Enfin je fus bien aise de cette rencontre, qui servit du moins à me délivrer de quelque commencement d’inquiétude ; car je m’étudie maintenant à vivre un peu plus raisonnablement, et à ne me pas laisser emporter à toutes sortes d’objets. […] Tout ceci nous conduirait, si nous l’osions, à conclure avec Corneille que Racine avait un bien plus grand talent pour la poésie en général que pour le théâtre en particulier, et à soupçonner que, s’il fut dramatique en son temps, c’est que son temps n’était qu’à cette mesure de dramatique ; mais que probablement, s’il avait vécu de nos jours, son génie se serait de préférence ouvert une autre voie. […] Vivez, aimez, c’est la sagesse : Hors le plaisir et la tendresse, Tout est mensonge et vanité. […] Je compte les miennes pour rien ; mais votre mère et vos petites sœurs prioient tous les jours Dieu qu’il vous préservât de tout accident, et on faisoit la même chose à Port-Royal. » Et plus bas : « M. de Torcy m’a appris que vous étiez dans la Gazette de Hollande : si je l’avois su, je l’aurois fait acheter pour la lire à vos petites sœurs, qui vous croiroient devenu un homme de conséquence. » On voit que madame Racine songeait toujours à son fils absent, et que, chaque fois qu’on servait quelque chose d’un peu bon sur la table, elle ne pouvait s’empêcher de dire : « Racine en auroit volontiers mangé. » Un ami qui revenait de Hollande, M. de Bonnac, apporta à la famille des nouvelles du fils chéri ; on l’accabla de questions, et ses réponses furent toutes satisfaisantes : « Mais je n’ai osé, écrit l’excellent père, lui demander si vous pensiez un peu au bon Dieu, et j’ai eu peur que la réponse ne fût pas telle que je l’aurois souhaitée. » L’événement domestique le plus important des dernières années de Racine est la profession que fit à Melun sa fille cadette, âgée de dix-huit ans ; il parle à son fils de la cérémonie, et en raconte les détails à sa vieille tante, qui vivait toujours à Port-Royal dont elle était abbesse25 ; il n’avait cessé de sangloter pendant tout l’office : ainsi, de ce cœur brisé, des trésors d’amour, des effusions inexprimables s’échappaient par ces sanglots ; c’était comme l’huile versée du vase de Marie.
Est-ce dans un temps où il suffit de vivre pour être entraîné par le mouvement universel, où jusqu’au sein même de la tombe le repos peut être troublé, les morts jugés de nouveau, et leurs urnes populaires tour à tour admises ou rejetées dans le temple où les factions croyaient donner l’immortalité ? […] Les autres vivent un à un, sans analogie comme sans variété, leur existence est monotone, quoique chacun d’eux ait un but différent, et il y a autant de nuances que d’individus, sans qu’on puisse découvrir une véritable couleur. […] Qu’on me pardonne de m’être laissée entraîner au-delà de mon sujet, mais qui peut vivre, qui peut écrire dans ce temps, et ne pas sentir et penser sur la révolution de France. […] Quelle multitude de peines assiège alors le cœur qui voulait vivre dans les autres, et se voit trompé dans cette illusion !
Sa vie s’avançait dans ces douces occupations ; il la voyait s’écouler avec une philosophique indifférence, il vivait surtout à la campagne. […] Comme il avait toujours vécu sous l’autorité de son père, son nom ne se montre que rarement dans les pages de l’histoire : mais les mémoires littéraires attestent que, par ses talents naturels et par ses connaissances acquises, il ne dérogeait pas à cette ardeur pour les études, à cet attachement pour les hommes d’un savoir éminent qui avaient été l’apanage constant de sa famille. […] Pierre était sensé, mais infirme, il ne devait pas vivre longtemps ; il cultiva l’esprit de Laurent par des voyages et l’initia promptement aux grandes affaires. […] Vous jouissez sans envie du peu que vous possédez ; vous vivez heureux dans une douce indolence.
De là vient que Jean de Meung s’emporte si âprement contre l’ambition et l’avarice : faut-il tant de tracas, d’efforts, de misères, et surtout de misères infligées à autrui, pour vivre ? […] Et leur pain loyalement gagnent, Puis revont au tonneau, et boivent, Et vivent si comme on doit vivre. […] Et notre poète a le droit en vérité d’ouvrir le ciel à ceux qui vécurent en ce monde selon son commandement : malgré le cynisme de son langage et parfois de ses idées, il prêche une haute et sévère morale ; il a su tirer toutes les vertus de son naturalisme.
D’abord il faudrait avoir vécu longtemps avec des membres du clergé. […] La seconde condition, ce serait, après avoir vécu à l’église, à la sacristie et au presbytère, d’en être sorti. […] Si Dieu est votre préoccupation constante — un évêque doit vivre en présence du Seigneur, a écrit saint Cyprien, in conspectu Domini obéissez sans discussion, aveuglément, à l’autorité qu’il a placée sur vous. […] Fabre sait les faire vivre, en outre, d’une vie extérieure, leur donner une physionomie, une allure, nous les faire voir.
La Société sera mal organisée, tant qu’elle ne permettra pas de vivre, tant qu’elle ne donnera pas automatiquement de quoi vivre aux hommes, dont les recherches intellectuelles sont importantes. Il faut toujours, entre mille cas scandaleux, répéter celui-ci : Branly, l’illustre, donne des leçons pour vivre. […] Paul Reboux 1º La critique littéraire française est actuellement, non en décadence, mais en sommeil, par suite de la crise du papier qui a obligé les journaux à réduire le nombre de leurs pages ; 2º La critique étalée dans un Sainte-Beuve ne serait pas convenable au temps où nous vivons.
En soi, peut-être ce dernier trait ne serait-il pas un très grand mal ; ce qui nous intéresse c’est l’homme en dehors de l’époque et du pays où vécut tel personnage ; que ce personnage fût italien, allemand, lapon, nègre ou malais, cela importerait peu si le Poète devenait à son gré lapon, malais ou italien, et s’il n’était tenté aussi de sacrifier l’esprit de son œuvre aux puérilités de la « couleur locale ». […] M. de Régnier vient aussi de Bretagne, me dit-on, — au moins cela est-il vrai pour un lointain passé ; mais voici longtemps que la Champagne du Nord et l’Ardenne française l’ont vu vivre et il a mêlé heureusement les souvenirs anciens aux plus récentes visions. […] Après quoi Thibaut vécut paisible à Moha, puis abandonna la comtesse pour écrire ailleurs quelque tenson allègre. […] Les Cygnes sont des poèmes humains, dans le meilleur sens de ce mot, puisqu’ils font vivre l’homme, l’homme d’à présent, d’hier et de demain, celui qui a toujours été, celui que nous voyons, celui-là même de l’avenir : l’homme en tant qu’être sensitif et agissant, voué à la douleur et à la joie et tenant en ses mains la force qui fait créer.
Il y chante son luxe et son bien-être ; le chant n’est guère propre à toucher ceux qui ne peuvent pas vivre de sa vie ; mais la nature y parle, et les vers sont écrits de verve. […] Il n’y sent pas la vie, car était-ce vivre que d’être au monde avant l’invention des carrosses à glaces ? […] Ces pages-là vivent encore, quoique les abus dont s’y plaint Voltaire aient été redressés. Elles vivent par ces vérités supérieures qui, après avoir servi à réformer la société, servent encore à la perfectionner, et qui sont à la fois l’expression de ce qui s’est fait et l’idéal de ce qui reste à faire pour améliorer les sociétés humaines.
Un mot d’un contemporain, homme instruit, qui vivait loin des salons parisiens, nous dit quel jugement en portaient tous les esprits restés libres dans cette servitude de la négation universelle. […] Jamais l’amour de la vie et jamais le dégoût de vivre n’avaient été plus violents et plus inséparables qu’en ces temps de ruines récentes et de restaurations merveilleuses, où, pareils à des réchappés d’un naufrage, les hommes éprouvaient en même temps les dernières terreurs du péril et les premières joies de la délivrance. […] En revanche, il y aura toujours une place d’honneur pour la belle et poétique intelligence qui s’inspira, au commencement de ce siècle, de tout ce qui voulait revivre du passé, de tout ce qui commençait à vivre de l’avenir. […] Elle lui rendait nécessaire, écrivit-il à Voltaire, l’assiduité aux Académies ; il avait besoin, pour vivre, des jetons de présence.
Boileau se moque de Clélie, « cette admirable fille, qui vivait de façon qu’elle n’avait pas un amant qui ne fût obligé de se cacher sous le nom d’ami ; car autrement ils eussent été chassés de chez elle. « Certes la subtilité n’est pas le vrai : mieux vaut pourtant être ridicule que vulgaire, et c’est un moyen trop commode pour échapper au ridicule que de se réfugier dans la banalité. […] Appelée à vivre par sa vérité, elle développe parallèlement un principe de mort qui devient avec le temps intolérable et la tue. […] Reid) Plus de vigueur d’esprit montre bientôt le peu de fondement de cette nouvelle tentative ; on s’attaque à l’instrument même : de là un grand, terrible, sublime scepticisme (Kant, Jouffroy, Pascal) Enfin, la vue complète de l’esprit humain, la considération de l’humanité aspirant au vrai et s’enrichissant indéfiniment par l’élimination de l’erreur, amène le dogmatisme critique, qui ne redoute plus le scepticisme, car il l’a traversé, il sait ce qu’il vaut, et, bien différent du dogmatisme des premiers âges, qui n’avait pas entrevu les motifs du doute, il est assez fort pour vivre face à face avec son ennemi. […] Puis je me dis : « Ce n’est pas leur faute s’ils sont laids ; c’est une façon de vivre. » Il est d’un petit esprit, me disais-je, de moraliser la nature et de lui imposer nos jugements.
— Un homme qui a mal vécu. — Que voulez-vous ? […] Il y a quinze ans qu’ils vivent à Lausanne, sous le pavillon d’un subterfuge qui leur garantit l’estime de la petite ville. […] Ce qu’il y voit surtout, c’est le déshonneur de sa mère, et l’idée que sa soeur et lui vivent, depuis quinze ans, sans s’en douter, avec son amant. […] La mère et le fils vivent seuls dans cette maison presque fermée du côté du monde ; il y a un secret douloureux dans leur réclusion.
On est de grands jours à vivre entièrement là dedans. […] 14 mai Charles Edmond, qui a vécu partout et connu tout le monde, et qui, de temps en temps, dans la causerie, entrouvre ses mémoires, et en tire une curieuse figure, un souvenir caractéristique, nous conte ceci, à propos de la susceptibilité nationale des Italiens. […] * * * — Un temps dont on n’a pas un échantillon de robe et un menu de dîner, l’Histoire ne le voit pas vivre. […] Être dans son coin, vivre seul et sur soi-même, n’avoir que les maigres satisfactions qui vous touchent de bien loin et dont vous avez si peu conscience : la conscience du succès d’un livre qui n’est jamais au présent, mais toujours dans l’avenir.
Il y avait pourtant toujours dans les prisons quelques malheureux condamnés vulgaires qui se promenaient dans les préaux depuis cinq ou six mois, respirant l’air, tranquilles désormais, sûrs de vivre, prenant leur sursis pour leur grâce. […] je vous le demande, qu’est-ce que cela nous faisait à tous que ces hommes vécussent ? […] Il paraît qu’il y a des gens qui vivent de cette vente. […] Mais comment les fera-t-il vivre du fond de son tombeau ?
L’employé leur demande s’ils ont un papier prouvant qu’ils vivent. « Mais non, répondent ces innocents. […] Vivre n’est rien si un papier ne l’atteste. […] Je suis sûr que les artistes qui vivaient au moyen âge, Dante quand il écrivait sa Divine Comédie, les auteurs de nos poèmes nationaux et de ceux des nations voisines, les bâtisseurs d’églises, d’hôtels de ville, de maisons corporatives, les sculpteurs, les peintres, les musiciens, avaient présente à l’esprit cette idée fraternelle, et dédiaient en secret leur œuvre à tout le peuple chrétien. […] J’ai donc montré, par des exemples, que le roman populaire avait déjà un commencement d’histoire ; par un rapide exposé de nos mœurs, qu’il était nécessaire ; par des citations dont j’aurais pu augmenter le nombre, que la pensée d’un art et d’une littérature s’adressant à la foule, familière autrefois à beaucoup d’esprits, n’est pas sans écho dans le monde où nous vivons.
Jouffroy (car, avec tout mon désir de le laisser en dehors de cette critique, je ne puis tout à fait l’omettre), Jouffroy n’avait rien du comédien et était sérieux ; il a fini par mourir de ce qui a fait vivre les autres. […] Ce moment fut affreux, et quand, vers le matin, je me jetai épuisé sur mon lit, il me sembla sentir ma première vie, si riante et si pleine, s’éteindre, et derrière moi s’en ouvrir une autre sombre et dépeuplée, où désormais j’allais vivre seul, seul avec ma fatale pensée qui venait de m’y exiler et que j’étais tenté de maudire… Si M. […] Mais tout cela, d’abord, ne vint pas à la fois ni tout d’un coup ; ceux qui vivaient alors et qui parlent si bien aujourd’hui étaient les premiers à se plaindre des années mauvaises, des mauvais jours, comme on les appelait, du pouvoir oppresseur, et ne se cachaient pas de l’espoir qu’ils avaient d’en être délivrés.
Villehardouin fut un des deux commissaires nommés par le comte de Champagne, lequel semblait désigné pour être le chef de la croisade s’il avait vécu. […] Pour transporter en Orient plus de trente mille hommes et plusieurs milliers de chevaux, pour approvisionner cette armée de vivres pendant neuf mois, la République demandait une somme évaluée à environ quatre millions et demi de notre monnaie actuelle : elle stipula, de plus, que cinquante galères vénitiennes seconderaient les opérations de l’armée, sous la condition d’un partage égal dans le butin et dans les conquêtes. […] Si vous vouliez octroyer que mon fils demeurât dans le pays en ma place pour le garder et gouverner, je prendrais maintenant la croix et irais avec vous vivre ou mourir, selon ce que Dieu m’aura destiné. » À ces nobles paroles du vieillard un grand cri s’éleva et l’acclamation publique répondit.
Marolles, qui joindra plus tard (1627) à ce premier bénéfice l’abbaye de Villeloin, plus considérable, et qui en prit occasion de recevoir l’ordre de prêtrise moins par vocation que par convenance (les bulles y mettant cette condition), fut lié avec quelques-uns de messieurs de Port-Royal, fort sévères sur ce genre d’abus et de d’irrégularités ; mais, tout en se prévalant de leur amitié et en la leur rendant par de bonnes paroles et des témoignages publics d’intérêt, il ne fut touché en aucun temps de scrupules sur la manière dont il était entré dans les bénéfices et dans le sacerdoce ; il avait le christianisme assez large et coulant, et n’était rien moins que rigoriste, soit pour la doctrine, soit pour les mœurs : se contentant de vivre en honnête homme, comme on disait alors. […] Cet événement, on peut le dire, fait époque dans son existence et la partage en deux moitiés : jusque-là, il avait été du monde, de la Cour, des belles sociétés, s’y accordant bien des distractions permises, et non sans une pointe légère d’ambition : à partir de là (1645), il fit une demi-retraite et s’adonna tout à l’étude, à ses traductions des auteurs, à sa collection d’images, deux passions rivales qu’il mena de front jusqu’au bout ; il vécut beaucoup dans son cabinet, soit à son abbaye de Villeloin, soit à Paris (quand il y était), dans son faubourg Saint-Germain, ayant quitté l’hôtel de Nevers, mais logeant toujours près des Quatre-Nations. […] Il va travailler et noircir du papier comme un auteur qui n’aurait eu que ce métier pour vivre : il y aura de la manie dans son fait.
Mais, par malheur, le héros vécut et se survécut. […] On l’avait depuis quelques années séparé, non sans peine, d’une maîtresse avec laquelle il vivait, et dont il avait une fille. […] Vous serez dans un couvent où la reine ma mère a été pendant du temps… On y sait vivre plus que dans aucun couvent de Rome.
Car le défaut de la Pléiade, c’était le pastiche, l’artificiel ; et il ne fut pas mauvais que les poètes fussent rappelés à l’actualité, sollicités de vivre de la vie de leur temps, de tirer de leurs âmes les communes émotions de toutes les âmes contemporaines. […] Puis on a la bonne fortune d’avoir dans les œuvres de Du Vair les monuments d’une éloquence réelle221 qui pendant six années, des barricades à l’entrée du Roi, dans les plus critiques circonstances, fut une arme au service de l’ordre et du droit : on voit alors le genre oratoire vivre véritablement, adapté à son milieu, et faisant son office. […] Les catholiques ne demeuraient pas en reste d’injures et de pamphlets : mais leurs passions ne trouvèrent point d’interprète qui les fit vivre dans une forme littéraire.
Par malheur, il manquait ou de netteté ou de courage dans l’esprit ; il se laissait donner des admirations ou des dégoûts par la société où il vivait, et par les patrons qui le pensionnaient. […] Il nous expose donc dans son Discours comment l’éducation de ses précepteurs, les jésuites, n’ayant donné aucune satisfaction au besoin essentiel de son esprit, il s’est efforcé de se donner lui-même le bien sans lequel il ne pourrait vivre : ce bien, c’est la connaissance, et ce besoin, le désir de la vérité. […] Jusque-là elle vécut à côté du christianisme, en paix avec lui, dans les mêmes intelligences ; et je ne doute pas même qu’elle n’ait aidé pendant un temps certains esprits, tels que Boileau, à rester chrétiens.
Jamais on n’a mieux parlé que lui de ces choses fugitives et rapides, qui pourtant ont été l’événement d’un jour, d’une heure, et qui ont vécu. […] Elles vivaient néanmoins en commun, mais sans autres pratiques extérieures que celles que doivent observer toutes les personnes de leur sexe qui renoncent au mariage, et qui veulent mener une vie modeste et chrétienne. […] Le Tellier, qui fut plus tard chancelier de France, et qui la soutint tant qu’il vécut.