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804. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Introduction. » pp. -

Si, au contraire, l’homme naturellement sain et équilibré limite volontiers l’étendue de ses conceptions pour en mieux préciser la forme, on verra, comme en Grèce, une théologie d’artistes et de conteurs, des dieux distincts promptement séparés des choses et transformés presque dès l’abord en personnes solides, le sentiment de l’unité universelle presque effacé et à peine conservé dans la notion vague du Destin, une philosophie plutôt fine et serrée que grandiose et systématique, bornée dans la haute métaphysique5, mais incomparable dans la logique, la sophistique et la morale, une poésie et des arts supérieurs pour leur clarté, leur naturel, leur mesure, leur vérité et leur beauté à tout ce que l’on a jamais vu. Si enfin l’homme réduit à des conceptions étroites et privé de toute finesse spéculative, se trouve en même temps absorbé et roidi tout entier par les préoccupations pratiques, on verra, comme à Rome, des dieux rudimentaires, simples noms vides, bons pour noter les plus minces détails de l’agriculture, de la génération et du ménage, véritables étiquettes de mariage et de ferme, partant une mythologie, une philosophie et une poésie nulles ou empruntées.

805. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIIe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

« Ainsi les maîtres de la lyre Partout exhalent leurs chagrins ; Vivants, la haine les déchire, Et ces dieux que la terre admire Ont peu compté de jours sereins. […] Je conclus qu’un bonheur aussi constant n’est point l’effet de cette puissance aveugle et capricieuse qu’on appelle la fortune : Alexandre dut ses succès à son génie et à la faveur signalée des dieux.

806. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre I. Les chansons de geste »

Comme tous les Germains, les Francs avaient une poésie narrative, tantôt mythique, et tantôt historique, célébrant les dieux ou les anciens rois de la race : le Siegfrid des Nibelungen n’est autre que Sigofred, héros national des Francs, qui primitivement fut peut-être un dieu.

807. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « M. Deschanel et le romantisme de Racine »

Et les dieux qui ordonnaient l’immolation d’Iphigénie et qui soulevaient la colère de Lucrèce étaient-ils donc si aimables ? […] Assurément elles ne sentent ni ne parlent comme dans un temps où l’on pouvait être petite-fille du Soleil et fille du Juge des morts (Phèdre) ou petite fille de la Terre (Aricie), et où le dieu des mers mettait des monstres à la disposition de ses amis.

808. (1772) Éloge de Racine pp. -

Éloge de Racine Quand Sophocle produisait sur la scène ces chefs-d’oeuvre qui ont survécu aux empires et résisté aux siècles, la Grèce entière assemblée dans Athènes applaudissait à sa gloire ; la voix d’un héraut le proclamait vainqueur dans un immense amphithéâtre qui retentissait d’acclamations ; sa tête était couronnée de lauriers à la vue de cette innombrable multitude ; son nom et son triomphe, déposés dans les annales, se perpétuaient avec les destinées de l’état, et les Phidias et les Praxitèles reproduisaient ses traits sur l’airain et le marbre, de la même main dont ils élevaient les statues des dieux. […] Ils offraient à leurs concitoyens les grands événemens de leur histoire, les triomphes de leurs héros, les malheurs de leurs ennemis, les crimes de leurs dieux.

809. (1913) La Fontaine « I. sa vie. »

Tu peux… (il s’adresse au roi) Tu peux, d’un éclat de ta foudre, Achever de le mettre en poudre ; Mais si les dieux à ton pouvoir Aucunes bornes n’ont prescrites, Moins ta grandeur a de limites, Plus ton courroux en doit avoir. […] ………………………………… L’Amour est fils de la Clémence, La Clémence est fille des dieux.

810. (1858) Cours familier de littérature. V « Préambule de l’année 1858. À mes lecteurs » pp. 5-29

Des dieux que nous servons connais la différence II Et de quoi nous accusent ces écrivains ?

811. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VII. Maurice Barrès et Paul Adam » pp. 72-89

Le dieu d’Aristote ignore le monde, mais l’univers le pressent et se tend vers lui : ainsi agit-il sans impulsion.

812. (1911) La valeur de la science « Première partie : Les sciences mathématiques — Chapitre II. La mesure du temps. »

Et cependant quand nous parlons du temps, pour tout ce qui se passe en dehors de nous, n’adoptons-nous pas inconsciemment cette hypothèse ; ne nous mettons-nous pas à la place de ce dieu imparfait ; et les athées eux-mêmes ne se mettent-ils pas à la place où serait Dieu, s’il existait ?

813. (1899) L’esthétique considérée comme science sacrée (La Revue naturiste) pp. 1-15

L’Esthétique considérée comme Science sacrée « Au culte des dieux et des guerriers, il est utile de substituer le respect magnifique des sages.

814. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 12, des masques des comédiens de l’antiquité » pp. 185-210

Suetone nous apprend que lorsque Neron montoit sur le théatre pour y représenter un dieu ou un heros, il portoit un masque fait d’après son visage, mais que lorsqu’il y représentoit quelque déesse ou quelque heroïne, il portoit alors un masque qui ressembloit à la femme qu’il aimoit actuellement.

815. (1912) L’art de lire « Chapitre II. Les livres d’idées »

Vous comparez ; vous rapprochez ; vous vous souvenez que Platon adore les mythes, c’est-à-dire les théories habillées en fables, en manière de poèmes épiques ; et vous vous dites que la rencontre d’un mythologue et d’un spiritualiste a produit cette théorie des idées vivantes, des abstractions qui sont des êtres, des abstractions qui sont des forces, des abstractions qui sont des dieux.

816. (1912) L’art de lire « Chapitre V. Les poètes »

A peine il la répand qu’une commune erreur, D’eux tous, l’un contre l’autre, anime la fureur ; Ils s’entr’immolent tous au commun adversaire, Tous pensent le percer quand ils percent leur frère, Leur sang partout regorge, et Jason, au milieu, Reçoit ce sacrifice en posture d’un dieu.

817. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Fustel de Coulanges » pp. 15-32

Cette prétention de dieu, qui perdit Napoléon, est une de ces fatuités qu’un peuple aussi politique que le peuple romain n’avait pas.

818. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Théodore de Banville »

Tu vins, et d’un ton compassé, Un pied sur l’avenir, l’autre sur le passé, Tu chantas à grands flots ces créations pures… Pour la beauté d’abord tu nous donnas Hélène, Forme terrible et pure, en son manteau de laine, Pour laquelle à jamais les hommes et les Dieux Se livrent sans relâche un combat odieux… Hélène qui, riant sur sa couche fatale, Tuait dans un baiser l’Asie orientale, Et serrant sur son sein l’enfant aux blonds cheveux, Étouffait un empire entre ses bras nerveux !

819. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’architecture nouvelle »

Et nous entrevoyons de ce côté d’immenses plaines à défricher, le jour où l’expression musicale s’appliquera à un nombre illimité d’êtres, en dehors des héros et des dieux de la Tétralogie ou de Tristan et Yseult. ‌

820. (1902) Symbolistes et décadents pp. 7-402

Elle avait été superbe, luxueuse (dieu ! […] Car tu possèdes l’être réel de toutes choses en ta pure volonté, et tu es le dieu que tu peux devenir. « Les dieux sont ceux qui ne doutent jamais. […] Évidemment, ils manifestaient leur parfait éloignement des Dieux hindous et tout ce qui découle des Runes, leur animadversion pour Pallas, leur préférence pour des Aphrodites toutes modernes ; ils désiraient s’éloigner de l’Acropole vers les Pantins et les fortifs ! […] Qu’on retourne au paganisme, qu’on écoute le sang païen, qu’on rejette toute influence de l’Évangile : tout le monde héros, et surhomme, comme des philosophes le diront après lui ; redevenir l’homme qui est dieu par la force et la splendeur, sur les débris de l’homme-dieu par solidarité et résignation.

821. (1885) Le romantisme des classiques (4e éd.)

Ce penser m’adoucit : va, ma colère cesse ; Et ce petit archer qui dompte tous les dieux Vient de chasser la mort qui logeait dans mes yeux. […] Matamore révèle à Clindor qu’autrefois il était terrible et beau en même temps ; dans certains moments cela le gênait ; alors il a demandé au roi des dieux d’être seulement l’un ou l’autre à volonté ; Jupiter s’est empressé de lui complaire. […] Germanique Mais je suis de son sang, nous avons mêmes dieux, Europe Tous ceux-là sont mon sang, nous voyons mêmes cieux ; Adore-t-on nos dieux dans toutes vos armées ? […] belle Sylvie, un dieu les fait chanter, Que vous allez fuyant pour ne me contenter ! […] Il est malaisé de savoir quelle était sa religion : le surnom de Fléau de Dieu, qu’il prenait lui-même, montre qu’il n’en croyait pas plusieurs (dieux).

822. (1891) Essais sur l’histoire de la littérature française pp. -384

Ils n’y trouvèrent pas seulement de tendres amantes qu’ils eussent voulu faire déesses au prix d’une guerre contre les dieux, et qui avaient fini par leur préférer à eux-mêmes de très simples mortels. […] Mais il y a eu chez nous un moment, déjà bien loin, il est vrai, où je n’eusse conseillé à personne de faire l’éloge de la pauvreté et de chanter trop haut son hymne en l’honneur des dieux de bois et des temples de brique. […] Une fois échappée à cette chaude alarme, elle s’est de plus en plus adorée elle-même ; l’or a été le dieu du jour. […] La vengeance est le plaisir des dieux, qui sont éternels. […] Sers-moi d’excuse, dieu des amants ! 

823. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre huitième »

… Mais nous, qui d’un autre œil jugeons les conquérants, Nous savons que les dieux ne sont pas des tyrans ; Et de quelque façon qu’un esclave le nomme, Le fils de Jupiter passe ici pour un homme. […] Roxane aime, sans remords ; et, au lieu que dans le palais de Thésée, en cette Grèce où les crimes des mortels sont commandés par les dieux ; l’amour est comme une fureur sacrée ; au sérail, dans l’ombre et le mystère où vit Roxane, cachée et surveillée, l’amour ressemble à une intrigue sanglante. […] Il vit tout ce qu’il y avait de pressant, d’irrésistible dans ce contact de l’usurpation et du droit, de la religion et de l’idolâtrie, outre la volonté du Dieu des vengeances, qui joue le même rôle dans Athalie que le dieu Destin dans le théâtre grec.

824. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre cinquième. Le réalisme. — Le trivialisme et les moyens d’y échapper. »

Les naturalistes modernes veulent, comme le grand naturaliste antique Lucrèce, n’adorer que la déesse de la fécondité terrestre, mêler dans un même culte les images symboliques de Vénus et de Cybèle ; mais Cybèle, pour ses primitifs adorateurs, était inséparable d’Uranus ; nous aussi nous devons nous souvenir que l’antique déesse est enveloppée et fécondée par le Ciel, perdue en lui, et que la Terre a besoin, pour sa marche en avant, d’être emportée sur les ondes du subtil éther, soulevée dans tous les invisibles mouvements de ce dieu à la fois si proche et si lointain. […] Aussi, pour trouver la vie, l’écrivain et l’artiste doivent-ils avant tout être sincères, s’exprimer tout entiers eux-mêmes, ne rien retenir de leur vie intérieure, se dévouer à la foule indifférente comme on se dévouait jadis aux dieux. […] Les premiers poèmes et les premiers romans ont conté les aventures des dieux ou des rois ; dans ce temps-là, le héros marquant de tout drame devait nécessairement avoir la tête de plus que les autres hommes.

825. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

Et comme les païens priaient leurs dieux parce qu’ils étaient injustes, de même nous prions notre Dieu parce qu’il est injuste, avec cette différence que nous savons que c’est nous qui l’avons forcé de l’être, ce qui le justifie. […] Il nous plonge dans l’injustice du monde pour nous punir, et dans ce séjour du mal nous le prions ainsi que les païens faisaient leurs dieux, comme un pouvoir arbitraire, parce que dans ce domaine de l’iniquité, voulue par lui, méritée par nous, il est pouvoir arbitraire en effet ; mais, après cette épreuve, il nous attire en son éternité, où tout est justice. […] Il est bien vrai qu’il y a plusieurs dieux et plusieurs seigneurs tant dans le ciel que sur la terre, et que nous devons aspirer à l’amitié et à la faveur de ces dieux. Mais il est vrai aussi qu’il n’y a qu’un seul Jupiter, le quoi que ce soit qui n’a rien au-dessus de lui… Il est bien vrai que Minerve est sortie du cerveau de Jupiter… Il est bien vrai que chaque homme a son génie conducteur et initiateur qui le guide à travers les mystères de la vie… Il est bien vrai qu’Hercule ne peut monter sur l’Olympe qu’après avoir consumé par le feu, sur le mont Eta, tout ce qu’il avait d’humain… Il est bien vrai que les héros qui ont bien mérité… ont droit d’être déclarés dieux par la puissance légitime ; la canonisation d’un souverain dans l’antiquité païenne et l’apothéose d’un héros du christianisme dans l’Église… partent du même principe… Il est bien vrai que les dieux sont venus quelquefois s’asseoir à la table des hommes justes, et que d’autres fois ils sont venus sur la terre pour expier les crimes des hommes… » Et ainsi de suite pendant des pages ; car si le jeu est imprudent, il est facile. […] Schiller, quoique génie éminemment lyrique, n’en avait pas moins écrit les Dieux de la Grèce, et, tout comme Chateaubriand en France ne restait point éternellement l’homme de René, Gœthe ne restait point toujours l’homme de Werther, embrassait au contraire dans son art puissant, et contemplait, loin de lui, d’un regard serein, tout ce qui, dans le monde des sentiments antiques comme dans celui des idées modernes, était matière d’art et de poésie.

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