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39. (1818) Essai sur les institutions sociales « Addition au chapitre X de l’Essai sur les Institutions sociales » pp. 364-381

Aristote avait reconnu que les règles premières de nos jugements étaient données par la logique et par les formes absolues du langage ; Kant a déduit de ces formes absolues les notions a priori de l’entendement. […] Restait donc à savoir, selon lui, comment le son émis par un organe, reçu par un autre organe, passe à l’état de signe abstrait et général, en vertu de la faculté fondamentale du moi, l’absolu, qui tient à notre nature d’être infini ; comment nous obtenons ainsi la série de l’ordre des signes vocaux ou oraux, laquelle se substitue successivement à l’ordre des signes visuels et tactiles. […] Et cependant il avait reconnu l’absolu dans le moi de l’homme exprimant par le son un rapport entre l’être physique et l’être métaphysique, et faisant passer ce son émis à l’état de signe abstrait. […] Ainsi le mot hostis des xii Tables désigne une sorte d’existence sans nom dans nos langues modernes : c’est l’individu frappé d’une incapacité absolue d’entrer jamais dans la communion civile.

40. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre III : M. Maine de Biran »

Qu’est-ce que l’immédiation, les modes mixtes de l’existence sensitive, l’absolu de la substance ? […] Tenez, débrouillez ce grimoire : « Il y a immédiation entre l’aperception immédiate de la force constitutrice du moi et l’idée de la notion de mon être au titre de force absolue, par la raison que je pense et entends la réalité absolue de mon être, de la même manière que j’aperçois ou sens immédiatement l’existence individuelle et actuelle du moi 16. » Savez-vous ce que c’est que cette philosophie ? […] Voici d’abord ce que vous appeliez son grimoire : « Il y a immédiation entre l’aperception immédiate de la force constitutrice du moi et ridée de la notion de mon être au titre de force absolue, par la raison que je pense et entends la réalité absolue de mon être de la même manière que j’aperçois ou sens immédiatement l’existence individuelle et actuelle du moi. » La phrase est rude : Force constitutrice du moi, idée de la notion de mon être au titre de force absolue, réalité absolue de mon être, immédiation entre l’aperception et l’idée ; ce sont là autant de broussailles qui arrêtent l’esprit tout court.

41. (1895) De l’idée de loi naturelle dans la science et la philosophie contemporaines pp. 5-143

Ce n’est pas une unité absolue, car il doit, pour expliquer les choses, envelopper la multiplicité. Ce n’est pas non plus une multiplicité absolue, car il ramène le divers à l’unité. […] Il est peu d’hommes et même de métaphysiciens qui acceptent comme absolu le déterminisme mécanique. […] Dès lors l’immutabilité n’est plus la marque de l’absolu, mais du relatif. […] Intimement unies, elles fondent une science absolue de la réalité sensible elle-même.

42. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre III. Montaigne »

Plus grave encore cette lacune : le silence absolu que garde Montaigne sur sa mère : elle lui a survécu pourtant. […] Avec une absolue conviction, Montaigne s’applique à jouir loyalement de son être, et son livre n’est que la loyale recherche des moyens d’assurer cette loyale jouissance. […] Il conseillera la soumission au pouvoir absolu, et il n’estimera rien de plus dans le christianisme que le précepte de respecter toutes les puissances. […] Il affirme que « le mentir est un maudit vice » ; il hait toute duplicité, toute trahison : il fait profession d’absolue franchise. […] En politique, il achète la paix, l’ordre, de l’entière soumission au pouvoir absolu.

43. (1887) Discours et conférences « Réponse au discours de M. Louis Pasteur »

Ils avaient changé les bases de la vie ; mais leur confiance dans l’esprit humain était absolue. […] Ils pratiquaient le désintéressement absolu ; ils aimaient la glorieuse pauvreté. […] Il s’agit ici, en effet, de ces questions sur lesquelles la providence (j’entends par ces mots l’ensemble des conditions fondamentales de la marche de l’univers) a voulu qu’il planât un absolu mystère. […] La grandeur des vérités de cet ordre est de se présenter à nous avec le double caractère d’impossibilités physiques et d’absolues nécessités morales. […] Sa foi dans le bien fut absolue ; les mobiles inférieurs de la vie, l’intérêt, les jouissances, le plaisir, furent chez lui entièrement subordonnés à la poursuite que sa conviction lui marquait comme le devoir.

44. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre II : La littérature du xviie  siècle »

Nisard, est une certaine raison, non spéculative, mais pratique, qui ne se laisse dominer ni par l’imagination ni par la sensibilité, mais qui n’est cependant pas une raison froide et abstraite, qui se colore et s’anime, sans jamais s’emporter, qui partout cherche le vrai, mais le vrai aimable, séduisant, charmant, non pas le vrai arbitraire des métaphysiciens, ou le vrai absolu et abstrait du savant, mais ce vrai solide et éprouvé de la vie mondaine, de la vie pratique, de la vie morale. […] C’est le doute, non pas ce doute mitigé qui, laissant subsister le fond de nos croyances, s’arrête seulement devant nos opinions, mais un doute absolu, qui embrasse tout, qui détruit tout pour tout reconstruire. […] Je comprends encore que l’on proteste contre ceux qui voulaient imposer d’une manière absolue à tous les pays et à tous les temps cette conception dramatique, qui est un des plus beaux types possibles de l’art tragique, mais non pas le seul. […] On est utopique en considérant comme un idéal absolu et éternel l’état de choses dans lequel on vit ; on l’est en rêvant un état nouveau : Bossuet est utopique de la première manière, Fénelon de la seconde. […] N’avait-il pas, lui aussi, le besoin de régner, le goût du pouvoir absolu, une involontaire répulsion contre tous ceux qui s’affranchissaient de son empire ?

45. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XI : M. Jouffroy moraliste »

« Il y a aux yeux de la raison une équation parfaite, absolue, nécessaire, entre l’idée de fin et l’idée de bien, équation qu’elle ne peut pas ne pas concevoir dès que le principe de finalité lui est apparu86. » Puisque la fin est le bien, la fin absolue de la création est le bien absolu ; or, ce bien nous apparaît comme sacré ou obligatoire. Et comme la fin de chaque être particulier est un élément de la fin absolue, le bien de chaque être particulier est un élément du bien absolu ; il est donc sacré et obligatoire. […] Mais d’autre part, en vertu de l’axiome que la fin absolue d’un être est appropriée à sa nature, et en vertu de cette observation que notre fin présente n’est pas appropriée à notre nature, il est nécessaire qu’à notre vie soient ajoutées une ou plusieurs vies, telles que nos penchants primitifs puissent y recevoir un contentement parfait. […] Enfin, le protestantisme, qui venait de chasser les Stuarts et d’abolir la monarchie absolue, paraissait le gardien de la Constitution et le libérateur du peuple.

46. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre VIII. La crise actuelle de la Physique mathématique. »

En mesurant cette attraction, nous mesurerons la vitesse de la Terre ; non pas sa vitesse par rapport au Soleil ou aux Étoiles fixes, mais sa vitesse absolue. Je sais bien ce qu’on va dire, ce n’est pas sa vitesse absolue que l’on mesure, c’est sa vitesse par rapport à l’éther. […] Si nous parvenons à mesurer quelque chose, nous serons toujours libres de dire que ce n’est pas la vitesse absolue, et si ce n’est pas la vitesse par rapport à l’éther, cela pourra toujours être la vitesse par rapport à quelque nouveau fluide inconnu dont nous remplirions l’espace. […] Tous les phénomènes qui se produiront en A par exemple seront en retard, mais tous le seront également, et l’observateur ne s’en apercevra pas puisque sa montre retarde ; ainsi, comme le veut le principe de relativité, il n’aura aucun moyen de savoir s’il est en repos ou en mouvement absolu. […] De tous ces résultats, s’ils se confirmaient, sortirait une mécanique entièrement nouvelle qui serait surtout caractérisée par ce fait qu’aucune vitesse ne pourrait dépasser celle de la lumière2 pas plus qu’aucune température ne peut tomber au-dessous du zéro absolu.

47. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — II »

Par le triomphe absolu de l’attitude subjective, il arriverait en effet que, faute d’un objet pour déterminer le sujet, celui-ci qui ne prend conscience de lui-même que comme objet, s’abîmerait dans l’inconscience. Par le triomphe absolu de l’attitude objective, l’objet, faute d’un sujet pour le percevoir, se verrait privé de toute forme, de tout contour, de toute propriété ; il s’évanouirait et se dissiperait dans l’insaisissable. Il est donc vrai que, dans cette hypothèse, chacune des attitudes du moi ne subsiste, et ne laisse subsister avec elle quelque réalité, qu’autant qu’elle ne parvient pas à un règne absolu, qu’autant qu’elle demeure limitée et définie par l’existence de son contraire.

48. (1890) L’avenir de la science « X » pp. 225-238

Toutes les autres règles sont fautives et mensongères dans leur forme absolue. […] Autrefois tout était considéré comme étant ; on parlait de droit, de religion, de politique, de poésie d’une façon absolue 99. […] Les orientalistes se rendent souvent ridicules en attribuant une valeur absolue aux littératures qu’ils cultivent. […] L’admiration absolue est toujours superficielle : nul plus que moi n’admire les Pensées de Pascal, les Sermons de Bossuet ; mais je les admire comme œuvres du XVIIe siècle. […] Tout point de vue dogmatique est absolu, toute appréciation sur des règles modernes est déplacée.

49. (1899) Musiciens et philosophes pp. 3-371

Et cette image est d’une justesse absolue. […] La contagion n’est complète et absolue que lorsque les facteurs en jeu sont d’égale valeur. […] Il est un homme absolu et complet, un produit fruste et merveilleusement vigoureux de la nature. […] Revenant à ce qu’on appelle la « musique absolue », il n’a pas su se retrouver, ni retrouver en elle l’expression de ses théories. […] Cela est absolu.

50. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre III : La science — Chapitre II : De la méthode expérimentale en physiologie »

Claude Bernard me paraît établir avec une parfaite rigueur qu’il y a un déterminisme absolu des phénomènes tout aussi bien dans l’ordre de la vie que dans l’ordre de la matière brute26. […] Enfin ils le placent jusqu’en Dieu lorsqu’ils lui prêtent une volonté absolue, supérieure au bien et au mal, au vrai et au faux, décidant et créant par un sic volo, sic jubeo absolu. […] Il est même telle question où la séparation absolue est impossible, et où le métaphysicien ne peut parler que dans le vide, s’il ne s’appuie pas sur quelques données positives. […] Aussi la distinction objective des causes n’est jamais que relative à l’état de nos connaissances, et nul ne peut affirmer d’une manière absolue que deux ordres de causes ne se réduiront pas plus tard à un seul. […] Claude Bernard lui-même signale le fait caractéristique qui sépare d’une manière absolue les corps vivants des corps bruts, et il n’hésite pas à employer l’expression si discréditée de force vitale.

51. (1890) L’avenir de la science « V »

Il est impossible d’empêcher la raison de s’exercer sur tous les objets de croyance ; et tous ces objets prêtant à la critique, c’est fatalement que la raison arrive à déclarer qu’ils ne constituent pas la vérité absolue. […] D’un autre côté, niez l’immortalité d’une façon absolue, et aussitôt le monde devient pâle et triste. […] La critique mesquine et absolue vient toujours de ce qu’on envisage chaque développement de l’histoire philosophique en lui-même, et non au point de vue de l’humanité. […] Nous en avons tant vu que nous ne pouvons nous résigner à croire que l’une possède plus que l’autre la vérité absolue. Tout en reconnaissant volontiers que la grande originalité a été jusqu’ici sectaire ou au moins dogmatique, nous ne percevons pas avec moins de certitude l’impossibilité absolue de renfermer à l’avenir l’esprit humain dans aucun de ces étaux.

52. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Philarète Chasles » pp. 111-136

Les Mémoires d’un homme sont le dernier mot des Œuvres de cet homme, et quand il a dit ce mot, tout est dit et on n’a plus à revenir sur rien… Dans le volume attardé, qui interrompt, on ne sait pourquoi, la publication des Mémoires de Chasles, l’auteur y est trop anglais pour un critique, car, ainsi que je l’ai dit déjà, si Chasles est bien plutôt un fantaisiste connaisseur qu’un critique intégral, transcendant, absolu, il n’en veut pas moins être un critique. […] Mais l’Angleterre politique n’a ni la profondeur, ni l’unité, ni les qualités nettes et absolues d’une histoire. […] S’il est un homme cependant qui doive être antipathique, jusqu’à l’épouvante, à Chasles le protestant, le libéral moderne, le haïsseur d’absolu tout le long de son livre, c’est cet absolu de Joseph de Maistre. […] Il l’eut moins, pourtant, quand il se rencontra avec un autre absolu dans son chapitre sur Macaulay. Il y trouva Jacques II (Histoire de Guillaume III), Jacques II, aussi absolu dans l’ordre de l’action que J. de Maistre dans l’ordre de la pensée, et voilà qu’après avoir reconnu la grandeur de l’un, il méconnaît inconséquemment la grandeur de l’autre.

53. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Mélanges de critique religieuse, par M. Edmond Scherer » pp. 53-66

Scherer, de dire tout ce qu’il y a d’agitation dans notre cœur lorsque nous commençons à reconnaître que notre Église et notre système n’ont pas le monopole du bien et du vrai, lorsque nous rencontrons des hommes également éminents et sincères qui professent les opinions les plus opposées…, lorsque nous découvrons qu’il n’y a point d’erreur qui n’ait un mélange de vérité, point de vérité qui ne soit partielle, étroite, incomplète, entachée d’erreur, lorsque ainsi le relatif nous apparaît comme la forme de l’absolu sur la terre, l’absolu comme un but éternellement poursuivi mais éternellement inaccessible, et la vérité comme un miroir brisé en mille fragments qui tous réfléchissent le ciel et dont aucun ne le réfléchit tout entier. […] L’autorité et l’absolu ont disparu du même coup, et puisque la vérité n’est nulle part concentrée entre les mains d’un seul dépositaire, il s’agit désormais de chercher, d’éprouver, de choisir. […] Scherer est un des nobles types des esprits sérieux qui croient à une vérité absolue, qui, même lorsqu’ils ont le sourire fin, ne l’ont pas léger et moqueur ; et quand il ne nous le déclarerait pas, on sent, en le lisant, qu’il signerait volontiers cette pensée du théosophe Saint-Martin : « La vie nous a été donnée pour que chacune des minutes dont elle se compose soit échangée contre une parcelle de la vérité. » Voilà une vocation. […] Pour un homme qui avait des parties si élevées de philosophie et des prétentions à tout fonder ou reconstruire, il se payait souvent de mots ; on n’a jamais tant usé et abusé des mots passé et avenir ; ils ont pour lui un sens absolu ; ce sont des êtres complets, déterminés, des abstractions distinctes, des idoles ; il maudit l’un et adore l’autre.

54. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre VII. Induction et déduction. — Diverses causes des faux raisonnements »

Surtout quand il s’agit de vérités morales ou littéraires, on opère sur des faits plus complexes, sur une réalité moins précise, sur des principes moins absolus, et il est souvent fort délicat de retenir le fil de son raisonnement. […] Mais certains faits semblent contredire à cette assertion : les preuves que donnent le moulage, la photographie et la sténographie, la comparaison de certaines œuvres d’art, comme les portraits de Denner et ceux de Van Dyck, le parti pris d’inexactitude qu’on remarque dans l’art souvent le plus élevé, la comparaison de la prose et de la poésie, des deux Iphigénies de Gœthe où la beauté est en proportion inverse de l’exactitude, tout cela témoigne que le but de l’art n’est pas l’imitation rigoureuse et absolue. […] Maximes évidemment fausses : car tout le monde peut réclamer le privilège par le premier axiome, et la défense absolue devient une tolérance générale ; et comme en général on ne sollicite que pour ceux qu’on aime, le chagrin du refus serait le même pour tous, et tous ont même droit d’obtenir, en vertu du second axiome. […] Il ne faut pas, dans un raisonnement, se fonder, à moins d’une nécessité absolue, sur les décisions paradoxales du sens propre, mais sur les croyances générales du sens commun, quand même on aurait des raisons de douter ou de nier sur ce qu’il affirme. […] Mais quand on en déduit que l’égalité absolue, toute supériorité abolie avec toute distinction, toute propriété, toute autorité, que cette égalité-là doit régner dans la société humaine, le raisonnement est faux, et l’on joue sur le mot égalité.

55. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XIII. Conclusions » pp. 271-291

On peut distinguer ici deux sens du mot antinomie : un sens strict ou absolu et un sens large ou relatif. Au sens strict, antinomie signifie qu’une chose en exclut une autre et que si l’une est, l’autre n’est pas. — Si l’on donne au mot antinomie ce sens absolu, on ne peut parler d’antinomie entre l’individu et la société ; car en fait l’individu n’existe jamais et n’a probablement jamais existé à l’état isolé. […] Il ne peut être question d’antinomies au sens absolu qu’à propos de thèses et d’antithèses métaphysiques, telles que celles que Kant a mises aux prises, vainement d’ailleurs, dans sa Critique de la raison pure et qui ne sont que des couples de notions contradictoires érigées en absolus, chacune de son côté, par la vertu d’un artifice dialectique. — Pris au sens relatif, le mot antinomie signifie que deux choses sont dans un rapport tel que le développement de l’une se fait aux dépens du développement de l’autre, que la pleine affirmation de l’une contrarie la pleine affirmation de l’autre, que l’une tend à détruire ou du moins à amoindrir et à affaiblir l’autre. […] Stirner est un athée absolu dans l’ordre social et moral comme dans l’ordre religieux.

56. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Préface »

Maintenant, dans un Journal, comme celui que je publie, la vérité absolue sur les hommes et les femmes, rencontrés le long de mon existence se compose d’une vérité agréable — dont on veut bien ; mais presque toujours tempérée par une vérité désagréable — dont on ne veut absolument pas. Eh bien, dans ce dernier volume, je vais tâcher, autant qu’il m’est possible, de servir seulement aux gens, saisis par mes instantanés, la vérité agréable, l’autre vérité qui fera la vérité absolue, viendra vingt ans après ma mort.

57. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre II : Examen critique des méditations chrétiennes de M. Guizot »

Ce qui donne à supposer que la foi résout des questions que la philosophie ne résout pas, c’est que la foi, quand elle est acceptée, a un caractère de confiance absolue qu’une opinion philosophique, quelle qu’elle soit, ne comporte pas. […] Cette confiance absolue peut donc se rencontrer avec l’erreur, et n’est point par conséquent un signe de vérité. Si maintenant vous affirmez l’incontestable supériorité du christianisme sur toutes les autres religions, vous n’aurez d’abord rien prouvé : supériorité ne signifie pas vérité absolue. […] En un mot, il n’y a que deux états d’esprit qui donnent la certitude absolue : la foi et la science. […] Le domaine de la religion est d’une tout autre nature ; c’est la vérité absolue.

58. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre II. La qualité des unités sociales. Homogénéité et hétérogénéité »

Or l’hétérogénéité absolue de deux êtres semble leur interdire a priori, en même temps que la capacité d’agir l’un sur l’autre, la capacité de sentir l’un pour l’autre : elle leur défend, pourrait-on dire, en même temps que la réciprocité d’action, la réciprocité de compréhension ; elle empêche que, dans les jugements qui les comparent, ils se substitut l’un à l’autre. […] D’où il suit que l’homogénéité absolue des cercles sociaux parce qu’elle entraîne leur étroitesse, s’oppose indirectement à ce que l’idée des droits de l’humanité y pénètre. […] L’homogénéité absolue fait les sociétés non pas seulement fermées, mais compactes, non pas seulement exclusives, mais oppressives. […] Devons-nous donc conclure de tout ceci que l’hétérogénéité absolue des sociétés est la condition nécessaire et suffisante de leur égalitarisme, et que celles, où les individus n’ont plus rien de commun sont aussi celles où il y a le plus de chances pour qu’ils se considèrent comme égaux en droit ? […] Il faut donc le reconnaître ; si l’homogénéité absolue d’une société nous empêche de voir l’individu, son hétérogénéité absolue nous empêche de voir l’humanité ; et, par suite, l’une comme l’autre serait contraire au succès des idées égalitaires.

59. (1902) Le chemin de velours. Nouvelles dissociations d’idées

Jadis on avait imaginé un goût en soi, un goût absolu qu’on adorait dans un temple. […] Il n’y a pas d’absolu esthétique. […] Mais il ne faut pas créer par esprit de contradiction un absolu antinomique à l’absolu chrétien. […] La conscience morale, pour cet esprit simple, est absolue. […] Quant au sujet absolu, la substance, elle ne peut pas être dans les phénomènes extérieurs, autrement, elle serait conditionnelle et non pas absolue.

60. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « César Daly »

Il y a même ici, pour le continuateur du chef-d’œuvre, un mérite absolu qu’il ne partage plus et qui reste exclusivement à lui. […] Or, ce mérite absolu, qui appartient en propre au continuateur du chef-d’œuvre, la critique doit d’autant plus le reconnaître et le signaler dans Daly que c’était le seul des mérites qu’il pouvait avoir sur lequel elle n’avait pas complètement sa sécurité… Pourquoi ne dirions-nous pas ce que nous pensons ? […] Conçue avec une rare grandeur et un dévouement absolu à l’art et à la science, les deux choses auxquelles il croit le plus, la revue de Daly n’est pas qu’une chronique des découvertes et des travaux contemporains rédigée par des artistes ou des savants dont il serait l’inspirateur et le guide. […] Un jour César Daly perdra-t-il, sur la toute-puissance de cet art qui est une véritable religion pour sa pensée, les illusions de tous ceux qui pensent que l’absolu peut se réaliser sur la terre ?

61. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Jules Girard » pp. 327-340

Ce pourrait être de la critique très profonde, doublée de biographie très éclairée, mais pour qu’il en fût ainsi, il faudrait une indépendance d’esprit absolue, presque aussi rare que ce diamant bien, — l’originalité ! […] Girard — rationaliste moderne en philosophie et archaïste en littérature — une supériorité tranchée et absolue, doit-il être pour nous une pareille supériorité ? […] III Cette vieille poétique, qui est probablement « la poétique de l’avenir », comme la raison philosophique de la Grèce doit être « la raison de l’avenir », cette vieille poétique n’est autre que la littérature des Grecs passée, après coup, à l’état de théorie, et qui a droit de retour et de despotisme si elle a l’absolu d’une vérité ; Or, pour M.  […] Il nous donne toujours la raison grecque de son faire, jamais la raison humaine, la raison profonde, la raison absolue… Et je le crois bien !

62. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Caro. Le Pessimisme au XIXe siècle » pp. 297-311

Lorsque les temps sont arrivés à ce point de produire, avec toutes les prétentions à la science et à la vérité absolue (il faut bien dire le mot, quoiqu’il répugne), de ces gigantesques sottises que M.  […] Il les précède comme s’il les annonçait, et qu’il n’y eût plus, après lui, qu’à faire une théorie absolue et élever à la hauteur d’une loi le désespoir impie de l’odieux poète de l’Athéisme et de la Mort. […] Caro, le précurseur dans la négation absolue, dans l’inepte mépris de l’existence, dans l’impiété tenace et raisonnée. […] Mais les pessimistes de la science et de la pensée, qui veulent supprimer le mal absolu, le mal ontologique de la vie, sont je ne sais quels êtres innommables, abstraits, sans principes, sans entrailles, des espèces de boîtes à logique comme il y a des boîtes à musique !

63. (1891) Esquisses contemporaines

Dès lors, il est vrai, l’infini change de nom et s’appelle l’absolu. […] Ce qui est soumis à l’absolu de ses impératifs ne saurait périr, parce qu’il participe de cet absolu. […] L’édifice du monde ancien reposait sur la foi à l’absolu. […] La crise qu’il traversa se peut définir : une banqueroute de l’absolu. Seulement, à mesure que l’absolu se dérobait à son esprit, la soif de l’absolu subsistait dans son esprit, en sorte que, par un revirement naturel, il se fît du relatif même un nouvel absolu et s’y attacha aussi absolument qu’il s’était attaché d’abord à l’absolu.

64. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « J. de Maistre » pp. 81-108

L’auteur peut y être moins fulgurant, moins écrasant de clarté que dans le Pape, mais il y est intégral (déjà), absolu, péremptoire, avec cet éclair à la cime d’une phrase ou d’un mot qui est tout de Maistre, et ce mépris que j’ai appelé un jour la seule colère d’un gentilhomme. […] Beaucoup d’esprits, qui se mettent en colère pour lui, ont regardé cet homme, qui fut peut-être le plus calme des hommes de génie (il a le calme de l’absolu), comme le plus violent des violents ; mais c’est là l’erreur de la violence chez ceux qui l’ont jugé. […] Je parle de son esprit même, de cet esprit que des lettrés superficiels, convertis à sa tendresse de cœur par les délicieuses choses qu’il a écrites, mais rétifs et résistants à la douceur de son génie, non moins réelle que la tendresse de son âme, continuent d’appeler un esprit absolu et dur parce qu’il ne croit pas que la vérité se plie et se chiffonne comme une de nos loques matérielles ; parce que, ne pouvant y rien changer et historien de la Providence, il proclame le dogme de l’Expiation, — dont il n’est pas l’auteur plus que de cette mort par laquelle l’homme expie ses fautes ! […] Mais les abus valent infiniment mieux que les révolutions ; et ce second point s’adresse aux peuples. » Enfin, Calvin n’eût pas écrit : « J’ai toujours observé qu’on peut tout dire aux Français ; la manière fait tout. » Les esprits absolus et cruels se soucient bien de la manière ! […] Mais c’est précisément sur la question traitée par Joseph de Maistre en ces quelques pages qu’on pourra juger de l’esprit absolu de cet absolutiste tout d’une pièce, que nous maintenons, nous, malgré sa renommée, l’esprit le plus large, le plus prudent, le plus flexible, et, quand il s’agit de manier les choses et les hommes, le plus doux, — ce n’est pas assez dire !

65. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Rêveries sur un empereur »

Constitutionnels ou absolus, le plus avantageux pour les souverains est de ne pas bouger et de se montrer le moins possible. […] Et, ce qui est tout à fait remarquable, c’est que, cherchant les moyens de remplir sa mission de chef absolu d’un grand peuple, l’Empereur a appelé à ses conseils des républicains de France, dont un jacobin et un anarchiste. […] Or  et nous entrons ici dans le rêve  que pourrait-on attendre aujourd’hui d’un monarque absolu qui, un siècle après la Révolution, aurait, au fond, la même notion du pouvoir royal et le même genre de sérieux et de bonne volonté que les rois-prêtres de jadis, qu’un Philippe-Auguste, un Louis IX ou un Charles V, et qui, jeté dans un monde totalement différent du leur, joindrait à cela les lumières auxquelles est parvenue, depuis ces grands princes, la conscience de l’humanité ?

66. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre II. Vérification de la loi par l’examen de la littérature française » pp. 34-154

Sans cette complication, le caractère cornélien serait une ligne droite dans l’absolu. […] Cette admiration va même si loin dans l’absolu, qu’elle néglige tout un côté de Molière, le drame du poète lui-même, et je n’entends pas par là les déboires du mari. […] Ici, l’esprit de l’époque a trouvé, créé, sa forme adéquate ; ce sont des œuvres d’absolue beauté. […] La valeur absolue de Dumas ? […] La féodalité et la théocratie ont fait la France en la menant jusqu’à la royauté absolue ; la royauté, supprimant la féodalité, a développé ce Tiers-État qui fit la Révolution ; qu’engendrera notre démocratie bourgeoise et parlementaire ?

67. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Mathilde de Toscane »

Je me contenterai des paroles par lesquelles il termine son jugement sur l’ensemble de la vie du pontife, et où la plume de l’historien a été constamment digne de son sujet : « Cet homme — dit-il en finissant — ne savait inspirer que des sentiments excessifs, la haine la plus violente ou le plus absolu dévouement. […] La peur de l’absolu, qui a fait se taire Villemain devant cette figure surnaturelle de Grégoire à laquelle il ne touchera pas (et ce livre-ci nous en console), la peur de l’absolu a-t-elle troublé un esprit fait pour le regarder sans en pâlir ? Et lui, Renée, lui qui a le goût et le sens, ces deux grands avertissements critiques, ces deux consciences de ce qui fait la force et la beauté littéraires, a-t-il donc pu oublier que, pour écrire l’histoire de Grégoire VII, presque autant que pour la penser, il faut avoir en soi cet absolu que Grégoire avait dans le génie, dans le caractère, dans la foi, et que ceux qui ne l’ont pas dans la pensée ne peuvent s’empêcher d’admirer ?

68. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre III. Le cerveau chez l’homme »

Parchappe, au contraire, affirme « que l’encéphale de la femme est plus petit que celui de l’homme, sans être sensiblement plus grand par rapport à la masse du corps : il ne compense donc pas son infériorité absolue par une supériorité relative. » Enfin Gratiolet n’a pas d’opinion particulière sur ce sujet ; seulement il hésite à se prononcer sur la question d’inégalité intellectuelle, et pour lui la diversité des fonctions n’entraîne pas nécessairement l’idée d’une infériorité absolue. […] Un célèbre romancier avait déjà exposé cette théorie dans la Recherche de l’absolu. […] Si le poids fait défaut, on invoque la forme ; si la forme fait défaut, on invoque le poids : tantôt on parle du poids absolu, tantôt du poids relatif. […] D’ailleurs, pour pouvoir nier d’une manière absolue l’aptitude de telle ou telle race à la civilisation, il faudrait faire des expériences qui n’ont pas été convenablement faites, parce qu’elles sont très difficiles.

69. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre III : Examen de la doctrine de Tocqueville »

C’est donc un grand progrès dans la science d’avoir établi que nulle souveraineté n’est absolue, pas même celle du peuple ; mais ce point une fois gagné, ne reste-t-il pas encore à savoir à qui appartient cette souveraineté limitée, la seule qui soit possible à l’homme ? […] Sans doute il est convenable que les plus sages gouvernent, mais cela ne constitue pas pour eux un droit absolu : je dois de la déférence à celui qui est plus sage que moi, je ne lui dois pas obéissance. […] Au reste, si l’on résolvait cette terrible difficulté dans le sens le moins favorable, on ne s’éloignerait cependant pas des vues générales de M. de Tocqueville, car cet esprit de nivellement à outrance appelle le pouvoir absolu, soit qu’il triomphe, soit qu’il succombe. […] Il nous semble que M. de Tocqueville pose la question en termes bien absolus, lorsqu’il n’admet aucun milieu entre la foi avec la liberté et l’incrédulité avec la servitude. […] Sans doute on peut bien fonder une sorte de politique absolue en partant de l’idée de la nature humaine et de la notion abstraite de l’État, et c’est par là seulement qu’on arrive à la notion du droit et du devoir dans les sociétés.

70. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre III. De la signification de la vie. L’ordre de la nature et la forme de l’intelligence. »

Ainsi, pourvu que l’on ne considère de la physique que sa forme générale, et non pas le détail de sa réalisation, on peut dire qu’elle touche à l’absolu. […] Dans l’absolu nous sommes, nous circulons et vivons. […] Si la détente était complète, il n’y aurait plus ni mémoire ni volonté : c’est dire que nous ne tombons jamais dans cette passivité absolue, pas plus que nous ne pouvons nous rendre absolument libres. […] Il faut remarquer qu’elle est plus ou moins assurée, selon les cas, et qu’elle prend le caractère d’une certitude absolue lorsque le microcosme considéré ne contient que des grandeurs. […] Néanmoins, les anciens n’hésitèrent pas à mettre tous les genres sur le même rang, à leur attribuer la même existence absolue.

71. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIIIe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (1re partie) » pp. 5-96

Sans doute l’État et la famille doivent avoir une sorte d’unité, mais non point une unité absolue. […] La république ou l’État parfait doit participer du pouvoir absolu par la vigueur de l’autorité, du pouvoir oligarchique par la sagesse des conseils. […] L’excellence de la loi peut du reste s’entendre de deux façons : la loi est, ou la meilleure possible relativement aux circonstances, ou la meilleure possible d’une manière générale et absolue. […] La démagogie est née presque toujours de ce qu’on a prétendu rendre absolue et générale une égalité qui n’était réelle qu’à certains égards. Parce que tous sont également libres, ils ont cru qu’ils devaient l’être d’une manière absolue.

72. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XII. L’antinomie morale » pp. 253-269

La théorie du Devoir un et absolu est un autre mensonge éthique supposé et réclamé par les précédents. En fait, pourtant, nous ne nous trouvons pas en présence d’un devoir unique et absolu ; mais en présence de devoirs multiples, relatifs, souvent divergents ou même contradictoires. […] L’ouvrier pénétré de la conscience de classe se fait de son devoir une conception absolue et intransigeante. […] À vrai dire cette morale n’exclut pas d’une façon absolue l’idée de société et de sociabilité.

73. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mallarmé, Stéphane (1842-1898) »

d’une chose : c’est d’avoir, en reculant la ligne d’ombre vers les hautes ténèbres intellectuelles, suscité à nos esprits qui vous ont suivi quelque crépusculaire illusion d’un radieux midi ; c’est d’avoir, levant, d’un geste, nos yeux vers l’éblouissement interdit de l’absolu, d’avoir obscurci en nous le sens de la clarté. […] Et pour traduire le frémissement intime du rêve, au lieu de la vulgaire élocution banale, il se réserva le droit de refondre, en un alliage neuf, inouï, absolu, les vieux vocables discrédités. […] Il l’était de par cette maîtrise de soi, empreinte à chaque ligne de son œuvre comme à chaque ride de son front ; de par cette aristocratie absolue qui le faisait vivre à l’écart et qui, à peine surgissait-il en quelque réunion, le désignait, le consacrait.

74. (1907) L’évolution créatrice « Introduction »

Ce n’est plus la réalité même, dit-elle, qu’elle recomposera, mais seulement une imitation du réel, ou plutôt une image symbolique ; l’essence des choses nous, échappe et nous échappera toujours, nous nous mouvons parmi des relations, l’absolu n’est pas de notre ressort, arrêtons-nous devant l’Inconnaissable. […] Mais une intelligence tendue vers l’action qui s’accomplira et vers la réaction qui s’ensuivra, palpant son objet pour en recevoir à chaque instant l’impression mobile, est une intelligence qui touche quelque chose de l’absolu. L’idée nous serait-elle jamais venue de mettre en doute cette valeur absolue de notre connaissance, si la philosophie ne nous avait montré à quelles contradictions notre spéculation se heurte, à quelles impasses elle aboutit ?

75. (1904) Essai sur le symbolisme pp. -

L’essentiel est que nous plongions nos racines dans la nature, pour nous élancer droits vers l’Absolu. […] Je tiens un absolu : je ne réfléchis rien, je suis cela. […] Soit, exorcisons le fantôme de l’Absolu, pour ne parler que d’états d’âme. […] D’un bond ils sautent dans l’absolu et leur âme éclate en chaque mot. […] Est-ce à dire que le subjectivisme absolu soit le vrai ?

76. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « J. K. Huysmans » pp. 186-212

Usant d’une imagination adroite et subtile, il s’emploie à donnera tous ses goûts une nourriture facticement convenable, présente à ses yeux des spectacles combinés, substitue les évocations de l’odorat à l’excercice de la vue, et remplace par les similitudes du goût certaines sensations de l’ouïe, pare son esprit de tout ce que la peinture, les lettres latines et françaises ont d’œuvres raffinées, supérieures ou décadentes, oscille dans sa recherche d’une doctrine qui systématise son hypocondrie, entre l’ascétisme morose des mystiques et l’absolu renoncement des pessimistes allemands. […] Tandis que dans ses premiers livres, l’organisme humain reste à peu près intact, dans ses derniers il le doue d’étranges timidités, d’une mollesse constante, d’un acquiescement résigné à toutes les vicissitudes, d’une absolue dépendance des circonstances extérieures, qui se traduit autant par l’incapacité d’André à travailler dans un appartement neuf, que par l’intolérable malaise qu’il ressent à vivre seul, sans le bruissement d’un jupon de femme autour de lui. […] Ds leur impuissance volitionnelle, on peut déduire leur incapacité de vivre dans la société, leur aspiration, vaine pour les uns, satisfaite pour des Esseintes, vers une existence monacale, solitaire et recluse, enfin leur absolu pessimisme, leur misanthropie acerbe, leur dégoût de toute vie active. […] Ils sont convaincus de l’avortement fatal de l’effort humain, dénigrent ses succès nécessairement partiels, dénoncent toutes les institutions nationales, contestent la possibilité du progrès et aboutissent, quand ils formulent la théorie générale de leurs sentiments, aux anathèmes du catholicisme ou à ceux plus absolus et aussi peu fondés de Schopenhauer. […] De là le raffinement, la recherche, la trouvaille, l’amour des belles choses inédites, de tout ce qui, dans le domaine artistique  plus ouvert à la perfection que la nature parce que plus inutile  se rapproche clandestinement de la supériorité absolue, satisfait certains goûts très nobles de la nature humaine, lui procure les plus complexes c’est-à-dire les plus belles émotions esthétiques.

77. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre I : Principe de la métaphysique spiritualiste »

Comme Kant, il distingue le noumène et le phénomène, ce qui est en soi et ce qui nous apparaît, et, s’il reproche aux sceptiques de ne voir que des phénomènes, il reproche aux dogmatiques de prétendre connaître les choses en soi dans leur absolu, dans leur essence intime et première. […] Le sujet pensant ne se perçoit donc pas à la manière des choses externes, comme un phénomène ou une collection de phénomènes ; mais ne l’oublions pas, il ne se connaît pas non plus dans son essence, dans son fond absolu. L’âme dans l’absolu, dit Maine de Biran, est un x. […] Cette disparition est-elle absolue, ou n’est-elle qu’une transition à un autre état de conscience ? […] Ces différents états, susceptibles d’une infinité de degrés, sont comme des passages de la conscience à l’inconscience, sans qu’on puisse affirmer qu’il y ait jamais un état d’inconscience absolue.

78. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

Son enfance a été labeur énorme et obéissance absolue. […] On dit que le pouvoir des rois est absolu ; c’est leur devoir qui est absolu, puisqu’ils sont obligés, non devant l’opinion capricieuse ou une constitution fragile, mais devant l’absolu lui-même. […] Il est l’idéologue absolu. […] Le faux absolu serait moins grave ; car, « marque certaine d’erreur, il le serait de vérité », Dieu nous donne le faux absolu ! […] Ils ont voulu la liberté absolue des cultes, ce qui conduisait nécessairement, en un temps donné, à l’absolue liberté de la pensée.

79. (1926) La poésie de Stéphane Mallarmé. Étude littéraire

« L’absence d’aucun souffle unie à l’espace, dans quel lieu absolu vivais-je ? […] Recherche de l’absolu « Je l’exhibe avec dandysme, mon incompétence sur autre chose que l’absolu », dit-il, oubliant que le brummelisme orthodoxe n’exhibe rien, mais se souvenant peut-être que l’incompétence sur autre chose que l’absolu ne signifie pas la compétence sur l’absolu. […] Son culte à l’absolu, il le rendait sous la forme de ses scrupules. […] Là est la découverte certaine, absolue, du symbolisme ». […] Aussi la préoccupation de l’absolu poétique pose vite chez Mallarmé le problème de la musique.

80. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 janvier 1886. »

Presque toujours, dans ses commentaires, Wagner nomme le chevalier de Saint Graal le centre du poëme ; c’est lui qui est poussé par un désir invincible, par le désir inexprimable d’être aimé, à quitter la région éthérée de pureté absolue, dans laquelle il vit, pour venir se mêler aux hommes, et pour trouver un cœur de femme qui se donne à lui, tout entier et sans question (IV, 353-366). […] Mais cette négation ne revêt pas le caractère affirmatif d’une profonde conviction ; elle est ce que Wagner nommait le « pessimisme absolu », (X, 326), celui « qui se contente de constater la nullité du monde ». […] Si Wagner avait achevé son drame de négation, — négation absolue, mais mâle et affirmative, — Jésus de Nazareth (IV, 404), qu’il avait commencé immédiatement après Lohengrin, cette œuvre, certes, n’aurait pas été populaire ! […] Comme dans la mélodie italienne, il a reconnu là « cette forme indigente et presque enfantine de l’art, dont les étroites limites condamnent le compositeur de génie lui-même, qui embrasse cet art, à une immobilité absolue ». […] La musique n’est pas le langage de l’éternelle et absolue vérité ; plus qu’aucun autre art, elle est fatalement soumise à l’instabilité du caprice, aux variations de la mode.

81. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXX » pp. 126-128

Le Semeur est inconséquent quand il soutient les doctrines de Quinet et de Michelet qui mènent à la non-liberté de l’enseignement, lui Semeur qui veut l’entière séparation de l’Église et de l’État : mais c’est ainsi qu’on fait toujours ; on est pour la doctrine absolue jusqu’à ce que la passion ou l’intérêt s’en mêlent : alors on fléchit tout doucement. Je reviens. — Le fait est qu’il n’y a pas de doctrine absolue pour les États et que tout est relatif, subordonné à l’utilité publique. — Ainsi quelle que soit la rigueur du raisonnement, il serait fatal qu’en France on laissât le clergé se fortifier et s’organiser davantage en parti.

82. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Fustel de Coulanges » pp. 15-32

L’auteur des Institutions politiques de l’ancienne France établira-t-il la vérité complète, absolue, sans objection, de l’histoire qu’il a entreprise ? […] Ces têtes romaines, organisées pour la politique, comme les têtes grecques l’étaient pour l’art, admettaient que le droit du magistrat fût absolu ; et il l’était à tous les degrés de la magistrature, pour le censeur comme pour le tribun, pour le préteur comme pour le consul. […] de ces esprits éperdus : Commode, Néron, Caligula, ne purent dégoûter la tête ferme des Romains de cette chose toute romaine : — le pouvoir absolu. […] Il opposa le romanisme vrai du pouvoir absolu au romanisme faux de la Révolution française, dont l’esprit démocratique ne pouvait rien comprendre à la constitution romaine.

83. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Le comte de Gasparin » pp. 100-116

Nous l’avons par le fait de cette loi physiologique et absolue, que tout ce qui est vieux a toujours bavardé. […] Selon le comte de Gasparin, ce Pape, qui fut grand, mais certainement moins grand que Grégoire VII, — qui, à distance de plus d’un siècle, sut lui paver la voie Appienne de sa grandeur future, — représente pourtant, sinon le plus haut degré du génie absolu de l’Église, au moins le plus haut point de sa fortune, et c’est pour cette raison que le comte de Gasparin, en le choisissant, l’a frappé. […] Non pas celui de Luther ou de Calvin ou de personne, ni même l’apostolique du comte de Gasparin, — cette pointillerie, comme aurait dit Bossuet, dans le dédain de son bon sens, cette pointillerie à examiner, travail de Pénélope toujours repris par qui a la fantaisie de le reprendre, — mais le protestantisme primitif, éternel, qui date du paradis terrestre, disait Lacordaire, et qui naquit le jour où Satan dressa contre Dieu le pourquoi de toutes les révoltes… Le chez soi du comte de Gasparin, c’est l’individualisme sans limites, c’est le plein vent de la liberté, c’est le radicalisme absolu ! […] Tous deux sont des individualistes et des radicaux absolus : l’un dans l’ordre politique, l’autre dans l’ordre religieux ; mais c’est un bon chemin (et même il n’y en a pas d’autre) pour mener au radicalisme politique, que le radicalisme religieux.

84. (1903) La pensée et le mouvant

Ils croient nous renseigner sur l’absolu en lui donnant un nom. […] Je tiendrai un absolu. […] Seule, la coïncidence avec la personne même me donnerait l’absolu. […] Ce sera l’indéterminé et le vide absolus. […] Cette intuition atteint un absolu.

85. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Affaires de Rome »

Singulière énergie, révolution indiviiluelle à jamais étonnante, que celle qui raye d’un trait de plume et renvoie comme à néant tout le passé d’une telle vie, et qui fait qu’à plus de cinquante-trois ans on en recommence une nouvelle, — à beaucoup d’égards une contraire, — avec toute la ferveur de la jeunesse, avec tout le dégagé et tout l’absolu d’une première entreprise ! […] J’ouvre les Mélanges de 1825 : « On ne lit plus,… on n’en a plus le temps… Cette accélération de mouvement qui ne permet de rien enchaîner, de rien méditer, suffirait seule pour affaiblir et, à la longue, pour détruire entièrement la raison humaine. » Et en tête du livre de la Religion considérée dans ses rapports, etc. (1826) : « On ne lit plus aujourd’hui les longs ouvrages ; ils fatiguent, ils ennuient ; l’esprit humain est las de lui-même, et le loisir manque aussi… Dans le mouvement rapide qui emporte le monde, on n’écoute qu’en marchant… » On peut observer en règle générale que, de même que les livres de M. de La Mennais commencent tous par une parole empressée sur la vitesse des choses et la hâte qu’il faut y mettre, ils finissent tous également par une espèce de prophétie absolue. […] Il explique l’animosité des Jésuites contre lui par un passage du livre des Progrès de la Révolution (1829), et il ajoute après avoir cité ce passage : « On conçoit donc pourquoi leur institut ne nous paraissait pas suffisamment approprié aux besoins d’une époque de lutte entre le pouvoir absolu des princes et la liberté des peuples, dont le triomphe à nos yeux est assuré, » et il oublie que, pour l’accord logique, il faudrait était assuré, ce qui serait inexact en fait, et même entièrement faux, puisqu’en 1829 ce n’était point par ce côté, mais par l’autre bout, qu’il remuait les questions sociales. […] Forcé donc d’opter entre la Papauté, qui s’enchaînait à tout jamais à des principes faux, et l’indépendance absolue, il dut réfléchir beaucoup, dit-il, et aujourd’hui il se déclare émancipé. […] Si je voulais donner à un jeune homme de vingt ans, enthousiaste, enorgueilli de doctrines absolues, la plus haute leçon de philosophie pratique (soit philosophie chrétienne, soit philosophie humaine), je le lui ferais lire, et aussitôt le volume achevé, je lui mettrais entre les mains le livre de la Religion considérée dans ses Rapports, etc., par le même auteur.

86. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Pierre Loti »

Et c’est de cette âme que vient aux petites phrases de Loti leur immense frisson… On peut voir, par l’exemple de Pierre Loti, comment, par quel détour, les vieilles littératures reviennent quelquefois à la simplicité absolue. […] Et bien a pris à Pierre Loti de passer par la désespérance et la négation absolues ; car, à partir de ce moment, il parcourt le monde sans autre souci que d’y recueillir les sensations les plus fortes ou les plus délicates. […] Il noue des amitiés étroites avec des êtres primitifs et beaux, Samuel, Achmet, Yves, créatures plus nobles et plus élégantes que les civilisés médiocres, et avec qui son esprit n’a point à s’efforcer ni à se contraindre et goûte d’ailleurs le plaisir de la domination absolue. […] Les sujets ne pouvaient guère être que des histoires d’amour avec les femmes des différents pays que traverse le poète : amour sensuel et rêveur, amour absolu chez la femme ; amour curieux, orgueilleux, parfois cruel chez l’homme. […] Et je n’ai rien à dire de ces deux récits sinon que le pittoresque en est merveilleux, l’émotion pénétrante et la simplicité absolue.

87. (1911) La valeur de la science « Troisième partie : La valeur objective de la science — Chapitre XI. La Science et la Réalité. »

Cette certitude cependant est-elle absolue ? […] Non, il n’y a pas d’espace absolu ; ces deux propositions contradictoires : « la Terre tourne » et « la Terre ne tourne pas » ne sont donc pas cinématiquement plus vraies l’une que l’autre. Affirmer l’une, en niant l’autre, au sens cinématique, ce serait admettre l’existence de l’espace absolu. […] En disant, la Terre tourne, j’affirme que tous ces phénomènes ont un rapport intime, et cela est vrai, et cela reste vrai bien qu’il n’y ait pas et qu’il ne puisse y avoir d’espace absolu. […] Adopter le système de Ptolémée, c’est répondre oui ; adopter celui de Copernic c’est répondre non ; c’est affirmer qu’il y a un lien entre les trois phénomènes et cela encore est vrai bien qu’il n’y ait pas d’espace absolu.

88. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre II : Philosophie politique de Tocqueville »

Il n’emploie que la première méthode, l’observation directe, et le manque absolu de comparaisons historiques est l’une des lacunes de son ouvrage. […] La principale erreur des partisans passionnés de la démocratie est de considérer cette forme de société comme un type absolu et idéal qui, une fois réalisé ici-bas, donnerait aux hommes le parfait bonheur. […] Il y a même eu d’autres États où le peuple était considéré comme souverain, mais où il n’est intervenu qu’une fois pour décerner à un seul le pouvoir absolu, ne se réservant plus rien pour lui-même. […] Avant lui, beaucoup d’autres avaient dit déjà que nul pouvoir humain ne doit être absolu, que la toute-puissance est en soi une chose mauvaise et dangereuse, au-dessus des forces de l’homme, que la démocratie a une tendance naturelle à devenir despotique, et qu’il faut par conséquent la tempérer, la limiter, la contenir par les lois. […] Ce cri d’alarme indique bien que l’école démocratique elle-même est aujourd’hui ébranlée dans sa foi sans bornes à la souveraineté absolue de l’État, et qu’elle est envahie par l’individualisme.

89. (1890) L’avenir de la science « XI »

Le fait des langues classiques n’a d’ailleurs rien d’absolu. […] C’est en effet mal comprendre le rôle et la nature des langues classiques que de donner à cette dénomination un sens absolu, et de la restreindre à un ou deux idiomes, comme si c’était par un privilège essentiel et résultant de leur nature qu’ils fussent prédestinés à être l’instrument d’éducation de tous les peuples. Leur existence est un fait universel de linguistique et leur choix, de même qu’il n’a rien d’absolu pour tous les peuples, n’a rien d’arbitraire pour chacun d’eux.

90. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — V »

V À s’efforcer en quelques traits de marquer le centre du point de vue que toutes les considérations précédentes avaient pour objet de créer, on pense devoir mettre en évidence ce fait : l’incompatibilité absolue qu’il a fallu constater — entre l’existence d’une vérité objective fixant un terme au mouvement, — et une réalité située dans le devenir et dont l’essence est le mouvement. […] L’état quelconque du mouvement qu’il immobilise apparaît sous le regard de la conscience, comme le seul état parfait ; il emporte la foi absolue en lui-même et fait tenir le nombre illimité des possibles dans les limites qui le définissent. « Je suis, dit-il toujours, la vérité et la vie. » Et la force avec laquelle ce pouvoir d’arrêt s’affirme sous forme de vérité dans le monde moral traduit expressément le degré du pouvoir de réalisation dont il est l’interprète. […] Que l’on mette en cause une conception de l’ordre moral, politique, social ou religieux, il ne s’agit plus de la comparer avec un modèle idéologique d’une valeur présumée absolue, dont on sait maintenant l’origine arbitraire, avec une idée divinisée de vérité ou de justice, dont on connaît qu’elle n’exprime autre chose qu’un état de sensibilité particulier et propre à un temps donné.

91. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre III. Suite des Époux. — Adam et Ève. »

Le front ouvert, l’œil sublime du premier, annoncent la puissance absolue : ses cheveux d’hyacinthe, se partageant sur son front, pendent noblement en boucles des deux côtés, mais sans flotter au-dessous de ses larges épaules. […] Un bonheur absolu nous ennuie ; un malheur absolu nous repousse : le premier est dépouillé de souvenirs et de pleurs ; le second, d’espérance et de sourires.

92. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre III. Pascal »

Louis XIV a pris en haine ces indociles, dont la résistance choque son instinct d’absolue autorité. […] Mais il n’eut ni la volonté ni la puissance d’être un artiste : il fit œuvre de théologien, de philosophe, de logicien, jamais pour ainsi dire œuvre d’écrivain ; dans aucune de ses polémiques, il ne fit un de ces livres « absolus » qui dépassent l’occasion d’où ils naissent et lui survivent. […] Par là ce pamphlet est demeuré un des livres que lira toujours quiconque, chrétien ou non, cherchera sa règle de vie : il a réalisé cette loi des grandes œuvres d’art, de dépasser les circonstances contingentes qui lui ont donné l’être, et de revêtir un intérêt absolu, universel. […] Mais quand cela ne serait point, quand aucun moyen ne s’offrirait à l’homme de parvenir jusqu’à Dieu, par la raison ou par toute autre voie, dans l’absolue impossibilité de savoir, il n’en faudrait pas moins faire comme si on savait. […] La connaissance scientifique est essentiellement incomplète et relative ; c’est ce qu’aperçoit nettement Pascal, au début d’un âge scientifique, et cela désespère ce grand esprit, avide d’une certitude absolue et infinie.

93. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre IV. Le Séminaire d’Issy (1881) »

Laliberté qu’il me laissa était absolue. […] Pinault, professeur de mathématiques et de physique, étaient en tout le contraste absolu de M.  […] Les natures absolues ont besoin de ces partis tranchés. […] Ma solitude était absolue. […] Il devait à la fréquentation de Thomas Reid une grande aversion pour la métaphysique et une confiance absolue dans le bon sens.

94. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « H. Forneron » pp. 149-199

Mais il fut un roi catholique, ou plutôt le roi catholique, dans le sens le plus incompatible, le plus impérieux, le plus absolu. […] On a beaucoup parlé de Philippe II, et on l’a costumé bien des fois avec des phrases de mélodrame, cet homme impénétré qu’on croyait éclairer, quand on le cachait un peu plus… Pour moi, j’ai dit ici, en un seul mot, ce qu’il me paraît être et ce qui venge de tout : ce fut un amoureux de Dieu comme on l’était au Moyen Âge et un serviteur de Dieu absolu, — absolu comme l’amour ! […] C’est son caractère particulier, profond, essentiel, absolu, d’être religieuse… Or, Forneron ne l’est pas. […] Il y a l’anarchie absolue, permanente et stupide, que Bonaparte n’étouffa même pas du premier coup sous son pouce d’Hercule, et, tout aussi général que l’anarchie, un cannibalisme monstrueux, ce cannibalisme qui ne meurt jamais et qui est toujours prêt à se lever dans le cœur philanthropique des hommes, pour leur démontrer le néant de ce qu’ils appellent « des civilisations !  […] Ainsi, comme il a fait pour l’anarchie, qui est le premier caractère de la Révolution, Forneron l’a fait également pour son cannibalisme, qui est le second, et qui, à eux deux, la résument d’une manière complète, exclusive, absolue.

95. (1860) Cours familier de littérature. X « LXe entretien. Suite de la littérature diplomatique » pp. 401-463

Ce principe, c’est ce qu’on appelle en ce moment le principe sacré, supérieur et absolu des nationalités. […] C’est une vérité qui s’applique d’une manière absolue partout et toujours, et sans se démentir jamais, à tous les temps, à tous les lieux, à toutes les circonstances. S’il n’est pas principe partout, il n’est principe nulle part ; s’il est faux ici, il n’est pas vrai là ; s’il est absurde en Angleterre et en France, il ne peut être absolu nulle part ; ce n’est plus un principe, c’est une convenance, une utilité peut-être, une fantaisie ici, un sophisme là, un intérêt ailleurs, un mensonge partout. […] Il faut donc chercher un principe absolu de diplomatie ailleurs que dans ce principe de l’insurrection universelle. […] On prévoyait que l’Allemagne, monarchique, ecclésiastique, absolue dans ses éléments, serait promptement en antipathie et bientôt en hostilité avec une nation libre, démocratique, peut-être républicaine ; on devait donc chercher ses alliés dans la libre et représentative Angleterre.

96. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE BALZAC (La Recherche de l’Absolu.) » pp. 327-357

DE BALZAC (La Recherche de l’Absolu.) […] Son sang-froid d’observateur lui échappe ; une détente lui part, pour ainsi dire, au dedans du cerveau et enlève à cent lieues les conclusions : ainsi dans sa Recherche de l’Absolu, dont nous aurons tout à l’heure à parler ; ainsi dans ces excellents Célibataires, où son chanoine Troubert se grossit et s’exagère vers la fin au point de nous être donné comme un petit Richelieu. […] La conclusion et la solution fréquente des embarras romanesques où M. de Balzac place ses personnages, c’est cette mine d’or dont il a la faculté de les enrichir ; ainsi dans l’Absolu, ainsi dans Eugénie Grandet, ainsi dans le conte du Bal de Sceaux où l’or de M. de Longueville est le ressort magique, le Deus ex machina. […] » La Recherche de l’Absolu, dernière publication de M. de Balzac, n’est pas un de ses meilleurs romans : mais, à travers des circonstances fabuleuses et injustifiables, cette histoire a beaucoup de mouvement, de l’intérêt, et c’est une de celles où l’on peut le plus étudier à nu la manière de l’auteur, sa pente et ses défauts. […] Quoi qu’il en soit, Claës se livre, à partir de ce moment, à la recherche de l’absolu, ce qui veut dire pour lui la transmutation des métaux et le secret de faire de l’or ; il s’y oublie, il s’y acharne ; il tue de chagrin sa femme ; il s’y ruine, ou du moins il s’y ruinerait, si l’imagination du romancier ne venait sans relâche au secours de cette fortune qui se fond dans le creuset, et si la fille aînée de Claës ne réparait à temps chaque désastre, comme une fée qui étend coup sur coup sa baguette d’or.

97. (1892) Boileau « Chapitre IV. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » » pp. 89-120

Il avait mis la sincérité absolue dans sa pensée, la simplicité absolue dans son style. […] Le principe de l’imitation de la nature introduit dans l’art un élément fixe et absolu, un principe d’unité et d’universalité, partant la raison, qui est en nous ce qui nous est commun avec tous les hommes, sous l’infinie diversité des races, des siècles et des humeurs. […] Il estimait sans doute que, quand par la probité absolue de son expression, l’artiste impose le sentiment de la réalité de l’objet qu’il exprime, si particulier que soit cet objet, la copie prend une valeur universelle et constante. […] Il attribue une valeur absolue à des choses toutes relatives, et s’imagine trop facilement que la vérité et le naturel d’Athènes seront aussi vérité et naturel à Paris. […] Il devait arriver que tantôt il interprétât l’antiquité avec ses idées modernes, et que tantôt il opprimât la pensée moderne par les formes antiques : comme il était fort malaisé de dégager toujours sûrement le fond commun des œuvres anciennes et de l’expérience moderne, il devait tendre à faire une trop large part à l’immuable et à l’absolu dans la nature et dans l’esprit humain.

98. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Ferdinand Fabre  »

Et qu’on ne dise pas : « Cela n’est rien, c’est très facile ; ils font cela pour être mieux récompensés au ciel. » Car l’espoir d’un petit surcroît de félicité dans la béatitude absolue (chose d’ailleurs contradictoire) ne saurait provoquer un tel effort ; ou bien, si je ne m’étonne plus du sacrifice, ce qui m’étonnera, ce sera la profondeur et l’intensité du sentiment, amour ou foi, qui le rend facile ; et cela reviendra au même. […] Et pensez un peu à ce que c’est que la continence absolue, la nécessité de promener partout sa robe noire, le renoncement à toutes les curiosités de l’esprit, l’idée que l’on porte un signe indélébile et qu’on ne s’appartiendra jamais plus. […] C’est que ni leur éducation ni leurs préoccupations habituelles ne sont bien propres à leur faire connaître le train du monde ; puis, leur confiance en Dieu est absolue, et elle ne peut être absolue que si elle est folle, si elle trouve le miracle chose naturelle  Une dernière marque enfin, c’est que cette charité sans bornes est pourtant une charité catholique, pour qui les hommes sont frères moins par une communauté de destinée et une solidarité d’intérêt que parce qu’ils ont été rachetés tous par le Christ ; et cette charité n’a point pour véritable but le soulagement de la souffrance, mais elle poursuit, par le bien qu’elle fait aux corps, la conversion des âmes. […] Ce plaisir si rare et si noble, le plus pauvre desservant peut sans doute le goûter ; mais on connaît, d’autre part, l’état de sujétion absolue où les prêtres sont tenus par leurs évêques. […] Elle doit être de plus en plus, par la force des choses, une monarchie absolue dans le monde des âmes, une théocratie.

99. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre III. De la nature du temps »

Car si l’on ne commençait pas par admettre une simultanéité de ce genre, absolue, et qui n’a rien à voir avec des réglages d’horloges, les horloges ne serviraient à rien. […] On estime que la dimension n’est pas un absolu, qu’il y a seulement des rapports entre dimensions, et que tout se passerait de même dans un univers rapetissé à volonté si les relations entre parties étaient conservées. […] Un microbe intelligent trouverait entre deux horloges « voisines » un intervalle énorme ; et il n’accorderait pas l’existence d’une simultanéité absolue, intuitivement aperçue, entre leurs indications. […] La simultanéité qui est absolue à nos yeux serait relative aux siens, car il reporterait la simultanéité absolue aux indications de deux horloges microbiennes qu’il apercevrait à son tour (qu’il aurait d’ailleurs également tort d’apercevoir) « au même endroit ». […] Nous voyons que, si notre esprit passe ici avec tant de facilité d’une petite distance à une grande, de la simultanéité entre événements voisins à la simultanéité entre événements lointains, s’il étend au second cas le caractère absolu du premier, c’est parce qu’il est habitué à croire qu’on peut modifier arbitrairement les dimensions de toutes choses, à condition d’en conserver les rapports.

100. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Discours sur l’histoire de la révolution d’Angleterre, par M. Guizot (1850) » pp. 311-331

Le philosophe absolu a beau vous dire : « En histoire, j’aime les grandes routes, je ne crois qu’aux grandes routes. » Le bon sens répond : « Ces grandes routes, c’est l’historien le plus souvent qui les fait. […] En 1826, la leçon s’adressait à la royauté qui voulait être absolue, et aux ultra. […] Guizot me paraît beaucoup trop absolue. […] Voilà la seule philosophie pratique de l’histoire : rien d’absolu, une expérience toujours remise en question, et l’imprévu se cachant dans les ressemblances. […] Je pourrais choisir encore quelques autres assertions aussi absolues, aussi gratuites, et qui me font douter de la raison intérieure de cette philosophie imposante.

101. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XV. M. Dargaud » pp. 323-339

Les réimpressions ne sont pas le droit absolu des livres à la vie. […] ceci constituait pour nous un mérite absolu. […] Dargaud, les proportions colossales et absolues d’un type, et perdu complètement celles d’un homme et de l’homme qu’il était ! Dans cette histoire, écrite d’enthousiasme et avec une générosité que je ne reproche pas à son auteur, qui non seulement aime le grand xvie  siècle, mais qui en est enivré, ce portrait du chancelier de l’Hôpital, envahissant presque toute la toile historique du siècle, et la conception de son personnage historique agrandie jusqu’à l’absolu, sont les deux plus grandes prodigalités d’imagination, d’attendrissement et même de talent qu’il y ait dans le livre de M. 

102. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre premier : M. Laromiguière »

Le sensualiste nie la raison, qui est la faculté de connaître l’absolu. Donc il détruit les preuves de l’existence de Dieu, qui est l’absolu. Donc il détruit les principes de la science, qui sont des vérités absolues. Donc il détruit les principes de la morale, qui sont des vérités absolues.

103. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Relation inédite de la dernière maladie de Louis XV. »

Ce qui se passe dans son royaume paraît ne pas le regarder : il n’est affecté de rien ; dans le Conseil, il est d’une indifférence absolue ; il souscrit à tout ce qui lui est présenté. […] Ce prince estimable et tout ce qui l’entourait, sa mère, son épouse, ses royales sœurs, toute sa maison, faisaient le contraste le plus absolu et le plus silencieux aux scandales et aux intrigues du reste de la Cour. […] Varin, conservateur à la bibliothèque de l’Arsenal, et nous y reviendrons peut-être quelque jour ; mais aujourd’hui il nous a paru utile de présenter isolément, et sans correctif, le spectacle d’une mort beaucoup moins belle, et qui, dans ses détails les plus domestiques (c’est le lot des monarchies absolues), appartient de droit à l’histoire.

104. (1874) Premiers lundis. Tome II « Thomas Jefferson. Mélanges politiques et philosophiques, extraits de ses Mémoires et de sa correspondance, avec une introduction par M. Conseil — II »

Sa préférence si naturelle pour l’industrie agricole sur l’industrie manufacturière, son aversion et sa méfiance d’un gouvernement central dont l’Europe lui avait appris les abus, et que les fédéralistes voulaient installer fortement, le rôle d’opposition qu’il soutint contre eux peur la cause de la moralité politique, tout cela le conduisit à repousser avec une sévérité absolue des institutions et des entreprises qui, bien que mêlées en naissant à beaucoup d’imprudence et de licence, semblent pourtant liées de plus en plus au développement des sociétés modernes. […] Avec un chef héréditaire, mais renfermé dans d’étroites limites ; avec un Corps législatif investi du droit de déclarer la guerre, une rigide économie des contributions publiques, l’interdiction absolue de toutes dépenses inutiles, on peut réaliser à un très haut degré les conditions d’un gouvernement honnête et éloigné de toute oppression ; mais la seule garantie de tout cela est une presse libre. » Si Jefferson vivait en ce moment ; si, âgé de 90 ans, et de son poignet de plus en plus perclus, il écrivait à son même ami, après une expérience nouvelle, ne lui manderait-il point, par hasard, que cet autre accommodement qu’il se figurait possible ne l’était guère plus en réalité que celui qu’il conseillait en 89 ? […] Une expérience rigoureuse lui avait appris qu’aux maux profonds, aux peines du dedans, il n’est de remède que le temps, le silence absolu, et aussi l’espoir de ce monde invisible où nous nous réunissons dans nos pures essences.

105. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les poètes maudits » pp. 101-114

Ce sont, dans tout l’absolu du mot, des réfractaires. […] Nonobstant cette renommée, il n’en est pas moins constant que ces trois poètes restent, dans leur essence, éminemment absolus et dignes par cela même de figurer dans la plaquette qui nous occupe. […] Et cette autre admiration professée à juste titre pour le comte Villiers de l’Isle-Adam, qu’y voir, sinon la preuve d’une parenté intellectuelle, d’une même haine absolue pour ce siècle révolutionnaire et athée ?

106. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre IV. — Molière. Chœur des Français » pp. 178-183

Ses personnages, élevés du particulier au général, résument en eux des catégories entières ; ils participent de la nature immuable et essentielle de l’homme, un hypocrite a quelque chose de l’hypocrisie absolue, un jaloux, quelque chose de la jalousie absolue ; leur nom propre devient un substantif commun ; ils sont de tous les pays, et demeurent à jamais contemporains des générations qui se succèdent246.

107. (1902) La politique comparée de Montesquieu, Rousseau et Voltaire

La liberté d’un Robinson Crusoë est absolue. […] Entrant dans l’application de ces principes, Montesquieu réclame d’abord la liberté absolue de penser, de parler et d’écrire. […] Ce souverain est absolu. […] Son rêve, c’est un roi absolu fondant la liberté dans ses Etats. […] et était ainsi le soutien, si l’on ne veut pas dire le fondement même du despotisme absolu de l’Etat antique.

108. (1889) Les artistes littéraires : études sur le XIXe siècle

En vain on trouvera chez un observateur clairvoyant comme Théophile Gautier la notion absolue de l’ulcère qui le mine. […] Est-il pourtant impossible de concilier la répulsion instinctive et animale de la tombe avec une aspiration raisonnée et philosophique au quiétisme absolu ? […] Des hommes de la plus haute valeur et de la plus incontestable compétence se sont trouvés sur leurs ouvrages en absolue contradiction. […] Que la tentative d’ailleurs ait réussi ou avorté d’une manière absolue, peu importe pour le moment. […] Il n’est pas démontré d’abord que la beauté absolue, idéale, vers qui doit tendre l’artiste, ne soit pas impassible.

109. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre IV. Le mécanisme cinématographique de la pensée  et l’illusion mécanistique. »

L’hypothèse d’un absolu qui agirait librement, qui durerait éminemment, n’aurait plus rien de choquant. […] Nous obtenons ainsi l’idée du « néant absolu ». […] Alors l’Absolu se révèle très près de nous et, dans une certaine mesure, en nous. […] Ce double effort ne nous ferait-il pas, dans la mesure du possible, revivre l’absolu ? […] C’est (pourvu qu’on y apporte certaines corrections indispensables) dans l’absolu encore qu’elle nous introduirait.

110. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Le docteur Revelière » pp. 381-394

déshonoré en l’écrivant… Un immense mensonge s’est étendu sur elle, comme la nuée, pleine de feu, qui devait pleuvoir sur Sodome… L’auteur des Ruines de la Monarchie française — de cette histoire d’où il ressort pour conclusion la thèse historique de la vérité absolue de la Monarchie — ne sera pas même discuté par les petits traîneurs de fétus qui fourmillent dans le journalisme contemporain. […] Le Royalisme de l’auteur des Ruines est le Royalisme incompatible, qui n’entend à aucune transaction, et qui n’a ni la niaiserie, ni la lâcheté d’une espérance… C’est le Royalisme absolu comme la vérité est absolue. — Et c’est pourquoi il est une ruine aussi, parmi tant d’autres, impossibles à relever !

111. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXII. Philosophie politique »

… La Philosophie dont il s’occupe dans son livre n’est pas cette philosophie générale — qui a seule le droit de porter ce nom absolu de Philosophie — et qui a pour prétention de donner la loi de tous les phénomènes. […] Fataliste au premier chef et au second inconséquente, l’économique des rêveurs a encore ceci de particulièrement absurde, qu’elle croit au bonheur absolu sur la terre et qu’elle pose l’obligation stricte pour les gouvernements de le réaliser. […] Le christianisme progressif est une expression des temps modernes, injurieuse dans sa bienveillance, et ne tendant à rien moins qu’à la négation du christianisme qui est absolu, puisqu’il est divin.

112. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — I. » pp. 325-345

Heureusement pour lui, ces sentiments se rencontrèrent juste avec l’heure mémorable où la vieille société, minée d’abus et incapable de se réparer elle-même, allait demander des remèdes absolus et une simplification dans toutes les branches ; l’occasion était prochaine où il pourrait les appliquer. […] Mon esprit s’était fixé sur des principes absolus ; et, quand je fus dans l’Assemblée nationale, j’en poursuivis toutes les conséquences, j’en voulus toutes les applications, avec toute la rigidité d’une logique opiniâtre, qui est, je crois, une des qualités de mon esprit, et peut-être avec la roideur qui est dans mon caractère… L’année précédente (1787), il avait publié un écrit d’un intérêt plus local, ce semble, mais d’une importance toute française, concernant Le Reculement des barrières. […] Ses principes étaient absolus, il nous l’a dit ; ses conséquences furent logiques et rigoureuses. […] Dans la dernière partie de sa carrière, l’Assemblée constituante essaya de revenir, par le moyen de la révision, sur ce qu’avaient eu de trop absolu ses premiers décrets ; Roederer résista : Je soutins, dit-il, que pour que la Constitution répondît au titre qu’on lui avait donné de Constitution représentative, et pour que ce titre ne fût pas une imposture, il fallait que les fonctions administratives dans les départements, les districts, les municipalités, fussent déclarées constitutionnellement, c’est-à-dire irrévocablement électives. — Je me détrompai en 1793 de mon opinion, par l’expérience que j’acquis comme procureur général syndic du département de Paris. […] Ils promettaient l’égalité absolue, l’égalité de fait, les magistratures, les pouvoirs.

113. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Monsieur de Bonald, (Article Bonald, dans Les Prophètes du passé, par M. Barbey d’Aurevilly, 1851.) » pp. 427-449

On ne le comprend bien que quand on se le représente à sa date de 1796, en situation historique pour ainsi dire, en face des adversaires dont il est le contradicteur le plus absolu et le plus étonnant, non pas avec des éclairs et des saillies de verve et de génie comme de Maistre, mais un contradicteur froid, rigoureux, fin, ingénieux et roide. […] À côté des pages denses et serrées de M. de Bonald, j’ai lu quelques pages de Bossuet, dans le même ordre d’idées absolues : La Politique tirée de l’Écriture. […] Pour montrer le degré de rigueur et d’absolu de la vérité qui se mesure à l’étendue même des lumières et de la certitude, il a pu écrire : « L’homme le plus éclairé sera l’homme le moins indifférent ou le moins tolérant ; et l’Être souverainement intelligent doit être, par une nécessité de sa nature, souverainement intolérant des opinions 56. » Voilà Dieu compromis, dans la bouche d’un homme pieux, par une expression malheureuse. […] Il y avait longtemps qu’il s’était dit : « C’est par l’état social des femmes qu’on peut toujours déterminer la nature des institutions politiques d’une société. » On peut regretter seulement que, là comme ailleurs, il ait compliqué les excellentes raisons de tout genre qu’il produisait, par d’autres trop absolues, trop abstruses et trop particulières. […] Le nom et le personnage de M. de Bonald sont une de ces représentations les plus justes et les plus fidèles qu’on puisse trouver de l’ordre monarchique et religieux pris au sens le plus absolu ; il a été l’un des derniers sur la brèche et n’a pas cédé une ligne de terrain en théorie.

114. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre II. Prière sur l’Acropole. — Saint-Renan. — Mon oncle Pierre. — Le Bonhomme Système et la Petite Noémi (1876) »

Jusque-là, j’avais cru que la perfection n’est pas de ce monde ; une seule révélation me paraissait se rapprocher de l’absolu. […] Ce qu’il y a de surprenant, en effet, c’est que le beau n’est ici que l’honnêteté absolue, la raison, le respect même envers la divinité. […] L’interdiction de lui emprunter des livres était absolue. […] C’étaient des croyants absolus ; le monde, qui n’était plus à leur diapason, leur semblait vide et enfantin. […] En fait, je n’ai d’amour que pour les caractères d’un idéalisme absolu, martyrs, héros, utopistes, amis de l’impossible.

115. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XIV : Récapitulation et conclusion »

Aucune distinction absolue n’a été et ne peut être établie entre les espèces et les variétés bien tranchées. […] Les expressions d’affinités, de parenté, de communauté de type, de morphologie, de caractères d’adaptation, d’organes rudimentaires ou avortés, etc., cesseront d’être des métaphores et prendront un sens absolu. […] Il y eut donc dès lors unité absolue de loi et seulement diversité d’application. […] J’ai déjà fait remarquer que le principe de divergence des caractères est loin d’être absolu et que les tendances héréditaires ont dû plus d’une fois produire la convergence des lignées généalogiques collatérales par suite de réversions à d’anciens caractères perdus. […] L’espèce ou plutôt la race aurait donc ainsi un fondement dans la nature autre que celui de la simple ressemblance, et la communauté d’origine aurait une valeur absolue pour délimiter les espèces.

116. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre III. Contre-épreuve fournie par l’examen de la littérature italienne » pp. 155-182

En d’autres termes, si considérable qu’elle soit, la valeur relative, historique, de Dante, à laquelle les philologues s’attachent si fort, n’est plus qu’un détail, comparée à la valeur absolue ; chez lui la réponse est moins significative que la question ; les mots de la prière moins beaux que le geste des mains jointes. […] C’est pourquoi j’ai dit qu’elle était « débarrassée de certaines contingences » ; dans son chaos même, elle touche souvent à l’absolu ; exemples : la Papauté ; Frédéric II, qui au xiiie  siècle esquisse déjà Louis XIV ; les tyrans du xve et du xvie  siècles. […] Le principe nouveau, de la raison universelle et de la souveraineté absolue, ne se réalisera pas davantage ; tous les Médicis, les d’Este, les Gonzaga ne représentent que des efforts dispersés, en de petites unités, et ne valent pas, tous ensemble, le seul Louis XIV. — Les débuts permettaient pourtant les plus grandes espérances ; ils sont lyriques : Laurent de Médicis, Politien, Leonardo Giustiniani, Sannazzaro (dont l’Arcadia est nettement lyrique), Boiardo dans son admirable Canzoniere ; le lyrisme est sensible encore dans l’Orlando furioso et jusque dans la Gerusalemme liberata. Et je ne cite toujours que les noms les plus connus. — A cet épanouissement merveilleux d’une conception nouvelle de la vie (individuelle et sociale) devait succéder normalement une période épique de création ; si les circonstances extérieures l’avaient permis, l’Italie aurait réalisé comme la France, et avant elle, le principe national sous la forme de la royauté absolue.

117. (1887) Discours et conférences « Discours prononcé aux funérailles de M. Stanislas Guyard, Professeur au Collège de France »

On sentait, derrière sa modestie, les qualités essentielles du savant, la droiture et l’indépendance du caractère, la sincérité absolue de l’esprit. […] Pauvre cher ami, entré maintenant dans la sérénité absolue, donne le repos à ce cœur inquiet, à cette conscience timorée, à cette âme toujours craintive de ne pas assez bien faire.

118. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (3e partie) » pp. 5-56

Mais encore ce qu’on appelle liberté n’est que tolérance de la société générale, et le commandement social peut l’enchaîner ou la restreindre selon les nécessités, les lieux, les temps, les circonstances, si les nécessités, les lieux, les temps, les circonstances exigent que tout soit commandement et obéissance, et obéissance partout et en tout dans la société absolue. […] Ce commandement, sous le despotisme, est attribué à un seul, sous les autocraties à une caste, sous les théocraties à un sacerdoce souverain, sous les républiques à une élite élective de citoyens et de magistrats, sous les démocraties absolues à la multitude, sous les démagogies, comme à Athènes, à des tribuns privilégiés, et renversés par les faveurs mobiles de la plèbe sur la place publique. […] L’autorité conquise sur la monarchie et sur l’aristocratie par le nombre seul, par la démocratie absolue, c’est la souveraineté de la multitude, sans pondération, sans fixité, sans corps modérateur ; elle dégénère bientôt en oppression mutuelle et en anarchie : gouvernement condamné par l’instinct de la hiérarchie légale, qui est la loi de tout ce qui dure, la loi de tout ce qui commande et de tout ce qui obéit sur la terre. […] Autorité paternelle absolue, mais surveillée dans la famille pour que le commandement y soit respecté, et que l’obéissance y soit religieuse : spiritualisme légal qui fait du père un magistrat de la nature, et qui fait du fils un sujet du sentiment ! […] La conscience, ce sens invisible, mais absolu, de la vertu et de la moralité, révèle aussi forcément à l’homme intellectuel les besoins de son âme pour satisfaire à ses aspirations divines de perfectionnement moral et d’immortalité.

119. (1892) Boileau « Chapitre V. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » (Fin) » pp. 121-155

Puis il y a une hiérarchie des genres, mais chaque genre a son idéal, sa perfection propre, absolue en soi ; et pour juger d’un ouvrage, il ne faut pas le comparer à d’autres de genre différent, mais le rapporter seulement au type déterminé par la définition du genre. […] La distinction absolue des genres et la détermination rigoureuse de leur nombre sont deux des points sur lesquels on a le plus de peine aujourd’hui à se mettre d’accord avec Boileau. […] On ne peut donc conserver aux genres la rigoureuse unité et l’absolue simplicité où ils se renfermaient autrefois : nous ne serions pas éloignés d’admettre que le changement et la contradiction sont marques de réalité. […] La distinction des genres, que nous estimons trop absolue aujourd’hui, a pourtant eu pour Boileau ce bon effet de l’obliger à se représenter le propre et l’essence de chaque genre : et l’on peut s’assurer, à propos de l’ode, que cette recherche lui a fait entrevoir ce que ni son tempérament, ni son expérience, ni ses principes ne pouvaient lui révéler. […] Nos poètes se font les missionnaires de l’Idée, les pontifes de l’Absolu et de l’Inconnaissable.

120. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — La synthèse »

Si le défaut des méthodes que nous avons combattues est de ne montrer d’une œuvre et de ceux dont elle est le signe, que le dehors, l’entourage, le vague contour extérieur et infléchi, la notre, bornée aux chapitres antérieurs, paraît envisager ses êtres comme absolus, existant à part de tout contact, de toute condition et de toute cause. […] Sans la connaissance de ces variations, de cette carrière, de ces origines, de cette transition, de ce point de départ et de ce point d’arrivée, l’analyse d’une âme reste morte et sèche, absolue et irréelle, comme une proposition de mathématiques, incomplète comme une ostéologie. […] Ce rêve de « synthèse », contemporain de la vaste entreprise de systématisation d’un Spencer, mais aussi des tentatives artistiques totalisantes d’un Wagner ou d’un Mallarmé, définit un véritable absolu scientifique.

121. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « VII »

Il semble lui reconnaître une valeur absolue ; il identifie le poète et le traducteur. » Remettons les choses au point. […] Albalat pose Homère en modèle absolu : Tu imiteras Homère, il donne un mauvais conseil, parce qu’il ne faut imiter personne. » Certes, oui, il ne faut imiter personne, au sens étroit qu’on nous prête (Voir plus haut) ; mais l’imitation est une chose excellente dans le sens que nous lui donnons raisonnablement. […] Au surplus et à parler franc, les motifs mêmes qui empêchent nos adversaires d’admettre l’imitation d’Homère sont précisément ceux qui nous décideraient à la conseiller, « Le style homérique, dit-on, représentatif d’une manière de voir la vie, est en contradiction absolue avec nos tendances synesthésiques. » Mais c’est justement pour cela, c’est précisément parce qu’Homère a « une manière primitive de voir la vie » et d’écrire en sensations et non en métaphores ; c’est essentiellement parce que ses procédés semblent contredire nos habitudes et nos tendances, qu’il faut conseiller aux écrivains descriptifs d’aller se retremper à cette inépuisable source.

122. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Lamartine »

Il a chanté Dieu et un Dieu inconnu à Virgile, et, depuis Virgile, nul poète chrétien dans les nations chrétiennes ne l’a chanté avec de tels accents· Voilà le mérite absolu de Lamartine parmi les poètes. […] Il était une équation superbe entre l’âme humaine et l’Absolu, à laquelle ceux qui ne sont pas au courant de la mathématique de l’Absolu et de l’âme ne comprennent et ne comprendront jamais rien, l’ai entendu quelquefois dire aux abjects de ce temps abject, qui ne regardent que la terre où ils mettent leurs pieds de devant comme ils y mettent leurs pieds de derrière, que le naturel divin de Lamartine n’était pas du naturel.

123. (1842) Discours sur l’esprit positif

Les spéculations dominantes y ont conservé le même caractère essentiel de tendance habituelle aux connaissances absolues : seulement la solution y a subi une transformation notable, propre à mieux faciliter l’essor des conceptions positives. […] Il est même certain que, à leur égard, on exagère beaucoup une telle incompatibilité, par suite de ce dédain absolu qu’inspirent aveuglément nos habitudes monothéiques pour les deux états antérieurs du régime théologique. […] Le seul caractère essentiel du nouvel esprit philosophique qui ne soit pas encore indiqué directement par le mot positif, consiste dans sa tendance nécessaire à substituer partout le relatif à l’absolu. […] On conçoit, en effet, que la nature absolue des anciennes doctrines, soit théologiques, soit métaphysiques, déterminait nécessairement chacune d’elles à devenir négative envers toutes les autres, sous peine de dégénérer elle-même en un absurde éclectisme. […] D’après leur nature absolue, et par suite essentiellement immobile, la métaphysique et la théologie ne sauraient comporter, guère plus l’une que l’autre, un véritable progrès, c’est-à-dire une progression continue vers un but déterminé.

124. (1892) Les idées morales du temps présent (3e éd.)

Je crains d’avoir quelquefois introduit entre ces opinions une cohésion factice, qui leur donne peut-être une signification plus doctrinaire, plus absolue que celles qu’elles ont en réalité. […] Sa philosophie est un pessimisme radical, intransigeant, absolu, qui conclut à la loi suprême de la souffrance, au désespoir universel. […] n’avais-je pas lu tout à l’heure — et cela était signé du même auteur — que la déconfiture de l’absolu est favorable à l’indulgence et que « la tolérance n’est nulle part mieux à sa place que dans un jugement sur l’art, parce que nulle part l’absolu n’est moins de mise que dans ce domaine » ? […] Par malheur il y en a peu, très peu, trop peu pour que leurs théories ou leurs exemples donnent aux règles de la morale le caractère absolu qu’il faudrait. […] Tout à l’heure, il établissait son idéal social sur la base du renoncement absolu ; il va maintenant établir son idéal moral sur la base de l’absolue pureté.

125. (1911) La valeur de la science « Première partie : Les sciences mathématiques — Chapitre III. La notion d’espace. »

Nous ne pourrons savoir si un objet, très petit ou non, n’a pas changé de position absolue dans l’espace, et non seulement nous ne pouvons l’affirmer, mais cette affirmation n’a aucun sens et en tout cas ne peut correspondre à aucune représentation. […] A fortiori ce n’est que par un raisonnement indirect que nous croyons savoir (et encore cette croyance est-elle trompeuse) si la position absolue de l’objet a changé. […] Il est impossible de se représenter l’espace absolu ; quand je veux me représenter simultanément des objets et moi-même en mouvement dans l’espace absolu, en réalité je me représente moi-même immobile et regardant se mouvoir autour de moi divers objets et un homme qui est extérieur à moi, mais que je conviens d’appeler moi. […] 1° Je puis supposer que mon corps se soit transporté d’un point à un autre, mais en conservant la même attitude ; toutes les parties de ce corps ont donc conservé ou repris la même situation relative, bien que leur situation absolue dans l’espace ait varié ; je puis supposer également que non seulement la position de mon corps a changé, mais que son attitude n’est plus la même, que par exemple mes bras qui tout à l’heure étaient repliés soient maintenant allongés.

126. (1889) L’art au point de vue sociologique « Introduction »

Et Guyau arrive à cette conclusion que « nous ne pouvons pas éprouver d’antipathie absolue et définitive pour aucun être vivant ». […] La vie, dans sa réalité immédiate, c’est l’individualité : « on ne sympathise donc qu’avec ce qui est ou semble individuel ; de là, pour l’art, l’absolue nécessité, en même temps que la difficulté de donner à ses créations la marque de l’individuation 8. » Une restriction cependant, ou plutôt une condition d’élargissement toujours possible, c’est que l’individualité, en tant que telle, sera assez parfaite pour atteindre à la hauteur du type : « ce qui ne serait qu’individuel et n’exprimerait rien de typique ne saurait produire un intérêt durable. […] La vie telle que nous la connaissons, en solidarité avec toutes les autres vies, en rapport direct ou indirect avec des maux sans nombre, exclut absolument le parfait et l’absolu. […] Mais, si la vraie sociabilité des sentiments est la condition d’un naturalisme digne de ce nom, le romancier naturaliste, en voulant être d’une froideur absolue, arrive à être partial. « Il prend son point d’appui dans les natures antipathiques, au lieu de le prendre dans les natures sympathiques. » M.  […] Pour qui sait retrouver ainsi dans le naturel tout l’idéal, le plus grand charme sera précisément de n’en jamais sortir ; les aspirations les plus hautes n’auront de prix que si elles reposent sur cette base humble et profonde, le réel : de là, sans doute, vient à Guyau cet accent d’extrême simplicité avec lequel il exprime des idées et des senti ments d’une constante élévation ; de là lui vient aussi ce caractère persuasif qui se confond avec celui de l’absolue sincérité.

127. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Giraud, Albert (1848-1910) »

Hubert Krains Peu de carrières artistiques offrent l’exemple d’une rectitude aussi absolue que celle de M.  […] Giraud souffre de l’obsession de l’absolu.

128. (1905) Pour qu’on lise Platon pp. 1-398

Combinaison absolue. […] Il faudrait, pour jouir du souverain bien, non pas comprendre l’absolu, mais être l’absolu. […] La science de l’absolu, si grande qu’on la suppose, ne sera jamais l’identité avec l’absolu. […] Savoir l’absolu n’est-ce pas l’être ? […] Celui-là donc qui saurait l’être absolu serait intellectuellement identique à l’être absolu.

129. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (2e partie) » pp. 177-248

Que pouvait-il y avoir de sincère dans ces politesses de fausse admiration entre l’homme d’État de l’ordre excessif, du pouvoir absolu, et entre l’orateur de la liberté sans limite, de la souveraineté des clubs, de l’anarchie désarmée ou même armée contre la monarchie ? […] Il n’y eut jamais, en réalité, deux esprits plus antipathiques en matière de gouvernement que l’esprit droit, ferme, absolu du premier Consul, et l’esprit oratoire, contradictoire et ambulatoire du chef de l’opposition britannique, M.  […] Pendant qu’il institue une république à Milan, il cherchait une monarchie absolue en France. […] Tous ces tyrannicides de la Convention luttaient d’empressement et de complaisance à offrir à un soldat absolu la couronne teinte du sang de Louis XVI. […] Thiers s’en console en disant : « Mais ces institutions (les cours) étaient loin de mériter le mépris qu’on a souvent affiché pour elles ; elles composaient une république aristocratique détournée de son but par une main puissante, convertie temporairement en monarchie absolue, et destinée plus tard à redevenir monarchie constitutionnelle, fortement aristocratique, il est vrai, mais fondée sur la base de l’égalité. » Comprenne qui pourra cette république devenue en même temps monarchie absolue, cette monarchie absolue destinée à redevenir monarchie constitutionnelle, cette aristocratie et cette égalité se démentant par leurs seuls noms l’une et l’autre !

130. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque (1re partie) » pp. 145-224

Je me trompe : l’existence de Dieu est mille fois plus certaine par cette conclusion logique et infaillible de l’esprit que par les expériences faillibles des philosophes de la matière ; car l’expérience, œuvre des sens, peut se tromper ; la logique, œuvre de Dieu, est absolue, et ne nous tromperait que si Dieu nous trompait lui-même, chose incompatible avec la nature divine ou avec la suprême vérité. […] Mais, en dehors de ces vérités innées, il y a en philosophie un nombre infini de problèmes secondaires, quoique très importants, qui ne sont pas susceptibles de démonstration absolue, mais dans lesquels la philosophie la plus transcendante n’arrive qu’à de consolantes conjectures et à de magnifiques probabilités. […] Ce qui est beau ici-bas, selon moi, c’est ce qui participe au beau absolu : les belles choses sont belles par la présence de la beauté en elle ; et c’est le reflet de la beauté primordiale et suprême qui les rend telles. […] Comme tous les fondateurs de nouveaux cultes, Socrate, fondateur du culte philosophique, cherchait à concilier, autant que possible, ce qu’il y avait d’innocent dans les antiques superstitions nationales avec ce qu’il y avait de vérité absolue et de piété sainte dans le nouveau dogme. […] La Chine, le peuple le plus anciennement raisonnable du haut Orient, ne cherchait Dieu derrière les idoles symboliques de Fô qu’à la lueur de la raison dont Confutzée fut pour eux le Socrate ; derrière et au-dessus de toute la mythologie païenne, il y a toujours dans Orphée, dans Homère, comme dans Cicéron ou dans Marc-Aurèle, un Fatum, un Dieu unique, absolu, dominateur, qui régit l’univers et même les dieux intermédiaires entre l’univers et lui.

131. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « De la dernière séance de l’Académie des sciences morales et politiques, et du discours de M. Mignet. » pp. 291-307

Homme de cœur et d’une grande bonté morale, il était supérieur lorsque, triomphant de ses airs d’aristocratie intellectuelle et de ses assertions absolues auxquelles il s’abandonnait quelquefois, il retrouvait l’onction. […] Il aurait pu marquer avec plus d’énergie le malheur qu’il y eut pour lui à y entrer, les versatilités un peu promptes qu’on lui reprocha, les influences qu’il ne savait pas écarter ; car cet homme qui, au premier abord, avait l’intelligence si haute et la parole si absolue, avait le caractère faible, ou du moins il l’eut tel dans les dernières années. […] Jouffroy pour les études philosophiques et pour l’observation intérieure, j’ai toujours cru qu’après son premier feu jeté, il eût été bon pour lui de se détourner de cette contemplation absolue et un peu stérile où il s’est consumé, et d’appliquer son beau talent à des matières qui l’eussent nourri et renouvelé. […] Il relève particulièrement et proclame comme un fait acquis la démarcation absolue, radicale, que M. 

132. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps. Par M. Guizot. »

. — C’était une phase nécessaire par où il fallait passer au moins provisoirement, pensaient d’autres moins confiants, moins absolus […] Je m’étonnerais donc (si je ne le savais si absolu dans sa manière de voir) qu’aujourd’hui qu’il examine à loisir ces affaires du passé, il ne se soit point posé un seul moment cette question : Que serait-il arrivé en 1830, si dans les rangs de ce ministère Laffitte, ou à côté, il s’était trouvé à temps un homme véritable, un Casimir Perier du mouvement et d’une politique plus hardie, agressive et non plus défensive ? […] Guizot et les doctrinaires ne lui allaient pas tout d’abord, et M. de Broglie ne lui alla jamais ; il ne pouvait se faire à ces principes de droit absolu, lui homme de fait et de pratique. […] Il y eut même un jour où il lui dit (assure-t-on), — c’était vers 1845, — à un moment critique où on voulait le lui ôter comme ministre et où le vote de la Chambre avait hésité : « Monsieur Guizot, collez-vous à moi. » Mais, tout en appréciant avec estime le talent de l’homme qui le servait avec tant d’éclat, il ne partageait pas sa confiance ni cette intrépidité monarchique si absolue sur une base que lui-même sentait si étroite et si vacillante : « Vous avez mille fois raison, lui répétait-il souvent dans les dernières années ; c’est au fond des esprits qu’il faut combattre l’esprit révolutionnaire, car c’est là qu’il règne ; mais, pour chasser les démons, il faudrait un prophète. » Ce prince était donc, somme toute, un homme d’esprit, et bonne tête, tant qu’il ne faiblit pas. — « Cette bonne tête, ou plutôt cette bonne caboche , » disait de lui un de ses anciens ministres qui se reprenait, comme si le premier mot était un peu trop noble pour le sujet.

133. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre 2. La littérature militante »

Les œuvres de Du Vair sont à cet égard significatives : après les sept discours du temps de la Ligue, d’une éloquence simple et vivante, elles n’enregistrent soudain, à partir de l’entrée du roi à Paris, que des harangues de cérémonie, des discours d’ouverture au Parlement de Provence ou aux Grands Jours de Marseille ; la royauté absolue a tué l’orateur qui était en Du Vair ; il ne reste qu’un magistrat ponctuel, grave et un peu pédant. Les troubles des minorités sembleront réveiller l’éloquence politique : ils seront trop vite apaisés pour qu’elle ait le temps de renouer sa tradition et de produire des chefs-d’œuvre ; nous ne la retrouverons qu’au bout de deux siècles, quand la royauté absolue croulera. […] C’était elle qui allait faire la France de Henri IV et de l’ancien régime, catholique mais gallicane, la royauté absolue, mais servie et contenue par le tiers état. […] Aux fantaisies historiques d’Hotman sur la royauté élective et la souveraineté des Etats, il opposa la théorie de la monarchie française, héréditaire, absolue, responsable envers Dieu du bonheur public ; avec une nette vue de l’état réel des choses, il vit dans l’Etat la famille agrandie, et dans l’absolutisme royal l’image amplifiée de la puissance paternelle.

134. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre III. Trois ouvriers du classicisme »

Mais il y a pourtant grande différence entre les résolutions qui procèdent de quelque fausse opinion et celles qui ne sont appuyées que sur la connaissance de la vérité : d’autant que, si on suit ces dernières, on est assuré de n’en avoir jamais de regret ni de repentir, au lieu qu’on en a toujours d’avoir suivi les premières lorsqu’on en découvre l’erreur295. » En un mot, « la volonté est tellement libre qu’elle ne peut jamais être contrainte… ; et ceux même qui ont les plus faibles âmes pourraient acquérir un empire très absolu sur leurs passions, si l’on employait assez d’industrie à les dresser et à les conduire ». […] Remarquant donc que seuls les mathématiciens ont su découvrir quelques démonstrations, c’est-à-dire « quelques raisons certaines et évidentes », il extrait de leur méthode quelques règles absolues et générales, qui lui servent à vérifier tous ses jugements. […] La vérité scientifique s’oppose ainsi à la vérité théologique, dont elle a sans doute emprunté l’absolue et rigoureuse détermination. […] L’absolue séparation de la pensée et de la matière, la dignité supérieure attribuée à la pensée ne pouvaient que confirmer la littérature dans l’élimination de la nature et dans l’étude exclusive de l’homme moral.

135. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IV : M. Cousin écrivain »

. — Il s’apprête des embarras graves, en jetant imprudemment à chaque page des phrases panthéistes ; en disant par exemple que la création25 est fort aisée à comprendre et que Dieu créa le monde comme nous créons nos actions, « qu’il crée parce qu’il est une force créatrice absolue, et qu’une force créatrice absolue ne peut pas ne pas passer à l’acte. » On se souvient encore de la manière dont il absolvait l’industrie, la guerre, la philosophie, la géographie, et beaucoup d’autres choses. […] Cet amour passionné de la démonstration pure qui fait le philosophe, ce scrupule inquiet sur le sens des mots, ces habitudes algébriques, ce retour incessant sur soi-même, ce doute inné qui l’empêche de se faire illusion et le porte à mesurer perpétuellement le degré de probabilité de ce que les autres appellent certitude, ce mépris du sens commun, cette haine pour les arguments du cœur, cette foi absolue en l’observation et en la preuve, ce besoin éternel de vérifications nouvelles, voilà les qualités qui seraient des défauts dans un orateur. […] C’est alors qu’il s’écrie, sauf à s’en repentir plus tard : « Le Dieu de la conscience n’est pas un Dieu abstrait, un roi solitaire, relégué par-delà la création sur le trône désert d’une éternité silencieuse et d’une existence absolue qui ressemble au néant même de l’existence ; c’est un Dieu à la fois vrai et réel, un et plusieurs, éternité et temps, espace et nombre, essence et vie, indivisibilité et totalité, principe, fin et milieu, au sommet de l’être et à son plus humble degré, infini et fini tout ensemble, triple enfin, c’est-à-dire à la fois Dieu, nature et humanité. » Et combien le style vague et allemand convient à ces effusions lyriques !

136. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Sixte-Quint et Henri IV »

Absolu de principes comme tous les esprits qui croient à une vérité, Segretain n’en a pas moins les qualités de l’historien : le calme du regard qui voit, sans sourciller, même ce qui le blesse ; la main droite qui sait dépouiller les faits ; et la ferme qui sait les peser. […] II Et l’on est saisi d’autant plus que l’homme dans Segretain est absolu, qu’il appartient à une opinion extrême, et que c’est une coutume, assez sotte, il est vrai, mais une coutume, de croire qu’être dans une opinion extrême c’est être, de nécessité, un fougueux. […] Mais si Segretain, comme je le crois, a bien vu dans Henri, par-dessous les gasconnades du protestant, le catholique par le tempérament, par le sens pratique, par la connaissance qu’il avait des instincts du génie et du passé de la France, sa faute, que Segretain et les catholiques absolus lui reprochent, est d’autant plus grande et devient à peu près incompréhensible !

137. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Auguste Barbier »

Cette espèce de phénomène très rare, j’ai tardé, pour ma part, à le signaler, tant je le croyais impossible, tant je croyais à un engourdissement momentané de facultés en cette puissante nature qui m’avait donné de si mâles plaisirs, et tant je répugnais à montrer, dans ce Samson tondu par je ne sais quelle main invisible, non pas une faiblesse relative après une force absolue, mais une faiblesse absolue arrivant à l’anéantissement de toute faculté. […] J’ai vu une fois Auguste Barbier, et à ses lunettes à pattes d’or, à son extinction absolue de tout style, à sa tenue de bourgeois effacé, je l’aurais pris pour un notaire.

138. (1884) Propos d’un entrepreneur de démolitions pp. -294

C’est le plus parfait épanouissement de l’âme et l’absolue condition de toute magnificence et de toute splendeur. […] La stricte justice n’impose qu’une seule réserve, mais cette réserve est absolue. […] C’est l’ineffable rage de l’impuissance absolue en conflit immédiat ave : l’absolu désir, l’infaillible besoin de la paternité, et qui, ne pouvant obtenir un enfant d’aucune femme, surmonte et viole la nature elle-même pour une parturition surnaturelle et inimaginable. […] Or, presque tous les gens de lettres sont dans une indigence absolue d’art et de principes. […] Mais on trouve surtout du Victor Hugo et, pour celui-là, l’imitation est une manière de miracle et va jusqu’à l’identité absolue.

139. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre VI »

Dans l’absolu, c’est vrai ; mais les langues ne sont pas dans l’absolu, puisqu’elles vivent, se meuvent, s’accroissent, meurent.

140. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « X »

… La loi du travail littéraire est si absolue qu’elle s’est imposée même aux improvisateurs les plus abondants… Du travail obstiné on pourrait donc tout attendre. […] Voilà la thèse, Quant aux auxiliaires, nous conseillons d’en surveiller l’emploi pour la perfection absolue du style, mais c’est une question secondaire.

141. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque. Deuxième partie. » pp. 225-303

L’autre science, qui préexiste en nous, et qui est en nous une sorte de réminiscence des choses divines, est la science de ce qui est et ce qui doit être en soi-même, de ce qui est conforme au modèle intérieur divin des choses, le beau, le bon, le juste, le saint, le parfait, l’absolu, l’idéal, comme nous disons aujourd’hui. […] « À la vérité, c’est l’injustice qui leur avait fait former des entreprises criminelles ; mais elle ne les avait rendus méchants qu’à demi, car ceux qui sont entièrement méchants et injustes sont par cela même dans une impuissance absolue de rien faire. […] » On voit que tout repose, dans cette philosophie, sur les doctrines du Phédon, qui supposent l’âme créée par Dieu, avec des idées innées et fatales qui forment sa conscience, sa nature comme sa morale, doctrines que nous croyons aussi vraies que celles qui attribuent à la matière ou au corps des instincts ou des lois absolues qui font sa nature, et au-dessus de toute discussion. […] La Perse, où l’immensité de l’espace et les provinces séparées entre elles par des déserts et des chaînes de montagnes laissaient un grand arbitraire aux gouverneurs des satrapies, ne pouvait être qu’une monarchie militaire absolue. […] L’Espagne, sorte d’Afrique européenne et d’avant-garde du catholicisme contre l’islamisme, devait être absolue comme son caractère oriental, inexorable comme sa théocratie militante.

142. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre I. Le broyeur de lin  (1876) »

J’ai eu le bonheur de connaître la vertu absolue ; je sais ce que c’est que la foi, et, bien que plus tard j’aie reconnu qu’une grande part d’ironie a été cachée par le séducteur suprême dans nos plus saintes illusions, j’ai gardé de ce vieux temps de précieuses expériences. […] Dans la bouche de personnes en qui j’avais une confiance absolue, ces saintes inepties prenaient une autorité qui me saisissait jusqu’au fond de mon être. […] La pauvre fille vivait ainsi dans une solitude absolue. […] Le vicaire ne sortit pas d’une froideur absolue. […] Extérieurement, elle était comme tout le monde, sauf son mutisme presque absolu.

143. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Appendice sur La Fontaine »

L’école de Malherbe, par son dédain absolu pour le passé, n’était guère propre à réveiller le goût des curiosités gauloises, et on ne le retrouve un peu vif que chez Guillaume Colletet, Ménage, du Cange, Chapelain, La Monnoye, tous doctes de profession. […] J’avoue qu’a priori cette dernière opinion me répugne ; et, sans être de ceux qui croient à la suffisance absolue de l’instinct en poésie, je crois bien moins encore à l’efficacité de vingt années de veilles, quand il s’agit d’une fable ou d’un conte, dût la fable être celle de la Laitière et du Pot au lait, et le conte celui de la Courtisane amoureuse. […] Ce n’est pas seulement à la physionomie de son style qu’on s’en aperçoit : le choix peu scrupuleux de ses sujets, et, encore plus, le déréglement absolu de sa vie, se ressentaient des habitudes de la bonne Régence ; le favori de Fouquet avait longtemps vécu au milieu des scandales de Saint-Mandé ; il les avait célébrés, partagés, et était resté fidèle aux mœurs autant qu’à la mémoire d’Oronte.

144. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre III. De l’émulation » pp. 443-462

On veut, dans les monarchies absolues, qu’une sorte de mystère soit répandue sur les qualités qui rendent propres au gouvernement, afin que l’importante et froide médiocrité puisse écarter un esprit supérieur, et le déclarer incapable de combinaisons beaucoup plus simples que celles dont il s’est toujours occupé. […] Ce sont leurs lumières et leurs talents dans la carrière civile qui les ont rendus chers à la postérité, et leur ont fait obtenir, pendant leur vie, l’obéissance de l’admiration, cette obéissance qui donne au pouvoir absolu le plus bel attribut des gouvernements libres, l’assentiment volontaire de l’opinion publique. […] Ce qui dégradait les lettres, c’était leur inutilité ; ce qui rendait les maximes du gouvernement si peu libérales, c’était la séparation absolue de la politique et de la philosophie ; séparation telle, qu’on était jugé incapable de diriger les hommes, dès qu’on avait consacré ses talents à les instruire et à les éclairer.

145. (1882) Qu’est-ce qu’une nation ? « II »

Une telle loi, cependant, est-elle absolue ? […] Le christianisme, avec son caractère universel et absolu, travaille plus efficacement encore dans le même sens. […] Rien n’est absolu ; il est clair que bien des concessions doivent être faites à la nécessité.

146. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXVIII. Caractère essentiel de l’œuvre de Jésus. »

Il a créé le ciel des âmes pures, où se trouve ce qu’on demande en vain à la terre, la parfaite noblesse des enfants de Dieu, la pureté absolue, la totale abstraction des souillures du monde, la liberté enfin, que la société réelle exclut comme une impossibilité, et qui n’a toute son amplitude que dans le domaine de la pensée. […] L’Église a eu ses époques et ses phases ; elle s’est renfermée dans des symboles qui n’ont eu ou qui n’auront qu’un temps : Jésus a fondé la religion absolue, n’excluant rien, ne déterminant rien, si ce n’est le sentiment. […] Par notre extrême délicatesse dans l’emploi des moyens de conviction, par notre sincérité absolue et notre amour désintéressé de l’idée pure, nous avons fondé, nous tous qui avons voué notre vie à la science, un nouvel idéal de moralité.

147. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre V. Chanteuses de salons et de cafés-concerts »

Le Parnasse est fait d’impuissance lyrique et d’application minutieuse à une forme que les adeptes croient absolue. […] Seuls, ils s’affranchirent de la technique étroite : l’un pour dire en une musique plus libre, chanteuse, séduisante et navrante comme Ophélie, son âme musicale et folle ; l’autre pour essayer d’enfermer son noble et rigoureux esprit en je ne sais quelle forme informe, détruite par un trop grand effort d’absolu. […] Sully-Prudhomme s’efforce de démontrer que la prosodie parnassienne est la prosodie française absolue.

148. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre troisième. De la sympathie et de la sociabilité dans la critique. »

N’est-ce pas là une application absolue de la théorie du milieu et des circonstances37 ?  […] En somme, ce ne sont point les lois complexes des sensations, des émotions, des pensées mêmes, qui rendent la critique d’art si difficile ; on peut toujours, en effet, vérifier si une œuvre d’art leur est conforme ; mais, lorsqu’il s’agit d’apprécier si cette œuvre d’art représente la vie, la critique ne peut plus s’appuyer sur rien d’absolu ; aucune règle dogmatique ne vient à son aide : la vie ne se vérifie pas, elle se fait sentir, aimer, admirer. […] Sans être absolu, le jugement théorique est possible et constitue la vraie critique.

149. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre I : Une doctrine littéraire »

La critique doit reconnaître que le beau, tout absolu qu’il est en lui-même, a nécessairement des formes diverses et changeantes, que la vérité idéale, pour devenir vivante et vraiment belle, doit se teindre et s’empreindre de l’individualité des écrivains, que, si une certaine raison est le fond des œuvres belles, l’imagination avec ses mille couleurs en est l’inséparable ornement. […] En un sens, la théorie classique, comme on l’appelle, convient par un côté à notre philosophie, car elle proclame l’idéal comme loi suprême de l’art, de même que nous considérons l’absolu et le divin comme cause suprême de la nature ; elle préfère, comme nous-mêmes, l’âme au corps et la raison aux sens ; elle place le beau dans l’expression de la vérité et du sentiment, non dans l’imitation colorée et violente des formes matérielles : par ces différentes raisons, la critique classique que représente M.  […] Quand il applique le premier, c’est-à-dire quand il se contente de rechercher dans les écrits les vérités qu’ils contiennent, sans distinguer si ce sont des vérités de tradition ou des vérités d’invention, des vérités de discipline ou des vérités de liberté, sa critique est large et sûre, à la fois souple et forte : elle rajeunit les sujets les plus épuisés par la manière mâle et solide dont elle les relève ; mais, quand il applique le second de ces principes, le principe de la discipline, sa critique prend quelque chose de partial, de jaloux, je dirais presque d’étroit : on sent que ce n’est plus de la critique absolue, mais de la critique relative faite pour un temps, pour combattre certaines passions, pour défendre certains écrits : c’est une critique de combat.

150. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre premier. Astronomie et Mathématiques. »

Platon, ce génie si amoureux des hautes sciences, dit formellement, dans un de ses plus beaux ouvrages, que les hautes études ne sont pas utiles à tous, mais seulement à un petit nombre ; et il ajoute cette réflexion, confirmée par l’expérience, « qu’une ignorance absolue n’est ni le mal le plus grand, ni le plus à craindre, et qu’un amas de connaissances mal digérées est bien pis encore149. » Ainsi, si la religion avait besoin d’être justifiée à ce sujet, nous ne manquerions pas d’autorités chez les anciens, ni même chez les modernes. […] Ils veulent trouver partout des vérités absolues, tandis qu’en morale et en politique les vérités sont relatives. […] Vous remplissez cette jeune tête d’un fracas de nombres et de figures qui ne lui représentent rien du tout ; vous l’accoutumez à se satisfaire d’une somme donnée, à ne marcher qu’à l’aide d’une théorie, à ne faire jamais usage de ses forces, à soulager sa mémoire et sa pensée par des opérations artificielles, à ne connaître, et finalement à n’aimer que ces principes rigoureux et ces vérités absolues qui bouleversent la société.

151. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre premier. Mme de Staël »

Quant aux facultés de domination absolue, de certitude et de sécurité qui distinguent l’homme de génie, elle n’en a pas une seule… et on peut le prouver. […] Ce n’est pas Mme Sand qui jamais nous aurait fait croire au génie absolu de Gœthe, sur lequel Henri Heine, qui l’adora, a fini par marcher et cracher comme le matelot de Candide sur le crucifix au Japon, et sur lequel d’autres marcheront, après Heine. […] Elle serait moins dans l’ordre absolu de toute vérité.

152. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. le vicomte de Meaux » pp. 117-133

Tolérant ou toléré, du reste, la tolérance est si chère à M. de Meaux, que dans cette furieuse et religieuse histoire du xvie  siècle, où il s’agit de la Vérité absolue pour ceux qui y croient contre l’Erreur absolue pour ceux qui n’y croient pas, il s’est volontairement détourné des faits immenses et terribles de la Monarchie française déchirée dans sa Tradition et dans l’esprit de sa Constitution, et des hommes de ce temps qui furent parfois également sublimes dans le bien et dans le mal, pour ne voir uniquement que ce petit résultat exquis de la tolérance distillée de la fatigue et de l’indifférence des âmes, et qui lui paraît, à ce grand pharmacien historique, le cordial qui doit réconforter les peuples vieillis et les empêcher de mourir ! […] Telle aussi avait été l’opinion de saint Ambroise, lequel conseilla intrépidement à Théodose la proscription absolue de l’Hérésie et du Paganisme.

153. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Th. Ribot. La Philosophie de Schopenhauer » pp. 281-296

Sa métaphysique n’était plus alors que de la cosmologie… Par ce côté, il touchait, sans le savoir, au Positivisme, le Monstre moderne qui doit dévorer, dans un temps donné, toutes les métaphysiques, parce qu’il les nie toutes et qu’il est l’Athéisme absolu. […] La sienne, qui n’est pas la leur, produit l’effet le plus inattendu à ceux qui savent que cette variété d’athée était, de sentiment et de doctrine, le pessimiste le plus absolu qui ait jamais existé et qui avait inventé cette raison pour que l’homme ne fût pas supérieur au singe : c’est qu’il n’aurait pu résister à l’horreur de la vie… La morale de Schopenhauer, — bien trop philosophe pour ne pas accrocher à la caisse de son système les deux roues d’une esthétique et d’une morale qui devaient le faire mieux rouler, — l’incroyable morale de cet homme qui ne croit pas au devoir : « bon pour des enfants et les peuples dans leur enfance », est, le croira-t-on ? […] Foucher de Careil (un philosophe de France) ; c’est de cet état contemplatif, absorbé, rigide, anéanti, et par conséquent d’indifférence absolue, que Schopenhauer essaye de tirer une incompréhensible sympathie, par un tour de gobelet ou de force que j’appelle, moi, hardiment, une contradiction !

154. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Funck Brentano. Les Sophistes grecs et les Sophistes contemporains » pp. 401-416

… La Philosophie est-elle plus pour lui que ce qu’elle est pour nous, c’est-à-dire la tendance fatale de certains grands esprits, tenant à la puissance de leur constitution intellectuelle, et pourtant n’aboutissant jamais qu’à des gymnastiques plus ou moins vaines en résultats absolus ? […] En présence de l’être plein et immuable, — qui est le matérialisme absolu, — Mélissus pose la terre comme un principe distinct, qui est l’incompréhensibilité absolue.

155. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Christophe »

J’admets pourtant une exception à cette règle, que j’ose poser comme absolue : c’est quand la réponse aux critiques, cessant d’être personnelle, implique l’idée du livre même et la creuse ou l’éclaire plus profondément en le défendant. […] C’est un optimiste, au fond, que l’abbé Christophe, qui cherche à dégager du bien, même du mal absolu. Or, le mal est absolu pour le concile de Bâle, qui méritait une flétrissure plus profonde.

156. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Hector de Saint-Maur »

Elle n’était dans aucune tradition connue, dans aucun accent appréciable, sinon dans le sien… Elle avait le grand caractère virginal et divin de la Poésie dans sa pure beauté absolue. […] Poète même pour moi, esprit absolu et borné parce que je suis absolu, poète pour moi qui n’aime que les intenses, Saint-Maur n’en est pas un, cependant.

157. (1881) Le roman expérimental

L’honnêteté absolue n’existe pas plus que la santé parfaite. […] Ils sont d’une bonne foi absolue, le plus souvent. […] On ne veut pas comprendre que le sens moral n’a pas d’absolu. […] Cela menaçait d’être un absolu néant. […] Toute autre idée, surtout l’idée d’absolu, est une plaisanterie esthétique.

158. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VIII »

La mort leur avait donné l’unique minute de bonheur ; mais de bonheur indicible, absolu. […] Mais de suite la musique reprend ses droits, et dans le troisième duo elle atteint la suprématie absolue. […] Lorsque la parole domine, elle se rapprochera de la « littérature » ; lorsque la musique domine, celle-ci se rapprochera de la « musique absolue ». […] Ici l’unité est absolue. […] Jullien parle de « l’état d’isolement douloureux et d’absolu découragement où il se trouvait en exil » (page 148) !

159. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Lammenais » pp. 22-43

Il ne comprend que l’unité de principe et ses conséquences rigoureuses, le système exact, la logique absolue : un monde complet, tout un ou tout autre. […] En même temps que la forme de son intelligence n’admet que le système absolu, la nature de son âme aussi n’est capable que d’affections extrêmes. […] Si pour lui, dans l’ordre intellectuel, le vrai est tout entier d’un côté et le faux de l’autre, dans l’ordre moral le bien absolu, à ses yeux, est également tout d’un côté, et le mal du côté opposé ; à droite les bons, à gauche les méchants ; les agneaux séparés des boucs, pas de mélange ! […] Il reçut la visite du libraire, s’entendit avec lui, et partit en me laissant les soins de l’impression : « Vous êtes maître absolu, me dit-il ; vous changerez ce qu’il vous plaira. » C’était là une parole de confiance dont j’entendais bien ne pas user.

160. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Études de politique et de philosophie religieuse, par M. Adolphe Guéroult. »

Ce que je dis là du libéralisme de la Restauration n’est point dans ma pensée une injure ni à l’arme utile dont on se servait, ni au libéralisme en général, et je suis persuadé que cette doctrine, si elle devait un jour triompher au gré de ses partisans absolus, n’aurait fait que gagner à toutes les contradictions et à toutes les épreuves qui, en la refoulant et la retardant, l’auraient forcée, un peu malgré elle, de s’élever au-dessus de son premier niveau. […] Guéroult n’a point de parti pris absolu, et il est de ceux qui, tout en désirant le plus, comprennent qu’on puisse faire halte en deçà : « Nous ne comprenons, dit-il, rien d’absolu dans une société progressive par nature et composée d’un ensemble de rapports nécessairement variable. […] Développons, autant qu’il est en nous, l’intelligence, la moralité, les habitudes de travail dans toutes les classes de la société française ; cela fait, nous pourrons mourir tranquilles ; la France sera libre, non de cette liberté absolue qui n’est point de ce monde, mais de cette liberté relative qui seule répond aux conditions imparfaites, mais perfectibles, de notre nature. » C’est fort sensé, et du moins, on l’avouera, très spécieux ; mais cela ne satisfait point peut-être ceux qui sont restés entièrement fidèles à la notion première et indivisible de liberté, et je ne serai que vrai en reconnaissant qu’il subsiste, toutes concessions faites, une ligne de séparation marquée entre deux classes d’esprits et d’intelligences : Les uns tenant ferme pour le souffle de flamme généreux et puissant qui se comporte différemment selon les temps et les peuples divers, mais qui émane d’un même foyer moral ; estimant et pensant que tous ces grands hommes, même aristocrates, et durs et hautains, que nous avons ci-devant nommés, étaient au fond d’une même religion politique ; occupés avant tout et soigneux de la noblesse et de la dignité humaines ; accordant beaucoup sinon à l’humanité en masse, du moins aux classes politiques avancées et suffisamment éclairées qui représentent cette humanité à leurs yeux.

161. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

Le dernier donne à l’autre un air de confiance, de certitude absolue, et laisse jour cependant à bien de l’habileté et même de la prudence. […] Le programme qu’il eût voulu voir adopter à la jeune génération parlementaire, c’eût été non-seulement de ne pas faire la guerre à la forme des gouvernements établis, mais de ne pas faire la guerre à mort aux ministères existants, à moins d’absolue nécessité, et de chercher bien plutôt à en tirer parti pour obtenir le plus de réformes possible, pour introduire le mouvement et le progrès dans la conservation même. […] Qui se souvient le lendemain de l’article de la veille … » Ici il y a quelque chose à accorder encore, et si l’on enlevait à l’expression de M. de Girardin ce qu’elle a de paradoxal et d’absolu, on serait près de s’entendre peut-être, ou du moins on se rapprocherait. […] Il y a des mots qui sont vivants comme des hommes, redoutables comme des conquérants, absolus comme des despotes, impitoyables comme le bourreau ; enfin il y a des mots qui pullulent, qui, une fois prononcés, sont aussitôt dans toutes les bouches… « Il est d’autres mots qui, pris dans une mauvaise acception, énervent, glacent, paralysent les plus forts, les plus ardents, les plus utiles, les plus éminents, tous ceux enfin sur qui ils tombent, mots plus funestes au pays qui ne les repousse pas que la perte d’une bataille ou d’une province… 70» Je ne demande rien de plus, et, cela dit et réservé, je conçois, j’admets volontiers que dans un pays aguerri au feu des discussions, chez un peuple de bon sens solide, raisonneur, calculateur, entendant ses intérêts, d’oreille peu chatouilleuse, qui ne prend pas la mouche à tout propos, une grande part de ce qui n’est qu’imaginaire dans le danger d’une presse libre disparaisse et s’évanouisse ; que les inconvénients puissent même s’y contre-balancer de manière à laisser prévaloir grandement les avantages.

162. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « La Réforme sociale en France déduite de l’observation comparée des peuples européens. par M. Le Play, conseiller d’État. (Suite et fin.) »

M. de Bonald, par exemple, que je viens de nommer, était un esprit éminent et ingénieux, mais absolu, qui, vivement frappé de tout ce que la Révolution avait supprimé de fondamental et de vital en détruisant l’ancien régime, désirait un retour en arrière, et qui, la Restauration venue, aurait voulu voir rétablir purement et simplement, et par des moyens d’autorité directe, tout ce qu’on pouvait ramener de cet ancien régime à moitié ressuscité. […] » — « Le bon sens ou les habitudes d’un peuple d’agriculteurs sont bien plus près des plus hautes et des plus saines notions de la politique que tout l’esprit des oisifs de nos cités, quelles que soient leurs connaissances dans les arts et les sciences physiques. » — « Les grandes propriétés sont les véritables greniers d’abondance des nations civilisées, comme les grandes richesses des Corps en sont le trésor. » Il ne cesse d’insister sur les inconvénients du partage égal et forcé entre les enfants, établi par la Révolution et consacré par le Code civil : « Partout, dit-il, où le droit de primogéniture, respecté dans les temps les plus anciens et des peuples les plus sages, a été aboli, il a fallu y revenir d’une manière ou d’une autre, parce qu’il n’y a pas de famille propriétaire de terres qui puisse subsister avec l’égalité absolue de partage à chaque génération, égalité de partage qui, un peu plus tôt, un peu plus tard, détruit tout établissement agricole et ne produit à la fin qu’une égalité de misère. » Il trace un idéal d’ancienne famille stable et puissante, qui rappelle un âge d’or disparu : « S’il y avait, dit-il, dans les campagnes et dans chaque village une famille à qui une fortune considérable, relativement à celle de ses voisins, assurât une existence indépendante de spéculations et de salaires, et cette sorte de considération dont l’ancienneté et l’étendue de propriétés territoriales jouissent toujours auprès des habitants des campagnes ; une famille qui eût à la fois de la dignité dans son extérieur, et dans la vie privée beaucoup de modestie et de simplicité ; qui, soumise aux lois sévères de l’honneur, donna l’exemple de toutes les vertus ou de toutes les décences ; qui joignît aux dépenses nécessaires de son état et à une consommation indispensable, qui est déjà un avantage pour le peuple, cette bienfaisance journalière, qui, dans les campagnes, est une nécessité, si elle n’est pas une vertu ; une famille enfin qui fût uniquement occupée des devoirs de la vie publique ou exclusivement disponible pour le service de l’État, pense-t-on qu’il ne résultât pas de grands avantages, pour la morale et le bien-être des peuples, de cette institution, qui, sous une forme ou sous une autre, a longtemps existé en Europe, maintenue par les mœurs, et à qui il n’a manqué que d’être réglée par des lois ?  […] Rubichon si peu connu même de son temps, et dont Lamennais goûtait si fort le tour d’esprit et les hardiesses : c’était un défenseur de l’ancien régime, mais un défenseur si absolu, si pur et si radical, que M. de Bonald semblait pâle auprès de lui. […] Sa préconisation absolue de l’ancien régime, en ce qui est de l’état des populations rurales, peut se résumer en ces termes ; « Dans le cas de maladie, de vieillesse ou d’incendie, le presbytère, l’abbaye ou le château voisin devenaient la ressource naturelle de la victime de ces calamités.

163. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Dédicace, préface et poème liminaire de « La Légende des siècles » (1859) — Préface (1859) »

La fiction parfois, la falsification jamais ; aucun grossissement de lignes ; fidélité absolue à la couleur des temps et à l’esprit des civilisations diverses. […] L’auteur, du reste, pour compléter ce qu’il a dit plus haut, ne voit aucune difficulté à faire entrevoir dès à présent qu’il a esquissé dans la solitude une sorte de poëme d’une certaine étendue où se réverbère le problème unique, l’Être, sous sa triple face : l’Humanité, le Mal, l’Infini ; le progressif, le relatif, l’absolu ; en ce qu’on pourrait appeler trois chants, la Légende des Siècles, la Fin de Satan, Dieu.

164. (1870) La science et la conscience « Chapitre III : L’histoire »

Tandis que là ils semblent, à part le destin, en être les rois absolus, ici ils n’en sont plus que les ministres, obéissant à un souverain qui leur dicte ses volontés du fond du théâtre où l’historien les montre aux spectateurs. […] Ce déterminisme absolu, déjà enseigné par Spinoza, explique les choses, avons-nous dit, sans les qualifier. […] La philosophie de l’histoire eut encore ses théoriciens absolus, comme Buchez et Louis Blanc, qui purent croire, par une illusion logique, à la nécessité et à la moralité supérieure de certains actes réprouvés par la conscience publique. […] Si contraire au sens commun que soit la thèse du fatalisme absolu, celle de l’optimisme sans réserve a quelque chose de plus révoltant encore pour la conscience humaine. […] Voilà ce que l’optimisme absolu confond, et ce qu’il faut distinguer, si l’on veut rétablir l’entente entre la science et la conscience, en histoire et dans tout le domaine des sciences morales.

165. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Des avantages attachés à la profession de révolutionnaire. » pp. 200-207

(À la vérité, ce n’est point par une nécessaire liaison d’idées, mais par une rencontre accidentelle, que nous voyons les doctrines révolutionnaires associées chez nous au matérialisme le plus franc et le plus cru : car celui-ci pourrait aussi bien, et même mieux, avoir pour conclusion, en politique, la monarchie absolue ; et c’était, notamment, l’avis de l’Anglais Hobbes. […] Si, partis de principes « philosophiques » sensiblement analogues, la Grande Catherine ou Frédéric II conclut à la monarchie absolue, et nos collectivistes à la nécessité d’un « chambardement général », c’est peut-être que la différence des conditions sociales et des intérêts entraîne ici la différence des applications.)

166. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) «  Chapitre treizième.  »

A la vérité, il préfère la monarchie héréditaire, absolue, tempérée par des lois fondamentales, subordonnée à la raison. […] Je ne m’étonne pas d’ailleurs que la monarchie absolue de Louis XIV ait paru à Bossuet la meilleure forme du gouvernement. […] Tous les bons esprits de ce temps-là n’imaginaient rien de meilleur que la monarchie absolue, tempérée par les qualités personnelles du souverain. […] La monarchie absolue n’a été en France le meilleur des gouvernements qu’aussi longtemps qu’elle a été nécessaire. […] Il en est d’autres encore plus caractéristiques : ce sont les protestations de docilité, de soumission absolue.

167. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre V. Le Séminaire Saint-Sulpice (1882) »

Il n’était pas théologien ; ce n’était nullement un esprit supérieur ; on pouvait d’abord le trouver simple, presque commun ; puis on s’étonnait de découvrir sous cette humble apparence la chose du monde la moins commune, l’absolue cordialité, une maternelle condescendance, une charmante bonhomie. […] Sa confiance en moi était absolue. […] Je vois ces contradictions avec une évidence si absolue que je jouerais là-dessus ma vie, et par conséquent mon salut  éternel, sans hésiter un moment. […] La question critique, telle qu’elle était posée dans mon esprit, leur eût paru quelque chose d’inintelligible, tant leur foi était simple et absolue. […] Le Hir, qui avait confiance absolue dans l’étude, et qui savait de plus le sérieux de mes mœurs, ne me détourna pas de donner quelques années aux recherches libres dans Paris et me traça le plan des cours du Collège de France et de l’École des langues orientales que je devais suivre.

168. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite et fin.) »

Dans Ingres, c’est l’idéal et le style, c’est la beauté absolue et en quelque sorte abstraite ; — chez Delacroix, c’est la couleur non moins absolue, le mouvement et la passion, qu’il s’attache à démontrer en chaque toile par une reproduction des plus fidèles. […] Gautier a appliqué ici aux tableaux peints le même procédé qu’il a suivi à l’égard des tableaux naturels et des climats : la soumission absolue à l’objet. […] Tout l’art est là. » Dans l’appréciation des tableaux, il a toujours maintenu l’importance ou mieux la prédominance absolue du point de vue pittoresque.

169. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « HISTOIRE de SAINTE ÉLISABETH DE HONGRIE par m. de montalembert  » pp. 423-443

Mais l’esprit, je le sais, qu’une foi absolue possède, mourrait plutôt que de s’en laisser un instant séparer. […] J’eus soin d’ailleurs de m’y maintenir dans cette ligne de neutralité littéraire que j’aime à observer, surtout en face de doctrines tranchées et absolues. […] Dans ma vie intellectuelle, sujette à bien des variations, un heureux instinct plus encore que la prudence a su me garder à temps et m’empêcher de prendre de ces engagements absolus, qu’il est ensuite pénible de rompre : M. de Montalembert aura donc beau dire, il ne fera pas de moi un renégat (au sens où il le voudrait), — ni un renégat du catholicisme, malgré des liaisons anciennes et chères, et dont je m’honore, — ni un renégat du libéralisme, malgré la vivacité de quelques-uns de mes coups de plume, quand je servais en volontaire dans ce camp et sous ce drapeau128. […] Je me rappelle avoir entendu, il y a bien des années, Alexis de Saint-Priest, un jour que Montalembert développait dans un salon, de cet air d’enfant de chœur qu’il garda longtemps et de sa voix la plus coulante, une de ses théories inflexibles et absolues, lui dire avec gaieté : « Montalembert, vous me rappelez la jeunesse de Torquemada. » Passe pour la jeunesse !

170. (1899) L’esthétique considérée comme science sacrée (La Revue naturiste) pp. 1-15

Les harmonies du musicien, le pinceau du peintre, la lyre du poète et le ciseau du statuaire réalisent des types absolus dont l’imitation rend les races parfaites. […] Il serait stupide de prétendre que ce n’est pas là une chose vraie et absolue. […] L’éthique a ses lois absolues comme la physique.

171. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — IV »

L’effort des hommes pour se conformer au précepte, s’il échoua sous sa forme absolue, réussit du moins à contenir la volupté dans les limites de la monogamie, resserrant les mailles de la famille, ce milieu le plus propre, dans une société organisée, à faire éclore, à faire vivre et à développer l’enfant. […] On y montrait comment l’idée chrétienne, en prêchant le renoncement à la vie immédiate, le détachement des biens terrestres, la fraternité, l’égalité entre les hommes et le mépris du savoir, en modérant par cette doctrine absolue, sans la réduire toutefois, l’énergie excessive du monde, barbare, qui sans ce frein ne fût pas parvenue à se coordonner, a rendu possible l’organisation des sociétés modernes que l’on voit fondées sur le principe de hiérarchie, qui sanctionnent le droit de propriété, qui, par l’accroissement du savoir, tendent à l’accroissement du bien-être, qui, sur tous les points et dans toutes leurs conclusions, contredisent et renient le principe chrétien, ce principe chrétien qui aida à les fonder et qui, développé avec outrance, aboutirait à les supprimer. […] Aussi les esprits curieux d’assister à cette genèse et à cette agonie des vérités réputées absolues trouveront-ils au cours de ces pages à se satisfaire pleinement : dans le milieu historique ils verront, en de multiples exemples, se joindre ensemble dans un but d’utilité, intellectuelle ou vitale, des éléments idéologiques qu’une utilité différente montrera bientôt désunis.

172. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre V. Les âmes »

Les énormes linéaments des vérités semblent parfois apparaître un instant, puis rentrent et se perdent dans l’absolu. […] Le sourire est une ride fugitive, ignorée de l’absolu. […] Les sérénités absolues pourraient, à de certains moments, être inquiètes du manque de moyens de l’infini !

173. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Introduction. Du bas-bleuisme contemporain »

Ils ont cru légitime la prétention de la femme en matière d’égalité cérébrale avec l’homme ; et, si philosophiquement, ils ont reculé devant la thèse elle-même et l’absolu des termes sur lesquels elle s’appuie, la plupart, dans la pratique, ont parlé comme s’ils l’admettaient, même ceux qui devaient s’y connaître, les brasseurs de choses intellectuelles, les gens qui, par métier, font observation d’esprit humain. […] L’Égalité civile et politique n’est qu’une égalité relative, une part faite à qui veut tout prendre, car les principes sont absolus. […] De récentes publications nous ont appris que, maintenant, c’est la supériorité absolue qu’elles réclament.

174. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Conclusion »

La durée, ainsi rendue à sa pureté originelle, apparaîtra comme une multiplicité toute qualitative, une hétérogénéité absolue d’éléments qui viennent se fondre les uns dans les autres. […] Même, nous pourrions ériger ces phénomènes en absolu et nous dispenser de recourir à d’incompréhensibles choses en soi, si la raison pratique, révélatrice du devoir, n’intervenait à la manière de la réminiscence platonicienne pour nous avertir que la chose en soi existe, invisible et présente. […] Car si, par hasard, les moments de la durée réelle, aperçus par une conscience attentive, se pénétraient au lieu de se juxtaposer, et si ces moments formaient par rapport les uns aux autres une hétérogénéité au sein de laquelle l’idée de détermination nécessaire perdît toute espèce de signification, alors le moi saisi par la conscience serait une cause libre, nous nous connaîtrions absolument nous-mêmes, et d’autre part, précisément parce que cet absolu se mêle sans cesse aux phénomènes et, en s’imprégnant d’eux, les pénètre, ces phénomènes ne seraient pas aussi accessibles qu’on le prétend au raisonnement mathématique.

175. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIX. De la littérature pendant le siècle de Louis XIV » pp. 379-388

La littérature, dans le siècle de Louis XIV, était le chef-d’œuvre de l’imagination ; mais ce n’était point encore une puissance philosophique, puisqu’un roi absolu l’encourageait, et qu’elle ne portait point ombrage à son despotisme. […] De nos jours, si le pouvoir absolu d’un seul s’établissait en France, il nous manquerait ce recours à des idées majestueuses, à des idées qui, planant sur l’espèce humaine entière, consolaient des hasards du sort ; et la raison philosophique opposerait moins de digues à la tyrannie, que l’indomptable croyance, l’intrépide dévouement de l’enthousiasme religieux.

176. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quatorzième. »

Saint-Simon n’eût-il rien dit de sa passion de dominer, je l’aurais devinée à cette prétention de tout régler ; c’est la marque des esprits absolus. Fénelon lui-même l’a reprochée à Louis XIV, le roi le plus absolu et le plus occupé de règlements. […] L’esprit absolu de Fénelon se trahit dans la précision sèche et la dureté de tous ses règlements. […] Bossuet, selon la foule, est l’esprit absolu et dominateur. […] Dans ce petit gouvernement qui lui fut déféré sur tant de consciences, et qu’il exerça en maître si absolu, le chimérique domine encore.

177. (1903) Le problème de l’avenir latin

Je sais que pour beaucoup un tel livre nécessiterait des conclusions fermes et des affirmations absolues dans un sens ou dans l’autre. […] Dans le cas présent, au contraire, la métamorphose est absolue. […] A partir de ce moment c’est la prise de possession totale, absolue. […] En un laps de temps relativement très court, l’Eglise franchit les étapes de la démocratie pure à la monarchie absolue. […] Je veux parler de ceux-là qui fondent sur le temps et sur ce qu’on appelle le « progrès des lumières » un espoir absolu.

178. (1900) Molière pp. -283

Savez-vous quand a commencé l’admiration absolue et de parti pris pour Molière ? […] C’est cette marche de la passion, que Molière voit et peint en visionnaire, qui est la vérité absolue de son œuvre. […] Ce second sens a mon approbation absolue. […] Vous savez tous les droits dont le père de famille était investi à Rome : droit de vie et de mort, complet, absolu, réel, sur tous les membres de la famille. […] Il s’établirait ainsi entre les deux sexes une séparation absolue ; les femmes resteraient des ménagères utiles et rien de plus.

179. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance. »

Quel manque absolu d’intérêt pour la lecture, toutes les fois que cette lecture ne se rapportait pas à la société !  […] Il en concluait la chute absolue des nations de l’Europe avec celle des religions qu’elles professent. […] Benjamin (Constant) est de ce nombre ; il ne fera jamais rien qui soit digne de son esprit… » Le pronostic était bien absolu ; il s’est pourtant vérifié en grande partie. […] Je ne suis pas bien sûr que Mme de Staël partage ce sentiment… Les femmes, plus passionnées que nous dans tous les partis qu’elles embrassent, sont, d’autre part, beaucoup moins susceptibles de cet esprit national ; l’obéissance les révolte moins, et comme ce n’est pas leur vertu, mais la nôtre, qui paraît compromise par des défaites suivies d’une absolue dépendance, elles s’en sentent moins que nous humiliées. » Mme de Staël (et c’est une réparation qu’on lui doit) était beaucoup plus du sentiment de Sismondi, à cette date, que lui-même n’avait d’abord osé le penser ; mais Mme d’Albany n’en était pas du tout, et, dans les lettres qu’il lui adresse, Sismondi s’efforçait en vain de la ramener, de la convertir à sa manière d’envisager les choses du point de vue tout nouveau où il se plaçait : « Je suis étonné, lui écrivait-il (11 décembre 1814), de vous voir vous arrêter toujours sur le passé, tandis que c’est le présent seul qui importe. […] Du reste, je n’avais eu qu’à paraître ; maître absolu de la ville, j’y pouvais faire pendre cent personnes si c’eût été mon bon plaisir. » Durant cet entretien, suivi tout en marchant, Napoléon s’était échauffé.

180. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre IV. L’ironie comme attitude morale » pp. 135-174

Il faut tenir compte de l’opposition et de la lutte, ouvertes ou cachées, qui ne sont pas moins nécessaires à notre vie, ou bien prêcher le renoncement absolu. […] Ce sont plutôt les différences absolues entre les choses qui empêchent de les évaluer. […] Il saura qu’il n’y a en morale rien d’absolu, et, en adoptant cette formule banale il lui donnera un sens nouveau et plus vivant. […] Le tiers esprit écoutera tout cela et il saura qu’il ne peut y avoir de règles générales absolues pour régler le conflit. […] Il éviterait d’en faire un absolu, même de vouloir trop l’universaliser.

181. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « I »

La Revue Wagnérienne, partant des principes que nous estimons ceux du véritable wagnérisme, jugera, avec l’entière, l’absolue indépendance qu’exige sa situation spéciale et qui est incompatible avec les conditions d’existence de la plupart des autres publications, les faits wagnériens qui s’annoncent pour 1887. […] Mais que dire de ce répugnant massacre dont les moindres défauts sont une absolue absence de style — et quelques coupures ! […] Dans ces écrits il a examiné l’art d’abord, sous tous les points de vue possibles, absolus et contingents, et ensuite le monde — l’état, la religion, la société, etc. — Au point de vue exclusif de l’artiste, donnant ainsi une théorie complète du monde, non point philosophique, mais artistique. […] Jullien nous apprend que c’est « dans l’état d’isolement douloureux et d’absolu découragement où il se trouvait en exil… qu’il se laissa gagner… par une théorie philosophique décourageante entre toutes… » De nouveau, c’est là un mirage d’idées préconçues, qui ne reposent sur rien. […] Il fallait, pour accomplir ce travail, être l’habile et sérieux artiste et l’absolu wagnériste qu’est M. de Egusquiza.

182. (1881) Le naturalisme au théatre

Il n’y a pas d’absolu, jamais ! […] Et c’est tout ; l’auteur reste ensuite le maître absolu de son œuvre. […] L’absolu n’existe point. […] Puis, il n’y a pas d’absolu. […] Talray entend être maître absolu dans le théâtre où on le joue.

183. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juin 1886. »

Autre part, il écrit : « C’est le propre de la musique, de pouvoir élever à une certitude absolue ce que tous les autres arts ne peuvent qu’indiquer ». […] Wagner, au contraire, est devenu musicien par une nécessité poétique, parce que la musique seule pouvait exprimer avec une « certitude absolue » les phénomènes psychologiques, les « états d’âme », qui étaient le fond de ses drames, et que la symphonie musicale devenait ainsi pour lui une partie intégrante et inséparable de la conception poétique. […] La Gœtterdaemmerung est de la musique absolue, non pas dans le sens ordinaire de cette expression, — mais de la musique absolue wagnérienne. […] Cette étourdissante et électrique effluence de volupté est interrompue par le silence absolu qui se fait, dès que Wolfram prononce le nom d’Elisabeth, répété par Tannhaeuser dans une sorte de stupeur paralysée. […] La vision créatrice de l’auteur projette ces personnages dans l’objectivité absolue d’une existence complète : elle dissèque merveilleusement les motifs véritables du courage, de l’héroïsme, de la peur, et les actes, et les sensations que ces motifs produisent.

184. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Herbert Spencer — Chapitre I : La loi d’évolution »

Il ne s’agit nullement d’avoir une connaissance absolue (noumenally) de cette cause : c’est un mystère au-dessus de l’intelligence humaine ; il faut simplement transformer notre généralisation empirique en une généralisation rationnelle. […] La doctrine de l’évolution, au contraire, montre qu’entre la science et les prévisions du vulgaire, toute ligne de démarcation est impossible ; qu’elles diffèrent en degré, non en nature, et qu’entre elles toute séparation absolue est illusoire et chimérique. […] De là vient que si nous voulons juger deux nuances de couleur, nous les plaçons côte à côte, que si nous voulons estimer deux poids, nous en prenons un dans chaque main, et que nous comparons leur pression, en faisant passer rapidement notre pensée de l’un à l’autre : et, « comme de toutes les grandeurs, celles d’étendue linéaire sont celles dont l’égalité peut être le plus exactement connue, il en résulte que c’est à celles-là qu’on doit réduire toutes les autres. » Car c’est le propre de l’étendue linéaire, que seule elle permet la juxtaposition absolue, ou pour mieux dire, la coïncidence, comme il arrive pour deux lignes mathématiques égales ; l’égalité devenant alors identité. […] Lui seul voit vraiment qu’une connaissance absolue est impossible.

185. (1841) Discours aux philosophes. De la situation actuelle de l’esprit humain pp. 6-57

Avec cette solution, il n’y avait même sur la terre aucun mal absolu, puisque tout mal était amplement réparé. […] C’est que nous n’avons pas que le présent, et que le problème, insoluble au point de vue du fini absolu, est soluble au pointée vue de l’infini. […] Il subalternisait la femme à l’homme, et limitait, d’une façon absolue, la femme à la condition que le hasard ou la force lui faisait sur la terre. […] Toutes ces idées de fini absolu, de présent absolu, de désordre absolu, de hasard absolu, d’athéisme enfin, sont des idées négatives qui n’ont par elles-mêmes aucune existence. […] Admettra-t-elle le mal absolu dans l’ordre de la nature, et en conséquence concédera-t-elle encore l’inégalité sur la terre ?

186. (1904) Zangwill pp. 7-90

Ce meurtre fait en vue d’une nécessité absolue parut devoir être dissimulé par des guirlandes et une cérémonie. […] On conçoit ainsi une conscience qui résume toutes les autres, même passées, qui les embrasse en tant qu’elles ont travaillé au bien, à l’absolu. […] L’opinion que la conscience absolue a de lui, le souvenir qu’elle garde de lui, voilà la vraie vie du juste, et cette vie-là est éternelle. […] Croyez-moi, Dieu est une nécessité absolue. […] Le développement particulier dont nous sommes les témoins n’est que l’histoire d’un atome ; nous voulons que ce soit l’histoire de l’absolu, et nous y appliquons les lignes d’un arrière-plan situé à l’infini.

187. (1874) Premiers lundis. Tome I « Madame de Maintenon et la Princesse des Ursins — II »

Il est curieux de la voir, dans cette correspondance, protester à tout propos contre l’idée qu’on pouvait avoir de son crédit : « Je ne suis qu’une particulière assez peu importante ; je ne sais pas les affaires, on ne veut point que je m’en mêle, et je ne veux point m’en mêler. » Tantôt elle se compare avec pruderie à une ingénue de quinze ans : « Je suis un peu comme Agnès, je crois ce qu’on me dit, et ne creuse pas davantage. » Tantôt elle se vieillit avec une complaisance qui fait sourire : « Si vous me voyiez, madame, vous conviendriez, que je fais bien de me cacher : je ne vois presque plus ; j’entends encore plus mal ; on ne m’entend plus, parce que ma prononciation s’en est allée avec mes dents, la mémoire commence à s’égarer ; je ne me souviens plus des noms propres, je confonds tous les temps, et nos malheurs joints à mon âge me font pleurer comme toutes les vieilles que vous avez vues. » Sans croire tout à fait à ce renoncement absolu au monde, on est pourtant forcé de reconnaître qu’il y a dans ce langage de madame de Maintenon plus de manie que d’hypocrisie, et qu’à force de se faire, en paroles, insignifiante et inactive, elle l’était sur la fin réellement devenue. […] D’un tact consommé dans la société, ses vues ne s’élargirent pas avec sa fortune ; elle eut moins d’hypocrisie que de petitesse, et elle est moins haïssable pour ses fautes que le gouvernement absolu qui les permit.

188. (1874) Premiers lundis. Tome I « Deux révolutions — I. De la France en 1789 et de la France en 1830 »

En 89, tout était à détruire, clergé d’État, noblesse à privilèges, monarchie prodigue et dévorante, parlements usurpateurs et stationnaires ; le tiers état, accablé d’humiliations et de charges, se ressaisissait de ses droits ; une philosophie hostile battait en brèche la religion ; une politique absolue, éprise de certaines formes, tendait à se réaliser dans les lois. […] Quand la société est morale, avancée, et se tient volontiers dans le bon sens et le travail, quand les passions et les haines publiques n’ont plus d’objet, les théories absolues et les prestiges quelconques peu de séduction, les conséquences les plus nombreuses et les plus vraies de la liberté n’ont aucun péril ; car elles garantissent ce travail, exercent et développent ce bon sens, préviennent le retour des passions politiques, ou en dirigent le cours vers le bien général, et ferment la bouche aux théories des rêveurs.

189. (1867) Le cerveau et la pensée « Avant-propos »

Peut-on affirmer que l’on a démontré la dépendance absolue de l’âme à l’égard du corps tant qu’on n’a pas pu signaler avec rigueur et précision la circonstance décisive qui serait la cause directe et unique de l’intelligence ? […] Je préviens donc, afin que personne n’en ignore, que je n’ai rien voulu dire autre chose que ceci : c’est que, dans l’état actuel de la science, rien n’est moins démontré que la dépendance absolue de la pensée à l’égard du cerveau.

190. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Alaux. La Religion progressive » pp. 391-400

L’auteur d’un livre si singulièrement nommé : La Religion progressive, doit être bien plus fort comme postillon que celui qui intitulerait le sien, par exemple : « Religion du Progrès », car la religion du Progrès pourrait être quelque chose de fixe et d’absolu, que la pensée de l’homme ne traverserait pas comme une cour d’auberge et pour se remettre incontinent, après y avoir relayé, le cul sur la selle ; tandis que la Religion progressive, c’est tout autre chose : c’est une religion qui va toujours, et qui postillonne, à son tour, comme les philosophes, sur le chemin sans bout de l’humanité ! […] Il oppose l’homme au gouvernement, et la justice, qui n’est pas de ce monde dans son absolu, à l’ordre, qui peut l’être et doit l’être pour que les sociétés valent quelque chose… Certes !

191. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Léon Bloy »

Dans une époque où le génie de la concession qui gouverne le monde va jusqu’à lâcher tout, un esprit de cet absolu et de cette rigueur a épouvanté ceux-là même qu’il aurait le mieux servis. […] Sans sa foi absolue à la surnaturalité de l’Église, il n’aurait pas écrit sur celui qu’il appelle « le Révélateur du Globe » une histoire aussi surnaturelle que l’Église elle-même, et il ne les aurait pas fondues, l’une et l’autre, dans une identification si sublime.

192. (1875) Premiers lundis. Tome III « De la liberté de l’enseignement »

Cet état, qui est celui de la plupart des esprits, qui, s’il n’est pas la non-croyance absolue, est un état d’examen plus ou moins libre, plus ou moins raisonné et approfondi, avec tous ses résultats et ses conséquences, cet état, je l’ose dire, est tout à fait légal depuis 1789 : il a droit à être reconnu, à être respecté. […] La vérité ou ce qu’on appelle de ce nom en matière de foi, chacun se l’attribue à soi exclusivement et la dénie aux autres : à ce compte il n’y aurait jamais lieu qu’à une orthodoxie maîtresse et absolue comme au moyen âge. […] Milton, dans son Paradis perdu, nous représente les anges déchus, dont Satan est le chef, les Esprits rebelles et précipités dans l’abîme, qui se livrent encore dans leurs tristes loisirs à leurs anciens goûts favoris ; et quelques-uns d’entre eux et des plus distingués, dit le poète, « assis à l’écart sur une colline solitaire, s’entretiennent en discours infinis de pensées élevées et subtiles, ils raisonnent à perte de vue de providence, prescience, volonté et destin : destin fixé, volonté libre, prescience absolue, et ils ne trouvent point d’issue, ajoute le poëte, perdus qu’ils sont dans ces tortueux dédales. » N’imitons pas ces anges sublimes et déchus. […] Sée a débuté en déterminant plus que jamais son programme et sa méthode ; à savoir, l’indépendance absolue de la médecine par rapport à aucune secte philosophique, quelle qu’elle soit, et surtout officielle : « Je ferai en peu de mot, a-t-il dit, l’historique de la question. […] ) — Ce que Napoléon disait là du bienfait de l’incrédulité chez un chef d’Etat dans une monarchie absolue, Frédéric le Grand l’a encore mieux prouvé.

193. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre deuxième »

Ce n’est ni la sienne, ni la mienne, ni la vôtre, avec les différences qu’elle reçoit du caractère de chacun, du pays, du temps, mais la raison universelle, impersonnelle et absolue. […] Cette première vérité, ou plutôt ce principe même de toute certitude, le mène invinciblement à une seconde vérité, la distinction du corps et de l’âme, fondée sur l’incompatibilité absolue de leurs phénomènes. […] C’est trop peu, pour cette intelligence sublime, de l’évidence relative des vérités de l’expérience ; il lui faut l’évidence absolue des vérités de la raison. […] Ses disciples y verront des vérités absolues, contre lesquelles d’autres vérités ne peuvent prévaloir ; ils en feront des images de la raison divine, des portions même de Dieu. […] Supposez cet homme rebelle par impuissance à la foi de son pays, ou entraîné vers l’incrédulité absolue ; Descartes veut le retenir sur le bord de l’abîme, l’aider à trouver en lui-même les principes qui le ramèneront à la croyance philosophique, et par elle peut-être à la croyance religieuse.

194. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VIII : Hybridité »

Bien que cette distinction soit importante dans la recherche des causes de la stérilité également constatée dans l’un et l’autre cas, elle a été négligée probablement parce qu’on préjugeait en général que la stérilité des croisements entre espèces différentes était une loi absolue dont les causes étaient au-dessus de notre intelligence. […] Finalement, si l’on considère dans leur ensemble tous les faits bien établis concernant les croisements des plantes ou des animaux, on en doit conclure que, soit les premiers croisements, soit les produits hybrides, sont très généralement frappés d’une certaine stérilité relative ; mais que cette stérilité ne peut, dans l’état actuel de la science, être considérée comme absolue et universelle. […] Certains hybrides, au lieu de présenter des caractères intermédiaires entre leurs parents, comme c’est le cas le plus général, ressemblent toujours beaucoup plus à l’un d’eux ; et de tels hybrides, bien que si semblables extérieurement à l’une des souches pures dont ils proviennent, sont si souvent frappés d’une stérilité presque absolue, que les exceptions à cette règle sont des plus rares. […] On admet la stérilité d’une multitude de croisements entre espèces sur des preuves qui ne sont certainement pas plus fortes ; et de plus, ces preuves de la stérilité des variétés croisées sont empruntées à des témoins hostiles, qui en tous les autres cas considèrent la fécondité ou la stérilité d’un croisement entre deux formes quelconques, comme le critère absolu des différences de valeur spécifique. […] Mais, si le fait est vrai, je puis affirmer que ce n’est qu’une différence de degré qui n’a rien d’absolu.

195. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « La Réforme sociale en France déduite de l’observation comparée des peuples européens, par M. Le Play, Conseiller d’État. »

L’un de ces hommes rares, chez qui la conscience en tout est un besoin de première nécessité et dont le plus grand plaisir comme la récompense est dans la poursuite même d’un travail et dans l’accomplissement absolu d’une fonction, il fit ainsi son métier de métallurgiste avec passion et scrupule ; il épuisa la connaissance détaillée qu’on en peut avoir. […] Dans tout état de société, — qu’il s’agisse de la Russie méridionale et des paysans agriculteurs, chez qui la religion n’empêche sans doute ni l’intempérance, ni la ruse, ni la fraude, ni bien des vices, mais à qui elle inspire un pieux et absolu respect dans les rapports des fils aux parents, « une résignation stoïque dans les souffrances physiques et morales, et, en présence de la mort, une assurance, une sérénité qui a parfois un véritable caractère de grandeur » ; — qu’il s’agisse, tout au contraire, des peuples et des régimes les plus avancés, tels que l’Angleterre, chez qui les hautes classes et les lords peuvent être dissolus à leur aise, mais que gouverne réellement et que maintient avec fermeté, en présence des masses chartistes, l’immense classe bourgeoise ou rurale moyenne, tout imprégnée de la Bible et de la forte moralité qui en découle ; — partout l’élément religieux, sous une forme ou sous une autre, lui a paru essentiel à la durée et à la stabilité des sociétés. […] Est-ce le laisser aller absolu, l’individualisme sans limite qui est le meilleur régime ?

196. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre V. De la lecture. — Son importance pour le développement général des facultés intellectuelles. — Comment il faut lire »

Les œuvres fines, nuancées, complexes, où l’on apprend à corriger les vérités absolues par des vérités contraires, qui forment le sens du relatif, si rare chez tous les hommes, devront venir ensuite. […] Tout est vérité ou erreur absolue : je pourrais dire orthodoxie ou hérésie. […] Tout ce qu’on accepte ainsi sans examen, tout ce qu’on traduit ainsi en formules absolues, n’entre pas vraiment dans l’âme, ne se mêle pas à sa substance, ne s’y fond pas.

197. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVII. Forme définitive des idées de Jésus sur le Royaume de Dieu. »

Que tout cela fût pris à la lettre par les disciples et par le maître lui-même à certains moments, c’est ce qui éclate dans les écrits du temps avec une évidence absolue. […] Mais entachées d’un grossier matérialisme, aspirant à l’impossible, c’est-à-dire à fonder l’universel bonheur sur des mesures politiques et économiques, les tentatives « socialistes » de notre temps resteront infécondes, jusqu’à ce qu’elles prennent pour règle le véritable esprit de Jésus, je veux dire l’idéalisme absolu, ce principe que pour posséder la terre il faut y renoncer. […] Qui sait si le dernier terme du progrès, dans des millions de siècles, n’amènera pas la conscience absolue de l’univers, et dans cette conscience le réveil de tout ce qui a vécu ?

198. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VIII. »

Ou plutôt de la contemplation de la nature n’avait-il pas détaché le principe d’un Dieu tout spirituel, d’une intelligence absolue et suprême ? […] La sagesse dont il était le disciple, les croyances qu’il avait recueillies sur l’essence divine de l’âme et la vérité absolue, fortifiées de sa puissante parole, trouvaient près de lui d’autres maîtres pour les enseigner, d’autres poëtes pour les chanter. […] Le commentaire d’Hiéroclès, à la fin du quatrième siècle, cet effort pour opposer les maximes d’un ancien philosophe à celles du Christ, suppose sans doute un monument païen de quelque autorité, mais n’en témoigne pas l’authenticité absolue.

199. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre huitième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Victor Hugo »

En d’autres termes, n’est-il pas l’absolu dont nous sommes le relatif ?  […] L’absolu véritable est donc dans l’ordre de la qualité, non dans celui de l’existence. […] L’absolu doit être pratique. […] Il admet comme certaine au fond de l’univers une sorte de paternité, de bonté épandue, et s’écrierait volontiers, avec la foi absolue et naïve de l’évêque Myriel parlant à celui qui va mourir sur l’échafaud : — Entrez dans la vie, le Père est là163 ! […] Mais ce ne sont pas les religions, selon lui, ni leurs prêtres qu’il faut consulter ; car on ne peut donner une forme à l’absolu.

200. (1889) La littérature de Tout à l’heure pp. -383

Les Religions, les Légendes, les Traditions, les Philosophies sont les plus évidentes émanations de l’Absolu vers nous et les plus incontestables récurrences de nos âmes vers l’Absolu, ce songe dont nous ne pouvons nous déprendre quoique nous ne puissions davantage le pénétrer. […] … Est-il un ou multiple, absolu ou divers ? […] Mais notre soif d’absolu ne trouve pas ce qui la désaltérerait dans les fontaines chrétiennes. […] Cette joie, qui peut parfois sourire à l’esprit en son sens complémentaire et à la brillante gaîté, pourtant reste d’essence grave : sa voie n’est que vers l’Absolu, sa pâture n’est que d’Éternité. […] Il y a, là, d’incontestables pressentiments d’un Absolu esthétique.

201. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — II. (Fin.) » pp. 109-130

Les anciens peuples ont commencé par la pauvreté et l’égalité ; la gloire les a enivrés, menés aux richesses et au pouvoir absolu. La question qui se présente aujourd’hui au philosophe est de savoir si l’on peut suivre une marche rétrograde, passer d’un régime absolu à celui de la liberté, de la hiérarchie des rangs à l’égalité toujours combattue par la richesse, qui n’aspire pas moins aux distinctions qu’aux jouissances. […] Le caractère d’Aladin et ses nobles imprudences de conduite ont leur contrepoids et leur correctif dans la sagesse d’un vieux moine philosophe, le Kalender : Le Kalender avait beaucoup vu, beaucoup observé, méprisait les hommes et s’en accommodait ; il ne connaissait point de vérité absolue, ne trouvait rien de grand, ni de vil, ni de petit… Jamais il ne faisait de reproches sur ce qu’on aurait dû faire : il prenait les choses où elles en étaient, et les hommes comme ils étaient… Il ne donnait point de conseils, mais quelquefois des avis… Jamais il ne raisonnait contre les passions, mais il prouvait souvent qu’on n’avait pas de passion. […] Je me crois toujours supérieur à ce que l’on connaît de moi, et prêt à l’abandonner… C’est ici que, professant cette absolue indifférence pour le fond de toute chose et pour la vérité en elle-même, il laisse échapper cet aveu que nous avons déjà recueilli et qui juge tout l’homme : « Rien n’a jamais fait effet sur moi comme vrai, mais comme bien trouvé. » Et il continue de se dessiner en se mirant : Je suis vivement paresseux, ce qui me donne deux inconvénients, celui de la paresse et celui de l’ardeur.

202. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre II. Corneille »

Il chicane les formules absolues des critiques érudits, qui concèdent vingt-quatre heures, et en refusent trente, qui reconnaissent l’unité d’un palais, plutôt que l’unité d’une ville. […] En d’autres termes, unité de lieu, unité de temps, signifie pour Corneille minimum de variation dans le lieu, minimum de durée dans le temps, donc maximum de vraisemblance : mais la quantité minima de temps ou d’espace n’est pas absolue, elle est relative, et se détermine par la constitution particulière de chaque sujet. […] Tous les mots sublimes de Corneille — si nous recueillons nos souvenirs — sont des réalisations imprévues de l’absolu de la volonté. […] En effet, plus la volonté est pure, moins la tragédie sera dramatique : ce qui est dramatique, ce sont les défaites ou les demi-succès, ou les lentes et coûteuses victoires de la volonté, ce sont les incessants combats ; mais la domination absolue et incontestée de la volonté n’est pas dramatique.

203. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « L’abbé Galiani. » pp. 421-442

Il avait l’esprit trop fin, trop sensé, pour ne pas être choqué des théories absolues de d’Holbach : « Au fond, nous ne connaissons pas assez la nature, pensait-il, pour en former un système. » Il reprochait à ces prétendus systèmes de la nature de ruiner toutes les illusions naturelles et chères à l’homme ; et, comme le livre de d’Holbach parut vers le temps où l’abbé Terray décrétait la banqueroute, il disait : « Ce M.  […] Il fait des réductions, des suspensions, et cause la banqueroute du savoir, du plaisir et de l’esprit humain. » En philosophie, le vrai système de l’abbé Galiani est celui-ci : il croit que l’homme, quand il n’a point l’esprit alambiqué par la métaphysique et par le trop de réflexion, vit dans l’illusion et est fait pour y vivre : « L’homme, nous dit-il, est fait pour jouir des effets sans pouvoir deviner les causes ; l’homme a cinq organes bâtis exprès pour lui indiquer le plaisir et la douleur ; il n’en a pas un seul pour lui marquer le vrai et le faux d’aucune chose. » Galiani ne croit donc pas à la vérité absolue pour l’homme, à la vérité digne de ce nom : la vérité relative, qui n’est qu’une illusion d’optique, est la seule, selon lui, que l’homme doive chercher. […] Galiani, très au fait de ces questions, et qui les avait étudiées avant son arrivée en France, avait en horreur les idées absolues en telle matière, et surtout la façon dogmatique, tranchante, mystérieuse et ennuyeuse, dont les économistes présentaient les leurs. […] Galiani avait pris à dessein cette forme du dialogue, comme plus française : « Cela est naturel, disait-il ; le langage du peuple le plus social de l’univers, le langage d’une nation qui parle plus qu’elle ne pense, d’une nation qui a besoin de parler pour penser, et qui ne pense que pour parler, doit être le langage le plus dialoguant. » Quant au fond, en combattant les idées absolues et les raisonnements des économistes, Galiani visait à faire entrevoir les idées politiques qui doivent régir et dominer même ces matières.

204. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre premier. Prostitués »

Mais, quand je réfléchis, je reconnais que le devoir est un absolu ; on ne saurait faire plus que son devoir et par conséquent, en bonne morale, nul ne doit être admiré. […] Combien nous sommes peu à montrer le calme courage de la franchise, à mi-côte, à égale distance des saints qui pensent et travaillent et des absolus prostitués qui vendent âprement et habilement des mots vides et des grimaces de pensées.

205. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Conclusion »

Quoique absolu, il ne rebute pas ceux qu’il ne convainc pas ; on ne se débarrasse pas de lui comme on fait d’un déclamateur tyrannique, on se défend. […] Ses lettres, le plus aimable et peut-être le plus original de ses ouvrages, ont révélé dans ce penseur absolu, dans ce logicien inexorable, un père presque plus père que les plus tendres ; car tout ce que ceux-ci ont d’entrailles pour l’enfant qui vit sous leur toit, tout près de leur cœur, de Maistre l’avait pour une fille née le jour même où il quittait son pays, et dont il cherchait « à se représenter la figure », entrevue et devinée par le cœur dans les tristesses de l’exil, et embellie par l’orgueil paternel. […] Il y a deux sortes d’esprits absolus : les absolus du sens propre, et les absolus de la foi.

206. (1908) Après le naturalisme

Qu’il ne poursuive pas un chimérique absolu. […] Insensibilité, amoralisme absolu, non-finalisme. […] Et quant aux Idées anciennes, il nous sera permis de douter de leur valeur absolue. […] Croit-on que de l’ignorance absolue, de l’erreur profonde, de l’orgueil mal dirigé puisse sortir la sagesse. […] C’est désormais devant la Vie, par la conscience de l’absolue Vérité que nous palpiterons.

207. (1875) Revue des deux mondes : articles pp. 326-349

La connaissance de l’absolu est donc la connaissance qui ne laisserait rien en dehors d’elle. […] Il serait du reste mauvais pour la science que la raison ou l’expérience vînt étouffer complétement le sentiment ou l’aspiration vers l’absolu. […] Elle n’admet pas d’autorité personnelle ; elle repousse d’une manière absolue les systèmes et les doctrines. […] Les progrès de la physiologie moderne ont prouvé que toutes ces localisations absolues des conditions de la vie sont des chimères. […] La raison de cette apparente contradiction réside dans la séparation presque absolue qu’ils établirent entre l’âme et le corps.

208. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre VI. Bossuet et Bourdaloue »

Et ce manque absolu d’excès, cette infaillible exactitude qui se tenait toujours aux limites du vrai, du possible, de l’utile, c’est peut-être le point faible de ce grand et excellent homme : il fut trop paisiblement sage et sensé. […] Son style tire sa perfection de son absolue et candide probité. […] Sa théorie du pouvoir royal est ce que l’on peut attendre d’un prêtre gallican, de famille parlementaire : les rois sont absolus, mais ils doivent respecter les lois, les droits des divers corps de la nation. […] Cette terrible responsabilité devant Dieu est le contrepoids de l’autorité absolue que Bossuet accorde aux rois sur la terre. […] Despotisme, monarchie absolue, république aristocratique, démocratie, il admet tout, avec plus ou moins de sympathie ou de répugnance : mais enfin il admet tout ; il ne demande à un gouvernement, pour être légitime, que de durer, et de faire sa fonction, qui est de garantir l’ordre, de protéger les sujets.

209. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre IV. De l’amour. »

le jour, où quelque acte d’un dévouement absolu, lui donne au moins une idée du sentiment qui oppressait le cœur par l’impossibilité de l’exprimer ! […] C’est par le secours de la réflexion, c’est en écartant de moi l’enthousiasme de la jeunesse que je considérerai l’amour, ou, pour mieux m’exprimer, le dévouement absolu de son être aux sentiments, au bonheur, à la destinée d’un autre, comme la plus haute idée de félicité qui puisse exalter l’espérance de l’homme. […] Il est vrai, l’amour qu’elles inspirent donne aux femmes un moment de pouvoir absolu, mais c’est dans l’ensemble de la vie, dans le cours même d’un sentiment, que leur destinée déplorable reprend son inévitable empire.

210. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VII. De l’esprit de parti. »

On a dit souvent, dans le cours de la révolution de France, que les Aristocrates et les Jacobins tenaient le même langage, étaient aussi absolus dans leurs opinions, et, selon la diversité des situations, adoptaient un système de conduite également intolérant. […] L’esprit humain ne peut avoir son développement, ne peut faire de véritables progrès, qu’en arrivant à l’impartialité la plus absolue, en effaçant au-dedans de soi la trace de toutes les habitudes, de tous les préjugés, et se faisant, comme Descartes, une méthode indépendante de toutes les routes déjà tracées. […] Un ambitieux peut quelquefois préférer les plaisirs de l’amitié, les avantages de l’estime, à telle ou telle partie du pouvoir ; mais dans l’esprit de parti il n’y a rien que d’absolu, parce qu’il n’y a rien de réel, et que la comparaison se faisant toujours du connu à l’inconnu ; de ce qui a une borne, à ce qui est indéfini, ne permet jamais d’hésiter entre cette incommensurable espérance, et quelque bien temporel que ce puisse être.

211. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Les deux cathédrales »

La réalité était là devant lui, en l’absence absolue de toute équivoque : il la vit et l’interpréta. « Le monument, grand témoin du soleil, a écrit M.  […] Le catholicisme apporte au monde une métaphysique et une morale en désaccord absolu avec les conceptions helléniques de l’époque classique. « Avec l’humilité, avec le mépris de la chair, avec la haine terrifiée de la nature, l’abandon des jouissances terrestres, la passion de la mort qui délivre et ouvre le paradis, un autre monde commençait104 », a-t-on dit, et nulles paroles ne caractérisèrent mieux cette étrange apothéose du non-être qu’amena le christianisme. […] Il crut comprendre que non seulement il n’y avait pas antagonisme entre son être propre et l’être du monde, mais qu’ils étaient éternellement unis, consubstantiels et solidaires ; qu’il y avait dès lors nécessité absolue pour lui de se plonger, à âme perdue, dans cette fontaine de vie, dans cet océan dénaturé, dont il tirait le meilleur de ses forces.

212. (1936) Réflexions sur la littérature « 6. Cristallisations » pp. 60-71

Aucun grand artiste ne paraît avoir réalisé un de ces amours absolus : on ne saurait même les imaginer chez les héros suprêmes, un Platon, un Léonard ou un Goethe, dont les cristallisations amoureuses ne peuvent vivre que comme essais, ébauches de leurs cristalisations esthétiques. […] L’amour, qui est le tout absolu de la cristallisation amoureuse, fait une grande part de la cristallisation artistique, et j’imagine volontiers, comme troisième essai de M.  […] L’Église tout en se plaignant de ne pouvoir réaliser son absolu, s’arrange pour réaliser quelque relatif, quelque fragment de la Jérusalem Céleste pour le réaliser dans la société, contre la société, et même parfois par la société puisqu’elle est elle-même, comme toute société spirituelle, une société quelque peu politique.

213. (1894) Notules. Joies grises pp. 173-184

Et j’arrive à cette conclusion — malgré moi, puisque en dehors de la question — qu’une œuvre ne peut être d’absolue beauté si l’âme n’y transparaît ; à travers la matière, si la vie n’y aime et souffre sous la Forme : la Forme éternellement morne en dépit de sa splendeur, lorsqu’elle s’isole. Donc le Poète absolu sera celui qui de son humanité animera la beauté inerte des Choses ; car la Forme ne sera jamais qu’un vêtement, lâche quelquefois, mais le plus souvent strict fiancé de l’Idée.

214. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Philippe II »

C’est son caractère particulier, profond, essentiel, absolu, d’être religieuse… Or, Forneron ne l’est pas. […] C’est, en effet, pour cette Cause sacrée que le XVIe siècle combattit… malheureusement avec toutes armes, mais c’est précisément le fanatisme de cette Cause, — à qui tant d’écrivains ont imputé toutes les horreurs du temps, — c’est ce fanatisme religieux, dont l’indifférence d’un esprit moderne et sans croyance et froidi par l’étude des faits s’est tranquillement détournée, c’est ce fanatisme, qui, lui seul, a pourtant arraché le XVIe siècle à l’outrage mérité du genre humain, et qui l’a sauvé du mépris absolu de l’Histoire !

215. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre V. Du gouvernement de la famille, ou économie, dans les âges poétiques » pp. 174-185

Ils durent être dans la famille des rois absolus, supérieurs à tous les autres membres, et soumis seulement à Dieu. […] Ce que Tacite dit des Germains peut s’entendre de tous les premiers peuples barbares ; et nous savons que chez les anciens Romains le père de famille avait droit de vie et de mort sur ses fils, et la propriété absolue de tout ce qu’ils pouvaient acquérir, au point que jusqu’aux Empereurs les fils et les esclaves ne différaient en rien sous le rapport du pécule.

216. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

Bossuet avait fait retentir dans la chaire toutes les maximes qui établissent le pouvoir absolu des rois et des ministres de la religion. […] Elle fut suspendue pendant la vie du ministre ; quand il ne fut plus, elles exercèrent un empire absolu. […] Cependant ce genre de vérités ne peut s’élever au rang de vérité nécessaire et absolue. […] en avait-il appelé à la force et soutenu la guerre civile, pour maintenir une autorité absolue ? […] Les hommes qui n’avaient pas voulu reconnaître la souveraineté absolue d’un roi crurent qu’en la déplaçant elle cesserait d’être abusive et tyrannique ; ils ne virent pas que la tyrannie consiste à ce qu’une souveraineté quelconque soit absolue.

217. (1896) Le IIe livre des masques. Portraits symbolistes, gloses et documents sur les écrivains d’hier et d’aujourd’hui, les masques…

Bloy ; elles sont curieuses par leur tendance vaine vers l’absolu. Vaine, car l’absolu, c’est la paix profonde au fond des immensités silencieuses, c’est la pensée contemplative d’elle-même, c’est l’unité. […] Charbonnel a expliqué cela, en analysant une doctrine à laquelle il reconnaît « la grandeur et aussi le caractère absolu de l’héroïsme ». […] Sa foi n’est pas l’espérance imprécise d’un hédoniste inconscient ; elle est absolue dans son principe comme dans son but, et ce principe et ce but sont uns ; parti de la vérité, il va vers la vérité. […] C’est là l’erreur absolue, comme la vérité absolue est de ne pas croire en soi, mais de croire en Dieu seul, qui est la vérité unique.

218. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIIe entretien. Fior d’Aliza » pp. 177-256

La question allait se poser entre le système constitutionnel et le régime absolu dans les États d’Italie dépendant de l’influence de la maison de Bourbon. […] M. de Blacas, favori du roi, déplacé en 1815 et relégué à Rome où il représentait la France comme ambassadeur, avait sur les légations de France en Italie une direction presque absolue, avouée par le roi et complètement opposée à celle du ministère. Il était l’oracle secret de la monarchie absolue, oracle que nous avions l’ordre d’interroger dans tous les cas soudains et difficiles. Cet oracle contre-révolutionnaire, en passant par l’âme absolue de M. de Blacas, ne pouvait pas être favorable au tempérament que la politique exigeait de nous. […] Childe Harold, ou lord Byron, que ce nom désigne toujours, est non seulement un personnage très distinct de M. de Lamartine, il en est encore en toute chose l’opposé le plus absolu.

219. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juillet 1885. »

Théoriquement, la différence est donc telle, absolue : eussent ils été écrits en la même époque, Lohengrin et Tristan seraient, par leur forme, Wagner l’a dit, plus différents que le Barbier et Lohengrin. […] Ensuite je me peignis involontairement l’état délicieux d’un homme en proie à une grande rêverie dans une solitude absolue, mais une solitude avec un immense horizon et une large lumière diffuse ; l’immensité sans autre décor qu’elle-même. […] Cet Être n’est point la ridicule Volonté, absolue et inveuillante de Schopenhauer ; cet Être est l’Homme, c’est Moi, c’est la Volonté individuelle, créant le Monde des phénomènes-. […] — Le Moi créateur est le moi réel, individuel, non l’Absolu Noumêne du grand poète Kantien. — Non Fichte, mais Platon, identifiant le νοῦς à l’Idée créatrice. […] L’idéal vers lequel il avait tendu était la pureté, la chasteté absolue.

220. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Figurines (Deuxième Série) » pp. 103-153

Ce pessimisme est absolu, assez simple en somme, original seulement par son intensité. […] Le pessimisme absolu, quand il est moins une perversion de l’esprit qu’un état du système nerveux, peut être grand créateur de rêves. […] Voyez, dans le Nouveau Jeu, l’entretien nocturne du père Labosse avec son valet de chambre : chef-d’œuvre absolu ; du Balzac en petites phrases. […] Jamais on ne fit un tel usage de toutes les « figures de grammaires » abréviatives : anacoluthe, ellipse, ablatif absolu. […] Au nouvel Hôtel de Ville, pieusement reconstruit selon la figure de l’ancien, quarante générations de prévôts des marchands firent leur compliment au monarque absolu par la bouche d’un socialiste.

221. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de la Mennais (suite et fin.)  »

La Mennais se déclare contre ceux qu’il appelle « les jacobins ecclésiastiques », et par ce nom il désigne tous ceux qui participent plus ou moins au gallicanisme, et qui ne sont pas pour la doctrine absolue de l’infaillibilité. […] Elle était déjà en grande partie connue, et par moi-même ; lorsqu’en 1832, il n’y a pas moins de trente-six ans, j’écrivis pour la première fois un morceau développé sur M. de La Mennais, son frère l’abbé Jean voulut bien me faire remettre des notes pour me donner les moyens de n’être pas trop inexact, et il m’envoya précisément copie de cette lettre qui porte un cachet d’absolu libéralisme112. […] Sa misanthropie est absolue, ses jugements hors de mesure. […] Cet excellent père consent à être mon guide ; il me permet de ne le point quitter… » On ne peut se dissimuler, en lisant ces lettres de La Mennais, que son absolue déférence et sa tendresse pour l’homme à qui il s’est donné ne soient pour beaucoup dans sa volonté suprême : « (Londres, 12 septembre 1815)… Il m’est impossible de peindre sa tendresse et ses bontés pour moi.

222. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre II. Le théâtre du quinzième siècle (1450-1550) »

Entre la fin de la guerre de Cent Ans et le commencement des guerres de religion s’étend une période de paix intérieure, où, sous la domination protectrice d’une royauté qui se fait absolue, la bourgeoisie, moins opprimée, moins inquiète, plus riche, s’attache avec passion aux représentations dramatiques. […] Nulle époque ne met mieux en lumière l’absolue différence qui sépare le théâtre de la littérature. […] Croyant a l’absolue réalité des choses qu’ils montraient, ils ne se doutaient pas que souvent c’était les dégrader, les fausser, les vider de leur sens, que de les figurer uniquement comme des réalités : mais parfois, quand ils s’approchaient familièrement des objets de leur foi, avec un sens instinctif de la vie, ils ne rendaient pas sans bonheur le pathétique des situations ou le mouvement des passions que les livres sacrés indiquaient. […] Plus heureuse pourtant que la sottie, tuée par la royauté absolue et policière, que la moralité, absorbée ou étouffée par la tragédie, que les mystères, chassés au nom de la Réforme et au nom de la Renaissance, la farce, indestructible comme le peuple, a subsisté.

223. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — La solidarité des élites »

Ne sentez-vous pas que cet « absolu » aux pieds duquel vous vous agenouillez n’est que la finalité de l’énergie qui fait mouvoir votre bras et pousse le blé hors de terre ? […] Je ne le crois pas ; cela est d’ailleurs impossible, à moins d’un manque absolu de personnalité. […] J’emprunte à Camille Lemonnier quelques-unes des magnifiques paroles qu’il prononça lors de l’inauguration de l’Université Nouvelle ; je n’en connais pas de plus énergiques, de plus nouvelles, de plus généreuses : « … Partant de là, on peut prévoir ce que sera l’art de demain à travers la foi nouvelle qui, refermant le ciel sur un absolu décevant, le rouvre dans la conscience humaine. […] Nous sentons clairement, irrésistiblement, sans nulle hésitation, sans nulle obscurité, que le Dieu qui trônait dans l’azur céleste, monstrueuse image de l’absolue monarchie, s’est effacé comme un mauvais rêve, comme un hallucinant cauchemar, d’où les premiers rayons du jour viennent nous arracher.

224. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre premier. De l’amour de la gloire »

Par une sorte d’abstraction métaphysique, on dit souvent que la gloire vaut mieux que le bonheur ; mais cette assertion ne peut s’entendre que par les idées accessoires qu’on y attache ; on met alors en opposition les jouissances de la vie privée avec l’éclat d’une grande existence ; mais donner à quelque chose la préférence sur le bonheur, serait un contresens moral absolu. […] Toutes les passions, sans doute, ont des caractères communs, mais aucune ne laisse après elle autant de douleurs que les revers de la gloire ; il n’y a rien d’absolu pour l’homme dans la nature, il ne juge que parce qu’il compare ; la douleur physique même est soumise à cette loi : ce qu’il y a de plus violent dans le plaisir ou dans la douleur est donc causé par le contraste ; et quelle opposition plus terrible que la possession ou la perte de la gloire ! […] n’est plus un bonheur accordé à celui que la passion de la gloire a dominé longtemps ; ce n’est pas que son âme soit endurcie, mais elle est trop vaste pour être remplie par un seul objet ; d’ailleurs, les réflexions que l’on est conduit à faire sur les hommes en général, lorsqu’on entretient avec eux des rapports publics, rendent impossible la sorte d’illusion qu’il faut, pour voir un individu à une distance infinie de tous les autres : loin aussi que de grandes pertes attachent au genre de bien qu’il reste, elles affranchissent de tout à la fois ; on ne se supporte que dans une indépendance absolue, qui n’établit aucun point de comparaison entre le présent et le passé.

225. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « J.-J. Weiss  »

Et voilà pourquoi, de moment en moment, éclatent comme des pétards des affirmations soudaines, absolues, déconcertantes, jetées avec d’autant plus d’assurance qu’elles sont plus contestables, et jetées presque toujours au courant et au détour d’une phrase, comme si ces assertions aventureuses étaient vérités reconnues et indiscutables. […] Weiss fait une terrible consommation de superlatifs absolus. ) Puis voici un mystère : « Perrault en écrivant les Contes, fit du pur moderne… Oh ! […] Le Supplice d’une femme est « du trois-six d’éthique et d’émotion », et la Visite de noces est « de l’éthique absolue à cent degrés Gay-Lussac ».

226. (1874) Premiers lundis. Tome II « E. Lerminier. De l’influence de la philosophie du xviiie  siècle sur la législation et la sociabilité du xixe . »

Comme, après un certain laps de temps, la vérité minutieuse et toute réelle est introuvable, comme elle l’est même souvent déjà entre contemporains, il faut ou se condamner à un scepticisme absolu et fatal, ou se résigner à cette grande manière qui nous reproduit bien moins l’individu en lui-même que les idées auxquelles il a contribué, et qu’on personnifie sous son nom. […] D’après ce procédé trop absolu qu’il suit de sacrifier le moyen au grand, M. 

227. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Introduction » pp. 3-17

Mais vous avez tort de tirer de ce sentiment si juste des propositions universelles et des règles absolues sur le caractère nécessaire du génie comique, et sur l’essence éternelle de la comédie. […] Alexandre Vinet croit ressaisir dans les idées de la morale et même de la religion les principes absolu ?

228. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIV. Rapports de Jésus avec les païens et les samaritains. »

Si, dans d’autres cas, il semble défendre à ses disciples d’aller les prêcher, réservant son Évangile pour les Israélites purs 664, c’est là encore, sans doute, un précepte de circonstance, auquel les apôtres auront donné un sens trop absolu. […] Non-seulement sa religion, ce jour-là, fut la bonne religion de l’humanité, ce fut la religion absolue ; et si d’autres planètes ont des habitants doués de raison et de moralité, leur religion ne peut être différente de celle que Jésus a proclamée près du puits de Jacob.

229. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre V. Des trois ordres de causes qui peuvent agir sur un auteur » pp. 69-75

Il est permis de croire que l’exaltation religieuse de Pascal, son renoncement si brusque et si absolu à la vie du monde, voire même à la vie scientifique, furent dus en grande partie au mal obscur et grave qui l’atteignit à la fleur de l’âge et le coucha si jeune au tombeau. […] Nous nous demandons d’où est venu à l’auteur ce souci de l’étiquette, ce respect des distances sociales, cette proscription presque absolue du mot ou du détail familier.

230. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame Sand »

On avait cru jusqu’ici à quelque grande passion, dans l’éloquence de son égarement, dans l’espèce de beauté que l’amour, quand il est absolu, donne parfois à des sentiments coupables ; il ne fut rien de cela, ou du moins elle n’en dit pas un seul mot. […] Cette publication, après nous avoir découvert dans le grand Écrivain, comme ses amis l’appellent encore, le prosaïsme fondamental sous la poésie de la surface le sans esprit absolu, la nullité ou la médiocrité des aperçus, le commun insupportable de ces lettres qui tuent le poète plus ou moins artificiel qui est dans ses ouvrages, mais qui ne sort jamais ni du fond de l’âme ni du fond de la vie, cette publication met à bas, tout à coup et du même coup, le masque poétique et grandiose que Madame Sand s’était composé et sous lequel on la voyait, fantaisie errante et féconde, imagination désintéressée !

231. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « I. Saint Thomas d’Aquin »

Il y a mandé les doctrines les plus opposées, et en vertu de sa modération, vertu moderne, et de ce style modéré qui est le style de la maison dans laquelle il juge, il a tout arrangé à l’amiable entre la Scolastique et la Philosophie, entre les ténèbres du Moyen Âge et les lumières de cet Âge-ci, entre la foi et la raison… Les esprits absolus n’accepteront probablement pas les décisions onctueuses, gracieuses et officieuses de M. Jourdain, car les esprits absolus n’acceptent rien et veulent tout prendre, mais l’Académie les a acceptées.

232. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

Manifester dans ses limites l’idéal, l’absolu, l’infini en tant que beau, tel est le principe de l’art. […] L’imagination du poète suppose une forte intuition de l’absolu. […] Il n’y a pas plus de poésie absolue que de prose absolue. […] La prose n’existe à l’état absolu que dans les mathématiques. […] On l’a soutenu de nos jours et l’on a cherché les beaux temps de l’art dans les âges de simplicité et de crédulité absolues.

233. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Troisième série

Notez qu’en absolu il a parfaitement raison. […] Il est fait pour penser l’absolu. […] Il prend l’idéal pour l’absolu. […] La justice absolue c’est l’anarchie. […] C’est le hasard absolu, c’est l’anarchie.

234. (1895) La science et la religion. Réponse à quelques objections

D’une part, la toute-puissance dans l’opulence : une faction qui, maîtresse absolue de l’industrie et du commerce, détourne le cours des richesses et en fait affluer en elle toutes les sources… de l’autre, la faiblesse dans l’indigence : une multitude, l’âme ulcérée, toujours prête au désordre. […] Et aucun, surtout, en enseignant à ceux qui peinent l’inutilité de la violence ou de la révolte, et aux heureux du jour ce que leurs obligations envers leurs « frères » ont d’impérieux et d’absolu, ne l’a fait avec un plus vif sentiment de la fraternité humaine, de l’égalité chrétienne, et de la liberté apostolique. […] Mais Edmond Scherer, à mon avis, voyait plus loin et plus profondément, quand il écrivait, en 1884, dans un remarquable article sur la Crise actuelle de la morale : « Sachons voir les choses comme elles sont : la morale, la vraie, la bonne, l’ancienne, l’impérative, a besoin de l’absolu ; elle aspire à la transcendance ; elle ne trouve son point d’appui qu’en Dieu… La conscience est comme le cœur : il lui faut un au-delà. […] C’est ici la seule expression que je consente à modifier, comme étant trop absolue dans sa brièveté. […] L’absolue nécessité des lois de la nature n’est après tout qu’un postulat dont nous avons besoin pour asseoir le fondement de la science, et rien ne prouve que ce postulat soit autre chose que l’expression d’une loi toute relative de notre intelligence.

235. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rostand, Edmond (1868-1918) »

Je ne contristerai aucun poète contemporain en affirmant que nul ne réalise ce devoir avec son absolue maîtrise. […] Rostand nous avait révélé sa science parfaite du solécisme ; dans le fameux sonnet à Mme Sarah Bernhardt, qu’il détailla avec un art consommé de comédien, et qui fit le tour du monde, le sonnet de : Reine de l’attitude et princesse du geste, nous trouvions cet absolu barbarisme : En écoutant ta voix, nous devenons incestes.

236. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre X. L’antinomie juridique » pp. 209-222

Auguste Comte a bien exprimé l’antinomie entre ces deux façons d’entendre le droit quand il a prononcé sa fameuse condamnation du droit individuel : « L’idée du droit, dit-il, est fausse autant qu’immorale, parce qu’elle suppose l’individualité absolue. » Auguste Comte veut dire que l’idée du droit individuel est une idée antisociale parce qu’elle est un principe au nom duquel l’individu se tient en état de révolte virtuelle constante contre tout ordre social, en état de mécontentement virtuel à l’endroit de toute législation existante. — Et sans doute ces deux idées du droit : l’idée du droit social et celle du droit individuel ont des points de contact et réagissent l’une sur l’autre. […] Ici l’antinomie entre l’idée d’individualité et l’idée de loi n’apparaît plus comme absolue.

237. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIV. Vaublanc. Mémoires et Souvenirs » pp. 311-322

Mais il n’a ni la colère, ni les dépits, ni les ressentiments des esprits absolus trompés, ni aucune des passions plus ou moins impuissantes, mais aussi plus ou moins éloquentes, des hommes de parti, vaincus par la sottise humaine ou la force des événements. […] Il importe qu’on ne croie qu’à la dernière extrémité à la puissance irrésistible des Révolutions, et tout livre qui, même aux dépens de la vérité abstraite et absolue, retrempera à cet égard les courages, mérite d’être lu.

238. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Vte Maurice De Bonald »

— mais d’un royaliste absolu et incompatible, qui croit à une vérité et qui ne veut pas que jamais — et quelles que soient les circonstances — cette vérité puisse mettre sa main pure dans la main souillée de l’erreur ; ce livre taillé à pic contre la révolution, les révolutionnaires, absolus comme l’auteur du livre est royaliste, le retourneront comme un argument formidable contre cette royauté détestée par eux, et que des secondes vues, aussi incertaines en France qu’en Écosse, croient voir poindre, comme un fantôme qui revient, à travers l’effrayante et vivante réalité que l’on appelle la République.

239. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rency, Georges (1875-1951) »

La phrase est vibrante et il y a telles strophes qu’on peut, sans audace, estimer d’une absolue beauté.

240. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIVe entretien. Littérature, philosophie, et politique de la Chine » pp. 221-315

Les Indes et la Perse n’avaient d’autres théories de gouvernement que l’autorité absolues dans les rois, l’obéissance servile et consacrée dans les sujets, les privilèges de naissance et les hiérarchies infranchissables entre les castes. […] Vous vous répondrez : C’est celui qui, au lieu de porter des décrets brefs, absolus, non motivés et souvent inintelligibles pour les sujets obligés de les exécuter, raisonne, discute, motive longuement et éloquemment, dans des préambules admirables, chacun de ses décrets, en fait sentir le motif, la nécessité, la justice, l’urgence, en un mot les fait comprendre afin de les faire ratifier par la raison publique. […] Ses historiens racontent que ces trois années de deuil et de réclusion absolus dans sa maison furent pour lui un noviciat sévère et actif, pendant lequel, à l’exemple de tous les grands législateurs qui se retirent avant leur mission sur les hauts lieux ou dans le désert, il s’entretint avec ses pensées, et fit faire silence à ses sens et au monde. […] XXII Ce caractère distingue Confucius des sophistes grecs ; un autre caractère le distingue des autres législateurs de l’Inde, de l’Égypte, de la grande Grèce et des deux Asies, c’est qu’il ne fait point intervenir le ciel et les prodiges dans l’autorité qu’il affecte sur les hommes ; il n’étale point l’inspiration surnaturelle de Zoroastre, de Pythagore, du prophète arabe, pas même le génie conseiller et un peu frauduleux de Socrate ; il ne se substitue pas aux lois absolues de la nature, il ne se proclame ni divin, ni ange, ni demi dieu ; il ne sonde le passé que par l’étude, il ne lit dans l’avenir que par la logique qui enchaîne les effets aux causes ; il se confesse homme faible, ignorant, borné comme nous ; seulement, à l’aide de cette clarté purement intellectuelle et toute humaine qui vient pour la vérité de l’intelligence et pour la morale de la conscience, il recherche le vrai et conseille le bien. […] Nous allons voir comment Confucius et ses disciples tempèrent ce pouvoir qui serait ou deviendrait tyrannique s’il était absolu dans la pratique comme il l’est dans la théorie.

241. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre onzième »

Les apothéoses de la démagogie ne sont des fêtes que pour le pouvoir absolu, qui mesure d’avance ce qu’il trouvera de facilités dans ceux qu’elles réjouissent comme dans ceux qu’elles épouvantent. […] Car, je vous prie, contre le mal absolu qui travaille les sociétés, que peuvent ces petites vertus ? […] Et si vous ne parvenez à étouffer dans le cœur de l’homme le désir d’acquérir pour lui et les siens ; si vous ne lui liez les bras en présence des forces de la nature ; si vous ne pouvez empêcher que sa lutte avec elle, nécessaire sous peine de périr, ne suscite les arts et les sciences, et par eux la richesse ; comment, dans votre impuissance absolue d’anéantir la cause, supprimerez-vous ou modérerez-vous l’effet ? […] La cause réelle de l’esprit d’utopie n’est pas le désir naturel du mieux, tel que l’éprouvent de très honnêtes gens qui savent se faire estimer, et se rendre relativement heureux dans la société où ils vivent ; c’est en général une fureur de perfection absolue, où s’emportent les gens incapables du bien qui est à la portée de tous. […] Si ces pages servent à les y confirmer, je me consolerai d’en encourir quelque disgrâce auprès de ceux qui professent le droit absolu du talent, et qui mettent les auteurs au-dessus du genre humain.

242. (1890) L’avenir de la science « XV » pp. 296-320

Mais l’étude du système du monde et de la place que l’homme y occupe, sans renverser aucune de ces deux conceptions, défend de les prendre d’une manière trop absolue et trop exclusive. […] Par là ils se sont coupé la possibilité de la mythologie et de l’épopée divine : la variété d’intrigues ne pouvant avoir lieu sous un Dieu unique et souverain absolu. […] Les vieux cultes mythologiques, ne se donnant pas pour la forme absolue de religion, mais se posant comme formes locales, n’excluaient par les autres cultes. […] Ainsi d’une part : religions organisées, se posant comme révélées, absolues, exclusivement vraies, ayant un livre sacré. […] Que de fois, en réfléchissant sur la mythologie de l’Inde par exemple, j’ai été frappé de l’impossibilité absolue où nous sommes d’en comprendre l’âme et la vie !

243. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DIX ANS APRÈS EN LITTÉRATURE. » pp. 472-494

Qu’elle consente à se relâcher un peu de l’absolu de la forme et de la rigueur affirmative, à s’interdire envers les adversaires une chaleur de réfutation trop facile, et qui déplace toujours les questions ; qu’elle permette autour d’elle à bien des faits de détail de courir plus librement sous le contrôle naturel d’un empirisme éclairé, et elle aura permis qu’on s’appuie souvent avec avantage sur elle sans s’y ranger nécessairement ; elle aura fourni un contingent utile à une œuvre pratique d’intelligence et d’indépendance qu’elle est digne d’apprécier ; car chez elle aussi, si je ne me trompe, et derrière ces grands développements de croyances, la maturité personnelle et l’expérience secrète sont dès longtemps venues142. […] Parmi les écoles conservatrices et non pourtant ennemies du progrès, celle qui a le plus de confiance en elle-même143, et qui n’est pas encore guérie de croire à l’efficacité absolue de certaines formes et de certaines distinctions plus théoriques que vraies, a dû, ce me semble, se guérir au moins de tout dédain envers ceux qui n’ont à apporter au concours des choses publiques qu’un empirisme équitable, modéré, et qui a sa philosophie aussi dans l’histoire. […] Et certes, un sentiment moral et patriotique, ami des lettres, ami du pays qui a été si offensé dans cette chère portion de lui-même, est bien fait aussi pour devenir une inspiration à l’égal de quelque conviction plus jeune et plus absolue.

244. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Stéphane Mallarmé » pp. 146-168

* *   * Stéphane Mallarmé (c’est ainsi qu’il se plut longtemps à écrire son nom) était un petit homme, à la mise correcte et soignée, aux yeux fleuris de douceur, aux oreilles pointues de faune, d’une affabilité extrême et d’une absolue distinction. […] , La raison de cette impuissance réside en ceci que Mallarmé se déclarait « incompétent en autre chose que l’absolu » ; or on ne réalise pas l’absolu.

245. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Alfred de Vigny »

Ces trois romans ne sont rien moins que la mort de Gilbert, la mort de Chatterton et la mort d’André Chénier, répondant toutes les trois à la pensée du romancier, qui est l’hostilité éternelle de tout gouvernement contre les poètes, et représentant vis-à-vis de ces morts illustres, dont ils furent les bourreaux, l’action des trois formes de gouvernements qui dominent le monde et l’enserrent : le Gouvernement Absolu, le Gouvernement Représentatif, et le Gouvernement Républicain. […] Vigny, poète toujours et cachant les injustices de sa poésie sous les formes les mieux fourbies du raisonnement, va jusqu’à dire, dans le délire partagé de Rousseau : « L’individu n’a presque jamais tort, l’ordre social toujours », et cela étonne d’un homme de ce temps et d’autant de soleil dans la pensée ; car, s’il était nécessaire de dresser des maximes absolues dans la grande casuistique de l’Histoire, ce serait le contraire, à coup sûr, de l’axiome de Vigny qu’il faudrait prendre pour la vérité ! […] L’esprit d’Alfred de Vigny, s’il n’est pas la négation de Dieu, est la négation absolue du Christianisme ; mais son âme, ce quelque chose en nous qui précède la réflexion et qui la défie, en protestant souvent contre elle, son âme est chrétienne de tendresse, de pitié, d’aspiration infinie.

246. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Un symbole »

Le vœu subit entre les mains de l’archevêque Guibert une modification dans son principe même : de conditionnel il devint absolu, c’est-à-dire qu’il gardait toujours son caractère d’absolue remise en Dieu de tous les espoirs chrétiens, mais il perdait en même temps cette apparence de marchandage qu’il contenait au début.‌ […] Il y eut peu d’orateurs pour défendre la cause, en ce jour chancelante, de la libre pensée, de la dignité humaine, avant tout, de l’indépendance absolue de l’État vis-à-vis de l’Église.

247. (1896) Psychologie de l’attention (3e éd.)

Cette règle est absolue, sans exception. […] Dès qu’une immobilité absolue élimine l’un des deux éléments (la motilité), la fonction de l’autre est bientôt mise à néant. […] Nous en avons dit assez pour justifier cette formule absolue : Point de mouvements, point de perception. […] Le monoïdéisme absolu, s’il y en a, se rencontre tout au plus dans les formes les plus hautes de l’extase, comme nous le dirons plus loin. […] Seuls les grands mystiques, d’un élan plus vigoureux, sont arrivés au monoïdéisme absolu.

248. (1868) Curiosités esthétiques « II. Salon de 1846 » pp. 77-198

Le ton chaud et le ton froid, dans l’opposition desquels consiste toute la théorie, ne peuvent se définir d’une manière absolue : ils n’existent que relativement. […] Mais comme il n’y a pas de circonférence parfaite, l’idéal absolu est une bêtise. […] Ils commencent par délimiter les formes d’une manière cruelle et absolue, et veulent ensuite remplir ces espaces. […] La beauté absolue et éternelle n’existe pas, ou plutôt elle n’est qu’une abstraction écrémée à la surface générale des beautés diverses. […] Rien d’absolu : — ainsi, l’idéal du compas est la pire des sottises ; — ni de complet : — ainsi il faut tout compléter, et retrouver chaque idéal.

249. (1900) La culture des idées

La conscience est sans doute, si on prend le mot dans son sens précis et absolu, l’apanage du petit nombre. […] Mais ceci est moins absolu. […] Il y a peu d’absolu dans les sociétés humaines ; presque tout s’y peut modifier, hormis précisément les relations des sexes. […] L’Intelligence absolue pense dans la solitude absolue de l’Infini, et sa pensée œuvre la tapisserie que nous sommes — à l’envers — : hommes, bêtes, plantes, pierres. […] Cette nécessité n’est pas absolue.

250. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préface de « L’Homme qui rit » (1869) »

Le patriciat anglais, c’est le patriciat, dans le sens absolu du mot.

251. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre II. Le public en France. »

Celui-ci est absolu, il est centralisé, il procède par faveurs, il est arriéré, il commet des fautes, il a des revers : que de causes de mécontentement en peu de mots ! […] Vivons-nous sous la loi d’un maître absolu, ou sommes-nous régis par un pouvoir limité et contrôlé ?  […] En 1771, dit le moqueur Besenval après l’exil du Parlement, « les assemblées de société ou de plaisir étaient devenues de petits États Généraux, où les femmes, transformées en législateurs, établissaient des prémisses et débitaient avec assurance des maximes de droit public. » La comtesse d’Egmont, correspondante du roi de Suède, lui envoie un mémoire sur les lois fondamentales de la France, en faveur du Parlement, dernier défenseur des libertés nationales, contre les attentats du chancelier Maupeou. « M. le chancelier, dit-elle529, a, depuis six mois, fait apprendre l’histoire de France à des gens qui seraient morts sans l’avoir sue. » — « Je n’en doute pas, sire, ajoute-t-elle ; vous n’abuserez pas de ce pouvoir qu’un peuple enivré vous a confié sans limites… Puisse votre règne devenir l’époque du rétablissement du gouvernement libre et indépendant, mais n’être jamais la source d’une autorité absolue. » Nombre d’autres femmes du premier rang, Mmes de la Marck, de Boufflers, de Brienne, de Mesmes, de Luxembourg, de Croy, pensent et écrivent de même […] « Le pouvoir absolu, dit l’une d’elles, est une maladie mortelle qui, en corrompant insensiblement les qualités morales, finit par détruire les États… Les actions des souverains sont soumises à la censure de leurs propres sujets comme à celle de l’univers… La France est détruite, si l’administration présente subsiste530. » — Lorsque, sous Louis XVI, une nouvelle administration avance et retire des velléités de réformes, leur critique demeure aussi ferme. « Enfance, faiblesse, inconséquence continuelle « écrit une autre531, nous changeons sans cesse et pour être plus mal que nous n’étions d’abord. […] La noblesse de Mantes et Meulan affirme que « les principes de la politique sont aussi absolus que ceux de la morale, puisque les uns et les autres ont pour base commune la raison ».

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