Trop de conséquences sont issues de cet acte : il nous est devenu presque impossible de ne pas l’apercevoir à travers elles. […] Elle apprit avec étonnement la colère de Bonaparte, elle s’aperçut avec stupeur que le vide se faisait autour d’elle. […] Beyle l’a le premier aperçu, analysé, défini. […] Toutefois, on n’a pas tardé à apercevoir tout ce que la critique ainsi pratiquée laisse en dehors d’elle-même. […] on ne s’en aperçoit pas.
On ne voulait rien voir, ou peut-être n’apercevait-on rien, au-delà de l’immédiate réalité. […] Rod, il ne tarda pas à s’apercevoir qu’il s’était trompé. […] Le personnage qu’on appelle le Bilatéral aperçoit les deux côtés des questions. […] Elle s’est aperçue bientôt que vous n’entendiez pas l’amour de la même façon. […] Comme lui, nous nous apercevons dans le miroir qui ne reflète d’autre visage que le nôtre.
Les Ausone, les Fortunat, les Aper scandent des vers et des périodes bien latines ; au-dessous d’eux le pauvre colon gaulois murmure tout bas une prière aux dieux de ses bois et de ses fontaines, on ne l’aperçoit que par hasard dans un barbarisme dont s’amuse un auteur curieux. […] Quand on compare sa fable avec celle de Pilpay ou d’Esope qui lui sert de matière, on s’aperçoit qu’il ne fait pas un seul changement sans une raison, que cette raison et les autres se tiennent entre elles, et qu’elles dépendent d’un principe, sinon exprimé, du moins senti. […] Il suit toutes les liaisons de toutes ces choses, voit l’épargne et les querelles, sent les odeurs de la cuisine, et sort attristé, égayé, la tête comblée d’histoires villageoises, prêt à déverser le trop-plein de ses imaginations sur l’ami ou la feuille de papier qui va tomber sous sa main. — Le coche l’emporte à Versailles ; il aperçoit un seigneur qui, au bord d’une pièce d’eau, fait une révérence et offre la main à une dame. […] Lorsqu’elles naquirent et que le chant parut, il y eut des hommes si transportés de plaisir, qu’en chantant ils oublièrent de manger et de boire, et moururent sans s’en apercevoir.
Les artistes qui se promènent dans son oeuvre ne l’aperçoivent que comme un constructeur ou un jardinier. […] Il faut qu’il l’aperçoive à la façon des solitaires et des vrais chrétiens, au dedans de lui-même, dans les secrets mouvements de son être, et que tous ses désirs disparaissent dans la grande lumière vague dont il est réjoui et dont il est baigné ; il faut qu’il se confie, s’abandonne et s’épanche, et que l’amour immortel qui circule à travers les créatures assoupisse ses agitations et ses inquiétudes dans la félicité tranquille où il les confond. […] Ils y ont établi un tout petit Olympe qu’on ne respecte pas trop, qu’on n’aperçoit pas toujours, et qui ressemble plus à une taupinée qu’à une montagne. […] C’est par elle qu’il peut reproduire devant nous les détails sensibles et menus des événements et des êtres, s’accommoder à la construction de notre esprit qui n’aperçoit les êtres et les événements que par les détails menus et sensibles, et nous faire illusion en nous donnant l’impression précise que nous auraient donnée les objets eux-mêmes.
Celui qui n’aperçoit dans le mot que le sens défini, est bien loin d’en avoir épuisé l’énergie. […] Mais le plus souvent cette série n’a pas le temps de se développer : le mot suivant la réprime et la fait rentrer ; l’on n’a que le temps d’apercevoir quelques-unes des formes qui la composent, et de subir une impression plus ou moins nette ou confuse, fugitive ou durable. […] Quand nous lisons ou que nous entendons prononcer le mot de Tuileries, nous prenons tous l’idée du même lieu, du jardin qui borde la Seine entre le Carrousel et les Champs-Élysées : mais des images s’éveillent en outre les mêmes pour tous, des dômes de verdure, de grises statues parmi les feuillages verts ou jaunissants, des enfants et des joueurs de ballon ; selon notre âge, nous voyons se dessiner un palais ou des ruines ; certains de nous aperçoivent les hôtes disparus de l’édifice détruit, les fameuses journées que l’histoire y compte ; selon le caprice de nos goûts et de nos études, la salle des maréchaux ou la salle des machines nous reviennent en mémoire, et nous peuplons les allées de muscadins ou de petits-maîtres. […] Çà et là, des demi-clartés roses se posaient sur les pavés ; la rivière luisait doucement dans une brume naissante ; on apercevait de grands bateaux qui se laissaient couler au fil du courant, deux ou trois attelages sur la plage nue, une grue qui profilait son mât oblique sur l’air gris de l’orient.
Pantalon survient, mais il n’ose aborder la comédienne, parce qu’il aperçoit sa femme à la fenêtre. […] Mais Flaminia les aperçoit de sa fenêtre ; elle sort irritée, applique un soufflet à Flavio et rentre chez elle. […] Pantalon répond qu’une rixe l’a interrompue, et qu’il n’a pas aperçu le capitaine. […] Pardonnez-moi tous les déplaisirs, toutes les souffrances que j’ai dû vous causer ; je ne vous connaissais pas, je m’en repens, et je m’aperçois de mon erreur.
Le premier nous montrera comment il suffit de changer de langage pour apercevoir des généralisations qu’on n’avait pas d’abord soupçonnées. […] Le troisième exemple va nous montrer comment nous pouvons apercevoir des analogies mathématiques entre des phénomènes qui n’ont physiquement aucun rapport ni apparent, ni réel, de telle sorte que les lois de l’un de ces phénomènes nous aident à deviner celles de l’autre. […] Ainsi l’aperçu qui suffit à la physique n’est pas le raisonnement qu’exige l’analyse. […] On a déjà transformé en démonstrations rigoureuses tant d’aperçus physiques que cette transformation est aujourd’hui facile.
Je ne sache rien de plus chétif et de plus pauvre que cette publication sans nouveauté, sans renseignement profond, sans aperçu, sans trace enfin de cette personnalité rayonnante qui fut Mme de Staël. […] Elle a l’aperçu, l’aperçu ingénieux et profond qui tient à cette finesse dont on peut dire : Ton nom est femme ! […] Mais Mme Sand n’a pas comme Mme de Staël l’aperçu et le mot qui se fixe dans la pensée comme une épingle de diamant.
Il a, lui, au pied levé, des idées, des aperçus, de ces rapports, soudainement saisis, qui sont l’esprit même, et, pour les exprimer, un style qui se joue du convenu, de la phrase classique, du poncif des Écoles Normales chères à sa maison… En cherchant bien, pour déterminer le genre de Blaze de Bury, quelle est la note juste ? […] On a dû y empiler bien des choses ennuyeuses pour faire passer cet amusant et indécent beau-frère, sans qu’on s’en aperçût, dans le tas ! Mais en livre comme aujourd’hui, on s’apercevra peut-être qu’il est amusant. […] La vieille corneille de la Revue des Deux-Mondes est bien capable de s’apercevoir avec regret que l’œuf qu’elle a couvé n’était pas un oiseau de son nid.
On ne s’aperçut pas qu’il avait rabaissé la science, au lieu de rendre ses disciples capables d’y atteindre. […] Lui-même, à ce qu’on peut supposer, avait donc aperçu par où manquait toute sa métaphysique. […] Le plus simple bon sens suffit pour s’apercevoir que cette route n’est ni la plus noble, ni la plus certaine. […] Cependant ce mouvement universel présentait au premier aperçu un assez beau spectacle. […] Alors nous pourrons apercevoir combien de talents se distinguèrent dans cette assemblée.
Enfin, et c’est ce qui lui vaudra l’immortalité, il s’aperçut que le genre niais de l’ancienne école française ne convenait plus au goût sévère d’un peuple chez, qui commençait à se développer la soif des actions énergiques. […] Les deux articles suivants, écrits en quelques heures, et avec plus de zèle que de talent, ainsi que l’on ne s’en apercevra que trop, ont été insérés dans les numéros 9 et 12 du Paris Monthly Review.
Le cristal, la plante, l’animal, l’homme sont impressionnés par toutes les particules matérielles, par chacune en particulier et par chacun de leurs groupes, proportionnellement à chacune des forces qui y sont emmagasinées ; je subis l’action de la plus lointaine des étoiles, quoique mes yeux ne puissent l’apercevoir, et elle contribue pour sa part à cet ensemble de mouvements qui viennent retentir en moi. […] L’optique de Helmholtz renferme une étude approfondie des sensations visuelles dont le commun des hommes ne s’aperçoit jamais, ne prend jamais une conscience distincte : taches aveugles, mouches volantes, images consécutives, irradiation, franges chromatiques, changements marginaux de couleur, images doubles, astigmatisme, mouvements d’accommodation et convergence des yeux, rivalité des deux rétines, etc., etc. […] Le changement dont j’ai conscience me paraît plus ou moins intense selon le degré de modification interne, et ce degré est celui de la différence que j’aperçois entre l’état antérieur et l’état présent. […] Selon eux, « il est impossible de supposer qu’une sensation qui paraît simple et où la conscience ne saisit aucune multiplicité soit en réalité composée, parce qu’ici on ne peut plus distinguer la réalité de l’apparence, la simplicité aperçue de la simplicité réelle12 ». — Nous ne saurions admettre cette théorie. […] Ne faut-il pas toujours en venir à quelque chose qui soit senti d’une manière immédiate, à quelque « marque » qui se laisse apercevoir en elle-même et par elle-même ?
Mais je m’aperçois que je rêve ; je demande aux hommes publics plus de patience et de sacrifices qu’ils n’en peuvent exiger eux-mêmes de leur nature. […] Royer-Collard) est d’avoir voulu, d’avoir espéré gouverner précisément par cette moyenne des esprits qu’on dédaignait et qui s’apercevaient du dédain. […] Il a peu gardé de son calvinisme primitif dans tout ce qui tient au dogme ou à l’histoire ; on s’en aperçoit assez évidemment aujourd’hui ; la singulière brochure qu’il vient de lancer en ce moment même, sans aucune nécessité, pour sa propre satisfaction, et qui n’est autre qu’un manifeste de fusion protestante avec Rome, le dit assez haut, et ses coreligionnaires ont tout droit de lui en vouloir14. […] Guizot ne s’en soit pas aperçu plus d’une fois lui-même, quoiqu’ensuite il l’ait trop oublié ? […] Je m’aperçois que j’omets de noter une singularité littéraire mémorable : l’homme éminent que nous critiquons et qui s’offre si délibérément coup sur coup au jugement du public, n’avait pas tout à fait les vingt-cinq ans exigés par le règlement, lorsqu’en 1812 il fut nommé par M. de Fontanes à une chaire de la Faculté des Lettres ; il lui fallut une dispense d’âge.
Le principe de la philosophie de Biran peut être formulé ainsi : « Le point de vue d’un être qui se connaît lui-même ne doit pas être assimilé à celui de l’être connu extérieurement. » Toute la philosophie du xviiie siècle avait considéré l’homme comme une chose que l’on aperçoit du dehors. […] En général, pour les métaphysiciens, l’âme était considérée, non comme un sujet, mais comme un objet, objet de raison pure, non des sens, mais toujours conçu et aperçu du dehors, \ non du dedans. […] Entre la substance abstraite de l’âme et la substance abstraite du corps, ils ne voient aucune différence, et ils ont raison ; mais l’esprit est tout autre chose, et c’est ce qu’ils n’aperçoivent pas. […] Voilà le principe fondamental de toute philosophie, comme l’a vu si bien Descartes, qui pourtant n’en a pas aperçu toutes les conséquences. […] Il flotte dans un éther immense, sans apercevoir ce qui le soutient.
Les nations dégénèrent ; l’esprit humain marche toujours : il a en lui une vie incessamment progressive, qu’il n’aperçoit point, qu’il ne peut ni ne doit apercevoir, dont il a néanmoins le sentiment, et qui ne se manifeste qu’à de certaines époques ; comme, dans l’homme, il y a des changements qui se font à son insu, des phénomènes de développement, de croissance, de maturité, qui s’opèrent indépendamment de ses calculs et de sa volonté. […] Notre courte vue ne doit point nous empêcher d’apercevoir un soin paternel de la Providence à choisir certains peuples pour diriger et mûrir les idées des autres. […] Ainsi les aperçus qui font le sujet de ce chapitre trouveront, dispersés çà et là, leurs compléments nécessaires ; et peut-être en résultera-t-il un ensemble de doctrines, mais seulement par inductions, et non point dogmatiquement. […] Celle qu’il n’a point aperçue, ou qu’il a négligée, donnerait ici lieu à d’importantes observations : je m’en abstiendrai aussi, parce que je ne veux point être accusé d’être guidé par un esprit de système ; mais qu’il me soit permis de puiser, dans le peu que nous connaissons de ce génie allégorique, une hypothèse qui pourra servir à faire mieux sentir, par la suite, plusieurs choses qu’il me serait assez difficile d’expliquer.
Ces paroles l’introduisent dans un univers de sentiments jusqu’alors aperçu à peine. […] Il est aisé d’apercevoir quelles conditions très générales ont amené cet effet très particulier. […] Flaubert aperçut ces vérités, mais il les aperçut sans bien se les expliquer et avec fureur, au lieu de les considérer avec la froideur intellectuelle du philosophe. […] Il n’est pas malaisé d’apercevoir que deux éléments ont contribué à façonner cette conception de l’univers. […] J’aperçois tout à « coup les Alpes : moment de bonheur.
Quand nous lisons, et même quand nous pensons, nous n’apercevons pas sous chaque mot l’image correspondante : le mot est seul dans notre esprit, notation sèche, algébrique, et qui nous suffit parce qu’elle est familière et connue, et que nous nous sentons le pouvoir de la remplacer à chaque moment par l’image. […] Comme on se contente, à l’ordinaire, de la sensation que donne le mot tout sec et tout nu, et comme tous les mots sont en somme des sensations pareilles de la vue et de l’ouïe, on ne s’aperçoit pas qu’ils forment deux catégories bien distinctes : les uns représentent des objets dont on peut faire l’expérience directe, les autres représentent quelque chose dont l’expérience est impossible.
On y lisait une fable injurieuse, qui commençait par ces mots : Un aveugle, ami d’un bossu, Lui dit un jour : Cher camarade, Je me suis toujours aperçu Que l’homme a l’œil faible et malade… La clef n’était pas difficile à trouver. […] J’ai, connu un bossu, homme d’ailleurs de beaucoup d’esprit, qui n’avait jamais pu se familiariser avec son ombre ; je lui devins à charge, et il m’évita enfin, ne pouvant soutenir la petite guerre que je lui faisais pour lui ôter ce faible : pour moi, j’ose dire que je soutiens galamment ma disgrâce ; j’en atteste mes amis, qui, pour faire honneur à mon courage, ne me font plus apercevoir dans notre commerce cette retenue excessive, cette circonspection humiliante qui n’est due qu’aux faibles. […] La Dissertation de l’abbé de Pons amena l’aimable jésuite du Cerceau à le réfuter dans le Mercure du mois suivant, et à venir plaider la cause de la poésie et de la versification dans un article fort poli, assez juste, et où il s’applique à disculper les vers de ce reproche d’air gêné et d’affectation : Pour moi, observait-il assez finement, si j’ose dire ce que je pense, je m’en aperçois bien davantage (de cet air contraint) dans des ouvrages de prose, pleins d’esprit d’ailleurs, mais dont le style me paraît bien plus gêné et plus affecté que celui de la poésie. […] On a même très bien l’aperçu de ce que pouvait être sa conversation. […] J’ai fini de plaider, et plus longuement, je m’en aperçois assez tard, qu’il ne convenait peut-être à la taille de mon sujet.
Ourika, la négresse, dira très bien de celui qu’elle aime et qui ne s’en aperçoit pas : Et si parfois mes maux troublaient son âme tendre, L’ingrat ! […] Quand une fois on s’est accoutumé à ce factice, on ne peut plus s’en passer désormais, et, qui pis est, on ne s’en aperçoit pas. […] J’aperçois déjà dans cette lettre ce genre de plaisanterie pittoresque qui est familier à Mme de Girardin. […] Au fond, tout au fond, sous la marée transparente, la demeure de l’homme s’aperçoit encore là où la voix de l’homme a expiré. […] Il y eut un moment voisin de Napoline, où elle s’aperçut que ce siècle de fer ne s’accommodait pas de l’élégie, surtout quand celle-ci est trop prolongée.
… Moréas s’en aperçut. […] Le Faune l’aperçut, se fâcha, la brisa. […] Et encore aperçoit-on, parmi eux, des prophètes. […] Et ce fut un chef-d’œuvre, sans qu’il s’en aperçût. […] Il s’aperçoit qu’il n’y pouvait plus demeurer.
Vêtu d’une légère armure, damasquinée par un subtil ouvrier, il a les mains nues, des mains pâles et sensitives, mais avec je ne sais quoi de tyrannique et d’homicide dans la netteté de leur dessin : la gauche appuyée sur la gorge de la garde, la droite contre l’arête d’une table couverte d’un velours sombre dont on aperçoit le bord. […] Quand il aperçoit le désert, il fait un peu de littérature, comme il convenait. […] Elle pourrait servir aux désespérés qui n’aperçoivent qu’eux-mêmes dans la vie. […] Elle circule dans les pages de Dominique, à la manière du sang dans le secret de nos veines : on ne l’aperçoit que par accident, mais, visible ou non, elle est là. […] Nous sommes, avec Dominique, en plein roman d’adultère, et si l’oubli du devoir n’y est nulle part glorifié, si les termes y sont d’un homme du monde et si la lutte exprimée est avant tout celle de la conscience, je n’aperçois pas en quoi la passion y mérite une épithète qui la transforme et la singularise.
Sur le côté de la boîte, on aperçoit une collection de boutons. […] Le militaire se remet en route, aperçoit la personne du sexe, et, cette fois, court droit sur elle.
Aussi on s’aperçoit, dans tout le cours de cette correspondance, à quel point Rancé fit scandale de sainteté à son époque. […] Son passage a été paisible et tranquille… D’agonie, il n’en eut point, et on s’aperçut seulement qu’il cessoit de vivre parce qu’il ne respiroit plus. Dieu ne voulut pas qu’il dît rien de remarquable, parce que cela abrège les Relations. » Abréger, abréger les choses qui passent, c’est là le sentiment permanent de Rancé ; il n’aperçoit aucune branche inutile sans y porter à l’instant la serpe ou la cognée. […] Gonod aurait peut-être eu moyen d’éclaircir et de fixer ces aperçus lointains.
Les aperçus fins, les pensées subtiles et déliées qui n’entrent point dans la grande chaîne des vérités générales, l’art de saisir des rapports ingénieux, mais qui exercent l’esprit à se séparer de l’âme, au lieu de puiser en elle sa principale force, cet art ne place point un auteur au premier rang. […] Marivaux, par exemple, ne présentant jamais que le côté recherché des aperçus de l’esprit, il n’y a ni philosophie, ni tableaux frappants dans ses écrits. […] On trouve, dans ce dialogue, ce que les grandes pensées ont d’autorité et d’élévation avec l’expression figurée nécessaire au développement complet de l’aperçu philosophique ; et l’on éprouve, en lisant les belles pages de Montesquieu, non l’attendrissement ou l’ivresse que l’éloquence passionnée doit faire naître, mais l’émotion que cause ce qui est admirable en tout genre, l’émotion que les étrangers ressentent lorsqu’ils entrent pour la première fois dans Saint-Pierre de Rome, et qu’ils découvrent à chaque instant une nouvelle beauté qu’absorbaient, pour ainsi dire, la perfection et l’effet imposant de l’ensemble. […] Le lecteur ne s’aperçoit pas d’abord que ce mot est nouveau, tant il lui paraît nécessaire ; et frappé de la justesse de l’expression, de son rapport parfait avec l’idée qu’elle doit rendre, il n’est pas détourné de l’intérêt principal ni du mouvement du style, tandis qu’un mot bizarre distrairait son attention, au lieu de la captiver.
C’est à cette heure l’écrivain dont je me suis aperçu que je me servais le plus comme pierre de touche du goût d’un interlocuteur nouveau « Qu’est-ce que vous pensez d’Adam ? […] Un intuitif de goût peut d’ailleurs ne les apercevoir point et ne se point plaire à Paul Adam. […] On est beaucoup à s’éveiller chaque matin avec une admirable idée de roman, mais la journée se passe avant qu’une ligne en soit écrite, et le lendemain on s’aperçoit que le sujet a été traité, pour ne pas s’humilier on dit : gâché, par Maizeroy, par Théophile Gautier ou par Homère, et on a tort de s’en apercevoir et raison tout ensemble, parce que l’idée s’est fanée du jour au lendemain, faute qu’on ait songé à la planter au papier, à l’arroser d’encre vivifiante : la veille, oui, c’était original, le lendemain, oui, c’est banal.
Qui s’en aperçut alors ? […] Spirituel comme il l’était, homme d’aperçu, distingué, sagace, amoureux des idées qu’il poursuit, mais aimé des images qui lui viennent, il pouvait recommencer une autre campagne contre la fortune littéraire, écrire un autre livre, ramener au premier par le second. […] L’explication qu’à son tour il essaie de donner de l’homme manque nécessairement de rigueur scientifique, et son livre, avortant au système, n’a plus que la valeur flottante d’un aperçu. Et il le sent si bien, cet esprit positif au fond, qui arrache un si riche lambeau de bon sens à la philosophie contemporaine dont il est féru, que, malgré sa tendance à généraliser, malgré les catégories qu’il dresse des différentes formes de la main correspondant aux différentes spécialités de l’intelligence, il n’ose pas donner à son livre un autre nom que celui d’aperçu, et qu’il dit dans l’introduction, avec une modestie antiphilosophique : « Qui n’a lu Gail et ses adeptes enthousiastes, les phrénologistes ?
Peut-être Freud n’a-t-il pas aperçu lui-même toute la généralité qu’elle était susceptible de recevoir. […] Tenons simplement sans cesse dans un coin de notre pensée les restrictions que ces différences fondamentales entre nos deux auteurs, que nous venons d’analyser, doivent imposer à toute ressemblance entre eux que nous apercevrons. […] Vous vous rappelez comment la vraie Duchesse de Guermantes vient se substituer à celle qu’il s’aperçoit qu’il avait construite par l’imagination et qui avait un visage en tapisserie. […] Et Swann aperçut, immobile en face de ce bonheur revécu, un malheureux qui lui fit pitié parce qu’il ne le reconnut pas tout de suite, si bien qu’il dut baisser les yeux pour qu’on ne vît pas qu’ils étaient pleins de larmes. […] Et Swann aperçut, immobile en face de ce bonheur revécu, un malheureux qui lui fit pitié parce qu’il ne le reconnut pas tout de suite, si bien qu’il dût baisser les yeux pour qu’on ne vît pas qu’ils étaient pleins de larmes.
« Le solitaire succombe, il aime la divinité cachée sous les traits de la danseuse céleste ; une fille est née de cette union ; l’Apsara, en remontant au ciel, la laisse endormie à la porte de l’antre, sur un lit de mousse et de fleurs. » Canoua, en allant se baigner dans le fleuve, aperçoit l’enfant endormi sur la rive ; mille oiseaux de la forêt volaient et tourbillonnaient sur sa tête, agitant leurs ailes pour rafraîchir et ombrager le front de la divine enfant. […] Nous sommes occupés à ramasser du bois dans cette forêt ; là, sur les bords du Malini vous pouvez apercevoir l’ermitage de notre maître spirituel Canoua, où il habite avec Sacountala, dépôt précieux que lui a confié le destin. […] N’aperçois-tu pas çà et là, épars au pied des arbres, ces grains de riz consacré, échappés du bec des jeunes perroquets encore dépourvus de plumes, au moment où leurs mères leur portent la becquée ? […] ………… » XX Deux ermites, compagnons du saint, paraissent, et aperçoivent le jeune chasseur. […] « Regardons à travers les branches. » (Il écarte le feuillage, et s’écrie, transporté :) « Je l’aperçois, ce charme de mes yeux !
Et c’est cette classification que j’aperçois, beaucoup plus que la couleur et la forme des choses. […] L’individualité des choses et des êtres nous échappe toutes les fois qu’il ne nous est pas matériellement utile de l’apercevoir. […] Mais le plus souvent, nous n’apercevons de notre état d’âme que son déploiement extérieur. […] Elle apercevrait toutes choses dans leur pureté originelle, aussi bien les formes, les couleurs et les sons du monde matériel que les plus subtils mouvements de la vie intérieure. […] Nous n’apercevons extérieurement que certains signes de la passion.
On est très-disposé à goûter la finesse de ses aperçus, la justesse et quelquefois la hardiesse de son coup d’œil, ses jugements pénétrants des hommes et des choses. […] J’espère que cette vue, qu’il ne met d’ailleurs en avant que comme un aperçu lointain, ne se trouvera pas vérifiée dans l’avenir des sociétés libres et démocratiques.
Lorsque je voulais continuer le premier portrait, je prenais l’homme dans mon esprit, je le mettais sur la chaise où je l’apercevais aussi distinctement que s’il y eût été en réalité, et, je puis même ajouter, avec des formes et des couleurs plus arrêtées et plus vives. […] En se relevant, il fut surpris d’apercevoir, à l’extrémité de l’appartement, une figure de femme, de grandeur naturelle, avec un enfant dans les bras. […] Un halluciné cité par Walter Scott « apercevait un squelette au pied de son lit. […] « Le 24 février 1791, dit-il, à la suite d’une vive altercation, j’aperçus tout d’un coup, à la distance de dix pas, une figure de mort… L’apparition dura huit minutes. […] Je m’aperçus alors que les mouvements des fantômes devenaient plus lents.
Je n’y revins plus de tout le jour, et, comme je ne les aperçus ni l’un ni l’autre aux environs, je supposai qu’ils devaient avoir passé la journée entière dans l’intérieur. […] Je m’aperçus que les pewees se mettaient à travailler à leur vieux nid. […] J’arrêtai mon cheval pour juger de la distance à laquelle l’oiseau pouvait être, puis, après un moment de réflexion, je dis à mon ami que le pont n’était pas à plus de cent pas de nous, bien qu’il nous fût tout à fait impossible de l’apercevoir. […] Du même coup je relevai et j’armai mon fusil ; je n’apercevais point encore l’individu qui m’avait intimé un ordre si péremptoire, mais j’étais déterminé à combattre avec lui pour mon libre passage sur notre libre terre. […] Je m’apercevais bien que le mari et la femme avait grande envie de me communiquer quelque chose ; moi de même, désormais libre de tout crainte, je désirais les voir se décharger le cœur.
Je l’aperçois sur le rocher, à travers les voiles légers du brouillard. […] Mais, ô Carril, n’aperçois-tu point cette tombe auprès du torrent ? […] Uthal nous aperçoit sur le rivage, il s’arrête ; ses guerriers se rassemblent autour de lui. […] j’aperçois tes armes entassées dans ton vaisseau. […] Mais qui sont ceux que j’aperçois couchés sur cette bruyère ?
Et enfin on s’aperçoit assez souvent, surtout chez les femmes, qu’un très grand goût de lectures romanesques n’est qu’une surface et qu’en leur fond on les trouvera très réalistes et très pratiques ; je dis assez souvent. […] Il était homme, par conséquent, à se tourner du côté des arts, peinture, musique, mais sans doute il n’avait point ces goûts ou ces aptitudes, et il est peu à peu revenu à ce qui l’avait, sinon charmé, du moins intéressé vers la quinzième année, et il s’est aperçu, son intelligence et sa sensibilité s’étant accrues, que ces auteurs sont d’excellents et d’exquis aliments de l’âme et de l’esprit. […] Au XVIe siècle, un humaniste est un homme que le problème religieux, ou plus exactement ce qu’il y a de problèmes dans le sentiment religieux et dans la croyance, ne torture pas ; au XVIIe siècle, « le partisan des anciens » est un homme que la gloire de Louis le Grand, encore qu’elle le touche, n’éblouit point et n’hypnotise pas ; au XVIIIe siècle, l’homme de goût (très rare) est celui qui n’est pas très persuadé que l’univers vient pour la première fois d’ouvrir les yeux à la raison éternelle et que le monde date d’hier, d’aujourd’hui ou plutôt de demain ; au XIXe siècle, le classique, vraiment digne de ce nom, est celui qui n’est pas comme subjugué par les Hugo et les Lamartine et qui s’aperçoit, de tout ce qu’il y a, Dieu merci, de classique dans Hugo, Lamartine et Musset, et qui garde assez de liberté d’esprit pour lire Homère pour Homère lui-même et non pas en tant qu’homme qui annonce Hugo et qui semble quelquefois être son disciple. […] Il est l’homme sur qui aucune mode n’a d’influence et qui ne s’aperçoit pas qu’il y a des modes. […] Il ne s’aperçoit pas des changements qui se sont produits depuis sa jeunesse dans le goût public.
» Hector, sans en entendre davantage, court aux portes Scées, par où l’on sort dans la plaine où les ennemis sont répandus ; Andromaque, qui l’aperçoit du haut de la tour, descend et se précipite vers son mari. […] Dolon, poursuivi par eux, les aperçoit et veut leur échapper. […] Junon, qui tremble pour les Grecs, aperçoit son époux Jupiter sur le sommet du mont Ida, riche en fontaines ; elle veut le séduire et l’endormir pour profiter de son sommeil en faveur des Grecs. […] La ruse de Junon réussit ; Jupiter aperçoit son épouse : il se sent épris d’elle aussi vivement que le jour où ils furent unis par l’Amour à l’insu de Saturne et du père des dieux. […] « Le vieux roi Priam, debout sur la plate-forme de la tour sacrée d’Ilion, aperçoit le héros redoutable.
Que devient cependant le plaisir de se confier, si l’on aperçoit de l’indifférence, si l’on surprend un effort ? […] Enfin, deux amis d’un sexe différent, qui n’ont aucun intérêt commun, aucun sentiment absolument pareil, semblent devoir se rapprocher par cette opposition même ; mais si l’amour les captive, je ne sais quel sentiment, mêlé d’amour propre et d’égoïsme, fait trouver à un homme ou à une femme liés par l’amitié, peu de plaisir à s’entendre parler de la passion qui les occupe ; ces sortes de liens ou ne se maintiennent pas, ou cessent, alors qu’on n’aime plus l’objet dont on s’entretenait, on s’aperçoit tout à coup que lui seul vous réunissait. […] Dès qu’un homme et une femme ne sont point attachés ailleurs par l’amour, ils cherchent dans leur amitié tout le dévouement de ce sentiment, et il y a une sorte d’exigence naturelle, entre deux personnes d’un sexe différent, qui fait demander par degrés, et sans s’en apercevoir, ce que la passion seule peut donner, quelque éloigné que l’un et l’autre soit de la ressentir ; on se soumet d’avance et sans peine à la préférence que son ami accorde à sa maîtresse ; mais on ne s’accoutume pas à voir les bornes, que la nature même de son sentiment met aux preuves de son amitié ; on croit donner plus qu’on ne reçoit, par cela même qu’on est plus frappé de l’un que de l’autre, et l’égalité est aussi difficile à établir sous ce rapport que sous tous les autres ; cependant elle est le but où tendent ceux qui se livrent à ce lien.
Pour Herbart, les représentations sont aperçues quand une masse isolée de représentations nouvelles vient se fondre avec une autre antérieure, supérieure en extension et en homogénéité interne ; c’est donc un rapport entre des groupes de représentations. […] Nous ne voyons pas davantage que l’aperception joue un rôle mystérieux dans la formation des idées générales. — Celles-ci se forment, dit Wundt, par la mise en relief d’un caractère important, aperçu et trié parmi les autres ; ainsi, parmi tous les caractères du cheval, il y en a un qui a vivement frappé l’Arya primitif, la vitesse ; pour les Aryas, le cheval fut le rapide ; l’homme fut le penseur ou le mortel, la terre la labourée, la lune la brillante. […] Helmholtz a montré, dans son Optique physiologique, combien il y a de sensations visuelles dont nous ne nous apercevons pas : taches aveugles, mouches volantes, images consécutives, irradiation, franges chromatiques, changements marginaux de couleur, doubles images, astigmatisme, mouvements d’accommodation et de convergence, antagonisme des deux rétines, etc.
Car si le fils de Pélée atteint le but de ses désirs, toutefois la conclusion du poème laisse un sentiment profond de tristesse1 : on vient de voir les funérailles de Patrocle, Priam rachetant le corps d’Hector, la douleur d’Hécube et d’Andromaque, et l’on aperçoit dans le lointain la mort d’Achille et la chute de Troie. […] Il aperçoit l’énormité du crime : d’un côté, s’il désobéit, il devient sujet à la mort ; de l’autre, s’il reste fidèle, il garde son immortalité, mais il perd sa compagne, désormais condamnée au tombeau. […] » Le vêtement ne cache point une nudité dont on s’est aperçu.
Mais, d’autre part, nous étonnerions autant cet interlocuteur en lui disant que l’objet est tout différent de ce qu’on y aperçoit, qu’il n’a ni la couleur que l’œil lui prête, ni la résistance que la main y trouve. […] Donc, pour le sens commun, l’objet existe en lui-même et, d’autre part, l’objet est, en lui-même, pittoresque comme nous l’apercevons : c’est une image, mais une image qui existe en soi. […] Celui qui pourrait pénétrer à l’intérieur d’un cerveau, et apercevoir ce qui s’y fait, serait probablement renseigné sur ces mouvements esquissés ou préparés ; rien ne prouve qu’il serait renseigné sur autre chose.
Il semble que vers l’origine du monde, l’homme, peu assuré des bienfaits de la nature, s’étonnait, pour ainsi dire, à chaque instant, de n’en être pas abandonné ; et le désordre qu’il voyait dans plusieurs endroits de la terre encore sauvage, lui faisait mettre un plus grand prix à l’ordre constant qu’il apercevait dans les cieux. […] ils cherchent le bonheur, et ils n’aperçoivent point la loi universelle qui, en les éclairant, les rendrait tout à la fois bons et heureux : mais tous s’écartant du beau et du juste, se précipitent chacun vers l’objet qui l’attire ; ils courent à la renommée, à de vils trésors, à des plaisirs qui, en les séduisant, les trompent. […] À imagination égale, cette impression même est plus forte chez les peuples qui habitent les campagnes, que chez les peuples renfermés dans l’enceinte des villes, et l’on sent bien que cela doit être : dans les villes on n’aperçoit pour ainsi dire que l’homme ; partout l’homme y rencontre sa grandeur.
Il est triste pour les poètes d’avoir eu, dans tous les siècles, le privilège de flatter sans s’en apercevoir et sans même qu’on s’en étonne ; il faut espérer qu’un jour ils réclameront contre ce droit : mais ce privilège accordé aux vers ne s’est jamais étendu jusqu’à l’histoire. […] Tandis qu’il gouverne le monde, et qu’il prouve combien, pour maintenir l’empire, les bienfaits sont plus puissants que les armes, tandis que le sort de l’univers est en ses mains, vous ne pouvez vous apercevoir que vous avez fait une perte. […] que tant qu’il sera parmi les mortels, il ne s’aperçoive point que dans sa maison, il y ait rien de mortel !
Les sens n’aperçoivent que des qualités, des phénomènes. […] Quelquefois on l’aperçoit dans telle ou telle circonstance particulière. […] La conscience aperçoit la sensation, la volition, la pensée ; elle n’aperçoit pas leur sujet. Qui a jamais aperçu l’âme ? […] En effet, je ne suis pas assuré d’avoir jamais aperçu aucun triangle équilatéral ou rectangle.
» Il s’avance dans le jardin du bonheur, au travers des bocages de myrtes, et des nuages de nard et d’encens ; solitudes de parfums, où la nature, dans sa jeunesse, se livre à tous ses caprices… Adam, assis à la porte de son berceau, aperçut le divin Messager. […] Aperçois-tu cette forme glorieuse, qui semble se diriger vers notre berceau ?
Pareillement, d’un système il aperçoit la règle qui se dégage. […] Cette intelligence qui aperçoit partout des problèmes de conscience, les aperçoit sous l’angle spécial qui est l’optique de la scène. […] Leconte de Lisle devait-il apercevoir le monde actuel ? […] La poésie épique et lyrique, celle qui aperçoit la vie humaine à travers le mirage d’une exaltation. […] En étudiant la phrase d’Amiel, on aperçoit plus encore à quel degré le germanisme l’avait possédé.
Chez Gustave Planche, la morgue habituelle compromettait trop souvent le bon sens ; chez d’autres moins hautains, l’étude constante venait à l’appui de la finesse des aperçus et donnait toute valeur à la sagacité des analyses : les Paul Mantz, les Chennevières se sont formés de la sorte. […] Il n’est pas de ceux (comme il y en a) qui vous marchent sur le pied sans s’en apercevoir ou en disant : Tant pis ! […] Un jour, les théâtres chômaient ; le courant dramatique était à sec ; il n’y avait pas à l’horizon, aussi loin que la longue-vue pouvait porter, la plus petite voile de vaudeville, pas un trois-mâts de mélodrame qui se laissât apercevoir ; Théophile Gautier s’en revenait de Neuilly par le bois de Boulogne, pensif, méditant son sujet de feuilleton, et tout résigné déjà à n’en pas faire : il entre au Jardin d’acclimatation, il visite l’Aquarium… son sujet est trouvé, et à peine arrivé au Moniteur, debout, sur le coin d’un bureau selon son habitude, il écrit de sa plus jolie écriture et au courant de la plume, sans rature aucune, ce feuilleton de l’Aquarium (9 décembre 1861) où tous les mystères sous-marins sont racontés, — un petit chef-d’œuvre de diction scientifique et descriptive. […] Une troupe de comédiens honnêtes gens, c’est-à-dire qui prennent leur profession et leur métier au sérieux, errant la nuit par un désert de Gascogne, aperçoivent une clarté qui les dirige jusqu’à un château habité par le jeune baron de Sigognac. […] Ce sont les détails de toutes ces journées de marche qu’il faut lire : la première station à l’auberge très-suspecte du Soleil bleu, le guet-apens du brigand Agostin et cette attaque à main armée qui tourne en bonne humeur ; la rencontre du marquis de Bruyères, jeune gentilhomme aussi bien en point et aussi florissant que Sigognac est pauvre ; l’invitation et la réception des comédiens à ce brillant et confortable château de Bruyères, où ils donnent une représentation applaudie ; le congé et le départ bien rémunérés ; l’enlèvement volontaire de la soubrette à l’une des pattes d’oie du chemin ; puis la disette qui revient, la route qui s’allonge, la neige qui tombe, les rafales qui forcent le chariot de s’arrêter ; le pauvre Matamore, le plus maigre de la troupe, qui n’y peut tenir et qui succombe d’inanition et de froid ; la recherche qu’on fait de lui par ces steppes de neige, quand on s’est aperçu de sa disparition, son enterrement lugubre : — et cela s’appelle Effet de neige.
Car elle est aperçue directement, complètement, à l’instant même, tandis qu’il est constaté indirectement, incomplètement et fort tard ; il a fallu une infinité de recherches anatomiques et physiologiques pour nous apprendre que la sensation dépend de lui ; encore aujourd’hui nous ignorons tout à fait en quoi il consiste, s’il est une vibration propagée, un flux électrique, un changement chimique ou toute autre chose. […] Mais si, parmi les sons musicaux, on en choisit un très grave, par exemple l’octave inférieure de l’orgue, on s’aperçoit que les sensations élémentaires, quoique formant alors un tout continu, ce qui est nécessaire pour que le son soit musical, y restent cependant distinctes jusqu’à un certain degré71. […] Il est clair que chacune d’elles dure de moins en moins longtemps et que son maximum est de plus en plus voisin du maximum de la suivante ; c’est pourquoi elle doit être de moins en moins distincte, et on finira par ne plus apercevoir en elle de maximum ni de minimum ; ce qui arrive : à mesure que le son devient plus aigu, le nombre et la pluralité qui apparaissaient encore, quoique voilés, dans le son grave, disparaissent et s’évanouissent tout à fait. […] Isolée, le sens intérieur ne l’aperçoit pas ; elle existe néanmoins, puisque, dans le son musical très grave, nous l’apercevons comme incessamment répétée et composante ; et d’ailleurs il est clair que nul composé ne peut exister sans composants. — D’autre part, on a vu que, dans le son aigu comme dans le son très grave, la sensation élémentaires un maximum ; nous démêlons ce maximum dans le son très grave, nous ne le démêlons pas dans le son aigu ; il existe cependant dans l’un comme dans l’autre ; mais, dans le son très grave, la distance plus grande de deux maxima nous permet de les distinguer, et, dans le son aigu, la proximité trop grande de deux maxima nous empêche de les distinguer. — Bien plus, chaque sensation élémentaire, pour passer de son minimum à son maximum, passe, dans la courte durée qu’elle occupe, par une infinité de degrés ; à plus forte raison ces degrés sont-ils invisibles à la conscience ; en sorte que, dans un son aigu, la sensation élémentaire indistincte comprend, outre deux états extrêmes indistincts, une infinité d’états intermédiaires indistincts.
Leurs décisions un peu tranchantes et leurs aperçus, extrêmement inattendus de moi, m’étonnaient et me donnaient beaucoup à penser. […] Au bout d’un certain temps, à la vérité, ils cessèrent de m’être utiles, parce que je m’aperçus que de tous les livres dont ils parlaient, ils n’avaient jamais lu une page, ce qui m’expliqua la netteté de leurs décisions et l’originalité de leurs aperçus. […] celui-là même où vous vous apercevez de la monotonie de vos sensations — vous vous avisiez de vous demander : « Qu’en pense un tel ?
On s’aperçoit qu’on s’égare : d’un bond on se remet dans le chemin, on lâche la traverse, brusquement, sans prévenir. […] Sa mère, dont le nom fait battre tout son cœur, dont l’image emplit son cerveau, qui est présente dans tous ses souvenirs et dans toutes ses espérances, lui a recommandé, dans des termes qu’il sait par cœur, dans une lettre écrite sur certain papier, qu’il a dans sa poche, et dont son esprit aperçoit sans cesse la dimension, la forme et la couleur, de ne pas dire ni à tel et tel, qu’elle nomme, ni à personne, qu’elle lui a envoyé cinq louis d’or, qu’il a tenus entre ses doigts et qu’il a fait rouler un peu vite : tout cela forme un ensemble unique et compact d’idées et d’images. […] Les grands esprits et les esprits fins sont ceux qui savent apercevoir sous le flot sans cesse renouvelé des phénomènes les lois éternelles de la nature et de l’esprit.
Il aurait fallu une hauteur dans l’aperçu, et une décision dans la pensée, qui n’était pas dans les plans de M. […] C’est un philosophe qui chasse de race, un philosophe de père en fils, dont le père eut autrefois aussi son prix d’académie, et qui a voulu continuer cette gloire paternelle… Certes, ce n’est pas avec de telles préoccupations que l’on peut dépasser par la fierté ou la soudaineté de l’aperçu, par l’indépendance, par un style vivant et anti-officiel, les conditions du programme de l’Académie, cet établissement de haute bienfaisance littéraire qui n’existe que pour mettre en lumière les talents qui, tout seuls, ne s’y mettraient pas. […] Jourdain aperçoit très bien dans tout le cours de son ouvrage, mais dont il se détourne pour ne pas contrarier l’Académie et… manquer son prix !
Tôt les bons agents se sont aperçus qu’à la publicité typographiée convenait la description minutieuse, détaillée, convaincante. […] Dès lors, il est à craindre que tôt ou tard les industriels ne s’aperçoivent du marché de dupes qu’ils font en commandant une affiche à un peintre de plus de talent que de conscience, ou si l’on veut d’application, et que les imprimeurs d’odieuses affiches, genre Appell ou Lévy n’en bénéficient.
Bientôt il aperçoit le trône du Chaos, dont le sombre pavillon s’étend au loin sur le gouffre immense. […] Enfin, il aperçoit au loin une haute structure, dont les marches magnifiques s’élèvent jusqu’aux remparts du ciel… Perpendiculairement au pied des degrés mystiques, s’ouvre un passage vers la terre… Satan s’élance sur la dernière marche, et plongeant tout à coup ses regards dans les profondeurs au-dessous de lui, il découvre, avec un immense étonnement, tout l’univers à la fois.
L’artiste est sans doute libre de mentir, pourvu qu’on ne s’en aperçoive pas ; mais de nos jours où, chez tout lecteur, on éveille l’esprit critique, le mensonge devient, aussitôt visible et enlève leur force aux représentations évoquées. […] La simple nouvelle comme le roman renferment cette idée profonde que le génie touche à la folie toutes les fois que l’artiste sent trop l’imperfection de son œuvre, et s’obstine à la parfaire devant l’inimitable modèle sans s’apercevoir qu’il y a une limite où l’art devient de la divagation. […] Tout âge, dit Elisabeth Browning, eu raison même de sa perspective trop rapprochée, est mal aperçu de ses contemporains. […] Le momentané, l’exceptionnel ne devient objet d’art qu’à la condition d’être aperçu d’un point de vue large, et comme par l’œil d’un philosophe, d’être ramené aux lois de la nature humaine et de devenir ainsi, en quelque sorte, une des formes de l’éternel. […] De ma fenêtre j’aperçois un grand rosier : Petit bouton de rose blanche à demi détaché de la tige, trois filaments d’écorce t’y retiennent seuls encore.
Ils ont donc fait des brèches et, par ces meurtrières, ont aperçu le ciel et la mer éternelle. […] Qui ne s’aperçoit que ce second mode de perception est autrement complet que le premier. […] Le parnassien n’aperçoit que la façade de son moi et n’objective que des impressions à fleur de peau. […] Là donc où il y a continuité dans le temps, nous apercevons une discontinuité. […] Il y a dans les rapprochements et les combinaisons de la langue écrite par certains hommes, toute l’évocation d’un monde poétique que le peuple des mondains ne sait plus apercevoir ni deviner.
La pensée qu’il pouvait ne jamais revenir à Paris fut la paille de son joyeux acier… Comme l’esprit épistolaire d’un homme est toujours l’esprit de sa conversation qu’il a transporté dans ses lettres, Galiani a transporté son esprit de conversation dans les siennes, et comme la qualité supérieure de cet esprit était la verve, le mouvement, le piétinement fécond sur une idée qui en fait sortir tous les aperçus, il a cette verve qui s’allume à la moindre question ou à la moindre suggestion et qui développe l’idée, mais en la creusant toujours. […] Quand, dans ses lettres à Madame d’Épinay qu’il embrase au feu de cette verve, il rencontre une idée, il la perce et va devant lui, d’aperçus en aperçus, qui ne sont souvent qu’une chaîne de paradoxes, mais qui descendent parfois jusqu’à ce fond de puits où se cache la vérité… IV J’ai dit plus haut que dans ces deux volumes de Correspondance on voyait plus l’abbé Galiani qui n’y était pas que l’abbé Galiani qui y était… J’y ai vu, moi, tout de suite, le prêtre qui n’y était pas, et j’ai regretté ce prêtre qui aurait pu y être.
L’auteur, qui a l’aperçu de son point de vue encore plus que l’aperçu de son regard, ne reste point comme E. […] Schmidt et Chastel sur cette question du paupérisme qui est la grande question des sociétés modernes, lesquelles tuent l’âme au profit du corps, et n’ayant osé accepter non plus la solution catholique du travail de Martin Doisy (la seule solution qui puisse exister jamais en Économie politique), l’Académie, avec cette grandeur de pressentiment, cette haute divination de critique qui entraîne vers les œuvres fortes, se tourna vers le livre de Mézières vanté par Villemain, et, y reconnaissant tout ce qu’elle aime en fait de tranquillité d’aperçu et de vues grandes comme la main, elle lui décerna la couronne.
Il raconte en termes simples et véridiques ses impressions premières et sa situation d’esprit à son arrivée à Versailles : Ma position personnelle dans ces premiers moments, dit-il, ne ressemblait à celle d’aucun autre : trop jeune pour concevoir l’idée de diriger une Assemblée aussi imposante, cette situation faisait aussi la sécurité de tous ceux qui prétendaient à devenir chefs ; nul ne voyait en moi un rival, et chacun pouvait y apercevoir un élève ou un sectateur utile. […] Selon lui, « Mounier et ses partisans semblaient ne s’être point aperçus qu’il y eût une révolution ; ils voulaient construire l’édifice avec des matériaux qui venaient d’être brisés ». […] Mais ce mépris, je l’avoue, se change en une profonde indignation quand je crois m’apercevoir qu’un certain étalage de sensibilité n’est qu’un jeu de théâtre. […] À un autre endroit, il convient plus explicitement d’avoir dévié de sa ligne, lorsque, redevenant assidu aux séances publiques de l’Assemblée, d’où ses travaux dans les Comités l’avaient quelque temps éloigné, il s’aperçut que sa popularité avait notablement baissé, et que les attaques du dehors avaient agi. […] Il entre beaucoup de hasard dans ses vues littéraires, et encore plus dans ses aperçus physiologiques ; il y a beaucoup de tâtonnements, même dans ses considérations politiques, lorsqu’il sort de ce qu’il sait le mieux, et qu’étendant son regard au-delà de l’horizon intérieur, il aborde, par exemple, les questions de relations étrangères.
Et les auteurs allemands sont trop occupés de théories, d’analyses des écrits, et, selon les cas, de dénigrements ou d’admirations, pour nous accorder ce qu’il nous importerait d’avoir, un aperçu vivant de cette époque. […] Or, dans le roman français, il y a, comme dans le drame de Wagner, amour à première vue, et la mère d’Isolde ne prépare le philtre et ne le confie à Brengain que précisément parce qu’elle s’est aperçue de cet amour. […] Du reste, il appuie si peu sur les nombreux détails dus à sa connaissance des vieilles littératures, que le grand public ne s’aperçoit de rien. Il n’était pas dans l’intention du maître qu’il s’en aperçût. […] Derrière cette joie il aperçoit la tristesse et reconnaît, comme dirait Schopenhauer, la « tromperie du corps », il aperçoit la souffrance que donne le désir (das sehnen, das furchtbare sehnen), et le secret du monde, la souffrance, lui apparaît dévoilé ; il se souvient d’avoir vu sur sa route des hommes qui souffraient, et sa propre souffrance, il la réunit avec la leur (Des Heilands Klage da vernehm ich, die Klage, ach !
Il nous a donné dans ses Mémoires un aperçu neuf, mais trop abrégé, trop à demi-mot et plutôt fait pour irriter la curiosité que pour la satisfaire, sur les intrigues mi-galantes, mi-politiques, qui animèrent singulièrement l’hiver de 1808-1809. […] Je ne sais rien de plus significatif à cet égard qu’une lettre du roi de Westphalie Jérôme, à son frère, écrite à la date du 5 décembre 1811, et qui exprime, qui résume la situation vraie, telle qu’elle se dessinait aux yeux d’un frère dévoué de l’Empereur, placé au cœur même de la difficulté, au centre du péril : « Sire, écrivait le roi Jérôme, établi dans une position qui me rend la sentinelle avancée de la France, porté par inclination et par devoir à surveiller tout ce qui peut donner atteinte aux intérêts de Votre Majesté, je pense qu’il est convenable et nécessaire que je l’informe avec franchise de tout ce que j’aperçois autour de moi. […] La main de l’ambassadeur ne devait pas se laisser apercevoir dans ce mouvement national, « mais il devait tout voir, tout savoir, tout diriger, tout animer. » Un archevêque, un haut dignitaire de l’Église avait paru plus fait qu’un autre pour assister et pousser à cette œuvre militante dans un pays catholique, et comme devant aussi, par son caractère, moins prêter qu’un autre à tout conflit. […] Dans les rues, on apercevait de nombreux transparents aux armes réunies du grand-duché et de la Lithuanie. » Tant d’espérances furent vite déjouées, déconcertées, et tout s’abîma bientôt dans l’immense catastrophe.
David, au contraire, le méritant et le combattant, David a non-seulement aperçu à l’avance le Messie dans sa forme glorieuse, il a eu un privilège entre les voyants, il a de loin aperçu les ignominies et les humiliations du Christ jointes à sa grandeur royale : en cela il est sorti de l’horizon hébraïque circonscrit. […] Le sommet de Moïse d’où nous avions aperçu tant de choses aussi, nous ne l’apercevons plus à son tour que dans l’éloignement et comme à nos pieds.
. — Au sortir de ce point de vue, on s’aperçoit qu’il n’y a rien de réel dans le moi, sauf la file de ses événements ; que ces événements, divers d’aspect, sont les mêmes en nature et se ramènent tous à la sensation ; que la sensation elle-même, considérée du dehors et par ce moyen indirect qu’on appelle la perception extérieure, se réduit à un groupe de mouvements moléculaires. […] Ce feu d’artifice, prodigieusement multiple et complexe, monte et se renouvelle incessamment par des myriades de fusées ; mais nous n’en apercevons que la cime. […] Bref, celui qui étudie l’homme et celui qui étudie les hommes, le psychologue et l’historien, séparés par les points de vue, ont néanmoins le même objet en vue ; c’est pourquoi chaque nouvel aperçu de l’un doit être compté à l’acquis de l’autre. — Cela est visible aujourd’hui, notamment dans l’histoire. On s’aperçoit que, pour comprendre les transformations que subit telle molécule humaine ou tel groupe de molécules humaines, il faut en faire la psychologie.
L’air manque, la vue se trouble ; on n’est plus en pays humain, on n’aperçoit d’abord qu’un entassement d’abstractions formidables, solitude métaphysique où il ne semble pas qu’un esprit vivant puisse habiter ; à travers l’Être et le Néant, le Devenir, la Limite et l’Essence, on roule, la poitrine oppressée, ne sachant si jamais on retrouvera le sol uni et la terre. Peu à peu la vue perce les nuages ; on entrevoit des ouvertures lumineuses ; le brouillard s’évapore ; devant les yeux se déroulent des perspectives infinies ; des continents entiers s’étalent embrassés d’un coup d’œil ; et l’on se croirait arrivé au sommet de la science et au point de vue du monde, si là-bas, sur un coin de la table, on n’apercevait un volume de Voltaire posé sur un volume de Condillac. […] » Phrase imperceptible qu’on peut retrancher sans rompre la liaison des idées, et dont il a cru qu’on n’apercevrait pas l’absence. On l’aperçoit ; et ce retranchement exécuté par l’auteur prouve tout ce que valent ces quatre mots.
Dans le monde moral aperçoit-elle quelque chose de beau et de bon ? […] La vérité méconnue n’est pour cela ni altérée ni détruite ; elle subsiste indépendamment de la raison qui, dans son état présent, ne l’aperçoit pas ou l’aperçoit mal. […] L’intelligence aperçoit naturellement tout cela, mais elle ne peut l’apercevoir d’abord d’une manière réfléchie et distincte ; elle l’aperçoit avec une parfaite certitude, mais avec un peu de confusion66. […] Au premier coup d’œil, qu’apercevez-vous dans l’histoire ? […] Donc vous n’apercevez dans l’histoire que des illusions, en même temps que sous un autre point de vue vous n’y apercevez que des vérités.
Ces pieuses farces étaient un mélange monstrueux d’impiétés et de simplicités, mais que ni les auteurs ni les spectateurs n’avaient l’esprit d’apercevoir. […] Mais qui croirait qu’un jésuite espagnol du dix-septième siècle, Jean Carthagena mort à Naples en 1617, ait débité dans un livre intitulé Josephi Mysteria, que saint Joseph peut tenir rang parmi les martyrs, à cause de la jalousie qui lui déchirait le cœur, quand il s’aperçut de jour en jour de la grossesse de son épouse ?
Alors tout s’aperçoit. […] On oublie l’allégorie ; et ce n’est plus un homme percé d’une métaphore, mais un homme percé d’un trait réel qu’on aperçoit.
… Mais que dirait-on si on montrait que dans ce livre, intitulé les Illuminés, il n’y a pas plus d’illuminés que d’illuminisme, et qu’excepté le récit d’une véritable parade chez Cagliostro et quelques mots sans aperçu et sans critique sur des hommes qu’il aurait fallu étudier il n’y a dans le titre du livre de Gérard de Nerval, rien de plus qu’une spéculation sur la curiosité publique, en ce moment fort excitée par tout ce qui pourrait amener un changement dans la philosophie d’un siècle dépassé en métaphysique par ceux même qui auraient dû le diriger ? […] Mais du moins il faut l’être avec une telle désinvolture, avec une telle verve, avec un tel style, que, l’œuvre d’art dominant tout, le livre ne soit plus qu’une forme, une arabesque de la pensée, une volupté littéraire, et non une prétention à la science et à l’aperçu.
Dans le temps ensuite, car le corps est matière, la matière est dans le présent, et, s’il est vrai que le passé y laisse des traces, ce ne sont des traces de passé que pour une conscience qui les aperçoit et qui interprète ce qu’elle aperçoit à la lumière de ce qu’elle se remémore : la conscience, elle, retient ce passé, l’enroule sur lui-même au fur et à mesure que le temps se déroule, et prépare avec lui un avenir qu’elle contribuera à créer. […] Votre « âme consciente » est tout au plus un effet qui aperçoit des effets : nous verrions, nous, les effets et les causes. » Voilà ce qu’on dit quelquefois au nom de la science. […] De ces mouvements esquissés, ou même simplement préparés, nous ne nous apercevons pas, le plus souvent, parce que nous n’avons aucun intérêt à les connaître ; mais force nous est bien de les remarquer quand nous serrons de près notre pensée pour la saisir toute vivante et pour la faire passer, vivante encore, dans l’âme d’autrui. […] Si vraiment mon souvenir visuel d’un objet, par exemple, était une impression laissée par cet objet sur mon cerveau, je n’aurais jamais le souvenir d’un objet, j’en aurais des milliers, j’en aurais des millions ; car l’objet le plus simple et le plus stable change de forme, de dimension, de nuance, selon le point d’où je l’aperçois : à moins donc que je me condamne à une fixité absolue en le regardant, à moins que mon œil s’immobilise dans son orbite, des images innombrables, nullement superposables, se dessineront tour à tour sur ma rétine et se transmettront à mon cerveau. […] Et je crois par conséquent aussi que notre passé tout entier est là, subconscient — je veux dire présent à nous de telle manière que notre conscience, pour en avoir la révélation, n’ait pas besoin de sortir d’elle-même ni de rien s’adjoindre d’étranger : elle n’a, pour apercevoir distinctement tout ce qu’elle renferme ou plutôt tout ce qu’elle est, qu’à écarter un obstacle, à soulever un voile.
À peine une étoile du ciel qu’un œil humain puisse maintenant apercevoir ; les brouillards pestilentiels, les impures exhalaisons devenues incessantes, excepté sur les plus hauts sommets, ont effacé toutes les étoiles du ciel. […] Au-delà et au-dessous des choses, il aperçoit comme un abîme, et s’interrompt par des tressaillements. […] Par elle, ils ont aperçu l’esprit des siècles, des civilisations et des races, et transformé en système de lois l’histoire qui n’était qu’un monceau de faits. […] Nous apercevons en elle et par elle le Dieu qui, autrement, nous resterait toujours caché. […] Chacun les regarde avec des lunettes de portée et de couleur diverses, et nul ne peut atteindre la vérité qu’en tenant compte de la forme et de la teinte que la structure de ses verres impose aux objets qu’il aperçoit.
Dans les lectures d’histoire qu’on lui fait faire, il lui semble qu’il n’y a pas de roi préférable à Louis XII ; l’écho des victoires l’atteint peu ; et cependant elle a aussi la marque de son temps, et lorsqu’il vient là pendant quelques jours un beau monsieur de Paris, très riche, très gai, très galant pour elle, et qui cause politique avec Mme de Coigny, qui apporte les dernières nouvelles et les commente avec cet esprit de dénigrement propre aux salons, elle n’est pas séduite, elle aperçoit d’abord ce qui manque à l’élégant monsieur, en fait de chevaleresque, et celle dont le cœur est destiné à des cœurs braves, finit par ce trait en le dépeignant : « Et puis il n’a été à aucune bataille, et c’est vraiment ridicule30. » Mme de Coigny aime les longues lectures régulières et qui se continuent, qui occupent et reposent : on lit donc Rulhière, Histoire de l’anarchie de Pologne, toutes les Révolutions de Vertot, La Guerre de Trente Ans de Schiller, Le Siècle de Louis XIV ; toutes ces lectures ne sont pas également intéressantes. […] À environ quatre pieds de terre, j’aperçus collé contre le tronc du saule une sorte de gros cocon à base élargie, et affectant la forme d’une petite bouteille ou plutôt d’une pomme de pin. […] Je m’approchai avec précaution, et par une petite ouverture ménagée dans l’édifice, à environ un pouce du sommet, j’aperçus, ô merveille ! […] j’aperçus vingt petites têtes et vingt petits corps rangés avec la plus parfaite symétrie dans ce petit réduit qui n’était guère plus grand que le creux de la main. […] Et Sénèque lui-même n’a-t-il pas dit à son jeune ami Lucilius, dans un admirable langage : « Viget animus, et gaudet non multum sibi esse cum corpore ; magnam partem oneris sui posuit ; exsultat, et mihi facit controversiam de senectute : hunc ait esse florem suum… » — « Mon esprit est plein de vigueur, et il se réjouit de n’avoir plus beaucoup à faire avec le corps ; il a déposé le plus lourd de son fardeau ; il bondit de joie, et me tient toutes sortes de discours sur la vieillesse : il dit que c’est à présent sa fleur. » Je trouve dans un livre d’hier, et sur ce même sujet de l’âge, cette autre pensée juste et ferme, et si poétiquement exprimée : Me promenant, par une belle journée d’octobre, dans les jardins de la villa Pamphili, je fus frappé de la beauté merveilleuse d’un grand nombre d’arbres verts que je n’avais point aperçus durant l’été, cachés qu’ils étaient par l’épais feuillage des massifs, alors dans tout l’éclat de la végétation, maintenant dépouillés.
Dès qu’il aperçut ma pelisse cramoisie, il s’approcha de la voiture et me regarda en souriant très gracieusement : — Eh bien ! […] À la seconde rencontre qui eut lieu à Wartbourg, à quelques mois d’intervalle, comme la voix manquait à Bettina pour s’exprimer, Goethe lui posa la main sur la bouche et lui dit : « Parle des yeux, je comprends tout. » Et quand il s’aperçut que les yeux de la charmante enfant, de l’enfant brune et téméraire, étaient remplis de larmes, il les lui ferma, en ajoutant avec grande raison : « Du calme ! […] Tel était, autant qu’un rapide aperçu peut l’embrasser, l’homme que Bettina s’était mise à aimer, mais qu’elle aimait comme il leur seyait à tous deux, c’est-à-dire d’une flamme qui caresse et qui ne brûle pas. […] Bettina a des moments de bon sens et des éclairs de passion vraie où elle s’aperçoit et se plaint de cette inégalité d’échange : « Oh ! […] J’aurais voulu pouvoir donner une plus complète et plus juste idée d’un livre qui est si loin de nous, de notre manière de sentir et de sourire, si loin en tout de la race gauloise, d’un livre où il entre tant de fantaisie, de grâce, d’aperçus élevés, de folie, et où le bon sens ne sort que déguisé en espièglerie et en caprice.
— Au premier abord, il semble qu’on n’aperçoive pas de points de contact entre ces irréconciliables. […] Ainsi « pourvu que l’on veuille bien distinguer entre l’individualisme-fin et l’individualisme-moyen » on s’aperçoit que les deux extrêmes de la politique se touchent en plus d’un point : le socialisme et l’individualisme discutent sur les pratiques propres à réaliser les principes égalitaires moins que sur ces principes eux-mêmes5. — Tant il est vrai que sous les couleurs diverses des politiques et des morales, un même fond d’idées sociales transparaît. […] On s’aperçoit qu’aucune prétendue « loi d’évolution » ne force les sociétés à repasser sur leurs anciennes empreintes19, et que, suivant toutes les « lois de causation », il faut au contraire, pour qu’un phénomène social ressuscite, que le mouvement de l’histoire ait préalablement ramené la combinaison de conditions propre à le susciter. […] Là où une organisation proprement dite commence à se dessiner, on n’aperçoit pas toujours, sans doute, cette subordination déclarée de certaines classes à certaines autres, qui manifeste le règne de l’inégalité. […] Et là elle s’est montrée à deux reprises, séparées d’ailleurs par une longue éclipse : nous l’apercevons une première fois, comme s’éveillant à peine, dans le monde gréco-romain, — une seconde fois, plus vivante et vraiment agissante, dans le monde moderne occidental.
Il aperçoit à la fois un grand nombre d’idées ; et comme il ne les a ni comparées ni subordonnées, rien ne le détermine à préférer les unes aux autres : il demeure donc dans la perplexité. Mais lorsqu’il se sera fait un plan, lorsqu’une fois il aura rassemblé et mis en ordre toutes les pensées essentielles à son sujet, il s’apercevra aisément de l’instant auquel il doit prendre la plume, il sentira le point de maturité de la production de l’esprit, il sera pressé de le faire éclore, il n’aura même que du plaisir à écrire…..
— les paysans et les ouvriers à ces bienfaits linguistiques, la France s’apercevrait un jour que ce qu’il y a de plus inutile en France, c’est le français. […] Allons-nous, sur les conseils des comités coloniaux, devenir une nation polyglotte, sans même nous apercevoir que cela serait un véritable suicide linguistique, et demain un suicide intellectuel ?
Quand, du haut de la montagne, je t’aperçois au fond de ce vallon, tu me parais, au milieu de nos vergers, comme un bouton de rose… Quoique je te perde de vue à travers les arbres, je n’ai pas besoin de te voir pour te retrouver : quelque chose de toi que je ne puis dire, reste pour moi dans l’air où tu passes, sur l’herbe où tu t’assieds… Dis-moi par quel charme tu as pu m’enchanter. […] Les personnages sont aussi simples que l’intrigue : ce sont deux beaux enfants dont on aperçoit le berceau et la tombe, deux fidèles esclaves et deux pieuses maîtresses.
On n’aperçoit à droite et à gauche que quelques subalternes occupés à servir. […] On aperçoit seulement vers le fond quelques sommets de têtes.
A lire Virgile et à lire La Fontaine, que de vérités n’aperçoit-on pas sur l’Esthétique ! […] Avec ce sens instinctif des lois de la vie sociale qui lui faisait apercevoir les conséquences pratiques des théories, — comme un géomètre aperçoit une courbe derrière une formule d’algèbre, — Rivarol eût, dès la veille, deviné la Révolution. […] Apercevez-vous la diversité de ces deux notions, et combien les sentiments qu’elles évoquent ont peu de rapports entre eux. […] Par les fenêtres entr’ouvertes et qui donnent sur une cour, on aperçoit un intérieur de couturière. […] En outre, l’historien qui raconte aperçoit des individus, et l’historien qui démontre aperçoit des causes.
Tant que la Société de médecine fut peu considérable, et qu’elle ne consista qu’en une commission de huit médecins, établie pour correspondre avec les médecins des provinces sur tout ce qui avait rapport aux maladies épidémiques et épizootiques (arrêt du Conseil du 29 avril 1776), on la laissa faire ; mais dès qu’on s’aperçut qu’elle prenait de l’extension, et que cette société, créée originairement pour s’occuper des bêtes, en venait à se mêler non moins activement de ce qui tient à la santé des hommes, la faculté de médecine de Paris prit l’alarme, et fit ce que feront toujours les vieilles corporations en face des institutions nouvelles. […] Dans le fond du puits qui était transparent, on apercevait le Bouc de la fable, dont les cornes très prolongées formaient une échelle, au haut de laquelle était une Fortune que le Renard poursuivait : chaque échelon portait une légende. […] Vicq d’Azyr eut le bon goût de ne jamais répondre à ces attaques inspirées par l’envie, et de ne point paraître s’en apercevoir. […] Il le montre jeune à Leyde, suivant les leçons de Boerhaave et d’Albinus : Mais ce qui lui inspira surtout, dit-il, le goût de l’anatomie et la passion du travail, ce fut la vue du superbe cabinet de Ruysch, où, au milieu de tant d’organes préparés d’une manière surprenante, au milieu de sujets qui y avaient, en quelque sorte, recouvré une nouvelle vie, il aperçut un vieillard nonagénaire, desséché par les ans, mais toujours laborieux et actif, qui, paraissant comme un Enchanteur au milieu de ces merveilles, semblait avoir joint au secret de les conserver celui de s’immortaliser lui-même.
Tout ce qui est plaisir, il l’aimait avec une passion violente, et tout cela avec plus d’orgueil et de hauteur qu’on n’en peut exprimer, dangereux de plus à discerner et gens et choses, et à apercevoir le faible d’un raisonnement et à raisonner plus fortement et plus profondément que ses maîtres. […] Un aperçu piquant qu’on saisit en l’air et qu’on attrape à la volée, une anecdote d’alcôve, n’est point une raison sérieuse, et il faudrait laisser à la porte de la sévère histoire toutes ces sciences conjecturales et qui sont à naître ou à peine nées encore. […] Dans un bocage, au bord de l’Alphée, les deux oiseaux qui tout le jour chantaient, l’un ses anciens malheurs, l’autre ses plaisirs, aperçoivent un jeune berger qu’ils n’avaient point vu encore, et à l’instant tous deux, Rossignol et Fauvette, inspirés par les Muses, ils s’accordent à le célébrer dans un duo mélodieux : « Quel est donc ce berger, ou ce dieu inconnu, qui vient orner notre bocage ? […] C’est précisément le trait noté par Saint-Simon, dans ce portrait précédent qui nous montre le prince habile, jusque dans sa colère, à apercevoir le faible d’un raisonnement… Tout cela concorde.
Et j’en aperçois deux raisons. […] Mais, si tel est le devoir des parents, n’aperçoit-on pas qu’on ne peut, sans exagération, sans péril pour l’art, en étendre l’obligation aux écrivains ? […] Il doit prendre garde que la peinture, trop complaisamment poussée, d’un sentiment mauvais, d’un vice, d’une faute, ne fasse oublier au lecteur la perversité du sentiment ou de l’acte ; il faut qu’il mesure le danger de l’exemple qu’il crée lui-même, et que, par une habileté dont le public ne s’apercevra peut-être pas, sans le dire le plus souvent, il laisse aux manifestations de la volonté humaine leur caractère de liberté, de mérite ou de démérite. […] Dans ses fables, le paysage n’est presque jamais absent, mais le trait en est léger autant que précis ; il accompagne les personnages sans nuire à leurs mouvements, discret comme les lointains de la Toscane ou de l’Ombrie qu’on aperçoit dans les tableaux des primitifs italiens, derrière les auréoles.
A bien l’apercevoir, on devine dans quelle direction il faut chercher la solution du problème, en même temps qu’on découvre le mécanisme d’une des plus subtiles illusions de la pensée métaphysique. […] Que l’ébranlement cérébral contienne virtuellement la représentation du monde extérieur, cela peut sembler intelligible dans une doctrine qui fait du mouvement quelque chose de sous-jacent à la représentation que nous en avons, un pouvoir mystérieux dont nous n’apercevons que l’effet produit sur nous. […] Le corps ne se sent plus soulevé par l’objet aperçu, et comme c’est dans cette suggestion d’activité que consiste le sentiment de l’actualité, l’objet représenté n’apparaît plus comme actuel : c’est ce qu’on exprime en disant qu’il n’est plus présent. […] Elle n’a intérêt à l’apercevoir que lorsqu’elle se sent capable de l’utiliser, c’est-à-dire lorsque l’état cérébral présent dessine déjà quelques-unes des réactions motrices naissantes que l’objet réel (c’est-à-dire la représentation complète) aurait déterminées : ce commencement d’activité du corps confère à la représentation un commencement d’actualité.
Des tragédies grecques C’est surtout dans les pièces de théâtre qu’on aperçoit visiblement quelles sont les mœurs, la religion, et les lois du pays où elles ont été composées et représentées avec succès. […] Oreste tue sa mère ; Électre l’y encourage sans un moment d’incertitude ni de regrets ; les remords d’Oreste après la mort de Clytemnestre ne sont point préparés par les combats qu’il devait éprouver avant de la tuer ; l’oracle d’Apollon avait commandé le meurtre ; alors qu’il est commis, les Euménides se saisissent du coupable ; à peine aperçoit-on les sentiments de l’homme à travers ses actions. […] Dans les tragédies modernes, on aperçoit presque toujours, par le caractère du style, que l’auteur lui-même a éprouvé quelques-unes des douleurs qu’il représente.
J’en demande pardon aux personnes qui ont cru apercevoir dans les idylles d’André Chénier tout le naturel et l’ingénuité de l’ancienne Grèce, mais si elles eussent trouvé dans Delille un vers du genre de celui-ci : Les sons harmonieux que ma flûte respire, elles n’eussent pas manqué de se récrier contre l’affectation d’une telle périphrase. […] En admirant ses poésies, où l’on aperçoit plusieurs des parties des grands poètes, on y verra aussi la marque de l’inexpérience et de l’inachèvement ; on les regardera, non comme des pièces accomplies, mais comme des fragments, des ébauches, qui ne présentent guère, si ce n’est dans une ou deux pièces, une page entière où l’on ne reconnaisse, à côté des plus heureuses qualités de l’harmonie, de la sensibilité, de la grâce, les traces de l’affectation et de faux goût.
le monde lui-même, avec l’immensité de l’espace, dans lequel le Tout est contenu, et l’immensité du temps, dans lequel le Tout se meut, et la prodigieuse variété des choses qui remplissent l’espace et le temps, et, ce qui est presque insensé à dire, je m’y aperçus moi-même, allant et venant. […] Il n’a pas su montrer dans cette « volonté de vivre » qui, selon lui, fait le fond commun de tous les êtres, la vraie origine de nos idées universelles et nécessaires, des formes à la fois cérébrales et mentales à travers lesquelles nous apercevons toutes choses.
Bourget, on aperçoit combien le nouveau livre de M. […] Avec d’autres, il inaugure dans le roman, à côté de l’étude de l’amour, qui en restera la tâche et le prestige, l’étude de la haine qui commence à sourdre entre l’homme et la femme à une époque où ils aperçoivent l’antagonisme de leurs intérêts sociaux et devinent l’hostilité de leurs fonctions vitales.%220 % Certains vers de la Justice de Sully Prud-homme commentant certaines pages de Darwin, sont la préface de cette nouvelle tendance.
Sakaye regarda tout autour de lui et aperçut une case toute vermeille. […] que celui-ci ne pouvait plus apercevoir la terre.
Selon Condillac, quand nous comparons deux sensations, par exemple la sensation que nous avons eue et celle que nous avons, nous les apercevons à la fois toutes les deux… « Apercevoir ou sentir ces deux sensations, c’est la même chose96. » Barratt écrit à son tour : « Il n’y a rien dans la relation au-delà de ses deux membres ; le changement n’est qu’une courte conscience simultanée des deux sensations. […] Quand aujourd’hui nous prononçons sur l’identité de deux sensations, nous ne faisons que nous apercevoir de la non-différence, de l’absence de changement entre les deux états extrêmes auxquels deux changements inverses sont venus aboutir. […] Après tout, ce n’est pas la pensée pure qui fait l’égalité ; elle l’aperçoit, elle y fait attention, mais il faut pour cela que l’égalité soit réalisée, et réalisée dans un certain processus sensori-moteur. […] — Oui certes, répondrons-nous, je provoque des mouvements pour saisir cette égalité : je parcours des yeux les trois lignes, tout aussi bien que si je les parcourais avec mes mains, et en mouvant ainsi mes yeux, je m’aperçois de la superposition réelle des trois séries de sensations motrices répondant aux trois côtés parcourus ; ces trois séries se fondent et coïncident dans mon souvenir ; je m’aperçois qu’en passant de l’une à l’autre je ne sens pas de choc, de contraste, de contrariété. » Ce mécanisme de l’imagination est bien plus rapide et plus délicat que les instruments de vérification qui me permettraient de superposer les côtés : leur superposition est faite par mon imagination sans que j’aie besoin de mètre ; le sentiment d’égalité se produit comme résultat au bout de ce travail. […] Au lieu d’agir semblablement dans les cas semblables par un automatisme sans aucune conscience de la similitude, comme fait la bête, il agira semblablement dans les cas semblables avec conscience de la similitude, c’est-à-dire avec un sentiment de la ressemblance assez fort pour être réfléchi et aperçu.
Quelquefois, il est vrai, ce mécanisme est plus malaisé à apercevoir. […] Nous rions de quelque chose que cette disproportion peut, dans certains cas, manifester, je veux dire de l’arrangement mécanique spécial qu’elle nous laisse apercevoir par transparence derrière la série des effets et des causes. […] On appellera cette fois esprit une certaine disposition à esquisser en passant des scènes de comédie, mais à les esquisser si discrètement, si légèrement, si rapidement, que tout est déjà fini quand nous commençons à nous en apercevoir. […] Comment apercevoir ce qu’elles ont de commun entre elles, si l’on ne commence par déterminer la relation générale du spirituel au comique ? […] Quelquefois la phrase banale, sous le couvert de laquelle l’absurdité passe, est un peu plus difficile à apercevoir. « Je n’aime pas à travailler entre mes repas », a dit un paresseux.
Considérez celle de Dickens, vous y apercevrez la cause de ses défauts et de ses mérites, de sa puissance et de ses excès. […] En même temps, il a toujours sous les yeux ce cadavre abandonné dans le bois ; il le montre mentalement à tous ceux qu’il aperçoit, comme pour leur dire : « Regardez ! […] Dickens n’aperçoit pas les choses grandes : ceci est le second trait de son imagination. […] Toute haute d’abord, avant que nous l’ayons aperçue. […] Il reçoit la flatterie comme un tribut auquel il a droit, et aperçoit au-dessous de lui, à une distance immense, les hommes comme des êtres faits pour l’implorer et lui obéir.
Mais, pour les empêcher de souligner les lettres aperçues par des mouvements d’articulation appropriés, on exigeait qu’ils répétassent constamment une certaine syllabe pendant qu’ils regardaient l’image. […] Si je la retrouve, je la reconnais, en ce sens que les circonstances concomitantes de la perception primitive, me revenant à l’esprit, dessinent autour de l’image actuelle un cadre qui n’est pas le cadre actuellement aperçu. […] La cécité psychique, ou impuissance à reconnaître les objets aperçus, n’irait donc pas sans une inhibition de la mémoire visuelle, et surtout l’inhibition de la mémoire visuelle aurait invariablement pour effet la cécité psychique. […] Ce qui est aboli ici, c’est donc bien l’habitude de démêler les articulations de l’objet aperçu, c’est-à-dire d’en compléter la perception visuelle par une tendance motrice à en dessiner le schème. […] Ainsi, après avoir reconstitué l’objet aperçu, à la manière d’un tout indépendant, nous reconstituons avec lui les conditions de plus en plus lointaines avec lesquelles il forme un système.
Il a eu l’aperçu sous l’image. […] Beaucoup d’aperçus de son livre indiquent bien cette phase suprême d’un talent qui tend à rajeunir, comme les autres talents tendent à s’épuiser.
Thiers eut l’inconcevable tort d’adopter un moment, je ne sais par quelle concession de bon sens aux nécessités de tribune, mais dont sa justesse d’esprit ne tarda pas à apercevoir le vide, et qu’il jeta à la mer en se retirant du ministère, comme on noie ses poudres avant de rendre son pavillon. […] Pendant qu’on se prémunissait à Paris contre la maison d’Autriche, on ne s’apercevait pas que l’Angleterre s’inféodait l’univers insulaire et maritime, et affectait la monarchie universelle des flots, plus vaste trois fois que la monarchie universelle des continents. On ne s’apercevait pas que la Prusse rongeait, comme un champignon vénéneux, l’Allemagne du Nord, en s’alliant de génération en génération avec l’Angleterre, son soutien. […] On ne s’apercevait pas que le protestantisme, en s’étendant en Allemagne, y formait une ligue religieuse, la plus envenimée des ligues, contre l’Autriche, vieille catholique d’habitudes espagnoles sous Philippe II et le duc d’Albe ; on ne s’apercevait pas, enfin, qu’un empire mystérieux et immense était né en Moscovie, grandissait en Orient et au Nord, et allait bientôt demander un espace proportionné à sa croissance en Pologne, dans la Turquie d’Europe et dans la haute Allemagne. […] Le duc de Choiseul fut le premier qui s’aperçut que le cabinet français s’obstinait, par routine, à combattre des fantômes évanouis, en combattant la maison d’Autriche, dont la monarchie universelle était ensevelie depuis longtemps dans le tombeau de Charles-Quint.
Il est vraisemblable au reste que le Grand Nuage (Nubecula major) n’avait pas échappé à l’observation pénétrante des Arabes ; c’est très probablement le Bœuf blanc, el Bakar, visible dans la partie méridionale de leur ciel, c’est-à-dire la Tache blanche dont l’astronome Abdourrahman Sofi dit qu’on ne peut l’apercevoir à Bagdad ni dans le nord de l’Arabie, mais bien à Tehama et dans le parallèle du détroit de Bal-el-Mandeb. […] Si d’ordinaire les navigateurs ne commencent à apercevoir clairement les nuages magellaniques que sous des latitudes très rapprochées du Midi, sous l’équateur ou même plus loin vers le Sud, cela s’explique par l’état de l’atmosphère et par les vapeurs qui réfléchissent une lumière blanche à l’horizon. […] Elles ne renferment ni faits ni aperçus nouveaux. […] Vous aurez mis dans votre tête beaucoup de mots, beaucoup de nombres, mais pas une idée ; vous aurez appris que la mécanique céleste consiste dans la supposition des globes circulant appelés planètes, les uns brillants de leur propre lumière, les autres reflétant la lumière d’astres par eux-mêmes lumineux ; qu’au-delà de ces soleils immenses, si nous les comparons à notre petitesse, il se cache au fond d’un éther sans fond et sans bornes des milliers d’autres soleils gouvernant par leur mouvement d’autres systèmes, d’autres planètes ; que plus loin encore on aperçoit, sans savoir ce que c’est, des voies lactées, vaste épanchement d’étoiles répandues dans cet éther et que le télescope arrive à distinguer par leur noyau solide et distinct de cette lumière diffuse avec laquelle on les confondait ; que plus loin encore on aperçoit les nébuleuses, magasin flottant de matières enflammées qui germent dans l’éther pour éclore un jour en soleils ; que plus loin encore, et à des distances que le calcul se refuse à calculer, quelques soleils invisibles, auprès desquels le nôtre est un atome qui brûle un certain nombre de siècles, minutes à l’horloge des cieux, repoussent ou attirent d’autres systèmes étoilés, jusqu’à ce qu’ils les consument dans un cataclysme du ciel. […] Il ne peut pousser dans un espace donné qu’un seul de ces arbres monstrueux, qui accapare le domaine, et aux abords duquel on n’aperçoit que des individus d’une dimension beaucoup plus modeste.
C’est le don généreux, et que peu apercevront, d’une âme « pleine de feu, de douceur et de barbarie ». […] Il croit maintenant apercevoir les lèvres qui le donneraient. […] Malheureusement, il ne se contente pas de dire son émotion ; il veut l’analyser et on s’aperçoit immédiatement qu’il ne comprend rien au poète dont il parle. […] Ils s’éprennent des nouveaux gazouillements entendus et des dernières ailes aperçues voltigeantes dans le ciel ; mais ils ne sont point les couleurs des générations successives de doctrines. […] Mais aux premiers pas quelques éclairs illuminent brusques les ombres antérieures, et bien des cris d’espoir ou d’effroi nous avertiront que le point d’arrêt de l’artiste n’est pas à l’homme un but final et que, pour lointain, l’horizon aperçu n’est qu’une limite illusoire.
On s’en aperçut dès le premier jour, dès les premières heures, lorsque l’armée entière s’étant ébranlée à trois heures du matin, Vandamme, une des têtes de colonne les plus importantes, se trouva en retard et manqua au rendez-vous faute d’avoir été prévenu. […] Car, avant de rétrograder vers Ney, et lorsqu’il était en marche sur Bry, vers cinq heures, aperçu de loin par Vandamme et mal reconnu par l’un des officiers de ce dernier général, il avait donné des inquiétudes aux nôtres à un moment décisif, et avait contribué à suspendre un mouvement victorieux jusqu’à ce qu’on fut revenu d’une première erreur ; on y perdit près de deux heures bien précieuses. […] Napoléon les conjura encore par son génie à Fleurus ; et, voyant sa grande combinaison première, celle qui consistait à tourner les Prussiens, se faire attendre ou échouer, il en improvisa à l’instant une autre. « Tiens-toi tranquille, disait-il à Friant qui s’inquiétait, il n’y a pas qu’une seule manière de gagner une bataille. » Se portant, en effet, vers Ligny, à un endroit où le ruisseau fait coude, et d’où l’on apercevait, à travers une éclaircie d’arbrés, les corps prussiens échelonnés, il les prit en écharpe par du canon, et bientôt, dépassant Ligny même, il les fit attaquer à revers par sa garde.
La nature et son impulsion primitive sont beaucoup, j’admettrai même qu’elles sont tout en commençant ; mais l’usage qu’on en fait et le ménagement de la vie deviennent plus importants à mesure qu’on avance vers la maturité, et, dans ce second âge, le caractère définitif du talent, sa forme dernière se ressent profondément de l’arriéré qu’on porte avec soi et qui pèse, même quand on s’en aperçoit peu. […] Mais je m’aperçois que je m’éloigne, et que j’abuse de la permission de moraliser. […] À son ami le poëte Guiraud qui faisait d’assez beaux vers, mais qui bredouillait en les récitant : « Prends garde, Guiraud, lui disait Soumet : tu es comme les dieux, tu te nourris d’ambroisie, tu manges la moitié de tes vers. » Au même qui, dans une discussion, en était venu à forcer le ton sans s’en apercevoir : « Guiraud, lui disait-il, tu parles si haut qu’on ne t’entend pas. » Il disait de son gendre, en le présentant comme un homme savant et qui parlait peu : « C’est un homme de mérite, il se tait en sept langues !
On trouve bien çà et là dans les auteurs quelques pensées philosophiques, quelques réflexions morales propres à guider le lecteur dans la recherche des causes qui amenèrent la chute de la République ; mais ce ne sont que des aperçus partiels, des données incomplètes, des systèmes vagues et quelquefois superficiels. […] « Mais, convenons-en, sans manquer de respect à Tacite, la philosophie de l’histoire a eu souvent de bien meilleures inspirations que celle-ci, et il ne faut pas faire des prodiges d’esprit pour apercevoir que, si les hommes n’aimaient pas le pouvoir, ils ne se disputeraient pas pour le pouvoir. […] à ses fêtes pacifiques et à ses triomphes, sans s’apercevoir de tout ce qui voudrait se déchaîner toujours et sans cesser de croire à la sérénité des flots : y pense-t-on bien ?
On s’aperçoit souvent que le poète est contraint ou dirigé par sa soumission à l’orthodoxie : mais ce qui fait de Milton l’un des premiers poètes du monde, c’est l’imposante grandeur des caractères qu’il a tracés. […] On croirait d’abord que l’immoralité, ne reconnaissant point de bornes, devrait étendre la carrière de toutes les conceptions romanesques ; et l’on s’aperçoit, au contraire, que cette facilité malheureuse ne peut rien produire que d’aride. […] La vertu du père et la beauté de la mère s’aperçoivent déjà dans les enfants : leur faible raison grandit à chaque moment ; elle réclame bientôt le secours des soins assidus.
Enfin dans les deux descriptions j’apercevrai, non pas deux procédés seulement, ni deux arts, mais deux siècles et deux hommes : d’un côté, l’esprit lettré, l’orateur, qui raisonne sa sensation et ne conçoit rien que de triste hors des conditions du monde civilisé et de la vie de société ; de l’autre, le critique, l’artiste, capable de prendre tour à tour l’âme de tous les peuples, acceptant la sensation étrange et même illogique, habile à saisir la beauté dans les moins riants aspects de la nature, dans l’égalité monotone de la lumière. […] Quelques pages de quelques voyageurs, quelques tableaux aperçus dans les musées et les salons, quelques impressions d’enfance, de l’âge où l’on se fait d’immenses solitudes dans un coin de jardin, l’image persistante d’un long ruban de route poudreuse sous le grand soleil d’été, d’un angle de cour enflammé où l’air était suffocant, la lumière intense, tout cela se fondant, s’amalgamant, pourra dicter une page qui ne sera pas banale. […] « Supposez-vous, leur disait-on, dans une pareille situation, et vous n’aurez pas de peine à exprimer ce que le malheureux éprouve. » Le malheur, c’est que ni vous ni moi, nous ne pouvons-nous supposer vraiment, et du fond du cœur, sérieusement, dans une pareille situation : nous ne nous y voyons pas, et, dans la froide et tout intellectuelle hypothèse que nous faisons, nous n’apercevons qu’une chose : nous aurions peur, grand’peur.
Mais, la génération suivante s’en aperçut : au milieu de ces bibliothécaires qui bannissaient du vers souplesse et spontanéité, qui chassaient de la strophe tout ce qui est vie et poésie, qui s’imaginaient que l’expression nuit à la beauté et qui parlaient, sans même vouloir une alliance de mots hardie, de poésie savante ! […] en toute ingénuité, sans presque s’en apercevoir — son propre tempérament poétique. […] Sully-Prudhomme s’aperçut un jour que les autres hommes lui bâtissaient des maisons, lui tissaient des vêtements et lui pétrissaient du pain.
Car on apercevra dans cinquante ans ce manque d’harmonie entre l’idée et la parole et dans un siècle l’œuvre incertaine ne sera plus que ruines. […] En vain son âpre volonté de beauté extérieure lui fait jeter d’amples draperies sur ces squelettes, on finira par apercevoir leur néant et que ces riches vêtements les écrasent. […] Mais l’auteur est impuissant à les nouer en faisceau ; il ne paraît même pas les apercevoir simultanément et chacune, à l’instant où il l’exprime, semble pour lui l’explication totale.
L’ignorance et l’incertitude où l’on s’est trouvé à cet égard ont produit plusieurs fautes plus ou moins graves ; et ceux qui ont de suite aperçu cette vérité ont aperçu en même temps l’embarras de la situation, embarras qu’il est inutile d’expliquer ici, mais qui fut tel que toute erreur de calcul doit être pardonnée. […] En même temps que nos opinions étaient entraînées vers la démocratie, nos mœurs s’attachaient avec plus de force aux bienséances de l’aristocratie et à tous les goûts monarchiques : cette désharmonie, que bientôt nous aurons occasion d’examiner avec quelque détail, et qui subsiste toujours, nous fournira peut-être d’utiles aperçus.
Il y a un mot heureux de Guizot, et que je souligne parce que Guizot, que je voudrais entraîner, ne se permet guère l’imagination : « Comme un fanal, dans la nuit, brille au milieu des airs sans laisser apercevoir ce qui le soutient, même l’esprit de Shakespeare nous apparaît dans ses œuvres, isolé de sa personne. » Mais c’est justement à cause de la difficulté de saisir la vie de Shakespeare, d’empoigner le pied du fanal caché sous sa lumière, que la pensée la veut, cette vie, et qu’elle s’y obstine. […] Si l’espace dont je dispose le permettait, j’aimerais, par exemple, à citer un aperçu sur la comédie que ne pouvait écrire Shakespeare en Angleterre, et que Molière a pu écrire en France, qui me paraît une de ces pages crevant d’idées où il y a certainement plus de choses qu’il n’y a de mots. […] On s’en aperçoit particulièrement quand il arrive à cette terrible question des sonnets de Shakespeare, et qu’il sent la nécessité d’en caractériser l’inspiration, comme on sait, d’une si effrayante ambiguïté, aussi cachée que tout est caché dans Shakespeare.
Il n’aperçoit rien qui n’ait été déjà vu, et ce qui a mérité le nom d’aperçu dans d’autres histoires, il ne le voit même pas… Ainsi, il n’a pas l’air de se douter de la grandeur de Louis XI, aperçue dernièrement par Urbain Legeay.
En effet, Schopenhauer, comme tous les spirituels, vivra par les détails de son œuvre, les aperçus, les paradoxes mêlés à son système ou qui en sont sortis. […] Ribot, et sous le joug de cet Omniarque des badauds, dont la tyrannie phénoménale est une des choses les plus humiliantes qu’il y ait pour l’esprit humain, il lâcha en écho — à l’instar de Goethe — sa petite Théorie de la vision et des couleurs, un épisode de l’œuvre définitive publiée en 1819 : Le monde comme volonté et comme perception, dont le monde ne voulut ni ne s’aperçut… Ce fut comme s’il n’était pas ! […] Ce n’est ni celui de Hégel, ni celui de Fichte, mais ce serait peut-être celui de liant, si, du fond de son idéalisme transcendantal, ce captif du moi, comme Descartes, qui s’était enfermé le premier dans cette forteresse sans issue, n’avait pas aperçu la terrible vision d’un monde sans Dieu, et si, pour y échapper, il ne s’était pas jeté par la fenêtre de cette inconséquence que madame de Staël trouvait sublime !
Il faudra donc se rejeter sur le sens métaphysique du mot, et étayer le mouvement aperçu dans l’espace sur des causes profondes, analogues à celles que notre conscience croit saisir dans le sentiment de l’effort. […] De quel objet, extérieurement aperçu, peut-on dire qu’il se meut, de quel autre qu’il reste immobile ? […] Comment morcelons-nous la continuité primitivement aperçue de l’étendue matérielle en autant de corps, dont chacun aurait sa substance et son individualité ? […] Ne pouvons-nous pas concevoir, par exemple, que l’irréductibilité de deux couleurs aperçues tienne surtout à l’étroite durée où se contractent les trillions de vibrations qu’elles exécutent en un de nos instants ? […] Croire à des réalités distinctes des réalités aperçues, c’est surtout reconnaître que l’ordre de nos perceptions dépend d’elles, et non pas de nous.
parmi tous ces personnages très réels et très vivants, il n’en est pas un seul qui puisse être supposé celui que l’auteur voudrait être ; aucun n’a été soigné par lui à d’autre fin que pour être décrit en toute précision et crudité, aucun n’a été ménagé comme on ménage un ami ; il s’est complètement abstenu, il n’y est que pour tout voir, tout montrer et tout dire ; mais dans aucun coin du roman on n’aperçoit même son profil. […] Il se laisse faire et n’a pas même l’idée de s’apercevoir qu’il n’est pas heureux. […] Ses visites à la ferme, sans qu’il s’en aperçoive, sont devenues peu à peu un besoin, et au milieu de ses occupations pénibles une exception charmante : Ces jours-là, il se levait de bonne heure, partait au galop, poussait sa bête, puis il descendait pour s’essuyer les pieds sur l’herbe, et passait ses gants noirs avant d’entrer. […] Mais elle, qui a rêvé mieux, et qui s’est demandé plus d’une fois dans ses ennuis de jeune fille comment on faisait pour être heureuse, elle s’aperçoit assez vite, et dès sa lune de miel, qu’elle ne l’est pas.
Nous n’apercevons pas les qualités ou caractères généraux des choses ; nous éprouvons seulement en leur présence telle ou telle tendance distincte qui, dans le langage spontané, aboutit à telle mimique et, dans notre langage artificiel, à tel nom. […] Partant, de que nous appelons une idée générale, une vue d’ensemble, n’est qu’un nom, non pas le simple son qui vibre dans l’air et ébranle notre oreille, ou l’assemblage de lettres qui noircissent le papier et frappent nos yeux, non pas même ces lettres aperçues mentalement, ou ce son mentalement prononcé, mais ce son ou ces lettres doués, lorsque nous les apercevons ou imaginons, d’une propriété double, la propriété d’éveiller en nous les images des individus qui appartiennent à une certaine classe et de ces individus seulement, et la propriété de renaître toutes les fois qu’un individu de cette même classe et seulement quand un individu de cette même classe se présente à notre mémoire ou à notre expérience. — La seule différence qu’il y ait pour nous entre le mot bara, qui ne signifie rien, et le mot arbre, qui signifie quelque chose, c’est qu’en entendant le premier nous n’imaginons aucun objet ou série d’objets appartenant à une classe distincte et qu’aucun objet ou série d’objets appartenant à une classe distincte ne réveille en nous le mot bara, tandis qu’en entendant le second nous nous figurons involontairement un chêne, un peuplier, un poirier ou tel autre arbre, et qu’en voyant un arbre quelconque nous prononçons involontairement le mot arbre. […] Artifice admirable et spontané de notre nature : nous ne pouvons apercevoir ni maintenir isolées dans notre esprit les qualités générales, sortes de filons précieux qui constituent l’essence et font la classification des choses ; et cependant, pour sortir de la grosse expérience brute, pour saisir l’ordre et la structure intérieure du monde, il faut que nous les retirions de leur gangue et que nous les concevions à part. — Nous faisons un détour ; nous associons à chaque qualité abstraite et générale un petit événement particulier et complexe, un son, une figure facile à imaginer et à reproduire ; nous rendons l’association si exacte et si étroite que désormais la qualité ne puisse apparaître ou manquer dans les choses, sans que le nom apparaisse ou manque dans notre esprit, et réciproquement.
On s’en aperçoit à l’expression du visage, éclairé parfois d’illuminations subites, mais plus souvent inquiet et souffrant, comme d’un homme fatigué par la contention d’une pensée opiniâtre, et qui attend. […] Il a besoin d’apercevoir beaucoup d’objets d’un seul coup ; il en ressent comme un agrandissement subit ; et il a goûté tant de fois ce plaisir intense, qu’il n’y en a plus d’autres pour lui. […] Si vous rencontrez un intestin propre à digérer seulement de la chair et de la chair récente, l’animal a des mâchoires construites pour dévorer une proie, des griffes pour la saisir et la déchirer, des dents pour la couper et la diviser, un système d’organes moteurs pour la saisir et l’atteindre, des sens capables de l’apercevoir de loin, l’instinct de se cacher, de tendre des pièges, et le goût de la chair. […] Nous osons davantage : considérant qu’elles sont plusieurs et qu’elles sont des faits comme les autres, nous tâchons d’y faire apercevoir et d’en dégager par la même méthode que chez les autres le fait primitif et unique d’où elles se déduisent et qui les engendre.
Sîfrit résolut de rester à la cour afin d’apercevoir Brunhilt. […] Nul ne voit la personne qui en est revêtue ; elle peut entendre et voir, mais nul ne l’aperçoit. […] Gunther s’aperçut avec inquiétude de son artifice. […] Elles s’aperçurent alors qu’elles n’étaient pas complétement vêtues. […] « On apercevait les joueurs de viole se hâtant de porter leurs nouvelles.
De ce point de vue nous apercevons, dans l’idée de l’égalité, non un indicatif scientifique, purement intellectuel, mais une sorte d’impératif, à la fois sentimental et actif. […] Mais il suffit qu’on les ait aperçus dans leur généralité pour saisir ce qui constitue à nos yeux l’essence même des idées égalitaires.
Il est un nom célèbre qui va me suffire à résumer, à développer mon aperçu ; je m’en tiendrai à Mme Des Houlières. […] Elle est un digne contemporain de M. de La Rochefoucauld ; on s’aperçoit qu’elle savait le fond des choses de la vie, qu’elle avait un esprit très-ami du vrai, du positif même ; on ne s’en serait pas douté, à lui en voir souvent si peu dans l’expression. […] Mme Des Houlières, n’étant encore que Mlle de La Garde, eut pour maître Hesnault, et Bayle prétend qu’on s’en aperçoit bien. […] Redisant le mot de Flaccus, Répétant ma plainte trop vaine, Je vais donc où mon pas me mène, Vers les grands débris aperçus. […] Ce n’était qu’un rien que ce point littéraire ici aperçu ; j’ai tenu pourtant à ne le pas laisser fuir.
On s’aperçoit alors que cette pensée est singulièrement moins étroite et moins choquante qu’on ne croyait, et que l’Art poétique n’a pas été écrit précisément pour susciter l’abbé Delille ou M. de Jouy. […] On ne s’apercevrait guère, à lire l’Art poétique, qu’il a fait un Repas ridicule ou des Embarras de Paris. […] Il est tout simple que les anciens, avec la même raison, devant la même nature que nous, aient aperçu bien des vérités où notre expérience et notre recherche personnelles nous amèneront. […] Car, si l’imitation de la nature, et de la nature qu’aperçoivent et reflètent tous les esprits, est la loi souveraine, il semble bien que l’œuvre d’art doive avoir ces deux caractères : objectivité et impersonnalité. […] Dieux, déesses et tout le merveilleux païen, ne sont que des symboles, où tout le monde aperçoit immédiatement les éternelles vérités de l’ordre moral.
Plus tard Pouchkine trouva le style qui convient aux récits merveilleux, et quelques-unes de ses ballades sont de modèles en ce genre ; on s’aperçoit qu’il a étudié et surpris les procédés des conteurs populaires. […] On s’aperçoit en outre qu’il est brûlant de ferveur pour lord Byron, et il se jette sur ses traces avec l’étourderie d’un néophyte jurant in verba magistri. […] Pourtant il y a partout des personnes aussi ingénieuses que la prude de Molière pour apercevoir dans un livre bien des intentions scandaleuses que l’auteur lui-même n’a pas eues. […] Aleko, c’est le nom de son mari, s’aperçoit, au bout de quelques mois d’union, qu’il n’est plus aimé. […] Après avoir longtemps cherché dans le cœur humain tous les vices, toutes les bassesses, pour les flageller et les bafouer, il s’aperçoit tout à coup qu’à côté de ces honteuses misères, il y a des traits sublimes.
Si La Fontaine est d’un pays de coteaux et de petits cours d’eau, Bossuet n’a-t-il pas aperçu les mêmes aspects autour de Dijon, et Lamartine autour de Mâcon ? […] Il a fallu des siècles pour que l’homme aperçut la nature ; la description des villes date du réalisme moderne. Pour dix personnes placées devant un coucher de soleil, il y a dix manières plus ou moins complètes de l’apercevoir. […] Si l’on consulte ses souvenirs, on s’apercevra qu’il y a pour les admirateurs de Mérimée, par exemple, ou de Musset, d’Hugo, de M. […] On trouvera un aperçu de son œuvre dans Ernest Hébert.
On s’en aperçut d’ailleurs immédiatement ; le succès fut rapide, immense, universel. […] Nous aurons à y revenir, à l’apercevoir sous un autre aspect. […] Et c’est cela même que j’aperçois dans l’esprit d’Alfred de Musset. […] Il aperçoit passer un enterrement. […] Nous nous apercevons tous que le monde extérieur existe.
Puis, les moins perspicaces avaient fini par s’apercevoir du ridicule de cette soi-disant « Histoire Naturelle et Sociale d’une famille sous le Second Empire », de la fragilité du fil héréditaire, de l’enfantillage du fameux arbre généalogique, de l’ignorance médicale et scientifique profonde du Maître. […] Nous répudions ces bonshommes de rhétorique zoliste, ces silhouettes énormes, surhumaines et biscornues, dénuées de complication, jetées brutalement, en masses lourdes, dans des milieux aperçus au hasard des portières d’express.
Flaubert ne s’en est pas aperçu. […] Ne s’en aperçoivent-ils pas ? […] Pierre Lasserre a dû s’en apercevoir. […] Pierre Hamp veut bien s’en apercevoir. […] Thérive s’en est aperçu.
Les assistants apercevaient de la grâce dans cette façon d’insinuer que l’adversaire était simoniaque. […] Si vous nous racontez les exploits de Dieu comme ceux de Cromwell, d’un ton soutenu et grave, nous n’apercevons point Dieu, et comme il fait toute votre œuvre, nous n’apercevons rien du tout. […] On n’apercevait point encore le Faust panthéiste et la vague Nature qui engloutit les êtres changeants dans son sein profond ; on n’apercevait plus le paradis mystique et l’immortel Amour dont la lumière idéale baigne les âmes rachetées. […] Au style, on aperçoit sa belle robe fourrée, sa barbe en pointe par Van Dyck, son fauteuil de velours et son dais doré. […] Nous sommes à mille lieues de Shakspeare, et dans cette louange protestante de la famille, de l’amour légal, a « des douceurs domestiques », de la piété réglée et du home, nous apercevons une nouvelle littérature et un autre temps.
Pour saisir l’ensemble des espèces minéralogiques, il faut considérer d’avance un solide régulier en général, ses faces et ses angles, et dans cet abrégé apercevoir les innombrables transformations dont il est capable. Pareillement, si vous voulez saisir l’ensemble des variétés historiques, considérez d’avance une âme humaine en général, avec ses deux ou trois facultés fondamentales, et dans cet abrégé vous apercevrez les principales formes qu’elle peut présenter. […] Si enfin le sentiment d’obéissance a pour racine l’instinct de subordination et l’idée du devoir, vous apercevrez comme dans les nations germaniques la sécurité et le bonheur du ménage, la solide assiette de la vie domestique, le développement tardif et incomplet de la vie mondaine, la déférence innée pour les dignités établies, la superstition du passé, le maintien des inégalités sociales, le respect naturel et habituel de la loi. […] De même que dans un animal les instincts, les dents, les membres, la charpente osseuse, l’appareil musculaire, sont liés entre eux, de telle façon qu’une variation de l’un d’entre eux détermine dans chacun des autres une variation correspondante, et qu’un naturaliste habile peut sur quelques fragments reconstruire par le raisonnement le corps presque tout entier ; de même dans une civilisation la religion, la philosophie, la forme de famille, la littérature, les arts composent un système où tout changement local entraîne un changement général, en sorte qu’un historien expérimenté qui en étudie quelque portion restreinte aperçoit d’avance et prédit à demi les caractères du reste. […] Les vues métaphysiques d’Aristote sont isolées ; d’ailleurs chez lui, comme chez Platon, elles ne sont qu’un aperçu.
Mais les généralités peuvent être conçues sous deux aspects, ou comme aperçu d’une doctrine à établir, ou comme résumé d’une doctrine établie. […] Cette dernière considération est indispensable pour compléter l’aperçu général de la grande loi que j’ai indiquée. […] (1) Après avoir caractérisé, aussi exactement qu’il m’est permis de faire dans cet aperçu général, l’esprit de la philosophie positive, que ce cours tout entier est destiné à développer, je dois maintenant examiner à quelle époque de sa formation elle est parvenue aujourd’hui, et ce qui reste à faire pour achever de la constituer. […] Une classe distincte, incessamment contrôlée par toutes les autres, ayant pour fonction propre et permanente de lier chaque nouvelle découverte particulière au système général, on n’aura plus à craindre qu’une trop grande attention donnée aux détails empêche jamais d’apercevoir l’ensemble. […] Quoique je doive traiter spécialement cette question dans la prochaine leçon, je crois devoir, dès à présent, en faire la déclaration, afin de prévenir les reproches très mal fondés que pourraient m’adresser ceux qui, sur un faux aperçu, classeraient ce cours parmi ces tentatives d’explication universelle qu’on voit éclore journellement de la part d’esprits entièrement étrangers aux méthodes et aux connaissances scientifiques.
Et si ces interlocuteurs, comme cela arrivait quelquefois, avaient été des taquins eux-mêmes, de doubles malins, des gens d’esprit moqueurs, aimant avant tout le mouvement, la contradiction, lui, il ne s’en apercevait pas. […] Sur ce simple aperçu, on peut, en se reportant par la pensée en arrière, se représenter lequel, de Beyle ou de M. […] Viollet-le-Duc était un homme d’esprit, exact ; délicat, peu fécond, très-occupé d’ailleurs de fonctions administratives, qui avait précédé tout le monde dès le temps de l’Empire dans le goût des vieux auteurs français antérieurs à Malherbe et de la poésie du xvi siècle : le Catalogue qu’il a dressé de sa bibliothèque, et dans lequel il donne un aperçu de chaque auteur de sa collection, est un livre qui restera. […] Étienne, qui apercevait une paille dans l’œil de son voisin Ballanche, ne voyait pas une poutre dans le sien au même moment.
En lisant les Mémoires de Mme Roland, on aperçoit l’actrice qui travaille pour la scène et qui noie dans une foule de puérilités l’apologie de ses amis et la satire de ses ennemis : toutes les figures y sont peintes en buste et le plus souvent par le pinceau des passions. […] M. de Lamartine a là-dessus une fort belle page41 : c’est au point de départ de la jeune fille et à l’époque où Manon Phlipon voyait encore le monde et ses horizons lointains de sa fenêtre du quai de l’Horloge : « Du fond de cette vie retirée, elle apercevait quelquefois le monde supérieur qui brillait au-dessus d’elle ; les éclairs qui lui découvraient la haute société offensaient ses regards plus qu’ils ne l’éblouissaient. […] Ce La Blancherie, qui la préoccupa d’abord plus qu’elle n’a voulu le dire, n’avait que le vernis de l’agréable, rien de solide ; elle s’en aperçut assez vite. Roland plus tard, le vertueux Roland, n’eut que le solide et le sérieux sans rien d’aimable : elle finit aussi par s’en trop apercevoir à la longue.
Je n’ai pas aperçu un homme en blouse ou en bourgeron dans cette église où jadis le peuple était chez lui, où il venait oublier sa dure vie, s’enchanter d’une vision de paradis, de belles processions étincelantes de chasubles et de bannières et enveloppées d’encens comme une aurore de pourpre dans une brume d’or. […] Cela est donc d’une sagesse éminente. » Je ne garantis pas l’exactitude de cet aperçu : en tout cas, il ne serait vrai que des moines gais. […] Car ils lui empruntaient sa fragile apologétique sans le grand souffle qui la soutenait (en l’air), ses bizarreries de style sans sa prestigieuse imagination, toute sa manière enfin sans s’apercevoir qu’ils n’avaient ni ses dons originaux ni surtout son public. […] Expliquez-moi pourquoi, en vous parlant, je vous aime, vous qui n’êtes pas mon sang, vous que je ne connais, pour la plupart, que pour vous avoir aperçus du haut de cette chaire ?
Ceux qui s’aperçoivent du mensonge n’osent pas y contredire, car les clairvoyants et les sincères sont mal vus. […] « Ni Hobbes, ni Rousseau, dit-il, ne paraissent avoir aperçu tout ce qu’il y a de contradictoire à admettre que l’individu soit lui-même l’auteur d’une machine qui a pour rôle essentiel de le dominer et de le contraindre107. » — S’il y a contradiction, répondrons-nous, cette contradiction est dans notre constitution mentale elle-même ; dans la dualité de notre être et dans l’antagonisme qui met aux prises en nous deux âmes opposées : l’âme sociale et l’âme individuelle. […] L’idéaliste qui aspire à une société plus sincère et plus vraie s’aperçoit bientôt que la société nouvelle qu’il souhaite et à l’avènement de laquelle il travaille peut-être, il s’aperçoit que cette société porte déjà en elle le germe logique et nécessaire des mensonges nouveaux qui remplaceront les mensonges anciens et périmés, que tout régime politique et social est menteur par essence (Vigny), que la duperie mutuelle est la loi de toute société et que le mensonge de groupe ne fait que changer de forme.
Qu’est-ce donc qu’on aperçoit dans le fossé ? […] Ses idées, sans qu’il s’en aperçoive trop d’abord, commencent à prendre une certaine tournure. […] Il s’aperçoit que cette petite Marie, à laquelle il n’avait jamais songé pour sa beauté, est plus fraîche qu’une rose de buisson, et il se détaille le gracieux portrait en concluant : « C’est gai, c’est sage, c’est laborieux, c’est aimant, et c’est drôle… Je ne vois pas ce qu’on pourrait souhaiter de mieux. » Dans le chapitre qui suit la « Prière du soir » et qui a pour titre « Malgré le froid », il y a un moment où j’ai craint qu’une brusquerie fâcheuse ne vînt gâter la pureté de l’ensemble : mais que voulez-vous ? […] Il y a des moments où le chanvreur, qui est censé parler, oublie que c’est lui qui parle, et il s’exprime comme ferait directement Mme Sand ; puis il s’en aperçoit tout à coup, il remet des mots de campagne, des locutions vieillies, et cela fait un léger cahotement.
N’apercevez-vous pas, dans ce vestibule, comme des formes raides à l’attitude contrariée ? […] Mais moi, qui ne suis pas obligé d’apprendre par cœur le dogme dans le Catéchisme universitaire, moi qui ne suis pas même maître d’études, j’ai le droit d’apercevoir sous les passions et les doutes qui ont arraché à Musset, Byron, Hugo, des confessions navrantes, le roman moral de toute une génération, — et de le dire hautement. […] Bien des gens n’apercevront pas, derrière cette insouciance des dehors, la dignité intérieure ; bien des gens ne sauront pas voir, dans les mystificateurs du café Momus, cette vivacité et cet imprévu de l’esprit qui feront plus tard l’originalité de l’œuvre de l’artiste. — Le chef de bureau décoré qui économise sur les robes de sa femme et l’éducation de ses enfants pour entretenir discrètement une drôlesse à un petit théâtre, le magistrat cravaté de blanc qui vit en concubinage réglé avec sa cuisinière, crieront au scandale ! […] comme on s’aperçoit à chaque page qu’il s’est aventuré en pays étranger !
Chaque volume qu’on a publié séparément (et nous sommes au treizième) est un rideau relevé qui permet de mieux apercevoir, dans sa fourmillante perspective, l’immense multitude historique rangée par l’étiquette sur les gradins de l’hémicycle si magnifiquement ordonnancé qu’on appelle le xviie siècle. […] Mais il n’y a que la passion, cette idiote terrible, qui puisse bouffonner ainsi sans s’en apercevoir ! […] même bêtes, qui se sont fixées sur cette belle tête voilée historique, mais dont le voile de veuve, pieusement gardé, laissera toujours apercevoir la beauté, le caractère et le courage ! […] Nous n’apercevons Dubois qu’à travers ses Mémoires.
III Mais cette réserve faite sur le fond des choses, mais ce desideratum, posé, ce desideratum dont Aubryet, avec la libéralité de son esprit, ne méconnaîtra pas l’exigence, je n’ai plus qu’à louer, même sur le fond des choses, l’écrivain qui vient de montrer en critique tant d’aperçu et de fécondité. […] Pour mon compte, je ne crois pas que depuis madame de Staël il y ait eu dans la littérature un livre qui ait charrié, sur le flot mouvant des images, plus d’aperçus et de rapports piquants que le livre des Jugements nouveaux. […] Xavier Aubryet, je l’ai dit souvent déjà, a pour qualités premières l’aperçu et l’expression, — ces deux gonds d’or sur lesquels tournent les plus belles pages de ceux qui savent écrire. Esprit poétique aussi près de la poésie qu’on peut l’être quand on n’est séparé d’elle que par cette mince cloison, d’un cristal si divin, la transparente concision du vers, c’est par l’aperçu et l’expression qu’il fait trou et relief tout à la fois.
La grande ville exerce un attrait prodigieux, même sur les petites gens dont la vie est rude, fatigante, excédante ; elle possède un charme spécial, dont l’idée n’est pas nécessairement liée à celle de plaisir, mais qui consiste peut-être dans la perpétuelle activité où l’on se sent plongé, dans l’incessante distraction de l’esprit et des yeux qui n’aperçoivent plus aussi bien la fuite des jours, dans la facilité et l’urbanité des relations, dans leur fragilité même qui les renouvelle, en somme dans les moyens que l’homme y trouve d’échapper à lui-même. […] Je n’aperçois pas la supériorité de l’une sur l’autre. […] Sans doute ils trouveraient un décor indéfiniment renouvelé, dans ces paysages de villes et de campagnes dont la variété émerveille l’étranger et lui fait aimer notre pays, ce « splendide hexagone », comme dit miss Betham Edwars ; et ce serait déjà quelque chose de ne pas être exposé à relire la description des ponts de la Seine au soleil couchant, ou de la ville aperçue du haut de Montmartre à l’heure du bec de gaz. […] Les romanciers, dégagés du préjugé traditionnel, découvriraient la France du silence, celle qui sème et récolte pour Paris qui fait tant de bruit ; ils apercevraient la grandeur de sa mission qui est de perpétuer la race, de la nourrir et d’en maintenir l’énergie morale et les qualités essentielles par le constant apport d’éléments sains qu’elle envoie non seulement à Paris, mais dans toutes nos grandes villes.
Une circonstance particulière l’ayant amené à examiner le texte des Pensées de Pascal, il s’aperçut qu’il y avait de notables différences entre l’imprimé et le manuscrit original. […] Au commencement de la Restauration, elle accompagna son père, ambassadeur à Turin et à Londres ; elle présidait avec goût au cercle diplomatique et politique qui se formait naturellement chez l’ambassadeur de France ; elle ne permettait même pas qu’on s’aperçût, vers la fin, de la fatigue de l’âge chez le marquis d’Osmond, tant elle s’entendait avec discrétion aux grandes affaires. […] « Sainte-Beuve. » En attendant que ces volumes se réimpriment, j’y relève les inexactitudes au fur et à mesure qu’elles me sont signalées ou que moi-même je m’en aperçois.
Octave s’en aperçoit, les interroge, découvre la souffrance de Brigitte, reconnaît que tant de coups qu’il lui a portés ont tué en elle cet amour où elle ne voit plus qu’un devoir. […] Pourquoi le petit crucifix d’ébène aperçu l’arrête-t-il au moment de frapper ? […] Les très-jeunes gens surtout n’y regardent pas si longtemps, et sans marchander sur leurs impressions, comme les taureaux ardents qui n’aperçoivent que le voile de pourpre, ils s’y précipitent.
Il était si loin de la règle qu’il ne l’apercevait plus. […] Les personnages y sont généraux ; dans les circonstances particulières et personnelles, on aperçoit les diverses conditions et les passions maîtresses de la vie humaine, le roi, le noble, le pauvre, l’ambitieux, l’amoureux, l’avare, promenés à travers les grands événements, la mort, la captivité, la ruine ; nulle part on ne tombe dans la platitude du roman réaliste et bourgeois. […] Les étrangers ne l’aperçoivent pas, tant il est fin.
Le vieux janséniste s’apercevait bien de mes hérésies ; quand je lui lisais mes articles, je le voyais sourire à chaque phrase câline ou respectueuse. […] Ici, l’on trouvera, sans aucun dégrossissement, le petit Breton consciencieux qui, un jour, s’enfuit épouvanté de Saint-Sulpice, parce qu’il crut s’apercevoir qu’une partie de ce que ses maîtres lui avaient dit n’était peut-être pas tout à fait vrai. […] C’est ainsi qu’après avoir aperçu la première les vérités de ce qu’on appelle maintenant le darwinisme la France a été la dernière à s’y rallier.
On aperçoit dans les profondeurs des passages d’archanges vagues, sera-ce un jour des hommes ? […] Il est libre d’aller ou de ne point aller sur cet effrayant promontoire de la pensée d’où l’on aperçoit les ténèbres. […] Non, ta quantité ne décroît pas ; non, ton épaisseur ne s’amincit pas ; non, ta faculté n’avorte pas ; non, il n’est pas vrai qu’on, commence à apercevoir dans ta toute-puissance cette transparence qui annonce la fin et à entrevoir derrière lui autre chose que toi.
. — Ceux qui se servent de ces comparaisons ne s’aperçoivent pas qu’ils tombent dans ce genre de sophisme qui consiste à prouver le même par le même (idem per idem) : c’est ce qu’il n’est pas difficile d’établir. On nous oppose que les vibrations de l’éther deviennent de la lumière et de la couleur sans être en elles-mêmes ni lumineuses, ni colorées ; mais on oublie ce que les cartésiens avaient déjà si profondément aperçu, à savoir, que le mot de lumière signifie deux choses bien distinctes : d’une part, quelque chose d’extérieur, la cause objective, quelle qu’elle soit, des phénomènes lumineux, cause qui subsiste pendant, avant, après la sensation, et indépendamment d’elle ; d’autre part, la sensation lumineuse elle-même, qui n’est rien en dehors du sujet sentant. […] Comme Kant l’a si profondément aperçu, elles sont la forme de la pensée ; elles n’en sont pas la matière.
Mais je ne puis envisager que l’ensemble de mon sujet, et je dois me borner à des aperçus. […] Alors aussi, et par suite du mouvement général de l’Europe, cette Italie, si une d’esprit et de mœurs, produira un troisième siècle littéraire dont il n’est pas facile d’apercevoir encore les éléments épars. […] C’est un autre monde relativement à nous ; hâtons-nous donc de rentrer dans celui que nous habitons : tout ce que nous pouvons y apercevoir, quant à présent, c’est qu’il se forme quelque chose de nouveau, pour succéder à ce qui est menacé d’une mort si prochaine.
Je l’aperçois dans la rue : il est préoccupé de ses dettes, il marche tout en calculant. […] Alors seulement j’aperçois qu’ils sont différents au point de se contredire. […] Aussi son orchestre sans repli se laisse-t-il apercevoir d’abord dans toutes ses dimensions. […] Comme au milieu des paroles on aperçoit je ne sais quoi se débattre, c’est ainsi que nous attendrons son âme. […] Mais il l’appelle liberté ; et du même coup s’aperçoit que cette liberté nous fait cruellement défaut.
Et quand on croit l’avoir bien aperçu et qu’on l’exprime avec assurance, pour ne point avoir à craindre de rencontrer des observateurs informés de plus près, est-on plus certain d’avoir pénétré par conjecture jusqu’à l’intime vérité ? […] Décidément, ce genre de Portraits que l’occasion m’a suggéré, et dont je n’aurais pas eu l’idée probablement sans le voisinage des Revues, m’est devenu une forme commode, suffisamment consistante et qui prête à une infinité d’aperçus de littérature et de morale : celle-ci empiète naturellement avec les années, et la littérature, par moments, n’est plus qu’un prétexte.
Doudan a spirituellement raillé dans une de ses lettres ce commerce de banalités qui se fait dans le monde : Nous avons fait, M. d’Haussonville et moi, le complot d’accueillir Mlle de Pomaret par une suite de lieux communs débités d’un air tranquille et consciencieux, à l’effet de voir si elle s’apercevrait que nous avions baissé d’intelligence. […] Le pis est qu’on ne s’en aperçoit pas et que l’on croit bien véritablement exprimer son sentiment personnel ; on s’y affermit, on en conçoit la vérité en le voyant partagé par tant d’autres, qui lisent aussi le journal.
Le snob ne s’aperçoit pas que, d’être aveuglément pour l’art et la littérature de demain, cela est à la portée même des sots ; qu’il est aussi peu original de suivre de parti pris toute nouveauté que de s’attacher de parti pris à toute tradition, et que l’un ne demande pas plus d’effort que l’autre ; car, comme le dit La Bruyère, « deux choses contraires nous préviennent également, l’habitude et la nouveauté. » C’est par ce contraste entre sa banalité réelle et sa prétention à l’originalité que le snob prête à sourire. […] On s’en aperçoit quand on essaie d’être sincère avec soi-même et de juger vraiment par soi.
Excepté dans quelques-uns de ses chefs-d’œuvre, il n’aperçoit que le côté ridicule des choses et des temps, et montre, sous un jour hideusement gai, l’homme à l’homme. […] Il est très décidé en faveur de l’ordre social, sans s’apercevoir qu’il le sape par les fondements, en attaquant l’ordre religieux.
En chimie, par exemple, on pensait avoir une nomenclature régulière160 ; et l’on s’aperçoit maintenant qu’on s’est trompé. […] « Dans ce siècle même, dit Buffon, où les sciences paraissent être cultivées avec soin, je crois qu’il est aisé de s’apercevoir que la philosophie est négligée, et peut-être plus que dans aucun siècle ; les arts, qu’on veut appeler scientifiques, ont pris sa place ; les méthodes de calcul et de géométrie, celles de botanique et d’histoire naturelle, les formules, en un mot, et les dictionnaires, occupent presque tout le monde : on s’imagine savoir davantage, parce qu’on a augmenté le nombre des expressions symboliques et des phrases savantes, et on ne fait point attention que tous ces arts ne sont que des échafaudages pour arriver à la science, et non pas la science elle-même ; qu’il ne faut s’en servir que lorsqu’on ne peut s’en passer, et qu’on doit toujours se défier qu’ils ne viennent à nous manquer, lorsque nous voudrons les appliquer à l’édifice161. » Ces remarques sont judicieuses, mais il nous semble qu’il y a dans les classifications un danger encore plus pressant.
Agir devant ses enfants, et agir noblement, sans se proposer pour modèle ; les apercevoir sans cesse, sans les regarder ; parler bien, et rarement interroger ; penser juste et penser tout haut ; s’affliger des fautes graves, moyen sûr de corriger un enfant sensible : les ridicules ne valent que les petits frais de la plaisanterie, n’en pas faire d’autres ; prendre ces marmousets-là pour des personnages, puisqu’ils en ont la manie ; être leur ami, et par conséquent obtenir leur confiance sans l’exiger ; s’ils déraisonnent, comme il est de leur âge, les mener imperceptiblement jusqu’à quelque conséquence bien absurde, et leur demander en riant : Est-ce là ce que vous vouliez dire ? […] Voilà, madame, ce que je vous écrivais avant que de vous avoir lue : ensuite je me suis aperçu qu’entre plusieurs idées qui nous étaient communes, il n’y en avait aucune qui se contrariât.
P… s’empare du chapeau, le jette dans la rivière sans être aperçu, et se met à pousser des cris qui, en un clin d’œil, attirent un groupe de curieux vers les parapets. […] Le cocher, qui s’était endormi sur son siége, ne s’apercevait pas des efforts que faisait sa maîtresse pour ouvrir la portière. […] L’ingénieux vaudevilliste s’aperçoit qu’une échelle est appuyée contre le corps de bâtiment où se trouve le cabinet directorial dont il voit la fenêtre ouverte. […] Comme il bouleversait la cuisine, en ouvrant le tiroir d’une table, la première chose qu’il aperçut, ce fut une magnifique argenterie, parfaitement gravée au chiffre de M. de Balzac. […] Je lui avais inspiré quelque confiance, sans doute, — et, sans que je m’en sois aperçu, il a opéré dans mes poches un travail pneumatique qui a parfaitement réussi.
. — La conscience n’aperçoit que des totaux. […] Nouvelle preuve du travail sourd qui se passe au plus profond de notre être, hors des prises de notre conscience, et nouvel exemple des combinaisons latentes, compliquées, innombrables dont nous n’apercevons que les totaux ou les effets. […] À l’hôpital Saint-Antoine, une jeune fille hystérique, ayant pris dans sa main une boule d’eau bouillante, ne s’aperçut de son imprudence qu’en voyant plus tard de grosses cloches lever sur sa main. — Chez d’autres malades, la sensation de chaleur ou de froid est la seule qui manque. […] Quant à cette sensation plus forte et à ces sensations plus faibles, elles sont composées chacune de sensations successives plus courtes, lesquelles, isolées, peuvent encore être aperçues par la conscience, et dont le nombre est égal à celui des ébranlements aériens divisé par deux. À son tour, chacune de ces petites sensations est composée de deux sensations élémentaires successives, lesquelles isolées ne sont pas aperçues par la conscience.
On y croirait d’abord apercevoir des différences, mais pour peu qu’on essaie de les préciser, elles s’évanouissent, et tout se confond. […] Ce qui distingue un peintre d’un autre peintre, c’est ce qu’ils savent apercevoir l’un et l’autre de différent dans un même modèle. […] On ne l’aperçoit nulle part mieux que dans l’histoire des littératures. […] Peut-être encore devons-nous à l’influence de la scolastique cette habitude, non pas d’approfondir les questions, mais de les retourner sous toutes leurs faces, et ainsi d’en apercevoir des aspects inattendus, et des solutions ingénieuses, trop ingénieuses peut-être, assez voisines pourtant quelquefois de la vérité, qui est complexe, et qu’on mutile dès qu’on veut l’exprimer trop simplement. […] C’est la seconde phase de révolution du Roman de Renart. — On s’aperçoit des facilités infinies que ce nouveau cadre offre à la satire [Cf.
On aperçoit bien que c’est là l’opposé du principe de l’association humaine et qu’il faut y substituer d’autres lois. […] Les raisons qu’on aperçoit du premier coup d’œil, même justes, ne sont jamais suffisantes. […] Faible lumière d’abord, aperçue de quelques-uns seulement, la voilà qui grandit. […] Les yeux attentifs les aperçoivent sous forme de problèmes auxquels il est nécessaire de répondre avant que d’aller plus loin. […] On s’en est bien aperçu aussi.
J’aperçus une élévation circulaire, entourée d’un fossé presque comblé par le temps. « Est-ce encore un maïdane ? […] Fédia, fit-elle, dès qu’elle aperçut Théodore, tu n’as pas vu ma famille hier soir ; admire-la maintenant. […] Lavretzky et Lise s’en aperçurent tous les deux, et Lemm le comprit. […] En mettant Maria Dmitriévna en voiture, il s’aperçut de l’absence de Lemm. […] Il s’aperçut qu’elle pleurait.
Il est, en quelque sorte, à l’égard du christianisme, comme s’il ne s’en était pas aperçu. […] L’auteur aussi s’en est aperçu. […] » Gradoine s’aperçut que julien, plus fort que lui, était un anarchiste plus efficace. […] Amanda, ce qu’elle donnerait et ce qu’elle donne sans qu’il songe à s’en apercevoir, c’est tout un immense amour. […] Il s’en est aperçu, vers la fin de son roman.
On revoit le geste et la courbure du dos d’un ancien hôte, le corsage carré, les longs plis d’une robe amarante ; on entend presque des timbres de voix qui, depuis si longtemps, sont muettes ; on approche du puits, et l’on retrouve le sentiment de terreur vague que, tout petit, on éprouvait, lorsque, se haussant sur la pointe du pied, on apercevait la profondeur obscure, et le reflet de l’eau froide, tremblotante, à une distance qui semblait infinie. […] Mais nous sommes occupés ailleurs, nous pensons, nous rêvons, nous causons, nous lisons, et pendant tout ce temps nous négligeons le reste ; à l’égard des autres sensations, nous sommes comme endormis et en rêve ; l’ascendant de quelque image ou sensation dominatrice les retient à l’état naissant ; si, au bout d’une minute, nous essayons de les rappeler par le souvenir, elles ne renaissent pas ; elles sont comme des graines jetées à poignées, mais qui n’ont pas germé ; une seule, plus heureuse, a accaparé pour soi la place et les sucs de la terre. — Il n’est pas même nécessaire que ces sensations destinées à l’effacement soient faibles ; elles peuvent être fortes ; il suffit qu’elles soient moins fortes que la privilégiée ; un coup de fusil, l’éclair d’un canon, une douloureuse blessure échappent maintes fois à l’attention dans l’emportement de la bataille, et, n’ayant point été remarqués, ne peuvent renaître ; tel soldat s’aperçoit tout d’un coup qu’il saigne, sans pouvoir rappeler le coup qu’il a reçu. — Neuf fois sur dix, et peut-être quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, la sensation perd ainsi son aptitude à renaître, parce qu’il n’y a pas d’attention sans distraction, et que la prédominance portée sur une impression est la prédominance retirée à toutes les autres. […] Il en est de même d’un monument, d’une rue, d’un paysage, aperçus plusieurs fois, à différentes heures de la journée, au soir, au matin, par un temps gris, par la pluie, sous un beau soleil, si on les compare au même monument, au même paysage, à la même rue regardés pendant trois minutes, puis remplacés aussitôt par des objets tout différents. […] En effet, quand l’image de la forme aperçue tend à renaître, elle entraîne avec elle les images de ses différents accompagnements. […] Point du tout ; au bout de deux ou trois minutes, les objets si nettement aperçus se fondent en vapeurs ; et ces vapeurs s’évanouissent ; une demi-heure après, j’aurais peine à dire mon rêve ; pour m’en souvenir plus tard, je suis obligé de l’écrire à l’instant. — C’est que l’état physiologique et l’afflux du sang dans le cerveau ne sont pas les mêmes dans le sommeil et dans la veille, et que le second état, favorable au réveil de ses images, n’est pas favorable au réveil des images du premier état.
L’on aperçoit tous les symptômes d’une insurrection prête à éclater, si le signal en est donné par Wallstein. […] La manière dont Schiller développe les motifs qu’on leur présente, et gradue l’effet que produisent sur eux ces motifs ; la lutte qui a lieu dans ces âmes farouches entre l’attachement et l’avidité ; l’adresse avec laquelle celui qui veut les séduire proportionne ses arguments à leur intelligence grossière, et leur fait du crime un devoir, et de la reconnaissance un crime ; leur empressement à saisir tout ce qui peut les excuser à leurs propres yeux, lorsqu’ils se sont déterminés à verser le sang de leur général ; le besoin qu’on aperçoit, même dans ces cœurs corrompus, de se faire illusion à eux-mêmes, et de tromper leur propre conscience en couvrant d’une apparence de justice l’attentat qu’ils vont exécuter ; enfin le raisonnement qui les décide, et qui décide, dans tant de situations différentes, tant d’hommes qui se croient honnêtes, à commettre des actions que leur sentiment intérieur condamne, parce qu’à leur défaut d’autres s’en rendraient les instruments, tout cela est d’un grand effet, tant moral que dramatique. […] Mais à la représentation des pièces de Voltaire, on aperçoit fréquemment des lacunes, des transitions trop brusques. […] Il en résulte que beaucoup de choses qui nous paraissent des inconvenances, parce que nous n’y apercevons que les suites d’une passion, semblent aux Allemands légitimes et même respectables, parce qu’ils croient y reconnaître l’action d’un sentiment céleste. […] On n’aperçoit aucune disproportion entre leur destinée et la vigueur dont elles sont douées.
Vous reconnaîtrez leur signature de rêve et de misère, et vous apercevrez, du même coup, le secours qu’on peut attendre des notes. […] Mais n’aperçoit-on pas qu’elles pouvaient servir d’indication, et comment le rôle des cahiers et des carnets ne consiste pas simplement à rappeler des termes, des détails, des fragments d’histoire que la mémoire aurait pu perdre, mais surtout à renseigner l’écrivain sur la manière de traiter l’œuvre, sur ce qu’on nomme en peinture les valeurs ? […] Après quelque temps, la connaissance de l’atelier, le souvenir de conversations nombreuses, et de nombreuses lettres, me firent apercevoir jusqu’à l’évidence, parmi d’autres choses, l’obstacle au mariage, que les jeunes filles de la mode rencontrent dans leur profession même ; comment celle-ci les affine et les déclasse ; comment elles sont d’un monde par leur naissance et d’un autre par leurs rêves, partagées entre le luxe du dehors et la misère de chez elles, jetées de l’un à l’autre par le travail qui reprend ou le travail qui cesse, également impuissantes à oublier la richesse qu’elles côtoient et à faire oublier la condition d’où elles sortent. […] Supposez un taillis de jeunes chênes qui auraient conscience du développement graduel et de l’épanouissement de leurs bourgeons ; qui sentiraient grandir en eux la feuille, la branche, l’arbre que personne n’aperçoit, et qui penseraient : « Ah ! […] Il voit, avec une netteté qui ne laisse rien dans l’ombre, toute l’œuvre dont il n’a pas tracé une ligne, il l’aperçoit achevée, avec les portraits, les dialogues, les paysages, avec la beauté de rêve qu’il espère traduire.
Ne se sont-ils pas aperçus qu’ils étaient finis, hélas ! […] Il les enrichit de ce qu’il aperçoit lui-même de plus complexe et de plus varié dans l’essence intime de ce qui est. […] C’est en cela qu’on aperçoit tout d’abord la liberté du vers, et c’est ici que les adversaires du vers libre posent leur objection la plus spécieuse. […] Et puis il n’y a qu’à examiner une phrase française quelconque, un lambeau de phrase, pour s’apercevoir que cette affirmation est fausse. […] Mais il est impossible de ne pas apercevoir les étroites limites de cette poésie.
Il apercevait sa voie ; un connaisseur, M. […] Le premier vers résume tout le livre précédent, et le second résume tout le livre présent ; c’est une sorte d’escalier qui conduit d’un temple à un temple, régulièrement composé de marches symétriques et si habilement placées, que de la première on aperçoit d’un coup d’œil tout l’édifice qu’on quitte, et que de la seconde on aperçoit d’un coup d’œil tout l’édifice qu’on va visiter. […] Lorsqu’on passe en revue toute la file des poëtes anglais du dix-huitième siècle, on s’aperçoit qu’ils n’entrent pas commodément dans l’habit classique. […] D’ailleurs, sous la rhétorique et la facture uniforme des vers, on sent de la chaleur et de la passion, on aperçoit de riches peintures, une sorte de magnificence et l’épanchement d’une imagination trop pleine. […] Il est amateur du réel ; il a l’imagination précise, il n’aperçoit pas les objets en gros par des vues générales, mais un à un, chacun avec tous ses contours et tous ses alentours, quel qu’il soit, beau ou laid, sale ou propre.
Henri Beyle est, comme Paul-Louis Courier, du très petit nombre de ceux qui, au sortir de l’Empire en 1814, et dès le premier jour, se trouvèrent prêts pour le régime nouveau qui s’essayait, et il a eu cela de plus que Courier et d’autres encore, qu’il n’était pas un mécontent ni un boudeur : il servait l’Empire avec zèle ; il était un fonctionnaire et commençait à être un administrateur lorsqu’il tomba de la chute commune ; et il se retrouva à l’instant un homme d’esprit, plein d’idées et d’aperçus sur les arts, sur les lettres, sur le théâtre, et empressé de les inoculer aux autres. […] Parlant de l’impression que cause sur place la vue du Forum contemplé du haut des ruines du Colisée, et se laissant aller un moment à son enthousiasme romain, il craint d’en avoir trop dit et de s’être compromis auprès des lecteurs parisiens : « Je ne parle pas, dit-il, du vulgaire né pour admirer le pathos de Corinne ; les gens un peu délicats ont ce malheur bien grand au xixe siècle : quand ils aperçoivent de l’exagération, leur âme n’est plus disposée qu’à inventer de l’ironie. » Ainsi, de ce qu’il y a de la déclamation voisine de l’éloquence, Beyle se jettera dans le contraire ; il ira à mépriser Bossuet et ce qu’il appelle ses phrases. […] Mais au moment où ce défaut sommeille, en ces instants reposés où il redevient Italien, Milanais, ou Parisien du bon temps ; quand il se trouve dans un cercle de gens qui l’entendent, et de la bienveillance de qui il est sûr (car ce moqueur à la prompte attaque avait, notez-le, un secret besoin de bienveillance), l’esprit de Beyle, tranquillisé du côté de son faible, se joue en saillies vives, en aperçus hardis, heureux et gais, et en parlant des arts, de leur charme pour l’imagination, et de leur divine influence pour la félicité des délicats, il laisse même entrevoir je ne sais quoi de doux et de tendre dans ses sentiments, ou du moins l’éclair d’une mélancolie rapide : Un salon de huit ou dix personnes aimables, a-t-il dit, où la conversation est gaie, anecdotique et où l’on prend du punch léger à minuit et demi73, est l’endroit du monde où je me trouve le mieux. […] Comme critique, il n’a pas fait de livre proprement dit ; tous ses écrits en ce genre ne sont guère qu’un seul et même ouvrage qu’on peut lire presque indifféremment à n’importe quel chapitre, et où il disperse tout ce qui lui vient d’idées neuves et d’aperçus.
Né à Béziers en 1624, originaire de Castres, d’une famille protestante très distinguée dans la robe, ayant fait ses études dans le Midi, il y prit un grand goût pour les bons auteurs latins, Cicéron, Térence, et ne s’aperçut, au sortir du collège, que l’on pouvait bien écrire aussi en français, que lorsqu’il eut vu quatre ouvrages dont il garda toujours un souvenir reconnaissant : les Huit Oraisons de Cicéron alors récemment traduites, Le Coup d’État de Sirmond, un volume des lettres de Balzac, et les charmants Mémoires de la reine Marguerite. […] Ce n’étaient pas seulement Molière et La Fontaine, c’était Boileau qui n’en était pas, et il n’en fut un jour que parce que Louis XIV, sur une question qu’il lui adressa, s’aperçut avec étonnement de cette absence. […] On s’en aperçoit bien quand, par hasard, ils s’absentent et font défaut. […] Mais je m’aperçois que cette vue suppose et demande toujours une suite ou au moins une fréquence de Richelieux historiquement impossibles.
Ou aperçoit le bout d’oreille d’auteur. […] Sophie, Sophie, juge à quel point je ressens l’amitié, puisque c’est chez moi le seul sentiment qui ne soit pas captif. » Mais Sophie seule, même en amitié, ne suffit plus ; vers le milieu de cette année 1776, on aperçoit quelque baisse, on entend quelque légère plainte : « Sophie, Sophie, vos lettres se font bien attendre… » En même temps que d’un côté on pensait à La Blancherie, de l’autre, à Amiens, on pensait au cloître ; Sophie avait eu l’idée, un momeni, de se faire religieuse. […] Son père se dérange et se ruine ; elle s’en aperçoit, elle veut tout savoir, et il lui faut sourire au monde, à son père, et dissimuler : « J’aimerais mieux le sifflement des javelots et les horreurs de la mêlée, s’écrie-t-elle par moments, que le bruit sourd des traits qui me déchirent ; mais c’est la guerre du sage luttant contre le sort. » Elle venait de lire Plutarque ou Sénèque, quand elle proférait ce mot stoïque ; mais elle avait lu aussi Homère, et elle se disait, dans une image moins tendue et avec sourire : « La gaieté perce quelquefois au milieu de mes chagrins, comme un rayon de soleil à travers les nuages. […] Mais moi-même je m’aperçois que je tombe dans l’inconvénient reproché, et que je vais empiéter sur la zone un peu terne et prosaïque de la vie.
Rien de rembranesque comme l’aspect de ce lieu qui servait aussi de grange et de pressoir : des bœufs qui ruminaient leur pitance, des ânes qui secouaient l’oreille, des agneaux qui tétaient leur mère, des chèvres qui traînaient la mamelle, des pâtres qui retournaient la litière à la fourche ; et, quand un trait de lumière enfilait l’ombre des piliers et des voûtes, on apercevait confusément des fenils bourrés de fourrage, des chariots chargés de « gerbes, des cuves regorgeant de raisins, et une lanterne éteinte pendant à une corde. […] Et le soir, quand la nef harmonieuse de la cathédrale s’endormit couchée les bras en croix, il aperçut de l’échelle, à l’horizon, un village incendié par des gens de guerre, qui flamboyait comme une comète dans l’azur. […] Bertrand était un de ces preneurs de cigales ; et pour entière ressemblance, comme ce petit berger de Théocrite, il ne s’aperçut pas que durant ce temps le renard lui mangeait le déjeuner. […] Mais l’hiver, quel plaisir, quand le matin aurait secoué ses bouquets de givre sur mes vitres gelées, d’apercevoir bien loin, à la lisière de la forêt, un voyageur qui va toujours s’amoindrissant, lui et sa monture, dans la neige et dans la brume !
Il ne cessa, depuis lors, d’écrire et d’épier, dans cette vue, tout ce qu’il pourrait savoir, apercevoir et deviner des choses de son temps. […] À une certaine heure de la nuit, et la nouvelle positive de la mort s’étant répandue, nous assistons par lui, dans cette grande galerie de Versailles, à un immense tableau dont la confusion apparente laisse apercevoir pourtant une sorte de composition, que je ne ferai qu’indiquer. […] On ne s’aperçoit déjà que trop, et, si je poussais plus loin les citations dans la suite et le développement des scènes, on s’apercevrait de plus en plus que l’auteur ne se contient pas ; il déborde : c’est là son défaut.
Aussi dit-on qu’elle s’ennuyait quelquefois de la moitié du lit, et que, quand le bonhomme était endormi, elle faisait prendre sa place à une femme de chambre, et que le vieux président ne s’apercevait de rien. […] Tous les anciens amis de la reine sont revenus après une disgrâce plus ou moins longue : chacun d’eux compte sur la même faveur qu’autrefois, et ils ne s’aperçoivent pas d’abord que cette reine, qu’ils avaient laissée opprimée par Richelieu, sans enfants et encore Espagnole de cœur, est devenue mère, toute aux intérêts du jeune roi, et une reine toute française. […] L’intérêt qui nous aveugle nous surprend et nous trahit dans les occasions qui nous regardent ; il nous fait agir avec plus de sentiment que de lumières, et il arrive même assez souvent qu’on a honte de ses faiblesses ; mais on ne le peut apercevoir que par la sage réflexion que chacun se doit à soi-même, et après que l’occasion de mieux faire est passée. […] Mais je m’aperçois que j’ai choisi le sujet de Mme de Motteville pour me distraire un moment, moi et, s’il se peut, mes lecteurs, du spectacle pénible de nos dissensions présentes, et je ne veux pas y retomber par les allusions qu’elle me fournirait trop aisément.
Doué d’une taille avantageuse et de qualités physiques auxquelles il mit toujours du prix, il sut, dès ses premiers pas, se faire compter dans le monde par sa tenue, son calme, par une manière d’être qui annonçait déjà un caractère arrêté, par beaucoup d’aperçus dans l’esprit, « d’autant plus originaux que la plupart étaient sans solution » ; il les faisait valoir encore par une tournure d’expression précise et neuve. […] Arrivé en province, à Moulins, il s’aperçoit aisément que la proscription ne l’y atteindra pas : il aurait même pu se montrer sans danger et reparaître, s’il n’y avait pas vu une espèce de bravade, et par conséquent un défaut de convenance : « Mais, ajoute-t-il, il faut être poli, même avec les révolutions. » On doit déjà saisir le ton de cet esprit fin, ironique, épigrammatique, et légèrement impertinent jusque dans les choses sérieuses : son mérite est de renfermer bien du bon sens et des vues justes sous cette forme-là. […] Les premières parties de ces notes sont pleines, d’ailleurs, d’excellentes observations et d’aperçus dont un chef d’État pouvait faire son profit. […] Fiévée s’aperçut qu’il avait travaillé pour d’autres, et que le ministère tombait sous la domination d’une coterie politique et d’une congrégation religieuse, auprès desquelles il avait peu de chances de se faire écouter et compter pour ce qu’il valait.
Marmont n’est pas seulement un homme de guerre, c’est un homme d’esprit qui juge, qui a des aperçus supérieurs, et qui, en toute matière, pénètre à la philosophie et à la moralité de son sujet. […] Il s’aperçut de ces négligences, et voulut les réparer. Au même moment, un général Maucune, « homme de peu de capacité, mais très brave soldat », qui ne pouvait se contenir en présence de l’ennemi, descendit sans ordre d’un plateau où il était posté, et qui, bien occupé, devait être inexpugnable : Je m’en aperçus, dit le maréchal, et lui envoyai l’ordre d’y remonter. […] Je me décidai à prendre à l’instant même un poste de 60 hommes, qui était à portée ; sa faiblesse ne pouvait pas être aperçue par l’ennemi dans un pareil défilé.
Vous serez attendri par les grands mots qu’ils répètent d’un ton sublime, et vous n’apercevrez jamais dans leur poche le manuel héréditaire où ils les ont pris. […] Vous apercevrez dans l’État les bienfaits infinis que nulle tyrannie n’abolit et les inclinations sociables que nulle méchanceté ne déracine. […] Il se moque ; mais est-ce que dans sa moquerie vous apercevez quelque intention meurtrière ? Il s’emporte ; mais est-ce que dans ses colères vous apercevez un naturel haineux et méchant ? […] Je ne me rappelle pas une seule ligne de lui qui indique un sentiment vrai de la nature ; il n’apercevait dans les forêts que des bûches et dans les champs que des sacs de grain.
Comme il n’a regardé que de loin, il n’a aperçu que les points saillants, qui se sont pour lui rapprochés et confondus ; il rattache, par exemple, l’affaire de Loudun à celle de Cinq-Mars. […] Par malheur, le langage résiste souvent à la pensée et se plie avec peine à l’inspiration : de là quelque chose de prétentieux, ou, comme d’autres disent, de romantique, surtout dans les préambules où l’auteur parle en son nom, plusieurs fois même dans le dialogue ; lorsque Cinq-Mars et Marie de Gonzague s’entretiennent, on s’aperçoit trop que M. de Vigny est en tiers avec eux.
… Le fou ne s’aperçoit pas qu’il en change. […] La critique moqueuse de notre époque s’est égayée là-dessus ; cette critique pousse de toutes ses forces à l’individualisme, croyant produire ainsi l’originalité, et elle ne peut apercevoir la moindre apparence d’association et de bien sans tâcher malicieusement de les ronger, de les dissoudre.
I Lorsque vous montez sur l’arc de triomphe de l’Étoile et que vous regardez au-dessous de vous du côté des Champs-Élysées, vous apercevez une multitude de taches noires ou diversement colorées qui se remuent sur la chaussée et sur les trottoirs. […] III Maintenant, supposons qu’au lieu de m’appesantir sur ce mot Tuileries et d’évoquer les diverses images qui lui sont attachées, je lise rapidement la phrase que voici : « Il y a beaucoup de jardins publics à Paris, des petits et des grands, les uns étroits comme un salon, les autres larges comme un bois, le Jardin des Plantes, le Luxembourg, le bois de Boulogne, les Tuileries, les Champs-Élysées, les squares, sans compter les nouveaux parcs qu’on arrange, tous fort propres et bien soignés. » Je le demande au lecteur ordinaire qui vient de lire cette énumération avec la vitesse ordinaire : quand ses yeux couraient sur le mot Tuileries, a-t-il aperçu intérieurement comme tout à l’heure quelque, fragment d’image, un pan de ciel bleu entre une colonnade d’arbres, un geste de statue, un vague lointain d’allée, un miroitement d’eau dans un bassin ?
On n’aperçoit pas où en était le latin populaire quand la Gaule le reçut, ni ce qu’en firent ces bouches et ces esprits de Celtes pendant les siècles de la domination romaine : on ne peut mesurer à quel point les habitudes intimes et comme l’âme de la langue celtique s’insinuèrent dans le latin gallo-romain. […] Un jour vient où dans le latin décomposé, désorganisé, se dessine un commencement d’organisation sur un nouveau plan ; un jour vient où les hommes qui le parlent s’aperçoivent qu’ils ne parlent plus latin : le roman est né ; c’est-à-dire en France, le français.
Dans ses poèmes il mettrait les conseils au temps présent, les esquisses rêveuses de l’avenir ; le reflet, tantôt éblouissant, tantôt sinistre, des événements contemporains ; les panthéons, les tombeaux, les ruines, les souvenirs ; la charité pour les pauvres, la tendresse pour les misérables ; les saisons, le soleil, les champs, la mer, les montagnes ; les coups d’œil furtifs dans le sanctuaire de l’âme où l’on aperçoit sur un autel mystérieux, comme par la porte entr’ouverte d’une chapelle, toutes ces belles urnes d’or, la foi, l’espérance, la poésie, l’amour ; enfin il y mettrait cette profonde peinture du moi qui est peut-être l’œuvre la plus large, la plus générale et la plus universelle qu’un penseur puisse faire. […] À chaque ouvrage nouveau qu’il met au jour, il soulève un coin du voile qui cache sa pensée et déjà peut-être les esprits attentifs aperçoivent-ils quelque unité dans cette collection d’œuvres au premier aspect isolées et divergentes.
Un homme, en ce temps-là, s’aperçut un jour de la monstruosité sous laquelle le monde vivait en paix et allait son train. […] Cette préface, qui ne dit rien parce que le livre qui la suit dit tout, n’est que l’index tendu vers ce livre qu’il faut montrer aux autres pour qu’ils l’aperçoivent.
Le pasteur s’en aperçoit. […] Herman ne ralentit la course de ses chevaux qu’au moment où il aperçoit tout près devant lui le clocher du village et les premières maisons entourées de jardins. […] Je vois distinctement les maisons, les tours de la ville, et j’aperçois une fenêtre au-dessous du toit ; il me semble que je pourrais en compter les vitres. « — Cette maison que tu aperçois, dit le jeune homme, est notre demeure ; c’est là que je te conduis, et cette fenêtre est celle de ma chambre, qui deviendra la tienne peut-être, car nous ferons des changements dans notre maison. […] mon regard timide ne pouvait discerner le penchant de ton cœur ; quand tu me saluas dans le miroir de la source, je n’aperçus que de l’amitié dans tes yeux !
J’aperçois dans les vignes quelques chapeaux qui se lèvent au bruit du sabot de mon cheval sur les pierres et quelques gestes affectueux et tristes qui me disent : « Nous reconnaissons de loin, nous aimons toujours notre ancien maître ; pourquoi la rigueur du ciel nous en a-t-elle séparés ? […] Tenez, voyez, continua-t-il, il paraît qu’il est à Monceau pour faire ses vendanges, car les fenêtres sont ouvertes sur sa terrasse et l’on aperçoit d’ici la rangée de tonneaux le long de ses pressoirs. […] Alors nous restâmes immobiles et nous regardâmes sans rien dire pour bien nous entrer dans les yeux la cour, la maison et le jardin dont nous apercevions un coin par une grille de bois cassée sur la droite. […] On n’entendait ni coq ni poule, on n’apercevait ni toit ni fumée dans l’étroite vallée ; un merle seulement traversait de temps en temps le sentier, en jetant un cri d’effroi et en laissant tomber quelques plumes. […] Au lieu de suivre notre sentier qui nous conduisait comme s’il avait eu des yeux, craignant de nous égarer en allant trop à droite, nous prîmes un autre sentier à gauche qui montait dans les bois et qui paraissait redescendre ensuite dans une plus large vallée, dont nous n’apercevions pas le bas.
Des hommes l’auraient faite plus vraisemblable, ne fût-ce que pour pouvoir l’accréditer. 2° Deus absconditus : il est essentiel à la religion qu’elle soit incompréhensible, incertaine : sinon, si tout le monde la comprend, en aperçoit la vérité et la divinité, tout le monde y croira, et tout le monde sera sauvé. […] Les choses qu’on lit ailleurs, dans Montaigne même, sans y faire grande réflexion, ni y apercevoir grande conséquence, prennent, lorsqu’il les rend, presque dans les mêmes termes, une gravité, une portée qui saisissent l’esprit : par un mot, ou même par l’insaisissable frémissement de sa phrase, on sent qu’il y voit un monde, et on se dispose à l’y voir avec lui. […] Que lui reste-t-il donc, « sinon d’apercevoir quelque apparence du milieu des choses » ? […] La connaissance scientifique est essentiellement incomplète et relative ; c’est ce qu’aperçoit nettement Pascal, au début d’un âge scientifique, et cela désespère ce grand esprit, avide d’une certitude absolue et infinie. […] Si on l’étudie de près, on apercevra que le secret de son énergie est dans le procédé scientifique que Pascal applique aux mots, manifestant leur définition et utilisant leurs liaisons dans les emplois qu’il en fait : le respect de leur propriété, et le choix de leur place, tout se ramène là.
Un jour vient où il s’aperçoit que la méthode d’observation directe est insuffisante pour tout voir. […] Car le spectateur, à la fin, s’aperçoit que tout cela n’est pas assez sérieux. […] Il n’aperçoit ses confrères que par rapport à lui-même. […] C’est à travers de telles images qu’il aperçoit habituellement la nature. […] Ce qu’il aperçoit sous l’azur pâli du ciel, c’est « une chair vivante.
La Tour Eiffel, s’il avait eu le bonheur de l’apercevoir, l’aurait exalté davantage encore qu’elle n’exalte M. […] Mais pas un moment Walt Whitman ne s’est aperçu de l’affreux état de ce qui l’entourait. […] Par instants, il apercevait un grand idéal, dans la nuit montante de sa pensée : il voulait le saisir et ne pouvait. […] Mais peu à peu, l’on s’aperçoit que cette impression est due, somme toute, à des moyens faciles, et a vite fait de s’atténuer. […] Ibsen, après dix ans de ces vains efforts de moraliste, paraît s’être aperçu de leur vanité.
Il lui arrive de s’essayer à prendre des airs dégagés ; c’est alors qu’on aperçoit quelle est au vrai sa nature d’esprit. […] Bourget a mis du temps à s’en apercevoir ; mais telle est bien sa conclusion dernière. […] Elles sont fécondes en aperçus. […] Au critique de les y apercevoir et de les signaler, s’il veut être « complet et consciencieux ». […] J’aperçois, pour ma part, deux moyens qu’ils auraient de faire œuvre utile.
Cette similitude du Français et de l’enfant, qui ne se bornait pas à un simple aperçu comme en ont les gens d’esprit, mais qui était l’idée favorite de l’abbé, revient continuellement dans ces notes de Rousseau : « Il était mal reçu des ministres et, sans vouloir s’apercevoir de leur mauvais accueil, il allait toujours à ses fins ; c’est alors surtout qu’il avait besoin de se souvenir qu’il parlait à des enfants très fiers de jouer avec de grandes poupées. » — « En s’adressant aux princes, il ne devait pas ignorer qu’il parlait à des enfants beaucoup plus enfants que les autres, et il ne laissait pas de leur parler raison, comme à des sages. » Rousseau, à qui tant de gens feront la leçon pour sa politique trop logique et ses théories toutes rationnelles, sent très bien le défaut de l’abbé de Saint-Pierre et insiste sur la plus frappante de ses inconséquences : « Les hommes, disait l’abbé, sont comme des enfants ; il faut leur répéter cent fois la même chose pour qu’ils la retiennent. » — « Mais, remarquait Rousseau, un enfant à qui on dit la même chose deux fois, bâille la seconde et n’écoute plus si on ne l’y force. […] L’abbé de Saint-Pierre avait bien quelque vague soupçon qu’il pouvait ennuyer parfois, — qu’il avait pu autrefois ennuyer ; mais il ne s’en rendait point parfaitement compte, et il se flattait de s’en être assez bien corrigé « Quand j’arrivai à Paris, disait-il, je disputais avec tout le monde ; enfin, m’étant aperçu que la raison ne ramenait personne, j’ai cessé de disputer ».
Les premiers qui s’éloigneraient, pourraient détacher ceux qui restent, et celle qui semble l’objet de toutes leurs pensées, s’aperçoit bientôt qu’elle retient chacun d’eux par l’exemple de tous. […] Elle observe les regards, les plus légers signes de l’opinion des autres, avec l’attention d’un moraliste, et l’inquiétude d’un ambitieux, et voulant dérober à tous les yeux le tourment de son esprit, c’est à l’affectation de sa gaîté pendant le triomphe de sa rivale, à la turbulence de la conversation qu’elle veut entretenir pendant que cette rivale est applaudie, à l’empressement trop vif qu’elle lui témoigne, c’est au superflu de ses efforts enfin qu’on aperçoit son travail. […] On ne tarde pas à s’en apercevoir, et le chagrin que cause une telle découverte augmente encore le mal qu’on voudrait réparer.
. — Est-ce à dire que j’aperçoive distinctement la série infinie de ces éléments ? […] Ce que nous apercevons, c’est un caractère général du dividende et du reste. […] Cette qualité abstraite est la cause de toute la série ; elle la force à être infinie ; c’est elle seule que nous apercevons ; quand nous disons que nous concevons la série comme infinie, cela signifie seulement que nous démêlons cette propriété de régénération inépuisable : nous ne saisissons que la loi génératrice ; nous n’embrassons pas tous les termes engendrés. — Mais pour nous l’effet est le même ; car, appliquant la loi, nous pouvons définir n’importe quel terme de la série, mesurer exactement le surcroît d’approximation qu’il apporte au quotient, chiffrer rigoureusement le degré d’inexactitude que la division renferme encore, si ou l’arrête là.
Mais la transition de Marot à Ronsard se fait surtout par l’école lyonnaise : Despériers s’y rattache, et par ses longs séjours à Lyon, et par ses vers dont la médiocre qualité laisse pourtant apercevoir quelque profondeur sérieuse de sentiment et certain effort d’invention rythmique. […] Nous apercevons déjà un caractère de cette révolution littéraire : la volonté y a autant de part que la spontanéité. […] 2° « Tu composeras hardiment des mots à l’imitation des Grecs et des Latins. » Ce conseil de Ronsard contient une demi-vérité : le mode de composition qu’il indique est bien français ; mais s’il n’eût subi la fascination des langues anciennes, il se fût aperçu que notre langue ne compose ainsi que des substantifs : pourquoi un gosier mâche-laurier est-il ridicule ?
Là même où domine l’idée, où la vérité plus que la beauté a été l’objet de l’écrivain, l’impression et l’interprétation personnelle sont à leur place : tout le monde ne voit pas tout ; les œuvres fortes ne se livrent qu’aux forts esprits ; et l’on se propose précisément, par l’exercice dont nous parlons, de former chez les jeunes gens une habitude d’aller au-delà du sens grossier que nul ne manque d’apercevoir, et un art de rassembler — dirai-je de mobiliser rapidement toutes leurs facultés, pour arracher au texte le plus possible de son secret. […] Lorsque, au cours du XVIIIe siècle, s’introduisit l’habitude de mettre au programme des classes des ouvrages en français, auxquels le XIXe siècle fit la part de plus en plus large, on finit bien par s’apercevoir qu’on n’y comprenait pas tout, et qu’il y avait des ouvrages qui devenaient de plus en plus difficiles à comprendre. […] Au bout de quelques années, les Inspecteurs généraux s’aperçurent que les lycées et les collèges étaient pleins de petits Brunetières qui débitaient en tranches nos quatre siècles de littérature moderne devant des classes passives et mornes.
Plus tard, elle s’éprend d’une mélodie élégante et simple qu’elle n’avait pas d’abord aperçue, et chaque jour elle fait de nouvelles découvertes ; elle s’étonne de sa première ignorance, et la curiosité se rajeunit à mesure que la pénétration se développe. […] Comme elles aperçoivent en dedans un monde supérieur plus grand, plus beau, plus varié ; comme elles ont peuplé leur conscience des souvenirs d’une vie imaginaire ; comme elles comparent incessamment le spectacle de leurs journées au spectacle de leurs rêveries, le dédain et l’impertinence ne sont chez elles qu’une forme particulière de la douleur. […] Quand on est jeune, on croit à peine à la moitié de ces conseils ; à mesure qu’on vieillit, on s’aperçoit qu’il y en a beaucoup d’oubliés.
C’est donc un effort d’esprit considérable dans Eschyle, d’avoir le premier aperçu cette différence de l’épique et du tragique, en faisant naître l’un de l’autre avec tant d’art que le disciple en ceci l’emporte sur le maître. Après cet effort, il lui était bien moins difficile de transporter de l’épopée à la tragédie, ce qui s’appelle intrigue ou nœud ; car il est plus aisé de faire oublier le poète et le narrateur, quand on vient à brouiller différents intérêts et à nouer le jeu de divers personnages, que quand on veut mettre les spectateurs au fait d’une action, sans qu’ils s’aperçoivent qu’on ait eu dessein de le faire. […] Les changements légers dont il peut ne pas s’apercevoir, sont les seuls qu’il permet au poète, et que le poète doit employer pour l’artifice de l’intrigue.
Ce qu’il faut c’est rapprocher les uns des autres et réunir dans une même intuition, en quelque sorte, les états successifs de l’humanité de manière à apercevoir « l’accroissement continu de chaque disposition physique, intellectuelle, morale et politique82 ». […] Pour la peine, au contraire, si l’on a cru qu’elle s’expliquait également bien par des causes différentes, c’est que l’on n’a pas aperçu l’élément commun qui se retrouve dans tous ces antécédents et en vertu duquel ils produisent leur effet commun 84. […] Si, au contraire, l’on n’aperçoit entre ces faits aucun lien direct, surtout si l’hypothèse d’un tel lien contredit des lois déjà démontrées, on se mettra à la recherche d’un troisième phénomène dont les deux autres dépendent également ou qui ait pu servir d’intermédiaire entre eux.
Gabriele d’Annunzio faisait un jour cet aveu naïf et typique à un rédacteur du New-York Hérald : « Je suis un pur Latin et chez tout individu de race différente j’aperçois un côté barbare. » Le Français dirait volontiers, lui aussi : « Je suis un pur Français, et tout ce qui n’est pas semblable à moi m’apparaît inférieur. » C’est l’inverse, on le voit, de la parole du personnage de Térence : Homo sum… L’individualisme national exclusif paraît être la plus forte vertu du Français qui, de bonne foi, se croit généralement d’une essence plus pure que les vulgaires humains. […] Perdue dans son rêve de suprématie, au milieu des nuages d’encens dont elle s’entoure, « l’âme idéaliste de la France », pour répéter une expression typique récemment employée à la tribune de la Chambre, ne laisse apercevoir qu’une pitié dédaigneuse à l’égard des « barbares » qui avoisinent son territoire sacré. […] « Une sorte d’inconscience funeste a égaré, a déprimé notre âme nationale »58, a-t-on dit chez nous. « Et nous ne nous apercevons pas, ajoute M.
Comment en serait-il autrement, puisque le mouvement aperçu dans l’espace n’est qu’une variation continue de distance ? […] Certes, il s’en faut que tout mouvement se réduise à ce qui en est aperçu dans l’espace. […] Bref, tant que nous ne parlons que d’une continuité qualifiée et qualitativement modifiée, telle que l’étendue colorée et changeant de couleur, nous exprimons immédiatement, sans convention humaine interposée, ce que nous apercevons : nous n’avons aucune raison de supposer que nous ne soyons pas ici en présence de la réalité même.
Photius lui reproche de laisser trop apercevoir dans ses discours l’empreinte du travail, et d’avoir éteint, par un désir curieux de perfection, une partie de ces grâces faciles et brillantes que lui donnait la nature lorsqu’il parlait sur-le-champ. […] « Après avoir réglé, dit l’orateur, les objets les plus importants de l’administration et de l’empire, il jeta les yeux sur l’intérieur du palais ; il aperçut une multitude innombrable de gens inutiles, esclaves et instruments du luxe, cuisiniers, échansons, eunuques, entassés par milliers, semblables aux essaims dévorants de frelons, ou à ces mouches innombrables que la chaleur du printemps rassemble sous les toits des pasteurs ; cette classe d’hommes dont l’oisiveté s’engraissait aux dépens du prince, ne lui parut qu’onéreuse sans être utile, et fut aussitôt chassée du palais ; il chassa en même temps une foule énorme de gens de plume, tyrans domestiques qui, abusant du crédit de leur place, prétendaient s’asservir les premières dignités de l’État : on ne pouvait plus ni habiter près d’eux, ni leur parler impunément. […] Un autre caractère du grand homme lui manqua, c’est cette vertu qui fait que l’âme, sans s’élever, sans s’abaisser, sans s’apercevoir même de ses mouvements, est ce qu’elle doit être, et l’est sans faste comme sans effort ; en cela il fut encore loin de Marc-Aurèle.
Rien n’était plus innocent que ces rapports du professeur à l’élève ; mais cette innocence même cachait un piège à Léopold Robert : ce piège, c’était la perfide habitude, qui fait germer, sans qu’on s’en aperçoive, les premières racines d’un sentiment innomé dans les cœurs : si le danger était connu on le fuirait ; on s’y expose parce qu’on ne le voit pas. […] Mérite prodigieux qu’on n’a pas assez remarqué dans ses œuvres, le choix et l’ajustement de ses costumes sont tellement adaptés aux figures qu’on ne s’aperçoit pas si ces vestes, ces chemises, ces pourpoints, ces chausses sont coupés par un tailleur ou drapés par un statuaire. […] Il mourut sans gloire, quoique né pour la gloire : il se pressa trop de la saisir là où il crut apercevoir son ombre ; le Ciel lui devait peut-être une meilleure occasion, et une meilleure mort. […] Quand je le vis à Terni, je m’aperçus combien il était préoccupé de la position où il mettait sa famille ; il m’en parla beaucoup, mais enfin le sort était jeté. […] Dès qu’il s’en aperçut il eut le courage de s’enfuir jusqu’à Paris.
Ils ne l’aperçoivent que sous forme d’image, c’est-à-dire déjà incarné dans des sensations naissantes. […] Il est donc de l’essence de notre perception actuelle, en tant qu’étendue, de n’être toujours qu’un contenu par rapport à une expérience plus vaste, et même indéfinie, qui la contient : et cette expérience, absente de notre conscience puisqu’elle déborde l’horizon aperçu, n’en paraît pas moins actuellement donnée. […] Cette survivance en soi du passé s’impose donc sous une forme ou sous une autre, et la difficulté que nous éprouvons à la concevoir vient simplement de ce que nous attribuons à la série des souvenirs, dans le temps, cette nécessité de contenir et d’être contenus qui n’est vraie que de l’ensemble des corps instantanément aperçus dans l’espace. […] Celle où il revient est une ressemblance intelligemment aperçue ou pensée. […] On croira apercevoir partout des conducteurs, nulle part des centres.
Nous avons de la peine à nous en apercevoir, parce que les modifications de l’humanité retardent d’ordinaire sur les transformations de son outillage. […] Elle devra donc, pour se penser clairement et distinctement elle-même, s’apercevoir sous forme de discontinuité. […] Il faut, pour que nous puissions modifier un objet, que nous l’apercevions divisible et discontinu. […] Notre œil aperçoit les traits de l’être vivant, mais juxtaposés les uns aux autres et non pas organisés entre eux. […] C’est tout ce qu’on peut apercevoir, en effet, quand on ne regarde que les machines.
Il se retourne, cherche derrière lui la cause terrifiante des fantômes ; et c’est encore les fantômes qu’il aperçoit derrière lui. […] Il aperçut, à lui s’offrant dans l’élégance apaisée de leurs poses, deux jeunes femmes, étrangement séduisantes et jolies. […] Ils aperçoivent que le scepticisme, en ces écrits, est purement extérieur, résultant de certains procédés spéciaux, dont M. […] On ne saurait songer, en tout cas, à le fonder sur des raisons positives et d’ordre historique ; car on s’aperçoit aussitôt que M. […] Et un jour vint enfin où je m’aperçus avec épouvante que tous mes efforts avaient été vains.
Cette vivacité d’esprit dont je parle a cela de beau qu’elle éclaire ceux qu’elle touche, elle les pénètre d’évidence : on en aperçoit la sagesse et le vrai, d’une manière qui porte le caractère de ces deux choses, c’est-à-dire distincte ; elle ne fait point un plaisir imposteur et confus, comme celui que produit le feu de l’imagination ; on sait rendre raison du plaisir que l’on y trouve. […] Lui qui a si bien démêlé les ruses, les tours et retours de l’amour-propre, ne s’apercevait-il donc pas qu’en plaçant si haut le mérite d’une sagacité fine, il dressait à l’avance un autel à la qualité que lui-même possédait à un si remarquable degré, et que par conséquent il prisait le plus ? […] Marivaux a, sur les portraits, une théorie comme sur tout ; il est d’avis qu’on ne saurait jamais rendre en entier ce que sont les personnes : Du moins, cela ne me serait pas possible, nous dit-il par la bouche de Marianne ; je connais bien mieux les gens avec qui je vis que je ne les définirais ; il y a des choses en eux que je ne saisis point assez pour les dire, et que je n’aperçois que pour moi et non pas pour les autres… N’êtes-vous pas de même ? […] Mais je m’aperçois que j’ai à me garder moi-même d’aller l’imiter en le définissant.
Horace Vernet aimait que ce fût une convention le moins possible, que le convenu ne s’y aperçût qu’au moindre degré. […] Or, il arriva qu’en voulant préluder au concerto de Weber, je me laissai entraîner, sans m’en apercevoir, à la fantaisie ; tout à coup je songeai que je ferai plaisir à Vernet en prenant ces deux thèmes, et je me mis à les travailler pendant un moment avec fougue. […] Dernièrement, Vernet avait à faire une masse de portraits de commande, et par conséquent tout son temps était pris ; mais, en passant dans la ville, il aperçoit un de ces paysans de la Campagna, qui, armés par le gouvernement, font depuis quelques jours des patrouilles à cheval dans les rues de Rome. Son costume bizarre lui plaît, et, dès le lendemain, il commence un tableau représentant un de ces soldats improvisés, arrêté par le mauvais temps dans la campagne, et saisissant son fusil pour le décharger sur quelqu’un ; on aperçoit dans le lointain un petit corps de troupes et la plaine déserte.
On n’aperçoit ce fleuve qu’en arrivant sur le bord de l’encaissement profond et à pic dans lequel il coule. […] Lorsqu’on vint me chercher pour partir, lorsqu’il fallut me séparer de mon général, de mes compagnons d’infortune, leur faire mes adieux, les forces m’abandonnèrent ; je tombai dans les bras du général, je pressais son cœur contre le mien, je le baignais de mes larmes et je sentis couler les siennes : « Mon ami, me dit-il d’une voix émue, pars, va porter de mes nouvelles à mon Octavie, va travailler à me rendre à son amour. » Je m’éloignai de lui à ces mots et me sentis entraîné, comme malgré moi ; je descendis sans m’en apercevoir les marches de la tour ; je traversai les portes de l’Alhambra, et je me trouvai sous la croisée du général. […] Je ne lardai pourtant point à m’apercevoir que les chagrins minaient insensiblement le général ; il ne mangeait presque plus, se plaignait sans cesse de maux de nerfs, et, de plus, il était presque hors d’état de s’occuper. » D’honorables négociants de Carthagène, les Valarino, trouvèrent moyen de faire pénétrer dans la prison des consolations, des secours d’argent : le général les partagea avec tous les prisonniers. […] Il profita de ce moment (remarque bien ceci, mon cher Saint-Joseph) pour rassembler le peu de forces qui lui restaient encore, et, s’étant mis sur son séant, il nous reprocha pour ainsi dire notre faiblesse ; il était, en effet, plus calme que nous tous, son visage était serein, et, quoique les ombres de la mort s’y fissent déjà apercevoir, il avait quelque chose de noble, d’imposant, d’auguste : « Qu’est-ce donc que mourir, mes amis ?
Je voudrais ne forcer en rien les tons et ne point pour cela les affaiblir, ne pas faire fléchir, la morale et ne la faire intervenir que très simple et très sincère, ne toucher en passant que les aperçus et pourtant atteindre aux points essentiels : en un mot, je voudrais être vrai, convenable et juste dans un sujet très fécond, très mélangé, à travers lequel il serait beaucoup plus commode assurément de donner tout d’un trait et de parti pris. […] Dans Mirabeau écrivain, j’aperçois à tout moment l’orateur à demi penché, en avant et au-dessus de sa phrase. […] On se prend à répéter avec lui : « Somme toute, il n’y a que les hommes fortement passionnés capables d’aller au grand ; il n’y a qu’eux capables de mériter la reconnaissance publique… » Ne dirait-on pas qu‘à travers ses barreaux il aperçoit déjà le Panthéon ? […] Je l’ai vérifié par moi-même, et, dans quelques conversations et communications, j’ai aperçu vraiment du génie. » Génie et gloire, voilà le dernier mot de ce père si longtemps impitoyable et inexpugnable : c’est la bénédiction finale qu’il envoie à son fils.
Il a des paroles de tolérance et d’intelligence universelle qu’il n’a pas toujours pratiquées, et qu’il lui arrivera d’oublier encore : C’est pour ne connaître, dit-il, que soi et les siens qu’on est opiniâtre ; c’est pour n’avoir vu que son clocher qu’on est intolérant, parce que l’opiniâtreté et l’intolérance ne sont que les fruits d’un égoïsme ignorant, et que quand on a vu beaucoup d’hommes, quand on a comparé beaucoup d’opinions, on s’aperçoit que chaque homme a son prix, que chaque opinion a ses raisons, et l’on émousse les angles tranchants d’une vanité neuve pour rouler doucement dans le torrent de la société. […] Plus on la lit, plus on la médite, et plus on s’aperçoit de la vérité de cette assertion ; en sorte que, considérant combien la conduite des nations et des gouvernements, dans des circonstances analogues, se ressemble, et combien la série de ces circonstances suit un ordre généalogique ressemblant, je suis de plus en plus porté à croire que les affaires humaines sont gouvernées par un mouvement automatique et machinal, dont le moteur réside dans l’organisation physique de l’espèce. […] Après le dîner, pendant que celui-ci causait vivement et tenait à la main sa tasse de café trop chaude, Volney, tout en l’écoutant, la lui prenait, la posait sur la cheminée, la touchait de temps en temps ou l’approchait de sa joue pour s’assurer du degré de chaleur, et la lui vendait quand elle était à point : Bonaparte, dans sa conversation rapide, ne s’était pas aperçu du manège, dont plus d’un assistant avait souri. […] Dureau de La Malle, un jour qu’il allait se rendre à une séance du Sénat, faisant avec le nouveau possesseur le tour du jardin, il aperçut un vieux râteau qui avait été oublié par mégarde ; il le prit sous son bras et l’emporta.
On s’aperçoit que la philosophie est une nourriture et que la poésie est un besoin. […] Avoir vingt ans combattu sciemment la vérité, dans l’espoir qu’elle serait vaincue, s’apercevoir un beau matin qu’elle a la vie dure, qu’elle est la plus forte et qu’il pourrait bien se faire qu’elle fût chargée de composer un cabinet, et alors passer brusquement de son côté, autre piédestal, une statue à M. […] Mais l’Angleterre, qui lit continuellement la Bible, n’a pas l’air de s’en apercevoir. […] Quand un homme est une gloire au front de sa nation, la nation qui ne s’en aperçoit pas étonne autour d’elle le genre humain.
L’expression même la plus brillante perd de son mérite dès que la recherche s’y laisse apercevoir. […] L’obscurité consiste à ne point offrir de sens net à l’esprit, la finesse à en présenter deux, un clair et simple pour le vulgaire, un plus adroit et plus détourné que les gens d’esprit aperçoivent et saisissent ; et pourquoi n’y aurait-il pas dans un discours d’éloquence des traits uniquement réservés aux seuls hommes dont l’orateur doit réellement ambitionner l’estime ? […] L’orateur exercé aperçoit par une espèce d’instinct la succession harmonieuse des mots, comme un bon lecteur voit d’un coup d’œil les syllabes qui précèdent et celles qui suivent. […] Cicéron, déjà tant cité, et qui ne saurait trop l’être dans un écrit sur l’éloquence, doit un de ses plus grands charmes à la facilité inimitable de son style : si on y aperçoit quelque légère étude, c’est dans le soin d’arranger les mots ; mais on sent que ce soin même lui a peu coûté, et que les mots, après s’être offerts à son esprit sans qu’il les cherchât, sont venus d’eux-mêmes, et sans effort, s’arranger sous sa plume.
Ce n’est pas, en effet, seulement dans l’éclat du nom qu’il a l’honneur de porter, ce n’est pas seulement dans la magnifique récompense qui vient de l’atteindre, à travers la mémoire de son frère5, qu’on aperçoit le bénéfice pour M. […] il y a pour lui un bénéfice plus profond que cela, et qui n’a pas été assez aperçu… Il est dans le fait mystérieux d’une fraternité qui marque l’esprit des deux Thierry, comme, chez d’autres, elle marque le caractère ou le visage. […] Sa grande valeur est d’être peintre, d’avoir sinon le style de l’histoire, au moins un très remarquable style d’histoire, ce style par lequel, en toutes choses, les œuvres durent, car on recommence l’histoire, on peut la recommencer cinquante fois sous d’autres arcs de lumière, avec des aperçus ou des documents de plus, mais on a beau la refaire, on la relit toujours quand elle est littérairement écrite ! […] Amédée Thierry qu’avec les yeux d’une Académie des inscriptions, il est certain que l’ensemble de ces travaux est imposant et que l’aperçu n’y manque pas, à ses risques et périls, il est vrai, car ce n’est pas tout que de voir en histoire, il faut voir juste.
Nettement fait de leurs œuvres est certainement moins éloquente et moins brillante que la critique de Mme de Staël dans son livre de l’Allemagne, mais si l’expression et toutes les ressources de l’aperçu n’y sont pas au même degré, il y a une vigueur de moralité qui est, après tout, la vraie virilité de la pensée et qui prouve que la femme du plus éblouissant génie, quand elle est protestante et philosophe, reste néanmoins, sur les points les plus importants de la pensée et de la vie, fort inférieure à un catholique, de talent médiocre mais convaincu. […] Si c’était un livre grand d’aperçu on de déduction, un livre rude et fort qui serait allé au fond des hommes et des choses littéraires que le gouvernement de juillet a vus naître et a vus mourir ; si c’était enfin, en quelque degré que ce fût, de la critique impartiale… ou passionnée, peu importe ! […] Nettement, on ne trouve pas un seul aperçu nouveau qu’on puisse signaler et qui lui appartienne en propre. […] Nettement la pensée du sien, elle avait le facile avantage de raconter une littérature étrangère ; et n’aurait-elle pas eu ce style inouï, ce mirage d’idées, comme disait Byron, qui lui aurait permis de se passer de pensées fortes et d’aperçus vrais, si elle n’en avait pas eu, elle apprenait du moins à la France ce que la France ne savait pas.
Ces écrivains si ambitieux d’être, comme ils disent, « à la tête du mouvement », s’aperçoivent trop tard qu’ils n’ont jamais marché avec leur temps. […] Le mirage divin, qu’elle apercevait, dans l’enivrement de ses douces fiançailles, s’est voilé pour jamais. […] Ils ont des dents longues et de loin, on aperçoit, dans le rictus imbécile de leurs grosses lèvres, la blancheur des canines. […] Dès qu’il nous aperçut : — Lieutenant, que font là ces hommes ? […] Toutes les issues sont bouchées, par où ces âmes obscures pourraient apercevoir un coin d’idéal.
Victorin Fabre se donna le change à lui-même, et il interrompit bientôt ses leçons en se disant et en disant à ceux qui lui en parlaient qu’il s’était aperçu du danger que pouvaient avoir, dans l’état des circonstances politiques, certaines doctrines incomplétement expliquées et légèrement comprises. […] Un jour, vers cette date de 1829 (mais voilà que je fais comme lui), à une représentation de l’Odéon, cet espiègle de Janin, qui débutait, aperçut au balcon, non loin l’un de l’autre, Victorin Fabre et Victor Hugo.
La Religion et l’Art, ces deux points élevés, ces deux sommets que quelques-uns croient apercevoir devant nous à l’horizon, et qu’ils tâchent de démontrer aux autres, lesquels prétendent n’y rien voir ; ces deux pics merveilleux, qui ne sont pour certains regards sévères qu’une fantaisie dans les nuages, apparaissent aux directeurs de la Revue comme les deux phares de l’avenir ; ils essaient souvent de s’en approcher et d’en gravir les premières hauteurs. […] Nous n’avons rien ici à objecter à ces doctrines inégalement évidentes pour nous, sinon cette inégalité même et les rapports peu nécessaires, à ce qu’il semble, qu’elles ont réciproquement entre elles : on s’en aperçoit à l’espèce de fatigue qu’éprouvent par moments les écrivains à les préciser et à les lier.
… On s’aperçoit qu’il n’y a plus d’eau-de-vie. […] je mettrai la table pendant ce temps-là. » Et il entre dans la chambre, où est l’armoire au linge… « Il aperçut, sous la cheminée, une paire de petits sabots, les sabots d’Athénaïs, que l’enfant avait déposés là, en cachette, confiante dans la visite du petit Jésus.
l’esprit qui aperçoit et qui combine plus ou moins ingénieusement ses aperçus ne manque point en France.
Si, comme le soutient Bain, la parole intérieure était surtout une image tactile, par l’effet de quelle illusion Bossuet, Rivarol, Bonald n’ont-ils aperçu dans leur conscience qu’une simple image sonore ? […] Nous ne faisons pas un pas dans la rue sans nous refuser le sol où nos pieds s’appuient, les maisons qui passent sous notre regard, le but que notre œil aperçoit devant lui. […] Je ne m’aperçois qu’il est un de mes états que s’il est l’objet de mon attention ; on dit : « je vois », quand on regarde ; mais je, en pareil cas, désigne plutôt l’attention que l’esprit porte au visum que le visum lui-même en tant qu’il fait partie de mes états. […] Il est des états éminemment miens dans lesquels le moi ne s’aperçoit pas toujours, faute de reconnaissance. […] I, § 2], Pline le Jeune, s’exerçant à composer dans le silence et l’obscurité, dit qu’il voit mieux sa pensée ; il ne s’aperçoit pas qu’il l’entend.
J’aperçois des nerfs afférents qui transmettent des ébranlements aux centres nerveux, puis des nerfs efférents qui partent du centre, conduisent des ébranlements à la périphérie, et mettent en mouvement les parties du corps ou le corps tout entier. […] J’aperçois une multitude d’objets dans l’espace ; chacun d’eux, en tant que forme visuelle, sollicite mon activité. […] Bien loin d’en retrancher quelque chose d’aperçu, nous devons au contraire rapprocher toutes les qualités sensibles, en retrouver la parenté, rétablir entre elles la continuité que nos besoins ont rompue. […] Nous nous plaçons donc d’emblée dans l’ensemble des images étendues, et dans cet univers matériel nous apercevons précisément des centres d’indétermination, caractéristiques de la vie. […] C’est dire que la matière ne saurait exercer des pouvoirs d’un autre genre que ceux que nous y apercevons.
Le vieux Joseph, les charretiers, les laboureurs, les batteurs en grange, ses compagnons de domesticité à table et aux champs, l’avaient vu grandir sans s’en apercevoir ; accoutumés à ne le compter que pour un enfant, on le traitait en Benjamin de cette tribu rurale. […] Mais la Jumelle s’en était aperçue depuis longtemps à elle toute seule ; sans se rendre compte de ses sentiments, elle prenait sa voix la plus douce en lui parlant ; elle recevait, à table, à la maison ou dans les champs, tous les petits services qu’il lui rendait instinctivement, avec une familiarité confiante et avec une sorte de plaisir muet qui contrastait avec les exigences et les railleries des autres jeunes filles. […] Puis il se hâta d’atteler les quatre taureaux à une charrue neuve, et il laboura tout le jour une longue pièce de terre, derrière les jardins, d’où l’on apercevait, sur la colline opposée, à travers les bois, le village d’Arcey et la fumée du toit de la maison de la Jumelle. […] Au souper des laboureurs et des moissonneurs, le soir, après l’ouvrage, on s’était aperçu au château de l’absence du petit Didier. […] XIX Aux premiers échos de la voix de Didier qui remplissait le fond de la vallée d’un tonnerre roulant de joie, tout le monde se leva pour l’apercevoir de plus loin dans le sentier au clair de la lune.
… Aurait-il l’aperçu, l’aperçu qui est de rigueur en critique et en histoire, sous peine de tomber dans le gros ou dans le menu des faits ? Aurait-il l’émotion par laquelle on arrive parfois à l’aperçu ? […] Ce qui prouve, du reste, la triple absence de l’aperçu, de la sensibilité et de la science réelle en Villemain, c’est qu’au meilleur moment de sa jeunesse et de sa force il n’ait cherché dans les Pères et dans l’étude de leurs écrits qu’une raison et qu’un moyen d’enseigner l’éloquence, comme si l’éloquence s’enseignait ! […] Tenté par le sujet de Pindare, auquel il a rattaché la question de la poésie lyrique chez tous les peuples, Villemain, qui a manqué cette svelte chose qu’on appelle un essai en littérature, l’aura-t-il manquée glorieusement parce qu’il a fait davantage, parce que, de renseignement, de doctrine et d’aperçu, il nous aura donné un livre à fond, un traité complet sur Pindare et la poésie lyrique ?
Ce qui résulta pour moi de ce nouvel aperçu de la vie c’est la compréhension douloureuse que ma nourrice était pauvre. […] Tout à coup j’aperçus le père Rigolet descendant les marches du seuil. […] Une des religieuses m’aperçut et, au lieu de me gronder, m’attira à elle et me poussa vers l’archevêque. […] On s’apercevait alors qu’il y avait plus de filles que de garçons. […] Et ma sœur, qui s’aperçoit que j’ai envie de pleurer, m’embrasse gentiment, pour me consoler.
Il n’est pas besoin d’une observation bien subtile pour apercevoir que la pensée elle-même, considérée à part de tout signe audible, n’est jamais pure de toute image, et que, suivant la formule célèbre d’Aristote, […]260 38; mais, comme cet élément empirique ne paraît pas être toute la pensée, on est tenté de l’appeler un signe. […] Quiconque a compris après coup ce qu’il avait d’abord entendu sans comprendre a pu s’apercevoir que le sens d’une phrase est à la conscience fort peu de chose ; la parole intérieure fait dix ou vingt fois plus de bruit dans la conscience, et pourtant elle est elle-même un état faible. […] Je demande au lecteur s’il aperçoit clairement dans sa conscience ce qui distingue les deux idées. […] Il arrive assez souvent, dans certaines poésies modernes, qu’un des mots de la phrase n’a pas de sens connu du lecteur ou de l’auditeur ; celui-ci n’est pas arrêté par cette lacune ; il s’en aperçoit à peine ; il ne réclame pas le lexique indoustani ou malais dont l’ouvrage aurait besoin pour être entièrement compris. […] Si, ensuite, nous parvenons à l’apercevoir et si nous fixons sur lui notre attention, le reconnaissons-nous ?
qu’on ne les aperçoit que par leurs vertus. […] Mais on aperçoit cependant un lien subtil entre cette morale individualiste à l’excès, et cette poésie qu’alimente l’unique considération de soi. […] Il n’est point dupe des capitulations de conscience, il aperçoit les plus subtiles et les dénonce avec un dégoût profond — mais qu’un sourire masque. […] Eux ne savent apercevoir que des mouvements élémentaires. […] Ils ne contiennent aucun aperçu réel sur le cœur ou sur la vie.
On n’aperçoit que des visages maigres, tirés, hâves, on ne voit que des pâleurs jaunes, semblables à de la graisse de cheval. […] J’aperçois une élégante petite femme, rapportant des pommes de terre, dans un mouchoir de dentelle. […] Cela m’est expliqué par le voisinage de deux canons… Il me semble apercevoir une partie de la grille de la colonne Vendôme déjà détruite. […] Et je m’aperçois tout à coup que, dans un moment de distraction, il a déchiré toutes les marges des premières pages. Et je suis dans d’horribles transes que Nadar ne s’en aperçoive, que Nadar ne découvre l’état du malheureux.
Notre vulgarité d’aperçus nous permet à peine d’imaginer combien un tel état différait du nôtre, quelle prodigieuse activité recélaient ces organisations neuves et vives, ces consciences obscures et puissantes, laissant un plein jeu libre à toute l’énergie native de leur ressort. […] Le titre de Hegel à l’immortalité sera d’avoir le premier exprimé avec une parfaite netteté cette force vitale et en un sens personnelle, que ni Vico, ni Montesquieu n’avaient aperçue, que Herder lui-même n’avait que vaguement imaginée. […] Mais ce qu’ils n’avaient pas aperçu, c’est la force active et vivante, qui produit ce mouvement, qui anime ces causes et qui, sans aucune coaction extérieure, par sa seule tendance au parfait, accomplit le plan providentiel. […] Ce n’est pas qu’auparavant le devenir et le développement ne fussent comme aujourd’hui la loi générale ; mais on ne s’en apercevait pas. […] Aucun problème n’est posé ; la grande cause n’est jamais aperçue.
La société m’importune, la solitude m’accable… Je me précipite sur cette terre qui devrait s’entrouvrir pour m’engloutir à jamais… Je me traîne vers cette colline d’où l’on aperçoit votre maison, je reste là les yeux fixés sur cette retraite que je n’habiterai jamais avec vous. » Et cette maison, cette retraite tant convoitée, tant regardée, et qui lui paraît offrir de si enviables perspectives de bonheur, il n’en retrace pour lui ni pour nous aucun trait distinct et reconnaissable, il ne nous la montre pas. […] Puis, quelques jours après, le comte, de retour, rencontre Adolphe et l’invite à souper avec Ellénore : ils vont se revoir pour la première fois : Il était assez tard lorsque j’entrai chez M. de P…, j’aperçus Ellénore assise au fond de la chambre, je n’osais avancer, il me semblait que tout le monde avait les yeux fixés sur moi. […] Dans Fanny, Roger s’est avisé un matin de s’apercevoir que celle dont il a traversé la vie est mariée, et de désirer rencontrer ce rival qu’il ne connaissait pas ; car il n’était pas présenté chez elle.
M. de Nangis se mit derrière tout le monde ; le Roi, ayant tourné, l’aperçut, et, lui adressant la parole, lui dit : « Que dites-vous de ma chienne, trouvez-vous qu’elle chasse bien ? […] Dans les volumes publiés jusqu’ici, je vois se dérouler dans toute sa lenteur et sa débilité, comme un fleuve dormant dont on aperçoit à peine le cours, cette époque de transition, la fin du ministère du cardinal Fleury. […] Vers ce même temps (1739), il est curieux de voit comment le marquis d’Argenson, dans son journal, s’exalte en espérances, d’après les on dit qui transpirent et qui lui reviennent des cabinets ; il se flatte que le cardinal, dont on se moque dans les soupers de La Muette ou de Bagatelle, est à bout de crédit ; que le roi est las de lui, qu’il en est saoul et le déteste ; qu’il n’y a plus qu’un peu de honte qui le retienne encore à la veille de le renvoyer78 ; mais bientôt il s’aperçoit que c’est aller trop vite en besogne ; que M.
Ainsi, dans l’adversité, les hommes laissent apercevoir leurs faiblesses ; mais il faut les voir dans la prospérité pour connaître leur mérite. […] Et si celui qui est de bonne foi se voit toujours près de juger trop sévèrement sa propre conduite, parce qu’il ne voit que confusément une circonstance passée et qu’il oublie presque toujours une partie des obstacles qu’il a rencontrés jadis, comment ne serions-nous pas injustes lorsque nous condamnons les autres d’après un aperçu encore moins distinct et sans savoir ce qui les arrête ou les détermine ? […] Du point où nous sommes, on n’aperçoit que deux vacheries au-dessus des bois, et plus près de nous une seule maison de paysans.
Le poëte a dû trouver souvent son champ un peu raboteux et pierreux ; il n’en conviendra pas ; on s’aperçoit toutefois que le troupeau de brebis, là-bas, est noir et maigre ; l’aspect se relève par un fond de verdeur et de puissance : O terre de granit, recouverte de chênes ! […] Il ne s’est pas contenté de saisir cet aperçu à l’état moral, il l’a voulu suivre sous forme théologique : il a chanté le sacré triangle, c’est trop. […] Brizeux, et (je m’en aperçois) dans le mien en parlant de lui, la façon brève s’est marquée et se marque fréquemment par certains tours qui ne laissent pas d’avoir leur inconvénient, eu égard à la fluidité.
Le lyrisme qui nous prend, est celui où transparaît sans cesse l’universel : il trouve au fond des tristesses et des désirs de l’individu, il aperçoit à travers les formes multiples de la nature, il pose et poursuit partout les problèmes de l’être et de la destinée. […] Dans tous les accidents du sentiment, dans l’amour par exemple, le poète aperçoit les conditions de l’être éphémère et borné. […] Le romantisme en son fond était révolutionnaire et anarchique : on ne tarda pas à s’en apercevoir.
Arlequin met dans sa poche la clef de sa porte et celle de la chambre de Trivelin, sans s’apercevoir de l’échange, et part. […] Se trouvant au souper du roi, Dominique avait les yeux fixés sur un certain plat de perdrix ; Louis XIV, qui s’en aperçut, dit à l’officier qui desservait : « Que l’on donne ce plat à Dominique. […] Sans qu’il s’en aperçoive, l’Arlequin butor lui dérobe les deux guitares : nouvelle surprise ; enfin, on lui remet la sienne en place.