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37. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Ferdinand Fabre »

… et le flagellent, comme une toupie qu’elles brûlent, sous les lanières de feu de cette question qui renferme un doute. […] Grand dommage, pour la beauté d’une œuvre, qu’un homme d’invention ait peur du surnaturel et n’y touche que comme à du feu quand on a peur de se brûler !!! […] C’est l’Archange de feu blanc qui tient à la main le glaive de feu rouge que tenait l’autre Archange à la porte du Paradis, quand Dieu en chassa Adam et Ève.

38. (1923) Paul Valéry

Beaucoup d’éventails indépendants vivaient sur le monde sombre et clair, écumant jusqu’aux feux du haut. […] Bizarres feux croisés dont le bouquet dur cingle L’oreille abandonnée aux mots nus des flots doux. […] Hâte-toi de choisir un jour digne d’éclore, Parmi tant d’autres feux tes immortels trésors ! […] Le feu de la passion ne ressemble pas à un feu, il est du feu, il figure dans le langage humain l’équivalent du mot chaleur appliqué aux animaux, et il faut le prendre dans un sens presque physiologique. Brûlé de plus de feux que je n’en allumai est ridicule parce qu’il s’agit, dans le second terme, de feux non intérieurs, mais extérieurs, et très éloignés dans l’espace et dans le temps.

39. (1856) Cours familier de littérature. II « Xe entretien » pp. 217-327

Je me tus cependant, parce que je n’aime pas les grands débats dans les petites chambres et les harangues au coin du feu. […] il ne nous dit que des demi-mots, mais il les disait dans une langue de feu. […] J’étais fier d’entendre dans la confidence du coin du feu cette âme qui venait de remplir la tribune et l’Europe entière de sa voix. […] Il brûlait parce qu’il était brûlé ; son feu était sans mélange d’éléments humains. […] C’était un de ces hommes du coin du feu, un génie familier, un confident de toutes les âmes, dont la perte ne paraît pas faire un si grand vide que les grandes renommées.

40. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 2, du génie qui fait les peintres et les poëtes » pp. 14-24

D’un autre côté, si ce feu qui provient d’un sang chaud et rempli d’esprits manque en un cerveau bien disposé, ses productions seront régulieres, mais elles seront froides. Si le feu poëtique l’anime quelquefois, il s’éteint bien-tôt, et il ne jette que des lueurs. […] Le génie est ce feu qui éleve les peintres au-dessus d’eux-mêmes, qui leur fait mettre de l’ame dans leurs figures, et du mouvement dans leurs compositions.

41. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Auguste Barbier »

Il y avait bien eu Rouget de Lisle et La Marseillaise, ce canon de quatorze armées, mais La Marseillaise n’avait été que la voix de fer et de feu du patriotisme retentissant dans des vers mal faits, dont la musique était la seule poésie. […] Nous avons la pluie de cendres, sans les feux… De gaieté de cœur, le poète s’est rapetissé lui-même en se repliant en arrière. […] Mais, ô Lycas, heureux celui qui de jeunesse A placé dignement les feux de sa tendresse, Et trouvé par le monde un cœur égal au sien Pour avec lui former un éternel lien ! Et dans une autre pièce : Heureux les tendres cœurs dont aucun mur fâcheux N’arrête les soupirs et n’entrave les feux !

42. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLe entretien. L’homme de lettres »

L’idée lui vint de mettre le feu au pied de ce palmiste. […] Paul résolut d’allumer du feu à la manière des noirs. […] Le feu lui servit encore à dépouiller le chou de l’enveloppe de ses longues feuilles ligneuses et piquantes. […] C’était sur le bord d’une source, auprès d’un palmiste abattu, et près d’un feu qui fumait encore ; enfin, il m’a conduit ici. […] Il plaça les soldats sur le rivage, et leur ordonna de faire feu de leurs armes tous à la fois.

43. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Discours préliminaire, au lecteur citoyen. » pp. 55-106

imp. attribué à feu M. de Mirabeau. […] On avoit dit auparavant que j’avois eu pour Coopérateurs feu M. Fréron, feu M. de la Beaumelle, ainsi que MM. […] Les ennemis de feu M. […] imp. attribué à feu M. de Mirabeau.

44. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — M. de Sénancour, en 1832 »

Il voit, par les progrès de l’industrie et l’usage immodéré du feu, le globe lui-même altéré dans son essence chimique et se hâtant vers une morte stérilité. […] L’amour est ce feu paisible et fécond, cette chaleur des cieux qui anime et renouvelle, qui fait naître et fleurir, qui donne les couleurs, la grâce, l’espérance et la vie… Lorsqu’une agitation nouvelle étend les rapports de l’homme qui essaye la vie, il se livre avidement, il demande à toute la nature, il s’abandonne, il s’exalte lui-même, il place son existence dans l’amour, et dans tout il ne voit que l’amour seul. […] C’est pour l’amour que la lumière du matin vient éveiller les êtres et colorer les cieux ; pour lui les feux de midi font fermenter la terre humide sous la mousse des forêts ; c’est à lui que le soir destine l’aimable mélancolie de ses lueurs mystérieuses. […] L’activité d’une passion profonde est pour lui l’ardeur du bien, le feu du génie : il trouve dans l’amour l’énergie voluptueuse, la mâle jouissance du cœur juste, sensible et grand ; il atteint le bonheur, et sait s’en nourrir… Je ne condamnerai point celui qui n’a pas aimé, mais celui qui ne peut pas aimer. […] Tout sentiment généreux vous était naturel ; tout le feu des passions était dans votre mâle intelligence ; l’amour lui était nécessaire, il devait l’alimenter ; il eût achevé de la former pour de grandes choses ; mais rien ne vous a été donné, et le silence de l’amour a commencé le néant où s’éteint votre vie. » Le génie du paysage se révèle à chaque pas dans les récits d’Oberman.

45. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Vie militaire du général comte Friant, par le comte Friant, son fils » pp. 56-68

À la bataille de Sediman, où Mourad Bey à la tête de ses mameluks se brisait contre les carrés français, mais où un feu de quatre pièces tiré des hauteurs emportait bien des hommes, qui une fois tombés et laissés sur le champ de bataille étaient massacrés, le général Desaix, affligé de voir ces braves périr d’une mort horrible, eut un moment l’idée de rejoindre les barques pour les y déposer ; il demanda l’avis de Friant qui lui répondit aussitôt, en lui montrant les retranchements ennemis : « Général, c’est là-haut qu’il faut aller ; la victoire ou la mort nous y attend, nous ne devons pas différer d’un moment l’attaque. » — « C’est aussi mon sentiment, répliqua le général Desaix, mais je ne puis m’empêcher d’être ému en voyant ces braves gens périr de la sorte. » — « Si je suis blessé, repartit le général Friant, qu’on me laisse sur le champ de bataille !  […] Friant était d’une activité et d’une diligence infatigable ; les gens du pays l’appelaient le sultan de feu. […] » disait-il à la journée d’Austerlitz, en menant au feu le 15e léger dont les deux tiers étaient détachés ailleurs et qui était réduit à 500 hommes, et le petit 15e se piquant d’honneur fit des prodiges. — Maintenir en belle humeur une troupe de braves au moment où on les force de rester en ligne immobiles sous les boulets, leur rendre de cet entrain qu’on perd aisément à demeurer au feu l’arme au bras, n’est point un talent à mépriser.

46. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre VIII. Des romans. » pp. 244-264

L’auteur a beaucoup de feu & d’esprit ; il connoît le cœur humain ; il sçait développer habilement un caractère. […] Ce roman épistolaire est plein d’esprit, de feu, d’éloquence, d’ame, de sentiment & de raison, si l’on ne considére que le style. […] Les Romans de celle-ci sont recommandables par la légéreté, le feu, le style de sentiment, & par l’invention qui est le premier mérite. […] Les Contes de feu Guillaume Vadé vinrent à la suite de ceux de M.

47. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXXI. Sainte Térèse »

Elle en avait senti le fil de feu s’abattre sur elle et sur son frère, à la lecture de la Vie des Saints. […] Dans ses ardeurs vers Dieu, le feu qui la consume, ce feu mystique, est blanc comme la neige à force d’être concentré, et voilà pourquoi les âmes accoutumées à la grossièreté de la terre et à l’expression violente et morbide de ses passions peuvent trouver sans couleur et sans fulgurance cette flamme divinisée en Dieu et qui a perdu l’écarlate de la flamme humaine ! […] La Sainte Térèse des Fondations a été dévorée par le feu de l’autre Térèse, aux yeux éblouis de ces pauvres hommes qui répugnent toujours à accepter, dans un seul être, deux grandeurs.

48. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Agrippa d’Aubigné »

Les paperasses poétiques du vieux reître, qu’il emportait, comme Camoëns son poème, non à la nage, dans les mers furieuses, mais à travers le feu des guerres et des partis, s’étaient finalement englouties dans la terre la plus prosaïque qui ait jamais existé, à Genève, dans le cabinet de la famille qui a donné le jour à Tronchin. […] Mais y en a-t-il assez pour être plus que des zig-zags de feu qui passent, et pour former l’étoffe de ce tonnerre, qui est le génie, et qui, de sa puissance continue, emplit tout le cintre du ciel ? […] Mais on sait moins qu’à huit ans, prisonnier avec les compagnons de son père, il ne pleura pas pour sa prison mais pour la petite épée qu’on lui ôta, et que, menacé du bûcher, le stoïque bambin répondit que « l’horreur de la messe lui ôtait l’horreur du feu ». […] Que di-je, je ne pouvoy’ mieux Pour monstrer ensemble à tes yeux, Mon feu, ta beauté merveilleuse.

49. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Arthur de Gravillon »

pour l’avoir éprouvé, mais je ne hais pas une bonne et franche morsure), Frédéric Morin, a parlé de lui, une seule fois je crois, et sans morsure, et certainement il l’avait lu et il en a parlé parce qu’il l’avait lu ; mais si l’auteur obscur de J’aime les Morts, de l’Histoire du feu par une bûche, et des Dévotes 37, n’avait pas été lyonnais et petit-fils de Camille Jordan (une réputation établie), Morin, qui est un lyonnais, un lettré, et, si je ne me trompe, un philosophe, l’aurait-il seulement lu ? […] je ne mets pas au niveau du J’aime les Morts l’Histoire du feu. […] Mais là même, dans ce livre où le feu est regardé sous tous les aspects, comme l’auteur de J’aime les Morts avait déjà regardé la tombe, il y a des passages — et ils sont nombreux — d’une poésie d’images teintées de tous les reflets de l’élément dont il fait l’histoire, et, de plus, comme dans J’aime les Morts, il y a cette autre poésie de la langue, aussi certaine en prose, quoique différente, que la poésie de l’idée et des vers. […] Les Dévotes ; J’aime tes morts ; Histoire du feu, écrite par une bûche (Pays, 10 mai 1862).

50. (1761) Salon de 1761 « Peinture — Pastorales et paysages de Boucher. » pp. 120-121

quel sujet a jamais rassemblé dans un même endroit, en pleine campagne, sous les arches d’un pont, loin de toute habitation, des femmes, des hommes, des enfants, des bœufs, des vaches, des moutons, des chiens, des bottes de paille, de l’eau, du feu, une lanterne, des réchauds, des cruches, des chaudrons ? […] et cet homme qui porte [du] feu qu’il va renverser sur sa tête, est-ce son époux ?

51. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — I. » pp. 91-108

Quelques-uns de ceux-là et d’autres encore ressemblent à des feux d’artifice trop longs et avec des lacunes d’obscurité. Dans les Pensées de M. de Meilhan, il y a des traits de feu qui éclairent toujours, et des fusées qui vont plus haut qu’elles ne font de bruit ; le tout est toujours terminé par une belle décoration. […] M. de Meilhan était de ceux qui ne craignaient pas le grand jour ; à la mort de Louis XV, il semble s’être dit : « Mon père était le premier médecin du feu roi, je serai le premier médecin de la France. » Il avait des appuis en cour, et, sous le ministère de la Guerre de M. de Saint-Germain, il fut appelé à une place de création extraordinaire, celle d’intendant général de la guerre et des armées du roi. […] Sénac de Meilhan, fils d’un premier médecin du feu roi, maître des requêtes et intendant du Hainaut, fort jeune encore (il n’était pas si jeune, ayant bien près de quarante ans à cette date de 1776), mais ayant du talent et de l’esprit, et qui lui avait été indiqué par ses faiseurs et conseils secrets, qui étaient en grande liaison avec lui. […] La tête est fort belle, la physionomie vive, animée, parlante, la figure assez longue ; on n’y prend nullement l’idée que donnerait de M. de Meilhan le duc de Lévis, lorsqu’il a dit : « Sa figure, quoique expressive, était désagréable ; il était même complètement laid, ce qui ne l’empêchait pas d’ambitionner la réputation d’homme à bonnes fortunes. » Cette idée de laideur ne vient pas à la vue de ce portrait ; mais on y reconnaît avant tout ce bel œil perçant, plein de feu, ces « yeux d’aigle pénétrants » dont le prince de Ligne était si frappé.

52. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — I. » pp. 343-360

Non, mes astres sont deux beaux yeux     Qu’anime un feu sincère, etc. […] Je n’ai jamais lu Le Feu central de M. de Mairan, et, depuis qu’on ne croit plus au Tartare et au Phlégéton, il me semblait que le feu central n’avait pas grand crédit. Bailly entrait dans la plaisanterie et répondait avec bonne grâce : Permettez-moi de vous observer que le Tartare n’a rien de commun avec le feu central. […] Le vertueux Mairan, qui a aperçu le feu central, était né pour les champs Élysées, où sa philosophie douce eût amusé les ombres du récit de ses hypothèses ingénieuses.

53. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. (Suite.) » pp. 52-72

La joue en feu, les yeux irrités, la voix rauque, il se promenait d’un pas rapide à travers le camp ; ou bien, assis sur le rivage, il frottait avec du sable sa grande épée. […] Il trouve Salammbô endormie dans une espèce de hamac ; il s’approche, elle s’éveille à la clarté trop vive d’une gaze qui prend feu et s’éteint au même instant ; elle croit d’abord à quelque apparition céleste : ce voile si rêvé, si désiré d’elle, Mâtho, comme s’il avait deviné sa pensée, le lui apporte, le lui montre dans sa splendeur ; il est tout près de l’en envelopper. […] Il songeait à la senteur des pâturages par les matins d’automne, à des flocons de neige, aux beuglements des aurochs perdus dans le brouillard, et, fermant ses paupières, il croyait apercevoir les feux des longues cabanes, couvertes de paille, trembler sur les marais, au fond des bois. » C’est la contrepartie et comme la revanche de ce beau passage des Martyrs ou l’on voit le Grec Eudore, dans le camp romain, à la lisière de la Gaule et de la Germanie, regretter les paysages éclatants de la Grèce et s’ennuyer sous « ce ciel sans lumière, qui semble vous écraser sous sa voûte abaissée. […] Spendius, peu brave de sa personne, se rattrape par les stratagèmes ; il a fait des siennes en cette dernière circonstance, et moyennant un troupeau de porcs enduits de bitume et auxquels il a mis le feu, il a effrayé et culbuté les éléphants du vainqueur. […] pas plus étrange pourtant que le stratagème de Samson qui lie trois cents renards par la queue après avoir attaché à chaque queue un flambeau, et qui met le feu à tout cela pour brûler les Philistins.

54. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Greuze  » pp. 157-158

Son portrait peint par lui-même a du feu, de l’action, de la vie ; mais il me plaît moins que celui de son beau-père. […] J’aurais vu les ravages du feu ; des murs renversés ; des poutres à demi consumées ; et une foule d’autres objets touchants et pittoresques.

55. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXIV. »

Sous le feu de la forge, sous la rayonnante ciselure, que d’émotion encore dans l’âme du poëte, quel charme nouveau dans sa peinture de l’enfance, dans sa plainte d’être dérangé, dans sa joie d’être inspiré par les jeux et les bruits de ses petits enfants ! […] Le sillon de feu partait de la France, réveillait jusqu’à l’Espagne, enflammait la Grèce et brillait sur les deux Amériques. […] Aux premières cortès de Cadix, en 1809, parmi les incohérences d’une constitution délibérée entre l’admiration aveugle de 1789 et les feux des batteries françaises, il se dit des choses admirables de sagesse comme de grandeur, il s’éleva des caractères dignes des jours les plus glorieux, luttant contre l’anarchie du même cœur dont l’Espagne résistait à l’occupation étrangère. […] Un souffle de feu, sous le nom de liberté, parcourait ces vastes régions livrées à tous les hasards (te la théorie, de l’ambition et de la guerre civile. […] Devant l’Etna et ses jets de feu nocturnes enflammant au loin la mer de Sicile, Pindare ne songe pas à lui-même ; il ne mêle pas les mécomptes de l’orgueil poétique à ces terreurs de la nature.

56. (1874) Premiers lundis. Tome I « Victor Hugo : Odes et ballades — I »

A chaque page une haine violente contre la Révolution, une adoration exaltée des souvenirs monarchiques, une conviction délirante, plus avide encore de la palme de martyr que du laurier de poète, et, pour peindre ces sentiments de feu, un style de feu, étincelant d’images, bondissant d’harmonie ; du mauvais goût, à force de grandiose et de rudesse, mais jamais par mesquinerie ni calcul. […] Souvent, des vents jaloux jouet involontaire, L’aiglon suspend son vol à peine déployé ; Souvent d’un trait de feu, cherchant en vain la terre, L’éclair remonte au ciel, sans avoir foudroyé.

57. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre III »

 » — Dans toute la première moitié du dix-huitième siècle, je ne vois dans le Tiers-état que ce seul foyer d’opposition, le Parlement et, autour de lui, pour attiser le feu, le vieil esprit gallican ou janséniste. « La bonne ville de Paris, écrit Barbier en 1733, est janséniste de la tête aux pieds », non seulement les magistrats, les avocats, les professeurs, toute l’élite de la bourgeoisie, « mais encore tout le gros de Paris, hommes, femmes, petits enfants, qui tiennent pour cette doctrine, sans savoir la matière, sans rien entendre aux distinctions et interprétations, par haine contre Rome et les jésuites. […] — Incessamment rallumée, la querelle du Parlement et de la Cour sera l’une des flammèches qui provoqueront la grande explosion finale, et les brandons jansénistes qui couvent sous la cendre trouveront leur emploi en 1791 lorsqu’on attaquera l’édifice ecclésiastique  Mais, dans cet antique foyer, il ne peut y avoir que des cendres chaudes, des tisons enfouis, parfois des pétillements et des feux de paille ; par lui-même et à lui seul, il n’est point incendiaire. […] Ainsi descend et se propage la philosophie du dix-huitième siècle. — Au premier étage de la maison, dans les beaux appartements dorés, les idées n’ont été que des illuminations de soirée, des pétards de salon, des feux de Bengale amusants ; on a joué avec elles, on les a lancées en riant par les fenêtres  Recueillies à l’entresol et au rez-de-chaussée, portées dans les boutiques, dans les magasins et dans les cabinets d’affaires, elles y ont trouvé des matériaux combustibles, des tas de bois accumulés depuis longtemps, et voici que de grands feux s’allument. Il semble même qu’il y ait un commencement d’incendie ; car les cheminées ronflent rudement, et une clarté rouge jaillit à travers les vitres. — « Non, disent les gens d’en haut, ils n’auraient garde de mettre le feu à la maison, ils y habitent comme nous. Ce sont là des feux de paille, tout au plus des feux de cheminée : mais, avec un seau d’eau froide, on les éteint ; et d’ailleurs ces petits accidents nettoient les cheminées, font tomber la vieille suie. » Prenez garde : dans les caves de la maison, sous les vastes et profondes voûtes qui la portent, il y a un magasin de poudre.

58. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (1re partie). Littérature scientifique » pp. 221-288

Guillaume était fait pour les éprouver ; son âme pleine de combustible était prête à l’incendie ; la première étincelle devait y allumer le feu des passions, et ces passions devaient y laisser la cendre féconde d’une précoce sagesse. […] Là ils virent des feux qui glissaient çà et là, à des distances incertaines, dans la direction du rivage noyé dans le lointain ; c’étaient apparemment des pêcheurs qui, se préparant à leurs travaux, parcouraient le rivage, et cela conduisit Humboldt à se rappeler la légende des feux mobiles qui apparurent aux anciens Espagnols et aux compagnons de Christophe Colomb sur l’île de Guanahani, dans cette nuit remarquable qui précéda la découverte de l’Amérique. Mais cette fois encore ces feux mobiles furent un présage pour Humboldt, ce Colomb scientifique des temps modernes. […] Est-ce la puissance du feu ou celle de l’eau qui a fait élever les montagnes, qui a nivelé les plaines, qui a limité la mer et ses rivages ? […] « Humboldt ne s’est pas créé de famille propre ; il a voué toute son affection aux fils et aux filles de son frère et à la mémoire de feu les parents de ceux-ci.

59. (1898) XIII Idylles diaboliques pp. 1-243

Les flots se teignent de feu, de pourpre et d’argent. […] Qu’est-ce que ces feux ? […] Un feu follet danse à la pointe. […] Il les embrasse et les amène auprès du feu. […] Protée, Jacques et Tranquille restent devant le feu.

60. (1858) Cours familier de littérature. V « Préambule de l’année 1858. À mes lecteurs » pp. 5-29

Est-ce que, sous le feu même de l’événement du 24 février, à côté du chef du sacerdoce de Paris, Mgr Affre, de vaillante mémoire, nous n’avons pas rouvert les églises sous l’égide des citoyens armés, et mis le Dieu et l’autel libres hors la loi des révolutions et des sacrilèges ? […] C’était une goutte de parfum que nous voulions jeter sur sa route ; cette goutte d’huile a servi à attiser encore le feu des rancunes. […] Je crois te voir encore, À l’heure où sur Paris montait la rouge aurore, Quand ma lampe jetait sa dernière lueur, Et qu’un bain de ma veille étanchait la sueur ; Tu t’asseyais tranquille au bord de ma baignoire, Le front pâle et pourtant illuminé d’histoire ; Tu me parlais de Rome un Tacite à la main, Des victoires d’hier, des dangers de demain, Des citoyens tremblants, de l’aube prête à naître, Des excès, des dégoûts et de la soif d’un maître, Du défilé terrible à passer sans clarté, Pont sur le feu qui mène au ciel de Liberté ! […] Il n’est plus de Fulvie et plus de Cicéron ; Notre Fulvie, à nous, c’est quelque amer Fréron Dont la haine terrestre au feu du ciel s’allume Et qui nous percera la langue avec sa plume !

61. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Sainte Térèse » pp. 53-71

Elle en avait senti le fil de feu s’abattre sur elle et sur son frère, à la lecture de la Vie des Saints. […] Dans ses ardeurs vers Dieu, le feu qui la consume, ce feu mystique, est blanc comme la neige, à force d’être concentré, et voilà pourquoi les âmes accoutumées à la grossièreté de la terre et à l’expression violente et morbide de ses passions peuvent trouver sans couleur et sans fulgurance cette flamme divinisée en Dieu, et qui a perdu l’écarlate de la flamme humaine ! […] La sainte Térèse des Fondations a été dévorée par le feu de l’autre Térèse, aux yeux éblouis de ces pauvres hommes qui répugnent toujours à accepter, dans un seul être, deux grandeurs.

62. (1856) Cours familier de littérature. II « XIe entretien. Job lu dans le désert » pp. 329-408

Les larmes sont pardonnables deux ou trois fois dans la vie, le reste du temps elles efféminent ; il faut les respecter quand elles coulent, car elles ont été données à l’homme par la nature comme elle a donné la rosée aux nuits des climats trop chauds pour amollir la dureté d’un ciel de feu. […] Il a promis à l’homme hébété de chiffres que l’association transformerait jusqu’à sa nature physique et jusqu’aux éléments immuables de la création : la terre, l’océan, l’air, l’eau, le feu, les planètes mêmes, ces écrins éclatants de Dieu. […] Non ; le tonnerre et toi, quand ton simoun y vole, Vous avez seuls le droit d’y prendre la parole, Et le lion, peut-être, aux narines de feu, Et Job, lion humain, quand il rugit à Dieu ! […] ou dans quelque autre feu « De ces foyers du ciel, dont le grand doigt de Dieu « Pourrait seul mesurer le diamètre immense ? […] «     La Perse rougissant de cet ignoble jeu « Avec plus de respect m’incarna dans le feu ; « Pontife du soleil, le pieux Zoroastre « Pour me faire éclater me revêtit d’un astre.

63. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — II » pp. 71-89

Ce simple fait prouve combien est dénuée de fondement cette opinion si répandue, que la chevalerie de cette époque dédaignait les armes à feu ; et c’est avec peine que nous avons vu, dans le cours d’histoire militaire de M. Rocquancourt, quelques phrases de Montluc citées comme preuve de son aversion pour les armes à feu, tandis qu’au contraire, aucun capitaine avant lui ne s’en était aussi bien servi, et que, à en juger par ses propres paroles, il faisait grand cas de l’arquebuserie12. […] Il parle de la mort du frère de M. de Strozzi, le prieur de Capoue, tué en Toscane, dans une reconnaissance, de la main d’un paysan qui lui tira une arquebusade de derrière un buisson : « Voyez quel malheur qu’un grand capitaine meure de la main d’un vilain avec son bâton à feu ! » Parlant des piques, hallebardes, épées à deux mains, toutes armes blanches, par opposition aux arquebuses, il lui échappe de dire en un endroit : « Ce sont les plus furieuses armes ; car s’amuser à ces escopeteries, c’est temps perdu : il faut se joindre ; ce que le soldat ne veut faire lorsqu’il y a des armes à feu, car il veut toujours porter de loin. » — À y bien regarder, on trouverait seulement qu’en se servant de toutes deux, il tenait plus grand compte (ce qui est tout simple) de l’artillerie que de l’arquebuserie. — C’est le cas de rappeler ce mot, qui nous a été transmis par Plutarque, du roi de Sparte Archidame : la première fois qu’il vit un de ces énormes traits à lancer de loin par des balistes et des catapultes, qu’on avait nouvellement apportés de Sicile et qui étaient déjà l’arquebuserie ou l’artillerie des anciens, il s’écria : « Par Hercule ! […] » Non ; la vertu, la vraie valeur consiste à être toujours en rapport avec le danger : elle change de forme, non de nature ; on est calme et immobile sous le feu, soit qu’on l’emploie et qu’on le dirige soi-même avec art, soit qu’on l’essuie sans le pouvoir éviter ; de même qu’on était ardent, l’épée ou la pique au poing.

64. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Mathurin Regnier et André Chénier »

Ce qu’il admire le plus au ciel, c’est tout ce qu’une physique savante lui en a dévoilé ; ce sont les mondes roulant dans les fleuves d’éther, les astres et leurs poids, leurs formes, leurs distances : Je voyage avec eux dans leurs cercles immenses ; Comme eux, astre, soudain je m’entoure de feux. […] Mais, après tout, le ciel est toujours le ciel, et rien n’en peut abaisser la hauteur. » Ajoutez, pour être juste, que le ciel qu’on voit du milieu du paysage d’André Chénier, ou qui s’y réfléchit, est un ciel pur, serein, étoilé, mais physique, et que la terre aperçue par le poète sacré, de dessus son char de feu, toute confuse qu’elle paraît, est déjà une terre plus que terrestre pour ainsi dire, harmonieuse, ondoyante, baignée de vapeurs, et idéalisée par la distance. […] Ses aveux là-dessus ne laissent rien à désirer : Or moy qui suis tout flame et de nuict et de jour, Qui n’haleine que feu, ne respire qu’amour, Je me laisse emporter à mes flames communes, Et cours souz divers vents de diverses fortunes. […] Regnier pense que le même feu qui anime le grand poëte échauffe aussi l’ardeur amoureuse, et il ne serait nullement fâché que, chez lui, la poésie laissât tout à l’amour. […] Si c’était en hiver du moins, en décembre, au coin du feu, que ce maudit génie vînt le lutiner !

65. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVe entretien. Ossian fils de Fingal »

Chaque héros est une colonne de ténèbres, et son épée est dans sa main un rayon de feu. […] Loclin fut consumé du feu de ta colère dans cet âge où ta beauté le disputait à celle de nos jeunes filles. […] Calmar les attend de pied ferme, le feu du courage s’allume dans son âme irritée, mais le visage du guerrier pâlit. […] La rage allume son noir visage, et ses yeux roulent étincelants des feux de la valeur. […] Ryno s’avance comme une colonne de feu.

66. (1865) Du sentiment de l’admiration

Vous avez écouté froidement, froidement expliqué ces pages vivantes où court la chaleur d’un invisible feu, et vous croyez en avoir fait votre conquête et la possession de votre esprit. […] Celui qui admire trahit par le feu de ses regards, par l’intelligente curiosité de son attitude, par son silence même la noble passion qui préside à tous ses travaux pour les rehausser et les ennoblir. […] Une explication d’Horace au célèbre Port-Royal mettait en feu toute une classe, poursuivait les écoliers jusque dans leurs promenades, dans leurs récréations, dans leurs sorties ; et les vacances n’étaient pour ces disciples de Lancelot et de Nicole qu’un prétexte pour reprendre avec plus de recueillement et d’intimité les auteurs étudiés pendant dix mois.

67. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — XVII. La flûte d’ybilis »

Il alluma ensuite un grand feu qui dégagea une fumée épaisse. […] Le bois manquant tout à coup pour entretenir le feu, il sortit de nouveau pour aller en ramasser.

68. (1890) Journal des Goncourt. Tome IV (1870-1871) « Année 1871 » pp. 180-366

… Le feu a cessé. […] Cent maisons brûlent à Saint-Cloud : le feu de joie que se payent les Prussiens pour leur triomphe ! […] Feu foudroyant de canons, de mitrailleuses, de mousqueterie, un feu comme je n’en ai jamais entendu du temps des Prussiens. […] C’est un grondement de cratère, un craquement crépitant de bouquet de feu d’artifice, qui jaillit dans l’air. […] Peu à peu, cependant, le feu baisse d’intensité.

69. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre V. Caractère du vrai Dieu. »

C’est l’Éternel qui se peint lui-même : « Sa colère a monté comme un tourbillon de fumée ; son visage a paru comme la flamme, et son courroux comme un feu ardent. […] Les nuées amoncelées formaient autour de lui un pavillon de ténèbres : l’éclat de son visage les a dissipées, et une pluie de feu est tombée de leur sein.

70. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre Premier »

c’est l’homme qui, sans chagrins dans la vie, ayant contemplé ces beaux spectacles : le soleil, l’eau, le feu, les nuages, s’en est retourné bien vite d’où il était venu. […] Il a le cynisme pittoresque et la dégaine héroï-comique de ces capitans de Callot qui vont si bravement au feu des rôtisseries et à l’assaut des basses-cours. […] Il faut la voir, l’œil ardent, les joues en feu, le geste homicide, penchée sur la réponse, attendue comme une proie d’impatience et de désir. Tous ses instincts tragiques, jusque-là réprimés sous la froide réserve de son rôle, éclatent à la fois avec un feu et un bruit d’explosion. — « A quelle heure ?  […] Diane se dévoue, d’un bout à l’autre de la pièce, une fois par acte tout au moins, et cet holocauste à petit feu finit par s’attiédir et s’éteindre.

71. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — I. » pp. 262-280

Le mérite de Bourdaloue s’annonça dès l’enfance : « Il était naturel, plein de feu et de bonté, dit Mme de Pringy ; il suça la vertu avec le lait, et ne sortit de l’enfance que pour entrer dans les routes laborieuses du christianisme. » Il n’eut dans sa vie qu’une seule aventure et qui fut décisive, ce fut, si j’ose dire, l’aventure de piété qui devint le point de départ de sa carrière. […] Ce tempérament plein de feu s’était, par un heureux accord et dès sa pente première, porté tout entier du côté de la règle et des devoirs : son zèle pur les animait en s’en acquittant, et lui en rendait l’exercice facile et léger. […] C’était un orateur, et il en avait tous les dons pour le genre d’enseignement sacré auquel il s’était voué : il avait l’action, le feu, la rapidité, et, en déroulant ce fleuve de la parole qui chez lui, à la lecture, nous paraît volontiers égal et surtout puissant par sa vigueur suivie et sa continuité, il y avait des endroits où il tonnait. […] » — J’éprouvais encore que, sous la rigueur du raisonnement chez Bourdaloue, il se sent un feu, une ferveur et une passion comme chez Rousseau (pardon du choc de ces deux noms), sauf que celui-ci déclame souvent en raisonnant et qu’avec l’autre on est dans la probité pure. […] Ce dernier, dans sa conclusion, a dit avec un bon sens élevé qui l’honore : Enfin je ne puis lire les ouvrages de ce grand homme sans me dire à moi-même (en y désirant quelquefois, j’oserai l’avouer avec respect, plus d’élan à sa sensibilité, plus d’ardeur à son génie, plus de ce feu sacré qui embrasait l’âme de Bossuet, surtout plus d’éclat et de souplesse à son imagination) : Voilà donc, si l’on ajoute ce beau idéal, jusqu’où le génie de la chaire peut s’élever quand il est fécondé et soutenu par un travail immense !

72. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre iii »

Au moment des attaques des 16 et 17 juin 1915 est monté sur le parapet pour exciter la troupe au combat, puis son chef de corps ayant été privé de toute communication téléphonique a assuré lui-même le service des liaisons sous un feu très violent. […] e division d’infanterie : « Modèle de dévouement et de courage ; s’est particulièrement fait remarquer à X… et à Y… où il a accompagné tous les assauts, prodiguant ses soins aux blessés qui venaient de tomber sans aucun souci du danger et malgré le feu violent de l’artillerie ennemie. » (J. […] Pendant les combats de mars 1916 est resté au premier rang avec les troupes engagées, dans les circonstances les plus difficiles, recueillant les blessés sous un feu meurtrier, les soignant et les encourageant. […] En particulier, les 2 et 3 janvier 1916, sous un feu intense, a donné à tous le réconfort de sa bravoure et de son exemple, se portant toujours aux points les plus menacés, pour encourager les combattants et secourir les blessés. […] Blessé dès le début de l’attaque, n’a pas moins continué d’entraîner sa compagnie avec une magnifique bravoure à l’assaut des retranchements ennemis, le 9 mai 1915, malgré un feu violent de mitrailleuses.

73. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Variétés littéraires, morales et historiques, par M. S. de Sacy, de l’Académie française. » pp. 179-194

Après avoir assisté pendant des heures à ces débats, souvent aussi éloquents que confus, sans prendre une note, mais aussi sans se dissiper en paroles, il rentrait chez lui tout plein de ce qu’il avait entendu, et il le jetait sur le papier avec feu et avec netteté dans un travail de soirée et de nuit, où sa plume, si hâtée qu’elle fût, ne rencontrait jamais un mot douteux ni une locution louche : il ne pouvait parler ni écrire d’autre langue que celle de sa famille et de sa maison, celle qu’il tenait de son illustre père, et de ses premiers maîtres, de ses premières lectures d’enfance. […] D’ailleurs, M. de Sacy ne s’est jamais donné comme un critique de profession, un critique complet, aspirant à tracer un tableau littéraire de son temps : il se borne à traduire avec feu et à nous livrer avec candeur une image de ses goûts intègres, de ses prédilections restées toutes sérieuses et probes. […] C’est plaisir, là-dessus, de l’écouter lorsque soi-même on a un goût vif pour l’orateur romain, pour le philosophe de Tusculum : on aime à être surpassé en enthousiasme ; on s’associe, on se prête à cette sorte d’ivresse qu’il cause à un esprit ordinairement rassis ; on est édifié de retrouver à l’improviste comme un Rollin plus jeune, aussi sincère, mais plus transporté et tout de feu en présence des modèles. […] Mais l’article mémorable et tout à fait distingué, chef-d’œuvre de M. de Sacy, a été celui du mardi 25 octobre 1853, sur le Catalogue de la bibliothèque de feu J.

74. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Journal de la campagne de Russie en 1812, par M. de Fezensac, lieutenant général. (1849.) » pp. 260-274

Davout, qui commandait d’abord à l’arrière-garde, était chargé de mettre le feu partout, « et jamais ordre ne fut exécuté avec plus d’exactitude et même de scrupule ». […] De grands feux allumés firent croire à l’ennemi qu’on allait camper en ce lieu. […] Nous avions parcouru le bois dans des directions si diverses, que nous ne pouvions plus reconnaître notre chemin ; les feux que l’on voyait allumés de différents côtés servaient encore à nous égarer. […] Des feux allumés sur la glace éclairent leurs derniers moments.

75. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les petites revues » pp. 48-62

Ils ouvrirent le feu. […] Ô crépuscule, dans ta grande somnolence, Un bois à l’horizon s’étage noir et bleu ; Haut, le croissant émerge et s’argente en silence, L’Hippogriffe attendait dans le couchant de feu ; Et la Reine, égarant son regard noir et bleu, Maudit l’heure qui coule ainsi qu’une eau trop lente, Et, sous le dur brocart, sentant sa gorge en feu, Mord son exsangue main de sa bouche sanglante !

76. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « De Cormenin (Timon) » pp. 179-190

Philippiques ; Lettres sur la Liste civile ; Bilan du 15 mars 1831 ; Lettres sur la condamnation de la « Tribune » ; Pétition pour le droit électoral ; Rendez-moi mes lapins ; Questions scandaleuses d’un Jacobin au sujet d’une dotation (1840) ; Avis aux contribuables (1842) ; Ordre du jour sur la corruption électorale et parlementaire ; Défense de l’évêque d’Angers, de l’évêque de Périgueux, du cardinal de Bonald ; Feu ! Feu ! Oui et non ; Refus de sépulture ; La Légomanie, etc., etc. ; tous ces traits chauffés au feu du moment, aiguisés sur la circonstance, firent de lui le grand sagittaire de l’époque, l’outlaw de ce régime bâtard du juste milieu qu’il méprisait.

77. (1882) Hommes et dieux. Études d’histoire et de littérature

L’usage du feu leur était presque aussi inconnu qu’aux bêtes. […] Jamais l’ambition n’a brûlé d’un feu si acerbe. […] Torquemada mit la Castille en feu. […] Des quatre éléments, elle ne lui accordait que le feu. […] L’ennui les tuait à petit feu.

78. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXXIII » pp. 332-336

Des villes d’Italie où j’osai, jeune et svelte, Parmi ces hommes bruns montrer l’œil bleu d’un Celte, J'arrivais, plein des feux de leur volcan sacré, Mûri par leur soleil, de leurs arts enivré ; Mais, dès que je sentis, ô ma terre natale, L'odeur qui des genêts et des landes s’exhale, Lorsque je vis le flux, le reflux de la mer, Et les tristes sapins se balancer dans l’air, Adieu les orangers, les marbres de Carrare, Mon instinct l’emporta, je redevins barbare, Et j’oubliai les noms des antiques héros, Pour chanter les combats des loups et des taureaux ! […] Je suis jeune ; la pourpre en mes veines abonde ; Mes cheveux sont de jais et mes regards de feu, Et, sans gravier ni toux, ma poitrine profonde Aspire à pleins poumons l’air du ciel, l’air de Dieu.

79. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Étienne Dolet, et François Floridus. » pp. 114-119

Cet auteur passoit sa vie à fuir d’un lieu en un autre, jusqu’à ce qu’enfin il expia par le feu sa réputation d’athée public. […] Jacques du Lorens, avocat au présidial de Chartres, fut mis à l’amende, pour avoir fait des satyres contre les juges. » On peut ajouter à cette liste le célèbre Vanini, qui, pressé, avant qu’on le jettât au feu, de demander pardon à dieu, au roi & à la justice, répondit : Je ne connois point de dieu, je n’ai jamais offensé le roi, & je donne la justice au diable, s’il y en a.

80. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre I. Les Saxons. » pp. 3-71

Furieux, nous avons combattu, le feu planait sur la demeure des hommes, et nous avons endormi dans le sang ceux qui veillaient aux portes de la ville. » Par ces propos de table et ces goûts de jeune fille, jugez du reste20.Les voici maintenant en Angleterre, plus sédentaires et plus riches : croyez-vous qu’ils soient beaucoup changés ? […] Cette espèce de brute nue qui gît tout le long du jour auprès de son feu, inerte et sale, occupée à manger et à dormir38, dont les organes rouillés ne peuvent suivre les linéaments nets et fins des heureuses formes poétiques, entrevoit le sublime dans ses rêves troubles. […] Les Huns hurlent, et sur les bancs, sous les tentes, chacun pleure ; elle ne pleure point ; elle n’a point pleuré depuis la mort de Sigurd, ni sur ses frères « au cœur d’ours », ni sur « ses tendres enfants, ses enfants sans défiance. » La nuit venue, elle égorge Atli dans son lit, met le feu au palais, brûle tous les serviteurs et toutes les femmes guerrières. […] La nuit, on y pouvait voir une merveille, du feu sur les vagues  » ; le cerf, lassé par les chiens, « aurait plutôt laissé son âme sur le bord » que d’y plonger pour y cacher sa tête. […] Ton feu est allumé et ta salle chauffée, et il y a de la pluie, de la neige et de l’orage au dehors.

81. (1682) Préface à l’édition des œuvres de Molière de 1682

VOICI une nouvelle édition des Œuvres de feu Monsieur de Molière, augmentée de sept Comédies et plus correcte que les précédentes, dans lesquelles la négligence des Imprimeurs avait laissé quantité de fautes considérables, jusqu’à omettre ou changer des Vers en beaucoup d’endroits. […] Il fit ses Humanités au Collège de Clermont ; et comme il eut l’avantage de suivre feu Monsieur le Prince de Conti dans toutes ces Classes, la vivacité d’esprit qui le distinguait de tous les autres, lui fit acquérir l’estime et les bonnes grâces de ce Prince, qui l’a toujours honoré de sa bienveillance et de sa protection. […] S’étant trouvé quelque temps après en Languedoc, il alla offrir ses services à feu Monsieur le Prince de Conti, Gouverneur de cette Province, et Vice-roi de Catalogne.

82. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Journal et mémoires du marquis d’Argenson, publiés d’après les manuscrits de la Bibliothèque du Louvre pour la Société de l’histoire de France, par M. Rathery » pp. 238-259

C’est de lui qu’il est question dans ce passage de la satire de Rulhière, où l’original a tout l’air d’un portrait de fantaisie : Auriez-vous par hasard connu feu monsieur d’Aube Qu’une ardeur de dispute éveillait avant l’aube ? […] Mais, à d’autres jours, le Chauvelin a tout d’un coup baissé ; il est dans son tort, et il a mérité sa disgrâce ; l’exilé de Bourges, avec son grand feu et son activité, avait la politique trop magnifique et trop fougueuse ; il tenait trop de Louvois, dont il était parent ; les peuples n’auraient guère respiré de son temps ; il est bon qu’il ait été écarté : (Février 1737. […] On conçoit qu’un tel homme, s’il voulait contraindre les autres à raisonner et à conclure comme lui, disputât toujours. — Un soir que Fontenelle s’était endormi au coin du feu, une étincelle vola sur sa robe de chambre ; il ne s’en aperçut pas, et, quand il fut couché, le feu prit par la robe de chambre à toute la garde-robe. De là grand effroi, grande rumeur par toute la maison ; M. d’Aube, réveillé, donne des ordres, gronde son oncle, et, quand tout est fini, il gronde encore ; enfin il revient si souvent à la charge, fait tant de questions, tant de raisonnements et de démonstrations à propos de cette robe de chambre, que Fontenelle, presque impatienté, lui répond : « Je vous promets que si je mets une autre fois le feu à la maison, ce sera autrement. »

83. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — I. » pp. 1-22

Marmont, qui avait, gardé tout son feu, et qui ne perdait pas un commandement en chef, demanda à être employé au siège de Mayence : c’était une grande école pour un officier d’artillerie. […] Le caractère de Marmont dans toute cette première partie de sa carrière, où il ne commande pas en chef, est une valeur intelligente et un feu que le coup d’œil dirige. […] Le coup d’œil de Marmont à Marengo, au moment le plus critique, le feu qu’il dirigea à propos sur la colonne autrichienne, et qui donna comme le signal à la charge soudaine de Kellermann, nous le montrent général d’artillerie consommé, et aussi résolu qu’ingénieux. […] J’aime à multiplier ces citations qui me dispensent d’avoir un avis en de telles matières, et qui ont l’avantage, ce me semble, d’exprimer sensiblement aux yeux de tous le feu, l’éclat, la verve militaire de Marmont. […] C’est alors seulement que l’officier envoyé en parlementaire, qui avait franchi les avant-postes ennemis, revint avec un aide de camp du prince de Schwarzenberg et un autre de l’empereur Alexandre, et que le feu qui durait depuis douze heures cessa.

84. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XX. Le Dante, poëte lyrique. »

Le feu de la poésie éclatait là tout entier ; le génie de l’art avait été retrouvé par la passion. […] Quant à l’empereur Frédéric, à ce terrible pupille d’Innocent III, qui, maître une fois de l’empire, brava si hardiment les pontifes de Rome, une tendre chanson qu’on lui attribue nous étonne par une humilité langoureuse, mais elle n’a rien de la grâce ni de l’ardeur lyrique ; et c’est ailleurs qu’il faut chercher ces germes de poésie nouvelle déjà semés dans l’Europe, couvés sous les feux du Midi, recueillis dans les cours, et que bientôt allait concentrer dans le miroir ardent de son génie l’Homère du moyen âge. […] Que Notre-Seigneur soit loué par le feu, dont les rayons illuminent la nuit, par le feu brillant, rapide, magnifique, inépuisable ! […] Les joues vermeilles de la blanche Aurore brunissaient, sous les feux d’un été trop ardent.

85. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La civilisation et la démocratie française. Deux conférences par M. Ch. Duveyrier »

La nature étudiée, attaquée par tous les points, poursuivie dans ses détails, embrassée dans ses ensembles, décrite, dépeinte, admirée, connue ; — ce qui reste de barbarie cerné de toutes parts ; — les antiques civilisations rendues de jour en jour plus intelligibles, plus accessibles ; — le contact des religions considérables amenant l’estime, l’explication et jusqu’à un certain point la justification du passé, et tendant à amortir, à neutraliser dorénavant les fanatismes ; — une tolérance vraie, non plus la tolérance qui supporte en méprisant et qui se contente de ne plus condamner au feu, mais celle qui se rend compte véritablement, qui ménage et qui respecte ; — au dedans, au sein de notre civilisation européenne et française, un adoucissement sensible dans les rapports des classes entre elles, un désarmement des méfiances et des colères ; un souci, une entente croissante des questions économiques et des intérêts, ou, ce qui revient au même, des droits de chacun ; le prolétaire en voie de s’affranchir par degrés et sans trop de secousse, la femme trouvant d’éloquents avocats pour sa faiblesse comme pour sa capacité et ses mérites divers ; les sentiments affectueux, généreux, se réfléchissant et se traduisant dans des essais d’art populaire ou dans des chants d’une musique universelle : — tous ces grands et bons résultats en partie obtenus, en partie entrevus, les transportent ; ils croient pouvoir tirer de cet ordre actuel ou prochain, de cette conquête pacifique future, un idéal qui, pour ne pas ressembler à l’ancien, n’en sera ni moins inspirant, ni moins fécond. […] On dit qu’il a eu un grand succès de lecture : moi qui sais avec quel feu il parle en improvisant, je regrettais d’abord qu’il ne se fût point livré à la parole vive ; mais on m’assure qu’il a lu de façon à produire plus d’effet encore. […] Mille écluses maîtriseraient et distribueraient l’inondation sur toutes les parties du territoire ; les huit ou dix milliards de toises cubes d’eau qui se perdent chaque année dans la mer, seraient réparties dans toutes les parties basses du désert, dans le lac Mœris, le lac Maréotis et le Fleuve sans eau, jusqu’aux Oasis et beaucoup plus loin du côté de l’ouest, — du côté de l’est, dans les Lacs Amers et toutes les parties basses de l’Isthme de Suez et des déserts entre la mer Rouge et le Nil ; un grand nombre de pompes à feu, de moulins à vent, élèveraient les eaux dans des châteaux d’eau, d’où elles seraient tirées pour l’arrosage ; de nombreuses émigrations, arrivées du fond de l’Afrique, de l’Arabie, de la Syrie, de la Grèce, de la France, de l’Italie, de la Pologne, de l’Allemagne, quadrupleraient sa population ; le commerce des Indes aurait repris son ancienne route par la force irrésistible du niveau… » Le mot de civilisation ne s’est pas rencontré encore ; il n’échappe qu’à la fin et aux dernières lignes, comme le résumé de tout le tableau ; il introduit avec lui et implique l’idée morale, qui a pu paraître jusque-là assez absente : « Après cinquante ans de possession, la civilisation se serait répandue dans l’intérieur de l’Afrique par le Sennaar, l’Abyssinie, le Darfour, le Fezzan ; plusieurs grandes nations seraient appelées à jouir des bienfaits des arts, des sciences, de la religion du vrai Dieu ; car c’est par l’Égypte que les peuples du centre de l’Afrique doivent recevoir la lumière et le bonheur !  […] Ceux qui n’ont pas connu Condorcet, qui ne l’ont étudié qu’en gros et qui ne le jugent que par son dernier livre et par sa mort, croient qu’il avait en lui cet esprit du sacrifice moderne, ce feu sacré qui se passait d’autel.

86. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 348-354

Mais ce n’est encore là qu’un des moindres crimes de feu M. […] Freron le fils est peu jaloux de ces prérogatives, puisque dans la continuation de l’Année Littéraire, il s’efforce de marcher constamment sur les traces de feu M. son pere.

87. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VI. Amour champêtre. — Le Cyclope et Galatée. »

Le Cyclope, assis sur un rocher, aux bords des mers de Sicile, chante ainsi ses déplaisirs, en promenant ses yeux sur les flots : Ὦ λευκὰ Γαλάτεια, etc45… Charmante Galatée, pourquoi repousser les soins d’un amant, toi dont le visage est blanc comme le lait pressé dans mes corbeilles de jonc ; toi qui es plus tendre que l’agneau, plus voluptueuse que la génisse, plus fraîche que la grappe non encore amollie par les feux du jours ? […] Si ma poitrine hérissée blesse ta vue, j’ai du bois de chêne, et des restes de feux épandus sous la cendre ; brûle même (tout me sera doux de ta main), brûle, si tu le veux, mon œil unique, cet œil qui m’est plus cher que la vie.

88. (1875) Premiers lundis. Tome III « Les poètes français »

De même qu’alors chacun, selon le mot du vieil Étienne Pasquier, avait sa maîtresse qu’il célébrait et magnifiait par ses vers, chacun ici avait son auteur qu’il épousait, qu’il poussait de son mieux et faisait valoir avec feu, avec science. […] Il y a, entre autres, une mémorable scène, c’est quand Bernier, le loyal vassal, qui a retrouvé sa mère religieuse dans un couvent de ce même pays du Vermandois qu’on va ravager, est tout d’un coup surpris par l’incendie de l’abbaye, à laquelle Raoul, le fougueux baron, avait pourtant la veille accordé la paix ; mais un incident survenu a retourné soudainement sa volonté aveugle et enflammé sa colère ; il a commandé qu’on mit le feu, et il a été trop bien obéi : Brûlent les cellules, s’effondrent les planchers ; Les vins s’épandent, s’enfoncent les celliers ; Les jambons brûlent et tombent les lardiers ; Le sain-doux fait le grand feu redoubler ; Il (le feu) s’attache aux tours et au maître-clocher : Force est bien aux couvertures de trébucher ; Entre deux murs est si grand le brasier, Que toutes cent (les nonnains) brûlent écrasées ; Marcens y brûle, qui fut mère à Bernier, Et Clamados, la fille au duc Renier… De pitié pleurent les hardis chevaliers. […] De tant que peut un homme un dard lancer, Pas un ne peut vers le feu approcher. […] Tout en concevant le dédain qu’auront tout à l’heure les hommes de la Renaissance, et nourris des pures grâces d’Aristophane, pour cette poésie domestique de coin du feu et de cuisine, poésie de ménage et digne du voisinage des Halles, nous ne devons pas le partager. […] Et même vieux et cassé avant l’âge, il ne cessa d’avoir, jusqu’au bout, de ces retours et de ses assauts de verve qu’il a rendus avec feu.

89. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre IV. Shakespeare l’ancien »

Au feu toutes ces pièces, et qu’on se contente de réciter les vieux paeans de Tynnichus ! […] Ses lieutenants nous ont conservé son ordre : « Si ces livres contiennent des mensonges, au feu. […] Il savait le lieu précis où Prométhée avait dérobé le feu, et il désignait sans hésiter le mont Mosychle, voisin de Lemnos. […] Il interpelle la poussière et la fumée ; à l’une, il dit : « Sœur altérée de la boue », et à l’autre : « Sœur noire du feu ». […] Aussi l’avait-on choisi pour la conservation du feu sacré.

90. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [III] »

Voyant donc qu’il n’y avoit autre remède et qu’il m’étoit impossible de supprimer tant de copies publiées partout, pour ce que le feu roy (que Dieu absolve !) […] Je ne voudrais plus y joindre, pour nous donner l’entier spectacle de l’âme et des dispositions intérieures du pauvre et triste poète, dans les derniers mois de sa vie, qu’une autre lettre française de lui adressée à un ami (le même Morel probablement), sur la mort du feu roi et le département de Madame de Savoie. […] L’état de surdité absolue du poète lui interdisait d’aller rendre en personne ses devoirs à Madame Marguerite, au moment du départ de la princesse, et la lettre est pour s’en excuser ; cette prose émue se rejoint naturellement à ses vers, et le tout constitue pour nous la partie vivante et sympathique de l’œuvre de Du Bellay : « Monsieur et frère, ne m’ayant comme vous savez permis mon indisposition de pouvoir faire la révérence à Madame de Savoie depuis la mort du feu roi, que Dieu absolve ! […] C’est le Tombeau latin et françois du feu roi son frère… Je l’eusse bien pu enrichir, si j’eusse voulu (et l’œuvre en étoit bien capable, comme vous pouvez penser), de figures et inventions poétiques davantage qu’il n’est, et qu’il semblera peut-être à quelques admirateurs de l’antique poésie… Or, tel qu’il est, si Madame s’en contente, j’estimerai mon labeur bien employé, ne m’étant, comme vous savez mieux qu’homme du monde, jamais proposé autre but ni utilité à mes études que l’heur de pouvoir faire chose qui lui fût agréable. J’avois (et peut-être non sans occasion) conçu quelque espérance de recevoir un jour quelque bien et avancement de la libéralité du feu roi, plus par la faveur de Madame que pour aucun mérite que je sentisse en moi.

91. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — I. » pp. 166-193

L’article, qui commence en ces mots : « Jette ta plume au feu, généreux Brutus, et va cultiver des laitues !  […] Témoin ému d’un triomphe éloquent de Brissot aux Jacobins, elle s’écrie : « Enfin j’ai vu le feu de la liberté s’allumer dans mon pays, il ne saurait s’éteindre. […] Ses Mémoires contiennent de brillants et véridiques portraits de ses amis, un peu à la Plutarque ; mais il est plus curieux de les retrouver saisis par elle dans l’action même et sous le feu de la mêlée, confidentiellement et non plus officiellement, dans le privé et non pour la postérité. […] On ne la voit pas prendre feu par la tête, à quinze ans, pour un M. de Guibert, et M. de Boismorel, dont le rôle près d’elle semble analogue, ne fut qu’une figure très-régulière et très-calme à ses yeux. […] Certes, si quelque prophétique vision, quelque miroir enchanté lui avait déroulé à l’avance sa carrière publique si courte et si remplie, ses dépêches au Pape et au roi du fond du boudoir austère, son apparition toujours applaudie à la barre des assemblées, et, pour clore le drame, elle-même en robe blanche, la chevelure dénouée, montant triomphalement à l’échafaud, si elle eût pu choisir, certes elle n’aurait pas hésité ; comme l’antique Achille, elle eût préféré la destinée militante, tranchée à temps et immortelle, à quelque obscure félicité du coin du feu.

92. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre neuvième. »

L’homme est de glace aux vérités, Il est de feu pour les mensonges. […] Quelle bizarre idée de prêter à un cierge la fantaisie de devenir immortel, et pour cela de se jeter au feu. […] La peinture du chat tirant les marrons du feu, est digne de Téniers.

93. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre II. Mme Le Normand »

Oui, un livre, bel et bon, pour le compte de Mme Le Normand, laquelle ajoute à ces pauvres lettres que Mme de Staël a oublié de jeter au feu, une biographie de Mme de Staël que nous y jetterons, nous ! […] Elle est inquiète, elle se décourage, elle craint l’ennui comme le feu, elle souffre des tortures aux plus légères piqûres d’épingle. […] Je l’ai dit déjà, mais il faut y revenir, les hommes, pour se venger sans doute de ce qu’elle pouvait être sublime et rester femme, l’appelèrent hommasse, croyant ainsi la rapprocher d’eux ; mais elle ne l’était pas, même physiquement, quoiqu’on l’ait dit et qu’elle tînt de son père, le Suisse emphatique, ces gros traits que Gérard n’a pas craint de peindre, sentant bien que la femme, la femme idéale qui transforme et divinise tout, se retrouverait toujours en ces yeux astres, dans lesquels on ne savait ce qui brillait le plus du feu ou des larmes, et dans cette bouche si éloquemment entr’ouverte, et dans cette poitrine de Niobé, et dans ces bras d’une rondeur toute-puissante, robustes seulement pour s’attacher.

94. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Charles De Rémusat »

ce n’est pas l’impertinence doublée au feu de la gaîté. […] Son Bolingbroke, son Junius, son Burke et son Fox ne sont que des détails sur Bolingbroke, Junius, Burke et Fox, des détails qui attendent celui qui voudra peindre et qui saura y mettre le feu, le feu sacré.

95. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XII. »

Platon, dont le génie s’essaya dans des dithyrambes avant d’avoir entendu Socrate, gardait évidemment plus d’un souvenir de la poésie dorienne de Pindare ; et, alors même qu’il eut renoncé à cette ambition poétique de sa jeunesse et jeté au feu ses premiers vers, il en retint cette inspiration lyrique dont il a parfois animé les débuts ou les épilogues de ses entretiens philosophiques. […] Il dut s’élever un Ménandre, pour porter sur la scène, à défaut des peintures de feu et des fantaisies d’Aristophane, l’observation d’Aristote et de ses élèves. […] Sous tes mains invincibles, tu tiens asservi le tonnerre à deux tranchants, tout de feu, toujours vivant.

96. (1912) Réflexions sur quelques poètes pp. 6-302

Il ne me chaut de soleil ne d’ombrage : Je n’ay qu’Amour et feu en mon courage… Ainsi se confesse la Belle Cordière de Lyon dans ses Élégies qui sont des plaintes d’amour mélodieuses, des souvenirs encore cuisants mais toujours chers, un feu doux mal éteint sous la cendre. […] Et tout brûlé du feu d’amours Passe ainsi les nuits et les jours… Ah ! certes, le cœur du pauvre Olivier de Magny brûlera d’un feu non secourable, si les yeux qui allumèrent la flamme n’envoient point un prompt secours. […] de quel feu brûle un cœur jà en cendre ? […] Je citerai cette tirade : Je n’escris plus les feux d’un amour inconnu, Mais par l’affliction plus sage devenu, J’entreprens bien plus haut, car j’apprens à ma plume Un autre feu, auquel la France se consume.

97. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre IV, Eschyle. »

Ils disent qu’il buvait pour exciter son génie, que le vin était l’huile de ce feu sacré. […] Le génie du poète est d’une ardeur si puissante qu’il pénètre de son feu et de son éclat les lourdes enveloppes qui pèsent sur lui. […] Il appelle la poussière « sœur altérée de la boue », ou « messager muet de l’armée » ; la fumée, « sœur chatoyante du feu ». […] Un monde s’est évanoui sous la fumée de quelques manuscrits détruits par le feu. […] Apparent dirae facies, inimicaque Trojae Numina magna Deum… De même, des fables terribles, des drames inouïs, des groupes tragiques de trilogies enlacées, comme celui du Laocoon, d’une même chaîne de douleur, apparaissent confusément dans les flammes qui dévorèrent l’œuvre d’Eschyle : Niobé, la Lycurgie, Penthée, les Prêtresses, l’Éthiopide, les Égyptiens, Memnon, le Rachat d’Hector, Prométhée porteur de feu et Prométhée délivré. — Des fantômes comiques s’y montrent aussi, riant à vide d’un énorme rire, comme des masques dont les visages se sont retirés.

98. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre IV. Le rêve »

Tissié en cite deux exemples : « B… rêve que le théâtre d’Alexandrie est en feu ; la flamme éclaire tout un quartier. Tout à coup il se trouve transporté au milieu du bassin de la place des Consuls ; une rampe de feu court le long des chaînes qui relient les grosses bornes placées autour du bassin. Puis il se retrouve à Paris à l’Exposition qui est en feu…. […] Il aperçoit des éclairs, il entend le tonnerre… il assiste enfin à un combat dans lequel il voit le feu sortir des bouches de canon. […] Le craquement d’un meuble, le feu qui pétille, la pluie qui fouette la fenêtre, le vent qui joue sa gamme chromatique dans la cheminée, autant de sons qui frappent encore l’oreille et que le rêve convertit en conversation, cris, concert, etc.

99. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — H — article » pp. 489-496

Cet article, tel qu’on vient de le lire, a servi de texte à feu M. de Voltaire, pour nous accuser d’ingratitude à l’égard de l’Auteur qui en est l’objet. […] Si vous lui écrivez jamais, M., priez-le de vous envoyer ces Vers, avec un certificat du Préteur, du Geolier, & de la Muse libertine qui m’aura inspiré si magnifiquement : il y a apparence que M. de Voltaire connoît tout ce monde-là… Ce n’est pas tout : il prétend, dans le même Ouvrage & avec la même vérité, qu’ayant été tiré de la plus extrême misere par feu M.

100. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Vernet » pp. 227-230

S’il allume du feu, c’est à l’endroit où son éclat semblerait devoir éteindre le reste de la composition. […] Ici, c’est l’astre de la nuit qui éclaire et qui colore ; là, ce sont des feux allumés ; ailleurs c’est l’effet mélangé de ces deux lumières.

101. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XIII »

Quand Chateaubriand ayant écrit : « Dans les soirées d’hiver, les vieillards tisonnent au coin du feu » reprend sa phrase : « Dans les soirées d’hiver, les vieillards tisonnent les siècles au coin du feu », il fait ce que seul Chateaubriand pouvait faire.

102. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Saint-Arnaud. Ses lettres publiées par sa famille, et autres lettres inédites » pp. 412-452

Un champ de bataille en Europe, le désert d’Afrique ou le pavé de Paris, il s’y portera d’un feu égal. […] Dans les journées des 29 et 30 avril, aux environs de Blida, il reçoit, lui et sa légion, le baptême du feu. […] L’ouest est en feu. […] Le feu avait pris par la maladresse d’un débitant d’eau de vie qui a laissé s’enflammer de l’esprit. À sept heures, l’incendie se déclarait ; nous n’avons été maîtres du feu et hors de danger qu’à trois heures du matin.

103. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « J. K. Huysmans » pp. 186-212

Huysmans fulgure et chatoie, passe, pour employer, une de ses phrases, « tous feux allumés ». […] Certaines phrases pétaradent et font feu des quatres pieds : « La horde des Huns rasa l’Europe, se rua sur la Gaule, s’écrasa dans les plaines de Châlons, où Aétius la pila dans une effroyable charge. […] Et encore : « Sur sa robe triomphale, couturée de perles, ramagée d’argent, lamée d’or, la cuirasse des orfèvreries dont chaque maille est une pierre, entre en combustion, croise des serpentaux de feu, grouille sur la chair mate, sur la peau rose thé, ainsi que des insectes splendides, aux élytres éblouissantes, marbrés de carmin, ponctués de jaune aurore, diaprés, de bleu acier, tigrés de vert paon. » Mais, outre cette virtuosité générale, M. Huysmans a conçu un type de phrase particulier, où par une accumulation d’incidentes, par un mouvement pour ainsi dire spiraloïde, il est arrivé à enclore et à sertir en une période, toute la complexité d’une vision, à grouper toutes les parties d’un tableau autour de son impression d’ensemble, à rendre une sensation dans son intégrité et dans la subordination de ses parties : « Sur le trottoir des couples marchaient dans les feux jaunes et verts qui avaient sauté des bocaux d’un pharmacien, puis l’omnibus de Plaisance vint, coupant ce grouillis-grouillos, éclaboussant de ses deux flammes cerise, la croupe blanche des chevaux, et les groupes se reformèrent, troués çà et là par une colonne de foule se précipitant du théâtre Montparnasse, s’élargissant en un large éventail qui se repliait autour d’une voiture que charroyait en hurlant un marchant d’oranges ».

104. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 272-292

Ce qui distingue la Poésie de l’Eloquence, c’est la fiction, la vivacité des figures, la hardiesse de l’expression, la richesse & la multiplicité des images, l’enthousiasme, le feu, l’impétuosité, les divers essors du génie. […] Quiconque les lira avec attention [& tout le monde devroit s’empresser de les lire], y apprendra à éviter les écueils, à respecter les regles, à préférer le naturel au bel-esprit, les beautés réelles & solides au feu brillant & aux pensées recherchées, l’éloquence de tous les temps à celle du moment. […] Il vaut mieux , répondit-il à celui qui lui annonça l’incendie de sa Bibliotheque, il vaut mieux que le feu ait pris à mes livres, qu’à la chaumiere d’un pauvre Laboureur .

105. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Benjamin Constant »

L’éloquence de Madame de Staël, qui a fait le cadeau de l’immortalité à son amie en en parlant dans quelques endroits de ses ouvrages, pâlit et disparaît dans le feu de ces lettres, ce feu qui a brûlé, dix-huit mois, l’âme sèche, car elle l’était de Benjamin Constant, comme une branche de sarment dont il ne resterait pas une brindille. […] Aussi, jamais on n’aurait pu penser et prévoir que cette blanche figure de Vestale qu’était Madame Récamier et qui passa un jour entre lui et Madame de Staël, pourrait allumer le feu de l’amour non partagé dans une âme sans enthousiasme, que l’Esprit et l’Épigramme gardaient comme deux dragons contre l’exaltation de l’âme, — et cela sans coquetterie, et en y jetant… rien du tout !

106. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Ernest Hello »

— à moitié de ceinture par un Marmontel des Contes moraux, non plus philosophe, mais chrétien… À côté de pages magnifiques, écrites avec ce feu blanc des mystiques qui traverse les âmes en les illuminant, il y en a d’autres d’une inspiration innocente et presque enfantine (voir le Gâteau des Rois). […] Et de fait, quand le mysticisme, cet aigle à la griffe de feu, a pris un homme, il ne le lâche plus. […] III À son originalité dans la conception de son livre qui tient à ses idées premières, aux assises mêmes de son esprit, et qu’il met audacieusement, pour la première fois, sous cette forme difficile du conte, pour les faire mieux briller sous cette forme vivante, comme on retourne et l’on fait jouer un diamant à la lumière du jour pour l’épuiser de tous ses feux, Ernest Hello ajoute aujourd’hui une originalité qui n’est plus celle de ses idées, mais de leur expression et de la vie spéciale qu’il sait leur donner, et il obtient ce résultat superbe que l’exécution de l’artiste vaut la conception du penseur !

107. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Soulary. Sonnets humouristiques. »

Singulier poète, ou, pour mieux parler, singulière spécialité poétique, qui s’est liée volontairement dans de pareils esclavages, qui a renfermé sa pensée dans la forme étroite au lieu de dilater cette forme autour de sa pensée, je ne le confondrai pas pourtant avec les Vides de ce temps, les poètes de la forme pure, avec les écorces sculptées, qui ne renferment rien, comme les sarcophages des Anciens, qui ne contenaient pas même de cendres, car lui, lui, il a la pensée, il a cette perle malade, mais cette perle de la pensée, dont les feux du diamant de l’art, de la langue et du rythme, ne valent pas le plus pâle rayon ! […] Tu voudrais voir, dis-tu, pour la vie éternelle, Nos deux âmes se perdre en la même étincelle ; Si bien qu’on ne saurait en séparer les feux. […] Une femme le suit, — presque folle, — étouffant Dans sa poitrine en feu le sanglot qui la brise.

108. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Malot et M. Erckmann-Chatrian » pp. 253-266

de manière à faire croire qu’il n’y a peut-être qu’un amour dans la vie, et que l’être tombé dans ce feu ne se cicatrise jamais et garde des blessures inextinguibles ! […] — Le mot amour lui paraissait de feu et la robe de Marguerite de plomb. […] Avoir fait d’Hoffmann et d’Edgar Poë une combinaison honnête, avoir fait d’Hoffmann, l’halluciné de fumée de pipe, le nerveux suraigu, le labes dorsal qui vécut des années avec une moelle épinière à feu, et d’Edgar Poë, plus étonnant encore, d’Edgar Poë, l’ivresse la plus noire et la plus rouge qui se soit allumée jamais dans une tête humaine sans la faire éclater, le mangeur d’opium arrosé d’eau-de-vie, le delirium tremens devenu homme jusqu’à ce que l’homme fût entièrement tué par le delirium tremens, faire de ces deux puissants génies malades une petite créature qui ne se porte pas trop mal, et qui nous trempe l’esprit comme une mouillette dans une mixture… sans inconvénient, n’est-ce pas un début magnifique ?

109. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXV. Avenir de la poésie lyrique. »

La tête tourne de songer ce que deviendrait ce pays, travaillé par nos machines, et sous les eaux et les feux dont nous disposons. […] De ces prêches que l’unité de ferveur, dans la liberté de croyance, multiplie parmi les sectes chrétiennes d’Amérique, il jaillira toujours des paroles de feu qui entretiendront l’enthousiasme de la charité dans les âmes. […] Cette puissance de création littéraire enfin, qui manque encore à l’Amérique, sera-t-elle longtemps attardée et comme étouffée sous le poids du progrès actif de tous et du mouvement de chaque jour, par un effet presque analogue à cette loi de la discipline et du grand nombre, qui, dans la masse des immenses armées modernes et leurs efforts savamment simultanés sous les feux qu’elles bravent, laisse moins entrevoir la part de l’héroïsme et de l’inspiration individuelle ?

110. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre II »

Tulari, tutari focum (protéger, puis étouffer le feu), étouffer, tuer ; ainsi a-t-on reconstitué l’histoire singulière de ce mot qui dit exactement le contraire de ses syllabes primitives. On dit encore en Normandie, tuer le feu ; dans le centre de la France et au Canada, tuer la chandelle.

111. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIVe entretien. Alfred de Vigny (1re partie) » pp. 225-319

« Sur le plus haut des monts s’arrêtent les chevaux ; L’écume les blanchit ; sous leurs pieds, Roncevaux Des feux mourants du jour à peine se colore. […] Le feu couve sourdement et lentement dans ce cratère, et laisse échapper ses laves harmonieuses, qui d’elles-mêmes sont jetées dans la divine forme des vers. […] La chambre de Chatterton, sombre, petite, pauvre, sans feu ; un lit misérable et en désordre. […] Il jette au feu tous ses papiers. […] Il jette au feu tous ses papiers.

112. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre II. La poésie lyrique » pp. 81-134

Dans son jardin, aimé des vents et des arômes, Où mûrissent, au feu des soleils automnaux La figue liquoreuse et les citrons royaux, Béatrice de Manissès vit loin des hommes. […] Toute la gloire et tout l’amour sont superflus : Toujours elle voudra quelque chose de plus, Et, comme un grand feu mort qui brusquement rougeoie, Son désir renaîtra des cendres de sa joie ! […] Brûle au feu de l’Amour les sarcasmes d’Ulysse. […] Quand nous sentant, un soir, trop seuls dans la maison, Le besoin nous prendra de pleurer sans raison, Et que, malgré le feu, nous aurons froid peut-être, Ô mon Âme, en voyant, dehors par la fenêtre, Tomber la neige immense autour de la maison. […] « Celle-ci, je la devine parée de modernité, mais, sous les plis égaux de ses grandes robes, portant une âme en feu comme la mer où Midi brûle.

113. (1908) Esquisses et souvenirs pp. 7-341

Pendant cette scène, le Vésuve crache du feu. […] Il y a un bon feu de branches dans la cuisine. […] Je m’assieds au coin du feu pour fumer ma pipe. […] » On l’interroge : on avait vu des feux, cinq ou six, sur la mer de Phalère. […] … un feu d’enfer, une chaleur du diable !

114. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome IV pp. 5-

Ce fut là le chaos dont le génie de l’Arioste nous apprit à débrouiller la confusion, et dans lequel son feu créateur anima les éléments de toutes les chimères qu’il a si plaisamment travesties. […] conduis-la vers moi comme ton interprète ; orne-la de tous les attraits ; donne-lui ta force victorieuse et ta beauté immortelle ; embrase-la de ton feu divin, fais-la pénétrer avec toi dans les abîmes de l’infini. […] « Et de quel feu divin cette prose animée « S’échappe en vers nombreux tout à coup transformée ? […] « Tout sert notre projet : vous voyez des Latins, « Dans les airs obscurcis fumer les feux éteints. […] « Sa gueule en feu rugit de carnage trempée.

115. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bergerat, Émile (1845-1923) »

Il n’y lit pas long feu ; les injustices le crispaient ; puis, il avait déjà la mauvaise habitude de dire sa pensée tout entière. […] Beaucoup achetaient des lunettes bleues pour soutenir l’éclat d’un pareil feu d’artifice.

116. (1887) La vérité sur l’école décadente pp. 1-16

Un mot d’explication J’avais espéré, après la ridicule campagne de presse que subirent — et dont profitèrent, peut-être — mes amis intellectuels les jeunes écrivains, j’avais espéré, dis-je, que de nouvelles « actualités » détourneraient la veine des chroniqueurs et laisseraient aux Laborieux un peu de silence et d’ombre pour parfaire de nouveaux et plus définitifs ouvrages ; J’avais compté sans l’éhontée soif de réclame qui pousse les stériles et les impuissants : Déjà le Traité du Verbe — pétard qui fit trop long feu — avait émotionné le public en 86 ; la fin de 87 voit éclore une brochure d’adéquate valeur, L’École décadente, mais aux visées documentaires les plus dangereusement fausses et qui ont surpris la bonne foi de beaucoup. […] Bourde, du Temps, qui ouvrit le feu.

117. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 13, qu’il est probable que les causes physiques ont aussi leur part aux progrès surprenans des arts et des lettres » pp. 145-236

Les poëtes hollandois ont montré plus de vigueur et plus de feu d’esprit que les peintres leurs compatriotes. […] Il y a vingt ans que le feu chevalier Chardin nous donna enfin les desseins des ruines de Persepolis. […] Le feu roi a fait des établissemens aussi judicieux et aussi magnifiques que les romains les auroient pû faire en faveur des arts qui relevent du dessein. […] Enfin la main des ouvriers avoit bien acquis quelque capacité, mais les ouvriers n’avoient pas encore le moindre feu, la moindre éteincelle de génie. […] Quelle réputation n’ont pas encore aujourd’hui dans toute l’Europe plusieurs ministres dont le feu roi s’est servi ?

118. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIe entretien. Poésie lyrique » pp. 161-223

mon pauvre Didier, rentre dans ton bon sens et ravale ta joie et ta chanson ; tu ne seras jamais que le jouet de tout le monde et de la Jumelle. » À ces mots, qui jetèrent tout à coup le froid de la moquerie sur le feu de l’enthousiasme, le petit Didier, concevant un humble doute, sentit son cœur lui manquer dans la poitrine. […] Pendant que les porteurs, avec lesquels je devais retourner le soir par les mêmes sentiers de la montagne, se reposaient et se réchauffaient à table, au feu de la cuisine, je m’enfermai seul dans une petite cellule voûtée qui servait autrefois d’archives au château. […] C’était le feu des âmes du Midi venant raviver à Paris le foyer révolutionnaire, trop languissant au gré des girondins. Ce corps de douze ou quinze cents hommes était composé de Génois, de Liguriens, de Corses, de Piémontais expatriés et recrutés pour un coup de main décisif sur toutes les rives de la Méditerranée, la plupart matelots ou soldats aguerris au feu, quelques-uns scélérats aguerris au crime. […] C’était l’eau de feu de la Révolution qui distillait dans les sens et dans l’âme du peuple l’ivresse du combat.

119. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIe entretien. La passion désintéressée du beau dans la littérature et dans l’art. Phidias, par Louis de Ronchaud (1re partie) » pp. 177-240

Ils se disent à eux-mêmes : Voilà quelqu’un qui n’a pas les mêmes objets que nous en vue dans ses sorties à travers nos rues et nos places publiques ; voilà un étranger à nos intérêts d’ici-bas, voilà le feu sacré qui passe et qui nous coudoie sans nous voir. […] Or, ce feu sacré cherche son élément : le beau. […] Le feu du volcan universel est un cœur de femme. Quelle main peut se poser sur la neige même du Jura, sans la sentir attiédie par le feu qui couve sous l’enveloppe glacée de ces collines ? […] Puis, il me rappelait mon ascension du lendemain du débarquement à l’acropole, et ma longue station sous les propylées, au milieu d’un groupe prisonnier de soldats turcs qui faisaient leur feu de myrte au pied d’une colonne, foyer auquel deux jambes de déesses séparées des bustes servaient de chenets.

120. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVIII. Institutions de Jésus. »

Les fils de Zébédée voulaient qu’il appelât le feu du ciel sur les villes inhospitalières 832. […] Jésus insista sur ce point 847, et annonça à ses disciples un baptême par le feu et l’esprit 848, bien préférable à celui de Jean, baptême que ceux-ci crurent un jour recevoir, après la mort de Jésus, sous la forme d’un grand vent et de mèches de feu 849.

121. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VIII. Quelques étrangères »

Quelques étrangères [Gabrielle d’Annunzio] « Je ne sais parler que de moi-même », déclare le héros du Feu. […] Puisque, au désordre vivant de ses odes et au désordre inorganique de ses romans, l’auteur de l’Intermède de rimes et du Feu ne sait parler que de lui-même, examinons qui il est. […] Le Feu est, comme Adolphe, l’histoire de la fin d’un amour.

122. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Théocrite »

» Et encore : « Cette frange de son manteau que Delphis a perdue, moi maintenant je l’effile brin à brin et je la jette dans le feu dévorant. » Puis soudainement ici poussant un cri comme si elle ressentait une morsure : « Ah ! […] » Pour elle tout comme pour Simétha, on va le voir, le coup de foudre ne fait pas long feu. […] « Sitôt que je le vis, aussitôt je devins folle, aussitôt mon âme prit feu, misérable ! […] Quant à présent, poursuit-il, il n’a que des actions de grâces à rendre à Cypris d’abord, et puis à celle qui, en l’envoyant appeler, l’a tiré véritablement du feu où il était déjà à demi consumé. […] Chaque trait en est de feu, et l’ensemble offre cette beauté fixe qui vit dans le marbre.

123. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxve entretien. Histoire d’un conscrit de 1813. Par Erckmann Chatrian »

cinquante mille hommes à terre, vingt-cinq drapeaux, cent bouches à feu ! […] Mais ce jour-là, chaque famille se tenait autour de son âtre, et l’on voyait les petites vitres rondes comme piquées d’un point rouge, à cause du grand feu de l’intérieur. […] Dehors on n’entendait rien, le feu pétillait sur l’âtre. […] Avec notre billet de logement, nous avions le droit de nous asseoir au coin du feu ; mais les gens nous donnaient aussi place à leur table. […] » — En même temps, j’entendais comme un bruit de canon qui tonne, et le pétillement du feu sur un âtre.

124. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIe entretien. Ossian fils de Fingal, (suite) »

roule tes flots azurés autour de l’étroite vallée de Lutha ; forêts des montagnes, penchez-vous pour l’ombrager, quand, à midi, le soleil y darde tous ses feux. […] ton épée semblable au feu du ciel ? […] Cependant, on s’assemble autour de Colgul ; mais Colgul avait l’air sombre, et le feu ne jaillissait plus de ses yeux. […] que le feu de mon génie brille à ta place. […] Plus d’un héros succomba sous tes coups, et les feux de ta colère consumaient les guerriers.

125. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VII, seconde guerre médique. »

Kereçaepa, un de ses rois fabuleux, frappa, un jour, le feu d’un autel, parce qu’il ne flambait pas assez vite. […] Depuis les conquêtes de Cyrus, le culte primitif de la Perse, tout de lumière et d’idéal, pur comme le feu qu’elle adorait, avait été corrompu par les immondes mythologies sémitiques. […] Signe certain, augure évident : comme les rats qui sortent d’une forteresse la veille de sa prise, comme les cigognes qui s’envolent des toits d’une ville que le feu menace, le serpent avait abandonné l’Acropole voué à la destruction. […] Il fallait une table rase à ces créateurs de la Beauté pure pour y produire leurs merveilles ; la flamme qui la leur apprêta, fut un feu sacré. […] Les vainqueurs firent de sa flotte dégradée un feu triomphal.

126. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIe entretien » pp. 5-85

C’est là l’erreur de ces Guèbres modernes du feu intellectuel, inextinguible et toujours croissant en lumière. […] Je n’étais pas un républicain radical, un républicain subversif, un républicain chimérique rêvant de bouleverser les fondements de la politique et de la société civile, pour faire éclore du sang ou du feu un monde nouveau éclos en trois heures. […] Si j’avais été autre chose, il n’y avait rien de si rationnel et de si aisé que de laisser le feu de la France prendre, par le seul courant du vent qui soufflait, à l’univers. […] une âme de feu, de langueur, d’enthousiasme, d’antiquité, de jeunesse, de mélancolie et d’héroïsme à la fois ! […] L’air était tiède et savoureux comme un parfum évaporé sur un charbon de feu, ou comme le myrte du paysan à la gueule d’un four qui pétille dans un village de Calabre.

127. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Béranger, recueillie par M. Paul Boiteau. »

Enfin, il faut bien le dire, le zèle des véritables amis restés les plus dévoués à sa mémoire n’a pas été prudent ni discret : à peine avait-il fermé les yeux qu’on a publié coup sur coup des souvenirs, des conversations de lui, des commérages de coin du feu, toute une série de petits livres à sa dévotion, toute une littérature Bèrangèrienne, visant à la légende. […] il les jette au feu ou les met au fond du tiroir. […] Il passa en un instant de la position de tirailleur à celle de spectateur, d’avocat politique consultant (il se lassa vite de ce dernier rôle), de causeur avisé, curieux de tous sujets, et qui avait son franc parler sur chacun au coin du feu. […] Béranger l’arrête à temps, lui prêche la patience ; il en avait le droit, car il pouvait lui dire ce qu’il redira à d’autres : « A quarante-deux ans, je n’avais pas de feu dans mon taudis, même au plus fort de l’hiver.

128. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XIII »

Le feu mal éteint couvait dans son cœur : il se rallume au souffle de la colère. […] Il soutient sans rougir, leur feu pur et clair ; il ment avec un imperturbable sourire, avec des adresses qui éludent et des tendresses qui persuadent. […] Telle une statue grecque foudroyée, qui garderait, sous le feu du ciel, sa morgue olympienne et son sourire impassible. […] La princesse Georges rentre dans sa chambre, la tête en feu, le cœur déchiré : son mari la trahit, la ruine, l’abandonne ; il va la laisser seule, comme dans un désert, à un veuvage désolé par toutes les horreurs de la jalousie.

129. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Patru. Éloge d’Olivier Patru, par M. P. Péronne, avocat. (1851.) » pp. 275-293

Sa mère qui, veuve d’un riche procureur au Parlement, voulait qu’il devînt un avocat célèbre, lui voyant de l’aversion pour ses cahiers, les jetait elle-même au feu, et lui donnait des romans à lire. […] On y voit Patru partagé alors entre la volupté et la gloire, s’occupant du choix d’un genre de vie et du problème de la destinée, travaillé d’agitations, de nobles inquiétudes, de ces « divines maladies » qui sont également inconnues aux courtisans et au peuple ; plein surtout d’un beau feu pour l’éloquence, se met tant aux champs dès qu’on n’en parle pas à son gré, critique déjà en ce point, très docile sur tout le reste. […] Tout philosophe qu’elle était, la reine s’inquiéta de ce point la première, et, dans les instants qui précédèrent la séance, elle s’en entretint tout bas auprès du feu avec le chancelier. […] [NdA] Chapelain, remerciant Patru, qui lui avait envoyé le recueil de ses Plaidoyers tardivement imprimés, lui écrivait le 22 février 1670 : « Combien ai-je pris de plaisir à y repasser quelques-uns de ces fameux plaidoyers dont feu M. 

130. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — I »

Depuis quelque temps, et le premier feu de l’âge, la première ferveur de l’esprit et des sens étant dissipée, le souvenir de son enfance, de ses maîtres, de sa tante religieuse à Port-Royal, avait ressaisi le cœur de Racine ; et la comparaison involontaire qui s’établissait en lui entre sa paisible satisfaction d’autrefois et sa gloire présente, si amère et si troublée, ne pouvait que le ramener au regret d’une vie régulière. […] Des séraphins debout sur des marches d’ivoire Se voilaient devant lui de six ailes de feux ; Volant de l’un à l’autre, ils se disaient entre eux : Saint, Saint, Saint, le Seigneur, le Dieu, le roi des dieux ! […] Au reste, comme nul sentiment profond n’est stérile en nous, il arrivait que cette poésie rentrée et sans issue était dans la vie comme un parfum secret qui se mêlait aux moindres actions, aux moindres paroles, y transpirait par une voie insensible, et leur communiquait une bonne odeur de mérite et de vertu : c’est le cas de Racine, c’est l’effet que nous cause aujourd’hui la lecture de ses lettres à son fils, déjà homme et lancé dans le monde, lettres simples et paternelles, écrites au coin du feu, à côté de la mère, au milieu des six autres enfants, empreintes à chaque ligne d’une tendresse grave et d’une douceur austère, et où les réprimandes sur le style, les conseils d’éviter les répétitions de mots et les locutions de la Gazette de Hollande, se mêlent naïvement aux préceptes de conduite et aux avertissements chrétiens : « Vous avez eu quelque raison d’attribuer l’heureux succès de votre voyage, par un si mauvais temps, aux prières qu’on a faites pour vous. […] Ainsi, quand Racine a risqué le vers fameux, Brûlé de plus de feux que je n’en allumai, il ne faisait sans doute que se souvenir de son cher roman et du passage où Hydaspe, sur le point d’immoler sa fille et de la placer sur le bûcher ou foyer, se sent lui-même au cœur un foyer de chagrin plus cuisant : je traduis à peu près ; les curieux peuvent chercher le passage : Racine, enfant, avait retenu ce jeu de mots comme une beauté, et il n’a eu garde de l’omettre dans Andromaque. […] Mais je m’en tiens au brûlé de plus de feux : c’est une fort jolie trouvaille.

131. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre I »

Dans ma paroisse, qui a peu de feux, il y a plus de trente garçons ou filles qui sont parvenus à l’âge plus que nubile ; il ne se fait aucuns mariages, et il n’en est pas seulement question entre eux. […] En 1750, six à sept mille hommes en Béarn s’assemblent derrière une rivière pour résister aux commis ; deux compagnies du régiment d’Artois font feu sur les révoltés et en tuent une douzaine. […] En 1753 (Voltaire, Dictionnaire philosophique, article Population ), le dénombrement des feux donne 3 550 499 feux, outre 700 000 âmes à Paris, ce qui fait de 16 à 17 millions d’habitants si l’on compte par feu 4 personnes 1/2 et de 18 à 19 millions si l’on en compte 5.

132. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 5482-9849

Ces esprits qu’on croit couler rapidement dans les nerfs, sont probablement un feu subtil. […] Après avoir parcouru les différentes acceptions de feu au physique, il faut passer au moral. […] On a dit que les Poëtes étoient animés d’un feu divin, quand ils étoient sublimes : on n’a point de génie sans feu, mais on peut avoir du feu sans génie. […] N’attisez pas le feu avec l’épée, pour dire, n’irritez pas les esprits échauffés. […] On peut modérer son feu.

133. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1888 » pp. 231-328

À neuf heures du matin un feu de cheminée qui se communique à la chambre de fumisterie, et qui nous fait craindre un incendie de la maison. […] Alors secrétaire, et dépouilleur du courrier de Villemessant, Périvier reçoit, un matin, un article, auquel était jointe une lettre très mal rédigée, et le voilà jetant l’article et la lettre au feu. Par un hasard, le feu s’était éteint, et l’article et la lettre n’étaient point brûlés le soir, quand Périvier se déshabille pour se coucher. […] Enfin le feu d’artifice, et l’on part, et sur les grands espaces bitumés, que font tout lumineux les illuminations, se voient de petites flaques d’eau, laissées par les femmes, en leurs émotions de la fête du 14 Juillet. […] Et quand arrivé là dedans, le premier, et le feu allumé, il mettait la toque, et fumait une énorme bouffarde, il sentait monter en lui un orgueil d’homme fait, un orgueil incommensurable.

134. (1898) La cité antique

Le feu sacré. […] Le feu du foyer est d’une tout autre nature. […] Là, on présente à la jeune fille le feu et l’eau. […] Romulus à cette même place posa un autel et y alluma du feu. […] Par ce feu, il faut entendre le feu des sacrifices ; par cette eau, l’eau lustrale581.

135. (1890) Journal des Goncourt. Tome IV (1870-1871) « Année 1870 » pp. 3-176

Au dehors sèchent, accrochés, çà et là, des chaussons, des caleçons, des clairons vertdegrisés, et, entre deux pavés, de pauvres petits feux grésillent sur du bois pourri de démolitions. […] » et bientôt je vois le zouave arrêté et ramené au feu. […] Les mobiles s’agitent autour de moi, fiévreux, impatients, demandant à aller au feu, chantant la Marseillaise, et commencent un feu roulant avec leurs cartouches à balles qu’ils essayent. […] Et ce paysage de coloriste avait, pour ciel, un ciel de feu rouge cerise, enfermant dans des cernées, deux ou trois taches étranges de bleu pâle, du bleu que Lessore jette sur la faïence de ses assiettes. […] La curiosité dépitée se rabat sur le Bourget, éclairé d’un pâle rayon de soleil, sur des feux prussiens, sur un casque allemand, qu’on croit voir luire.

136. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre premier. Ce que devient l’esprit mal dépensé » pp. 1-92

assez d’amour pour mettre en feu le parterre et les loges ? […] Le feu de la fièvre est dans ses yeux ! […] — Ils ressemblent à cet Irlandais qui ne a voulait pas sortir de son lit, quoique le feu fût à la maison […] À la fin, le feu pénétra jusqu’à lui. […] Dacier, secrétaire perpétuel de l’Académie, par feu M. de Fénelon, archevêque de Cambray.

137. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « MÉLEAGRE. » pp. 407-444

Pour prendre des noms significatifs, elle a dû cheminer, comme entre deux feux, entre les Scaliger et les Fontenelle. […] Amour lui-même t’a lié les ailes et t’a mise sur le feu, tandis qu’expirante il t’arrosait de parfums et qu’il te donnait à boire des larmes chaudes dans ta soif ardente. O mon Ame si travaillée, tantôt tu es brûlée par le feu, tantôt tu te rafraîchis en recueillant ton souffle. […] Reconnais maintenant le payement de cette belle nourriture, en ayant reçu à la fois du feu et de la neige froide. […] Tu souffres ce que tu as mérité, brûlée que tu es d’un miel cuisant. » Les Anciens faisaient grand usage de miel ; ils le combinaient avec le vin, ils le faisaient cuire au feu ; les poëtes érotiques sont pleins d’images empruntées à ces mélanges.

138. (1856) Cours familier de littérature. I « Digression » pp. 98-160

Les grands accents ont besoin de grands espaces, de grands mouvements de l’âme, de grandes passions ; une jeune fille, élevée dans cette cage dorée des hôtels de Paris, ne peut élever sa voix qu’à la portée de la société étroite et raffinée qui l’entoure : si Sapho eût été une jeune fille de bonne compagnie dans la cour de quelque roi des Perses, nous n’aurions pas ces dix vers, ces dix charbons de feux, allumés dans son cœur, et qui brûlent depuis tant de siècles les yeux qui les lisent. […] Qu’un autre te voie, enfant de l’harmonie, Trouvant que sur les cœurs un empire est trop peu, Lancer d’un seul regard l’amour et le génie,             La lumière et le feu ! […] Je restai seule, en proie à mes nouveaux transports ; Un céleste pouvoir secondait mes efforts ; Le Seigneur m’inspirait ; sa divine lumière Embrasait de ses feux mon âme tout entière, Et déjà l’avenir était changé pour moi. […] Il n’y a pas d’édition de leur esprit qui vaille une soirée passée au coin de leur feu. […] On l’y trouvait presque toujours seule, la plume à la main, le visage trop pâli ou trop coloré par le feu de la composition.

139. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — I. » pp. 234-253

Le prince de Ligne eut un fils qu’il aima tendrement, dont il fut le camarade et l’ami, qu’il conduisit au feu dès qu’il en eut l’occasion, et dont la mort, dans la première guerre de la Révolution, brisa son cœur33. […] Il a des apostrophes « Aux commençants », qui respirent le feu sacré : Fussiez-vous du sang des héros, fussiez-vous du sang des dieux s’il y en avait ; si la gloire ne vous délire pas continuellement, ne vous rangez pas sous ses étendards. […] Vous vous croyez au dernier degré ; mais le prince de Ligne qui ne se contente pas à peu de frais, et qui porte dans cette grâce et dans cette félicité sociale quelque chose de ce feu, de cette poésie vivifiante que nous lui avons vu mettre dans les entreprises de guerre, dira en complétant son modèle et en nous laissant par là même son portrait : Si, ajouté encore à cela, on inspire l’envie de se revoir, si l’on y fait trouver un charme continuel, si l’on a une grande occupation des autres, un grand détachement de soi-même, une envie de plaire, d’obliger, de prendre part aux succès d’autrui, de faire valoir tout le monde ; si l’on sait écouter ; si l’on a de la sensibilité, de l’élévation, de la bonne foi, de la sûreté, et un cœur excellent ; oh ! […] Il est au feu comme Votre Excellence, c’est tout dire.

140. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Œuvres de Maurice de Guérin, publiées par M. Trébutien — II » pp. 18-34

Tous ces menus détails de la vie intime, dont l’enchaînement constitue la journée, sont pour moi autant de nuances d’un charme continu qui va se développant d’un bout de journée à l’autre : — le salut du matin qui renouvelle en quelque sorte le plaisir de la première arrivée, car la formule avec laquelle on s’aborde est à peu près la même, et d’ailleurs la séparation de la nuit imite assez bien les séparations plus longues, comme elles étant pleine de dangers et d’incertitude ; — le déjeuner, repas dans lequel on fête immédiatement le bonheur de s’être retrouvés ; — la promenade qui suit, sorte de salut et d’adoration que nous allons rendre à la nature, car à mon avis, après avoir adoré Dieu directement dans la prière du matin, il est bon d’aller plier un genou devant cette puissance mystérieuse qu’il a livrée aux adorations secrètes de quelques hommes ; — notre rentrée et notre clôture dans une chambre toute lambrissée à l’antique, donnant sur la mer, inaccessible au bruit du ménage ; en un mot, vrai sanctuaire de travail ; — le dîner qui s’annonce non par le son de la cloche qui sent trop le collège ou la grande maison, mais par une voix douce qui nous appelle d’en bas ; la gaieté, les vives plaisanteries, les conversations brisées en mille pièces qui flottent sans cesse sur la table durant ce repas : le feu pétillant de branches sèches autour duquel nous pressons nos chaises après ce signe de croix qui porte au ciel nos actions de grâces ; les douces choses qui se disent à la chaleur, du feu qui bruit tandis que nous causons ; — et, s’il fait soleil, la promenade au bord de la mer qui voit venir à elle une mère portant son enfant dans ses bras, le père de cet enfant et un étranger, ces deux-ci un bâton à la main ; les petites lèvres de la petite fille qui parle en même temps que les flots, quelquefois les larmes qu’elle verse, et les cris de la douleur enfantine sur le rivage de la mer ; nos pensées à nous, en voyant la mère et l’enfant qui se sourient ou l’enfant qui pleure et la mère qui lâche de l’apaiser avec la douceur de ses caresses et de sa voix, et l’océan qui va toujours roulant son train de vagues et de bruits ; les branches mortes que nous coupons dans le taillis pour nous allumer au retour un feu vif et prompt ; ce petit travail de bûcheron qui nous rapproche de la nature par un contact immédiat et me rappelle l’ardeur de M. Féli pour ce même labeur ; — les heures d’étude et d’épanchement poétique, qui nous mènent jusqu’au souper ; ce repas qui nous rappelle avec la même douce voix et se passe dans les mêmes joies que le dîner, seulement un peu moins éclatantes parce que le soir voile tout, tempère tout ; — la soirée qui s’ouvre par l’éclat d’un feu joyeux, et de lectures en lectures, de causeries en causeries, va expirer dans le sommeil ; — et à tous les charmes d’une telle journée ajoutez je ne sais quel rayonnement angélique, je ne sais quel prestige de paix, de fraîcheur et d’innocence qu’y répandent la tête blonde, les yeux bleus, la voix argentine, les petits pieds, les petits pas, les rires, les petites moues pleines d’intelligence d’une enfant qui, j’en suis sûr, fait envie à plus d’un ange ; qui vous enchante, vous séduit, vous fait raffoler avec un léger mouvement de ses lèvres, tant il y a de puissance dans la faiblesse ?

141. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre »

Saint-Simon nous l’avoue, il fut charmé, ensorcelé par ce beau diseur : il s’employa à le servir avec feu ; il brisa pour lui la glace et le mit en bons rapports avec M. de Beauvilliers qui était l’entrée de faveur auprès du Dauphin ; plus tard il ne travailla pas moins à l’ancrer auprès du duc d’Orléans et à le faire un des présidents des Conseils pour la prochaine Régence. […] Or, cette idée, à première vue, ressemblait trop à une imagination de Saint-Simon pour ne pas lui être attribuée, et en effet le duc de Noailles, qui soufflait ce feu, donnait tout bas son cher confrère pour auteur et promoteur de ce singulier projet de salutation, de telle sorte que, parmi cette noblesse outrée, plus d’un aurait pu lui en chercher querelle et lui faire un mauvais parti. […] C’est la juste harmonie du jugement avec l’imagination, qui constitue l’homme d’esprit ; joignez-y la conception nette et facile, c’est l’homme de beaucoup d’esprit ; avec le courage de plus, c’est l’homme de génie : mais, avec le feu seul de l’imagination, on extravague… « Il est de ces familles de Cour, tirées de l’obscurité par le bonheur et par l’intrigue, sans avoir jamais rendu d’éclatants services, sans avoir produit d’hommes d’un mérite élevé71. […] Il devint favori de Mme de Maintenon ; il épousa son héritière, et sans perdre sa confiance ni celle du feu roi, il sut pourtant se ménager la faveur du duc d’Orléans par ses utiles manœuvres.

142. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre (suite et fin) »

Les affaires se tiennent par des liaisons qui les mettent dans une dépendance nécessaire les unes des autres, et ce n’est que par la combinaison de toutes les parties qu’on doit se décider sur ce qu’il est le plus avantageux de faire pour chacune d’elles en particulier. » Le maréchal de Noailles est âgé de soixante-quatre ans à cette date ; il représente une longue expérience acquise, il est un des rares demeurants du dernier règne ; il peut dire au roi avec autorité sur presque chaque sujet : « Le feu roi, votre auguste bisaïeul, pensait… le feu roi, votre auguste bisaïeul, disait… » Il s’offre pour ce genre de conseil avec un dévouement passionné, qui n’est pas sans dignité jusque dans son expansion : « Jusqu’à ce qu’il plaise à Votre Majesté de me faire connaître ses intentions et sa volonté, me bornant uniquement à ce qui regarde la frontière dont elle m’a donné le commandement, je parlerai avec franchise et liberté sur l’objet qui est confié à mes soins, et je me tairai sur tout le reste, toujours prêt, cependant, à vous exposer, Sire, lorsque vous le voudrez, etc., etc. […] Il répond de sa main au maréchal (26 novembre 1742) : « Le feu roi, mon bisaïeul, que je veux imiter autant qu’il me sera possible, m’a recommandé, en mourant, de prendre conseil en toutes choses et de chercher à connaître le meilleur pour le suivre toujours ; je serai donc ravi que vous m’en donniez : ainsi, je vous ouvre la bouche, comme le Pape aux cardinaux, et vous permets de me dire ce que votre zèle et votre attachement pour moi et mon royaume vous inspireront. […] Une disposition d’esprit, pourtant, qui règne dans ces lettres de Louis XV et qui ne laisse pas de nous blesser un peu, c’est de voir que, dans son bon sens, il soit si vite résigné au mal, à la médiocrité des hommes et des temps ; il n’a ni le feu sacré ni le diable au corps ; il est totalement dénué du démon.

143. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Pensées, essais, maximes, et correspondance de M. Joubert. (2 vol.) » pp. 159-178

Si le soin de l’entretenir est le seul dont il plaise au ciel de nous charger, il faut s’en acquitter gaiement et de la meilleure grâce qu’il est possible, et attiser ce feu sacré, en s’y chauffant de son mieux, jusqu’à ce qu’on vienne nous dire : C’est assez. […] Un écrit où ne se rencontrent que de la force et un certain feu sans éclat, n’annonce que le caractère. […] Chateaubriand produit avec le feu ; il fond toutes ses pensées au feu du ciel.

144. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre II : M. Royer-Collard »

Vous voilà au coin du feu, les rideaux tirés, les pieds au feu, auprès d’une lampe, rêvant un peu, et vous figurant une forêt. […] Votre feu est chaud, vous êtes seul ; le roulement des voitures vous arrive étouffé et monotone, la rêverie vous prend tout à fait. […] On vit un jour un cheval plein de feu, d’orgueil et de courage, le cœur aussi grand que la force, généreux, capable de durer et de s’user à la peine.

145. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le comte Gaston de Raousset-Boulbon »

Mais c’est le bénéfice de quelques familles d’avoir concentré dans le feu de leur sang l’ardeur gauloise qui nous anime tous ! […] Ruiné en très peu de temps par le train d’une vie que ne comporte plus en France la médiocrité des fortunes, il ne s’appliqua pas sur le front le pistolet qui fit long feu quatre fois sur le front prédestiné de Clive. […] Des jours que tu rêvais, Des soleils appelés par ton âme ravie, Peut-être les rayons luiront-ils sur ta vie ; Peut-être vers le soir, lorsque la trahison, La faim, la soif, le feu, le fer et le poison Se seront émoussés sur ton corps et ton âme, Alors si ton grand cœur n’a pas perdu sa flamme, Si, mille fois trompé, tu conserves ta foi, Si tu luttes encore… enfant, tu seras roi !

146. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XI » pp. 39-46

Cet Adolphe Dumas n’est pas sans feu ni sans talent ; mais pas un grain de goût. […] Une forêt vierge inextricable où l’on aurait mis le feu et d’où sortiraient toutes sortes de bêtes et de tourbillons donne assez l’idée de cette lecture à cauchemar.

147. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VI, première guerre médique »

Les Perses s’enfuirent en déroute vers leurs vaisseaux rangés sur la plage, poursuivis par les Athéniens qui essayèrent d’y mettre le feu. […] « Les feux de l’aurore sont moins doux que les premiers regards de la gloire. » Ces paroles modernes d’une grâce attique, peuvent s’appliquer à cette jeune bataille, aube d’un jour rayonnant, fleur de pourpre d’un printemps sacré.

148. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Addisson, et Pope. » pp. 17-27

Il déshonora sa verve brillante & son beau feu poëtique, par une satyre terrible. […] Il eut honte, dans la suite, d’avoir composé cette satyre sanglante, & n’hésita point à la jetter au feu en présence du docteur Swift, qui la retira promptement & lui rendit le mauvais office de la conserver.

149. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre II. Chimie et Histoire naturelle. »

Armé du feu, que va tenter ce nouveau Prométhée ? […] Il n’y a qu’un fait certain, en chimie, fixé par Boerhaave, et développé par Lavoisier ; savoir que le calorique, ou la substance qui, unie à la lumière, compose le feu, tend sans cesse à distendre les corps, ou à écarter les unes des autres leurs molécules constitutives.

150. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 18, qu’il faut attribuer la difference qui est entre l’air de differens païs, à la nature des émanations de la terre qui sont differentes en diverses regions » pp. 295-304

Dès que la terre est un mixte composé de solides et de liquides de divers genres et de differentes especes, il faut qu’ils agissent sans cesse l’un et l’autre, et qu’il s’y fasse ainsi des fermentations continuelles, d’autant plus que l’air et le feu central mettent encore les matieres en mouvement. […] On sçait que ces montagnes redoutables jettent plus de feu en certaines années que dans d’autres, et qu’elles sont quelquefois un temps considerable sans en vomir.

151. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIe entretien. Épopée. Homère. — L’Iliade » pp. 65-160

Le sang, le feu, la fumée qui monte de la graisse des victimes, sont décrits avec une puissance de vérité qui, sans tomber dans le dégoût et dans l’horreur, font respirer aux sens l’odeur de l’holocauste. […] Aussitôt ils soulagent du joug les chevaux baignés de sueur, et chaque guerrier les attache à son char par des courroies… Les Troyens, fiers de leur victoire, reposent, pendant toute la nuit, sur le champ de bataille, à la lueur des feux qu’ils ont allumés. […] « Chaque fois, dit le poète, que ses regards tombent sur la plaine de Troie, il regarde avec effroi les feux innombrables qui brillent autour d’Ilion, il entend le son des flûtes, des chalumeaux et les tumultes des guerriers !  […] « Ils trouvent Diomède couché hors de sa tente, tout armé ; autour de lui dorment ses compagnons, la tête appuyée sur leurs boucliers, leurs lances plantées en terre par la poignée, les pointes d’airain resplendissant au loin à la lueur des feux, semblables à des traits de foudre de Jupiter. […] Ainsi sur la haute mer apparaît de loin aux matelots la flamme d’un feu allumé sur les montagnes ».

152. (1860) Cours familier de littérature. IX « XLIXe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier » pp. 6-80

Souvenirs de madame Récamier I Les salons littéraires, depuis Aspasie à Athènes jusqu’à madame Récamier à Paris, font certainement partie de la littérature ; ces salons sont le foyer du génie, le coin du feu de la gloire ; c’est pourquoi nous consacrons cet Entretien à madame Récamier. […] On sent un culte, on ne sent pas un amour : l’amour est un feu, ceci n’est qu’une splendeur. […] La duchesse se rapprocha du feu. […] Le Lyonnais est une espèce d’Ionie française où la beauté des femmes fleurit en tout temps sous un ciel tempéré, entre les feux trop ardents du Midi et les formes trop frêles du Nord ; les yeux y ont en général la teinte azurée du Rhône, qui baigne la ville, la langueur de la Saône, la douceur du ciel. […] Madame Récamier, à cette époque, laissait une trace de feu ou du moins de lumière partout où elle apparaissait ; on entreprenait de longs voyages uniquement pour l’avoir vue ; semblables à ces naturalistes qui entreprennent de longues traversées pour assister une fois par siècle à la floraison de l’aloès, on accourait de Londres, de Naples, de Berlin, de Vienne, de Pétersbourg, pour adorer de près dans une soirée la merveille des yeux.

153. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIIe entretien. Fior d’Aliza » pp. 177-256

La religion différente était le seul obstacle aux yeux de ma famille, d’une orthodoxie sévère, et aussi aux yeux de la mère de mademoiselle B… Quant à elle, cette diversité du culte natal n’était pas un empêchement ; car, élevée dans l’intimité journalière de quatre personnes zélées catholiques, elle n’avait pas tardé à subir elle-même l’influence secrète du catholicisme du coin du feu, et elle était résolue à adopter la religion de ses amies aussitôt qu’elle pourrait le faire sans affliger sa mère. […] À midi, nous rentrions pour déjeuner à l’ombre plus fraîche des terrasses de la Sentinella, puis la sieste napolitaine, la musique, la peinture, abrégeaient les heures du milieu du jour ; quand le soleil baissait et que les grandes ombres dentelées de l’Epoméo se déroulaient sur les flancs de la montagne, nous parcourions, tantôt à pied, tantôt sur des mules aux pieds agiles, les sentiers escarpés de l’île, en contemplant les feux souterrains du Vésuve briller à l’horizon comme un phare tournant, tantôt visible, tantôt flamboyant sur les bords des mers aux yeux des matelots. […] Le feu doux de la passion mal éteinte illumine encore les traits où elle a resplendi. […] Plus loin, sur les confins de cette antique Europe Dans cet Éden du monde où languit Parthénope, Comme un phare éternel sur les mers allumé, Son regard voit fumer le Vésuve enflammé : Semblable au feu lointain d’un mourant incendie, Sa flamme, dans le jour un moment assoupie, Lance, au retour des nuits, des gerbes de clartés ; La mer rougit des feux dans son sein reflétés ; Et les vents agitant ce panache sublime, Comme un pilier en feu d’un temple qui s’abîme, Font pencher sur Pæstum, jusqu’à l’aube des jours, La colonne de feu, qui s’écroule toujours.

154. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire (suite et fin). »

Un esprit partagé rarement s’y consomme, Et les emplois de feu demandent tout un homme, a dit Molière. […] Il faut tenir compte des différences entre les deux amis : Bernardin de Saint-Pierre cassé, caduc et chargé de famille ; Ducis vert, plein de gaieté et de vivacité, ayant tout le feu d’un jeune homme de vingt ans, et affranchi par ses pertes mêmes de tous les soucis d’avenir. […] J’ai souvent marché seul dans la route à côté de M. de Saint-Pierre ; j’ai admiré avec lui la lune qui près de l’horizon nous envoyait une lumière rougeâtre à cause des vapeurs qui l’entouraient, et dont le reflet dans la Seine semblait une pyramide de feu élargie vers la base, et rétrécie vers le sommet… M. de Saint-Pierre nous exprimait durant la promenade son regret de n’avoir pas vingt ans de moins pour exécuter le voyage des Alpes avec nous… » « (10 pluviôse an IX, 30 janvier 1801). […] Il a tout le feu d’un jeune homme de vingt ans, et, à le voir, on ne lui en donnerait pas plus de cinquante, quoiqu’il en ait au moins soixante et dix. […] cela occuperait bien agréablement les moments que je suis forcé de rester au coin de mon feu.

155. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (4e partie) » pp. 81-143

Une vieille femme, façonnée à toute servitude, faisait le ménage et allumait le feu. […] Lui, il habitait l’espèce de loge de portier qui était dans la cour du fond, avec un matelas sur un lit de sangle, une table de bois blanc, deux chaises de paille, un pot à l’eau de faïence, quelques bouquins sur une planche, sa chère valise dans un coin, jamais de feu. […] etc. » XXV Ce livret de sainte Thérèse de l’amour profane respire le feu et le communique à l’âme de Cosette. […] Voilà l’enfant de Paris, quand on sait faire appel à son feu caché dans la fange. […] Mais, malgré l’étrangeté de cette invention du poète, cela touche, parce que cela est bon : ces pauvres enfants de la Thénardier, sans feu, sans pain et sans asile, rappellent ces couvées de petits chiens qu’on voit dans la cage des lions, réchauffés par la gueule du monstre.

156. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre premier »

Balzac avait à peine vingt ans3 quand le cardinal Duperron, sur quelques pages que Coeffeteau lui fit voir de ce jeune homme, étonné comme l’avait été Desportes des premiers vers de Malherbe, « Si le progrès de son style, dit-il, répond à si grands commencements, il sera bientôt le maître des maîtres. » Duperron et Coeffeteau admiraient dans ce jeune homme ce qui manquait à leurs écrits, de l’imagination et un certain feu d’expression dans cette sage conduite du discours, qu’il avait pu apprendre à leur école. […] Dans tous les deux je remarque un jugement plus ferme et plus sûr qu’étendu ; un esprit net et droit plutôt que vaste ; trop peu de cette sensibilité qui vient d‘une âme que les passions ont remuée, mais beaucoup de facilité à prendre feu sur les ouvrages de l’esprit. […] L’éloquence, dans les lettres de Balzac, consiste en un beau choix de pensées se rapportant à un sujet déterminé, rangées dans un ordre approprié pour persuader, et exprimées avec feu ; c’est le ton de l’éloquence plutôt que l’éloquence elle-même. […] C’était une frivolité de dire que « les malades se guérissaient à la vue des lettres de Balzac » ; que « son livre n’était guère moins connu que l’eau et le feu » ; que « c’était le philtre qui faisait aimer le français aux nations qui habitent les bords de la mer Glaciale » ; que Sénèque, auprès de Balzac, n’était que monotonie, et Cicéron que vide ; qu’il était l’empereur des orateurs, comme si le titre d’orateur, objecte judicieusement un de ses critiques, pouvait appartenir à qui n’a jamais parlé en public. […] Il faut du courage pour aller chercher quelques tours heureux et neufs, qui manquaient à notre langue et y sont demeurés, dans cette multitude de lettres « toutes pures d’amour, pleines de feux, de flèches et de cœurs navrés », dont l’auteur, selon Mlle de Bourbon, une des plus agréables précieuses de la cour, « devrait être conservé dans du sucre. » Voiture, doué d’un esprit vif et ingénieux, très goûté des princes et des gens de la cour, agréable au grand Condé et au comte duc d’Olivarès, chargé de missions diplomatiques, ayant sur Balzac, qui rêvait, dans son orgueilleuse solitude, des cours et des princes imaginaires, l’avantage de voir de très près la cour et les princes de son époque, Voiture aurait pu employer sa finesse d’esprit à pénétrer le fond de tant d’intrigues politiques, et sa plume à en écrire gravement.

157. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XII, les sept chefs devant Thèbes. »

Dans les sièges modernes, l’ennemi, tenu à distance par le feu des forts, reste invisible au peuple bloqué. […] Euripide le loue dons ses Suppliantes qui font suite aux Phéniciennes ; et quand Thésée, le héros du drame, rendant les hommages funèbres aux corps des sept Chefs qu’il a reconquis sur l’armée de Thèbes, lui fait dresser un bûcher à part, ce n’est point pour flétrir, mais pour honorer son cadavre consacré par le feu du ciel. […] Plus tard, Dante rencontre Capanée dans le septième cercle de son Enfer, celui qui renferme les « Violents », là où « pleuvent lentement sur le sable de larges flocons de feu, pareils à ceux de la neige dans les Alpes, quand il ne fait pas de vent. » Sovra tutto ’I sabbion, d’un cader lento, Piovean di fuoco dilatate falde, Come di neve in Alpe senza vento. […] Mais à la façon dont il le contourne, sous la pluie de feu, comme un colosse de Michel-Ange, — dispettoso e torto, — on sent qu’il l’admire à l’égal de Farinata degli Uberti « ce magnanime », — quel magnanimo — qu’il rencontrait au cercle d’avant, dressé hors de sa fosse ardente « comme s’il avait l’Enfer en grand mépris ». […] C’est le miracle d’ÉIie à la renverse : le quadrige du devin païen qui sombre dans les entrailles de la terre fait pendant au char de feu du prophète biblique s’envolant au ciel.

158. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur de Latouche. » pp. 474-502

Et encore : Qu’il repose un moment sur l’émail de la plaine, Où vont renaître au feu de sa féconde haleine La brune violette, amour du villageois, Et la fraise odorante aux lisières des bois. […] Dans une pièce de vers Au roitelet, qui est en grande partie une satire dirigée contre les rois (la satire, avec M. de Latouche, s’infiltre aisément partout, même dans le nid du roitelet), il nous montre les petits du gentil oiseau : ……………………… à peine éclos au jour, D’invisibles infants, qui sont ta dynastie, Aux premiers feux de mai opèrent leur sortie. […] Et si c’est là qu’on a eu son premier ami, si deux cœurs de dix-sept ans s’y sont ouverts à la fois à la curiosité des voyages et au charme des anciennes histoires, durant les causeries sans lumière près d’un feu de sarment… ! […] C’était tantôt sombre comme un feu de forge dans une forêt, tantôt léger, clair, comme un rayon au front d’un enfant. […] Il levait les épaules et la jetait dans le feu, c’est vrai… La patience minutieuse au travail était portée chez lui à un excès fatal à sa santé comme à ses succès.

159. (1769) Les deux âges du goût et du génie français sous Louis XIV et sous Louis XV pp. -532

Du Fresne mettait plus de feu dans le rolle d’Œdipe ; mais il cedait celui d’Orosmane au terrible & pathétique Lekain. […] C’est un volcan dont l’éruption est perpétuelle ; mais qui, avec du feu, vomit encore plus de rocaille & de fumée. […] Nouveau Prométhée, il dérobe le feu des cieux pour animer toute la nature. […] Panard, plein d’esprit & de feu, juste & précis, imagine vivement, écrit avec force, & peint avec vérité. […] On l’enferma à Charanton où il ne cessait de répéter ce beau chœur de Castor : Qu’au feu du tonnerre Le feu des enfers Déclare la guerre.

160. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « I » pp. 1-20

Un esprit partagé rarement s’y consomme, Et les emplois de feu demandent tout un homme. Le feu chez Voltaire fut toujours rapide. […] Voltaire s’intéressait à tout ce qui se passait dans le monde auprès de lui ou loin de lui ; il y prenait part, il y prenait feu ; il s’occupait des affaires des autres, et, pour peu que sa fibre en fût émue, il en faisait les siennes propres ; il portait le mouvement et le remue-ménage partout où il était, et devenait un charme ou un tourment. […] Ne me tentez point, ne rallumez point un feu que je veux éteindre, n’abusez point de votre pouvoir.

161. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Mémoires ou journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guetté. Tomes iii et iv· » pp. 285-303

L’année d’après nous lisons cet article, qui complète les précédents : Ce samedi 24 (juillet 1706), cet agent (l’agent des Bossuet, Cornuau) m’a envoyé le missel de Meaux, en maroquin, de feu M. de Meaux, que j’avais demandé à l’abbé Bossuet dès Paris, et qu’il ne m’avait accordé qu’à son corps défendant ; mais enfin je le tiens : il faut tirer ce qu’on peut de mauvaise paye. Avec ce missel, voilà ma chapelle complète, au moins telle quelle, venant de feu M. de Meaux ; nous verrons ce que cet abbé fera de plus quand il aura fini ses affaires, et qu’il verra ce qu’il aura de reste en ses mains. […] Après la grande salle, on entre dans le grand cabinet où se tient le bureau du secrétaire et autres officiers ; là il y avait des sièges pour les expectants et bon feu à la cheminée. […] Le grand cabinet d’audience, orné de tableaux superbes, tous de piété ou de la cour de Rome et de France, sur des tapisseries de damas violet sans or, est la dernière pièce de ce superbe appartement, destinée aux audiences publiques : des bureaux, des fauteuils, des paravents se voient à l’entour dans un grand ordre, et rien ne manque de ce qui est nécessaire à la propreté et à la magnificence ; et il y avait aussi fort bon feu.

162. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Dominique par M. Eugène Fromentin »

Le feu allumé au milieu des tentes, et près duquel les Arabes ont jusqu’à présent chuchoté, se racontant je ne sais quoi, mais assurément pas les histoires d’Antar, quoi qu’en disent les voyageurs revenus d’Orient, — le feu abandonné s’est éteint et ne répand plus qu’une vague odeur de résine qui parfume encore tout le camp ; nos chevaux ont de temps en temps des frissons amoureux, et poussent, vers une femelle invisible qui les enflamme, des hennissements aigus comme un éclat de trompette ; tandis qu’une chouette, perchée je ne sais où, exhale à temps égaux, au milieu du plus grand silence, cette petite note unique, plaintive, qui fait clou ! […] Il nous donne, dès la seconde étape, la description d’un bal arabe qui se forme peu à peu aux feux du bivouac ; cette peinture de nuit qui commence par ces mots : « Ce n’était pas du Delacroix, toute couleur avait disparu pour ne laisser voir qu’un dessin tantôt estompé d’ombres confuses, tantôt rayé de larges traits de lumière… », est du Fromentin déjà excellent. […] La vallée du Chéliff, ou plutôt la plaine inégale et caillouteuse ravinée par le Chéliff, s’offre à nous avec son caractère d’aridité surprenante ; le peintre ici se montre tout à nu et nous rend le terrain dans sa crudité géologique, comme le ferait un Saussure qui saurait colorer aussi bien que dessiner : « Imagine (il s’adresse toujours à son ami) un pays tout de terre et de pierres vives, battu par des vents arides et brûlé jusqu’aux entrailles ; une terre marneuse, polie comme de la terre à poterie, presque luisante à l’œil, tant elle est nue ; et qui semble, tant elle est sèche, avoir subi l’action du feu ; sans la moindre trace de culture, sans une herbe, sans un chardon ; — des collines horizontales qu’on dirait aplaties avec la main ou découpées par une fantaisie étrange en dentelures aiguës, formant crochet, comme des cornes tranchantes ou des fers de faux ; au centre, d’étroites vallées, aussi propres, aussi nues qu’une aire à battre le grain ; quelquefois, un morne bizarre, encore plus désolé, si c’est possible, avec un bloc informe posé sans adhérence au sommet, comme un aérolithe tombé là sur un amas de silex en fusion ; — et tout cela, d’un bout à l’autre ; aussi loin que la vue peut s’étendre, ni rouge, ni tout à fait jaune, ni bistré, mais exactement couleur de peau de lion. » Après de telles pages, on n’a plus rien à demander au peintre pour le technique de son art : il s’est traduit en prose avec un ton égal à son objet.

163. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Aloïsius Bertrand »

Louis Bertrand, ou, comme il aimait à se poétiser, Ludovic, ou plutôt encore Aloisius Bertrand, qui nous vint de Dijon vers 1828, est un de ces Jacques Tahureau, de ces Jacques de La Taille, comme en eut aussi la moderne école, mis hors de combat, en quelque sorte, dès le premier feu de la mêlée. […] Je heurtai démon bâton de houx à la porte secourable, et une jeune paysanne m’introduisit dans une cuisine enfumée, toute claire, toute pétillante d’un feu de sarment et de chènevottes. Le maître du logis me souhaita une bienvenue simple et cordiale ; sa moitié me fit changer de linge et préparer un chaudeau, et l’aïeul me força de prendre sa place, au coin du feu, dans le gothique fauteuil de bois de chêne que sa culotte (milady me le pardonne !) […] Sur le feu que soufflait l’aïeul avec ce tube de fer creux, ustensile obligé de tout foyer rustique, une chaudière se couronnait d’écume et de vapeurs au sifflement plaintif des branches d’étoc 168 qui se tordaient comme des serpents dans les flammes : c’était le souper qui cuisait.

164. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIIIe entretien. Chateaubriand, (suite) »

Quand un homme à la vie, l’habit, une chambre et du feu, les autres maux s’évanouissent. […] Un jour, il va s’asseoir au sommet d’une colline qui domine la ville et commande une vaste contrée ; il contemple les feux qui brillent dans l’étendue du paysage obscur, sous tous ces toits habités. […] Que celui que le chagrin mine s’enfonce dans les forêts ; qu’il erre sous leur voûte mobile ; qu’il gravisse la colline, d’où l’on découvre d’un côté de riches campagnes, de l’autre le soleil levant sur des mers étincelantes, dont le vert changeant se glace de cramoisi et de feu ; sa douleur ne tiendra point contre un pareil spectacle : non qu’il oublie ceux qu’il aima, car alors ses maux seraient préférables ; mais leur souvenir se fondra avec le calme des bois et des cieux : il gardera sa douceur et ne perdra que son amertume. […] Auprès d’un humble feu et d’une lumière vacillante, certain de n’être point entendu, on s’attendrit sur les maux imaginaires des Clarisse, des Clémentine, des Héloïse, des Cécilia.

165. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Mlle de Lespinasse. » pp. 121-142

Dans l’Antiquité, on a Sapho pour quelques accents et quelques soupirs de feu qui nous sont arrivés à travers les âges ; on a la Phèdre d’Euripide, la Magicienne de Théocrite, la Médée d’Apollonius de Rhodes, la Didon de Virgile, l’Ariane de Catulle. […] si feu Barère n’avait jamais rien fait de pis dans sa vie que de publier ces lettres, et s’il n’avait jamais eu de plus grosse affaire sur la conscience, nous dirions aujourd’hui de grand cœur en l’absolvant : Que la terre lui soit légère ! […] mon ami, c’est moi ; et ce malheur, c’est vous qui le causez, et cette âme de feu et de douleur est de votre création… Et à travers ces déchirements et ces plaintes, un mot charmant, le mot éternel et divin, revient à bien des endroits, et il rachète tout. […] On n’imagine pas quelles formes inépuisables elle sait donner au même sentiment : le fleuve de feu déborde à chaque pas en sources rejaillissantes.

166. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VII. Mme de Gasparin »

Talent très féminin, qui touche et qui sait plaisanter, et qui doit cacher une charmante femme, supérieure de sa personne à son talent, quand il y a tant de gens qui de leurs personnes sont plus petits, elle a l’enjouement, comme elle a les larmes, comme elle a le feu, — le feu sacré, l’étincelle pour l’encensoir. […] Dans l’auteur des Horizons prochains et des Horizons célestes, la chose sèche, arrêtée, définie, ergoteuse, qui est la protestante, se fond et se perd de plus en plus en ce dissolvant de feu qui est l’amour de Notre Seigneur Jésus-Christ, et nous espérons bien qu’elle s’y consumera tout entière. […] Pour ma part, j’ai vu peu de choses sentimentalement aussi belles, J’ai peu vu de ces langages, inouïs d’ardeur, de mouvement, d’aspiration, d’expression inspirée, poignante, navrée ou héroïque dans la douleur et dans l’amour ; j’en ai peu vu de pareils, même dans les livres, religieux ou profanes, qui passent pour les plus passionnés, pour les plus chauffés au feu des brûlantes larmes humaines.

167. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Rivarol » pp. 245-272

Voltaire ravi la comparait à un feu d’artifice perpétuel tiré sur l’eau, et Chênedollé, qui en a parlé quarante ans après l’avoir entendue, à une cascade inépuisable, éclatante et sonore, qui a ses courbes et ses arcs-en-ciel, et qui jaillit pour retomber et pour rejaillir. […] Mais la publication qu’a faite dernièrement M. de Lescure des œuvres choisies de Rivarol, a modifié beaucoup, j’en conviens, mon opinion sur l’autre gloire qui doit revenir à Rivarol, — à cet homme qui ne fut pas seulement, après tout, qu’un improvisateur sublime, le Génie spontané et prodigieux de la causerie, et chez qui la conversation, si feu du ciel et foudre qu’elle ait été, n’a pas cependant tout dévoré de ses autres supériorités. […] … Que lui, l’étincelant Rivarol, ce bel esprit dans toute la splendeur du mot, cette mitrailleuse d’épigrammes qui en faisait un feu roulant à propos de tout et partout, soit devenu journaliste à une époque où toute la France se ruait aux journaux et que les lettres françaises s’enfonçaient dans la fondrière de la politique, qui les souille toujours et qui les étouffe, c’était là un malheur, sans doute, mais ce n’est pas ce qui peut surprendre. […] Mais on savait moins que celle de Rivarol, qui semblait de feu, eût résisté froidement à l’universel vertige et qu’il lui eût opposé, sur le bord même du gouffre, un front aussi beau et aussi impassible que le front de Séraphita sur la cime du Falberg !

168. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Dédicace, préface et poème liminaire de « La Légende des siècles » (1859) — La vision d’où est sorti ce livre (1857) »

Ce rêve était l’histoire ouverte à deux battants ; Tous les peuples ayant pour gradins tous les temps ; Tous les temples ayant tous les songes pour marches ; Ici les paladins et là les patriarches ; Dodone chuchotant tout bas avec Membré ; Et Thèbe, et Raphidim, et son rocher sacré Où, sur les juifs luttant pour la terre promise, Aaron et Hur levaient les deux mains de Moïse ; Le char de feu d’Amos parmi les ouragans ; Tous ces hommes, moitié princes, moitié brigands, Transformés par la fable avec grâce ou colère, Noyés dans les rayons du récit populaire, Archanges, demi-dieux, chasseurs d’hommes, héros Des Eddas, des Védas et des Romanceros ; Ceux dont la volonté se dresse fer de lance ; Ceux devant qui la terre et l’ombre font silence ; Saül, David ; et Delphe, et la cave d’Endor Dont on mouche la lampe avec des ciseaux d’or ; Nemrod parmi les morts ; Booz parmi les gerbes ; Des Tibères divins, constellés, grands, superbes, Étalant à Caprée, au forum, dans les camps, Des colliers que Tacite arrangeait en carcans ; La chaîne d’or du trône aboutissant au bagne. […] Et sur la vision lugubre, et sur moi-même Que j’y voyais ainsi qu’au fond d’un miroir blême, La vie immense ouvrait ses difformes rameaux ; Je contemplais les fers, les voluptés, les maux, La mort, les avatars et les métempsycoses, Et dans l’obscur taillis des êtres et des choses Je regardais rôder, noir, riant, l’œil en feu, Satan, ce braconnier de la forêt de Dieu.

169. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Léon Bloy »

Il n’a pas mis servilement son pied dans l’ornière lumineuse d’un sujet où le char de feu d’un grand talent avait déjà passé. […] Car c’est un esprit de feu, composé de foi et d’enthousiasme, que ce Léon Bloy inconnu, qui ne peut plus l’être longtemps après le livre qu’il vient de publier… Pour ma part, parmi les écrivains catholiques de l’heure présente, je ne connais personne de cette ardeur, de cette violence d’amour, de ce fanatisme pour la vérité.

170. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre II, grandeur et décadence de Bacchus. »

Né dans une coupe, comme il convenait à sa destinée, il personnifia la libation des sacrifices mêlée au feu — Agni — qu’elle alimente, ne faisant plus qu’un avec lui, allant porter au ciel, dans un tourbillon d’étincelles, les prières de l’homme et sa propre essence que boiront les dieux. […] Sémélé veut que l’Olympien descende sur le lit nuptial, dans l’appareil de sa gloire ; il s’y abat éblouissant de rayons, embrasé de foudres ; la femme est consumée par l’amant de feu. […] Sémélé, c’est la terre végétale fécondée par le dieu de l’air d’où s’écoulent les pluies du printemps, calcinée ensuite par les feux et les tonnerres de l’été. […] Il les refait à son image, il y répand un souffle de vertige, un feu de luxure. […] En place des taureaux et des faons que dépeçaient les Bacchantes, les sorcières saignent des enfants volés, et les font cuire à grand feu, dans la marmite de leurs enchantements.

171. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — II. (Suite.) » pp. 147-161

Parlant des honnêtes gens, des gens bien intentionnés et sincères qui se trouvèrent d’abord jetés de part et d’autre dans les deux camps : Et c’est ainsi que Dieu travaille, a dit lui-même le président Jeannin, quand il veut nous châtier sans nous perdre, quand il ne veut pas que la guerre finisse par le feu, le sang, la désolation générale, la ruine entière et le changement d’un État. […] Et le rôle de ces derniers est alors de tempérer autant qu’ils peuvent, de détourner et de rompre les mauvais desseins de ceux qui attisent toujours le feu avec l’épée et qui jettent le vinaigre sur les plaies. […] Le président Jeannin, vieux et malade, toujours généreux et plein de cœur, courait aux négociations, à ce champ de bataille pacifique qui était le sien, comme le guerrier va au feu, comme César courait à ses légions, malgré les vents et les flots et en méprisant les tempêtes.

172. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Étude sur la vie et les écrits de l’abbé de Saint-Pierre, par M. Édouard Goumy. L’abbé de Saint-Pierre, sa vie et ses œuvres, par M. de Molinari. — I » pp. 246-260

J’allais au cours d’anatomie de feu M. du Verney ; j’allais au cours de chimie de feu M.  […] J’allais consulter le feu père Malebranche, et lui faire des objections sur quelques endroits de ses ouvrages.

173. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Joséphin Soulary »

L’un est morne : il conduit le cercueil d’un enfant ; Une mère le suit, presque folle, étouffant Dans sa poitrine en feu le sanglot qui la brise. […] Voyez que de mots inutiles : En feu…, qui la brise…, qui le défend…, qu’il épuise ! […] »… Et, pour abréger, Alexandre, vexé de l’indifférence de Sutor, met le feu à Persépolis : Le grand roi se vengeait d’un cordonnier coupable De ne l’avoir pas regardé !

174. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Premiere partie. » pp. 12-34

C’est aux feux étincelans & legers que dresse l’artifice à recréer les yeux de l’enfance dans l’enceinte des Villes ? […] Cette étendue d’esprit, cette force d’imagination, cette activité d’ame, ne donnent-elles pas plus de prise à ce feu qui semble d’autant plus redoutable qu’on ose le combattre, & ne voila-t-il pas cet homme si orgueil, leux de sa sagesse, esclave comme un autre ; non. Nos passions ne sont tyranniques qu’autant que nous les carressons, c’est notre foiblesse qui fait leur amorce, c’est notre complaisance qui les déifie ; l’oisiveté les nourrit, les enflamme, l’amour du travail les enchaîne, les amortit ; la dissipation augmente leur délire, étend leur racines ; la raison affoiblit l’enchantement ; & les beaux rayons de la gloire viennent enfin par leur éclat faire pâlir ces feux mensongers, comme à l’approche d’un jour pur se dissipent les horreurs d’un incendie qui jettoit une lueur affreuse parmi les ténébres.

175. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVII. Forme définitive des idées de Jésus sur le Royaume de Dieu. »

Au grand jour, éclatera dans le ciel le signe du Fils de l’homme ; ce sera une vision bruyante et lumineuse comme celle du Sinaï, un grand orage déchirant la nue, un trait de feu jaillissant en un clin d’œil d’Orient en Occident. […] On y avait pratiqué à diverses époques le culte du feu, et l’endroit était devenu une sorte de cloaque. La Géhenne est donc dans la pensée de Jésus une vallée ténébreuse, obscène, pleine de feu.

176. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — I. La Poësie en elle-même. » pp. 234-256

Personne n’a poussé la prévention, à cet égard, plus loin que le feu roi de Prusse, qui certainement n’avoit lu ni Platon, ni le père Lamy : tout poëte lui étoit un objet odieux*. […] Ils maintiennent la poësie assez riche de son propre fonds, assez abondante par elle-même pour fournir à l’imagination, à l’enthousiasme, à ce feu rapide & divin qui décèle le génie. […] Sa frivolité, son amour pour le plaisir, le feu de son imagination, le rendoient incapable de toute étude serieuse & suivie.

177. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Ce que tout le monde sait sur l’expression, et quelque chose que tout le monde ne sait pas » pp. 39-53

Si vous perdez le sentiment de la différence de l’homme qui se présente en compagnie, et de l’homme intéressé qui agit, de l’homme qui est seul, et de l’homme qu’on regarde, jetez vos pinceaux dans le feu. […] Dans une imagination forte, dans les auteurs, dans les nuages, dans les accidents du feu, dans les ruines, dans la nation où ils ont recueilli les premiers traits que la poésie a ensuite exagérés. […] Si notre religion n’était pas une triste et plate métaphysique ; si nos peintres et nos statuaires étaient des hommes à comparer aux peintres et aux statuaires anciens : j’entends les bons, car vraisemblablement ils en ont eu de mauvais et plus que nous, comme l’Italie est le lieu où l’on fait le plus de bonne et de mauvaise musique ; si nos prêtres n’étaient pas de stupides bigots ; si cet abominable christianisme ne s’était pas établi par le meurtre et par le sang ; si les joies de notre paradis ne se réduisaient pas à une impertinente vision béatifique de je ne sais quoi qu’on ne comprend ni n’entend ; si notre enfer offrait autre chose que des gouffres de feux, des démons hideux et gothiques, des hurlements et des grincements de dents ; si nos tableaux pouvaient être autre chose que des scènes d’atrocités, un écorché, un pendu, un rôti, un grillé, une dégoûtante boucherie ; si tous nos saints et nos saintes n’étaient pas voilés jusqu’au bout du nez ; si nos idées de pudeur et de modestie n’avaient proscrit la vue des bras, des cuisses, des tétons, des épaules, toute nudité ; si l’esprit de mortification n’avait flétri ces tétons, amolli ces cuisses, décharné ces bras, déchiré ces épaules ; si nos artistes n’étaient pas enchaînés et nos poètes contenus par les mots effrayants de sacrilège et de profanation ; si la Vierge Marie avait été la mère du plaisir ; ou bien, mère de Dieu, si c’eût été ses beaux yeux, ses beaux tétons, ses belles fesses qui eussent attiré l’Esprit Saint sur elle, et que cela fût écrit dans le livre de son histoire ; si l’ange Gabriel y était vanté par ses belles épaules ; si la Magdelaine avait eu quelque aventure galante avec le Christ ; si aux noces de Cana le Christ entre deux vins, un peu non-conformiste, eût parcouru la gorge d’une des filles de noces et les fesses de saint Jean, incertain s’il resterait fidèle ou non à l’apôtre au menton ombragé d’un duvet léger : vous verriez ce qu’il en serait de nos peintres, de nos poètes et de nos statuaires ; de quel ton nous parlerions de ces charmes qui joueraient un si grand et si merveilleux rôle dans l’histoire de notre religion et de notre Dieu, et de quel œil nous regarderions la beauté à laquelle nous devrions la naissance, l’incarnation du Sauveur, et la grâce de notre rédemption.

178. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VI. »

La plus grande merveille du génie grec, c’est que ce feu, longtemps unique sur un seul point du monde, étincelait de plusieurs foyers, épars à courte distance et variés dans leur éclat. […] On envie Horace d’avoir pu dire : « Ils vivent encore les feux confiés à la lyre de la jeune Éolienne : … Spirat adhuc amor, Vivuntque commissi calores Æoliæ fidibus puellæ70, et de ces feux on retrouve encore quelques rayons épars dans les décombres des scoliastes.

179. (1825) Racine et Shaskpeare, n° II pp. -103

Lanfranc, pour se dépiquer une nuit qu’il est au désespoir, fait un pamphlet plein de verve et de feu sur les contrariétés et les ridicules qu’il a rencontrés depuis deux mois, (le pamphlet est la comédie de l’époque). Mais cette verve et ce feu sont du poison, comme dit Paul-Louis Courier, et ce poison le conduit droit à Sainte-Pélagie. […] Or, si cette pièce manque de feu et de génie, elle sera bien plus ennuyeuse qu’une comédie classique qui, à défaut de plaisir dramatique, donne le plaisir d’ouïr de beaux vers. […] Nos grands-pères étaient attendris par l’Oreste d’Andromaque, joué avec une grande perruque poudrée, et en bas rouges avec des souliers à rosette de rubans couleur de feu. […] Walter Scott a évité la haine impuissante dans Waverley, en peignant des feux qui ne sont plus que de la cendre.

180. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Alfred de Vigny. »

aurais-je pu répondre tout le premier à M. de Vigny ; poète à mes débuts, je l’ai trop éprouvé : j’y ai perdu de bonne heure non mon feu, mais mes ailes. […] Il se sent même, dans ce dernier, un feu et un mordant qui le rend bien autrement vivant que les deux autres. […] Il est un feu sacré d’une nature particulière qui, chez quelques mortels privilégiés, accompagne et rehausse l’étincelle commune de la vie. Par malheur, ce feu divin, chez tous ceux qu’il visite, est loin d’embrasser et d’égaler la durée de la vie elle-même. […] Il en est très peu que le feu divin illumine durant toute une longue carrière, ou chez qui il se change du moins et se distribue en chaleur égale et bienfaisante pour donner aux divers âges humains toutes leurs moissons.

181. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe » pp. 81-160

Quelques jours après, pendant que le père de Goethe se faisait raser dans le salon, Goethe et sa sœur se récitaient l’un à l’autre, au coin du feu, à demi-voix, les amours d’Abbadonna et de Satan. […] Ce livre était plein cependant de puérilités qui touchaient au ridicule, de naïvetés qui touchaient à la niaiserie, de germanismes de mœurs qui touchaient à la caricature ; c’est vrai, mais le feu y était. […] Notre ménage est petit, encore faut-il s’en occuper ; il faut faire le feu, préparer les aliments, balayer, tricoter et coudre, et courir ici et le soir et le matin. […] Ce n’est pas en vain que tu as tourné vers moi ton visage à travers le feu ! […] Grotesque ébauche de boue et de feu !

182. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1874 » pp. 106-168

Année 1874 1er janvier 1874 Je jette dans le feu l’almanach de l’année passée, et les pieds sur les chenets, je vois noircir, puis mourir dans le voltigement de petites langues de feu, toute cette longue série de jours gris, dépossédés de bonheur, de rêves d’ambition, — de jours amusés de petites choses bêtes. […] La carcasse de la pièce faite, les cloisons soudées, l’ouvrier, sur le pas de sa porte, a devant lui un plat de feu, une espèce de four de campagne, dans lequel il cuit et recuit l’émail, une trentaine de fois, soufflant son feu, à grands coups d’éventail. […] Un hôtel où l’on est servi par de jolies prostituées travesties en virginales Suissesses, et où, après dîner, l’on vous gratifie d’une vraie cascade, illuminée de feux de bengale. […] C’est curieux, tout ce feu, toute cette exubérance tout ce diable au corps, toute cette activité violente, s’étaient envolés de mon individu, quand je revins, l’année suivante. […] Lundi 30 novembre Le bonheur de rentrer dans son chez soi de banlieue, de s’enfermer au milieu du dos de ses livres, des reflets de ses bronzes, des éclairs de ses porcelaines, du chatoiement de ses tapis, et de ses portières ; le bonheur, à la clarté d’un feu de bois, à la lumière douce donnée par une lampe de l’ancien système, de corriger des épreuves, en remuant des bouquins, en ouvrant des cartons, en feuilletant des gravures : — cela à la fois dans le silence et la plainte d’un vent de campagne.

183. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIe entretien. Littérature italienne. Dante. » pp. 329-408

On sema le feu sur les édifices, la cendre sur le sol, le sel sur la cendre, pour empêcher les vieilles superstitions et les vieilles philosophies de regermer jamais de leurs racines. […] On sait le sort de la bibliothèque d’Alexandrie, incendiée dans un feu de six mois par l’ordre du patriarche Théophile, qui ne laissa rien à faire à Omar. […] Le feu de l’étude le consuma avant l’âge, et il expira sur la route en se rendant en 1274 au concile de Lyon. […] On trouve la peine trop faible pour ses prétendus crimes ; un second jugement populaire le condamne à mourir par le feu ! […] Le poème s’ouvrait aux portes de l’Éden et se terminait à la fin de la terre par l’explosion du globe, rendant toutes ses âmes purifiées, divinisées par la miséricorde de Dieu, et lançant ses gerbes de feu dans le firmament comme les flammèches d’un bûcher qui se consume lui-même après l’holocauste accompli.

184. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXe entretien. Dante. Deuxième partie » pp. 81-160

Il décrit d’abord, en vers qui frissonnent, l’ouragan glacé par lequel sont éternellement fouettées et entraînées dans un océan tumultueux de frimas les ombres dont le feu de l’amour ici-bas consuma les sens et les âmes. […] VII Sapho, dans sa strophe de feu, n’a rien de plus incendiaire que ces deux amants seuls avec ce livre complice qui interprète leur silence, que ce baiser involontaire qui les égare, et enfin que ce supplice changé en félicité amère par le souvenir de leur séparation sur la terre et par le sentiment de leur indivisibilité dans le châtiment. […] Les feux conversent, les flammes chantent ; le poète lui-même, interrogé sur la foi, répond des choses plus dignes du pédantisme de l’école que des évidences célestes dans lesquelles il nage. […] » XXV En effet, jusqu’à la fin du dernier chant, son poème, sans action, sans drame, et par conséquent sans dénouement, n’est plus qu’un éblouissement d’étincelles, de feux, de flammes, de lueurs, d’ailes, de fleurs volantes, de trinités lumineuses, resplendissantes dans une seule étoile, de visages rayonnants d’auréoles, de cercles inférieurs se fondant dans d’autres cercles supérieurs, comme les plans superposés de bienheureux échelonnés par tous les peintres d’apothéoses dans les dômes des cathédrales ; saint Bernard, la Vierge Marie, Rachel, Sara, Rebecca, Judith, saint Jean, saint Benoît, saint Augustin, saint Pierre, sainte Anne, Ésaü, Jacob, Moïse, sainte Lucie, patronne de Palerme, y chantent des Hosanna éternels. […] Et l’une par l’autre paraissait se réfléchir comme Iris dans une autre Iris, et le troisième ressemblait à un feu qui rayonne également d’ici et de là !

185. (1890) Derniers essais de littérature et d’esthétique

Si admirables que soient sur la toile les feux d’artifice de Whistler, ses feux d’artifice en prose ont de la brusquerie, de la violence, de l’exagération. […] Mistress Parkinson ne veut pas entendre parler de mariage jusqu’au jour où feu l’Alderman se sera matérialisé et aura donné son consentement formel. […] Swinburne mit jadis en feu ses contemporains par un volume de très parfaite et très vénéneuse poésie. […] Plus tranchant que le fil d’une épée, plus brûlant que le feu, tombe en plein sur les navires qui plongent. […] Il nous a lassés par sa monotonie  : Feu et Mer, voilà les deux mots qu’il a toujours sur les lèvres.

186. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — III » pp. 132-153

Il nous faudrait des chefs qui nous éduquassent mieux, qui eussent donner l’essor à nos mouvements, qui laissassent aller nos saillies pour mettre les esprits dans l’habitude d’un mouvement noble et d’un feu qui les élèverait, et rétablirait le génie et le goût comme dans le beau siècle de Louis XIV, et peut-être mieux ; des chefs qui récompenseraient à propos et ne puniraient les Français que par la privation des grâces, seule façon de diriger les gens à talents. […] — Je l’ai dit une fois à feu M. le chancelier (d’Aguesseau), qu’il se damnait sans y penser, par sa haine contre Voltaire. […] Il a bien jugé les autres et s’est mal jugé lui-même ; il s’est éloigné de son bonheur, et est plutôt le juif errant que le philosophe Socrate, il est tout nerf et tout feu ; il est malheureux pour lui, et délicieux pour ses lecteurs. […] Il y a sans doute une part à faire à la boutade dans ces notes écrites pour soi seul dans le feu d’une lecture, mais le trait fondamental est manifeste : « Je ne sais pas bien nos lois, dit-il quelque part, mais je sais mieux qu’un autre comment elles devraient être. » Il méditait lui-même un grand ouvrage dont on a les matériaux, et dont le titre devait être : Les Lois de la société en leur ordre naturel.

187. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Souvenirs militaires et intimes du général vicomte de Pelleport, publiés par son fils. » pp. 324-345

Quel nom de chef trouver pour personnifier ces races pures dont le propre est précisément de se sacrifier, de s’effacer, de se tenir au second rang partout, hormis quand on est au feu, et de n’avoir rien d’éclatant ? […] En traversant le midi de la France, il y rencontre la réaction dans tout son feu : Les terroristes et les thermidoriens se disputaient le pouvoir ; les royalistes, malgré la paix de Bâle et les désastres de Quiberon, conservaient leurs espérances ; chaque parti se plaignait de l’armée parce qu’elle restait étrangère aux passions et aux intérêts de tous ; elle commençait à jouer son rôle : elle restait froide au milieu de ce brouhaha politique. […] Nous eûmes de nombreuses salves d’artillerie, des feux d’artifice et des illuminations. […] Ici laissons-le parler comme nous avons fait si volontiers jusqu’à présent ; il n’est point d’analyse qui puisse équivaloir aux propres paroles, à la fois si contenues et si dignes de réflexion, d’un si brave et si loyal témoin : Le général Compans se retirait sur la butte de Chaumont après avoir vaillamment défendu le pré Saint-Gervais, et la cavalerie et l’artillerie des deux corps d’armée se surpassaient par la vivacité de leurs charges et de leur feu.

188. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

« Trêve de descriptions sur mes jouissances d’amour-propre ; ce qui vaut mieux que ces fadaises, c’est que l’amiral Lalande, homme charmant par ses manières d’une part et ravissant par son amour pour les arts, sachant que j’avais un tableau à faire de la prise de Lisbonne, m’a fait faire à notre bord un branle-bas de combat à feu dans les conditions voulues pour ce que j’avais à représenter. Quand même je saurais écrire, il me serait impossible de te donner une idée de tout ce que j’ai éprouvé dans cette grande boîte à quintessence de mort, lançant de toutes parts sur l’eau ses mille langues de feu et obscurcissant le beau ciel bleu d’Orient par des tourbillons de fumée… Chère Louise ! […] je ne vois que des maisons de bois et des espèces de grosses tourtes entourées plus ou moins de chandelles qu’on appelle mosquées et minarets, mais rien de ce pittoresque, rien de cette originalité de cette belle Syrie, rien de cette brutalité de l’homme qui donne du charme et fait ressortir les œuvres de la civilisation ; tout est rond, tout est mou, c’est le sérail de la pensée ; enfin je me sens énervé, et il ne faudrait pas longtemps pour que mes idées prissent du ventre comme tous les vilains Turcs que je rencontre dans les rues. » Et dans un mouvement lyrique relevé de jurons militaires, il se met tout d’un coup à les apostropher, à les traiter comme à une descente de barrière on traiterait des Turcs de mardi gras ; c’est tout un feu d’artifice d’injures qui se couronne par un bouquet en faveur des Arabes : « Chers Arabes, votre pou, votre puce (quoique souvent incommode), valent mieux que les parfums de vos indignes ennemis !  […] Voilà ce que c’est que le combat de plusieurs idées dominantes dans une tête de peintre : chacune veut sortir la première ; le bec d’une plume n’est pas large ; la foule se presse à la porte pour sortir, comme d’une salle de spectacle où l’on crie au feu !

189. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français et de la question des Anciens et des Modernes »

Mais je crois, en effet, que les choses humaines sont emportées de plus en plus dans un courant qui les sépare à jamais, et par tout un abîme, du goût et de l’esprit littéraire de l’Antiquité, et qu’il n’y aura dans l’avenir qu’une rare élite à qui il sera donné de conserver la tradition intacte, de préserver le feu sacré et le flambeau. […] Il s’adresse avec un regard de satisfaction à l’objet insensible de ses feux, mais dont il se voit vengé, car il a suffi d’une ou de deux saisons pour lui ôter sa grâce première : « Tu te souviens sans doute, tu te souviens que je t’ai dit cette parole sacrée : La jeunesse est la plus belle chose, et la jeunesse est aussi la plus fugitive ; le plus rapide des oiseaux dans l’air ne vole pas plus vite que la jeunesse. […] Les habiles critiques qui ont étudié et éclairé ses œuvres ont remarqué combien, en cela, il fut peu favorisé du sort, combien sa faculté poétique ne rencontra guère que de chétives occasions, et ils ont répondu pour lui, et à sa décharge, en alléguant l’exemple de Martial, à qui l’on demandait, sur des riens, des épigrammes pleines de feu : « Tu me demandes, ô Cæcilianus, des épigrammes toutes piquantes et toutes vives, et tu ne m’offres que des thèmes froids et morts. […] Qu’un nid vide te recouvre et t’abrite, une masure que réchauffe un petit feu flambant, quand même tu n’y aurais qu’un pain commun, d’une farine mal blutée, pétrie de tes mains dans une pierre creuse, et pourvu que tu y aies encore et du pouliot, et du thym, et de ce gros sel amer si doux à mêler aux aliments. » Enfin l’on a son Épitaphe, composée par lui en perspective de sa mort prochaine ; on est loin ici du bonheur champêtre de cet autre vieillard de Tarente que nous a montré Virgile.

190. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Jean-Bon Saint-André, sa vie et ses écrits. par M. Michel Nicolas. (suite et fin.) »

Sorti de cette Convention dont il avait respiré le feu d’enfer et dont il exhalait avec exaltation l’esprit et la flamme, il se vit transplanté tout aussitôt hors de France, en Orient, et il ne prit aucune part aux intrigues et à la dissolution du Directoire. […] Pour cela il fit diligence ; il fallait tailler en partie la route dans le roc : le commissaire général ordonna les travaux, mit lui-même le feu à la première mine, amorça la route et ne prévint qu’alors le ministre, qui fut deux jours sans oser en parler au premier Consul. […] On raconte (et feu le chancelier Pasquier faisait ce récit fort vivement) qu’un jour, à une entrée de troupes, vers 1808, il y eut dans un faubourg de Mayence un grave désordre ; le préfet envoya aussitôt au maréchal Victor, commandant le corps d’armée, pour se plaindre et demander justice des soldats qui avaient vexé et violenté les habitants. […] Le feu de la Montagne et le nombre de morts et de blessés, parmi lesquels je déplore la perte de mon capitaine de pavillon, de l’agent comptable maritime et de la moitié de mes officiers et trois cents hommes enfin de mon équipage, tant tués que blessés, prouveront à la République entière que les événements seuls ont causé le résultat malheureux de cette journée.

191. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. J. J. AMPÈRE. » pp. 358-386

Ampère se jeta avec tout le feu de ces années d’assaut et d’avant-garde ; mais, par la forme même de ses projets et de ses ébauches, il dénota tout d’abord son instinct des grands ouvrages et des longues entreprises. […] Le bon goût spirituel règle l’exécution ; mais ce n’est qu’ardeur et feu dans la recherche. […] Dans leurs cellules rigoureuses, dans ces chambres sans feu, même l’hiver172, les doctes religieux, le front baissé, s’appliquaient sans art à une besogne excellente : se seraient-ils permis même une fleur ? […] on raconte que dom Rivet, dans les derniers mois de sa vie, fut atteint d’une toux qui le força de prendre une chambre à feu : ce fut le seul adoucissement qu’il s’accorda 173.

192. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIe Entretien. Chateaubriand »

C’était comme le murmure lointain du vent dans les bois, qui vous frappe l’oreille avec les bruissements des feuillages et qui vous dit : « Tu es seul, tu es mélancolique ; resserre ton cœur ; jouis de ta solitude et de ta tristesse, et laisse les autres jouir du bruit qu’ils font ; ce qui t’attend ce soir vaut mieux que ce vain tumulte. » IV Quand mon ami, avant d’aller dans le monde, entrait un moment dans ma chambre pour étaler son costume devant ma cheminée, je le regardais en souriant d’une certaine pitié sans envie, et je lui disais : « Va te montrer, mais voici l’heure où, quand tu seras parti, je m’isolerai dans mon manteau ; je me glisserai sans bruit le long des murailles et j’irai attendre, sur le quai du Louvre, qu’une lumière solitaire s’allume, entre deux persiennes, pour m’annoncer que le dernier visiteur est retiré du salon, et pour laisser place à l’ami inconnu qui rôde dans le voisinage, comme l’âme cherchant son corps et n’en voulant point d’autre dans la foule de ceux qui ne sont pas nés. » V Il sortait, et je restais seul au coin de mon feu, un livre à la main, jusqu’à ce que la cloche de Saint-Roch sonnât onze heures, et que ce même onzième coup sonnât de l’autre côté de la Seine, dans un cœur qu’il faisait transir ou frissonner. […] Auprès d’un humble feu et d’une lumière vacillante, certain de n’être point entendu, on s’attendrit sur les maux imaginaires des Clarisse, des Clémentine, des Héloïse, des Cécilia. […] C’étaient ensuite mille autres questions sur l’état de mon cœur : elles me demandaient si j’avais vu une biche blanche dans mes songes, et si les arbres de la vallée secrète m’avaient conseillé d’aimer. » Cependant Atala apparaît pour la première fois à Chactas : « Une nuit que les Muscogulges avaient placé leur camp sur le bord d’une forêt, j’étais assis auprès du feu de la guerre avec le chasseur commis à ma garde. […] Des pleurs roulaient sous sa paupière ; à la lueur du feu un petit crucifix d’or brillait sur son sein.

193. (1887) Discours et conférences « Rapport sur les prix de vertu lu dans la séance publique annuelle de l’Académie française »

« L’enfant de feu », comme l’appelle madame Gros, était dans l’école un véritable fléau, par l’abus qu’il faisait de sa force sur ses camarades. […] On désespérait d’arrêter le feu, car la pompe du bord, quoique donnant avec force, ne pouvait être bien dirigée. […] Joachim Fontaine, maître porion aux mines de Liévin (Pas-de-Calais), a sauvé la vie à seize personnes, surprises par des éboulements ou atteintes par le feu grisou. […] Songez à Sfax, à cette poignée de braves jetés sur une plage de boue et de feu ; partout les ruses cachées du désespoir, les embûches du fanatisme, et, au milieu de cet enfer, un nombre imperceptible de soldats, de marins, courant où les mène la voix de leurs chefs, car le chef, est pour eux la patrie, le devoir.

194. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — II. (Suite.) » pp. 23-46

Tel, on le voit, tel vivait le duc de Raguse pendant la seconde moitié de la Restauration, oubliant peu à peu ses disgrâces, très aimé de ses amis, absous et plus qu’absous de tous ceux qui rapprochaient, et qui lisaient à nu dans cette nature vive, mobile, sincère, intelligente, bien française, un peu glorieuse, mais pleine de générosité et même de candeur (le mot est d’un bon juge, et je le reproduis) ; piquant d’ailleurs de parole, pénétrant dans ses jugements, parlant des hommes avec moquerie ou enthousiasme, des choses avec intérêt, avec feu et imagination, parfaitement séduisant en un mot, comme quelqu’un qui n’est pas toujours froidement raisonnable. […] Une société qui a épuisé son feu et qui a vu en face les dangers, se présente tout autre qu’une société confiante en la théorie et qui a oublié l’expérience. […] Mais on était très préoccupé alors de n’être point agresseur, et il fut dit et redit qu’on dissiperait les rassemblements, qu’on détruirait les barricades, et qu’on ne riposterait au feu que si l’on était attaqué. […] Laffitte, celui même qui avait parlé si vivement pour les Bourbons le soir du 30 mars 1814 dans le salon du maréchal, rue Paradis-Poissonnière, s’adressant à lui encore, lui dit : « Monsieur le maréchal, nous venons nous adresser à un général qui a le cœur français, pour lui demander de faire cesser l’effusion du sang. » Le maréchal répondit qu’il était prêta arrêter le feu des troupes si les hostilités cessaient du côté des habitants.

195. (1694) Des ouvrages de l’esprit

Montrez-leur un feu grégeois qui les surprenne, ou un éclair qui les éblouisse, ils vous quittent du bon et du beau. […] Il n’a manqué à Molière que d’éviter le jargon et le barbarisme, et d’écrire purement : quel feu, quelle naïveté, quelle source de la bonne plaisanterie, quelle imitation des mœurs, quelles images, et quel fléau du ridicule ! […] Les esprits vifs, pleins de feu, et qu’une vaste imagination emporte hors des règles et de la justesse, ne peuvent s’assouvir de l’hyperbole. […] Ces ouvrages ont cela de particulier qu’ils ne méritent ni le cours prodigieux qu’ils ont pendant un certain temps, ni le profond oubli où ils tombent, lorsque le feu et la division venant à s’éteindre, ils deviennent des almanachs de l’autre année.

196. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Loutherbourg » pp. 258-274

L’ordonnance de ce combat de mer différera de peu de l’ordonnance du combat de terre ; tant ce technique ou la manière de pyramider du centre de la toile vers le fond est bornée. à droite, dans la demi-teinte, ainsi qu’à l’un des deux combats précédens, vaisseau et combattants dont les armes à feu sont dirigées vers un autre bâtiment qui fait le sommet de la pyramide et la masse principale. […] L’artiste semble s’être proposé à peu près le même local et les mêmes objets à éclairer de toutes les lumières différentes qu’il s’agit de distinguer avec du blanc, du brun et du bleu ; il n’a oublié que le feu. […] Dans la bataille sur terre, son morceau de réception, le coup de canon, ou plutôt ce ciel, cette fumée teinte d’un feu rougeâtre, est bien ; le cheval blanc dessiné à ravir, belle croupe, tête pleine de vie ; l’animal et le cavalier vont tomber : le cavalier se renverse en arrière ; il a abandonné ses armes ; son cheval est sur la croupe ; les armes sont faites avec précision, et il y a là un tact tout particulier. […] En lui pardonnant sa manière de pyramider, sa disposition est bien entendue, les groupes s’y multiplient sans confusion ; sa couleur est forte, les effets d’ombres et de lumières sont grands ; ses figures noblement et naturellement dessinées, leurs attitudes variées ; ses combattans bien en action, ses morts, ses mourans, ses blessés bien jettés, bien entassés sous les pieds de ses chevaux ; ses animaux vrais et animés ; ce sont des bataillons rompus, des postes emportés, un feu perçant à travers les rougeâtres tourbillons de la poussière et de la fumée ; du sang, du carnage, un spectacle terrible. à l’une de ses tempêtes sa mer est trop agitée aux parties éloignées du tableau.

197. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pommier. L’Enfer, — Colifichets. Jeux de rimes. »

Sans ses ennemis politiques, sans ces papes qu’il osait damner, ne croyant pas que ce fût assez de les insulter et de les maudire, Dante, ce Juvénal du Moyen Age, ce pamphlétaire plus grand que Tacite, auquel des critiques qui ressemblent un peu aux petits garçons de Florence ont voulu donner l’air inspiré d’un prophète revenant de l’autre monde, tandis qu’il est un homme du temps, se possédant fort bien, au contraire, et tenant d’une main très-froide son stylet de feu, Dante n’aurait jamais songé à enfoncer son profond regard, fait pour juger les hommes et leur commander, dans cette conception de l’enfer, dont la vision pour lui se mêle à d’autres rêves et qu’il a faussée au profit de ses haines et sous le coup de ses douleurs. […] Son enfer charnel et palpable, son enfer de glace et de feu aurait pu joindre des caractères plus affreux encore au caractère de ces tortures que l’incroyable poète nous retrace avec un relief si effrayant. […] L’enfer de feu, dans son intensité dévorante et les cent mille formes de son dévorement, aurait gagné en sublimité de désolation, si, par exemple, l’absence de lumière et l’invisibilité des uns pour les autres avaient été dans la sensation des damnés. […] buvez du feu !

198. (1889) La bataille littéraire. Première série (1875-1878) pp. -312

Il s’assit devant le feu et regarda. […] Il n’y a de feu nulle part… Que faire de tout cela ? […] — Vite, couche-toi, me dit Vitalis pendant que la servante allumait le feu. […] — Le feu, vite ! […] » J’ai ouvert la fenêtre et j’ai senti, en effet, beaucoup de fumée, mais je n’ai pas vu de feu.

199. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Harmonies poétiques et religieuses — I »

Éclair brillant et pur du feu qui nous anime, Étincelle ravie au grand foyer des cieux ! Char de feu qui, vivants, nous porte au rang des dieux !

200. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Harmonies poétiques et religieuses — II »

Les nuages et la nuit couvrent presque tout le ciel ; il n’y a plus qu’à l’occident, à l’endroit où le soleil vient de sombrer dans la mer, une seule porte éclatante, une arche de feu où tout se précipite et va s’engloutir, jour, nuées, aquilons, poussière, écume, et l’âme du poète. […] La vie de campagne, la vie patriarcale de famille dans ces belles provinces qu’arrose la Saône, les hautes herbes qui ploient sous l’aquilon, les bois dont le murmure et l’ombre sont au maître, les entretiens des pâtres autour des feux allumés, ces rayons de soleil couchant sur les fléaux, les socs de charrue et les gerbes des chars, ces ombres allongées des moulins monotones, toutes ces douces géorgiques de notre France ont une beauté forte et reposée qui égale à nos yeux la splendeur blanchissante du Golfe de Gênes et les autres tableaux enchantés que l’Italie a inspirés au poète.

201. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Bayle, et Jurieu. » pp. 349-361

Il écrivit & parla comme le devoit faire un homme emporté par une imagination qui prenoit feu sur tout & ne se repaissoit que de chimères ; un homme qui ne voyoit en Europe que révolutions & que carnage ; qui brigua d’être à la tête des fanatiques de son parti ; qui se mêla de présages, de miracles, de prophéties ; qui prédit qu’en l’année 1689 le calvinisme seroit rétabli en France ; qui se déchaîna contre toutes les puissances de l’Europe, & qui porta la fureur jusqu’à faire frapper des médailles qui éternisent sa démence & sa haine contre Rome & contre sa patrie. […] Le feu de l’imagination déréglée de Jurieu s’épuisa.

202. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Jules Vallès » pp. 259-268

En dehors de Paris, en dehors de cette espèce de cuve qui a ses sorcières, comme la marmite de Macbeth, mais plus jolies, et où tous les champignons gâtés du fumier civilisé bouillonnent incessamment sous le feu des plus diaboliques vanités, on ne sait pas et on ne comprendrait pas un seul mot de l’histoire que Jules Vallès a écrite avec une verve poignante. […] Je ne dirai pas non plus qu’il ait la tragique impassibilité d’Hogarth, de cet autre peintre de vices et de misères, qui fut un moraliste comme Vallès ne l’est pas ; mais je dis avec bonheur qu’il a la verve sombre, le feu noir, le nerf, le mordant, le trait brutal, qui viole, mais féconde, et l’amertume de la caricature, s’il n’en a pas toujours la gaîté.

203. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Charles Monselet »

Je connaissais le Monselet de la gaieté, de la bonne humeur, de la grâce nonchalante, la pierre à feu qu’on peut battre éternellement du briquet pour en tirer d’infatigables étincelles ; je connaissais l’historien de Grimod de la Reynière, — qui est mort sans l’avoir eu à souper, le malheureux !  […] Cet homme aimable, que tout le monde appelait Monselet tout court dans une chaleureuse et flatteuse sympathie et parce qu’il plaisait à tout le monde, ce nonchalant de mœurs, fait, à ce qu’il semblait, pour se chauffer, lazzarone d’esprit, au soleil de tous les printemps et au feu de toutes les cuisines, cette gloire de tout festin et que toute la terre qui sait dîner eut voulu avoir à sa table, hospitalité intéressée !

204. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIIe entretien. Littérature cosmopolite. Les voyageurs »

Ce tigre, n’ayant point de lumière, fait du feu de mes papiers et de mes livres, après en avoir arraché les couvertures, parce qu’elles étaient dorées et armoriées ; car j’avais fait relier fort curieusement mes meilleurs livres en partant de Paris ; il n’en resta pas un. […] Je vais en produire un autre exemple: Le feu roi de Perse fit faire une tente, qui coûta deux millions. […] On n’y allume jamais de feu, et même il n’y en peut tenir, ni aucune liqueur, parce qu’ils n’ont point de fond. […] Presque tous les grands du temps du feu roi étaient ou morts ou disgraciés. […] Le 3, je conclus un marché de mille pistoles avec la femme du grand pontife, qui est sœur du feu roi.

205. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIIIe entretien » pp. 223-287

Mais, si la gloire a quelques inconvénients inséparables des retentissements souvent importuns qu’elle donne au nom du poète, alors on n’en veut plus, ou bien on n’en veut qu’à sa mesure, c’est-à-dire une gloire commode, silencieuse, intime, pour ainsi dire, chuchotée à l’oreille de quelques amis et qui fait dire au coin du feu de la famille : « Tenez, lisez, jugez, jouissez ; mais ne faites pas de bruit de peur d’éveiller l’enfant et la mère, et surtout de peur d’éveiller la jalousie des rivaux. […] Cette âme de vieillard, qu’on disait de glace, avait brûlé toute une nuit d’un enthousiasme de vingt ans, et ce feu avait été rallumé par quelques pages de vers imparfaits, mais de vers d’amour. […] Il écrit, à ce que disent ses amis, un poème épique familier dont la vie privée, sans aventures et sans merveilleux, sera le sujet, poème qui ne prendra son intérêt que dans les lieux, les choses, les impressions qui nous enveloppent tous et tous les jours : l’épopée du coin du feu. […] La lune du foyer, la lampe, luit dans l’ombre ; La flamme du sarment l’enivre de chaleur, Et le feu, la lumière, harmonieux mélange, Éclairant le poète avec un jour étrange, De leur chaude auréole enflamment sa pâleur ; D’un geste familier sa main gauche caresse Ses deux blancs lévriers, amis et fils d’amis, Dans l’épaisse fourrure à ses pieds endormis. […] Sur cette clairière jaunissante où Laprade et tant d’autres étaient venus se transfigurer depuis Hugo, comme sur un humble Thabor des poètes, les chênes ont été abattus, pour convertir en une poignée d’or nécessaire les rêves mille fois plus dorés qui tombaient avec leur ombre de leurs cimes ; les sentiers battus par les pieds d’amis s’effacent, le château est désert ; le cheval Saphir, qui me portait, dans les grandes journées de feu de Paris, à la défense des foyers et des familles, et que la popularité honnête soulevait quelquefois des pavés sur les bras du peuple, erre seul aujourd’hui dans le pré sous ma fenêtre, paissant en liberté l’herbe d’automne ; de temps en temps je le vois relever la tête, regarder par-dessus le buisson, écouter les chars lointains, et hennir au vent, croyant toujours que ce sont ses maîtres qui reviennent le seller et le monter pour le conduire à la victoire ; puis, détrompé par l’attente vaine, il retourne tristement brouter près des bœufs roux et des vaches blanches, à la lisière des bois qui lui versent l’ombre !

206. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxive Entretien. Réminiscence littéraire. Œuvres de Clotilde de Surville »

Feu de son œil, et roses de son tayn… D’où vient m’en esbahyr ? […] Quel feu secret de fécondes chasleurs Va pénétrant sillons, arbres, pascages, Et, mesme entour des tristes marescages, Quel charme espand ces vivaces couleurs ! […] M’ombroyerez cueillant des avelines, Tant que, sur toictz fumantz de nos hameaulx L’ombre croyssant ne tombe des collines, Maiz est ung feu, soict où m’aille tapir, Qui, sanz pitié, jour et nuict me consume : S’avec mes sens somme vient l’assoupir, Dès mon réveil, suivy de maint souspir, Comme au dedans, chasque object le rallume Entour de moy. […] » Entour du feu, mesme au soir, que parlons De voyagiers esgarez loing des routes, Au fond des bois, dans le creulx des vallons, Ou s’abritant soubz les obscures voultes De vieulx chastels ouvertz aux aquilons, S’oyons un cry tout-à-coup dans la plaine, Ung bruict confus, tant soict au loing cela, Soudain le sang tout se fige en ma veyne ; Retiens mon souffle, et ne reprends haleine Que pour me dire : « Ô ciel ! […] Dans leur noble entretien sitost allait calmans Ce feu qui du plaisir tient plus que du tourment.

207. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre I. Le broyeur de lin  (1876) »

Ce qui mettait le comble à mes préoccupations était un endroit de la Vie de je ne sais quel saint personnage du xviie  siècle, lequel comparait les femmes à des armes à feu qui blessent de loin. […] La comparaison des armes à feu surtout me rendait extrêmement réservé. […] Sa passion était un feu silencieux, intime, dévorant. […] Rien ne ressemble moins au feu des peuples méridionaux. […] Cela n’avait pas le sens commun, c’était cousu de fil blanc ; mais sa raison sommeillait, et depuis longtemps elle ne suivait plus que les feux follets de son imagination détraquée.

208. (1857) Cours familier de littérature. III « XVe entretien. Épisode » pp. 161-239

Quelques brouillards sortaient, comme des fumées d’un feu de bûcherons, des gorges hautes entre les troncs des sapins ; ils flottaient un moment sur les prés en pente au bord des bois ; puis, aussitôt roulés par le vent en ballots légers de vapeurs, ils s’enlevaient, m’enveloppaient un moment d’une draperie transparente, et s’évaporaient en montant toujours, et en laissant quelques gouttes d’eau sur les crins de mon cheval. […] Je l’aspirais comme des lèvres qui se collent à l’embouchure d’une fontaine d’eau pure ; je lui tendais mes deux mains ouvertes, mes doigts élargis, comme un mendiant qu’on a fait entrer au foyer d’hiver, et qui prend, comme on dit ici, un air de feu. […] » ajouta-t-il avec un accent de regret attendri. — « Oui, c’est moi, père Dutemps », lui dis-je : « Donnez-moi votre main, que je la serre encore en reconnaissance des bons services que vous nous avez rendus, des bons fagots que vous nous avez brûlés, des bonnes galettes de sarrasin que vous nous avez cuites à votre feu, et de l’amitié que Madeleine, ses filles et vous, vous aviez pour notre mère et pour ses enfants ! […] l’hiver », me répondit-il, « il y a le feu dans le foyer, le bruit des sabots des enfants dans la maison, les châtaignes qu’on écorce, les pois qu’on écosse, le maïs qu’on égrène, le chanvre qu’on file : tous ces travaux n’ont pas besoin des yeux. Je travaille tout l’hiver au coin du feu en jasant avec les enfants ou avec les chèvres et les poules qui vivent avec nous, et je me repose tout l’été.

209. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIIe entretien. Littérature latine. Horace (2e partie) » pp. 411-480

Ce feu sacré, emprunté à d’autres, jetait par moment quelques flammes dans ses strophes, mais il ne brûlait pas dans son sein. […] La race humaine, qui veut tout surmonter par son audace, se précipite dans l’impossible ; la race intrépide de Japet, Prométhée, par un coupable larcin, ravit le feu du ciel pour l’apporter à la terre. Après ce sacrilège du feu enlevé aux demeures célestes, les fléaux vengeurs, de nouvelles fièvres et des maigreurs décharnées, furent infligés à la terre ; la mort, jusque-là tardive, précipita ses pas contre les vivants : c’est ainsi que, sur des ailes refusées à l’homme par les dieux, Dédale osa tenter le vide des airs, le bras d’Hercule força les portes de l’Achéron. […] … « Modère ton imagination ; et Rhodes et Mytilène ne te seront pas plus nécessaires qu’un manteau dans la canicule, qu’une tunique légère par le vent de neige, que le coin du feu dans le mois d’août. […] Attendez la saison d’hiver où un livre est une société toujours bienvenue au coin du feu ; attendez surtout la saison d’été, où un compagnon est agréable pour répercuter en vous les douces sensations du soleil, de l’ombre des bois, des eaux, de la montagne, de la mer ; achetez cette délicieuse miniature d’Horace illustrée par les Didot ; asseyez-vous à la lisière de vos bois au bord du ruisseau, sous les saules où les oiseaux gazouillent à l’envi de l’onde, et lisez, et prenez les heures comme elles viennent, et dites, comme Horace : Carpe diem, saisissez le jour, tout est pour le mieux, pourvu qu’on ait les pieds au soleil et la tête à l’ombre !

210. (1856) Cours familier de littérature. I « Ve entretien. [Le poème et drame de Sacountala] » pp. 321-398

Relancés de toutes parts, on voit des lions, des éléphants par troupe se rendre, couverts d’écume et de sueur, dans le voisinage des eaux pour y éteindre le feu qui les dévore ; mais la plupart tombent épuisés de fatigue sur les bords des étangs, et meurent en jetant d’horribles cris. […] » répond-elle au demi-dieu, « j’oserais m’approcher de cet anachorète pur, sévère et terrible, au front resplendissant comme le feu du sacrifice, redoutable comme le temps qui détruit tout ? […] Le soleil et la lune, le feu et le vent, la terre et le firmament, et la vaste étendue des eaux, le jour et la nuit, les deux crépuscules du matin et du soir, tous les éléments sont les témoins des actions les plus secrètes de l’homme : s’il n’a point agi contre la voix intérieure de sa conscience, le juge incorruptible le fait jouir d’une félicité éternelle ; mais si en étouffant cette voix il s’adonne au crime, il est condamné aux plus terribles châtiments. » Un tel discours, dans un tel moment, est déplacé ; on voit que dans ces poèmes les situations les plus pathétiques servent moins au développement des passions qu’au développement de la haute morale qui domine dans l’âme des poètes les passions elles-mêmes. […] ce que tu ne faisais que soupçonner est à présent changé pour toi en certitude ; ce que tu aurais craint de toucher il n’y a qu’un instant à l’égal du feu, tu peux t’en parer comme de la perle la plus précieuse !  […] je le vois, le feu de Siva en courroux couve encore dans mon sein, semblable à ce foyer mystérieux qui brûle dans la profondeur des mers : pourrais-tu sans cela, réduit comme tu le fus en un monceau de cendres, allumer de tels feux dans nos cœurs ?

211. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Appendice » pp. 453-463

Il est homme de lettres aussi, celui que le feu de son imagination porte sans cesse vers des sujets nouveaux ; qui, doué de verve et de fécondité naturelle, n’a pas plus tôt fini d’une œuvre qu’il en recommence une autre ; qui se sent jeune encore pour la production à soixante ans comme à trente, qui veut jouir tant qu’il le peut de cette noble sensation créatrice et mener la vie active de l’intelligence dans toutes les saisons. […] elle a répondu avec ardeur, avec feu et sur tous les tons, à l’appel et au vœu des fondateurs du concours, non pas qu’il soit sorti de cette mêlée générale, où 251 concurrents étaient aux prises, une œuvre achevée, complète, et qui réunisse toutes les conditions que les législateurs d’autrefois en ces matières eussent exigées pour une parfaite couronne ; mais il y a nombre de pièces, et même parmi celles qu’on a eu le regret de devoir éloigner, où s’est montrée l’empreinte du talent, le signe distinctif du poète ; et quelques-unes enfin dans lesquelles, d’un bout à l’autre, un souffle heureux a circulé. […] Et le poète, prenant la parole, décrit avec feu, avec rapidité, les différentes manières de le chercher ; mais, trop jeune sans doute et trop pur pour être censeur impitoyable, il s’arrête, il considère le bien à côté du mal, tant de charité, de dévouement, de patriotisme, de vertus militaires et de sacrifices, de poésie encore, tout ce trésor moral subsistant dans de belles âmes.

212. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Mémoires du duc de Luynes sur la Cour de Louis XV, publiés par MM. L. Dussieux et E. Soulié. » pp. 369-384

Causant avec un homme de la vieille Cour, M. de Luynes, qui aimait ainsi à interroger chacun sur son coin d’histoire, tirait de lui cette jolie anecdote : Du temps du feu roi, toutes les petites circonstances par où on pouvait lui faire sa cour étaient des grâces importantes. […] Étant à la chasse avec le feu roi dans la forêt de Marly, il imagina, pour lui faire sa cour, de lui demander la permission de le suivre à la chasse à tirer ; mais étant fort embarrassé de demander une si grande grâce au roi (M. de Nangis n’avait alors que vingt-cinq ou vingt-six ans), le roi lui dit qu’il était bien jeune pour lui demander une pareille grâce, et qu’il verrait. […] Il y avait cependant, alors même, de singulières infractions à cette étiquette, et telles qu’on ne le croirait pas, si un narrateur aussi véridique que M. de Luynes ne nous les certifiait en nous citant ses garants et auteurs : Mme la duchesse mère (fille naturelle de Louis XIV) me contait à Marly, il y a quelques jours, que dans les soupers du feu roi avec les princesses et des dames à Marly, il arrivait quelquefois que le roi, qui était fort adroit, se divertissait à jeter des boules de pain aux dames et permettait qu’elles lui en jetassent toutes.

213. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Le général Joubert. Extraits de sa correspondance inédite. — Étude sur sa vie, par M. Edmond Chevrier. — I » pp. 146-160

Par un contraste qui n’est point rare, dans le feu de sa plus bouillante valeur il restait bon, humain, ouvert aux meilleurs sentiments ; et, après le récit animé de quelque coup de main audacieux, il ajoutait à ses lettres des post-scriptum tels que celui-ci : Bien des choses à toute la famille. […] Ils m’ont vu huit jours de suite, par une pluie affreuse, ne prendre jamais un moment de repos, les conduire intrépidement au feu, les encourager dans leurs malheurs, et seul de l’état-major, ne les jamais quitter. […] Cette idée reviendra souvent jusque dans ses lettres les plus belliqueuses ; tout son feu n’exclura jamais la modération.

214. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 44-63

Je sais bien que, dans la plupart des cas, vous n’avez attaqué ces catégories de libres penseurs, comme vous les appelez indistinctement et comme quelques-uns d’entre eux s’intitulent, que quand ils arboraient eux-mêmes leur drapeau et qu’ils ouvraient le feu. […] Le feu de l’honneur et celui du génie irrité ne se recèlent pas ainsi durant cinquante ans : « Ces belles flammes veulent le jour. […] et y a-t-il un milieu entre un écrivain catholique distingué, délicat, élevé, aristocratique et sans aucune action, comme le prince Albert de Broglie, par exemple, ou, dans un genre plus neutre, M. de Carné, et un défenseur à feu et à sang comme M. 

215. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Campagnes de la Révolution Française. Dans les Pyrénées-Orientales (1793-1795) »

Plein de zèle et bouillant d’ardeur, aimé des soldats, appelé d’eux tous le caporal Dagobert, parce qu’il était toujours le premier au feu, il va faire preuve d’idées hardies, au besoin même de conceptions d’ensemble, mais surtout de qualités spéciales brillantes, et illustrer bien des épisodes de ces premières guerres. […] Dagobert, arrivant à Paris pour se justifier auprès du terrible Comité, fit comme au feu (nous dit le commandant Fervel) : au lieu de s’en tenir à la défensive, il alla en avant et attaqua. […] s’écriait-il, tandis que, toujours le premier au feu, je fais plutôt le caporal de grenadiers que le métier de général, les représentants me déclarent une guerre implacable !

216. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Souvenirs d’un diplomate. La Pologne (1811-1813), par le baron Bignon. (Suite et fin.) »

Il est, au reste, entre deux feux pour cette mission de Varsovie ; il n’échappe aux dédains de M. de Senfft que pour tomber sous les épigrammes acérées de l’abbé de Pradt qui ne les lui épargne pas. […] Quel fut mon étonnement quand, au lieu de la gravité, de la décence, du soin de l’honneur national, de celui de l’entretien de la bienveillance mutuelle entre les deux nations, qui me paraissaient devoir composer l’ensemble de la manière d’être et des occupations d’un ministre de France, je trouvai un petit monsieur, uniquement occupé de petits vers, de petites femmes, de petits caquets, et qui, dans les petits rébus dont se composaient ses petites dépêches, disait familièrement au duc, en parlant de la certitude d’un éclat entre la France et la Russie : « La Russie amorcera si souvent, couchera en joue la France si souvent, que la France sera forcée de faire feu… » Brunet n’aurait pas mieux dit… Toute sa correspondance est sur ce ton, et présente un mélange fatigant d’affaires traitées avec la prétention au bel esprit du plus bas étage. » C’est ainsi que le prélat diplomate abuse d’un dépôt pour attaquer celui qui le lui a confié ; il le drape à la Figaro, et il ose parler de gravité et de décence ! […] Singulier mélange, en effet, que cet abbé de Pradt, instruit de tant de choses et qui croyait s’entendre à toutes ; homme d’Église qui l’était si peu, qui savait à fond la théologie, et qui avait à apprendre son catéchisme ; publiciste fécond, fertile en idées, en vues politiques d’avenir, ayant par moments des airs de prophète ; écrivain né des circonstances, romantique et pittoresque s’il en fut ; le roi des brochuriers, toujours le nez au vent, à l’affût de l’à-propos dans les deux mondes, le premier à fulminer contre tout congrès de la vieille Europe ou à préconiser les jeunes républiques à la Bolivar ; alliant bien des feux follets à de vraies lumières ; d’un talent qui n’allait jamais jusqu’au livre, mais qui avait partout des pages ; habile à rendre le jeu des scènes dans les tragi-comédies historiques où il avait assisté, à reproduire l’accent et la physionomie des acteurs, les entretiens rapides, originaux, à saisir au vol les paroles animées sans les amortir, à en trouver lui-même, à créer des alliances de mots qui couraient désormais le monde et qui ne se perdaient plus ; et avec cela oublieux, inconséquent, disparate, et semblant par moments sans mémoire ; sans tact certainement et sans goût ; orateur de salon, jaseur infatigable, abusant de sa verve jusqu’à l’ennui ; s’emparant des gens et ne les lâchant plus, les endoctrinant sur ce qu’ils savaient le mieux ; homme à entreprendre Ouvrard sur les finances, Jomini sur la stratégie, tenant tout un soir, chez Mme de Staël, le duc de Wellington sur la tactique militaire et la lui enseignant ; dérogeant à tout instant à sa dignité, à son caractère ecclésiastique, avec lequel la plupart de ses défauts ou, si l’on aime mieux, de ses qualités se trouvaient dans un désaccord criant ; un vrai Mirabeau-Scapin, pour parler comme lui, un archevêque Turpin et Turlupin.

217. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Clermont et sa cour, par M. Jules Cousin. (Suite.) »

Le prince présent au feu encourageait ses brigades : il paya ce jour-là sa dette à son roi et à sa patrie. […] C’était tellement une affaire d’étiquette, que le duc de Luynes n’a pas manqué d’en tenir compte dans son Journal : « L’Académie française élut le 22 de ce mois (septembre 1755) M. l’abbé de Boismont, grand prédicateur, à la place de feu M. l’ancien évêque de Mirepoix. […] La Compagnie s’étant assemblée aujourd’hui au nombre de vingt-sept académiciens pour nommer un successeur à feu M. de Boze, et M. 

218. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Seconde Partie. De l’Éloquence. — Éloquence de la chaire. » pp. 205-232

On retrouve, dans plusieurs beaux endroits de nos sermons, l’ame, le génie, le feu, cette force de raisonnement, cette éloquence véhémente & rapide, victorieuse des esprits & des cœurs, qui caractérise ces grands hommes. […] Cette réponse du docteur Arnauld, écrite avec son feu ordinaire, foudroyoit l’ennemi de toute élévation & de tout pathétique dans les sermons. […] Des personnes, qui n’avoient guère lu Cicéron ni Démosthène, qui connoissoient à peine de nom ces génies puissans & créateurs, joignirent leur voix à la sienne, pour empêcher tout jeune prédicateur de se remplir de leurs plus beaux traits, & de s’embraser de leur feu.

219. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XVI. »

« Souvent, dit-il184, Properce me raconta ses feux, dans l’intimité du commerce qui nous unissait. […] « Comme un arbre s’accroît par le cours insensible du temps, ainsi grandit la renommée de Marcellus ; l’astre des Jules brille entre tous les astres, comme la a lune parmi tous les feux inférieurs du ciel. […] Je n’aurais pas souffert cela dans le feu de la jeunesse, sous le consulat de Plancus190. » Le poëte était-il vrai tout à l’heure, dans sa triomphale apothéose du vainqueur de l’Espagne ?

220. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Alexis Piron »

Représentons-nous les gais causeurs, les hommes de verve et de mimique excellente que nous avons connus ou que nous possédons, ceux qui, dans une soirée, les portes closes, en parodiant ou nos auteurs, ou nos orateurs, ou nos simples bourgeois, nous font rire aux larmes, — Henry Monnier, Vivier, feu Romieu, Méry le conteur, et toi aussi, aimable Alfred Arago ! […] Je la sens : j’entre en verve et le feu prend aux poudres. […] Le feu prenait vite aux poudres avec Piron. […] Il prit feu ; la moutarde, comme on dit, lui monta au nez, et les épigrammes contre Des Fontaines ne cessèrent plus. […] C’est un feu que Dieu nous a confié ; nous devons le nourrir de ce que nous trouvons de plus précieux.

221. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 239-252

Après sa sortie des Jésuites, il ne renonça pas aux Lettres ; mais la manie philosophique éteignit le feu de son imagination, & égara son jugement. […] Ce qu’il y a de plus absurde, de plus contraire aux mœurs & à l’honnêteté dans le Dictionnaire de ce Philosophe, devient, entre ses mains, le fond principal d’une Compilation odieuse, condamnée au feu par le Parlement, & punie par la détention de l’Auteur à la Bastille.

222. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Philippe II »

Ne lui avaient-elles pas donné, ces rhétoriques, à la Muse de l’Histoire, comme elles disaient, une plume de fer, pour se dispenser de lui en donner une de feu ? […] Il l’aurait allumée au feu de ses croyances en deuil, devant le désastre de sa cause et de son histoire.

223. (1824) Épître aux muses sur les romantiques

Livrons-nous sans réserve aux élans vagabonds De ce feu créateur, qu’en ses gouffres profonds D’un cœur impétueux nourrit l’indépendance. […] C’était un feu roulant d’énigmes, d’hyperboles.

224. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XVII. »

Il lui est ordonné d’aller désarmé, afin que de son arc, de sa flèche, de ses feux, il ne fasse nulle blessure. […] « Enhardi par le feu de la jeunesse, bientôt, s’écriait-il, tu diras les champs de Philippe blanchis sous les ossements italiques, et la bataille de Pharsale, ce coup de foudre entre les exploits du vainqueur divinisé, et Caton, grand par la sainte liberté, et Pompée, ce chef populaire. » La Muse prolonge en vers élégants cette apothéose du poëte, et n’est arrêtée que par ses larmes, à la pensée du tyran qui l’a frappé.

225. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Jean-Jacques Ampère »

que de feux et d’éclairs, que d’impétueux nuages s’entre-heurtaient sur ces jeunes fronts ! […] Je ne le sais pas bien ; mais Ampère était encore sans partage dans tout le feu de sa vocation romanesque et poétique, lorsqu’il accompagna, en 1823, Mme Récamier à Rome avec le fidèle M.  […] Très-vif et tout feu en causant, il n’osait qu’à demi sur le papier. […] Elle lui avait ôté, je le crois, un peu de son feu sacré ; mais en revanche elle lui avait donné du tact, du goût, et ce sentiment du ridicule qui n’est autre peut-être que celui de la bonne société. […] Mohl, calme et sage, ne pouvait être cet ami-là ; il n’eût répondu à bien des ébullitions, à des projets en herbe qui se succédaient, à de vrais feux de paille, que par un rire franc et clair qui eût déconcerté le distrait enthousiaste et l’eût dégrisé désagréablement.

226. (1902) La formation du style par l’assimilation des auteurs

d’où vous venait ce courage, ce feu qui brillait dans vos regards, cette ardeur qui vous enflammait ! […] C’était vers la fin de décembre, lorsque le soleil, au Capricorne, échauffe pendant trois semaines l’île de France de ses feux verticaux. […] Le feuillage des arbres, éclairé en dessous de ses rayons safranés, brillait des feux de la topaze et de Témeraude. […] Et, encore, il s’en était allé, pour entendre la parole des Parsis et des Guèbres, adorateurs du feu, qui font manger leurs morts par les oiseaux du ciel. […] Sa stature était moyenne, sa poitrine large, son front vaste, ses yeux pleins de feu, d’énergie et de fierté.

227. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVe entretien. Alfred de Vigny (2e partie) » pp. 321-411

« Elle se leva, le visage tout en feu et tout humide de larmes, comme un enfant qu’on a grondé. […] J’avais défendu tous les bruits et tous les feux. […] pour imprimer cinq ou six pauvres idées assez médiocres, lues seulement par ceux qui les aiment, jetées au feu par ceux qui les haïssent, ne servant rien qu’à nous faire persécuter ! […] on a l’ordre d’éteindre tous les feux du bâtiment. […] Moi, je comptais sur la nuit pour cacher l’affaire, et je ne pensais pas à la lumière des douze fusils faisant feu à la fois.

228. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre I. Des poëtes anciens. » pp. 2-93

“Il seroit sans doute à souhaiter, dit M. de Querlon, que tout le feu de ce génie pût passer dans la traduction de son Poëme ; mais ne demandons pas l’impossible. […] Ses scenes sont vives, pleines de feu & de mouvement. […] Affligée du mauvais succès de cet essai, & dégoûtée de son travail, elle jetta au feu ces quatre Comédies, & recommença. […] Remi, a mis plus de feu dans sa traduction de Virgile. […] A la Poésie lyrique d’Horace, qui est si serrée & si énergique, il substitue ordinairement une prose poétique, où il y a du feu & de l’élévation, mais diffuse & allongée.

229. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (1re partie) » pp. 81-159

On connaît leur liberté et leur égalité à leurs œuvres ; ils auront la liberté d’être proscrits de l’État comme six millions de vagabonds sans maître, mais sans feu ni lieu, sans qu’aucun maître ait la responsabilité de leur existence ! […] Je ne sais quel bon sens sauvage et naïf animait ses discours rares et pleins de justesse, de modération et de feu. […] Chaque année produisait une immense quantité de détestables dessins, que je condamnais au feu, le jour de leur naissance ; et Dieu sait quel incendie ces monceaux de papier barbouillé allumaient dans le foyer paternel ! […] Une flamme poignante traversa mon cerveau comme une flèche de feu ; tous mes nerfs ébranlés frémirent ; j’eus la fièvre pendant plusieurs semaines. […] L’atmosphère était tiède ; le disque du soleil était couleur de feu.

230. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1860 » pp. 303-358

Jamais Pétrus Borel n’aurait osé cette image insensée : Brûlé de plus de feux que je n’en allumai ! […] Il se traîne en marchant, il monte notre escalier lentement, lentement, et nous confie, au coin de notre feu, qu’en sortant du bal de l’Opéra, il ne pouvait mettre un pied devant l’autre. […] * * * À côté de ces hommes, deux genres de femmes : la vieille teneuse de gargot et de basse table d’hôte ; la petite fille du peuple, toute jeunette, au bonnet noir à rubans de feu, à laquelle le gros homme élastique, qui vient de tirer le sabre, redemande son mouchoir, où les sous sont noués dans un coin. […] On s’assied à table, et de suite, la causerie prend feu à propos de Ponsard, en train de lutiner Titania, dans une pièce à l’imitation de Shakespeare. […] Nous nous complaisons au coin du feu, dans le silence, le mutisme, acoquinés là, sans l’énergie de bouger, de nous remuer, de nous secouer.

231. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XVIII. »

À ce titre, et dans cet ordre de sentiments, ce que le poëte thébain avait peine à rencontrer au travers de l’éclat des fêtes, ce que le voluptueux Horace cherchait encore moins, sera dans la poésie le feu sacré de l’évêque des premiers temps. […] à toi qui es partout la voie droite, qui as guidé l’armée fidèle ou par la nuée obscure ou par le feu, qui as frayé la route à tes amis entre les flots ouverts, et enseveli Pharaon sous les ondes ! […] Sur le dos de la matière flottante s’est étendu l’éther, appuyé à la flamme montante du feu, dans la région où la lune radieuse coupe par la moitié le bas de l’univers. […] Mais, au loin, le soleil déployait sa chevelure brillante, sous les pas divins : il avait reconnu le Fils de Dieu, l’intelligence qui est la grande ouvrière, et la source même du feu dont il est animé. […] guides souverains de la sainte sagesse, vous qui, par le contact d’un feu divin, attirez vers les immortels les âmes arrachées à cette ténébreuse prison, en les épurant par l’ineffable expiation de la prière !

232. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « L’abbé Fléchier » pp. 383-416

Aujourd’hui que tout ce grand feu est apaisé, et qu’un esprit conciliant a prévalu, les Mémoires de Fléchier reparaissent dans les circonstances les plus propres à en faire goûter l’agrément sans qu’il doive s’y mêler aucun fiel ni aucune amertume. […] Les passions ne le transportaient pas ; un feu pur et doux l'animait. […] La pièce en elle-même est élégante, ingénieuse, sans le feu et l’ardeur de la belle églogue de Virgile intitulée Pollion, mais animée d’une douceur et comme d’une onction pacifique très sensible et très sincère. […] […] Si j’expose à ses yeux l’objet le plus charmant, Il le regarde en juge et non pas en amant ; Et si j’offre à ses feux quelque illustre matière, À son peu de chaleur il joint trop de lumière ; Il examine trop les lois de sa prison, Et veut joindre à l’amour un peu trop de raison. […] C’est ainsi que dans les Grands Jours, il parle des habitants des monts « qui ne menacent de rien moins que de brûler ceux qui leur font quelque déplaisir, et qui, étant toujours sous la neige, ne laissent pas d’avoir souvent recours au feu pour se venger ».

233. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXVIe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 385-448

Il jeta son fagot pour courir plus vite, et, tenant à la main le hacheron qui lui servait à couper les genêts et les bruyères pour le feu de l’hiver prochain, en trois bonds, avec de grands cris qui nous réveillèrent de notre demi-mort tous les trois, il s’élança entre nous, l’arbre et les bûcherons, et, brandissant sa hachette sur leurs têtes, il les écarta, tous étonnés et tous tremblants, à une certaine distance, groupés autour de Calamayo. […] CXIII Mais l’amour d’un débauché qui a vu une innocente, et qui pense l’emmener dans sa maison, est un charbon ardent qui brûle la main et qui ne laisse pas dormir celui qui ne craint pas Dieu plus que le feu dans ses veines. […] CXV À ces coups de feu, à ces cris, à cette vue, monsieur, nous nous étions tous levés en sursaut, comme à un coup de feu du ciel, pour courir au-devant de notre enfant ; la mère nous devançait les bras tendus, les cheveux épars ; moi-même je courais au bruit sans mon bâton, comme si j’y avais vu clair, à la seule lueur de mon cœur ; Hyeronimo, s’élançant du toit d’un seul bond, avait décroché du mur, en passant, l’espingole de son père, qui n’avait pas été déchargée depuis sa mort ; il courait comme le feu du ciel au secours de Fior d’Aliza, à la fumée des six coups de feu, flottant comme un brouillard sur les cannes de maïs. […] D’ailleurs, qu’avions-nous à nous reprocher que d’avoir rendu feu pour feu, en défendant la vie ou en vengeant le sang de notre innocente contre des assassins qui l’avaient frappée en traître, et qui avaient répandu un sang plus pur que celui d’Abel ?

234. (1912) Enquête sur le théâtre et le livre (Les Marges)

Le théâtre privera notre société d’écrivains avant qu’il la prive d’amateurs de beaux récits qui font rêver les sages, au coin du feu. […] Mon cher ami, il ne faut pas se plaindre tant que nous pouvons tous les deux — et quelques autres avec nous — lire au coin de notre feu Bel-Ami dans le texte. […] Quatre fois plus restent au coin du feu et lisent, mais on ne les voit pas. […] 2º Le livre, « instrument spirituel », le livre si cher, si expressif, que nous aimons, le livre qui doit tout à lui-même et non à des éléments étrangers, à un jeu d’acteurs ou un rayon du feu de la rampe, le livre a-t-il à souffrir, dans son destin, de ces excès du théâtre ? […] Mais, voilà bien où est la revanche du livre : c’est que c’est uniquement par le livre que peut durer le seul, le vrai théâtre : la passion de Racine, la grâce de Marivaux, l’ironie de Beaumarchais, la langueur de Musset, l’à-propos de Banville, la verve amère et railleuse de Becque se dégagent, se comprennent autrement mieux dans le silence du recueillement, dans la paix des lectures qu’au-devant de l’éclat des lustres et le feu des tréteaux.

235. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Gustave Flaubert »

On annonça ses livres comme des curiosités, des événements, des coups de tonnerre, et le long feu de Salammbô n’y fit rien. […] Je suis de ceux qui croient que la passion qui embrase les mots les purifie, comme le feu allumé purifiait les lèvres du prophète. Mais, ici, il n’y a ni passion, ni feu, ni prophète ; Flaubert n’en est pas un ! Il n’y en a, dans cette Tentation de saint Antoine, ni du côté des tentateurs, qui devraient avoir tous les feux de l’enfer dans le ventre, puisqu’ils sont des démons, ni du côté de celui qu’ils tentent. […] Ce sont les hérésies du temps, les mythologies du passé, et toujours et surtout la grosse et éternelle cuisinière rousse, « lascive, — dit Flaubert, — grasse, avec une voix rauque, la chevelure de feu et des chairs rebondissantes ».

236. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gui Patin. — II. (Fin.) » pp. 110-133

Je les traitai dans ma chambre, où par-dessus la tapisserie se voyaient curieusement les tableaux d’Érasme, des deux Scaliger père et fils, de Casaubon, Muret, Montaigne, Charron, Grotius, Heinsius, Saumaise, Fernel, feu M. de Thou (l’ami de Cinq-Mars et le décapité), et notre bon ami M. Naudé… Il y avait encore trois autres portraits d’excellents hommes, de feu M. de Sales, évêque de Genève, M. l’évêque de Bellev, mon bon ami, Justus Lipsius ; et enfin de François Rabelais, duquel autrefois on m’a voulu donner vingt pistoles. […] Au-dessous du crucifix sont les deux portraits de feu mon père et de feu ma mère.

237. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre premier. De l’illusion » pp. 3-31

Si vous avez l’imagination nette et si, tranquille au coin de votre feu, vous vous laissez absorber par cette rêverie, vous verrez bientôt les moires luisantes de la surface, les feuilles jaunâtres ou cendrées qui descendent le courant, les faibles remous qui font trembler les cressons, la grande ombre froide des deux files d’arbres ; vous entendrez presque le chuchotement éternel des hautes cimes et le vague bruissement de l’eau froissée contre ses bords. […] Ils lui firent croire qu’il était au feu, sur quoi il exprima une grande crainte et une disposition évidente à s’enfuir. […] Après bien des efforts, je me suis levée, et j’ai reçu l’ordre de brûler l’araignée et le drap pour me délivrer du sortilège ; je mis donc le feu au drap. […] « En 1831, pendant une émeute, la femme d’un ouvrier, enceinte de huit mois et cherchant à rentrer chez elle, voit tomber son mari mortellement atteint d’une balle ; elle accouche ; dix jours après, le délire éclate ; elle entend le bruit du canon, des feux de peloton, le sifflement des balles et se sauve dans la campagne.

238. (1895) La musique et les lettres pp. 1-84

L’immense celle, du bow-window, draperie, au dos de l’orateur debout contre un siège et à une table qui porte l’argent d’une paire puissante de candélabres, seuls, sous leurs feux. […] Vous en êtes les auteurs privilégiés ; et je me disais que, pour devenir songeuses, éloquentes ou bonnes aussi selon la plume et y susciter avec tous ses feux une beauté tournée au-dedans, ce vous est superflu de recourir à des considérations abstruses : vous détachez une blancheur de papier, comme luit votre sourire, écrivez, voilà. […] mais il semble que ma pièce d’artifice, allumée par une concession ici inutile, a fait long feu. […]   Pyrotechnique non moins que métaphysique, ce point de vue ; mais un feu d’artifice, à la hauteur et à l’exemple de la pensée, épanouit la réjouissance idéale.

239. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — I. » pp. 180-197

Après avoir apostrophé en face l’hérétique Marcion (avec les paroles de Tertulliend) : « Tu ne t’éloignes pas tant de la vérité, Marcion… », entrant alors dans son sujet, il établit que cette miséricorde et cette justice subsistent l’une et l’autre, mais ne se doivent point séparer ; il va s’attacher à représenter dans un même discours le Sauveur miséricordieux et le Sauveur inexorable, le cœur attendri, puis le cœur irrité de Jésus : « Écoutez premièrement la voix douce et bénigne de cet Agneau sans tache, et après vous écouterez les terribles rugissements de ce Lion victorieux né de la tribu de Juda : c’est le sujet de cet entretien. » Dès cet exorde on sent un feu singulier, une imagination ingénieuse et exubérante, une érudition un peu subtile qui se prend dès l’abord à une hérésie bizarre ; selon le mot de Chateaubriand, on voit « l’écume au mors du jeune coursier ». […] M. de Bausset se l’est demandé et y a répondu autant qu’il l’a pu, en des termes bien généraux : La nature, dit-il, l’avait doué de la figure la plus noble ; le feu de son esprit brillait dans ses regards ; les traits de son génie perçaient dans tous ses discours. […] Allez plutôt voir au Louvre son buste par Coysevox : noble tête, beau port, fierté sans jactance, front haut et plein, siège de pensée et de majesté ; la bouche singulièrement agréable en effet, fine, parlante même lorsqu’elle est au repos ; le profil droit et des plus distingués : en tout une expression de feu, d’intelligence et de bonté, la figure la plus digne de l’homme, selon qu’il est fait pour parler à son semblable et pour regarder les cieux.

240. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal du marquis de Dangeau — I » pp. 1-17

Quand Louis XIV fut mort, que ses dernières volontés eurent été cassées et les têtes les plus chères au feu roi compromises dans des conspirations où étaient impliqués des parents de Dangeau lui-même, Mme de Maintenon, écrivant un jour à Mme de Dangeau, lui disait : « Comment M. de Dangeau se tire-t-il de l’état présent du monde, lui qui ne veut rien blâmer ?  […] Ne s’est-il point trompé quand il dit que feu M. le duc tenait une boutique ? […] Ils n’ont pas eu de peine à montrer que Saint-Simon exagère, en les résumant, les défauts du personnage ; nos jeunes auteurs vont trop loin toutefois quand ils font de Saint-Simon un ennemi de Dangeau : on n’est pas ennemi de ceux dont on voit les ridicules, et le seul tort de Saint-Simon est de trop voir et d’être doué par la nature d’un organe qui est comme un verre grossissant, et d’une parole de feu irrésistible : de là tant de portraits ressemblants, outrés, vrais à les bien entendre, et en tout cas ineffaçables.

241. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance diplomatique du comte Joseph de Maistre, recueillie et publiée par M. Albert Blanc » pp. 67-83

il pense, il fermente, il s’exalte, il prend feu, il amasse des mondes d’idées, le projets, des vues, des conceptions de toutes sortes sur les événements, sur les hommes et les choses ; et quand il lui vient un interlocuteur ou un écouteur, il déborde, il lance ses feux et ses flammes, ou quand il prend la plume, il se répand. […] Ses pointes de bon sens (et il en a de très soudaines, de très imprévues) sont compromises par trop de fusées et de feux de Bengale, ou par de choquantes rodomontades et des airs de matamore.

242. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [I] »

Ce n’est pas nos… de professeurs de Brienne qui nous auraient, dit mot de cela. » Puis, après avoir écouté encore,, tout d’un coup interrompant et prenant feu : « Mais comment Fouché laisse-t-il imprimer de pareils livres ? […] Un Français, Guibert, parla de lui aux Français avec feu, avec savoir, avec éloquence ; mais, dans ses laborieux traités, il fit presque aussitôt fausse route, s’enfonça dans les détails de tactique et d’ordonnance, dans l’école de bataillon, et laissa de côté les grandes vues. […] N’oublions pas que Jomini en 1803, quand il composait son livre, était dans la verve et le feu de l’âge ; il avait vingt-quatre ans ; il était enthousiaste ; il était et il allait être de plus en plus, comme il l’a dit, « sous l’impression brûlante de la méthode rapide et impétueuse » de Napoléon.

243. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Les Gaietés champêtres, par M. Jules Janin. » pp. 23-39

Aussi force est bientôt aux amoureux de passer au pied de la terrasse sous le feu des lorgnettes et des brocards. […] Réveillé par le chant de l’oiseau, le bonhomme Hilaire, colon d’une masure et d’un petit champ voisin, secoue, en bâillant, le sommeil de ses yeux ; il quitte à regret ce lit si dur, il s’habille à tâtons, et, dans son foyer froid, il cherche quelque étincelle du feu de la veille. […] Le capitaine entend de grands bruits du côté de la haute mer comme si une grosse flotte arrivait à force de rames, et la terre, d’un autre côté, lui paraît tout en feu.

244. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — III. (Suite et fin.) » pp. 47-63

Marmont, ramené lui-même à ces temps de splendeur et d’enivrante espérance, lui en exprimait avec feu l’esprit ; il lui parlait de son père, comme il l’avait vu, comme il l’avait aimé alors ; il ne craignit pas d’entrer dans les détails de nature et de caractère : il lui disait que son père avait été bon, avait été sensible, avant que cette sensibilité se fût émoussée dans les combinaisons de la politique ; il lui disait, comme il l’a dit depuis à d’autres, et avec une larme : « Pour Napoléon, c’était le meilleur et le plus aimable de tous les hommes, le plus séduisant, le plus sûr en amitié ; mais l’homme privé était tellement chez lui l’instrument de l’homme politique, que tout ce que l’on a dit de lui, tout ce que j’ai souffert moi-même de l’homme politique, tout cela se concilie avec le sentiment que j’exprime. » Et il avait deux traits singuliers qu’il aimait à citer comme indice et preuve de cette sensibilité première, et si bien recouverte ensuite, de Napoléon. […] Ce Dandolo, homme d’esprit, assez bon chimiste, occupé de sciences, d’améliorations et d’industrie, était une tête très vive, et parlait avec facilité, abondance et feu. […] Le maréchal, qui, en vieillissant, avait gardé tout son feu, sa vivacité d’impression et d’intelligence, vécut assez pour apprendre et juger les derniers événements qui ont changé le régime de la France.

245. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 24, des actions allegoriques et des personnages allegoriques par rapport à la peinture » pp. 183-212

Malgré ces secours le feu roi prit Mastrich, et portant ensuite la guerre dans les païs-bas espagnols, il y enlevoit chaque campagne un nombre des plus fortes places, par des conquêtes que la paix seule put arrêter. […] Tout le monde est informé des principales actions de la vie du feu roi qui fait le sujet de tous les tableaux, et l’intelligence des curieux est encore aidée par des inscriptions placées sous les sujets principaux. […] Vous voulez éteindre dans l’imagination des peintres ce feu qui merite qu’on les traite quelquefois d’ouvriers divins, pour les reduire aux fonctions d’un annaliste scrupuleux ?

246. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Seconde partie. Nouvelles preuves que la société a été imposée à l’homme » pp. 243-267

Bernardin de Saint-Pierre remarque avec raison que l’usage du feu accordé à l’homme et refusé aux animaux mettait seul entre lui et eux une distance infinie. Les anciens avaient fait du feu le père de tous les arts. Le feu, accordé à l’homme pour s’en servir comme d’un instrument, a été aussi regardé par eux comme l’emblème du don de la parole.

247. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — V » pp. 123-131

Comme ce grand feu d’esprit n’est pas toujours, dans la jeunesse, accompagné de prudence, celui-ci était un grand poète et fort étourdi. […] [NdA] On lit dans une lettre de M. de La Rivière à l’abbé Papillon, du 5 avril 1736 : « Feu M. le maréchal de Villars, que j’avais fort connu avant sa grande fortune, qui m’avait conservé de l’amitié, et qui me faisait l’honneur de venir quelquefois me voir, avait toujours Horace dans sa poche et s’en servait agréablement : il avait beaucoup de goût et autant d’esprit que de valeur. » (Lettres choisies de M. de La Rivière, gendre du comte de Bussi-Rabutin, 1751 ; tome ii.) — Cet Horace dans la poche de Villars est une particularité curieuse ; mais n’était-il pas homme à le prendre tout exprès et à le laisser voir à propos, quand il allait rendre visite à M. de La Rivière ?

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