/ 2464
1566. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Charles Dickens »

La morale de Dickens élaborée en système ou réduite à ce que l’auteur l’a faite, à quelques aspirations vers un état de bonté et de simplicité inoffensives, à quelques condamnations précipitées de ce qu’il y a de dur dans l’homme et la société, est fausse et inutile comme toutes celles qui sont issues de vœux, d’un idéal, de plus de générosité que d’expérience. […] Si les caractères ont quelque peu varié de l’état sauvage au nôtre, c’est surtout grâce aux mobiles que les religions dédaignent : l’orgueil, l’amour de la vie, l’amour des jouissances, l’amour sensuel même, l’intérêt, l’égoïsme individuel, l’égoïsme patriotique ; et dans ce lent travail de formation de lui-même, auquel l’ont si peu aidé ses prêtres, l’homme, en paraissant et en croyant les écouter, ne s’est défait que de ce qui lui nuisait, et n’a recherché qu’une somme supérieure de bonheur, se pliant mieux à la vie naturelle et sociale et suivant ces commandements véritables, que personne ne lui formulait, mais que les climats, la chasse, la guerre, ses sens, toute sa chair, lui ont impérieusement imposés. […] Un sentiment de colère n’est pas l’examen, la classification, l’analyse de l’être ou de la chose qui cause la colère ; c’est exactement et uniquement le sentiment que l’on est en colère ; et ce sentiment est si homogène de sa nature, varie si peu de qualité, qu’on peut le comparer, grossièrement, aux états physiques permanents, à une note tenue, ou mieux encore à l’écoulement d’une veine liquide qui peut varier de calibre et d’impulsion, mais non de nature.

1567. (1857) Cours familier de littérature. III « XIVe entretien. Racine. — Athalie (suite) » pp. 81-159

Tel était alors l’état de la France. […] l’état horrible où le Ciel me l’offrit Revient à tout moment effrayer mon esprit. […] Elle avait l’amitié agréable, mais périlleuse ; tout ce qui s’y fiait était, tôt ou tard, déçu ; le roi lui-même, sur son lit de mort, n’échappa pas à cette loi commune : dès qu’il fut dans un état désespéré, elle le quitta pour Dieu.

1568. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre premier. Le Moyen Âge (842-1498) » pp. 1-39

Ni l’état des esprits ni l’état des mœurs ne le permettent. […] Mais, d’un poème a l’autre, pendant quatre cents ans, des premières Chansons de geste aux dernières versions en prose de la Bibliothèque bleue, cette matière épique a flotté comme à l’état diffus, sans qu’aucun de nos vieux trouvères, ni l’auteur de Roland, ni celui d’Aliscans, réussît à lui imposer une forme qui la fixât, comme on dit, sous l’aspect de l’éternité.

1569. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gui Patin. — II. (Fin.) » pp. 110-133

En politique, Gui Patin a plus que des échappées : il semble dans un état d’opposition et de fronde continuelle, il blâme tout ; cela commence sous Richelieu et ne cesse pas un instant sous Mazarin. […] Un jour, en décembre 1652, il est appelé auprès de M. l’avocat général Talon, qu’il trouve en hydropisie et très malade : Ayant reconnu son mauvais état, je vous avoue que les larmes m’en sont venues aux yeux, ce que je ne pus si bien cacher qu’il ne le reconnût lui-même et ne m’en fît compliment.

1570. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — II. (Fin.) » pp. 180-203

Ce que Bernis écrivait de Venise à Pâris-Duverney, Lassay l’écrira presque dans les mêmes termes à Bolingbroke : « J’ai toujours pensé qu’une extrême ambition ou une entière liberté peuvent seules remplir le cœur d’un honnête homme : l’état qui est entre deux n’est fait que pour les gens médiocres. » En attendant, la guerre ayant recommencé en 1688, Lassay fit comme les gentilshommes de cœur, et alla servir en Allemagne et en Flandre sur le pied de volontaire. […] À quatre-vingt-six ans, arrivé au terme, il écrivait : « Je sens que je suis usé : je tombe avec le soleil ; le soir je me trouve dans un état misérable ; le sommeil me redonne des forces, et le matin, en m’éveillant, je me porte bien. » — M. de Lassay mourut à Paris, le 21 février 1738.

1571. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — III » pp. 455-479

Cette fois, c’était l’érudit, l’économiste, l’antiquaire, qui se préoccupait encore plus de l’état des choses que des plaisirs de la société, et qui s’attacha surtout à l’étude de Rome et de ses environs. […] Fort sévère pour la Rome pontificale, mais toujours candide et incapable de haine, s’il s’affligeait peu de l’abaissement politique du Vatican, l’état de la campagne de Rome lui inspira quelques-unes de ses recherches les plus approfondies, quelques-unes de ses pages les plus éloquentes : elles se trouvent dans son principal ouvrage, le Voyage dans le Latium.

1572. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « De la tradition en littérature et dans quel sens il la faut entendre. Leçon d’ouverture à l’École normale » pp. 356-382

M. de Chateaubriand, se souvenant de quelques chapitres très beaux de L’Esprit des lois, terminait le Génie du christianisme en se posant cette question : « Quel serait aujourd’hui l’état de la société, si le christianisme n’eût point paru sur la terre ?  […] Le classique en effet, dans son caractère le plus général et dans sa plus large définition, comprend les littératures à l’état de santé et de fleur heureuse, les littératures en plein accord et en harmonie avec leur époque, avec leur cadre social, avec les principes et les pouvoirs dirigeants de la société ; contentes d’elles-mêmes, — entendons-nous bien, contentes d’être de leur nation, de leur temps, du régime où elles naissent et fleurissent (la joie de l’esprit, a-t-on dit, en marque la force ; cela est vrai pour les littératures comme pour les individus) ; les littératures qui sont et qui se sentent chez elles, dans leur voie, non déclassées, non troublantes, n’ayant pas pour principe le malaise, qui n’as jamais été un principe de beauté.

1573. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « M. Boissonade. »

Mérimée ces vers d’Orphise à Clitandre, dans la Coquette corrigée : Mon amitié pour vous ne saurait s’augmenter, Clitandre ; j’aime en vous cet heureux caractère, Qui vous rend agréable à la fois et sévère, Cet esprit dont le ton plaît à tous les états, Que la science éclaire et ne surcharge pas, Qui badine avec goût et raisonne avec grâce. » C’est flatteur et c’est vrai ; mais assurément personne autre n’eût jamais eu l’idée d’aller demander au poète Lanoue un portrait de Mérimée. […] Wyttenbach s’était occupé d’Eunape, et il avait déjà fait sur cet auteur bon nombre de remarques, lorsqu’il fut arrêté par l’état de ses yeux ou par toute autre cause.

1574. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure  »

Bruguière (c’était son nom) est bien négligent, bien lent, bien froid pour la mémoire de son oncle ; il a des éclipsés et des absences qu’il passe on ne sait où, en retraite ou ailleurs ; le congréganiste revient de là en assez piteux état, les yeux malades, et comme un homme « qui n’a pas gagné ce mal d’œil à lire les ouvrages de son oncle. » Il faut lui arracher les papiers un à un et le stimuler sans cesse. […] « Si tous les hommes, dit Bayle, cité par Marais, étaient philosophes, on ne se servirait que de bons raisonnements ; mais, dans l’état où sont les sociétés, il faut quelque autre chose que la raison pour les maintenir, et pour conserver la prééminence quand on l’a une fois acquise. » On ne sait si c’est une justification ou une simple explication ; mais Marais, qui cite le passage en le tronquant un peu, s’en contente.

1575. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres de Virgile »

» Cet état de calme et de stabilité pour Virgile et son peuple a duré jusqu’en 1841 environ, c’est-à-dire pendant près de cinquante ans. […] Après l’introduction fort instructive où il a amplement exposé l’état de la critique virgilienne, M. 

1576. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « M. MIGNET. » pp. 225-256

L’Académie des Inscriptions avait proposé d’examiner quel était, à l’avénement de saint Louis, l’état du gouvernement et de la législation en France, et de montrer, à la fin du même règne, ce qu’il y avait d’effets obtenus et de changements opérés par les institutions de ce prince. […] D’autres auraient pu croire qu’il suffisait, en commençant, d’exposer la situation du royaume, l’état de l’administration, le système des lois politiques, civiles et pénales, au moment où saint Louis arriva au trône ; l’Académie n’en demandait pas davantage ; mais l’esprit du jeune écrivain était plus exigeant : de bonne heure attentif à remonter aux causes, à suivre les conséquences, à ne jamais perdre de vue l’enchaînement, il se dit que l’influence et la gloire de saint Louis consistaient surtout dans l’abaissement et la subordination du régime féodal, et il rechercha dès lors quel était ce gouvernement féodal dans ses origines et ses principes, comment il s’était établi, accru, et par quels degrés, ayant atteint son plus grand développement, il approchait du terme marqué pour sa décadence.

1577. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « L’abbé Prévost »

Il y touche cet état moral de son âme en traits ingénus et suaves qui marquent assez qu’il n’est pas guéri : « Je connois la foiblesse de mon cœur, et je sens de quelle importance il est pour son repos de ne point m’appliquer à des sciences stériles qui le laisseraient dans la sécheresse et dans la langueur ; il faut, si je veux être heureux dans la religion, que je conserve dans toute sa force l’impression de grâce qui m’y a amené ; il faut que je veille sans cesse à éloigner tout ce qui pourroit l’affoiblir. […] La loi des chrétiens, qui a suivi celle des Juifs, étoit beaucoup plus parfaite, parce qu’elle donnoit tout à l’esprit, qui est sans contredit au-dessus du corps… C’est un second état par lequel ce Dieu bon a voulu faire passer les hommes… Et maintenant enfin ce ne sont plus les seuls biens du corps, comme dans la loi des Juifs, ni les seuls biens spirituels, comme dans l’Évangile des chrétiens, c’est la félicité du corps et de l’esprit que l’Alcoran promet tout à la fois aux véritables croyants. » Il est curieux que Salem, c’est-à-dire notre abbé Prévost, ait conçu une manière d’union des lois juive et chrétienne au sein de la loi musulmane, par un raisonnement tout pareil à celui qui vient d’être si hardiment développé de nos jours dans le saint-simonisme.

1578. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre II. Le théâtre du quinzième siècle (1450-1550) »

La basoche au contraire représentait un état : elle reposait sur la profession habituelle de ses membres. […] L’amoureux est plutôt un état qu’un caractère : sa séduction est d’être autre, et surtout de meilleure condition, que le mari.

1579. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre III. Montaigne »

Pendant que les passions politiques et religieuses tournaient la poésie, l’éloquence, la science même et la philosophie en armes envenimées au service des partis, un homme anticipait la paix future, et offrait à ses concitoyens trop forcenés encore pour le suivre l’image de l’état moral où la force des choses devait finir par les amener eux-mêmes. […] Nous n’ignorons pas qu’il s’habillait volontiers tout de noir ou tout de blanc, qu’il tressaillait aux arquebusades imprévues, qu’il fit une grave chute de cheval, et fut une fois détroussé par des ligueurs, que sa maison ne fut pas mise en état de défense et resta ouverte pendant la guerre civile, qu’il était chevalier de Saint-Michel et bourgeois de Rome.

1580. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre II. La jeunesse de Voltaire, (1694-1755) »

Il y avait une trentaine de chapitres à peu près achevés en 1739 : ils forment le premier état du Siècle de Louis XIV. […] Voltaire laissa dormir le Siècle de Louis XIV ; il n’y revint sérieusement qu’en 1750, à Berlin, et bientôt il le mit en état de paraître (1751).

1581. (1911) La valeur de la science « Première partie : Les sciences mathématiques — Chapitre IV. L’espace et ses trois dimensions. »

J’ai rappelé ensuite quelle est l’origine de la distinction que nous faisons entre les changements de position et les changements d’état. […] Les changements externes susceptibles d’être corrigés par un changement interne s’appellent changements de position, ceux qui n’en sont pas susceptibles s’appellent changements d’état.

1582. (1890) L’avenir de la science « XXII » pp. 441-461

Les siècles de réflexion sont exposés à voir les plus nobles sentiments et les états les plus sublimes de l’âme contrefaits par de sots plagiaires, dont le ridicule retombe parfois sur les types qu’ils prétendent imiter. […] De tous les états intellectuels, c’est le plus dangereux et le plus incurable.

1583. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chateaubriand homme d’État et politique. » pp. 539-564

Plus tard il reproduira admirablement cette même pensée dans le dernier chapitre de sa Monarchie selon la Charte : il se demande ce que devenaient en France autrefois les hommes qui avaient passé la jeunesse et qui avaient atteint la saison des fruits, et, les montrant privés des nobles emplois de la vie publique, oisifs par état, vieillissant dans les garnisons, dans les antichambres, dans les salons, dans le coin d’un vieux château, n’ayant pour toute occupation que l’historiette de la ville, la séance académique, le succès de la pièce nouvelle, et, pour les grands jours, la chute d’un ministre : Tout cela, s’écriait-il, était bien peu digne d’un homme ! […] c’est toujours comme un gentilhomme dans le commerce : il se croit au-dessus de son état, et il y a un moment où, si on le contrarie, il tire ses parchemins de sa poche et tranche du grand seigneur avec les vilains.

1584. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Bussy-Rabutin. » pp. 360-383

À cette même tranchée devant Mardyck, au moment où il fallait en déloger les ennemis, Bussy, qui est entré par un côté, se rencontre tête à tête avec le duc d’Enghien, qui montait de l’autre, faisant main basse sur tout ce qui se présentait à lui : Je ne songe point, dit-il, à l’état où je trouvai ce prince, qu’il ne me semble voir un de ces tableaux où le peintre a fait un effort d’imagination pour bien représenter un Mars dans la chaleur du combat. […] Son véritable talent, qui est, à mon avis, le plus estimable à la guerre, était de rétablir une affaire en méchant état.

1585. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — I. (Dialogues inédits.) » pp. 1-28

Selon lui, son séjour dans ce pays du Jura ne doit pas être aussi court qu’on le suppose ; le dessein de son père n’est pas d’abréger cet exil ; et lui-même il en est venu à renoncer à toute carrière d’ambition : Depuis que j’ai été à même et en état d’observer, les temps-ont été si difficiles, les circonstances si fâcheuses, l’esprit du gouvernement si bizarre, son despotisme à la fois si odieux et si insensé, que je me suis accoutumé à regarder la vie privée comme la place d’honneur3. […] que ne puis-je vous apprendre à jouir tranquillement du plus délicieux état de la vie !

1586. (1913) La Fontaine « IV. Les contes »

Tout ce que vous pouvez imaginer de désespoir et de larmes… Psyché, laissée seule en ce lieu sauvage, se voit soudain transportée en un palais et elle entre dans un état très bizarre : elle y devient l’épouse d’un être que, à sa voix, à ses discours, à l’entendre, à le toucher, elle trouve charmant, mais qu’elle ne voit jamais. […] Vous serez contrainte de m’avouer qu’il est à propos pour l’un et pour l’autre, de demeurer en l’état où nous nous trouvons : premièrement, tenez-vous certaine que du moment que vous n’aurez plus rien à souhaiter, vous vous ennuierez… » Voilà la psychologie.

1587. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre IX. Eugénie de Guérin »

À dater de cette époque, elle mit son âme en état d’approcher tous les huit jours de la communion, et même plus souvent dans les dernières années de sa vie, lorsque sa santé ébranlée lui permettait d’aller à son église, assez distante de celle du Cayla. […] Sans cette intuition de l’état de son frère, le monde de Paris, qu’elle observait pour la première fois, eût été pour elle d’un intérêt prodigieux, car son esprit plein d’alacrité se prenait à tout.

/ 2464