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825. (1888) Poètes et romanciers

N’avons-nous pas tous, à vingt ans, vécu de leur vie, vécu de leurs chants ? […] — Vivons dans ces beaux lieux. […] — J’ai bien assez vécu — À Villequier. […] Elle quitta sa famille et son enfant pour aller vivre seule. […] Je ne puis vivre et penser que dans la retraite.

826. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

C’est précisément dire qu’il ne vit pas, et l’empêcher de vivre. […] La France n’est pas trente millions d’hommes qui vivent entre les Pyrénées et le Rhin, c’est un milliard d’hommes qui y ont vécu ; et ceux qui sont morts comptant beaucoup plus que ceux qui vivent, car ce sont eux qui ont défriché le champ et bâti la maison ; c’est leur souvenir qui fait la continuité de l’idée de patrie, qui fait que la patrie existe, qu’elle se distingue d’une association d’un jour. […] La tradition nous fait vivre, penser, parler ; mais elle peut se rompre ; nous tendons même à faire qu’elle se rompe. […] Elle vivait déjà de lecture et de parole, c’est-à-dire de pensée. […] A tel moment tragi-comique de sa vie, il s’écrie : « C’est absurde de vivre avec des gens qui ne savent pas dormir !

827. (1882) Autour de la table (nouv. éd.) pp. 1-376

Elle a bravement vécu, noblement lutté et légitimement triomphé. […] Je mourrai seul, ainsi que j’ai vécu. […] — Vivent les fils ! […] À quoi bon vivrais-je une centaine d’années ? […] Comme il arrive toujours, elle fut combattue : Son père alla vivre à la campagne, près Paris.

828. (1878) Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux. Tome I (2e éd.)

Il est impossible, en effet, de séparer ces deux idées ; ce qui est vivant mourra, ce qui est mort a vécu. […] Il n’était donc pas complètement inerte : il vivait obscurément. […] Les végétaux et les animaux vivent identiquement, mais fonctionnent autrement. […] Les êtres inférieurs vivent sans ces appareils, qui ne sont que l’apanage des organisations de luxe. […] En entrant en contact avec les parties, il les rend excitables ; elles ne peuvent vivre qu’à la condition de ce contact.

829. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [1] Rapport pp. -218

Mais un instinct lyrique et épique vivait dans l’âme franke des trouvères d’oïl. […] Il dit une seconde fois penser, aimer, admirer, vivre, comme on avait pensé, aimé, admiré, vécu. […] Villiers de l’Isle-Adam a vécu dans le rêve, par le rêve, pour le rêve. […] Et cet esprit, en qui vivait, suprême, presque divin, le pouvoir de l’idéalisation, s’est résigné à l’ironie. […] Il ne savait pas vivre.

830. (1913) Poètes et critiques

À cette époque où l’on vit moins pour écrire qu’on n’écrit pour vivre, qui peut se flatter de durer tout entier ? […] Mais, quand il ne demeurera plus une ligne de toute la prose laudative ou agressive qu’on aura, de nos jours, versée sur ses écrits, ses vers, ses « vers latins » vivront encore. […] Son imagination s’est imprégnée de ces couleurs, et, cessant d’être un étranger, les sentiments dont avaient vécu, dont vivent encore les habitants de ce pays qu’il visitait, se sont, au fil de l’heure, insinués jusqu’au fond de lui-même. […] (Vivez purement, Dieu vous voit.) […] Il a vécu comme tous les hommes, c’est-à-dire qu’il a laissé derrière lui — je prends la formule à Victor Hugo — « plusieurs fantômes de lui-même ».

831. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Notes et pensées » pp. 441-535

Le pire est de vivre en un temps qui n’a pas sa maladie nette, sa passion. […] Car il est des esprits si paresseux et si immobiles qu’ils ne feraient pas d’eux-mêmes un pas, quand ils vivraient une éternité. […] Courage, courage pourtant, et nous vivrons ! […] Un homme qui a bien vécu se sent plus libre dans sa solution : l’est-il davantage ? […] Ce ne sont que des arts qui s’allongent et s’amplifient tant qu’ils peuvent pour occuper, faire valoir et faire vivre l’ouvrier.

832. (1899) La parade littéraire (articles de La Plume, 1898-1899) pp. 300-117

Il a fait vivre l’âme sous la rose transparence des diaphanes tissus. […] Cette poésie présente d’étroits rapports avec notre époque, avec la société où nous vivons. […] Il épouse une jeune fille auprès de qui il doit vivre sans amour. […] « Vivre ! s’écrie-t-il, vivre tellement que l’on en craint un brisement de son âme.

833. (1895) Nouveaux essais sur la littérature contemporaine

Est-ce que peut-être pour observer le monde, il en a toujours vécu trop éloigné ? […] de ceux qui n’ont vécu que par et pour la politique ? […] Il vivait encore à l’époque où je faisais cette leçon ! […] je l’ai entendu confesser devant moi des actes dont la honte me poursuit avec obsession… Il feignait de vivre de notre simple et paisible vie, tandis qu’à côté et en silence il en vivait une autre. » Quoi qu’il puisse dire, quoi qu’elle puisse faire, la déchéance est irréparable. […] Renan, s’il eût vécu du temps de Louis XIV, eût composé pour le Dauphin de France l’Histoire universelle.

834. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — II. Duclos historien » pp. 224-245

Le chancelier d’Aguesseau plus calme, qui connaissait le travail de l’abbé Le Grand et qui s’était autrefois confié en ce docte et laborieux personnage pour le projet d’une nouvelle collection des Historiens de France, disait après avoir lu le livre de Duclos : « C’est un ouvrage écrit aujourd’hui avec l’érudition d’hier. » Le fait est qu’en lisant de suite ce récit de Duclos, on n’est point intéressé, on n’entre point avant dans le sujet, on n’y vit point, et il semble dès lors que l’auteur n’y a pas non plus habité suffisamment ni vécu. […] Mais, dès que Louis XI est né, on tire son horoscope, et l’abbé Le Grand nous raconte ce qu’on lui prédit : On prédit qu’il vivrait soixante et dix ans, et qu’il passerait les mers, ce qui s’est trouvé faux. […] L’adroite Chausseraye saisit le moment et répondit au roi « qu’il était bien bon de se laisser tourmenter de la sorte à faire chose contre son gré, son sens, sa volonté ; que ces bons messieurs ne se souciaient que de leur affaire et point du tout de sa santé, aux dépens de laquelle ils voulaient l’amener à tout ce qu’ils désiraient ; qu’en sa place, content de ce qu’il avait fait, elle ne songerait qu’à vivre et à vivre en repos, les laisserait battre tant que bon leur semblerait, sans s’en mêler davantage ni en prendre un moment de souci, bien loin de s’agiter comme il faisait, d’en perdre son repos et d’altérer sa santé, comme il n’y paraissait que trop à son visage ; que, pour elle, elle n’entendait rien ni ne voulait entendre à toutes ces questions d’école ; qu’elle ne se souciait pas plus d’un des deux partis que de l’autre ; qu’elle n’était touchée que de sa vie, de sa tranquillité, de sa santé… ».

835. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire du règne de Henri IV, par M. Poirson » pp. 210-230

Si sur quelques points l’auteur est enclin et entraîné à trop accorder à Henri IV, à le faire plus libéral dans le sens moderne qu’il ne l’était, à donner une trop grande consistance à ce qui n’a été que fort court, à croire qu’il aurait tout fait s’il avait plus vécu, il y a un train général de bien-être et de félicité bien ordonnée pendant ce règne, sur quoi il est pleinement dans le vrai et ne se méprend pas ; et il nous apporte toutes les pièces à l’appui, les démonstrations victorieuses. […] Ce regret venait du soin que ce prince avait eu de les faire vivre en paix37. […] Que serait-il arrivé si Henri IV avait vécu davantage ? […] Au dedans, si Henri IV avait vécu et si quinze années de règne lui avaient été accordées encore, on peut croire que la France se serait de plus en plus assise, aurait mûri (ce qui lui est chose rare) par voie de continuité.

836. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo en 1831 »

Cet enfant que la vie effaçait de son livre, Et qui n’avait pas même un lendemain à vivre, C’est moi. […] Mme Hugo, femme supérieure, d’un caractère viril et royal, comme dirait Platon, s’était décidée à ne pas voir le monde, et a vivre retirée dans une maison située au fond du cul-de-sac des Feuillantines, faubourg Saint-Jacques, pour mieux vaquer à l’éducation de ses fils. […] L’un et l’autre jeunes, à peu près obscurs, livrés à des convictions ardentes, exagérées, plus hautes et plus en arrière que le présent ; avec un fonds d’ironie sérieuse et d’austère amertume, unique en de si fraîches âmes ; tous deux roidis contre le flot vulgaire, en révolte contre le torrent, le pied sur la médiocrité et la cohue ; examinant, épiant avec anxiété, mais sans envie, les œuvres de leurs rivaux plus hâtés, et sans relâche méditant leur propre gloire à eux-mêmes, ils vécurent ainsi d’une vie condensée, rapide, haletante pour ainsi dire. […] Le général Hugo, qui ne mourut qu’en 1828, vécut assez pour jouir avec larmes de ce trophée tout militaire, que dédiait son fils aux vétérans de l’Empire.

837. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ULRIC GUTTINGUER. — Arthur, roman ; 1836. — » pp. 397-422

» Et nous, qui dans l’amour consumons nos journées, Nous, qui de nos regards vivrions des années, Nous disons : Ce n’est qu’un moment ! […] Ils devraient souvent y songer, ceux qui vivent dans la fange des villes, dans leur corruption, dans leurs révoltes : à voir ce qu’il faut d’ordre, de résignation, de peines, pour féconder la terre et faire vivre ceux qui l’habitent, ils deviendraient plus calmes peut-être, et meilleurs. […] » Arthur, qui n’est pas un ouvrage composé, ni qui sente le talent de profession, Arthur, qui n’est guère peut-être qu’une suite de débris, de soupirs, de souvenirs et d’espérances, mais où le souffle est le même d’un bout à l’autre, et où l’esprit, vrai parfum, unit tout, sera, nous le croyons, une lecture propice et saine, et reposante, à bien des âmes fatiguées, à bien des palais échauffés, un correctif, au moins d’un moment, à tant de talents plus brillants que sincères, à tant d’enthousiasmes dont la flamme est moins au cœur qu’au front ; Arthur, si l’amitié et trop de conformité intime ne nous abusent, Arthur vivra et conservera le nom de son auteur, qui n’a plus à se repentir littérairement de ses écarts, de sa venue hâtive, de ses plaisirs distrayants et de ses faiblesses paresseuses, puisque, de tant d’imperfections éparses, il lui a été donné un jour (ô nature douée avec grâce !)

838. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LE COMTE XAVIER DE MAISTRE. » pp. 33-63

Quelque part, à bon droit, qu’on fasse à la vocation singulière et déclarée des talents, ce n’est pas sans une certaine préparation générale et une certaine prédisposition du terroir natal lui-même, qu’à titre d’écrivains français si éminents, on a pu voir sortir de Genève Jean-Jacques, Benjamin Constant de Lausanne, et les de Maistre de Savoie, ceux-ci surtout, qui n’en sont sortis que pour aller vivre tout autre part qu’en France. […] Arrivé dans le Nord, sa première idée fut qu’il n’avait pour ressource que son pinceau, et, comme tant d’honorables émigrés, il se préparait à en vivre ; mais la fortune changea : il put garder l’épée, et, au service de la Russie, il parvint graduellement au rang de général. […] Ce pauvre lépreux, avant d’être à la Cité d’Aoste, vivait à Oneille. […] En parcourant les ouvrages à la mode, il s’est effrayé d’abord, il s’est demandé si notre langue n’avait pas changé durant ce long espace de temps qu’il avait vécu à l’étranger : « Pourtant ce qui me tranquillise un peu, ajoutait-il, c’est que, si l’on écrit tout autrement, la plupart des personnes que je rencontre parlent encore la même langue que moi. » En assistant à quelques séances de nos Chambres, il s’est trouvé bien dérouté de tant de paroles ; au sortir du silence des villas et du calme des monarchies absolues, il comprenait peu l’utilité de tout ce bruit, et l’on aurait eu peine, je l’avoue, à la lui démontrer pour le moment.

839. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « M. Joubert »

Le temps permet aux gens de bien de vivre partout où ils veulent. […] J’en ai quelquefois cependant ; et si mes pensées s’inscrivaient toutes seules sur les arbres que je rencontre, à proportion qu’elles se forment et que je passe, vous trouveriez, en venant les déchiffrer dans ce pays-ci après ma mort, que je vécus par-ci par-là plus Platon que Platon lui-même : Platone platonior. […] Mal connu par ceux-là, méconnu par ceux-ci, il met à notre décharge, dans ses balances équitables, les superstitions et les incrédulités des époques où nous vivons. « Nous vivons dans un temps malade ; il le voit.

840. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIIe entretien. Fénelon, (suite) »

XXXI Madame Guyon, cause de toutes ces agitations, sortit de Vincennes après la mort de Bossuet, et vécut reléguée en Lorraine chez une de ses filles. […] « Ce livre de Fénelon, dit Bossuet, qui vivait encore à l’époque de son premier bruit, est un roman. […] Si le duc de Bourgogne avait vécu et si Fénelon avait conservé sur lui l’ascendant que tant d’années d’absence avaient respecté, 1789 aurait commencé en 1715, et la monarchie, réformée, n’eût été que la république chrétienne avec une tête. […] Ainsi vécut et mourut Fénelon.

841. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Ils sont inventés, car ils vivent ; et par quoi vivent-ils, sinon par les beautés du style ? […] Si l’invention dans le poète épique est le don de s’oublier lui-même et de vivre de la vie des personnages qu’il a créés, nul n’était moins fait que Voltaire pour la gloire de l’épopée, parce que nul ne s’est moins oublié dans ses écrits. […] S’il eût vécu en ce temps-là, Boileau l’eût peut-être rendu plus difficile sur la correction ; mais en retour il eût appris à Boileau un idéal de l’élégie et de l’idylle bien autrement aimable que celui de l’Art poétique.

842. (1890) L’avenir de la science « II »

De là ce monde étrange où vit l’enfance, où vivait l’homme primitif. […] Vivre sans un système sur les choses, c’est ne pas vivre une vie d’homme. […] La science, et la science seule, peut rendre à l’humanité ce sans quoi elle ne peut vivre, un symbole et une loi.

843. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires de Marmontel. » pp. 515-538

Quatre ou cinq camarades logeaient ensemble chez quelque artisan de la ville ; chaque écolier avait avec lui ses provisions pour la semaine, ses vivres qui lui venaient de la maison paternelle : Notre bourgeoise nous faisait la cuisine, et pour sa peine, son feu, sa lampe, ses lits, son logement, et même les légumes de son petit jardin qu’elle mettait au pot, nous lui donnions par tête vingt-cinq sols par mois ; en sorte que, tout calculé, hormis mon vêtement, je pouvais coûter à mon père de quatre à cinq louis par an. […] L’homme qui fait des souliers est sûr de son salaire ; l’homme qui fait un livre ou une tragédie n’est jamais sûr de rien. » Marmontel devint donc, en 1753, secrétaire des Bâtiments sous M. de Marigny, frère de Mme de Pompadour ; dès lors il habita Versailles, et durant cinq années il vécut pêle-mêle et tour à tour avec des artistes, avec des intendants des Menus-Plaisirs, travaillant à sa guise, étudiant à ses heures, et voyant toutes sortes de sociétés qu’il nous peint fidèlement, la société des premiers commis comme celle des philosophes, le financier Bouret comme d’Alembert : Oui, j’en conviens, dit-il, tout m’était bon, le plaisir, l’étude, la table, la philosophie ; j’avais du goût pour la sagesse avec les sages, mais je me livrais volontiers à la folie avec les fous. […] Marmontel modeste, occupé, goûté, s’étant réduit sciemment à des genres secondaires, « à des genres d’écrire dont on pouvait sans peine, disait-il, pardonner le succès », vivait heureux et était même assez sage pour mépriser les critiques qui, de tout temps, l’avaient de loin harcelé. […] Il vécut assez pour voir le 18 Brumaire, mais pas assez pour entrer dans le nouveau siècle ; il expira avec celui même qui finissait, et dont il représente si bien les qualités moyennes, distinguées, aimables, un peu trop mêlées sans doute, pourtant épurées en lui durant cet honorable déclin.

844. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Voltaire et le président de Brosses, ou Une intrigue académique au XVIIIe siècle. » pp. 105-126

Ce moment est décisif dans la vie de Voltaire, et signale en effet son véritable avènement à la monarchie littéraire universelle : il règne et régnera durant les vingt années qui lui restent encore à vivre ; mais nous n’avons aujourd’hui qu’à le suivre dans sa relation avec le président de Brosses avec qui il est entré en affaires d’intérêts. […] J’ai de quoi vivre sans Tourney, et j’aime mieux y laisser croître des ronces que d’y être persécuté. […] Au moment le plus vif de la contestation, il poussera la bouffonnerie et la parodie jusqu’à dire : « J’ai fait le bien pour l’amour du bien même, et le ciel m’en récompensera ; je vivrai longtemps, parce que j’aime la justice. » On ne peut tout dire en détail, et il faut bien en venir à la plus grosse et à la misérable affaire qui fit la rupture. […] J’ai si peu de temps à vivre, que je ne dois point craindre la guerre. » J’abrège ces ignominies.

845. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — II. (Fin.) » pp. 411-433

Il ne se dit jamais avec la douce sagesse que devrait avoir un homme qui a médité sur la montagne et qui a vécu au désert : « Les vieilles religions sont comme les vieux arbres : il y a des milliers de familles innocentes d’oiseaux qui y font leurs nids47. » Au reste, il y a dans tout ceci à faire la part du siècle et du moment ; elle est immense. […] Je le laisse parler lui-même le plus que je peux ; c’est le meilleur moyen de le faire connaître, car on le lit bien peu aujourd’hui : Lorsqu’en 1783, écrit-il, je partais de Marseille, c’était de plein gré, avec cette alacrité, cette confiance en autrui et en soi qu’inspire la jeunesse : je quittais gaiement un pays d’abondance et de paix pour aller vivre dans un pays de barbarie et de misère, sans autre motif que d’employer le temps d’une jeunesse inquiète et active à me procurer des connaissances d’un genre neuf, et à embellir, par elles, le reste de ma vie d’une auréole de considération et d’estime. […] On raconte qu’un jour Marmont, gouverneur d’Alexandrie, eut l’idée d’envoyer quelque présent de fruits et de vivres à l’amiral anglais qui était en vue et qui bloquait la mer. […] À quelqu’un qui, vivant à la campagne, regrettait la ville, Volney racontait une anecdote de Diderot, qui avait au château de Meudon une jolie chambre où il n’allait jamais, et qui répondait un jour à Delille en refusant de la lui céder : « Mon cher abbé, écoutez-moi ; nous avons tous une chimère que nous plaçons loin de nous ; si nous y mettons la main, elle se loge ailleurs ; je ne vais point à Meudon, mais je me dis chaque jour : J’irai demain ; si je ne l’avais plus, je serais malheureux. » — Vous, Monsieur, qui vivez à la campagne, continue Volney, vous avez placé votre chimère à la ville ; mais que l’exemple de Diderot vous serve.

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