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1132. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Maintenon. » pp. 369-388

Mme de Maintenon, une fois qu’elle a un pied à la Cour, fait semblant de n’être pas faite pour y vivre et de n’y rester qu’à son corps défendant. […] Elle était le point de mire de toutes les demandes, de toutes les sollicitations : elle éludait tant qu’elle pouvait ; elle se disait nulle, petite, sans crédit, une Agnès en politique ; on ne la croyait pas, et les importunités arrivaient de toutes parts, la saisissaient au passage, malgré le soin qu’elle avait de se rendre rare et comme inaccessible : « En vérité, la tête est quelquefois prête à me tourner, disait-elle au moment où elle n’y tenait plus, et je crois que, si l’on ouvrait mon corps après ma mort, on trouverait mon cœur sec et tors comme celui de M. de Louvois. » Ne soyons donc pas trop sévère en jugeant son pauvre cœur, qu’elle nous étale à nu ainsi.

1133. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. » pp. 103-122

On le conduisait en prison, et il pria les gens du guet de l’accompagner chez M. de La Harpe, son ami, qui le cautionnerait et payerait peut-être les deux mille francs qui avaient donné lieu à ce décret de prise de corps. […] Je ne lui connais plus, à présent, qu’un seul ennemi, c’est le public en corps qui se réunit en ce seul point, et qui ne veut ni écouter ses apologies ni lire ses ouvrages.

1134. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Charles Perrault. (Les Contes des fées, édition illustrée.) » pp. 255-274

En même temps qu’il rime pour Iris, Perrault surveille et dirige un corps de logis qu’on bâtit à Viry, terre de son frère. […] Voici en ce sens quelques vers qui ne me semblent nullement méprisables : À former les esprits comme à former les corps, La Nature en tous temps fait les mêmes efforts ; Son Être est immuable, et cette force aisée Dont elle produit tout ne s’est point épuisée : Jamais l’astre du jour qu’aujourd’hui nous voyons N’eut le front couronné de plus brillants rayons ; Jamais dans le printemps les roses empourprées, D’un plus vif incarnat ne furent colorées : Non moins blanc qu’autrefois brille dans nos jardins L’éblouissant émail des lis et des jasmins, Et dans le siècle d’or la tendre Philomèle, Qui charmait nos aïeux de sa chanson nouvelle, N’avait rien de plus doux que celle dont la voix Réveille les échos qui dorment dans nos bois : De cette même main les forces infinies Produisent en tout temps de semblables génies.

1135. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le duc d’Antin ou le parfait courtisan. » pp. 479-498

Après avoir fait son temps à l’Académie, c’est-à-dire s’être dressé aux divers exercices de corps, au cheval, aux armes, et à tout ce qui constituait un jeune homme de qualité accompli, d’Antin, à l’âge de dix-huit ans, entra au service ; on lui eut une place de sous-lieutenant dans un corps d’élite, dans le régiment du Roi, et il eut la permission, avant de partir, d’aller saluer le roi lui-même à Fontainebleau : M. le duc de Bellegarde, mon oncle, fut chargé de me présenter.

1136. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — I. » pp. 322-340

Il y a quelques jours que, causant avec un magistrat homme d’esprit, à qui ses fonctions n’ont point fait oublier les lettres, après quelques propos sur divers sujets : « Savez-vous que c’est moi, me dit-il, qui, le premier ai relevé le corps de Paul-Louis Courier dans le bois où il fut assassiné ? […] Paul-Louis Courier, né à Paris sur la paroisse Saint-Eustache, le 4 janvier 1772, d’un père riche bourgeois, et qui avait eu maille à partir avec un grand seigneur, fut élevé en Touraine sous les yeux et par les soins de ce père qui le destinait à servir dans le corps du génie et qui l’appliqua en attendant aux langues anciennes.

1137. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Boileau. » pp. 494-513

Un jour le Grand Condé, passant dans la ville de Sens qui était de son gouvernement de Bourgogne, fut complimenté par les corps et les compagnies de la ville, et, caustique comme il était, il se moqua de tous ceux qui lui firent des compliments : Son plus grand plaisir, dit un contemporain, était de faire quelque malice aux complimenteurs en ces rencontres. […] L’Académie en corps a beau le censurer, Le public révolté s’obstine à l’admirer.

1138. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le président de Brosses. Sa vie, par M. Th. Foisset, 1842 ; ses Lettres sur l’Italie, publiées par M. Colomb, 1836. » pp. 85-104

Cette thèse fit événement à l’Université ; le corps des professeurs, le doyen à leur tête, vint solennellement féliciter la mère du jeune licencié, et, le 13 février 1730, à peine âgé de vingt et un ans, de Brosses était assis sur le banc des conseillers au parlement de Bourgogne. […] Le corps politique est trop affaibli pour supporter les remèdes brusques.

1139. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1873 » pp. 74-101

On l’enlève, et son corps tout mou, se laisse emporter, comme un corps où il n’y aurait pas d’os.

1140. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre III. L’art et la science »

Or, le besoin de lire étant une traînée de poudre, une fois allumé il ne s’arrêtera plus, et, ceci combiné avec la simplification du travail matériel par les machines et l’augmentation du loisir de l’homme, le corps moins fatigué laissant l’intelligence plus libre, de vastes appétits de pensée s’éveilleront dans tous les cerveaux ; l’insatiable soif de connaître et de méditer deviendra de plus en plus la préoccupation humaine ; les lieux bas seront désertés pour les lieux hauts, ascension naturelle de toute intelligence grandissante ; on quittera Faublas et on lira l’Orestie ; là on goûtera au grand, et, une fois qu’on y aura goûté, on ne s’en rassasiera plus ; on dévorera le beau, parce que la délicatesse des esprits augmente en proportion de leur force ; et un jour viendra où, le plein de la civilisation se faisant, ces sommets presque déserts pendant des siècles, et hantés seulement par l’élite, Lucrèce, Dante, Shakespeare, seront couverts d’âmes venant chercher leur nourriture sur les cimes. […] Gannal les fait autrement, sinon mieux, que ne les faisaient, du vivant d’Hérodote, les Taricheutes, les Paraschistes et les Cholchytes, les premiers lavant le corps, les seconds l’ouvrant, et les troisièmes l’embaumant.

1141. (1824) Discours sur le romantisme pp. 3-28

et le premier corps littéraire de la France appréhendera-t-il de se compromettre, en intervenant dans une dispute qui intéresse toute la littérature française ? […] Pour ne parler que de la France, ces productions, généralement nobles et décentes sous Louis XIV, devinrent licencieuses et impies sous la Régence ; ensuite, sauf de glorieuses exceptions qui s’offrent à la pensée de tous, futiles et affectées pendant le long règne de Louis XV, elles semblèrent se régénérer, avec les mœurs publiques et privées, dans les années trop peu nombreuses du règne de son infortuné successeur ; et enfin, nous les avons vues, durant les jours de nos discordes civiles, partager la fortune diverse des partis, et suivre les phases variées du corps social, tantôt abjectes et furibondes, tantôt sublimes et dévouées, ici célébrant les épreuves de la vertu, et là consacrant les triomphes du crime.

1142. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Prosper Mérimée »

Il n’est plus jeune ici, il n’est plus mauvais sujet, il ne se porte plus bien, il a, dans son corps de lanterne, deux maladies à casser le corps d’un pauvre homme, et il est obligé d’entrer, à toute minute, dans des pantalons collants, malheur comique dont il ne rit pas !

1143. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Macaulay »

Il y en a un sur Goldsmith, sur Atterbury, sur Bunyan, sur Addison, vu jusqu’au fond de son dernier sourire comme à travers un cristal, — cet Addison, un Voltaire doux et pur, absolument comme Fénelon était un serpent sans venin, — et enfin sur Johnson, ce Samson anglais par la force de l’esprit comme par la force du corps, un grand critique anglais, mais, hélas ! […] Aussi, quand les premiers articles de Macaulay parurent, vers 1823, dans cette Revue d’Édimbourg qui fit jaillir les Revues du sol, par toute l’Europe, comme Pompée se vantait de faire jaillir de terre, d’un seul coup de pied, des soldats, on s’étonna, on fut charmé de ces articles substantiels et légers qui n’étaient plus de la critique par pieds, pouces et lignes, appliquée à plat sur un livre comme la mesure d’un tailleur sur le corps d’un homme, mais qui semblaient toute une atmosphère dilatée autour de ce livre et chargée de toutes les influences dans lesquelles on le retrouvait !

1144. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Charles Baudelaire  »

Mais quand il s’agit de déchirer l’âme humaine à travers la sienne, il est aussi résolu et aussi impassible que celui qui ne déchira que son corps, après une lecture de Platon. […] donnez-moi la force et le courage De contempler mon cœur et mon corps sans dégoût !

1145. (1900) La province dans le roman pp. 113-140

Bordeaux, une ville de plus de deux cent mille habitants, chef-lieu de Cour d’appel, chef-lieu de Corps d’armée, métropole du vin et port de grand commerce ! […] Je ne justifie aucunement le dédain de nos anciens auteurs envers la province, qui fut toujours pour la grandeur du pays, grandeur matérielle et grandeur morale, ce que les masses de l’infanterie sont pour la force d’une armée : l’élément principal, le corps discipliné, pressé, obscur, qui porte le poids de la bataille et ne connaît de la victoire que le repos qui la suit.

1146. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXIII. »

« Je te cherche à l’aube naissante, lorsque, penché sur le tillac, j’étends mon corps dans un oublieux repos et que j’aspire la fraîcheur de la brise. […] Mais ce zèle même, si consumant pour la faiblesse du corps, cette ferveur ingénue qui semblait un don de l’Église primitive, s’alliaient en lui aux vues les plus hautes sur le mouvement de la race humaine ici-bas et le progrès nécessaire de l’Évangile.

1147. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome II pp. 5-461

Tout enfant est le singe des défauts du corps : tout adolescent est celui des défauts de l’esprit. […] Leur discours diffère nécessairement de celui des hommes ordinaires, et s’accorde avec l’idée imaginaire qu’elle en crée, autant que le corps fictif dont elle les anime se conforme aux attributions des choses qu’elle offre satiriquement. […] Le bon curé de Meudon habille plaisamment la raison en masque, et, tel qu’un magicien, il transforme en figures bizarres les principaux personnages de son siècle et les corps les plus vénérés de l’état. […] « — Quel est ce long corps sec qui se géantifie ? […] Cette condition indispensable est le ridicule, dont la comédie n’a pas moins besoin pour exister, que la tragédie n’a besoin de la terreur et de la pitié qui en sont l’âme, et que les corps organisés n’ont besoin de la vie pour respirer et se mouvoir.

1148. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XI » pp. 39-46

Aujourd’hui, sans parlements, sans Université comme corps distinct et indépendant, n’ayant que le seul Conseil d’État pour les points d’administration gallicane, il n’y a plus rien de tel que le gallicanisme et il ne se reformera jamais.

1149. (1874) Premiers lundis. Tome I « Deux révolutions — I. L’Angleterre en 1688 et la France en 1830 »

Les Concordats, la création d’une noblesse d’empire, la réhabilitation de l’ancienne noblesse, les dons aux couvents, le milliard d’indemnité, tout cela n’avait refait ni un clergé Corps politique, ni une aristocratie féodale, ni une grande propriété ; la loi d’aînesse, dernière conséquence du système, n’aurait pas eu plus d’efficace20 .

1150. (1875) Premiers lundis. Tome III « Le roi Jérôme »

Lui qu’on avait pu trouver trop susceptible en 1812, il accepte le commandement d’une division d’infanterie dans le 2e corps commandé par le comte Reille, et qui lui-même est sous le commandement de Ney.

1151. (1875) Premiers lundis. Tome III «  La Diana  »

Il n’y a plus de démocratie absolue ; il n’y a plus d’aristocratie retranchée : nous tous, enfants d’un même pays, nous nous divisons inégalement et à l’infini en deux classes qui se modifient, se pénètrent et travaillent à se refondre chaque jour en vertu d’un va-et-vient aussi naturel que l’est dans le corps la circulation du sang ; parents riches et parents pauvres, voilà toute la différence.

1152. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIX. De la littérature pendant le siècle de Louis XIV » pp. 379-388

Les guerres religieuses avaient fait naître un esprit de parti qui change plusieurs histoires en plaidoyers théologiques ; l’esprit de corps, différent encore de l’esprit de parti, mais non moins éloigné de la vérité, dénature également les faits.

1153. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre XI. De l’ignorance de la langue. — Nécessité d’étendre le vocabulaire dont on dispose. — Constructions insolites et néologismes »

En même temps, par un effet contraire, beaucoup de mots s’allongeaient, comme si l’ancien mot, par l’usure et le frottement des siècles, n’avait plus assez de corps, et avait besoin d’être renforcé, ou remplacé par d’autres plus étoffés, plus tangibles.

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