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861. (1913) Les livres du Temps. Première série pp. -406

Loin de notre âme la douleur, vêtement de cendre ! […] Tu surgis alors dans le fond de mon âme, pure Image ! […] Il a voulu évoquer une âme de proie. […] Tout se passe dans l’âme de Jeannette. […] Litanies des eaux et des âmes.

862. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre III. Ben Jonson. » pp. 98-162

De là son talent, ses succès et ses fautes ; s’il a un meilleur style et de meilleurs plans que les autres, il n’est pas comme eux créateur d’âmes. […] Les personnages se meuvent en lui, presque sans son concours ; il attend qu’ils parlent, il demeure immobile, écoutant leurs voix, tout recueilli, de peur de déranger le drame intérieur qu’ils vont jouer dans son âme. […] Salut, âme du monde et la mienne ! […] Un instant après, le nain, l’eunuque et l’androgyne de la maison entonnent une sorte d’intermède païen et fantastique ; ils chantent en vers bizarres les métamorphoses de l’androgyne qui d’abord fut l’âme de Pythagore. […] Volpone se jette sur son lit, s’enveloppe de fourrures, entasse ses oreillers, et tousse à rendre l’âme. « Je vous remercie, seigneur Voltore.

863. (1899) Les industriels du roman populaire, suivi de : L’état actuel du roman populaire (enquête) [articles de la Revue des Revues] pp. 1-403

Il y a bien encore, dans ce domaine de la fiction simple, des horizons élargis vers lesquels le cœur pourrait s’ouvrir et l’âme se répandre. […] Le grand art simple a prise sur les âmes simples. […] Notez, pourtant, qu’il se trouve parmi eux des conteurs aussi soucieux que vous-même de l’âme des foules. […] et celle qui, dans tous les siècles, a profondément agi sur les âmes, est même presque tout entière hors de ces livres de cabinet. […] qui, grâce à la complicité criminelle de certains journaux, versent des flots de poison dans l’âme française.

864. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 avril 1885. »

Et l’âme de Tannhaeuser fléchit, et son corps succombe. […] La vie et la mort, l’importance et l’existence du monde extérieur, tout ici dépend uniquement des mouvements intérieurs de l’âme. L’action qui vient à s’accomplir dépend d’une seule cause, de l’âme qui la provoque, et cette action éclate au jour telle que l’âme s’en est formé l’image dans ses rêves. » Au propos de ce drame, réalisation complète de l’idéal projeté, Wagner se défend de vouloir supprimer la mélodie, la mélodie étant l’unique forme de la musique. […] Ernest de Weber, il s’élève contre l’abus de la vivisection qui endurcit les âmes et les ferme à la religion. […] La divine, miraculeuse épée, vue ou nommée, produit en l’âme de Wofan ou de Siegfried une impression spéciale, grande ; à cette impression, toute psychique, répond le motif musical.

865. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Shakespeare »

Ce qu’il veut, à sa manière, à lui, c’est précisément la même chose qu’a voulue Carlyle, à la sienne : faire je ne sais quelle chimérique équation entre le génie de Shakespeare et son âme. […] pas toutes ces âmes-là dans son âme. […] Ce n’est pas avec cette âme-là, qu’il pouvait avoir grande, — mais qu’il eût pu avoir petite aussi, car on a vu de grands esprits unis à des âmes vulgaires, — ce n’est pas avec cette âme, quelle qu’elle fût, que Shakespeare a fait ses chefs-d’œuvre. […] Mais reconstituer à coup sûr l’âme d’un poète et sa volonté, qui est une chose, avec les œuvres de son génie, qui en sont une autre, je cherche ici le même qui mène au même et le petit os de Cuvier. […] L’Angleterre grave assez profondément cet amour dans l’âme de ses enfants pour que jusqu’à leur génie, quand ils ont du génie, en garde l’empreinte !

866. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « Remarques finales. Mécanique et mystique »

Mais c’est là une psychologie purement intellectualiste, qui croit pouvoir calquer nos états d’âme sur leurs objets. […] Ajoutons que le corps agrandi attend un supplément d’âme, et que la mécanique exigerait une mystique. […] Mais ne comptons pas trop sur l’apparition d’une grande âme privilégiée. […] Se porte-t-elle alors sur l’âme ? […] S’agit-il de la relation de l’âme au corps ?

867. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIVe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Il avait été élevé par une mère et par des sœurs chrétiennes ; tout ce qu’il y avait de tendre dans son âme était chrétien. […] Quoi qu’on ait dit d’elle, la nature ne l’avait pas faite à moitié, elle avait l’esprit de son âme, et cette âme était digne d’habiter un si beau corps. […] Cette mort fut douce et silencieuse comme le moment où l’âme confiante dans la miséricorde se jette avec tremblement dans le jugement de Dieu. […] Je défie de prononcer le mot de grandeur sans que l’image de Chateaubriand s’élève à l’instant dans votre âme. […] L’ennui est le mal du génie ; c’est l’état des grandes âmes ; c’est la sensation du vide dans l’homme.

868. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 février 1886. »

Carvalho a ravivé les sottes rancunes ; en plus d’une âme. […] Sans cesser de planer, il descend vers l’âme qui se désole dans les profondeurs. […] C’est une chose généralement admise par les philosophes et les critiques que la musique doit exciter dans l’âme certaines émotions, et que chacun des signes musicaux se trouve lié à une émotion de l’âme qu’il excite en se produisant. Mais il est établi aussi, contrairement à une vieille croyance que si tel accord ou tel rythme est associé dans notre âme à telle émotion, ce n’est pas d’une manière universelle, naturelle et constante. […] Pendant que Beethoven, puis Wagner, traduisaient les émotions de leur âme et de leur race dans la langue musicale que leur avaient faite les musiciens classiques du XVIIIe siècle, nos compositeurs russes devaient traduire les émotions des âmes et des races slaves dans la langue musicale séculaire que les naïves chansons des paysans leur avaient créée.

869. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Alfred de Musset » pp. 364-375

Au bal, dans les réunions et les fêtes riantes, quand il rencontrait le plaisir, il ne s’y tenait pas, il cherchait par la réflexion à en tirer tristesse, amertume ; il se disait, tout en s’y livrant avec une apparence de fougue et d’abandon, et pour en rehausser même la saveur, que ce n’était qu’un instant fugitif, aussitôt irréparable, et qui ne reviendrait plus jamais sous ce même rayon ; et en tout il appelait une sensation plus forte, plus aiguë, d’accord avec le ton auquel il avait monté son âme. […] Pour Alfred de Musset, la poésie était le contraire ; sa poésie, c’était lui-même, il s’y était rivé tout entier ; il s’y précipitait à corps perdu ; c’était son âme juvénile, c’était sa chair et son sang qui s’écoulait ; et quand il avait jeté aux autres ces lambeaux, ces membres éblouissants du poète qui semblaient parfois des membres de Phaéton et d’un jeune dieu (se rappeler les magnifiques apostrophes et invocations de Rolla), il gardait encore son lambeau à lui, son cœur saignant, son cœur brûlant et ennuyé. […] Dans le présent épisode surtout, les Confessions ont retenti des deux parts, et ce serait le cas de dire avec Bossuet, si nous en avions le droit et si nous n’étions pas des leurs, qu’il y en a « qui passent leur vie à remplir l’univers des folies de leur jeunesse égarée. » L’univers, il faut en convenir aussi, c’est-à-dire la France, s’y est prêtée en toute bonne grâce ; elle a écouté et accueilli avec un intérêt prononcé, et d’une âme encore très littéraire en ce temps-là, tout ce qui du moins lui paraissait éloquent et sincère. […] Poète qui n’a été qu’un type éclatant de bien des âmes plus obscures de son âge, qui en a exprimé les essors et les chutes, les grandeurs et les misères, son nom ne mourra pas, Gardons-le particulièrement gravé, nous à qui il a laissé le soin de vieillir, et qui pouvions dire l’autre jour avec vérité en revenant de ses funérailles : « Notre jeunesse depuis des années était morte, mais nous venons de la mettre en terre avec lui. » Admirons, continuons d’aimer et d’honorer dans sa meilleure part l’âme profonde ou légère qu’il a exhalée dans ses chants ; mais tirons-en aussi cette conséquence de l’infirmité inhérente à notre être, et de ne nous enorgueillir jamais des dons que l’humaine nature a reçus.

870. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Paroles d'un croyant »

La belle âme, l’âme virginale de Pellico a pu tout pardonner, tout excuser, et bénir encore ; il s’en est revenu, après dix années de captivité féroce, comme un agneau tondu qui ne redemande pas sa laine. […] Nous parcourrons rapidement l’ouvrage où le nouvel essor de cette âme ardente et violemment aimante se trahit tout entier : « Prêtez l’oreille et dites-moi d’où vient ce bruit confus, vague, étrange, que l’on entend de tous cotés.  […] « Ô Père, donnez le conseil à notre esprit et la force à nos bras. » « Quand vous aurez ainsi prié du fond de votre âme, combattez et ne craignez rien. […] Lorsque l’esprit mauvais fascine des âmes droites, ce n’est que pour un temps.

871. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « JULES LEFÈVRE. Confidences, poésies, 1833. » pp. 249-261

Il me semblait si doux, pour une âme oppressée, De pouvoir dans une autre envoyer ma pensée, Que, d’une ingratitude eussé-je dû périr, J’aurais, pour tout donner, voulu tout conquérir. […] Lefèvre ne puise en son âme de poëte et d’amant qu’avec un talent incomplet d’artiste ; que son talent ne domine pas son âme de manière à la réfléchir selon la loi d’harmonie, et qu’au sein d’une réalité orageuse et profonde il lutte convulsivement et sans beauté. Dans la première moitié du volume, tant que la passion n’en est qu’aux tristesses, aux espérances, aux pressentiments qui envahissent toutes les âmes ainsi affectées, on regrette que de ce fonds un peu confus, étalé devant nous en longs épanchements, le poëte n’ait pas su tirer des scènes plus distinctes, plus détachées, plus parlantes aux yeux, de ces tableaux qu’on pourrait peindre sur la toile et qui vivent dans la mémoire. […] Je n’avais fait que l’entrevoir sous sa première forme, et je ne l’ai revu ensuite que tard, quand l’âme était calmée, adoucie, quand le volcan était éteint et que la lave s’était recouverte de terreau, de plates-bandes et d’allées sablées.

872. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Armand Silvestre »

cette beauté parfaite n’a point d’âme, et c’est l’âme aussi qu’il voudrait étreindre… En attendant, le Désir du poète adore à genoux la Beauté de la femme. […] Et c’est là précisément la secrète et pénétrante originalité de ces petits vers, de ces menues ritournelles, de ces rimes caressantes : elles font couler jusqu’à l’âme l’ivresse des couleurs, des formes et des parfums, et l’amour de la vie universelle, toujours un peu triste parce qu’il est toujours inassouvi. […] Ensuite le poète dit la Vie des morts, leur âme éparse dans les arbres, dans les broussailles, dans les sources qui sont leurs yeux, dans les nuages qui sont leur pensée inquiète, dans les astres où flambent leurs anciennes passions, dans la mer, « temple obscur des métamorphoses », dans les parfums, dans le chant nocturne des voix terrestres… Et cependant ce n’est pas tout ce qui reste des morts. « Ce que m’a pris le rêve, mes aspirations vers le juste et le beau, ce que j’ai dit tout bas à la nuit, ce que j’ai vu en fermant les yeux, Ma chair ne saurait plus l’entraîner au tombeau. […] De n’avoir pas d’âme.

873. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVIII. Souvenirs d’une Cosaque »

ce n’est pas elle qui jamais, comme certains sauvages, dans leur frénésie, aurait, avec ses dents, coupé sa langue pour la cracher à la face de son ennemi ; elle aime mieux la garder pour parler contre lui et faire des conférences, — car elle en fait, à ce qu’il paraît, ce qui n’est pas du tout équestre, du tout amazone, du tout Alfieri, du tout cosaque, — mais ce qui est parfaitement parisien, parfaitement bas-bleu, et parfaitement conforme au genre d’âme qu’elle a, — une âme d’actrice, qui préfère à tout, à tous les amours comme à toutes les vengeances, les yeux des galeries et les applaudissements des parterres ! Oui, une âme d’actrice ! Voilà selon moi la meilleure explication à donner de cette Cosaque par trop décosaquée… Une âme d’actrice plus que de femme, ce qui n’est pas monstrueux du tout, quoique j’en aimasse mieux une autre… Une pareille âme a obéi à sa nature et suivi son courant, en s’affolant (même avant de l’avoir vu) d’un acteur comme elle, — d’un très grand artiste, j’en conviens, — mais du plus éclatant des saltimbanques, du fameux pianiste, au sabre hongrois qu’il a remplacé par le bréviaire.

874. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Joubert » pp. 185-199

Comment le talent de Joubert ou plutôt son âme, cette opale humaine, s’est-elle formée dans le fond de ce bourgeois du xviiie  siècle ? […] Joubert — disait-elle — a l’air d’une âme qui a rencontré un corps par hasard, et qui s’en tire comme elle peut. » Ce corps, d’ailleurs, était à ce qu’il paraît un à peu près de corps. L’âme avait-elle eu pudeur d’en prendre davantage ? […] Fontanos, le racinien, qui, grand-maître alors de l’Université, trouva plaisant de faire de cette âme en peine dans un corps un inspecteur d’académie ; c’étaient Molé, Chênedollé, l’abbé de Vitry et trois femmes charmantes : Mme de Châtenay, Mme de Vintimille et Mme Pauline de Beaumont. […] Il y a dans cette notion d’ange quelque chose de beau, de jeune, de guerrier, de dominateur et de rapide qui n’allait point à l’idée de cet être né sénile et resté enfant, de cette âme qui se débattait dans un homme et qui avait la voix d’androgyne de la Sagesse, car la voix de la Sagesse n’a point de sexe, comme dit Joubert lui-même en parlant de Fénelon… Intellectuellement, Fénelon serait peut-être la figure à laquelle Joubert, après Platon, ressemblerait le plus.

875. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVII. Saint-Bonnet »

Saint-Bonnet au commencement de son livre, dans des lignes qui, pour être un tocsin, n’en sonnent pas moins aussi tristement qu’une agonie ; — c’est croire éteinte l’antique Envie que la Foi comprimait autrefois dans les âmes… envie amoncelée, en ce moment, comme la Mer, par un vent qui, depuis un siècle, souffle sur elle. » Laissons les Pangloss du progrès se vautrer dans la niaiserie de leur optimisme. […] Pour cela, la philosophie pesa sur l’esprit de l’homme de deux manières, par les sciences qui ne s’adressent qu’à l’esprit et qui finissent par lui donner le vertige de sa force, et par l’effet du paganisme sur l’âme, influence — il faut le reconnaître — que le dix-huitième siècle n’avait pas créée ; qui existait depuis la Renaissance, mais qui, grossie chaque jour, avait fait avalanche sur la pente escarpée de ce siècle, où toutes les erreurs entassées avaient fini par se précipiter. Tel est le chemin que l’auteur de l’Affaiblissement de la Raison, parcourt, après l’avoir creusé, pour arriver à cette question de l’influence du paganisme sur de jeunes âmes, qui ne semble être qu’une question de rhétorique aux esprits superficiels, mais qui est, pour les esprits profonds, une question de philosophie, de gouvernement, d’avenir du monde. […] La question qui a dernièrement scandalisé MM. les dandies littéraires, cette fine fleur d’humanistes à gants blancs de cette époque de Doctrinaires en toutes choses, lesquels prétendent savoir le latin et ne vouloir l’étudier que dans les sources les plus pures, cette question, qui n’est pas seulement une question de pédagogue, mais une question d’âme, sera plus que résolue : elle sera épuisée. […] Saint-Bonnet les a étudiées, les a poursuivies, dans les mille canaux de l’âme et de la vie, comme un grand médecin qui poursuivrait dans les réseaux des veines et au plus secret de nos organes le virus mystérieux de quelque horrible maladie.

876. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Raymond Brucker. Les Docteurs du jour devant la Famille » pp. 149-165

Écrit vers 1844, il fit brèche contre les philosophies et les politiques de perdition qui tenaient déjà le mondé et qui le lâchèrent un instant, épouvantées de ce qui restait encore d’âme à la France. […] Il masquait son nom et sa personne avec des chefs-d’œuvre qu’il ne signait pas, et l’Angleterre se mourait de curiosité, de cette curiosité plus piquante et plus enivrante pour l’âme choisie qui l’inspire, que la gloire elle-même et ses bruyantes admirations ! […] Sous ce pêle-mêle d’idées et d’images, de sentiments et d’abstractions, il y a une unité qui tient au fond du livre et de l’âme de l’auteur, et qui nous venge bien du manque d’unité de cette forme que j’ai signalée ; et cette unité du sujet, retrouvée, à toute place, dans cette dispersion de qualités qui rayonnent de toutes parts, en ce livre formidable, comme les balles écartées d’une espingole, c’est justement ce qui est en cause dans cette misérable heure : c’est la grandeur et le droit de la paternité ! […] le grand intérêt de ce livre, c’est la question de la Paternité et de la Famille, qui est une question aujourd’hui et qui n’en était pas une autrefois ; car c’était le principe, l’indiscutable principe de l’organisation de toute société, et quelque chose comme l’âme du monde. […] — tant que ce beau débris de l’histoire du genre humain tout entier ne sera pas rasé de l’âme humaine, de sa conscience et de sa mémoire, et que chez nous il y aura encore autre chose que des bâtards et des institutions qui veulent bâtardiser la France, la Société de tous les temps et de l’Histoire ne sera pas vaincue et l’aveugle et forcené génie de la Révolution n’aura pas dit son dernier mot !!

877. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Roger de Beauvoir. Colombes et Couleuvres. »

Ces Poètes, qui, du reste, se nomment eux-mêmes des artistes, et qui ont réellement plus d’art dans leur manière que de génie et d’inspiration, travaillent leur langue comme un sculpteur travaille son vase, comme un peintre lèche son tableau, et nous donnent au xixe  siècle une seconde édition affaiblie de la Renaissance qui, elle aussi, avec le large bec, ouvert et niais, d’un Matérialisme affamé, happait la forme et s’imaginait tenir le fond, l’âme et la vie ! […] Sous les mille arabesques du style, comme on dit maintenant et dont tant de gens sont capables avec de la bonne volonté, il y a dans le livre de M. de Beauvoir, comme au fond de la volute d’un coquillage, la perle, rayée ou malade, si l’on veut, mais la perle de la poésie, la goutte d’éther ou de lumière qui est peut-être une larme, teintée de rose par le sang de quelque souffrance, et qui est plus pour l’âme humaine que toute cette inerte poésie de camaïeu et de dessus de porte qu’on a déplacée et qu’on donne aujourd’hui pour des vers ! […] Lui, le byronien des anciens jours, n’a gardé de son byronisme que les nuances humaines qui appartiennent à toutes les âmes, car Byron, dont l’admiration a fait une manière, et à qui l’affectation en avait donné une, n’est plus qu’humain dans la partie vraiment supérieure de ses œuvres, dans la partie qui ne croulera pas. […] Chère âme je vous attends. […] Auguste Barbier, lesquels firent palpiter, dans le temps, tous les grossiers instincts de nos âmes que nous prenions pour de la force ?

878. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « André Chénier »

Endormis et latents jusque-là dans son âme, il ne fallut rien moins que les affreux coups portés à la France par les bandits de la Révolution pour les éveiller. André Chénier, qui, toute sa vie, s’était englouti dans le monde et les choses de l’Antiquité, André Chénier, ce patient et laborieux mosaïste, qui incrustait le détail antique avec un art si profond et si subtil dans l’expression des sentiments et des choses modernes, remonta par l’horreur vers le Dieu auquel il n’avait peut-être jamais pensé, et il jeta cette clameur des Iambes, le cri de la foi passionnée, la plus magnifique torsion d’âme et de main désespérées autour d’un autel invisible, la plus intense prière, enfin, que l’imagination d’un poète révoltée des abominations de la terre ait jamais élancée vers Dieu ! III Ce sont ces Iambes, d’ailleurs, — précisément parce que le plus grand sentiment de l’âme humaine (le sentiment religieux) y vibre d’une étrange puissance, — que je regarde comme la plus belle partie des œuvres poétiques de Chénier. […] Et cependant, pour toute Critique virile, et qui s’attache surtout dans l’appréciation des œuvres fortes à la profondeur de l’accent qui y retentit et qui semble venir de si avant dans l’âme humaine qu’on dirait qu’il en est littéralement arraché, rien de l’exécution la plus savante, la plus pondérée, la plus précise et tout à la fois la plus pittoresque et la plus musicale, ne vaut ce rugissement de l’âme élevée à sa plus haute puissance et qui rencontre un mouvement et une expression en équation avec sa foudroyante énergie !

879. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxviiie entretien. Littérature germanique. Les Nibelungen »

L’âme de maint héros grandit en cet instant. […] Mais l’âme du héros était ainsi faite qu’il n’en voulut rien garder. […] Car son corps était abattu et son âme était sombre. […] L’âme de chacun était profondément attristée. […] Leur âme était joyeuse en pensant à ceux qu’ils allaient voir.

880. (1905) Propos littéraires. Troisième série

Il me semble que ce qu’on doit demander à un vieillard, c’est la pensée et puis la sérénité d’âme. […] Le fond encore ici était politesse, bonne éducation et bonté d’âme. […] C’était une âme correcte. […] Ames d’artistes, âmes de modèles, âmes d’actrices, âmes d’acrobates, âmes de servantes nymphomanes, etc., tels étaient les objets ordinaires de l’observation de nos deux écrivains. […] La moitié à peu près d’entre nous a des âmes romanesques, ou, si vous le voulez, nous avons tous la moitié d’une âme romanesque, et, de compte fait, cela revient à peu près au même.

881. (1884) L’art de la mise en scène. Essai d’esthétique théâtrale

Il n’y avait en quelque sorte aucun lien sympathique entre son âme et l’âme des êtres et des choses. […] En un mot, rien ne doit avoir la prétention d’affecter trop profondément notre âme. […] Ce sont des mouvements de l’âme qui déterminent le mouvement scénique. […] Tout le public participe à la situation du chœur, et le triomphe du poète est de réussir à troubler l’âme du spectateur des mêmes émotions qui sont censées troubler l’âme des personnages qui composent la figuration. […] Cet acteur, c’est le poète lui même, dont l’âme anime la nature inanimée.

882. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIe entretien. Le Lépreux de la cité d’Aoste, par M. Xavier de Maistre » pp. 5-79

Accablé de fatigue, las de la vie, je me traîne de nouveau dans ma retraite, j’expose à Dieu mes tourments, et la prière ramène un peu de calme dans mon âme. […] Ainsi, pauvre malheureux, vous souffrez à la fois tous les maux de l’âme et du corps ? […] Son âme était digne du ciel qui la possède, et son exemple me soutenait contre le découragement qui m’accable souvent depuis sa mort. […] » Pendant trois heures je la soutins ainsi dans la dernière lutte de la nature ; elle s’éteignit enfin doucement, et son âme se détacha sans effort de la terre. […] Et comme aussi son âme plus isolée est prompte à se rattacher et à s’incorporer à la nature !

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