fils. […] La mère de Duclos, voyant ses dispositions précoces, prit sur elle de l’envoyer tout enfant à Paris pour y faire ses études, ce que bien des gens de qualité ne faisaient pas pour leurs fils et ce que nul bourgeois du pays n’osait alors se permettre. L’enfant arriva donc, à neuf ans, rue de la Harpe par le coche. Il fut mis d’abord rue de Charonne, dans une institution fondée par MM. de Dangeau, où l’on élevait, aux frais des fondateurs, une vingtaine de jeunes gentilshommes chevaliers de Saint-Lazare, et où l’on admettait, pour l’émulation, d’autres enfants payants. […] Enfant, il était au collège d’Harcourt quand le système de Law vint bouleverser les têtes et bientôt les fortunes ; et, à ce propos, Duclos fait la théorie des crises ou révolutions fréquentes auxquelles est assujetti notre pays.

409. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Béranger, recueillie par M. Paul Boiteau. »

Vivez aussi mon cher enfant. […] C’est que, moi, je crois comme les petits enfants, ce qui semble ne m’aller guère. […] L’enfant se mit à pleurer en disant : “Je n’ai plus de bon Dieu, je vais mourir !” […] Il faut le voir en présence de cette intelligente enfant qui devient peu à peu une personne ; comme il s’y prend bonnement et gentiment pour lui donner une idée du style, de la manière d’écrire et de lire ! […] C’est un joujou qui sied aux vieux enfants, mais que le public brise dans leurs mains quand ils l’étourdissent avec, en courant les rues et les carrefours. » Attrape !

410. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette (suite.) »

ne ménagez pas vos conseils à vos malheureux enfants. » Jamais deux souverains jeunes, honnêtes et bons, ne furent animés d’un plus ardent désir de suffire à leurs immenses devoirs, et il fallait qu’il y eût dans la force inhérente des choses et dans les difficultés accumulées dont ils héritaient une bien grande résistance pour qu’avec cette bonne volonté si sincère, un esprit juste, chacun, et des idées qui n’étaient pas tant en désaccord avec celles de l’époque, ils n’y aient pas réussi. […] Je ne peux pas dire qu’il me traite en dessous et en enfant, et qu’il ait de la défiance pour moi : au contraire ; il lui échappait l’autre jour un long discours devant moi et comme s’il parlait à lui-même sur les améliorations à introduire dans les finances et dans la justice ; il disait que je devais l’aider, que je devais être la bienfaisance du trône et le faire aimer, qu’il voulait être aimé ; mais il n’a pas énuméré ses moyens d’action, soit qu’il ne les ait pas encore combinés, soit qu’il les garde pour ses ministres ; il leur écrit beaucoup ; c’est au vrai un homme qui est tout en lui, qui a l’air d’être fort inquiet de la tâche qui lui est tombée tout à coup sur la tête, qui veut gouverner en père. […] … » Elle souffrait de ne pas l’être, elle en était humiliée tout bas ; elle voyait sa jeune belle-sœur, la comtesse d’Artois, mère déjà de deux enfants, et elle n’avait pour elle-même aucun commencement d’espérance. […] Les nouvelles que vous voulez bien me donner des heureux progrès dans votre lien conjugal me font le plus grand plaisir, et vous voulez même presque me laisser l’espérance d’y avoir contribué par mes propos, qui étaient bien épurés par l’intention unique de cimenter par là les liens et le bonheur de deux personnes qui me sont si chères et précieuses. » Enfin le 19 décembre 1778, la reine accouche de son premier enfant qui sera Madame, duchesse d’Angoulême. […] Mme Roland, enfant, nous dit qu’elle emportait son Plutarque à l’église pendant le carême en guise de Semaine Sainte ; Marie-Antoinette emportait Mme Riccoboni.

411. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Exploration du Sahara. Les Touareg du Nord, par M. Henri Duveyrier. »

« Le cheik Othman n’a pas d’enfants. […] « L’enfant, chez les Touareg, suit le sang de sa mère : — le fils d’un père esclave ou serf et d’une femme noble est noble ; — le fils d’un père noble et d’une femme serve est serf ; — le fils d’un noble et d’une esclave est esclave. — C’est le ventre qui teint l’enfant, disent-ils dans leur langage primitif24. » Dans la famille, la femme chez eux est pour le moins l’égale de l’homme. […] Elles s’occupent exclusivement des enfants qui, en fait et en droit, on vient de le voir, sont plus à elles qu’au mari, et elles dirigent leur éducation. […] Biston, avocat à Châlons-sur-Marne, veut bien m’écrire à ce sujet : « S’il n’est pas tout à fait exact de dire que, dans la Coutume de Champagne, la femme représente le principe noble, comme chez les Touareg, on doit cependant remarquer que nos damoiselles y jouissaient d’un privilège considérable, puisque lorsqu’elles épousaient des roturiers, elles ne perdaient pas leur noblesse, et pouvaient la transmettre à leurs enfants. Si, chez les Touareg, le Ventre teint l’enfant, le ventre noble affranchissait et anoblissait à Châlons.

412. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le Livre des rois, par le poète persan Firdousi, publié et traduit par M. Jules Mohl. (3 vol. in-folio.) » pp. 332-350

Dans sa ville natale de Thous, Ferdousi enfant, fils d’un jardinier, assis au bord du canal d’irrigation qui coulait devant la maison de son père, s’était dit souvent qu’il serait beau de laisser un souvenir de lui dans ce monde qui passe. […] Dans sa ville natale, j’ai dit qu’enfant il s’était assis souvent au bord du canal qui coulait devant la maison du jardinier son père, et que c’était là qu’il avait nourri ses premiers rêves. […] Enfin, croyant les choses apaisées et oubliées, il était revenu dans sa ville natale, lorsqu’un jour, passant par le bazar, il entendit un enfant réciter un vers sanglant de cette même satire qui avait couru le monde. […] « Quand il eut un mois, il était comme un enfant d’un an ; quand il eut trois ans, il s’exerçait au jeu des armes, et à cinq ans il avait le cœur d’un lion. […] À cette nouvelle d’une armée de Turcs commandée par un jeune homme si vaillant et si héroïque, il a l’idée d’abord que ce pourrait bien être son fils ; mais non : ce rejeton de sa race est trop enfant, se dit-il, « et ses lèvres sentent encore le lait ».

413. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Florian. (Fables illustrées.) » pp. 229-248

Je ne dirai rien des mille espiègleries qu’il raconte, des pavots coupés dans le jardin, et sur lesquels l’enfant, tout plein de son Iliade, s’exerçait en Ajax furieux ; il croyait moissonner, avec son sabre de bois, des héros troyens. […] Le père Adam les montrait comme un chef-d’œuvre à Voltaire, qui disait, en souriant, que ce n’était pas mal pour un enfant de cet âge. […] Enfin, cette fête de nuit en l’honneur de Mlle Clairon se termine, dans le récit de Florian, par une très belle description de l’aurore, par un lever de soleil sur les cimes des Alpes, qui a frappé son imagination d’enfant : c’est le signal d’un sentiment tout nouveau, plein de fraîcheur, l’amour de la nature, qui va être la passion et presque l’engouement des générations naissantes. […] Ce n’est pourtant rien moins qu’un bouffon ; ce n’est pas non plus un personnage sérieux : c’est un grand enfant. […] Il se présenta lui-même comme porté jusque dans le sanctuaire académique par les amis de Voltaire : « Ainsi quelquefois de vaillants capitaines élèvent aux honneurs un jeune soldat, parce qu’ils l’ont vu servir enfant sous les tentes de leur général. » En même temps il rendait un public hommage à Gessner, mort depuis peu, et qu’il proclamait son maître et son ami.

414. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Charles Perrault. (Les Contes des fées, édition illustrée.) » pp. 255-274

Quand il fut dans la grande allée, je lui dis : « Vous ne croiriez pas, monsieur, le respect que tout le monde, jusqu’au plus petit bourgeois, a pour ce jardin ; non seulement les femmes et les petits enfants ne s’avisent jamais de cueillir aucune fleur, mais même d’y toucher. […] Je suis persuadé, continuai-je, que les jardins des rois ne sont si grands et si spacieux, qu’afin que tous leurs enfants puissent s’y promener. » Il sourit à ce discours, et dans ce même temps la plupart des jardiniers des Tuileries s’étant présentés devant lui, il leur demanda si le peuple ne faisait pas bien du dégât dans leur jardin : « Point du tout, monseigneur, répondirent-ils presque tous en même temps, ils se contentent de s’y promener et de regarder. » — « Ces messieurs, repris-je, y trouvent même leur compte, car l’herbe ne croît pas si aisément dans les allées. » M.  […] Ces Tuileries ouvertes et publiques, qu’on dut à Perrault dès ce temps-là, cadrent bien avec l’idée aimable qu’on se fait de l’ami et de l’enchanteur des enfants, de l’auteur des Contes de fées. […] Tout en les redisant à ses enfants, Perrault s’avisa de les écrire, et il les publia en janvier 1697, comme si c’était son jeune fils (Perrault d’Armancourt) qui les avait composés. […] Si j’osais revenir, à propos de ces contes d’enfants, à la grosse querelle des anciens et des modernes, je dirais que Perrault a fourni là un argument contre lui-même, car ce fonds d’imagination merveilleuse et enfantine appartient nécessairement à un âge ancien et très antérieur ; on n’inventerait plus aujourd’hui de ces choses, si elles n’avaient été imaginées dès longtemps ; elles n’auraient pas cours, si elles n’avaient été accueillies et crues bien avant nous.

415. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Brizeux. Œuvres Complètes »

L’homme a la faculté superbe d’être prodigue, même avec rien, et Brizeux a été l’Enfant prodigue de son obole : il l’a coupée en quatre, dispersée, jetée à tous les vents ! […] Elle avait aimé cet enfant, qui a vieilli sans devenir un homme ; et la pureté dans la faiblesse, cette chose si rare dans des temps d’inspiration grossière, l’empêchait de dire qu’il n’était plus ! […] Il revint bientôt à son cher pays, comme l’enfant qui saigne revient à sa mère. […] Le frêle pâtre, qui n’avait qu’une haleine d’enfant à insinuer dans un chalumeau, voudra jouter avec le plus robuste poumon qui ait jamais soufflé dans un rythme vide. […] Les fils de ceux qui burent leur sang au combat des Trente ont assez de cœur pourtant pour ressentir ces fières nostalgies, si les vers de Brizeux étaient capables de les donner ; mais la Bretagne peut être tranquille sur le compte de ses enfants.

416. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XV. »

Au moment où, conduit par une rêverie savante à ce matérialisme épicurien dont César devait abuser en factieux quelques années après, Lucrèce allait expliquer la formation spontanée du monde, l’action exclusive de la matière, l’intelligence passagère qui en résulte et la mortalité absolue de l’être humain, il élève ses regards vers les cieux ; il y voit briller un astre cher à la superstition romaine ; il en retrouve le souvenir et le nom dans les origines de Rome, et il ouvre son poëme antimythologique et antiplatonique par cette invocation incomparable à la déesse de la fécondité dans la nature, à cette déesse de la beauté et de l’amour, qu’il supplie de désarmer le dieu de la force et de la guerre : « Mère des enfants d’Énée, charme des hommes et des dieux, bienfaisante Vénus ! […] « Il est vrai172, tu ne te verras plus accueilli d’une Il famille joyeuse et d’une excellente épouse : ils n’accourront plus, ces chers enfants, se disputer tes baisers et remplir ton cœur d’un charme secret : tu ne pourras plus, par ton courage, prêter force à toi-même et aux tiens. […] « Pour les épouses en travail d’enfant, tu es Lucine Junon ; tu es aussi la puissante Trivia, et la Lune brillante d’une lumière empruntée. […] nulle maison ne peut donner d’enfants, nul père avoir postérité : on le peut avec toi. […] « Telle qu’une fleur solitaire est née dans l’enclos d’un jardin, à l’abri des troupeaux, loin du soc de la charrue, caressée par les souffles de l’air, fortifiée par le soleil, nourrie des eaux du ciel, objet d’envie qu’ont souhaité bien des enfants et des jeunes filles ; et puis, s’est-elle fanée sous le doigt léger qui la cueille, nuls enfants, nulles jeunes filles ne l’ont plus souhaitée : telle la vierge, tant qu’elle reste pure, est chérie des siens.

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