» Strauss relève aussi très bien la différence entre Goethe et Rousseau dans leurs rapports avec la vérité : « Il y avait en Goethe le contraire absolu du cynisme coquet de l’auteur des Confessions : se dépouiller d’en bas pour se draper d’en haut ; il cacha ce qui ne se doit pas voir pour retenir toute l’attention sur ce qui a une signification humaine. » Je vous fais grâce de la suite du parallèle, surtout de la pittoresque partie qui cherche « dans le style et dans la langue » la marque de la « différence entre les deux biographies », car je présume que l’autorité triomphante de Woltmann vous a enseigné tout ce que vous désiriez savoir. […] S’il était nécessaire de plaider les circonstances atténuantes, on pourrait rappeler que Goethe, lorsqu’il acheva sa première version — laquelle demeure, malgré tout, la plus importante — atteignait à peine sa vingt-deuxième année ; qu’entre sa première et sa seconde rédaction il commit l’imprudence de demander le conseil de ses amis, dont il reçut, comme toujours, des avis inconciliables, allant du blâme catégorique (Herder) à l’enthousiasme absolu ; que sa troisième version ne fut en réalité qu’une tentative malheureuse pour rendre possible la représentation d’une œuvre qu’à l’origine il ne destinait point à la scène ; qu’au moment où il composa Goetz, le théâtre allemand ne lui offrait aucun modèle, les pièces de Lessing se rapprochant encore trop, pour son goût d’alors, du « genre classique », et la meilleure pièce « romantique », l’Ugolin de Gerstenberg, étant bien loin d’être un chef-d’œuvre ; enfin, que, tout imprégné de Shakespeare, tout rempli de théories absolues comme ou l’est volontiers à son âge, il ne se trouvait point en état de dégager encore et de développer son génie. […] Or, il n’existe aucune balance de précision, aucun étalon de commune mesure, aucun instrument pour peser et connaître la valeur absolue des œuvres littéraires. […] Rappelez-vous le bon Marke de l’antique légende : il en avait usé de même avec les deux amants admirables, Yseult et Tristan, dont les âmes réunies fleurissent en belles roses et en lierre tendre : parce que l’Amour, quand il s’élève jusqu’à l’absolu et va chercher sa réalisation jusque dans la mort, sanctifie peut-être comme la vertu… À côté de si belles choses, que de traits pénibles viennent gâter ce roman d’amour !
Si son Dieu unique est véritablement la bonté absolue, l’être parfait, il aurait dû faire son univers parfait. […] Aussi j’ai toujours dit : « Tout ce qui n’est pas le despotisme absolu, à la Spartiate, affaiblissant la patrie, il ne faut s’éloigner du despotisme que l’œil fixé sur les pays étrangers, de manière à les devancer dans cette voie, mais à ne pas les devancer trop. […] Charles Andler nous a tracé avec une clarté absolue, une précision admirable, une impartialité froide et calme de vrai historien, le portrait complet du plus grand professeur d’énergie de notre siècle. […] C’était, dans le sens absolu du mot, une âme chrétienne.
Le critique absolu ne serait ni auteur ni lecteur, il ne serait donc pas critique. […] On ne se contente pas de cultiver et de raffiner son goût, on cherche à le transformer non seulement en goût pour autrui, ce qui est la fin raisonnable de la critique, mais en goût universel, en goût absolu, c’est-à-dire en autorité. […] C’est dans la sympathie absolue de la vie, de ce « tout sympathique à lui-même » que l’être vivant engendre un être vivant.
Si je parviens à extraire et à dénombrer avec ordre ses lois absolues, positives, les préceptes feront reconnaître précisément le bon et le mauvais en matière de goût, et formeront, je l’espère, le complément d’une théorie des belles-lettres. […] L’unité absolue de temps dut être exigible dans les tragédies grecques qui ne formaient, comme je l’ai dit, qu’un seul grand acte de toutes leurs scènes, et sans doute il serait à désirer que la durée de l’action n’excédât pas celle de sa représentation même, pour jeter le spectateur dans une illusion complète.
Et, véritablement, M. de Chateaubriand, le maître absolu de ces quinze années de la Restauration, vient-il, en effet, de la Restauration ? […] Ou bien, si vous entendez par littérature facile l’improvisation ardente, passionnée, échevelée, des époques où la liberté de la presse règne en souveraine, comment avez-vous pu faire un crime aux victimes littéraires de ces époques sans modèles dans les annales littéraires du passé, de leur dévouement sans bornes et de leur abnégation complète à ce que vous appelez la littérature facile, à ce qui est, en effet, le besoin le plus réel, la nécessité la plus absolue de notre temps ? […] en quel lieu son génie et son aigle ont-ils poussé ce maître absolu de la vie et de la mort ? […] Après cette visite à la princesse de Rosbac, la jeune femme se dit à elle-même qu’elle avait définitivement obéi à toutes les exigences du monde, et, désormais tout entière à ses devoirs de mère de famille, elle resta cachée, obscure, timide, humble ; on ne la vit plus jamais au dehors, sinon pour aller à l’église ; à peine on l’entendait à l’intérieur de ses domaines, et pourtant elle était la maîtresse absolue dans son gouvernement.
Faut-il essayer d’opposer à cette éternelle mobilité la digue de théories absolues, de dogmes immuables ? […] Nous n’aurons pas la cruauté de vous demander ce qu’il y a de démocratique dans une organisation qui met tout le pouvoir spirituel aux mains d’un monarque absolu et infaillible ; qui institue, sous les noms de cardinaux et d’évêques, une noblesse ecclésiastique ; qui ne laisse pas même aux fidèles le droit de choisir leurs curés. […] Quel est-il, sinon l’indépendance absolue de l’individu, la suppression de toute organisation sociale ? […] Faguet, attaquant à son tour l’optimisme absolu de Rousseau, étale aussi les souffrances et les misères de tout ce qui vit ; il refait Candide à sa façon21.
Ce qui domine en effet à l’Académie et qu’on appelle du nom flottant de goût, ce qui se produit parfois et jaillit à l’improviste dans des conversations d’un hasard et d’un laisser aller aimable, pouvait ne pas être inutile à l’esprit sévère, mais un peu absolu, de M.
Quelle démonstration plus vivante que ce genre de dévouement, d’amitié sûre et de confiance absolue qu’un écrivain et un poète sait inspirer à des cœurs lointains, à des êtres qu’il n’a jamais même entrevus et qui lui demeurent attachés jusqu’à la mort !
Peut-être sa gouvernante, qui avait pris sur lui un empire absolu, espérait-elle, en le retenant à Paris, se faire dès lors épouser.
L’École des Chartes, de laquelle sont sortis plus d’un de ceux que je viens de nommer, produisait de savants élèves qui, devenus maîtres à leur tour, ont porté dans ces questions de linguistique nationale un genre de critique bien essentielle pour contrebalancer les théories absolues des Allemands.
L’unanimité absolue est matériellement irréalisable.
Le monde avait les exigences d’un roi absolu et ne souffrait pas de partage. « Si les mœurs y perdaient, dit un contemporain, M. de Besenval, la société y gagnait infiniment ; débarrassée de la gêne et du froid qu’y jette toujours la présence des maris, la liberté y était extrême ; la coquetterie des hommes et des femmes en soutenait la vivacité et fournissait journellement des aventures piquantes. » Point de jalousie, même dans l’amour. « On se plaît, on se prend ; s’ennuie-t-on l’un avec l’autre, on se quitte avec aussi peu de peine qu’on s’est pris.
Très souvent, les malades, après avoir admis plus ou moins longtemps que leurs fantômes n’étaient que des fantômes, finissent par les croire réels, au même titre que les personnes et les objets qui les entourent, avec une conviction absolue, sans qu’aucune expérience personnelle ou aucun témoignage étranger puisse les arracher à leur erreur.
Rienzi régna avec un pouvoir absolu sous le nom du pape ; les princes romains, conduits par le prince Colonna, voulurent en vain résister à sa dictature.
Les institutions sont aussi imparfaites que les hommes ; gouvernement parlementaire, république, monarchie tempérée, pouvoir absolu, tout a besoin de l’honnêteté des hommes d’État, ou tout s’écroule sous leurs passions.
« Papa est parti ce matin pour Gaillac ; nous voilà seules châtelaines, Mimi et moi, jusqu’à demain et maîtresses absolues.
En élargissant, tant soit peu, même parmi les hommes de lettres, votre enquête, vous serez à même de constater l’ignorance, presque absolue, où l’on est, en France, des textes les plus renommés de la littérature séculaire : c’est un fait d’éducation.
De ses exercices de professeur, il avait retenu, outre les formules de la démonstration, l’habitude de donner aux idées une valeur absolue.
On ne peut, évidemment, exiger d’une traduction une conformité absolue sur ce point.
Notre activité n’est ni solitaire, ni indépendante et absolue ; nous ne pouvons agir et lutter pour la vie que dans un milieu qui est lui-même actif et en lutte incessante ; nous ne pouvons agir qu’en harmonie ou en conflit avec les forces extérieures, qui sont nos auxiliaires ou nos ennemis.
……………………………………………………………………………………………………… Des vers de Molière, la conversation, remonte à Aristophane, et Tourguéneff, laissant éclater tout son enthousiasme pour ce père du rire, et pour cette faculté qu’il place si haut, et qu’il n’accorde qu’à deux ou trois hommes dans l’humanité, s’écrie avec des lèvres humides de désir : « Pensez-vous, si l’on retrouvait la pièce perdue de Cratinus, la pièce jugée supérieure à celle d’Aristophane, la pièce considérée par les Grecs comme le chef-d’œuvre du comique, enfin la pièce de La Bouteille, faite par ce vieil ivrogne d’Athènes… pour moi, je ne sais pas ce que je donnerais… non je ne sais pas, je crois bien que je donnerais tout. » Au sortir de table, Théo s’affale sur un divan, en disant : « Au fond, rien ne m’intéresse plus… il me semble que je ne suis plus un contemporain… je suis tout disposé à parler de moi, à la troisième personne, avec les aoristes des prétérits trépassés… j’ai comme le sentiment d’être déjà mort… — Moi, reprend Tourguéneff, c’est un autre sentiment… Vous savez, quelquefois, il y a, dans un appartement une imperceptible odeur de musc, qu’on ne peut chasser, faire disparaître… Eh bien, il y a, autour de moi, comme une odeur de mort, de néant, de dissolution. » Il ajoute, après un silence : « L’explication de cela, je crois la trouver dans un fait, dans l’impuissance maintenant absolue d’aimer, je n’en suis plus capable, alors vous comprenez… c’est la mort. » Et comme, Flaubert et moi, contestons pour des lettrés, l’importance de l’amour, le romancier russe s’écrie, dans un geste qui laisse tomber ses bras à terre : « Moi, ma vie est saturée de féminilité.
. — « La forme est chose plus absolue qu’on ne pense… Tout art qui veut vivre doit commencer par bien se poser à lui-même les questions de forme de langage et de style… Le style est la clef de l’avenir… Sans le style vous pouvez avoir le succès du moment, l’applaudissement, le bruit, la fanfare, les couronnes, l’acclamation enivrée des multitudes, vous n’aurez pas le vrai triomphe, la vraie gloire, la vraie conquête, le vrai laurier, comme dit Cicéron : insignia victoriæ, non victoriam 27. » Victor Cousin, le romantique de la philosophie, et Victor Hugo, le philosophe du romantisme, servirent à la bourgeoisie l’espèce de philosophie et de littérature qu’elle demandait.