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353. (1864) Études sur Shakespeare

À la vérité, au fond des masses populaires, la réforme, flattée mais non satisfaite, grondait sourdement ; on l’entendait même élever par degrés cette voix qui devait bientôt ébranler toute l’Angleterre. […] Comment les progrès de la prospérité rustique amenèrent-ils par degrés ce joyeux mouvement de réunions, de banquets et de jeux ? […] Nul n’a réuni, au même degré que Shakespeare, ce double caractère de l’observateur impartial et de l’homme profondément sensible. […] Cependant les écrivains distingués n’avaient pas tout à fait cessé d’accorder à Shakespeare une part dans la gloire littéraire de leur pays ; mais c’était timidement et par degrés qu’ils soulevaient le joug des préventions de leur temps. […] Il s’arrête, il regarde ; sa disposition naturelle, ses souvenirs, ses pensées viennent se grouper autour de l’idée principale qui s’offre à ses yeux, et développent en lui par degrés l’émotion toujours croissante qui va bientôt le dominer.

354. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Jean-Jacques Ampère »

La tragédie exigeait un certain renouvellement ; mais à quel degré ? […] On a comme une échelle des hauteurs, des formes et des degrés de culture. […] Le cercle de l’Abbaye, dans sa douce habitude, lui procurait des liaisons agréables et des amis à tous les degrés. […] Il y a des degrés d’intimité et de complaisance qui ne laissent pas jour au jugement ; mais, si elle avait en ce sens quelques faiblesses et mollesses inévitables, cette noble amitié avait en soi bien du charme et de la saveur. […] J’ajoute, mon bon et cher ami, que non-seulement je ne vous ai pas attendu, sans pour cela vous en vouloir dans un degré quelconque, mais, je vous dis ceci du fond du cœur, que je vous prie très-instamment et très-sincèrement de ne pas venir.

355. (1864) Le positivisme anglais. Étude sur Stuart Mill

Il n’a reconnu dans toutes les formes et à tous les degrés de la connaissance que la connaissance des faits et de leurs rapports. […] Il est donc vrai que nous avons besoin de l’expérience pour nous apprendre à quel degré, dans quels cas, dans quelles sortes de cas, nous pouvons nous fier à l’expérience. […] On sait par l’expérience directe que la quantité d’eau qui peut rester suspendue dans l’air à l’état de vapeur est limitée pour chaque degré de température, et que ce maximum devient moindre à mesure que la température diminue. […] Nous pouvons bien ramener l’un à l’autre des phénomènes de degré différent, mais non des phénomènes d’espèce différente. […] Nous passons de l’accidentel au nécessaire, du relatif à l’absolu, de l’apparence à la vérité ; et, ces premiers couples trouvés, nous pratiquons sur eux la même opération que sur les faits, car, à un moindre degré, ils ont la même nature.

356. (1904) Propos littéraires. Deuxième série

C’est un certain degré de sens artistique qui leur manquait. […] et on ne croit avec un certain degré de passion qu’à soi-même. […] Je sais bien, qu’à un certain degré de raffinement, c’est un charme. […] Ribot arrive de degré en degré, pas à pas, aux formes supérieures de l’abstraction et de la généralisation chez les peuples très civilisés. […] Simplification toujours croissante, substitutions à degrés ascendants.

357. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome I

Il faut voir avec quel dédain il malmène les croyants du second degré, ceux qui font leur Dieu de l’Humanité ou du Progrès. […] Si la méthode commande le degré de la certitude, elle ne commande pas le degré de la déférence, et nous avons dit que chez M.  […] Il faudrait être à cinquante années d’ici pour mesurer le degré de fécondation de cette influence. […] Autrefois, au séminaire d’Issy, ces études me passionnaient au plus haut degré. […] Personne avant lui, pas même cet halluciné de Michelet, n’avait possédé à un degré supérieur la magie de la résurrection.

358. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Soumet, Alexandre (1788-1845) »

Cette prédilection pour les beautés de la forme poussée jusqu’à une sorte d’insouciance pour la solidité du fond, nous la retrouvons à des degrés divers dans tous les ouvrages de l’auteur.

359. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 445-448

Nous savons d’ailleurs qu’il est issu d’une famille honnête de notre ville d’Amiens ; que son aïeul & son pere y ont rempli différentes charge municipales, & qu’ils y ont toujours, ainsi que le sieur Gresset lui-même, vécu de cette maniere honorable, qui, en rapprochant de la Noblesse, est en quelque sorte un degré pour y monter, & c. »  

360. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Bellengé » p. 204

On monte vers ce vase par quelques degrés qui forment le devant du tableau.

361. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — I. » pp. 342-363

Lui qui a si bien démêlé les ruses, les tours et retours de l’amour-propre, ne s’apercevait-il donc pas qu’en plaçant si haut le mérite d’une sagacité fine, il dressait à l’avance un autel à la qualité que lui-même possédait à un si remarquable degré, et que par conséquent il prisait le plus ? […] Que l’observateur ne se laisse point éblouir, même par le génie ; qu’il cherche, tout en l’admirant, à en mesurer la hauteur et ne ferme pas les yeux sur ses défauts, il ne se peut rien de plus légitime et de plus digne d’un esprit indépendant et juste : mais qu’on ne voie entre les génies proprement dits et la médiocrité qui les entoure que du plus ou du moins sans démarcation aucune, sans un degré décisif à franchir, je ne saurais appeler cela que myopie et petite vue qui étudie le genre humain comme une mousse et qui n’entend rien aux esprits d’aigle. […] Ceux-ci, en effet, gens économes par nature, sont payés pour croire qu’on court après l’esprit quand on en a plus qu’eux : « Messieurs, lisez-moi, semblent-ils dire ; vous verrez un homme qui pense simplement, raisonnablement, qui va son grand chemin, qui ne pétille point : et voilà le bon esprit. » Selon Marivaux plaidant dans sa propre cause, « il y a un certain degré d’esprit et de lumières au-delà duquel vous n’êtes plus senti ; c’est même un désavantage qu’une si grande finesse de vue, car ce que vous en avez de plus que les autres se répand toujours sur tout ce que vous faites, embarrasse leur intelligence » ; on vous accuse d’être obscur par trop de subtilité ; et il conclut avec découragement, et en ayant l’air de consentir, par égard pour les lecteurs vulgaires, à ne plus être sagace qu’à demi : « Peignez la nature à un certain point, mais abstenez-vous de la saisir dans ce qu’elle a de trop caché ; sinon vous paraîtrez aller plus loin qu’elle, ou la manquer. » Tels étaient les ingénieux sophismes que le désir de se justifier suggérait à Marivaux, et sur lesquels il revient en vingt endroits.

362. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — II » pp. 150-171

La langue française est impuissante à rendre toutes les beautés de la langue grecque. » Ils répondaient : « Peu nous importe », et ajoutaient comme l’abbé de Pons, d’un air de compliment pour Mme Dacier : « Elle a entendu Homère autant qu’on le peut entendre aujourd’hui ; elle sait beaucoup mieux encore la langue française ; elle a rendu le plus élégamment qu’elle a pu, dans notre langue, ce qu’elle a vu, pensé et senti en lisant le grec : cela me suffit, j’ai L’Iliade en substance. » L’erreur, c’était de croire qu’un poète dont l’expression est un tableau, une peinture naïve continuelle, fût fidèlement rendu par une traduction tout occupée d’être suffisamment polie et élégante ; l’erreur, c’était de s’imaginer qu’il n’y avait là qu’une question de plus ou moins d’élégance et de précision, et qu’en supposant l’original doué de ces deux qualités à un plus haut degré que la traduction, on lui rendait toute la justice qu’il pouvait réclamer, il s’agissait bien de cela ! […] Ce qu’on a senti ou pensé, on peut l’exprimer avec une élégance égale dans toutes les langues ; et chaque langue vous fournira les expressions uniques pour caractériser quelque pensée, quelque sentiment que ce soit, et pour en fixer le degré de vivacité ou de noblesse. […] Ses amis ressentent une douleur profonde de le voir à la veille d’être entièrement aveugle ; sa vue, qui s’éteint par degrés insensibles, le rappelle sans cesse à sa prochaine infortune et le sollicite au découragement ; tandis que nous travaillons à le consoler et à le distraire de ce triste objet, il s’imprime dans Paris des livres cruels où l’on insulte lâchement à son malheur.

363. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. (suite et fin) »

. ; ils étaient échelonnés et numérotés, selon le degré d’inutilité ou d’ennui. […] Enfin, si l’on avait demandé vers 1846, et sur des points très-différents de la sphère politique, quel était l’homme de France qui jouissait de plus de considération, on aurait de toutes parts répondu : « C’est le Chancelier. » Un doctrinaire éminent, et des plus réconciliés avec lui49, disait alors en très-bonne part : « Le Chancelier, c’est l’homme aux expédients, — non pas celui qui en cherche, mais celui qui en trouve. » Je n’aime pourtant pas ce mot d’expédients qui n’en dit pas assez pour caractériser cette capacité diverse et fertile, et l’ensemble d’une faculté judicieuse si remarquable et si rare à ce degré. […] Le moment politique était des plus critiques à cette heure ; on était la veille de l’avènement du parti déjà tout-puissant, et la philosophie ainsi que l’université n’avaient guère faveur, comme on sait, auprès des royalistes : une pareille conduite connue et dénoncée compromettait l’Université au plus haut degré.

364. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Œuvres de Louise Labé, la Belle Cordière. »

Quoi qu’il en soit, et en ne portant en ces agréables matières que le degré de sévérité qui est de mise, je vais noter quantité de noms de poètes qui, sans l’enrichir toujours, sont venus augmenter et grossir le catalogue des étoiles déjà en vue. […] Et de plus, en ce qui est de la poésie du xvie  siècle en particulier, on voit assez par tout cela qu’on est sorti des lignes de l’histoire littéraire proprement dite, qui, à moins d’être une nécropole, doit se borner à donner la succession et le jeu des écoles et des groupes, les noms et la-physionomie des vrais chefs, à marquer les caractères et les degrés des principaux talents, le mérite des œuvres vraiment saillantes et dignes de mémoire : on est tombé dans le menu, dans la recherche à l’infini, dans la curiosité locale et arbitraire. […] Y aurait-il eu un jour, une heure où, regardant au fond de ce cœur trop confiant en sa flamme, elle l’eut trouvé changé, refroidi, presque méconnaissable, et aurait-elle jamais consenti, condescendu par degrés au sentiment doucement attristé qui inspira à de plus humbles et à de plus résignées des vers comme ceux-ci : Serait-ce un autre cœur que la Nature donne A ceux qu’elle préfère et destine à vieillir ?

365. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier. »

Il entreprit aussi en vers de dix pieds un poème de l’Enlèvement d’Hèlene d’après celui de Coluthus48 ; il y en avait deux chants et demi de faits, lorsque, son goût ayant mûri d’un degré, il les jeta au feu. […] Genre pour genre, travers pour travers, celui de 1833 est d’un degré plus élevé. […] — D’Albert aime la beauté et n’aime qu’elle ; mais il l’aime à un degré où il devient à peu près impossible de la rencontrer, et lorsqu’il aura l’air d’aimer quelque être qui lui en offre une certaine image, il sentira que ce n’est là qu’un prétexte et un fantôme, et que réellement il n’aime pas.

366. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [I] »

Mais, quant à la méthode à apporter dans cette province de l’histoire littéraire, elle ne se dessine que depuis assez peu de temps : et, par méthode, j’entends une étude comparée, coordonnée, qui cherche les classements justes, le degré de mérite appréciable, et qui tient à mesurer positivement les progrès ou changements introduits soit dans la versification, soit dans le vocabulaire poétique et dans la langue. […] Mais, quelque estime que nous ayons pour les savants étrangers qui s’occupent de nous à ce degré et qui veulent bien entrer dans notre inventaire domestique, quelque reconnaissance que nous leur devions, c’est toujours pour nous une impression singulière de nous voir ainsi établis par eux sur une table de dissection, comme une nature morte, comme une langue morte. […] Au lieu de cela, faute d’un grand poète comme Homère ou comme le puissant rhapsode qui de loin nous donne l’idée d’un Homère, faute d’un poète supérieur qui pût, sinon fixer la langue, du moins la montrer et l’attester à jamais par une œuvre vivante, et solenniser ce noble et simple genre en l’attachant dans la mémoire des hommes avec des clous d’airain et de diamant, on alla à la dérive, selon le cours des temps et la dégénérescence des choses ; on en vint par degrés au dégoût et au mépris pour un genre usé qui tombait dans un romanesque affadissant ; puis l’oubli arriva.

367. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LOYSON. — POLONIUS. — DE LOY. » pp. 276-306

Oui, j’avais cru sentir dans des songes confus S’évanouir mon âme et défaillir ma vie ; La cruelle douleur, par degrés assoupie, Paraissait s’éloigner de mes sens suspendus, Et de ma pénible agonie Les tourments jusqu’à moi déjà n’arrivaient plus Que comme dans la nuit parvient à notre oreille Le murmure mourant de quelques sons lointains, Ou comme ces fantômes vains Qu’un mélange indécis de sommeil et de veille Figure vaguement à nos yeux incertains. […] Le lierre chaque jour t’enlace de verdure, Et ses nœuds étouffants Par degrés chaque jour éteignent le murmure De tes derniers accents. […] Son Érostrate est un grand homme manqué qui, de mécompte en amertume, arrive lentement, par degrés, à son exécrable projet.

368. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « La jeunesse du grand Condé d’après M. le duc d’Aumale »

Il n’était point possible de séparer leur histoire de celle de notre pays, car ils y ont tous été mêlés en vertu même de leur naissance ; mais ils y ont été mêlés à des degrés et avec des mérites fort inégaux. […] Dans tous les cas, les facultés dont est composé le génie d’un soldat sont presque toujours d’une espèce assez humble ; le degré seul en est quelquefois éminent. » Ainsi raisonne-t-on à l’âge heureux où l’on a toutes les impertinences. […] Ce qui fait la grandeur d’un général en chef, outre l’intelligence calculatrice et organisatrice qu’il doit posséder à un degré remarquable, c’est qu’il doit agir, et dans les conditions les plus terribles, les plus propres à paralyser la volonté.

369. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre douzième. »

C’est comme une justice du premier degré, qui abandonne à la justice suprême tous les cas qu’elle ne peut pas accommoder. […] C’est tout un art imaginé pour faire passer les pensées communes qu’il n’a pas su éviter, ou dont il a cru avoir besoin comme de degrés pour nous mener à des pensées plus relevées. […] Selon lui, ni Bossuet, dont La Bruyère n’a pas les élans ni les traits sublimes ; ni Fénelon, dont il n’a pas le nombre, l’abondance et l’harmonie ; ni Voltaire, dont il n’a pas la grâce brillante et l’abandon ; ni Rousseau, dont il n’a pas l’émotion, n’ont au même degré la variété, la finesse, l’originalité des formes et des tours, qui étonnent dans La Bruyère.

370. (1902) L’œuvre de M. Paul Bourget et la manière de M. Anatole France

Et cela ne veut nullement dire qu’il n’ait été très loin du premier coup, puisque c’est à l’ampleur du saut qu’il doit d’avoir été remarqué, ni qu’observateur né, s’il en fut, et sachant tirer des choses tout ce qu’elles peuvent en apprendre à qui est spécialement conformé pour en condenser le sens, dans son esprit, en formules d’une généralisation savante, il n’ait révélé une intelligence extraordinairement précoce, et ouverte à un degré d’universalité, si tant est que, comme il arrive fatalement aux natures compliquées, cette intelligence est restée passive, en ce qu’elle a reçu et démêlé, sans que, par spécialisation de génie, elle ait réussi à créer par là-dessus. […] France d’avoir su mettre dans son œuvre autant de symétrie, et d’ordre que d’esthétique, après avoir observé que, si la propension au vrai qui tend à assimiler aux énergies actives les objets, les formes, les degrés et les idées, et à laquelle ceux-ci paraissent devoir d’être assujettis aux mille réfrangibilités modales de l’expression et de l’attitude, — les rend, à notre image, aptes à persuader, — comme nous aussi, au préalable, elle les condamne à ne recevoir d’éclat que de certains accidents, et même à ne parler que dans certains bonheurs d’harmonie. […] Nous aboutirons là, au sujet de l’auteur de La Rôtisserie de la reine Pédauque : il est spirituel ; il a, à un degré supérieur, le sens de l’idée conséquente, — ce mur mitoyen entre la raison et le sentiment, — de cela qui n’est pas vraisemblable, mais qu’on imagine, qui ne se prouve pas, mais se vérifie, qui ne s’adapte pas, mais se superpose ; de cela qui plaît, parce que, largement, il a l’intention, le vouloir de plaire ; et rien ne conquiert comme ce vouloir, quand tout le bénéfice qu’on en attend est inactif.

371. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — II. (Suite.) » pp. 220-241

L’affaire dura des années : Beaumarchais la poursuivit à tous les degrés de juridiction, depuis les gentilshommes de la Chambre jusque devant l’Assemblée constituante. […] Il y eut là pour lui cinq ou six années uniques (1771-1776) où, sous le coup de la lutte et de la nécessité, et dans le premier souffle de la faveur, il arriva à la pleine expansion de lui-même, et où il se sentit naître comme des facultés surnaturelles qu’il ne retrouvera plus jamais à ce degré. […] Après que les événements sont accomplis, quand les révolutions ont eu leur cours et se sont chargées de tirer toutes les conséquences, ces choses d’un jour, dont la portée ne se sentait pas, prennent une signification presque prophétique, et nous pouvons dire aujourd’hui : L’ancienne société n’aurait pas mérité, à ce degré, de périr, si elle n’avait pas assisté ce soir-là, et cent fois de suite, avec transport, à cette gaie, folle, indécente et insolente moquerie d’elle-même, et si elle n’avait pas pris une si magnifique part à sa propre mystification27.

372. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre premier. Existence de la volonté »

Nous avons donc en somme, dans l’acte volontaire, conscience d’une motion continue qui se développe, mais avec trois degrés différents d’intensité et de vivacité, et avec des effets très différents dans l’organisme. Ces trois degrés correspondent d’abord à la simple idée de l’acte, puis à la prévalence de l’idée, enfin à l’exécution de l’idée. […] De même que, psychologiquement, tout état de conscience enveloppe à des degrés divers les trois fonctions essentielles de sensation, d’émotion et d’appétition, mais que les rapports mutuels des états de conscience les rendent tantôt plus passifs, tantôt plus actifs, tantôt plus excitateurs, tantôt plus dépressifs, de même, physiologiquement, il y a dans tous les mouvements cérébraux et nerveux des effets essentiellement sensoriels et moteurs, accidentellement excitateurs ou inhibiteurs.

373. (1899) Esthétique de la langue française « Le cliché  »

Cette faculté singulière de penser par clichés est quelquefois développée à un degré prodigieux et sans doute pathologique . […] Cela est peut-être d’un degré au-dessous de l’aphasique qui, pour « couteau », dit « ce qui sert à couper » ; c’est un bruit, mais à peine labial, le soufflement de l’asthmatique. […] Un homme est doué à un bon degré de la mémoire visuelle et de la mémoire verbale simple ; s’il décrit un paysage, même imaginaire, même fantastique, même irréel, c’est qu’il le voit.

374. (1888) La critique scientifique « La critique et l’histoire »

Toute réussite pratique et toute œuvre admirée, toute gloire de tout ordre, littéraire, artistique, militaire, religieuse, politique, industrielle, comprend donc les mêmes éléments, le même accord entre esprits supérieurs et inférieurs : l’œuvre, l’entreprise, est d’abord une conception, résultant, de plus en plus profondément, de l’intelligence acquise et originelle de son auteur, de la constitution de son cerveau, de tout son corps, des influences obscures encore qui l’ont formé tel : elle est ensuite cette conception détachée pour ainsi dire de son auteur et y tenant, comme un germe issu d’un être, passée de ce cerveau à d’autres, où elle se répercute, se reproduit, renaît, redevient efficace et cause des actes ou des émotions analogues à ceux qui existent dans l’âme primitive : cette reproduction, son degré marquent la similitude entre l’âme réceptrice et l’âme émettrice, en vertu du fait que les phénomènes psychiques d’un individu forment une série cohérente, en vertu encore du fait qu’une conception suppose la coopération de toute une série de rouages mentaux et qu’ainsi le fait de partager pleinement une conception montre ta similitude de ces rouages. […] Que ce soit impérieusement que l’on opère cette substitution d’une personne à une autre, par la crainte de châtiments ou de privations, que ce soit par amour, par l’abandon instinctif d’un cire en celui qu’il se préfère, que ce soit enfin, et le plus efficacement, parce que l’un, le héros et l’artiste, est le même que ce peuple qu’il s’agrège, est son type plus parfait et pénètre en lui parce qu’ils sont identiques, — la suggestion, la pénétration d’un homme dans un autre est réelle au même degré. […] Un homme qui peut assister, l’âme paisible, à la torture de ses ennemis, ne ressent pas au moindre degré la douleur qu’il fait souffrir.

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